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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110211

Dossier : T-338-10

Référence : 2011 CF 166

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 février 2011

En présence de Madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

 

DAVID BURKES

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. David Burkes (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F-7, de la décision par laquelle, le 26 février 2010 ou vers cette date, l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a rejeté la proposition qu’il avait faite d’effectuer d’importants versements mensuels pendant plusieurs années dans le but de réduire le montant de ses impôts à payer (la décision). 

 

 

[2]               Le demandeur sollicite ce qui suit :

a)                  une ordonnance enjoignant au défendeur d’accepter l’entente de paiements qu’il avait proposée dans sa lettre du 24 février 2010; 

b)                  subsidiairement, une ordonnance annulant la décision et renvoyant à un autre décisionnaire l’examen de l’entente de paiements proposée;  

c)                  l’octroi des dépens afférents à la demande, au-delà de ce qui est prévu au tarif.

 

LES FAITS

 

[3]               Le demandeur est un comptable agréé qui doit de l’impôt depuis au moins 1992. D’après les notes informatisées de l’ARC, le demandeur ne paie pas à temps l’impôt qu’il doit. Il laisse plutôt sa dette fiscale s’accumuler, pour ensuite conclure une entente de paiements pour l’acquittement de l’arriéré. Lorsqu’une telle entente est en vigueur, le demandeur en respecte les modalités. Comme toutefois il ne verse pas alors d’acomptes provisionnels non plus qu’il ne paie d’impôt en fin d’année, il ne parvient jamais à éteindre sa dette fiscale.  

 

[4]               En 2003, des problèmes de santé ont entraîné une baisse de la vision du demandeur. Il y a eu des complications lorsqu’on a procédé à l’intervention chirurgicale requise; cela a occasionné une dépression chez le demandeur, qui a aussi dû subir une nouvelle intervention en 2006. Le demandeur n’a pas produit de déclarations en raison de son état de santé et de sa dépression pour les années d’imposition 2004 à 2007.

 

[5]               Malgré ses problèmes de santé, le demandeur a gagné un revenu brut de profession libérale de 478 400 $ en 2004, de 542 830 $ en 2005, de 549 400 $ en 2006, de 635 655 $ en 2007 et de 633 775 $ en 2008.     

 

[6]               L’ARC a établi l’impôt à payer par le demandeur sans disposer de ses déclarations et, en juillet 2008, celui-ci a reçu un avis de cotisation l’informant qu’il devait 765 751, 59 $ en impôt en souffrance ainsi qu’en intérêts et en pénalités.   

 

 

[7]               Pour nos fins, l’origine de la présente affaire remonte à novembre 2008, soit au moment où le demandeur a retenu les services d’un avocat pour l’aider à régler ses problèmes fiscaux, qui concernaient notamment son arriéré et son défaut de produire des déclarations. Par l’entremise de son avocat, le demandeur a proposé ce qui suit dans une lettre datée du 5 novembre 2008 :

a)                  effectuer le 20 novembre 2008 un paiement forfaitaire de 20 000 $;

b)                  remettre deux chèques de 7 500 $ payables à l’ARC, l’un daté du 15 novembre 2008 et l’autre du 15 décembre 2008;  

c)                  produire avant le 15 décembre 2008 des déclarations pour les années d’imposition 2004 à 2007;  

d)                  présenter une nouvelle proposition de paiement une fois qu’on aurait traité les déclarations et établi le montant de l’arriéré.  

(la première proposition)

 

[8]               L’ARC a estimé, d’après ses notes informatisées, que les versements offerts dans la première proposition ne suffisaient pas compte tenu de l’importance de la dette du demandeur. L’ARC a également conclu qu’il lui faudrait une proposition de paiement qui résulterait en l’élimination de la dette dans les six mois.

 

[9]               L’ARC a laissé des messages vocaux à l’avocat du demandeur, les 7 et 14 novembre, dans lesquels elle lui demandait de la rappeler. L’avocat n’a pas rappelé l’ARC.   

 

 

[10]           Le 28 novembre 2008, l’avocat du demandeur a plutôt transmis une lettre par fax où il déclarait ce qui suit à l’ARC comme, disait-il, elle n’avait donné aucune suite à la première proposition : [traduction] « Soyez avisée que, si vous n’avez pas répondu dans les deux jours ouvrables, nous exercerons les recours additionnels jugés indiqués ».    

 

[11]           Le 1er décembre 2008, l’ARC a reçu le fax du 28 novembre 2008 et elle a le jour même laissé un troisième message vocal. Elle faisait état des messages précédents et du défaut de l’avocat d’y avoir répondu, et déclarait sur le fond qu’une proposition de paiement ne serait pas acceptée à moins que la dette établie ne soit acquittée dans les six mois.  

 

[12]           Il appert des notes de l’ARC qu’un de ses représentants, le 3 décembre 2008, a communiqué par téléphone avec l’avocat du demandeur. Le représentant a avisé l’avocat que l’ARC avait rejeté la première proposition, jugée insuffisante, et que le règlement intégral de la dette était exigé dans les six mois.     

 

 

[13]           Au début de l’année suivante, soit le 20 janvier 2009, l’ARC a téléphoné à l’avocat du demandeur, qui a alors nié avoir communiqué avec celle-ci le 3 décembre ou avoir reçu précédemment ses messages vocaux.   

 

[14]           L’avocat a demandé à l’ARC de répondre par écrit à la première proposition, menaçant d’engager des poursuites si elle ne jugeait pas cela acceptable. Le même jour, l’ARC a délivré une demande péremptoire de paiement visant les comptes de banque du demandeur.   

 

 

[15]           Comme elle en avait toutefois également convenu, l’ARC a confirmé par lettre datée du 22 janvier 2009 qu’elle avait rejeté la première proposition parce que la somme offerte ne suffisait pas au vu de la dette. L’ARC déclarait également que la demande péremptoire de paiement subsisterait jusqu’à ce qu’une entente de paiements ait été conclue, et que pour être acceptable, une entente devrait prévoir la réduction dans les six mois de la dette établie et un engagement à produire des déclarations pour les années 2004 à 2007. On avait laissé entendre dans la première proposition que ces déclarations seraient produites avant le 15 décembre 2008, mais cela n’avait pas été fait. Le 22 janvier 2009, l’ARC a saisi la somme de 80 000 $ sur l’un des comptes de banque du demandeur.

 

[16]           Le 28 janvier 2009, l’avocat du demandeur a fait parvenir à l’ARC des chèques d’un montant total de 120 000 $, que l’ARC a acceptés par lettre datée du 30 janvier 2009. L’ARC a déclaré que ce paiement acquittait l’arriéré du demandeur jusqu’à l’année d’imposition 2003, mais elle a refusé de lever les demandes péremptoires de paiement comme les déclarations pour les années 2004 à 2007 n’avaient toujours pas été produites. L’ARC a ajouté s’attendre au paiement intégral de l’impôt dû une fois les productions faites, faute de quoi une proposition raisonnable de paiement serait requise.    

 

 

[17]           Les déclarations pour les années 2004 à 2007 ont été produites le 3 février 2009. L’ARC a alors levé les demandes péremptoires de paiement, a établi de nouvelles cotisations et, sans procéder à une vérification, a accepté les montants moins élevés indiqués par le demandeur. L’ARC a informé ce dernier qu’il devait en impôt, intérêts et pénalités la somme de 356 876 $.       

 

[18]           La question en litige est alors devenue celle de savoir si une entente de paiements pouvait être négociée en vue de la réduction de cette somme.  

 

 

[19]           L’avocat du demandeur a notamment déclaré ce qui suit dans une lettre à l’ARC du 3 juillet 2009 : [traduction] « Nous proposons d’effectuer des paiements provisoires de 5 000 $ par mois pendant trois mois, période pendant laquelle notre client examinera divers modes de refinancement. Une fois cette période expirée, nous effectuerons des paiements additionnels d’environ 15 000 $ par mois jusqu’à acquittement du reste de la dette » (la deuxième proposition). Cette proposition aurait permis d’acquitter l’arriéré en environ deux années.   

 

[20]           Le 9 juillet 2009, l’ARC a répondu à l’avocat par téléphone que, comme des versements pendant plus de douze mois étaient prévus dans la deuxième proposition, l’approbation d’un gestionnaire ou un chef d’équipe en était requise.      

[21]           L’ARC a ensuite informé l’avocat du demandeur par écrit, le 14 juillet 2009, que la deuxième proposition n’était pas acceptable, en faisant valoir les motifs suivants :

                        [traduction]

                        […]

a.                   On propose une date limite de remboursement plus tardive qu’il n’est habituellement permis.    

 

b.                  Nous avons besoin d’un état détaillé des revenus et dépenses ainsi que des actifs et obligations financières du ménage de votre client avant de pouvoir évaluer quelque proposition que ce soit.     

 

 

Nous accepterions l’arrangement de paiement prévu dans votre proposition pour la première période de 12 mois si le solde était remboursé intégralement le 31 juillet 2010 au plus tard.

 

[…]

 

Veuillez également noter que toutes les déclarations devront être produites à l’avenir en temps opportun, accompagnées des sommes intégrales dues, et que des acomptes provisionnels devront aussi être versés dans les délais prescrits.

 

 

[22]           Il appert des notes informatisées de l’ARC qu’à la fin de juillet 2009, l’ARC n’avait toujours obtenu aucune réponse à sa lettre du 14 juillet 2009.   

 

[23]           Le 21 août 2009, l’avocat a fait savoir lors d’une conversation avec l’ARC que son client était en train d’établir un relevé de la valeur nette de son patrimoine.     

 

 

[24]           Le 2 octobre 2009, l’avocat du demandeur a téléphoné à l’ARC pour l’informer qu’il lui faisait parvenir trois chèques postdatés de 3 000 $ chacun et aussi, pour la seconde fois, que son client examinait des modes de refinancement. L’ARC a répondu qu’elle accordait jusqu’au 9 novembre 2009 au demandeur pour obtenir du financement.     

 

[25]           Le 12 novembre 2009, l’ARC a informé l’avocat du demandeur par lettre que la somme due de 373 647, 69 $ devait être remboursée intégralement avant le 24 novembre 2009, faute de quoi des recours seraient engagés sans autre avis.

 

[26]           Le 19 novembre 2009, l’avocat a transmis en réponse à l’ARC par télécopieur une proposition de remboursement de la dette du demandeur (la troisième proposition). Cette proposition a toutefois été rapidement rejetée par l’ARC, au moyen d’une lettre transmise à l’avocat le jour même. Cette proposition, décrite dans une lettre subséquente du 11 décembre 2009 de l’avocat à l’ARC, prévoyait des versements mensuels de 3 000 $ à 35 000 $ sur une période de 27 mois prenant fin le 31 janvier 2012. À cette date, une somme totale de 387 000 $ aurait été remboursée.   

 

 

[27]           L’avocat du demandeur a laissé huit messages vocaux à l’ARC entre le 19 novembre et le 8 décembre 2009, dans lesquels il lui demandait les motifs du rejet de la troisième proposition. L’ARC n’a répondu que le 8 décembre, par téléphone, qu’elle n’avait pas à expliquer sa décision.   

 

[28]           Après avoir rejeté la troisième proposition, l’ARC a délivré de nouvelles demandes péremptoires de paiement visant les comptes de banque du demandeur.   

 

[29]           Dans une lettre du 11 décembre 2009 adressée à l’ARC, l’avocat du demandeur a qualifié de négligent et d’abusif le comportement de celle-ci, et a affirmé qu’en rejetant la troisième proposition, l’ARC avait porté atteinte au droit du demandeur de payer ses impôts.   

 

 

[30]           Dans une dernière lettre datée du 24 février 2010, l’avocat du demandeur a fait observer que la somme alors due était de 348 007, 03 $, et il a offert que soient effectués des paiements mensuels à compter de juin 2010 jusqu’à la fin de 2010 pour un montant total de 100 000 $, et des paiements d’un montant total de 150 000 $ en 2011 et de 100 000 $ en 2012, pour un total global de 350 000 $ (la proposition finale).      

 

[31]           La lettre, présentée en tant que proposition finale, se terminait comme suit : [traduction] « Nous exigeons une décision dans les 48 heures, faute de quoi nous prendrons pour acquis que vous avez décidé de rejeter l’arrangement de paiement précédemment exposé ».   

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[32]           La décision à l’examen dans le cadre de la présente demande est le défaut de l’ARC d’avoir accepté la proposition finale sans fournir d’explication.   

 

LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[33]           À mon avis, comme la décision d’accepter ou de rejeter une proposition de paiement a un caractère fortement discrétionnaire, c’est la raisonnabilité qu’il convient d’appliquer (voir Dunsmuir c. Nouveau- Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, paragraphe 53). Dans l’arrêt Telfer c. Canada (Agence du revenu) 2009 CAF 23, [2009] ACF no 71, de même, la Cour d’appel fédérale a statué que les décisions de l’ARC concernant l’allègement des intérêts et des pénalités commandaient la raisonnabilité. Selon moi, la logique suivie par la Cour d’appel dans son analyse vaut tout autant dans les cas où l’ARC a à se prononcer sur des propositions de paiement.  

 

LES PROPOSITIONS DE PAIEMENT

 

[34]           La pratique de l’ARC consistant à négocier des ententes de paiements en vue de recouvrer des impôts impayés ne repose sur aucun fondement législatif explicite. Dans l’arrêt Optical Recording Corp. c. Canada, [1991] 1 CF 309, 41 FTR 240, la Cour d’appel fédérale a toutefois statué (au paragraphe 27) que le ministre du Revenu national disposait du pouvoir discrétionnaire de prendre des dispositions acceptables de recouvrement.    

 

[35]           Le mode d’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est décrit dans la circulaire d’information no 98-1R3 datée du 12 février 2008 et intitulée Politiques de recouvrement (la circulaire), qui prévoit notamment ce qui suit :  

 

      […]

 

Tout montant que vous devez verser par suite d’une cotisation ou d’une nouvelle cotisation est payable immédiatement. Si vous n’êtes pas d’accord avec la cotisation ou la nouvelle cotisation, veuillez vous référer à la section 9 de la présente circulaire. Si vous n’êtes pas en mesure de payer le montant dû immédiatement, veuillez communiquer avec le personnel de la Division du recouvrement des recettes de votre bureau des services fiscaux en vue de conclure un arrangement de paiement à court terme qui est mutuellement satisfaisant et qui est en fonction de votre capacité de payer. Nous pouvons conclure avec vous un arrangement de paiement lorsque vous avez épuisé toutes les possibilités raisonnables d’obtenir les fonds nécessaires et que vous ne pouvez toujours pas payer en entier le solde dû, soit en empruntant ou en réorganisant vos affaires financières.

 

Pour nous aider à déterminer votre capacité de payer, vous devrez faire une déclaration complète et fournir des preuves pertinentes de vos revenus, vos dépenses, vos actifs et vos obligations financières. Les agents de recouvrement pourront vérifier les renseignements que vous fournirez avant d’accepter un arrangement.

 

[…]

 

INSTANCE EN ONTARIO

 

[36]           Le 29 avril 2010, le demandeur a déposé une demande introductive d’instance afin que la Cour supérieure de justice de l’Ontario condamne aux dommages-intérêts l’ARC et l’agent des recouvrements chargé de son dossier pour avoir rejeté la troisième proposition et la proposition finale. Le demandeur a aussi sollicité une injonction interdisant à l’ARC de prendre toute autre mesure additionnelle de recouvrement. Le juge Edward Belobaba a rejeté la demande d’injonction dans sa décision datée du 3 juin 2010. Le juge a conclu que le demandeur n’avait pas subi un préjudice irréparable et que sa preuve sur ce point était de nature purement hypothétique. Il a déclaré ce qui suit à ce sujet :   

                                    [traduction]

[19]      […] Il affirme que la poursuite des tentatives de recouvrement le forcerait à cesser ses activités, mais il n’a produit, hormis ses déclarations fiscales,  aucun renseignement sur ses finances personnelles ou celles de son entreprise. Bien que l’ARC le lui ait demandé en juillet 2009, M. Burkes n’a fourni aucun renseignement sur les revenus et dépenses et les actifs et obligations financières de son ménage. Il n’a pas démontré son incapacité de tout rembourser, que ce soit directement, ou encore en obtenant du financement ou en se départissant d’actifs.  

 

[20]      L’ARC n’accule pas M. Burkes à la faillite. Si celui-ci devait faire faillite, la décision en reviendrait à lui seul. Aucune preuve ne démontre non plus que M. Burkes perdrait automatiquement son permis d’exercer comme comptable s’il devait déclarer faillite – cela n’est aucunement automatique et dépend de chaque situation d’espèce. Aucune preuve ne donne à croire, finalement, que faire faillite dans le contexte économique actuel pour incapacité de rembourser l’impôt entache nécessairement une réputation, ou à tout le moins qu’en cas de perte subie de ce fait, on ne pourrait la faire indemniser par l’octroi de dommages. Et en cas d’un tel octroi, il n’y aurait aucun risque que l’ARC (c.-à-d. le gouvernement du Canada) ne soit pas en mesure de payer.

 

[21]      Quant au peu d’éléments de preuve dont nous disposons, il s’agit principalement à mon avis d’affirmations pures et simples de nature beaucoup trop hypothétique. Je ne suis pas convaincu l’existence d’un préjudice irréparable a été démontrée.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[37]           Dans ce contexte, les questions en litige sont les suivantes :

1.                  La décision de l’ARC de rejeter la proposition finale était-elle raisonnable?  

2.                  Le défaut de l’ARC de motiver sa décision de rejeter la proposition finale constituait-il un manquement à l’équité procédurale?  

 

1re question en litige -       La décision était-elle raisonnable? 

 

[38]           Le demandeur affirme que si l’ARC l’obligeait à régler la totalité de sa dette il n’aurait plus d’autre choix que de faire faillite, et qu’il perdrait alors son permis d’exercer comme comptable agréé. Il ajoute qu’en de telles circonstances, l’ARC était tenue d’analyser la situation et de comparer la probabilité d’un remboursement de la dette si elle le forçait à l’acquitter en son entier et si elle acceptait une entente de paiements (l’analyse). Le résultat d’une telle analyse serait inévitablement favorable à une entente, selon le demandeur, parce qu’il serait irrationnel de l’acculer à la faillite et de compromettre ainsi sa capacité de gain.     

 

[39]           Le demandeur n’a toutefois pas présenté à l’ARC de renseignements détaillés sur ses finances laissant voir qu’il risquait de déclarer faillite, et ce, bien qu’il ait menacé l’ARC dès 1996 de faire ainsi faillite. En outre, le demandeur n’a soumis à l’ARC aucune règle de l’Institut des comptables agréés de l’Ontario (l’Institut) prévoyant qu’en cas de faillite, il perdrait son permis d’exercer comme comptable agréé. Comment ainsi l’ARC aurait-elle pu procéder à l’analyse, ne disposant pas des renseignements nécessaires pour comparer les risques courus en tentant de recouvrer la totalité de la dette par une action en justice et les risques associés à un recouvrement au moyen d’un arrangement de paiement? Je relève en outre que selon l’article 358 du règlement de l’Institut, que le demandeur a admis ne pas avoir lu lors de son contre-interrogatoire, un membre ne perd pas automatiquement ses privilèges parce qu’il fait faillite.      

 

 

[40]           En l’espèce, aucun élément de preuve ne laisse croire que l’ARC compromet sa capacité de recouvrement en insistant soit pour être payée en entier, soit pour obtenir une proposition prévoyant le paiement en moins d’un an. Le demandeur peut trouver moyen de payer si on fait pression sur lui et, à mon avis, l’ARC a le droit de forcer la main aux contribuables qui, de nombreuses années durant, ne mettent pas leurs comptes en règle. La décision était par conséquent raisonnable.     

 

2.         Des motifs devaient-ils être énoncés? 

 

[41]           Le demandeur affirme que l’ARC devait, dans des motifs, montrer qu’elle avait bien procédé à l’analyse et faire état de ses conclusions.    

 

[42]           Le défendeur soutient pour sa part que, lorsqu’elle tente de recouvrer des impôts impayés, l’ARC agit comme créancière plutôt qu’elle n’exerce un rôle administratif (se reporter à Optical Recording Corp. c. Canada, précité, paragraphe 27). À titre de créancière, ajoute le défendeur, l’ARC n’avait pas l’obligation d’agir équitablement envers le demandeur, et elle n’avait donc pas à lui fournir de motifs.    

 

[43]           Cet argument ne m’a pas convaincue. J’estime qu’il existait bel et bien une obligation d’agir équitablement en l’espèce, la décision ayant une incidence sur la façon dont le demandeur devra organiser ses finances. Malgré l’absence d’un droit d’appel, en outre, la décision était susceptible de contrôle judiciaire. Compte tenu de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193, paragraphe 43, par conséquent, j’estime qu’il était nécessaire d’énoncer les motifs de la décision.  

 

 

[44]           Cela étant dit, bien peu était requis au plan du formalisme pour s’acquitter de cette obligation comme la décision était de nature fortement discrétionnaire et qu’il s’agissait d’une question de politique, et comme on se trouvait fort éloigné d’un processus judiciaire.

 

[45]           Il convient également de noter que l’obligation de donner des motifs s’accorde avec la Charte des droits du contribuable, reproduite au site Web de l’ARC à www.cra.gc.ca  et dont le point 11 prévoit notamment ce qui suit :  

Vous êtes en droit de vous attendre

à ce que nous rendions compte.

 

Vous êtes en droit de vous attendre à ce que nous rendions compte de nos actions. Lorsque nous prenons une décision relative à vos affaires liées à l’impôt et aux prestations, nous expliquerons la décision et nous vous informerons de vos droits et obligations relativement à celle-ci. […]

You have the right to expect us

to be accountable.

 

You have the right to expect us to be accountable for what we do. When we make a decision about your tax or benefit affairs, we will explain that decision and inform you about your rights and obligations in respect of that decision. […]

 

 

[46]           La véritable question à trancher est de savoir si un bref énoncé des motifs du rejet de la proposition finale était requis en l’espèce même si, compte tenu des lettres transmises par l’ARC depuis que le demandeur avait retenu les services d’un avocat en 2008, ces motifs, exposés ci-après, devaient être manifestes tant pour cet avocat que pour le demandeur :      

a)                  le défaut du demandeur de fournir les renseignements financiers détaillés demandés dans la lettre du 14 juillet 2009;  

b)                  le défaut du demandeur de produire un relevé de la valeur nette du patrimoine tel qu’il avait été mentionné dans la conversation du 21 août 2009;    

c)                  le défaut du demandeur de proposer une entente prévoyant l’acquittement de sa dette fiscale en moins d’un an, tel que l’exigeait la lettre du 14 juillet 2009 de l’ARC;  

d)                  le défaut du demandeur de verser des acomptes provisionnels trimestriels après que cela  lui eut été demandé dans la lettre du 14 juillet 2009;    

e)                  le défaut du demandeur, lorsqu’il a présenté sa deuxième proposition, d’avoir obtenu le financement qu’il avait dit tenter de se procurer depuis le 3 juillet 2009.

 

[47]           Au vu des faits d’espèce, plutôt inhabituels, les motifs de la décision étaient manifestes compte tenu des lettres échangées entre l’ARC et l’avocat du demandeur ainsi que des dispositions de la circulaire. Je suis par conséquent d’avis que l’obligation de donner des motifs a été respectée.    

 

CONCLUSION

 

[48]           Pour tous ces motifs, la demande sera rejetée avec dépens.  

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée avec dépens. 

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-338-10

 

INTITULÉ :                                       DAVID BURKES c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 NOVEMBRE 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                             LE 11 FÉVRIER 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey Radnoff

Kris Gurprasad

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nathalie Hamam

P. Tamara Sugunasiri

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DioGuardi Tax Law LLP

Mississauga (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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