Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 10 février 2011
En présence de monsieur le juge Boivin
ENTRE :
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ANDRES ANTONIO MARTINEZ ZAPATA
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et
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ET DE L'IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) à l'encontre d'une décision rendue le 23 avril 2010 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le Tribunal). Dans sa décision, le Tribunal a statué que le demandeur n'avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.
Contexte factuel
[2] Le demandeur, Andres Antonio Martinez Zapata, est citoyen de la Colombie et est âgé de 26 ans. Sa mère habite toujours en Colombie, il a un frère aux États-Unis et une sœur au Canada.
[3] Monsieur Martinez Zapata allègue qu’en 1999 des appels de la part des membres miliciens urbains de l’ELN, l'Armée de libération nationale, auraient commencé. L’ELN est le deuxième groupe rebelle en importance impliqué dans le conflit armé colombien après le FARC. Monsieur Martinez Zapata aurait reçu ces quelques appels parce qu’ils voulaient qu’il se joigne à leur cause.
[4] En avril 2001, monsieur Martinez Zapata s’est rendu en Espagne et y a séjourné pendant un mois. À son retour en Colombie, sa mère lui aurait préparé un faux passeport. Le 6 juin 2001, monsieur Martinez Zapata a quitté la Colombie par le Venezuela pour ensuite aller aux États-Unis.
[5] Monsieur Martinez Zapata est demeuré illégalement aux États-Unis pendant plus de cinq ans. Il n’a jamais demandé l’asile ni au Venezuela, ni aux États-Unis.
[6] Le 3 novembre 2007, monsieur Martinez Zapata a pris un vol d’Atlanta à New York. Le lendemain, il a pris une voiture de New York est s’est rendu jusqu’aux douanes canadiennes à Lacolle (Québec) où il a fait sa demande d’asile.
Décision contestée
[7] Dans sa décision du 23 avril 2010, le Tribunal a rejeté la demande d'asile de monsieur Martinez Zapata pour deux motifs. En premier lieu, le Tribunal a conclu à l’absence de crédibilité de monsieur Martinez Zapata et de son récit. Ensuite, le Tribunal a déterminé qu’il y avait absence de crainte subjective.
[8] Le Tribunal a soulevé qu’il y avait des inconsistances dans la preuve. Par exemple, le Tribunal a noté des déficiences dans le témoignage de monsieur Martinez Zapata quant au nombre exact d’appels qu’il aurait reçus de l’ELN.
[9] De plus, le Tribunal a pris note du témoignage de monsieur Martinez Zapata à l’effet que sa famille essayait de le sortir de la Colombie bien avant que des membres de l’ELN le téléphone. Le Tribunal a trouvé que ce fait minait la crédibilité de monsieur Martinez Zapata quant à sa peur d’être persécuté.
[10] Le Tribunal a également souligné l’incident impliquant le cousin de monsieur Martinez Zapata. Lors de son entrevue devant un agent des douanes, monsieur Martinez Zapata a raconté que son cousin avait reçu plusieurs appels des membres de l’ELN et qu’un jour, une grenade a explosé devant sa maison tuant sa mère et un enfant qui jouait tout près. Le Tribunal a jugé que lors de l’audience il y avait certaines inconsistances entre ce qu’a raconté monsieur Martinez Zapata à l’agent des douanes et son témoignage devant le Tribunal. Le Tribunal a également jugé qu’il n’y avait pas de preuve pouvant démontrer que la grenade avait été laissée devant la maison dans le but de punir le cousin qui avait refusé de se joindre à l’ELN.
[11] Quant au séjour de monsieur Martinez Zapata en Espagne, le Tribunal a trouvé étrange qu’il n’ait pas présenté une demande d’asile. Lorsque questionné à ce sujet par le Tribunal, monsieur Martinez Zapata a fourni différentes raisons dont le fait qu’il aurait perdu son passeport. Ces excuses ont mené le Tribunal à conclure que son témoignage n’était pas crédible.
[12] Lorsque questionné sur les raisons pour lesquelles il n’a pas présenté de demande d’asile lorsqu’il habitait aux États-Unis, monsieur Martinez Zapata a répondu qu’il craignait d’être renvoyé en Colombie et que le processus serait trop long et difficile du fait qu’il est entré illégalement. Citant l’arrêt Huerta c Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (CAF), [1993] ACF no 271, 40 ACWS (3d) 487 qui énonce que le retard à formuler une demande de statut de réfugié n'est pas un facteur déterminant en soi, le Tribunal a relevé que dans le cas présent, il fallait attribuer à ce facteur un poids considérable. À cet égard, le Tribunal a noté que monsieur Martinez Zapata a eu plusieurs occasions pour présenter une demande d’asile : en Espagne, au Venezuela et aux États-Unis.
[13]
Sur
ce point, le Tribunal a poursuivi son analyse en indiquant que la crédibilité
de monsieur Martinez Zapata était affectée puisque la jurisprudence indique que
le défaut de présenter une demande d’asile dans un pays signataire de la Convention
contredit les allégations d’un demandeur quant à sa peur d’être persécuté (voir
: Ilie c Canada (ministre de la Citoyenneté et de
l'Immigration) [1994] ACF no 1758, 88 FTR 220 et Assadi c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1997] ACF no 331, 70 ACWS (3d) 892, au para
14). Le Tribunal a donc conclu que le défaut de monsieur Martinez Zapata
d’avoir présenté une demande d’asile affecte sa crédibilité et démontre qu’il y
a absence de crainte subjective qu’il se fasse persécuter en Colombie.
Législation pertinente
[14] Les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés se lisent comme suit :
Question en litige
[15] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la question en litige qui se pose est celle de savoir si le Tribunal a erré en concluant à l’absence de preuve subjective du demandeur?
Norme de contrôle
[16] Il est bien établi que les questions de crédibilité, d'évaluation des faits et d'appréciation de la preuve relèvent entièrement de la discrétion du tribunal qui doit apprécier l'allégation d'une crainte subjective d'un demandeur d'asile (voir Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35, au para 14) et il n'appartient pas à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle du tribunal.
[17] De plus, cette Cour a affirmé dans l'arrêt Acosta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 213, [2009] ACF no 270, qu'on devait accorder une déférence aux décisions des tribunaux lorsque basées sur l'application des articles 96 et 97 de la Loi puisqu’il s’agit d'une question mixte de fait et de droit.
Analyse
[18] La procureure de monsieur Martinez Zapata soumet que le Tribunal a totalement miné la crédibilité de ce dernier sans aucune raison apparente. Pour appuyer ses prétentions, elle cite l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1980] 2 CF 302, [1979] ACF no 248, qui énonce que lorsqu’un demandeur jure que certains faits sont véridiques, il existe une présomption qu’ils le sont, à moins qu’il y ait des raisons valables de douter de leur véracité.
[19] En fait, le demandeur demande à cette Cour de réévaluer la preuve soumise. Il est de jurisprudence constante que le fardeau de démontrer que le Tribunal a erré dans son appréciation de la preuve repose sur le demandeur et le contrôle judiciaire ne permet pas à la Cour d’apprécier la preuve de nouveau (voir Zrig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.) 2003 CAF 178, [2003] ACF no 565).
[20] La Cour est d’avis que dans le cas présent, il ne s’agissait pas d’une inférence négative sur une simple erreur de fait. Contrairement aux prétentions du demandeur, le Tribunal a tiré une inférence négative des explications contradictoires avancées par le demandeur.
[21] Dans l’affaire Gilgorri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 559, [2006] ACF no 701, aux paras 23 à 26, le juge Shore a réitéré les principes de droit et la nombreuse jurisprudence qui a énoncé qu’un revendicateur a le fardeau de démontrer tant l’élément subjectif que l’élément objectif de sa crainte :
[23] De plus, la Commission a tiré une conclusion négative quant au comportement incompatible de monsieur Modernell Gilgorri et sa famille avec celui des personnes ayant une crainte bien fondée de persécution. La Commission souligne qu'ils ont quitté l'Uruguay à destination du Canada via douze pays d'Amérique du sud, d'Amérique centrale et d'Amérique du nord. Ils n'ont pas revendiqué la protection d'aucun de ces pays.
[24] Dans l'affaire Ilie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1758 (QL), au paragraphe 2, le juge Andrew MacKay a tenu les propos suivants :
Cette conclusion s'appuie sur la conviction que la conduite du requérant après son départ de la Roumanie en juillet 1992 était incompatible avec une crainte de persécution et que le fait qu'il n'ait pas revendiqué le statut de réfugié avant d'arriver au Canada en février 1993 démontrait qu'il n'avait pas de crainte bien fondée de persécution.
[25] De même, dans Assadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 331 (QL), au paragraphe 14, le juge Max Teitelbaum affirme ce qui suit :
...L'omission de demander immédiatement protection peut attaquer la crédibilité du demandeur, y compris son témoignage sur les événements survenus dans son pays d'origine...
[26] Dans Leul c. Canada (Secrétaire de l'État), [1994] A.C.F. no 833 (QL), aux paragraphes 7 et 12, le juge Francis Muldoon écrit ce qui suit :
...On pourrait observer qu'il est passé par Amsterdam et que les Pays-Bas sont au nombre des signataires de la Convention du statut de réfugié mais, apparemment, le requérant n'a pas songé à y réclamer ce statut.
...
Tout comme je ne souhaite pas renvoyer dans son pays une personne qui risque d'y être persécutée, je ne veux pas non plus que demeure au Canada une personne qui n'a pas le droit de s'y trouver; par exemple, une personne qui est passée par un pays signataire de la Convention du statut de réfugié et qui n'a pas songé à y réclamer ce statut.
[22] En l’espèce, le demandeur souligne que le Tribunal s’est appuyé sur des détails et non sur une contradiction directe pour tirer une conclusion défavorable. Cependant, la Cour considère qu’il n’était pas déraisonnable pour le Tribunal de conclure que les explications de monsieur Martinez Zapata étaient insuffisantes pour justifier son inaction à demander l’asile dans les trois pays signataires de la Convention (Espagne, Venezuela et Etats-Unis) où il a séjourné avant de venir au Canada. Plus particulièrement, le demandeur a séjourné aux Etats-Unis à l’âge adulte de 2001 à 2007 sans y demander l’asile. Il était raisonnable pour le Tribunal, notamment à la lumière de ce fait, de conclure que le comportement du demandeur était incompatible avec celui d’une personne craignant réellement un retour dans son pays d’origine. Cela démontre en soi une absence de crainte subjective (Caicedo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1092, [2010] ACF no 1365; Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 847, [2010] ACF no 1051).
[23] À la lumière des principes jurisprudentiels énoncés et des faits de la présente cause, la Cour est d’avis qu’il n'était pas déraisonnable pour le Tribunal de conclure que les explications et le comportement de monsieur Martinez Zapata étaient incompatibles avec le comportement d'une personne qui craint pour sa vie.
[24] Pour tous ces motifs, la Cour est d'avis que la décision du Tribunal n'est pas déraisonnable. La décision du Tribunal constitue une issue possible et acceptable (Dunsmuir). Par conséquent, il n’y a pas lieu pour cette Cour d’intervenir. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question ne sera certifiée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
Aucune question n’est certifiée.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2779-10
INTITULÉ : ANDRES ANTONIO MARTINEZ ZAPATA
c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 27 janvier 2011
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE BOIVIN
DATE DES MOTIFS : Le 10 février 2011
COMPARUTIONS :
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Isabelle Brochu Julien Beauchamps-Laliberté |
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Montréal (Québec)
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada |
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE |