ENTRE :
ANDISHA CELESTE BRANDFORD
MISIA KRYSTAL BRANDFORD
AISIA VICTORIA LAMBERT
NATHAN SEAN LAMBERT
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
défendeur
INTRODUCTION
[1] Les présents motifs font suite à une brève audition d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision qui est qualifiée, dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, de rejet de la demande de résidence permanente présentée par les demandeurs pour des motifs d’ordre humanitaire en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi). La Cour estime qu’il est plus exact de qualifier la décision de rejet d’une demande de non‑application de la décision d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires. Ce rejet a alors occasionné le rejet de la demande de droit d’établissement présentée depuis le Canada par les trois premières demanderesses susmentionnées (les demanderesses), qui invoquaient des motifs d’ordre humanitaire. La décision visée par le contrôle judiciaire a été rendue par un délégué du ministre le 11 juillet 2006.
HISTORIQUE
[2] Les demanderesses sont une mère et ses deux filles; elles sont des citoyennes de Sainte‑Lucie. Les deux autres demandeurs (une fille et un fils) sont également les enfants de cette même mère. Cependant, ils sont des citoyens canadiens et, par conséquent, ils sont peut‑être désignés à tort à titre de demandeurs dans la présente demande, mais ce détail n’est pas pertinent en l’espèce. Les cinq demandeurs habitent ensemble au Canada et forment une famille monoparentale.
[3] Les demanderesses ont demandé le droit d’établissement de l’intérieur du Canada en invoquant des motifs d’ordre humanitaire; les motifs invoqués justifiaient leur demande. Cependant, l’une des filles saint‑luciennes a été interdite de territoire pour motifs sanitaires et, par conséquent, leur demande de droit d’établissement présentée depuis le Canada a été rejetée. Une procédure de demande de contrôle judiciaire du refus d’accorder le droit d’établissement aux demanderesses de l’intérieur du Canada, pour la raison que l’une d’elles était interdite de territoire pour motifs sanitaires, a été engagée, mais elle fut abandonnée lorsque le défendeur a accepté [traduction] « de rouvrir ou de réexaminer la décision d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires » ou [traduction] « d’envisager sa non‑application ». La décision visée par le contrôle judicaire a par la suite été rendue.
LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE JUDICIAIRE
[4] La décision visée par le contrôle est brève. Après les deux paragraphes d’introduction, elle est rédigée comme suit :
[traduction]
Mme President Brandford demande la non‑application de la décision d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires prise à l’égard de sa fille Andisha Celeste Brandford eu égard à un retard de développement et à une déficience auditive. Bien que je ne dispose pas de l’évaluation médicale en soi, je suis convaincu, en me fondant sur les documents présentés, que ce sont les raisons qui ont donné lieu à l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires. J’ai remarqué que Mme Brandford a répondu par la négative à la section L de la demande de dispense d’application des conditions d’obtention d’un visa de résident permanent, en date du 4 décembre 2000 ; elle a affirmé que ni elle ni ses enfants, y compris Andisha Celeste Brandford, [traduction] « n’avaient souffert ou ne souffrent d’une maladie grave ou d’une déficience physique ou mentale ».
LES MOTIFS D’ORDRE HUMANITAIRE
Après avoir examiné tous les documents déposés, je suis d’avis qu’en l’espèce, des motifs d’ordre humanitaire justifient une décision favorable. Cette décision est fondée, entre autres, sur mon évaluation de l’intérêt supérieur des quatre enfants, dont deux sont des citoyens canadiens. En l’espèce, il est clair qu’il n’est pas dans l’intérêt des enfants canadiens d’être séparés de leurs sœurs ou de leur mère biologique. Je tiens à souligner que cette décision s’applique à la présente affaire et ne doit pas être extrapolée à d’autres cas.
LA DEMANDE DE NON-APPLICATION DE LA DÉCISION D’INTERDICTION DE TERRITOIRE POUR MOTIFS SANITAIRES
Outre les arguments fondés sur la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), particulièrement les articles 7 et 15, la raison principale pour demander la non‑application de la décision d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires à l’égard d’Andisha Celeste Brandford est décrite comme suit dans la lettre de Parkdale Community Legal Services, en date du 15 février 2006 :
[traduction]
Bien que les demanderesse aient été heureuses d’avoir obtenu un permis de séjour temporaire (PST), nous sommes d’avis que, dans la présente affaire, il n’y a pas lieu de fixer un délai supplémentaire de trois ans avant de leur accorder le droit d’établissement au Canada. Comme nous l’avons souligné dans notre argument présenté à la Cour fédérale, pendant la durée de son PST, Andisha Celeste continuera de bénéficier des services de soutien auxquels elle aurait droit en tant que résidente permanente. Par conséquent, même si nous différons la demande de droit d’établissement des demanderesses en raison de l’état de santé d’Andisha Celeste, il n’y aura aucune économie de frais d’éducation engagés par la province.
Il est également mentionné que les frais qui ne sont pas couverts par le régime d’assurance‑maladie de l’Ontario (OHIP) ainsi que les coûts supplémentaires (probablement les coûts d’une assurance médicale privée) s’élèveraient à 850 $ par année.
À mon avis, les motifs invoqués ci‑dessus en application du paragraphe 25(1) de la Loi ne justifient pas la non‑application demandée. Même après avoir examiné à fond les documents dont je dispose, je suis incapable de conclure que des difficultés inhabituelles, injustes ou indues auraient lieu si l’on permettait aux personnes en cause de rester au Canada au titre de leur PST jusqu’à ce qu’elles soient admissibles dans la catégorie des titulaires de permis, qui est énoncée à l’article 64 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (Règlement).
[5] En résumé, le délégué du ministre était d’avis que les [traduction] « motifs d’ordre humanitaire justifient une décision favorable » concernant la demande de droit d’établissement présentée depuis le Canada par les demanderesses. Cependant, il a rejeté la demande de non‑application de la décision d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires, parce qu’aucune difficulté inhabituelle, injuste ou indue ne découlerait de ce rejet, du fait que les [traduction] « personnes en cause » habitent au Canada et que, au moment de la décision, elles avaient le droit de rester au Canada au titre d’un PST. Ce permis, au moment de la décision, devait demeurer en vigueur pendant plus de deux ans à moins qu’un changement radical de la situation n’eût lieu. Par la suite, et à moins qu’un changement radical de la situation n’eût lieu, les [traduction] « personnes en cause » pourraient demander le droit d’établissement de l’intérieur du Canada en tant que membres de la catégorie des titulaires de permis, qui est énoncée à l’article 64 du Règlement.
ANALYSE
[6] L’avocate des demandeurs a soulevé les trois questions suivantes dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire :
a. Déterminer si la nouvelle décision défavorable concernant la demande de résidence permanente des demanderesses est erronée parce que la décision selon laquelle elles sont interdites de territoire en application de l’alinéa 38(1)c) de la Loi est mal fondée en droit vu que leur situation particulière n’a pas été examinée adéquatement.
b. Déterminer si, en l’espèce, la décision [du délégué du ministre] de rejeter la demande de non‑application de la décision d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires est déraisonnable.
c. Déterminer si le fait de refuser le statut de résidentes permanentes aux demanderesses en se fondant sur la décision d’interdiction de territoire prise en application de l’alinéa 38(1)c) de la Loi et si le fait de leur accorder un PST pendant trois ans en vertu du sous‑alinéa 65b)(i) du Règlement constituent de la discrimination fondée sur une déficience (motif énuméré), ce qui va à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte, et les privent de leur droit à la sécurité de leur personne, ce qui va à l’encontre de l’article 7 de la Charte, et ne constituent pas une limite raisonnable prescrite par une règle de droit conformément à l’article premier de la Charte et sont, par conséquent, inconstitutionnels.
[7] Sur consentement des parties, les questions 1 et 3 n’ont pas été débattues à l’audience et la deuxième question a été élargie pour porter principalement sur le « caractère adéquat des motifs ».
[8] Le délégué du ministre disposait d’éléments de preuve révélant que, en l’espèce, les demandeurs affrontaient non seulement les difficultés normales de toute famille monoparentale à faible revenu, mais encore les problèmes de santé de l’une des filles née à Saint‑Lucie et de l’un des enfants né au Canada ainsi que les troubles de la personnalité du deuxième enfant né au Canada. De plus, le délégué du ministre disposait d’éléments de preuve selon lesquels vivre au Canada au titre d’un PST imposait aux demandeurs un fardeau financier et une incertitude financière qui auraient pu être atténués si leur demande de non‑application avait été accordée. Bref, les défis auxquels faisaient face les demandeurs au moment de la décision visée par le contrôle judiciaire, et auxquels ils font encore face aujourd’hui, auraient été grandement atténués si la demande de non‑application avait été accordée. Rien n’indique au vu des motifs de la décision du délégué du ministre que ces éléments ont été pris en compte ou qu’un poids leur a été accordé.
[9] Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la juge L’Heureux-Dubé a rédigé ce qui suit au paragraphe 43 de ses motifs :
[…] il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l’obligation d’équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l’espèce où la décision revêt une grande importance pour l’individu, dans des cas où il existe un droit d’appel prévu par la loi, ou dans d’autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise.
[Non souligné dans l’original.]
[10] Dans Alwan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 846, mon collègue le juge Harrington a rédigé ce qui suit au paragraphe 12 de ses motifs :
L’arrêt R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, est utile en l’espèce [en ce qui concerne les motifs], même s’il s’agit d’une affaire criminelle. M. Alwan avait le droit de savoir pourquoi sa demande était rejetée. Il faut non seulement que justice soit rendue, mais qu’il soit manifeste qu’elle a été rendue. Une cour de révision doit savoir sur quoi repose une décision avant de pouvoir déterminer si celle‑ci était déraisonnable. […]
[11] Le dernier paragraphe des « motifs » du délégué du ministre cités ci‑dessus ne constitue en rien des « motifs ». Il s’agit simplement d’un énoncé de conclusion dans lequel aucune explication valable n’a été donnée quant à la façon dont la conclusion a été tirée. Rien ne nous permet de nous assurer que le délégué du ministre s’est montré « réceptif », « attentif » et « sensible » à l’intérêt supérieur des quatre enfants directement touchés par la décision. De plus, il n’y a aucun élément sur lequel les demandeurs, leur avocate ou, en réalité, la Cour, peuvent s’appuyer pour déterminer si la décision visée par le contrôle judiciaire est raisonnable. En d’autres mots, la décision rendue privait les demandeurs de l’équité procédurale.
[12] Rien dans ce qui précède n’affirme qu’il n’était pas raisonnablement loisible au délégué du ministre d’arriver à la décision visée par le contrôle judicaire. C’est simplement qu’il n’est pas possible de déterminer s’il était raisonnablement loisible au délégué d’arriver à cette décision.
CONCLUSION
[13] Pour les brefs motifs exposés précédemment, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision visée par le contrôle sera infirmée et la demande des demandeurs de non‑application de la décision d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires prise à l’égard de l’une des demanderesses née à Sainte‑Lucie sera renvoyée au défendeur pour qu’un autre agent rende une nouvelle décision.
[14] Évidemment, il n’appartient pas à la Cour d’imposer des priorités au défendeur, sauf lorsqu’une demande de bref de mandamus est accueillie. Cependant, eu égard aux éléments de preuve dont dispose la Cour en l’espèce et à la conclusion du délégué du ministre quant aux motifs d’ordre humanitaire en cause, il y a lieu de rendre une nouvelle décision rapidement.
CERTIFICATION D’UNE QUESTION
[15] À la fin de l’audition de cette affaire, la Cour a communiqué sa conclusion aux avocats. Ni l’un ni l’autre avocat n’a demandé qu’une question soit certifiée. La Cour elle‑même conclut que la présente affaire ne donne lieu à aucune question grave de portée générale qui serait déterminante dans le cas d’un appel en l’espèce.
« Frederick E. Gibson »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 29 octobre 2007
Traduction certifiée conforme
Annie Beaulieu
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6110-06
INTITULÉ : BERTHA PRESIDENT BRADFORD ET AL. c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 24 octobre 2007
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : Le juge Gibson
DATE DES MOTIFS : Le 29 octobre 2007
COMPARUTIONS :
Geraldine Sadoway
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POUR LES DEMANDEURS |
Jamie Todd
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Parkdale Community Legal Services Toronto
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POUR LES DEMANDEURS |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada |
POUR LE DÉFENDEUR |