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Date : 20221021


Dossier : T-1662-17

Référence : 2022 CF 1443

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2022

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

CROCS CANADA, INC. ET CROCS INC.

demanderesses
(défenderesses reconventionnelles)

et

DOUBLE DIAMOND DISTRIBUTION LTD.

défenderesse
(demanderesse reconventionnelle)

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La validité du dessin industriel no 120939 enregistré par les demanderesses au Canada le 30 décembre 2008, intitulé SHOE [dessin 939], est au cœur du présent litige. Si le dessin 939 était valide et exécutoire avant son expiration, la défenderesse a-t-elle alors violé le droit exclusif des demanderesses sur le dessin 939 pendant l’existence de ce droit exclusif de dix ans? Dans l’affirmative, quelle est la portée de la responsabilité de la défenderesse envers les demanderesses?

[2] Comme je l’explique plus loin, je conclus que le dessin 939, maintenant expiré, était valide et en vigueur au cours de la période visée de trois ans précédant l’action des demanderesses et que la défenderesse a violé le droit exclusif relatif au dessin 939. Par conséquent, les demanderesses ont droit à une restitution des profits perçus par la défenderesse du 1er novembre 2014 (ce qui correspond aux trois années précédant l’action des demanderesses) au 30 décembre 2018 (ce qui correspond à la date d’expiration du dessin 939).

II. Parties

[3] Crocs Canada, Inc. est une société canadienne [Crocs Canada], tandis que Crocs Inc. est une société de l’État du Delaware, aux États-Unis [Crocs US] [collectivement, Crocs ou les demanderesses]. Les activités de Crocs US consistent principalement à concevoir, créer, élaborer, fabriquer, vendre et commercialiser des chaussures.

[4] Crocs US détient indirectement Crocs Canada. En outre, Crocs Canada est titulaire d’une autorisation et distributeur des marchandises de marque Crocs à différents détaillants tiers au Canada, tandis que Crocs US conçoit les chaussures de marque Crocs, notamment celles conçues conformément au dessin 939, supervise leur conception et s’occupe de leur fabrication et de leur distribution à l’échelle mondiale.

[5] Double Diamond Distribution Ltd. est une société de la Saskatchewan [Double Diamond ou la défenderesse] qui exerce ses activités sous le nom de Dawgs et de Canada Dawgs. Double Diamond a une gamme de chaussures au Canada, appelée Fleece Dawgs, qui est fabriquée en Chine, importée au Canada en vue de la vente et vendue en ligne sur le site Web www.canadadawgs.com et sur des sites Web tiers de vente au détail en ligne comme www.amazon.ca, www.ebay.ca, www.walmart.ca et www.homehardware.ca. Les chaussures Fleece Dawgs sont vendues au Canada depuis 2008. Sur son site Web, Double Diamond vend et offre ou expose en vue de la vente les chaussures Fleece Dawgs dans toutes les provinces du Canada. Pour les années 2013 à 2018, le montant combiné des ventes brutes totales de chaussures Fleece Dawgs s’élevait à 1 163 369 $.

[6] Au Canada, Crocs et Double Diamond sont des concurrentes sur le marché des chaussures de style sabot.

III. Dessin 939

[7] Crocs US est la propriétaire du dessin 939, qu’elle a enregistré au Canada le 30 décembre 2008. Les droits périodiques applicables ont été payés cinq ans plus tard, et le dessin 939 a expiré le 30 décembre 2018, soit dix ans après son enregistrement.

[8] Le dessin 939 présente les caractéristiques suivantes, comme le montrent les esquisses décrites ci-dessous :

[traduction]

Le dessin représente les caractéristiques visuelles d’une chaussure illustrée dans les esquisses, que ces caractéristiques ou cette combinaison de caractéristiques touchent la configuration, le motif ou les éléments décoratifs, et les parties de l’objet qui ne sont pas comprises dans le dessin sont représentées en lignes pointillées. Le motif de la semelle ne fait pas partie du dessin. Dans les esquisses :

la figure 1 est une vue en perspective du devant d’une chaussure qui incorpore le dessin;

la figure 2 est une vue du devant;

la figure 3 est une vue du derrière;

la figure 4 est une vue du côté interne;

la figure 5 est une vue du côté externe;

la figure 6 est une vue du dessus;

la figure 7 est une vue du dessous.

[Non souligné dans l’original.]

[9] Les esquisses sont reproduites ci-après :

[10] Double Diamond n’a jamais été titulaire d’une autorisation de Crocs US relativement au dessin 939, et Crocs US n’a jamais autorisé Double Diamond à appliquer le dessin 939 à un objet.

IV. Différend et questions en litige

[11] Les demanderesses allèguent que les chaussures Fleece Dawgs de la défenderesse sont des imitations illégales et des copies contrefaites du dessin 939 enregistré par Crocs, qui a été appliqué aux produits de la défenderesse. En outre, elles font valoir que les produits Fleece Dawgs de la défenderesse ne diffèrent pas de façon importante du dessin 939. Compte tenu des similitudes entre les produits de la défenderesse, les produits de Crocs et le dessin 939, les demanderesses affirment qu’il existe une probabilité que les consommateurs associent les produits de la défenderesse au dessin 939.

[12] Les demanderesses allèguent que, comme Double Diamond ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver que le dessin 939 était invalide, elles ont droit à un jugement déclaratoire, à une restitution des profits (à leur choix, au lieu des dommages-intérêts), à des intérêts avant et après jugement ainsi qu’à des dépens. Puisque le dessin 939 a expiré après qu’elles ont intenté leur action, les demanderesses ont confirmé qu’elles ne demandent plus d’injonction ni la destruction ou la restitution des objets contrefaits. De plus, comme l’a déclaré la juge responsable de la gestion de l’instance, Mme Tabib, dans son ordonnance du 12 mars 2021 [l’ordonnance du 12 mars 2021], les demanderesses confirment qu’elles ne demandent pas d’indemnisation et qu’elles n’invoquent pas la contrefaçon relativement à tout modèle de chaussure à sangle.

[13] La défenderesse, Double Diamond, nie que ses produits Fleece Dawgs sont des imitations illégales et des copies contrefaites du dessin 939, et elle énumère près de 25 points de distinction entre le dessin 939 et les chaussures Fleece Dawgs, qui sont reproduits à l’annexe A des présents motifs. Double Diamond présente une demande reconventionnelle en vue d’obtenir des déclarations d’invalidité ou d’absence de contrefaçon et demande des dépens sur une base avocat-client au motif que l’action intentée par les demanderesses est vexatoire, abusive et frivole.

[14] La demande reconventionnelle en invalidité repose sur les contradictions et les incohérences qui, selon Double Diamond, demeurent dans les figures qui composent le dessin 939, ce qui donne lieu à plus d’un dessin, en contravention avec l’article 10 du Règlement sur les dessins industriels, DORS/99-460 [le Règlement]. Voici un exemple fourni dans la défense et demande reconventionnelle modifiée :

[15] Subsidiairement, Double Diamond affirme que le dessin 939 n’est ni unique ni original.

[16] Je conclus donc que les questions que la Cour doit trancher en l’espèce sont les suivantes :

  1. Le dessin 939 était-il invalide au motif a) qu’il est composé de plus d’un dessin, en contravention avec l’article 10 du Règlement, ou b) qu’il n’est pas original eu égard à l’art antérieur?

  2. Les caractéristiques du dessin 939 résultaient-elles uniquement de la fonction utilitaire?

  3. En fabriquant, en important à des fins commerciales, en vendant ainsi qu’en offrant et en exposant en vue de la vente ses chaussures Fleece Dawgs, la défenderesse a-t-elle contrefait le dessin 939?

  4. a) Si le dessin 939 est valide et a été contrefait, les demanderesses ont-elles droit à une restitution des profits perçus par la défenderesse et, si oui, à quelle hauteur? b) L’analyse des profits tirés des produits Fleece Dawgs ainsi que les états financiers justificatifs sont-ils admissibles?

  5. L’action intentée est-elle vexatoire, abusive ou frivole et la défenderesse a-t-elle droit à des dépens sur une base avocat-client?

  6. Le temps mis par les demanderesses à intenter l’action donne-t-il à la défenderesse le droit à une conclusion d’absence de contrefaçon et prive-t-il les demanderesses de leur droit à une mesure de réparation?

[17] Je souligne qu’à l’audience, Double Diamond a soulevé une autre question concernant le temps mis par les demanderesses à intenter leur action : une inférence tacite d’absence de contrefaçon peut-elle être tirée avant le début de l’instance et ce temps d’attente prive-t-il les demanderesses de leur droit à une mesure de réparation si elles obtiennent gain de cause? Je me penche sur cette question soulevée tardivement plus loin, au point F.

V. Preuve des parties

[18] Quatre personnes ont témoigné au procès. Les demanderesses a fait comparaître le témoin des faits Erik Olson et le témoin expert Ian Whatley. La défenderesse a fait comparaître deux témoins des faits, Steven Mann et Jian Chen. Je résume ci-dessous les témoignages de chacun de ces témoins.

(1) Témoin des faits de Crocs : Erik Olson

[19] Erik Olson est vice-président directeur, Approvisionnement et développement de produits, chez Crocs US. Depuis qu’il s’est joint à la société en 2005, M. Olson s’occupe principalement du développement de produits, de leur création à leur mise en marché. À mesure que la société a pris de l’expansion, M. Olson a de plus en plus exercé des fonctions stratégiques et axées sur la gestion, qui ont fini par inclure la commercialisation. En 2018, il a assumé de nouvelles fonctions d’approvisionnement mondial, notamment la sélection des fabricants, la collaboration avec des groupes de fabricants (par exemple des fabricants tiers en sous-traitance ou des groupes d’usines) et le lancement de produits.

[20] M. Olson a témoigné que Crocs Canada avait initialement été constituée en société le 11 août 1993, sous le nom d’Evasol Plastics Inc., et qu’elle avait par la suite changé pour Crocs Canada Inc. le 29 mai 2007. Il a ajouté que Crocs avait acquis Foam Creations Canada en 2004.

[21] M. Olson a expliqué qu’en 2002, il n’existait pas d’autres chaussures comme celles de Crocs. Il s’agit d’un produit unique ayant une marque unique. De nos jours, les chaussures Crocs sont vendues dans de nombreux pays et, en 2021, Crocs a vendu plus de 700 millions de paires de chaussures. Lorsqu’on lui a demandé les mesures que prend Crocs pour protéger ses droits de propriété intellectuelle, M. Olson a répondu que, parmi ces mesures, qui peuvent aller jusqu’à la poursuite, Crocs surveille le marché, à l’affût de produits contrefaits. À titre d’exemple, il a indiqué que Crocs avait mis fin à 70 000 ventes aux enchères en ligne. En contre-interrogatoire, M. Olson a également déclaré que, lorsqu’un nouveau produit est créé, il est présenté au service juridique, qui l’examine et fait savoir s’il convient de déposer une demande de brevet de conception ou une demande de brevet ou quelle est la position générale du produit sur le marché.

[22] Selon M. Olson, le dessin 939 a été créé en 2006 par Stefano del Biondi et Lucio Stefanello de Walk Pro, un partenaire-conseil italien. M. Olson a expliqué que Crocs fournissait ensuite à ses partenaires concepteurs en Chine le dessin en deux dimensions pour qu’ils créent un produit correspondant à la conception prévue. Il a déclaré que la chaussure ou le sabot Mammoth de Crocs était le principal produit ayant découlé du dessin 939 et qu’il existait différentes variantes de ce produit, notamment le modèle Mammoth Luxe. Crocs a commencé à vendre sa gamme de chaussures Mammoth au cours de la deuxième moitié de 2007. Entre 2011 et 2017, les ventes au Canada de sabots Mammoth se sont élevées à près de deux millions de dollars canadiens. L’image ci-dessous montre une vue de côté du sabot Mammoth (doublé) de Crocs :

[23] M. Olson qualifie les modèles Fleece Dawgs et Beach de Double Diamond de copies intégrales de produits lancés auparavant sur le marché par Crocs. Selon M. Olson, Crocs a commencé à vendre son modèle Beach, illustré ci-dessous, en 2002.

[24] M. Olson a en outre déclaré que le modèle Fleece Dawgs continue d’être vendu sur le site Web canadien de la défenderesse. Les images ci-dessous montrent une vue de côté du sabot Fleece Dawgs et du sabot Beach Dawgs :

[25] En contre-interrogatoire, M. Olson a reconnu qu’il ne savait pas si Crocs avait pris des mesures concernant le modèle Fleece Dawgs entre 2008, année où il a été commercialisé pour la première fois, et 2017, année où l’action a été intentée. Il n’a pas non plus été en mesure d’expliquer pourquoi Crocs n’avait pris aucune mesure au cours de cette période.

[26] Selon M. Olson, le sabot Mammoth de Crocs a été conçu avec une doublure visible à travers ses ouvertures, ce qui différait de l’ancien modèle de sabot de Crocs. La forme du sabot Mammoth a été haussée et élargie. Les volumes du sabot, à savoir sa forme et ses proportions générales, ont été modifiés pour plus de confort. Malgré ces différences, M. Olson a déclaré que le sabot Mammoth pouvait encore être considéré comme une chaussure de marque Crocs. M. Olson a témoigné que la position des ouvertures sur le sabot Mammoth est aléatoire, mais il a par la suite reconnu que ces ouvertures sont disposées en éventail.

[27] M. Olson a expliqué que la doublure en molleton qui se replie sur le bord de la chaussure, le rivet, les ouvertures sur le dessus de la chaussure et la conception générale de la chaussure, à savoir sa forme et ses volumes, sont des caractéristiques de conception uniques qui forment un tout lorsqu’il est question du sabot Mammoth. M. Olson a indiqué que le dessin du sabot Mammoth, tant en raison de la forme générale, de la doublure en molleton que des ouvertures à travers lesquelles la doublure est visible, était le premier en son genre.

[28] M. Olson a en outre déclaré que le sabot Mammoth présente des indentations en forme de trapèze à l’avant de la chaussure, ce qui fait partie de l’esthétique globale de la conception des côtés. Cela dit, lors de l’interrogatoire préalable, M. Olson a reconnu que les indentations ne sont pas propres à la conception des chaussures Crocs en général. Il a confirmé que ces indentations en forme de trapèze ne se retrouvent pas sur les chaussures Fleece Dawgs, bien que les motifs en pointillés soient identiques.

(2) Témoin expert de Crocs : Ian Whatley

[29] Comme je l’explique plus loin, je retiens l’essentiel du témoignage de M. Whatley dans la présente instance.

[30] M. Whatley est un consultant indépendant comptant plus de 40 ans d’expérience dans l’industrie de la chaussure. Il est bio-ingénieur et expert en chaussures. Son expertise comprend la conception de chaussures, la recherche et le développement, la structure, la fonction, la production, ainsi que des connaissances en matière de protection de dessins visés par la propriété intellectuelle. Il a produit deux rapports, le premier le 10 janvier 2020 et le deuxième le 21 juillet 2020, au sujet desquels il a été interrogé et contre-interrogé, qui ont été considérés comme ayant été lus.

[31] Au procès, étant donné que M. Whatley n’était pas reconnu comme expert en sondages et qu’aucun sondage n’avait été mené, l’avocat de la défenderesse a soulevé une première objection concernant la référence par M. Whatley à une [traduction] « confusion sur le marché pour un consommateur informé » dans son premier rapport. Les avocats des demanderesses ont répliqué que M. Whatley n’avait pas été présenté en tant qu’expert du marché ou expert en sondages.

[32] L’objection ayant été soulevée à un stade avancé de l’instance (c’est-à-dire au procès, une stratégie que la Cour déconseille fortement), je n’étais pas disposée à écarter M. Whatley comme témoin ou à ne pas l’entendre, comme l’a demandé l’avocat de la défenderesse. J’ai plutôt indiqué que je tiendrais compte de l’objection en fonction du poids que j’accorderais au témoignage de M. Whatley après l’avoir entendu.

[33] Je fais remarquer que Double Diamond disposait de plus d’un an pour s’opposer aux rapports d’expert des demanderesses, en application de l’article 52.5 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. (Cet article n’a pas été modifié au cours de l’instance.) Plus précisément, le paragraphe 52.5(2) des Règles prévoit la manière de soulever une objection. Au cours des nombreux mois ayant précédé le procès, la défenderesse n’a présenté aucune requête préalable en vertu de cet article en vue de faire écarter M. Whatley comme témoin, alors qu’elle aurait pu le faire. Je souligne également que, selon l’ordonnance du 12 mars 2021, depuis cette date, [traduction] « les parties n’ont soulevé aucune objection quant aux compétences de leur expert respectif ou quant à leur habilité à témoigner à titre d’experts ». [Non souligné dans l’original.]

[34] Après avoir entendu M. Whatley, et après avoir examiné les observations finales des parties concernant l’admissibilité de son témoignage, je ne suis pas convaincue que son utilisation de l’expression [traduction] « confusion sur le marché » dans le premier rapport revête une quelconque importance. Cela dit, je suis d’accord avec la défenderesse que M. Whatley a quelque peu outrepassé son mandat en exprimant une opinion à cet égard. Cependant, je suis d’avis que cette maladresse n’a aucune conséquence sur son opinion générale au sujet de la validité et de la contrefaçon du dessin 939.

[35] Comme l’a déclaré la Cour suprême, « il serait excessivement formaliste de rejeter le témoignage d’expert pour la simple raison que le témoin se permet de donner une opinion qui s’étend au‑delà du domaine d’expertise pour lequel il a été qualifié » : R c Marquard, [1993] 4 RCS 223, 1993 CanLII 37 (CSC) à la p 244. De plus, selon la Cour suprême, le juge « est rompu à l’art de faire abstraction d’une preuve irrecevable » et, lorsque le témoignage d’un expert dépasse les limites du domaine d’expertise, le juge ne doit accorder aucune importance aux portions inadmissibles : R c Sekhon, 2014 CSC 15, [2014] 1 RCS 272 au para 48. Je retiens de ces arrêts qu’en fonction des circonstances, un témoignage d’expert peut être jugé inadmissible en partie et que le témoignage de l’expert dans son ensemble n’est pas nécessairement entaché par le fait que l’expert a dépassé les limites de son mandat.

[36] Pour ces motifs et dans les circonstances de l’espèce, notamment le fait que la question a été soulevée à un stade avancé de l’instance, je juge inadmissibles uniquement le paragraphe 78 et la deuxième phrase du paragraphe 84 du premier rapport. Cependant, malgré ce que fait valoir la défenderesse, je ne puis conclure que le témoignage de M. Whatley dans son ensemble devrait être écarté ni qu’aucune valeur ne devrait lui être accordée.

[37] J’ajoute qu’en contre-interrogatoire, l’avocat de la défenderesse a qualifié M. Whatley [traduction] d’« employé de Crocs ». M. Whatley a catégoriquement rejeté cette qualification (erronée). Bien que Crocs ait auparavant fait appel à M. Whatley à titre de témoin expert, je ne suis pas disposée à conclure, sans autre élément à l’appui, que cela signifie que M. Whatley était d’une certaine manière partial.

[38] Quant au reste du témoignage d’expert, M. Whatley a reçu deux pièces, à savoir les pièces F et G jointes à son premier rapport et reproduites ci-après, qu’il devait considérer comme [traduction] « l’art antérieur » et examiner en regard du dessin 939 en adoptant le point de vue du consommateur informé.

Pièce F jointe au premier rapport

(chaussure Blue Horn)

Pièce G jointe au premier rapport

[39] M. Whatley a conclu que le dessin industriel 939 est nettement différent des rares réalisations de l’art antérieur présentes dans un domaine peu exploité. Selon son avis d’expert, le dessin 939 constituait une innovation dans un nouveau domaine, un sous-domaine de l’esthétique de la chaussure qui était original, rien de semblable n’ayant existé auparavant sur le marché. En outre, M. Whatley était d’avis qu’aucune caractéristique du dessin 939 ne résultait uniquement de la fonction utilitaire. Chaque partie de la chaussure peut être placée de différentes façons. Par exemple, M. Whatley a expliqué que la doublure en molleton apporte de la chaleur, mais qu’une fois à l’intérieur d’une chaussure, plusieurs styles sont possibles. D’ailleurs, lorsqu’elle est repliée sur elle-même pour former le col, la doublure en molleton n’apporte aucune chaleur à l’extérieur de la chaussure. Elle sert plutôt d’élément décoratif.

[40] M. Whatley a témoigné que la portée du dessin 939 s’étend [traduction] « aux caractéristiques visuelles de la chaussure qui sont présentées dans les esquisses; au tout, à savoir le résultat global et l’interaction, à l’exception du motif de la semelle ». Il a résumé ainsi les principales caractéristiques visuelles : i) la forme générale de la chaussure; ii) la doublure en molleton qui se replie sur elle-même pour former le col; iii) deux rivets décoratifs placés idéalement de chaque côté de la chaussure; et iv) des ouvertures de la taille d’un bout de doigt à travers lesquelles, fait unique, il est possible de voir le revers de la doublure (c’est-à-dire le molleton).

[41] En tenant compte de ces caractéristiques, M. Whatley a estimé que le modèle de chaussure Dawgs qu’il a examiné est extrêmement semblable au dessin 939. Selon lui, ils ont en commun les principales caractéristiques mentionnées plus haut qu’on ne retrouve pas dans l’art antérieur, c’est-à-dire la forme générale, la doublure en molleton qui se replie sur elle-même pour former le col, les rivets décoratifs et la doublure visible à travers les ouvertures de la taille d’un bout de doigt sur la bande ou l’empeigne sur le dessus de la chaussure, à l’avant. Il trouve également qu’ils sont [traduction] « quasiment identiques », à part quelques éléments décoratifs légèrement différents. Selon M. Whatley, ces caractéristiques sont inexistantes dans l’art antérieur.

[42] En ce qui concerne les points de distinction entre le dessin 939 et les chaussures Fleece Dawgs, M. Whatley indique qu’ils sont [traduction] « mineurs » et qu’ils portent notamment sur la semelle, qui ne fait pas partie du dessin 939.

[43] En contre-interrogatoire, M. Whatley a affirmé qu’il n’avait pas été présenté en tant qu’expert en sondages ni en tant qu’expert sur la question de la confusion sur le marché, qu’il n’avait pas mené de sondage dans le cadre de ses recherches pour produire son rapport et qu’on ne lui avait pas demandé d’examiner la question de la confusion sur le marché. Il a en outre déclaré que le consommateur informé fait partie d’un scénario hypothétique dans lequel un acheteur ou un acheteur potentiel est informé de l’art antérieur par rapport au dessin 939 ou le connaît.

[44] Toujours en contre-interrogatoire, lorsqu’il a été interrogé au sujet de l’élément en molleton du dessin 939, dans le contexte de la question de savoir si, selon lui, la fonctionnalité déterminait la forme du dessin, M. Whatley a répondu que le molleton peut être utilisé de nombreuses manières et sous diverses formes dans les chaussures pour apporter de la chaleur. Il a aussi fourni plusieurs exemples et a conclu que le molleton n’apporte pas seulement de la chaleur; il peut aussi avoir une fonction décorative. Dans son premier rapport, M. Whatley a conclu qu’aucun élément du dessin 939 ne résulte uniquement de la fonction utilitaire.

[45] En contre-interrogatoire, lorsqu’il a été interrogé sur les différentes positions du col en molleton illustrées au paragraphe 14 ci-dessus (au-dessus des lignes sur la figure 1 et en dessous des lignes sur la figure 4), M. Whatley a répondu que la [traduction] « parallaxe » (concept selon lequel la position ou l’angle de visualisation peut modifier l’apparence de la forme d’un objet) peut avoir une incidence sur l’apparence différente des figures 1 et 4.

[46] M. Whatley a également expliqué que le dessin 939, qui revendique les caractéristiques visuelles d’une chaussure, se compose de sept figures qui offrent une représentation en deux dimensions d’un objet en trois dimensions. Même si l’on tient compte de la parallaxe, il n’en demeure pas moins que la position du col en molleton est différente à l’arrière, si l’on compare les figures 1 et 4. M. Whatley conclut toutefois qu’il s’agit d’une variante négligeable où une partie du col a été déplacée.

[47] Selon M. Whatley, le dessin 939 présente une nouvelle utilisation contre-intuitive du molleton, que les gens mettent dans leurs chaussures pour tenir leurs pieds au chaud. Or, lorsque le molleton est placé dans une chaussure dotée d’ouvertures visant à garder les pieds frais, il s’agit d’une utilisation un peu bizarre et à laquelle les gens n’auraient pas pensé. Par conséquent, selon lui, le molleton a conféré à la chaussure une esthétique complètement nouvelle. Il a aussi expliqué que c’est l’ensemble combiné de la configuration, du motif et des éléments décoratifs finaux qui est produit. Selon lui, le dessin 939 est entièrement original, et rien de semblable n’existe dans l’art antérieur.

[48] Selon M. Whatley, la portée du dessin 939 est établie par un consommateur informé qui connaît l’art antérieur et qui y prête attention. Selon lui, le dessin 939 et les chaussures Fleece Dawgs sont très différents de l’art antérieur, mais ils se ressemblent beaucoup et sèment donc la confusion, même chez un consommateur informé. Toutefois, en contre-interrogatoire, il a une fois de plus reconnu qu’il n’avait pas été présenté en tant qu’expert en sondages.

(3) Témoin des faits de Double Diamond : Steven Mann

[49] M. Mann possède de l’expérience en agriculture. Souffrant de problèmes de dos, il a découvert les chaussures en CAV/E dans un magasin d’articles de sport à Saskatoon qui ont grandement soulagé ses problèmes de dos. Il a eu l’idée de créer une entreprise de chaussures et il a effectué de nombreuses recherches sur le moulage par injection. Selon M. Mann, l’abréviation CAV/E désigne le copolymère d’acétate de vinyle-éthylène, qui est un dérivé du pétrole utilisé dans plusieurs industries, notamment celle de la chaussure. Les chaussures en CAV/E peuvent être faites rapidement, dans de courts délais de fabrication et d’expédition. Il est possible de laisser libre cours à son imagination en ce qui concerne les styles, les couleurs et les motifs.

[50] M. Mann est le fondateur de Double Diamond et il en est le président et directeur général. Il est également l’unique fondateur de la marque de chaussures Dawgs. Double Diamond utilise la marque Dawgs depuis 2005, soit l’année où l’entreprise a été constituée en société. À cette époque, M. Mann connaissait Crocs.

[51] M. Mann a témoigné qu’en raison du litige avec Crocs, il a au fil des ans commencé à acheter des sabots Rebound sur eBay. Sur la foi de renseignements tenus pour véridiques, il affirme qu’ils sont fabriqués par Foam Creations au Canada depuis 2001. Il n’a toutefois appris l’existence de Foam Creations qu’en 2006.

[52] Lorsque l’avocat de la défenderesse lui a demandé de regarder le modèle Beach de Crocs (illustré ci-dessus au paragraphe 23), M. Mann a affirmé qu’il ressemble à une chaussure Rebound, avec une sangle, mais sans l’autocollant portant le logo de Crocs. Les images ci-dessous montrent une vue du côté et une vue du dessous de la chaussure Rebound au sujet de laquelle M. Mann a été interrogé :

[53] M. Mann a déclaré qu’à l’heure actuelle, le fabricant avec lequel il travaille est situé à Fuzhou, en Chine, et que son ancien fabricant était établi à Xiamen, en Chine. Le processus consiste à soumettre un dessin au fabricant, puis à se renvoyer des échantillons, jusqu’à leur approbation. L’usine fabrique ensuite un moule de la chaussure. Le CAV/E est chauffé et injecté dans le moule. À sa sortie, la chaussure est encore chaude. Elle est placée sur un convoyeur de refroidissement, puis elle est pour ainsi dire finie, emballée et étiquetée. La production de chaussures en CAV/E ne prend que quelques minutes. Elles sont considérées comme des chaussures confortables et abordables.

[54] En ce qui concerne les éléments graphiques de la chaussure Fleece Dawgs, M. Mann a témoigné qu’il tentait de créer la forme d’un éventail sur le dessus de la chaussure, avec onze ouvertures rectangulaires, dont une en forme de D autour de laquelle les autres sont positionnées. Le reste de la partie supérieure de la chaussure est lisse. La transition vers la partie inférieure de la chaussure, qui est entièrement lisse, sauf pour quelques stries, se fait de manière harmonieuse grâce à quatre ou cinq rangées de points en relief.

[55] En outre, les rangées de points continuent jusqu’aux attaches ou rivets situés de chaque côté de la chaussure, qui servent à fixer le molleton à la chaussure. M. Mann a déclaré que, sans ces rivets, le molleton sortirait au moment de retirer le pied de la chaussure. Ils servent aussi à valoriser la marque, de sorte que le logo y a été ajouté. De plus, comme le molleton enveloppe la chaussure, sa fixation à la chaussure elle-même est renforcée grâce à des supports caoutchoutés sous le molleton. Double Diamond fait également fabriquer le molleton à Fuzhou, en Chine.

[56] Depuis 2017, le site Web www.canadadawgs.com est celui de Double Diamond, qui l’utilise pour vendre ses chaussures directement aux consommateurs. De 2012 à 2019, Double Diamond a vendu au Canada plus de 91 000 paires de chaussures Fleece Dawgs.

[57] M. Mann a affirmé qu’il entretenait une bonne relation de longue date avec le fabricant situé à Fuzhou. En contre-interrogatoire, il a confirmé que ni le fabricant, Jian Chen (deuxième témoin des faits de Double Diamond, dont il est question ci-après), ni son frère, Yi Chen, ne parlent anglais. Il leur a demandé de signer des déclarations pour les besoins de la présente action.

[58] M. Mann a reconnu avoir regardé les chaussures créées par Crocs et d’autres concurrents au moment de concevoir les chaussures Fleece Dawgs. Cette déclaration contredit celle qu’il a faite dans d’autres procédures entre les parties et dans son interrogatoire préalable dans la présente action. Il a alors expliqué qu’il avait conçu ses chaussures de manière à ne pas contrefaire les chaussures Crocs et les autres chaussures vendues sur le marché. M. Mann a confirmé qu’il n’avait produit aucun document relatif au processus de conception des chaussures Fleece Dawgs. En outre, la majeure partie du travail de conception a peut-être été réalisée à l’usine située à Fuzhou.

[59] M. Mann a reconnu n’avoir jamais demandé la protection de la propriété intellectuelle à l’égard d’un dessin relatif aux chaussures Fleece Dawgs. Il a également confirmé que Double Diamond ne détient aucune autorisation accordée par Crocs.

[60] M. Mann a été convoqué de nouveau uniquement pour déposer en preuve le document 76 révisé tiré des éléments de preuve produits par Double Diamond et comprenant l’analyse des profits tirés des chaussures Fleece Dawgs pour les années 2012 à 2019. Crocs a été autorisée à mener un contre-interrogatoire complet au sujet du document.

[61] En contre-interrogatoire, M. Mann a témoigné que le document avait été préparé par son comptable agréé interne de l’époque, Tim Ducie, qui n’est plus employé de Double Diamond. M. Mann n’a pas expliqué pourquoi M. Ducie n’aurait pas pu être appelé à témoigner.

[62] M. Mann a également reconnu ne pas savoir quels renseignements M. Ducie a fournis aux comptables de la société pour préparer les états financiers à partir desquels le document 76 révisé a été établi. M. Mann a confirmé que les états financiers fournis par Double Diamond n’ont pas été audités et qu’ils ne présentent pas de ventilation des ventes ni des frais et des dépenses pour chaque produit. De plus, M. Mann a reconnu la présence de quelques incohérences entre les données fournies dans les états financiers et les renseignements censés être tirés de ces états financiers et contenus dans le document 76 révisé. M. Mann a aussi confirmé que certaines dépenses, comme les honoraires de consultant en gestion, les frais de publicité et les frais de déplacement, ne pouvaient pas être ventilées ni attribuées précisément aux chaussures Fleece Dawgs.

(4) Témoin des faits de Double Diamond : Jian Chen

[63] Jian Chen est le directeur général de l’entreprise nommée Fuzhou Xiang Sheng Footwear Co. Limited [Fuzhou] qu’il a créée vers 2001. M. Chen, qui ne parle pas anglais, a témoigné en mandarin avec l’aide d’un interprète.

[64] Fuzhou est un fabricant basé en Chine qui produit les chaussures Fleece Dawgs de la défenderesse en vue de leur importation au Canada et aux États-Unis. M. Chen a décrit une pantoufle ou une chaussure en CAV/E doublée de fourrure [chaussure Brown Flower] qu’a produite son entreprise vers 2005 et dont l’apparence, vue de côté, est la suivante :

[65] M. Chen a déclaré que la chaussure est fabriquée en infusant ou en injectant du CAV/E dans un moule afin de fabriquer la coquille de la chaussure, puis la doublure en fourrure est collée à l’intérieur de la coquille, tandis que le col est cousu à la coquille, par l’extérieur. Les chaussures étaient vendues en ligne et lors de salons commerciaux. Elles étaient vendues directement aux consommateurs et par des tiers.

[66] M. Chen a en outre déclaré qu’il entretient une relation depuis longtemps avec la défenderesse et M. Mann, soit depuis environ 2005. M. Chen a fabriqué un si grand nombre de chaussures pour eux qu’il a cessé de compter.

[67] M. Chen a expliqué que, même s’ils [traduction] « se proposent » des styles, c’est surtout Fuzhou qui en propose à la défenderesse étant donné que cette dernière n’a pas autant d’expérience que Fuzhou en recherche et développement.

[68] L’une des chaussures que M. Chen fabrique pour la défenderesse est la pantoufle de marque Fleece Dawgs, avec la doublure en molleton. En contre-interrogatoire, lorsqu’on lui a posé des questions sur l’origine de la conception de la pantoufle de Fleece Dawgs, M. Chen a déclaré que ses techniciens avaient élaboré le dessin de ce qu’ils appelaient les chaussures [traduction] « en forme de parapluie ». En réinterrogatoire, M. Chen a raconté comment l’équipe de conception, en collaboration avec des employés de l’usine de moulage, a eu l’idée de créer une doublure en molleton pour des chaussures d’hiver. Il a expliqué que c’était une première à Fuzhou, étant donné qu’ils étaient les premiers à avoir l’idée et qu’à l’époque, il n’existait aucun produit de la sorte sur le marché.

[69] En ce qui a trait à l’image de la chaussure Brown Flower contenue dans la déclaration de M. Chen, qui a été préparée pour les besoins de la présente affaire et que M. Mann lui a demandé de signer, M. Chen a témoigné que l’image provenait de Ressources mondiales (Global Resources), et non pas de ses propres dossiers.

(5) Témoin expert de Double Diamond

[70] Même si Double Diamond a signifié et déposé son propre rapport d’expert, le rapport a été retiré au procès.

VI. Analyse

[71] Comme je l’explique plus loin, je conclus que le dessin 939 était valide, que ses caractéristiques ne résultaient pas uniquement de la fonction utilitaire et que la défenderesse a contrefait le dessin 939, de sorte que les demanderesses ont droit à une restitution des profits perçus par la défenderesse sur les ventes de ses chaussures Fleece Dawgs, ce que les demanderesses ont choisi comme mesure de réparation, au lieu des dommages-intérêts. En outre, je suis d’avis que l’action n’était ni vexatoire, ni abusive, ni frivole et que le temps qu’ont mis les demanderesses à intenter l’action n’était pas un argument suffisant pour priver Crocs de son droit à une mesure de réparation.

[72] La défenderesse fait valoir qu’il existe une lacune fondamentale sur le plan de la conception ainsi que des réalisations de l’art antérieur qui rendent le dessin 939 invalide. De plus, selon elle, l’insertion de molleton dans une chaussure est uniquement fonctionnelle. Subsidiairement, si le dessin 939 est valide, la défenderesse allègue alors que les différences entre les chaussures Fleece Dawgs et les chaussures Mammoth de Crocs sont suffisantes pour conclure à une absence de contrefaçon pendant la période visée. En outre, la défenderesse soutient tardivement que le temps qu’ont mis les demanderesses à intenter l’action, c’est-à-dire pas avant 2017, doit être pris en compte dans l’analyse de la contrefaçon. Je ne souscris à aucun de ces arguments, que j’examine à tour de rôle ci-après sous la rubrique appropriée.

(1) Le dessin 939 n’était pas invalide

a) Une variante, pas plusieurs dessins

[73] Je ne souscris pas à l’affirmation de la défenderesse selon laquelle les contradictions dans les figures qui composent le dessin 939 donnent lieu à plus d’un dessin, en contravention avec l’article 10 du Règlement.

[74] Je fais remarquer que, depuis que les demanderesses ont intenté l’action en 2017, le Règlement, qui s’applique à la présente instance, a été remplacé par le Règlement sur les dessins industriels, DORS/2018-120. De même, nul ne conteste qu’une version antérieure de la Loi sur les dessins industriels, en l’occurrence la Loi sur les dessins industriels, LRC 1985, c I-9, en vigueur du 18 décembre 2001 jusqu’au 4 novembre 2018 [la Loi], s’applique à la présente action.

[75] La Loi protège les dessins originaux qui comprennent des « [c]aractéristiques ou une combinaison de caractéristiques visuelles d’un objet fini, en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs » et qui ont été enregistrés conformément à la Loi (articles 2, 6 et 9). Un certificat d’enregistrement est une attestation réfutable du dessin et de son originalité, du nom du propriétaire et de la propriété de ce dernier, de la date et de l’expiration de l’enregistrement et, fait important, de l’observation de la Loi (paragraphe 7(3)).

[76] Double Diamond fait valoir que les figures 1 et 4 du dessin 939 représentent des dessins distincts, en contravention avec l’article 10 du Règlement, qui porte que la demande d’enregistrement vise un seul dessin, s’appliquant à un seul objet ou ensemble, ou des variantes. Le terme « variantes » est défini dans la Loi comme les « [d]essins s’appliquant au même objet ou ensemble et ne différant pas de façon importante les uns des autres » (article 2).

[77] Je juge que l’argument selon lequel les figures 1 et 4 représentent des dessins distincts, et non des variantes, est sans fondement. La défenderesse ne m’a pas convaincue du contraire. Je suis d’accord avec le témoin expert des demanderesses, M. Whatley, que la figure 4 est une variante négligeable où une partie du col a été déplacée (c’est-à-dire abaissée à l’arrière de la chaussure). À mon avis, elle ne représente pas un dessin très différent et, par conséquent, distinct. Ma conclusion à cet égard s’applique aussi à la figure 5, car il s’agit d’une vue du côté externe qui représente également un col déplacé ou abaissé à l’arrière, tandis que la figure 4 est une vue du côté interne de la chaussure qui compose le dessin 939.

[78] À mon avis, en mettant l’accent sur de prétendus points de distinction, que ce soit dans le dessin 939 lui-même ou entre celui-ci et la chaussure Fleece Dawgs, Double Diamond a perdu de vue ou n’a pas pris en compte le fait que le dessin 939 protège l’apparence générale de ses caractéristiques ainsi que la combinaison de celles-ci, notamment les variantes (à l’exception toutefois de la semelle délimitée par des lignes pointillées), telles que revendiquées par les demanderesses.

b) Le dessin 939 est original et n’est pas invalide en raison de l’art antérieur

[79] Je ne souscris pas non plus à l’affirmation de Double Diamond selon laquelle le dessin 939 n’est ni unique ni original, puisqu’il est invalide en raison de l’art antérieur. J’estime plutôt que Double Diamond n’a pas présenté de preuve d’antériorité admissible démontrant, selon la prépondérance des probabilités, l’invalidité du dessin 939, compte tenu de la présomption d’originalité réfutable applicable en l’espèce : Loi, art 7(3); AFX Licensing Corporation c HJC America, Inc, 2016 CF 435 [AFX] au para 101.

[80] Selon la Cour suprême, [traduction] « pour être original, un dessin doit différer suffisamment d’un dessin qui existe déjà. Un petit changement du contour ou de la configuration, ou encore une variation non substantielle ne suffisent pas pour permettre à l’auteur d’obtenir l’enregistrement » : Clatworthy & Son, Ltd. v Dale Display Fixtures Ltd., 1929 CanLII 82 (CSC), [1929] SCR 429 à la p 433.

[81] En outre, pour être considéré comme possédant un degré suffisant d’originalité, le dessin doit à tout le moins comporter une étincelle d’originalité : Bodum USA, Inc. c Trudeau Corporation (1889) Inc., 2012 CF 1128 [Bodum] au para 97, renvoyant à Bata Industries Ltd. c Warrington Inc., [1985] ACF no 239 au para 22 (CF 1re inst).

[82] L’originalité doit être appréciée du point de vue du consommateur averti qui connaît le marché en cause : Rothbury International Inc. c Canada (Ministre de l’Industrie), 2004 CF 578 aux para 31-32.

[83] Compte tenu des éléments de preuve présentés en l’espèce, je suis convaincue qu’aucun dessin dans l’art antérieur ne présente la combinaison des caractéristiques qu’illustrent les figures composant le dessin 939 et qu’a résumées l’expert en chaussures, M. Whatley. De plus, je juge qu’il existe des différences importantes entre le dessin 939 et l’art antérieur invoqué. Cette conclusion a une incidence sur l’analyse de la contrefaçon présentée ci-après.

[84] Je suis d’accord avec M. Whatley que le dessin 939 constituait une innovation dans le sous-domaine nouveau, donc peu exploité, de l’esthétique de la chaussure et qu’il était original sur le plan de l’apparence générale, rien de semblable n’ayant existé auparavant sur le marché. La défenderesse a décidé de ne présenter aucune preuve d’expert à l’effet contraire. Le contre-interrogatoire du seul expert qui a été appelé à témoigner dans la présente affaire ainsi que mon examen des éléments de preuve de la défenderesse ne m’ont pas convaincue du contraire.

[85] M. Whatley a ainsi résumé les principales caractéristiques du dessin 939 : une doublure en molleton qui se replie sur elle-même pour former le col et qui modifie la silhouette de la chaussure, deux rivets décoratifs, de nombreuses ouvertures de la taille d’un bout de doigt, qui sont disposées sur la partie de la chaussure au-dessus des orteils (également appelée « bande » ou « empeigne ») et à travers lesquelles le revers de la doublure est visible. Il estime qu’il s’agit de caractéristiques uniques qui n’existent pas dans l’art antérieur. La défenderesse n’a produit aucun élément de preuve admissible qui contredit cette opinion.

[86] Bien que M. Mann ait témoigné qu’il n’y avait pas de grande différence entre une chaussette et une doublure en molleton placée à l’intérieur d’une chaussure, il a reconnu en contre-interrogatoire qu’une chaussette ne fait pas partie d’une chaussure. Logiquement, j’estime que la présence ou l’absence d’une chaussette dans une chaussure non doublée dotée d’ouvertures sur l’empeigne donnerait une impression différente et variable, comparativement à une chaussure doublée dotée d’ouvertures sur l’empeigne à travers lesquelles cette même doublure serait visible, peu importe si la personne enfile la chaussure avec ou sans chaussettes. Je ne suis pas disposée à accepter que le fait de porter une chaussette dans une chaussure non doublée et dotée d’ouvertures sur l’empeigne fait partie de l’art antérieur.

[87] Quant aux chaussures Blue Horn (pièce F jointe au premier rapport de M. Whatley) et Brown Flower, je suis d’avis qu’elles diffèrent de façon importante du dessin 939. Je suis d’accord avec M. Whatley que la forme de la chaussure Blue Horn est moins asymétrique que celle du dessin 939. Les chaussures Blue Horn et Brown Flower ne présentent aucune ouverture sur la bande ou l’empeigne à travers laquelle la doublure pourrait être visible. Sur l’empeigne, la chaussure Blue Horn présente un cor d’harmonie, alors que la chaussure Brown Flower, une fleur. Le col de ces chaussures est plus arrondi que celui formé par la doublure qui se replie sur elle-même représenté dans le dessin 939. Je déduis donc du témoignage de M. Chen que les cols cousus sur les chaussures Blue Horn et Brown Flower ne peuvent pas être déplacés ou abaissés. De plus, il n’y a aucun rivet, décoratif ou autre, sur les côtés de ces chaussures. M. Mann a également reconnu en contre-interrogatoire qu’il existe une différence importante entre ces chaussures et le dessin 939.

[88] En ce qui concerne la pièce G jointe au premier rapport, je suis d’accord avec Crocs que les esquisses ressemblent plus au dessin 939 que celles des chaussures Beach ou Rebound. Aucune des esquisses de la pièce G ne présente de doublure en molleton qui se replie sur elle-même pour former le col et qui, d’après M. Whatley, modifie l’apparence générale de la chaussure représentée dans le dessin 939, en particulier la silhouette. M. Whatley a également déclaré que, sans cette doublure, il n’y aurait pas d’endroit où mettre les rivets décoratifs et il n’y aurait rien à voir à travers les ouvertures sur l’empeigne représentée dans la pièce G.

[89] En réinterrogatoire, M. Whatley a indiqué qu’il n’a pas examiné les chaussures Beach et Rebound plus particulièrement, étant donné qu’elles sont celles qui diffèrent le plus des réalisations d’art antérieur les plus récentes. Lorsqu’il a été invité à le faire, il a expliqué en détail les différences importantes entre les chaussures Beach et Rebound ainsi que le dessin 939, à savoir une forme ou une silhouette différente, la présence de sangles, l’absence de col et, par conséquent, de rivets décoratifs sur le col (plutôt que sur les sangles) et aucun revers de doublure visible à travers les ouvertures à l’avant.

[90] Bien que l’avocat de la défenderesse se soit opposé à ce témoignage au motif qu’au moment de rédiger son rapport, M. Whatley n’avait pas examiné les chaussures Beach et Rebound, M. Whatley a témoigné que la défenderesse n’a pas fait valoir, dans ses actes de procédure, que ces chaussures font partie de l’art antérieur. Je suis du même avis. Je fais remarquer, par exemple, que la chaussure Blue Horn est mentionnée expressément dans la défense et demande reconventionnelle modifiée pour démontrer que le dessin 939 n’est pas original.

[91] En outre, je souligne que la défenderesse a présenté la chaussure Rebound au procès sans avoir de nouveau modifié sa défense et demande reconventionnelle. J’en déduis qu’elle avait ainsi l’intention de faire valoir que la chaussure Rebound fait partie de l’art antérieur. Vu les circonstances, en particulier le fait que les demanderesses n’ont pas été averties que la défenderesse invoquerait la chaussure Rebound et l’incapacité de M. Whatley de l’examiner et de se prononcer sur celle-ci dans ses rapports, je ne suis pas disposée, comme me le demande la défenderesse, à écarter le seul témoignage d’expert où il y a comparaison entre les chaussures Beach et Rebound ainsi que le dessin 939, ou à y accorder peu de poids.

[92] Plus particulièrement, je fais remarquer que M. Mann a témoigné qu’il n’a appris l’existence de Foam Creations qu’en 2006. Je juge qu’aucune preuve corroborante n’a été fournie pour étayer le fait que M. Mann croyait que la chaussure Rebound était fabriquée au Canada par Foam Creations depuis 2001 ni pour appuyer son témoignage selon lequel, il y a quelque temps, il a appris l’existence d’une chaussure, à savoir un sabot doté d’ouvertures, d’un molleton formant le col et de rivets, qui était vendue en Europe et en Chine. En l’absence de faits supplémentaires concernant cette chaussure, notamment les circonstances dans lesquelles M. Mann en a appris l’existence ou même en a vu une photo, je n’accorde aucun poids à son témoignage concernant cette chaussure.

[93] De plus, dans sa défense et demande reconventionnelle modifiée, la défenderesse n’a invoqué ni la chaussure Rebound (mentionnée plus haut) ni cette autre chaussure. Notre Cour a déjà fait remarquer, et je souscris à cette remarque, que « [c]’est un principe élémentaire de droit que seuls les éléments de l’état de la technique qui sont expressément allégués dans les actes de procédure sont pertinents » : Eli Lilly Canada Inc. c Novopharm Limited, 2007 CF 1195 au para 51.

[94] Compte tenu de l’analyse ci-dessus, je conclus que le dessin 939 était original et qu’il n’était pas invalide en raison de l’art antérieur dûment invoqué, c’est-à-dire l’art antérieur mentionné dans la défense et demande reconventionnelle modifiée.

(2) Les caractéristiques du dessin 939 ne résultaient pas uniquement de la fonction utilitaire

[95] Comme pour l’affirmation de Double Diamond concernant l’absence d’originalité, je conclus que la défenderesse n’a pas démontré que les caractéristiques du dessin 939 résultaient uniquement de la fonction utilitaire, en contravention avec l’article 5.1 de la Loi : Zero Spill Systems (Int’l) Inc. c Heide, 2015 CAF 115 [Zero Spill] au para 18. La Cour d’appel fédérale reconnaît que les caractéristiques d’un dessin industriel qui sont fonctionnelles, mais qui sont également attrayantes visuellement, peuvent être protégées. En d’autres termes, « seules les caractéristiques du dessin industriel dont la forme résulte uniquement de la fonction sont exclues de la protection par l’article 5.1 » : Zero Spill aux para 22‑23.

[96] Je souscris aux observations de M. Whatley selon lesquelles il existe de nombreuses manières de réaliser les différentes caractéristiques de la chaussure représentée dans le dessin 939, qui fonctionneraient tout aussi bien.

[97] Je suis également d’accord avec M. Whatley que la doublure en molleton prévue dans le dessin 939 n’est pas simplement fonctionnelle. Certes, M. Whatley a reconnu que la doublure en molleton peut apporter de la chaleur. Cependant, le fait de l’insérer dans une chaussure ne signifie pas qu’il n’y a qu’une seule apparence possible. Comme l’a souligné M. Whatley, placer du molleton à l’extérieur de la chaussure, de manière à former un col, n’est pas très fonctionnel.

[98] Je suis d’accord avec les demanderesses que certains produits de Double Diamond déposés en preuve montrent que des choix de conception ont été faits relativement au col, comme dans le cas des bottes Side Tie Microfiber, qui sont dotées d’une doublure en molleton sur le contour externe et qui ont des pompons qui ajoutent un élément décoratif. Autrement dit, comme M. Mann l’a déclaré en contre-interrogatoire, certaines caractéristiques ornementales montrent qu’il a fait des choix de conception pour ce produit.

[99] Quant aux rivets décoratifs qui se trouvent de chaque côté de la chaussure, M. Whatley a témoigné qu’ils n’ont pas à être ronds et qu’ils peuvent être placés n’importe où sur le col. Il a aussi invoqué la chaussure Blue Horn pour démontrer que le col a été réalisé d’une manière différente. Toutefois, en contre-interrogatoire, il a indiqué que le but de coudre le col à la chaussure pouvait être d’ordre esthétique. M. Chen a également témoigné que le col de la chaussure Brown Flower est cousu à la chaussure.

[100] Bien qu’elle conteste le fait que les rivets soient considérés comme décoratifs et qu’elle soutienne qu’ils sont fonctionnels, la défenderesse ne m’a pas convaincue qu’ils sont uniquement fonctionnels, c’est-à-dire qu’ils ne servent qu’à fixer à la chaussure la doublure en molleton repliée sur elle-même pour former le col ou qu’ils ne peuvent avoir qu’une forme plate et ronde. La pièce 14 présentée au procès comprend la demande de brevet canadien numéro 2582628, dans laquelle la défenderesse est désignée comme demanderesse et M. Mann, comme inventeur d’une chaussure qui comprend des [traduction] « attaches » ou rivets différents composés d’éléments décoratifs tels qu’une fleur ou un bonhomme sourire.

(3) La défenderesse a contrefait le dessin 939

[101] Je conclus que Double Diamond a contrefait le dessin 939.

[102] Pour déterminer si les chaussures Fleece Dawgs constituent une contrefaçon, la question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si le dessin qui les représente diffère de façon importante du dessin 939 : art 11(1)a) de la Loi. Il ne s’agit pas de savoir si les chaussures Fleece Dawgs diffèrent de façon importante des sabots Mammoth de Crocs, lesquels sont une réalisation du dessin 939.

[103] Dans le cadre de l’analyse de la contrefaçon à quatre volets, il faut, du point de vue du « consommateur averti » (défini ci-dessus) : a) examiner l’art antérieur et la mesure dans laquelle le dessin enregistré est différent de dessins publiés auparavant (art 11(2) de la Loi); b) évaluer le dessin à la recherche d’une fonction utilitaire ou des méthodes ou principes de réalisation (art 5.1 de la Loi, qui prévoit que ces éléments ne bénéficient pas de la protection prévue par la Loi); c) examiner le dessin lui-même pour établir la portée de la protection en fonction des figures et de leur description énoncée dans l’enregistrement; d) compte tenu des trois premiers volets, effectuer une analyse comparative du dessin enregistré et du produit prétendument contrefait : AFX, précitée, aux para 55‑60.

[104] La défenderesse soutient qu’au procès, les demanderesses se sont concentrées sur la projection moulée vers l’extérieur comme principale caractéristique du dessin 939. Je ne suis pas du même avis. Au contraire, je juge que les demanderesses se sont concentrées sur le dessin de la chaussure dans son ensemble, qui est protégé par le dessin 939, notamment le contour du bas de la chaussure, à l’exception du motif de la semelle. À mon avis, le témoignage de M. Whatley selon lequel la portée du dessin s’étend [traduction] « au tout, à savoir le résultat global et l’interaction, à l’exception du motif de la semelle », le démontre. J’estime que cela est conforme à la description du dessin 939 figurant dans l’enregistrement du dessin industriel, qui comprend la « combinaison de caractéristiques ».

[105] Gardant à l’esprit le dessin de la chaussure dans son ensemble, qui est protégé par le dessin 939, je souligne que, plus le dessin ressemble à l’art antérieur, plus la protection accordée au dessin sera restreinte, tandis qu’à l’inverse, plus le dessin diffère de l’art antérieur, plus la protection offerte sera grande : Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 4e éd, § 31:65; AFX, précitée, au para 87, citant Sommer Allibert (UK) Limited v Flair Plastics Ltd, [1987] RPC 599 à la p 623 (UKCA).

[106] Comme je le conclus plus haut, il existe des différences importantes entre le dessin 939 et l’art antérieur invoqué et prouvé duquel ne ressort aucune autre chaussure avec la combinaison de caractéristiques suivante : une doublure en molleton qui se replie sur elle-même pour former le col et qui modifie la forme de la chaussure, deux rivets décoratifs, de nombreuses ouvertures de la taille d’un bout de doigt, qui sont disposées sur la partie de la chaussure au-dessus des orteils et à travers lesquelles le revers de la doublure est visible.

[107] Comme je le mentionne plus haut, la défenderesse n’a pas démontré que les caractéristiques du dessin 939 résultaient uniquement de la fonction utilitaire, en contravention avec l’article 5.1 de la Loi.

[108] En ce qui concerne la portée de la protection, les sept figures, de pair avec leur description, composent le dessin 939. Selon M. Whatley, le dessin 939 se rapporte aux caractéristiques visuelles d’une chaussure qui sont représentées dans les esquisses, qu’il s’agisse de la configuration, du motif ou des éléments décoratifs ou d’une combinaison de ces caractéristiques. Cependant, le motif de la semelle et les parties de la chaussure représentées en lignes pointillées ne font pas partie du dessin 939.

[109] L’analyse comparative est effectuée du point de vue du consommateur averti et tient compte des facteurs mentionnés ci-dessus : Bodum, précitée, au para 80; AFX, précitée, au para 60. La demanderesse affirme que l’analyse, bien que de nature comparative, ne comporte pas de comparaison côte à côte : Re Paramount Pictures Corporation Industrial Design Application (1981), 73 CPR (2d) 273 [Paramount Pictures] à la p 278; Dunlop Rubber Co. Ltd. v Golf Ball Developments Ltd. (1931), 48 RPC 268 à la p 281. Dans la décision Bodum (au para 76), notre Cour s’est interrogée sur l’applicabilité de cette affirmation en raison de la modification apportée en 1993 au libellé de l’article 11 de la Loi (c’est-à-dire le remplacement de l’expression « imitation frauduleuse » par « un dessin ne différant pas de façon importante »), mais a refusé de statuer sur cette question.

[110] La décision Paramount Pictures est une décision de 1981 de la Commission d’appel des brevets et du commissaire aux brevets qui, à son tour, se fonde sur la directive donnée dans une décision antérieure à 1993 de la Cour de l’Échiquier portant que les [traduction] « objets comparés ne devraient pas être examinés côte à côte, mais séparément » : Paramount Pictures, précitée, à la p 278, renvoyant à Jones et al v Teichman et al, [1930] 3 DLR 437, [1930] Ex CJ No 1 [Jones]. L’affaire Jones portait sur un jugement sur consentement dans une action visant à empêcher les défenderesses d’utiliser une certaine forme et un certain modèle de bouteille. La Cour a néanmoins conclu que [traduction] « l’enregistrement du dessin de la défenderesse aurait dû être refusé », car « [elle n’avait] jamais vu deux dessins aussi semblables » (à la p 438). Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a déclaré que [traduction] « le critère ne s’applique pas lorsque les dessins sont l’un à côté de l’autre, mais lorsqu’ils sont séparés l’un de l’autre; il est impossible de les différencier » (à la p 438).

[111] Cela dit, la décision Jones est courte (moins de deux pages). Par exemple, la Cour ne traite pas de la question de savoir selon quel point de vue il faut évaluer la [traduction] « ressemblance » des objets en cause, c’est-à-dire selon celui du consommateur ayant un « souvenir imparfait », ce que les demanderesses font valoir dans la décision Bodum (au para 73), ou selon celui du « consommateur averti », ce que notre Cour a retenu dans la jurisprudence plus récente, notamment les décisions Bodum et AFX. J’estime que ce ne sont pas nécessairement des points de vue mutuellement exclusifs. La question du souvenir imparfait est pertinente, à mon avis, dans les affaires qui portent sur des dessins protégés à la fois en tant que dessins industriels et en tant que marques de commerce, par exemple des marques à trois dimensions. Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce.

[112] Dans les circonstances, je conclus qu’une analyse comparative effectuée du point de vue du consommateur averti doit faire intervenir, à tout le moins, un consommateur qui connaît le domaine du marché et tenir compte de la portée de la protection : art 11(2) de la Loi.

[113] En outre, « les dessins industriels revendiquent le dessin dans son ensemble par opposition à une partie de ceux-ci » : Bodum, précitée, au para 50. En d’autres termes, ce sont les dessins dans leur ensemble qui doivent être comparés (c’est-à-dire le dessin 939 et la chaussure Fleece Dawgs). Lorsque, comme en l’espèce, l’accent est mis sur l’ensemble du dessin, pour que l’on conclue à la contrefaçon, l’objet prétendument contrefait doit être quasi identique : AFX, précitée, au para 89, renvoyant à Bodum, précitée, au para 50.

[114] Après avoir examiné le dessin 939 et la chaussure Fleece Dawgs dans leur ensemble, notamment les points de distinction relevés par la défenderesse, je ne suis pas convaincue que la chaussure est suffisamment différente du dessin 939 pour m’empêcher de conclure à la contrefaçon. Autrement dit, je conclus qu’ils ne sont pas très différents, surtout, à mon avis, lorsqu’ils sont examinés dans le contexte de la protection étendue à laquelle j’estime que le dessin 939 a droit, comme je l’explique ci-dessous. Je suis d’avis qu’il s’agit en l’espèce d’une situation où l’on [traduction] « pourrait relever un grand nombre de différences et néanmoins arriver à la conclusion que les dessins sont identiques » : Rollason’s Registered Designs, 15 RPC 441 à la p 447, cité dans Lewis Falk, Ld v Jacobwitz (1944), 61 RPC 116 à la p 124.

[115] Je suis d’accord avec l’expert des demanderesses, M. Whatley, que le dessin 939 et la chaussure Fleece Dawgs sont [traduction] « quasiment identiques », à part quelques éléments décoratifs légèrement différents. En effet, ils ont en commun les principales caractéristiques qu’on ne retrouve pas dans l’art antérieur invoqué, c’est-à-dire la forme générale, la doublure en molleton qui se replie sur elle-même pour former le col, les rivets décoratifs et la doublure visible à travers les ouvertures de la taille d’un bout de doigt sur la bande ou l’empeigne sur le dessus de la chaussure, à l’avant. À mon avis, le fait que les ouvertures sont de forme différente ou qu’il y en a une ou deux de moins sur l’empeigne du sabot Fleece Dawgs est un exemple de différence négligeable.

[116] Je suis également d’accord avec M. Whatley que les différences invoquées par la défenderesse sont de [traduction] « petites choses » de l’ordre du détail. À mon avis, il s’agit d’un bon exemple de « l’arbre qui cache la forêt ». Plus haut dans les présents motifs, je souscris à l’affirmation de M. Whatley selon laquelle le dessin 939 constituait une innovation dans le sous-domaine nouveau, et donc peu exploité, de l’esthétique de la chaussure et qu’il était original sur le plan de l’apparence générale, rien de semblable n’ayant existé auparavant sur le marché. J’estime donc, comme je le mentionne précédemment, que le dessin 939 a droit à une protection très étendue. Compte tenu de la portée de la protection, je suis d’avis que les points de distinction invoqués par la défenderesse sont insuffisants pour m’empêcher de conclure que le dessin de la chaussure Fleece Dawgs constitue une contrefaçon du dessin 939.

(4) Les demanderesses ont droit à une restitution des profits perçus par la défenderesse; l’analyse des profits faite par la défenderesse et les états financiers justificatifs sont irrecevables

a) Restitution des profits

[117] Comme je conclus que Double Diamond a contrefait le dessin 939, je juge que les demanderesses ont droit aux profits que la défenderesse a tirés des ventes de ses chaussures Fleece Dawgs du 1er novembre 2014, soit trois ans avant que les demanderesses intentent leur action, au 30 décembre 2018, soit la date d’expiration du dessin 939. L’article 18 de la Loi porte qu’une action en violation se prescrit par trois ans à compter de celle-ci.

[118] Le montant des ventes brutes totales de produits Fleece Dawgs reconnues par la défenderesse pour la période visée s’élève à 649 779,17 $ et est ainsi réparti :

2014

2015

2016

2017

2018

51 963,17 $ (c.-à-d. 1/6e de 311 779 $)

162 647 $

167 301 $

189 654 $

78 214 $

Ces montants, ainsi que le montant combiné des ventes brutes totales mentionné au paragraphe 5 ci-dessus, sont fondés sur les renseignements contenus dans l’exposé des faits admis décrit de façon plus détaillée ci-après.

[119] Pour les motifs suivants, je juge que Double Diamond ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir les dépenses déductibles. Dans les circonstances, je conclus que, puisqu’elles ont choisi la restitution des profits perçus par la défenderesse, au lieu des dommages-intérêts, les demanderesses ont droit à la somme de 649 779,17 $. Bien que les mesures de réparation en equity soient discrétionnaires et que les demanderesses ne puissent pas choisir de plein droit d’obtenir la restitution des profits, j’estime qu’en l’espèce, la défenderesse n’a pas démontré l’existence d’un obstacle à l’obtention de la mesure de réparation en equity sollicitée par les demanderesses : Apotex Inc. c Bristol-Myers Squibb Co., 2003 CAF 263 au para 14.

[120] De plus, contrairement à ce qu’a fait valoir la défenderesse, je ne suis pas convaincue que les demanderesses devaient établir qu’elles avaient subi des préjudices en raison des activités de contrefaçon de la défenderesse. La défenderesse n’a mentionné aucune jurisprudence à l’appui de cette affirmation. La Cour d’appel fédérale déclare plutôt que seul un lien de causalité doit être établi entre la présence d’une violation et l’enrichissement injustifié qui en découle et qu’un juge de première instance ne commet pas d’erreur en accordant une restitution des profits en l’absence de motifs convaincants : Philip Morris Products S.A. c Marlboro Canada Limitée, 2016 CAF 55 aux para 17-18. Compte tenu de l’absence de motifs convaincants dans l’affaire dont je suis saisie, je ne suis pas disposée à refuser le choix des demanderesses d’obtenir la restitution des profits.

b) Analyse des profits réalisée par la défenderesse et états financiers justificatifs

[121] Je suis d’accord avec les demanderesses que le document 76 révisé est une preuve par ouï-dire irrecevable et que la défenderesse n’a pas établi sa fiabilité. Je juge également irrecevables les états financiers justificatifs à partir desquels le document a été préparé.

[122] Comme je le mentionne plus haut, M. Mann a été de nouveau appelé à témoigner au procès dans le seul but de présenter le document 76 révisé, qui faisait partie des éléments de preuve produits par la défenderesse, mais pas de son témoignage principal. Le document a été présenté aux fins d’identification, et les parties ont débattu de sa recevabilité.

[123] Je fais remarquer qu’au départ, le document 76 révisé faisait partie des éléments que les demanderesses proposaient de consigner en preuve et qu’elles avaient signifiés à la défenderesse. Les demanderesses soutiennent toutefois que le document a été omis dans les éléments qui ont finalement été consignés en preuve au procès, en raison des faits entre-temps admis par la défenderesse concernant ses ventes brutes attribuables aux produits Fleece Dawgs pour les années visées. Les états financiers justificatifs ne figuraient dans aucun des éléments que les parties proposaient de consigner en preuve ni dans les éléments finalement consignés en preuve au procès.

[124] Au moment de signifier à la défenderesse les éléments qu’elles proposaient de consigner en preuve, les demanderesses ont indiqué clairement qu’il ne s’agissait pas d’un engagement à déposer tous les éléments et que ceux-ci étaient susceptibles de changer au procès en fonction des éléments de preuve produits par la défenderesse. De plus, dans son ordonnance datée du 21 juillet 2021, la juge responsable de la gestion de l’instance, Mme Tabib, a déterminé qu’il incombait à la défenderesse d’établir le coût de ses ventes ou les déductions autorisées ainsi qu’aux demanderesses de démontrer les recettes ou le produit des ventes tirés des produits contrefaits.

[125] Au procès, la défenderesse a toutefois expliqué qu’elle s’attendait à ce que tous les éléments que les demanderesses proposaient de consigner en preuve le soient. Je suis d’avis que la défenderesse s’est essentiellement fiée aux demanderesses pour pouvoir faire valoir sa thèse concernant ses déductions autorisées, ce qui, avec le recul, n’était pas prudent.

[126] La défenderesse soutient que, comme les demanderesses se sont appuyées sur le document 76 révisé concernant ses ventes brutes, la Cour devrait pouvoir s’en servir pour examiner les dépenses applicables. Au contraire, j’estime que ce sont plutôt les demanderesses qui se sont appuyées sur les aveux faits par la défenderesse au sujet des ventes brutes en réponse à la demande d’aveux de Crocs, comme il est expliqué dans l’exposé des faits admis, qui comprend la pièce 3 déposée au procès. Nul ne conteste que les ventes brutes de la défenderesse ont été admises.

[127] De plus, l’exposé des faits admis ne contient aucun aveu ni commentaire au sujet des dépenses alléguées de la défenderesse attribuables aux chaussures Fleece Dawgs. Quant au fardeau de preuve de la défenderesse, j’estime qu’il aurait été judicieux, dans les circonstances, que cette dernière produise des éléments de preuve relatifs à ces dépenses. La défenderesse a plutôt compté, à tort, sur les demanderesses pour qu’elles suivent la ligne de conduite qu’elles avaient proposée, alors qu’elles n’étaient pas tenues de le faire. La défenderesse a donc dû se démener pour trouver comment faire face à la situation vers la fin du procès, une fois que M. Mann avait fini de témoigner, alors qu’elle n’avait prévu aucun autre témoin pertinent, outre son fabricant de Chine.

[128] Même si ce qui s’est produit au procès en lien avec le document 76 révisé aurait pu être évité dans une certaine mesure si, avant le début du procès, les demanderesses avaient informé la défenderesse du changement apporté aux éléments consignés en preuve, je ne suis pas convaincue que les demanderesses en avaient l’obligation dans les circonstances. Plus précisément, je ne souscris pas à l’observation faite au procès par la défenderesse selon laquelle les demanderesses devaient satisfaire à une exigence implicite de préavis étant donné qu’elles n’avaient aucunement mentionné [traduction] « l’absence de préavis ». La défenderesse n’a invoqué aucune jurisprudence à l’appui de cette observation. Je ne puis donc accéder à la demande de la défenderesse de réprimander les avocats des demanderesses.

[129] Quoi qu’il en soit, les éléments de preuve produits au procès démontrent que le document 76 révisé a été préparé par Tim Ducie. M. Mann se souvient que M. Ducie a préparé le document 76 révisé pour les besoins de la présente action en se référant aux systèmes comptables et aux états financiers internes. M. Mann n’a pas préparé ces états financiers.

[130] Je conclus que le document 76 révisé est une preuve par ouï-dire irrecevable. Manifestement, Double Diamond tente de s’appuyer sur ce document pour établir la véracité de son contenu, puisqu’elle n’a appelé aucun autre témoin, pas même la personne l’ayant préparé. M. Mann n’a pas expliqué pourquoi M. Ducie n’a pas été appelé à témoigner, outre le fait que ce dernier occupait un emploi.

[131] En outre, aucun élément de preuve n’établit que le document 76 révisé a été préparé dans le « cours ordinaire des affaires », plutôt que pour les besoins du litige, et qu’il satisfait ainsi les critères d’admission en preuve des « pièces commerciales », en application de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5. (Cet article n’a pas été modifié au cours de l’instance.) De plus, je conclus que les demanderesses ont suffisamment démontré, grâce au contre-interrogatoire de M. Mann au sujet du document 76 révisé, le peu de fiabilité des renseignements communiqués dans le document préparé à l’aide des états financiers justificatifs de Double Diamond, de sorte que la conclusion d’irrecevabilité est justifiée dans les circonstances.

[132] Double Diamond fait valoir que, si le document 76 révisé est jugé irrecevable, les états financiers admis peuvent alors servir à établir les dépenses à déduire des ventes. Je fais remarquer que la défenderesse présente cet argument malgré l’objection qu’elle a soulevée au procès lorsque les demanderesses ont mentionné les états financiers au cours du contre-interrogatoire de M. Mann concernant le document 76 révisé. Dans ma conclusion sur les paramètres suivant lesquels M. Mann serait de nouveau appelé à témoigner, j’ai indiqué que les demanderesses auraient le droit de mener un contre-interrogatoire complet au sujet du document et j’ai précisé que les états financiers justificatifs pourraient alors y être mentionnés.

[133] Quoi qu’il en soit, en contre-interrogatoire, M. Mann a confirmé que les états financiers n’ont pas été audités et qu’ils ne présentent pas de ventilation des ventes ni des frais et des dépenses pour chaque produit. À mon avis, cela pourrait expliquer, du moins en partie, les contradictions entre les données contenues dans les états financiers et les renseignements censés en être tirés figurant dans le document 76 révisé. De plus, les personnes ayant préparé les états financiers n’ont pas été appelées à témoigner de manière à ce que la fiabilité des états financiers puisse être évaluée au procès.

[134] Je conclus donc que le contre-interrogatoire que les demanderesses ont mené auprès de M. Mann met en évidence le manque de fiabilité des états financiers justificatifs de Double Diamond. Cela dit, même si je les admettais en preuve, je jugerais qu’ils ont une faible valeur probante et je leur accorderais peu de poids dans les circonstances.

(5) L’action n’est ni vexatoire, ni abusive, ni frivole

[135] Étant donné que les demanderesses ont obtenu gain de cause dans leur action, je conclus que l’action n’est ni vexatoire, ni abusive, ni frivole.

(6) La conclusion d’absence de contrefaçon en raison du temps qu’ont mis les demanderesses à intenter l’action ne peut être tirée, et les demanderesses ne sont pas privées de leur droit à une mesure de réparation

[136] Je suis d’avis que le temps que la défenderesse elle-même a pris avant de soulever cette question, au détriment des demanderesses, fait en sorte que je ne puis tirer la conclusion qu’elle me demande tardivement de tirer.

[137] Au procès, la défenderesse a soutenu pour la première fois au cours de la présente instance que le temps qu’ont mis les demanderesses à intenter l’action, environ neuf ans après le lancement de la chaussure Fleece Dawgs au Canada, me permet de conclure que Crocs a implicitement reconnu que Double Diamond n’a pas contrefait le dessin 939. La défenderesse n’a pas averti les demanderesses qu’elle demanderait une telle conclusion. Par conséquent, les demanderesses n’ont pas eu l’occasion d’examiner la question au moyen d’éléments de preuve et, plus particulièrement, à l’étape de l’interrogatoire préalable. Comme notre Cour l’a fait remarquer précédemment, « le défendeur ne conteste habituellement pas le droit du demandeur de faire son choix, jusqu’au moment du plaidoyer oral » : Sandvik, A.B. c Windsor Machine Co, [1986] ACF no 133 [Sandvik] à la p 443.

[138] En raison du temps qu’elle a elle-même pris avant de soulever la question, c’est-à-dire seulement au procès, la défenderesse n’a effectivement pas donné l’occasion aux demanderesses de présenter des éléments de preuve susceptibles d’expliquer le temps qu’elles ont mis à intenter l’action : Sandvik, précitée, aux p 443-444. Dans les circonstances, je ne suis disposée ni à tirer la conclusion que la défenderesse me demande de tirer ni à conclure que les demanderesses n’ont pas droit aux mesures de réparation qu’elles demandent.

VII. Conclusion

[139] Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus donc en faveur de Crocs et rejette la demande reconventionnelle de Double Diamond.

[140] Dans les circonstances, les demanderesses ont droit à une déclaration selon laquelle la défenderesse a contrefait le dessin 939.

[141] De plus, j’accorde aux demanderesses la restitution des profits perçus par la défenderesse, à savoir 649 779,17 $, plus les intérêts avant jugement, uniquement jusqu’au 20 mars 2022, de 44 321,69 $.

[142] Des intérêts après jugement sont également adjugés aux demanderesses au taux de 5 % par année sur toutes les sommes dues par la défenderesse conformément au présent jugement et à ses motifs, ainsi qu’à tout jugement et motifs supplémentaires ou à toute ordonnance relative aux dépens.

VIII. Dépens

[143] Je conclus que les demanderesses ont droit aux dépens dans la présente action, payables par la défenderesse, à l’exception des dépens afférents aux requêtes ou aux autres étapes préalables au procès qui leur ont déjà été adjugés.

[144] Si elles ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, les parties pourront signifier et déposer des observations d’au plus cinq (5) pages, qu’elles joindront à leur mémoire des dépens, conformément au calendrier suivant : i) les demanderesses auront jusqu’au 15 novembre 2022, ii) la défenderesse aura jusqu’au 22 novembre 2022; et iii) les demanderesses auront jusqu’au 25 novembre 2022 pour présenter leurs observations en réponse.


JUGEMENT dans le dossier T-1662-17

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. L’action en contrefaçon intentée par les demanderesses et visant le dessin industriel no 120939 enregistré au Canada le 30 décembre 2008, intitulé SHOE, [dessin 939] est accueillie.

  2. La demande reconventionnelle en invalidité du dessin 939 présentée par la défenderesse est rejetée.

  3. Les demanderesses ont droit à la restitution des profits perçus par la défenderesse, à savoir 649 779,17 $, plus les intérêts avant jugement, uniquement jusqu’au 20 mars 2022, de 44 321,69 $.

  4. Des intérêts après jugement sont également adjugés aux demanderesses au taux de 5 % par année sur toutes les sommes dues par la défenderesse conformément au présent jugement et à ses motifs, ainsi qu’à tout jugement et motifs supplémentaires ou à toute ordonnance relative aux dépens.

  5. Les demanderesses ont droit aux dépens dans la présente action, payables par la défenderesse, à l’exception des dépens afférents aux requêtes ou aux autres étapes préalables au procès qui leur ont déjà été adjugés.

  6. Si elles ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, les parties pourront signifier et déposer des observations d’au plus cinq (5) pages, qu’elles joindront à leur mémoire des dépens, conformément au calendrier suivant : i) les demanderesses auront jusqu’au 15 novembre 2022, ii) la défenderesse aura jusqu’au 22 novembre 2022; et iii) les demanderesses auront jusqu’au 25 novembre 2022 pour présenter leurs observations en réponse.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos, jurilinguiste


Annexe A – Points de distinction allégués par la défenderesse

Entre le dessin 939 et les produits Fleece Dawgs

  1. La forme des ouvertures d’aération sur le dessus de la chaussure Fleece Dawgs diffère de celle des ouvertures illustrées dans le dessin de Crocs.

  2. La taille des ouvertures d’aération sur le dessus de la chaussure Fleece Dawgs diffère de celle des ouvertures illustrées dans le dessin de Crocs.

  3. Le nombre d’ouvertures d’aération sur le dessus de la chaussure Fleece Dawgs diffère du nombre d’ouvertures illustrées dans le dessin de Crocs.

  4. La position des ouvertures d’aération sur le dessus de la chaussure Fleece Dawgs diffère de celle des ouvertures illustrées dans le dessin de Crocs.

  5. Les ouvertures d’aération sur le dessus de la chaussure Fleece Dawgs sont positionnées selon un dessin bien précis. Elles forment un éventail de trois rangées : des ouvertures plus grandes de forme rectangulaire se trouvent sur la rangée extérieure; des ouvertures plus petites de même forme se trouvent sur la rangée du milieu et une seule ouverture en forme de D se trouve sous la rangée du milieu et sert de point visuel central à l’éventail. Vues du dessus, les ouvertures d’aération forment un éventail de forme asymétrique, et l’espace entre chaque ouverture de chaque rangée est le même. Les ouvertures d’aération illustrées dans le dessin de Crocs ne sont pas positionnées sur trois rangées (ou ne forment pas d’éventail) et elles semblent être placées au hasard.

  6. La chaussure Fleece Dawgs n’a pas, sur les côtés, des ouvertures d’aération, des indentations ou toute autre représentation qui donne l’impression d’ouvertures d’aération, tandis que le dessin de Crocs semble montrer des ouvertures d’aération sur les côtés ou, à tout le moins, des indentations ou des ouvertures remplies tout le tour de la partie avant de la chaussure, ce qui constitue une caractéristique importante.

  7. Les côtés de la chaussure Fleece Dawgs présentent un motif régulier tout le tour de la partie avant de la chaussure. Le dessin de Crocs n’a pas de motif à l’avant et ne pourrait vraisemblablement pas avoir de motif régulier, car n’importe quel motif serait interrompu par au moins sept éléments en forme de trapèze (qui sont soit des ouvertures sur les côtés, soit des indentations qui donnent l’impression d’ouvertures remplies) qui empiéteraient sur un motif particulier, sur les côtés.

  8. Il ne serait pas non plus possible d’intégrer au dessin de Crocs le même motif que celui qui figure sur la chaussure Fleece Dawgs, car la partie des côtés de la chaussure Fleece Dawgs où se trouvent les rangées de points en relief est beaucoup plus étroite que celle des côtés qui est représentée dans le dessin de Crocs.

  9. Le nombre, la taille et la position des stries et des parties lisses diffèrent entre la chaussure de Crocs et la chaussure Fleece Dawgs – par exemple, le dessin de Crocs illustre au moins six rangées de stries étroites qui font tout le tour de la partie avant de la chaussure, tandis que la chaussure Fleece Dawgs présente quatre stries plus larges.

  10. Certaines représentations du dessin de Crocs montrent que plusieurs stries et des parties lisses font tout le tour de la chaussure (par exemple la figure 1). Sur la chaussure Fleece Dawgs, les rangées de points en relief à l’avant de la chaussure se terminent environ à mi-chemin entre l’avant et l’arrière de la chaussure.

  11. Selon la figure 1 du dessin de Crocs, sous le molleton, vers l’arrière de la chaussure (le côté droit de la figure), plusieurs rangées de stries et des parties lisses sont visibles. Sur la chaussure Fleece Dawgs, seules des rangées de points en relief sont visibles sous le molleton, sur la même partie de la chaussure.

  12. Sous le molleton à l’arrière de la chaussure représentée dans le dessin de Crocs (par exemple la figure 3) apparaissent deux parties lisses. Sur la chaussure Fleece Dawgs se trouvent des points en relief directement sous la doublure en molleton, à l’arrière de la chaussure, et il y a toujours plus de trois et jusqu’à huit rangées de points en relief visibles.

  13. La fourrure présentée dans le dessin de Crocs semble avoir une texture différente de celle du molleton utilisé dans la chaussure Fleece Dawgs. La fourrure dans le dessin de Crocs semble beaucoup moins fine que le molleton utilisé dans la chaussure Fleece Dawgs.

  14. La taille et la position du molleton et de la fourrure diffèrent entre le dessin de Crocs et la chaussure Fleece Dawgs. Par exemple, lorsqu’on l’observe sous le même angle que la figure 1 du dessin de Crocs, le molleton de la chaussure Fleece Dawgs descend plus bas et couvre une partie beaucoup plus grande du talon de la chaussure que la fourrure présentée dans la figure 1 du dessin de Crocs.

  15. Le bout de la chaussure représentée dans le dessin de Crocs est surélevé (par exemple la figure 2), tandis que le bout de la chaussure Fleece Dawgs ne l’est pas. Plus précisément, la figure 2 du dessin de Crocs montre que le bout surélevé commence plus vers le centre de la chaussure, de sorte que beaucoup de lignes sur la semelle sont visibles sous cet angle, tandis que, sur la chaussure Fleece Dawgs, les lignes sur la semelle ne sont pas aussi visibles.

  16. Le talon de la chaussure représentée dans le dessin de Crocs est surélevé en angle. La chaussure Fleece Dawgs n’est pas dotée de ce même talon surélevé.

  17. Les figures 4 et 5 du dessin de Crocs montrent que, vers l’arrière de la chaussure, une partie lisse est présente sous le col en fourrure et que cette partie va jusqu’à l’arrière de la chaussure. La chaussure Fleece Dawgs n’est pas dotée de cette partie lisse qui va jusqu’à l’arrière de la chaussure.

  18. Les figures 4 et 5 du dessin de Crocs montrent que l’angle sous la chaussure, près du talon, surélève le talon. La chaussure Fleece Dawgs n’a pas cet angle sous la chaussure, près du talon. Le talon sur la chaussure Fleece Dawgs est arrondi dans cette zone dépourvue d’angles, et le motif des points en relief sur la chaussure Fleece Dawgs n’est pas interrompu si la chaussure est observée sous les mêmes angles que les figures 4 et 5 du dessin de Crocs.

  19. La chaussure Fleece Dawgs n’a aucune de ces caractéristiques. Elle présente plutôt une série continue de points en relief autour de la partie arrière. Le dessin de Crocs illustre plusieurs parties distinctes du dessous gauche et droit de l’arrière de la chaussure (représentées à la figure 3).

  20. Sur le molleton à l’arrière de la chaussure Fleece Dawgs se trouve le logo « Dawgs » bien visible. Le dessin de Crocs ne montre aucun logo sur aucune partie du molleton.

  21. La position de la partie visible des rivets en forme de champignon sur la chaussure Fleece Dawgs diffère de celle présentée à la figure 1 du dessin de Crocs. À la figure 1 du dessin de Crocs, le rivet est placé beaucoup plus haut sur la chaussure, de sorte qu’une partie lisse et plusieurs stries et parties lisses se trouvent sous le rivet.

  22. La partie visible des rivets en forme de champignon sur la chaussure Fleece Dawgs affiche le logo « Dawgs ». Le dessin de Crocs ne montre aucun logo.

  23. La chaussure représentée dans le dessin de Crocs est dotée de stries distinctes qui séparent en plusieurs sections la partie supérieure avant du dessus de la chaussure. Par exemple, le brevet montre des stries qui séparent la partie supérieure avant du dessus de la chaussure en cinq sections distinctes, lesquelles sont représentées aux figures 1, 2, 4, 5 et 6. C’est particulièrement évident lorsque l’on regarde la chaussure d’en haut. La même partie de la chaussure Fleece Dawgs est lisse et n’est pas dotée de stries ou divisée en sections.

  24. La semelle extérieure de la chaussure Fleece Dawgs et celle de la chaussure représentée dans le dessin de Crocs sont différentes. Sur la chaussure Fleece Dawgs, le motif de la semelle est divisé en trois rangées de petits crampons sur lesquels se trouvent des reliefs en forme de Y pour adhérer au sol. Le dessin de Crocs montre deux rangées de petits crampons sous forme de lignes pointillées.

  25. Selon le dessin de Crocs, le centre de la semelle extérieure est dépourvu de marquage ou de lignes. Le centre de la semelle de la chaussure Fleece Dawgs présente des mots apparaissant en relief (notamment la taille de la chaussure et le pays de fabrication) ainsi qu’une section ovale enfoncée.


Annexe B – Dispositions applicables

Loi sur les dessins industriels, LRC 1985, c I-9
Industrial Design Act, RSC 1985, c I-9

Version antérieure : en vigueur entre le 18 déc. 2001 et le 4 nov. 2018
Past version: in force between Dec 18, 2001 and Nov 4, 2018

Définitions

Interpretation

Définitions

Definitions

dessin Caractéristiques ou combinaison de caractéristiques visuelles d’un objet fini, en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs. (design or industrial design)

design or industrial design means features of shape, configuration, pattern or ornament and any combination of those features that, in a finished article, appeal to and are judged solely by the eye; (dessin)

variantes Dessins s’appliquant au même objet ou ensemble et ne différant pas de façon importante les uns des autres. (variants)

variants means designs applied to the same article or set and not differing substantially from one another. (variantes)

Dessins industriels

Industrial Designs

Enregistrement

Registration

Limites et protection

Restriction on protection

5.1 Les caractéristiques résultant uniquement de la fonction utilitaire d’un objet utilitaire ni les méthodes ou principes de réalisation d’un objet ne peuvent bénéficier de la protection prévue par la présente loi.

5.1 No protection afforded by this Act shall extend to

 

(a) features applied to a useful article that are dictated solely by a utilitarian function of the article; or

Enregistrement du dessin

Registration of design

6 (1) Si le ministre trouve que le dessin n’est pas identique à un autre dessin déjà enregistré ou qu’il n’y ressemble pas au point qu’il puisse y avoir confusion, il l’enregistre et remet au propriétaire une esquisse ou une photographie ainsi qu’une description en même temps que le certificat prescrit par la présente partie.

6 (1) The Minister shall register the design if the Minister finds that it is not identical with or does not so closely resemble any other design already registered as to be confounded therewith, and shall return to the proprietor thereof the drawing or photograph and description with the certificate required by this Part.

Le certificat fait foi de son contenu

Certificate to be evidence of contents

7 (3) En l’absence de preuve contraire, le certificat est une attestation suffisante du dessin, de son originalité, du nom du propriétaire, du fait que la personne dite propriétaire est propriétaire, de la date et de l’expiration de l’enregistrement, et de l’observation de la présente loi.

7 (3) The certificate, in the absence of proof to the contrary, is sufficient evidence of the design, of the originality of the design, of the name of the proprietor, of the person named as proprietor being proprietor, of the commencement and term of registration, and of compliance with this Act.

Droit exclusif

Exclusive Right

Droit exclusif

Exclusive right

9 Le droit exclusif à la propriété d’un dessin industriel peut être acquis par l’enregistrement de ce dessin conformément à la présente partie.

9 An exclusive right for an industrial design may be acquired by registration of the design under this Part.

Usage sans autorisation

Using design without licence

11 (1) Pendant l’existence du droit exclusif, il est interdit, sans l’autorisation du propriétaire du dessin :

11 (1) During the existence of an exclusive right, no person shall, without the licence of the proprietor of the design,

a) de fabriquer, d’importer à des fins commerciales, ou de vendre, de louer ou d’offrir ou d’exposer en vue de la vente ou la location un objet pour lequel un dessin a été enregistré et auquel est appliqué le dessin ou un dessin ne différant pas de façon importante de celui-ci;

(a) make, import for the purpose of trade or business, or sell, rent, or offer or expose for sale or rent, any article in respect of which the design is registered and to which the design or a design not differing substantially therefrom has been applied; or

[…]

Différences importantes

Substantial differences

(2) Pour l’application du paragraphe (1), il peut être tenu compte, pour déterminer si les différences sont importantes, de la mesure dans laquelle le dessin enregistré est différent de dessins publiés auparavant.

(2) For the purposes of subsection (1), in considering whether differences are substantial, the extent to which the registered design differs from any previously published design may be taken into account.

Action pour violation d’un droit exclusif

Action for Infringement

Prescription

Limitation

18 L’action en violation se prescrit par trois ans à compter de celle-ci.

18 No remedy may be awarded for an act of infringement committed more than three years before the commencement of the action for infringement.

Règlement sur les dessins industriels, DORS/99-460
Industrial Design Regulations, SOR/99-460

Version antérieure : en vigueur entre le 26 sept. 2014 et le 5 nov. 2018
Past version: in force between Sep 26, 2014 and Nov 5, 2018

Demandes

Applications

10 (1) La demande vise un seul dessin — s’appliquant à un seul objet ou ensemble — ou des variantes.

10 (1) An application must relate to one design applied to a single article or set, or to variants.

(2) Lorsque la demande n’est pas conforme au paragraphe (1), le demandeur ou son mandataire la limite à un seul dessin — s’appliquant à un seul objet ou ensemble — ou à des variantes.

(2) If an application does not comply with subsection (1), the applicant or their agent must limit the application to one design applied to a single article or set, or to variants.

(3) Tout autre dessin divulgué dans la demande visée au paragraphe (2) peut faire l’objet d’une demande distincte, si celle-ci est accompagnée des droits applicables prévus à la colonne 2 de l’article 1 de l’annexe 2.

(3) Any other design disclosed in the application referred to in subsection (2) may be made the subject of a separate application, if it is accompanied by the applicable fees set out in column 2 of item 1 of Schedule 2.

Loi sur la preuve au Canada (LRC 1985, c C-5)
Canada Evidence Act (RSC 1985, c C-5)

Version antérieure : en vigueur entre le 12 juil. 2019 et le 19 juin 2022
Past version: in force between Jul 12, 2019 and Jun 19, 2022

Preuve documentaire

Documentary Evidence

Les pièces commerciales peuvent être admises en preuve

Business records to be admitted in evidence

30 (1) Lorsqu’une preuve orale concernant une chose serait admissible dans une procédure judiciaire, une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des renseignements sur cette chose est, en vertu du présent article, admissible en preuve dans la procédure judiciaire sur production de la pièce.

30 (1) Where oral evidence in respect of a matter would be admissible in a legal proceeding, a record made in the usual and ordinary course of business that contains information in respect of that matter is admissible in evidence under this section in the legal proceeding on production of the record.

Règles des Cours fédérales (DORS/98-106)
Federal Courts Rules (SOR/98-106)

Témoins experts

Expert Witnesses

Objection au témoin expert

Objection to expert

52.5 (1) La partie à une instance soulève, le plus tôt possible en cour d’instance, toute objection quant à l’habilité à témoigner du témoin expert de la partie adverse.

52.5 (1) A party to a proceeding shall, as early as possible in the proceeding, raise any objection to an opposing party’s proposed expert witness that could disqualify the witness from testifying.

Façon de soulever une objection

Manner of raising objection

(2) L’objection peut être soulevée, selon le cas :

(2) An objection may be raised

a) par la signification et le dépôt d’un document contenant les détails et le fondement de l’objection ;

(a) by serving and filing a document containing the particulars of and basis for the objection; or

b) conformément au paragraphe 262(2) ou au sous-alinéa 263c)(i), si, à l’instruction d’une action, elle était connue avant la conférence préparatoire.

(b) in accordance with subsection 262(2) or subparagraph 263(c)(i) if, in the case of an action, the objection is known prior to the pre-trial conference.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1662-17

 

INTITULÉ :

CROCS CANADA INC. ET CROCS INC. c DOUBLE DIAMOND DISTRIBUTION LTD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 14 au 18 mars 2022 et le 21 mars 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 octobre 2022

 

COMPARUTIONS :

Alexander Gloor

Erin Creber

Jenny Thistle

 

Pour les demanderesses
(défenderesses reconventionnelles)

 

Tom C. Stepper

 

Pour la défenderesse
(demanderesse reconventionnelle)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alexander Gloor

Erin Creber

Jenny Thistle

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Pour les demanderesses
(défenderesses reconventionnelles)

 

Tom C. Stepper

Professional Corporation

Calgary (Alberta)

 

Pour la défenderesse
(demanderesse reconventionnelle)

 

 

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