Date : 20180409
Dossier : IMM-1993-17
Référence : 2018 CF 381
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 9 avril 2018
En présence de monsieur le juge Gleeson
ENTRE :
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DRAGINJA SEKULARAC
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
La demanderesse, Mme Draginja Sekularac, est une citoyenne de la Serbie. Elle et son époux ont été parrainés par leur fille afin d’obtenir la résidence permanente au Canada.
[2]
La République fédérale de Yougoslavie et la République de Serbie ont été désignées par le ministre de la Sécurité publique, en application de l’alinéa 35(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), comme des régimes ayant commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité de février 1998 à octobre 2000. Durant cette période, l’époux de Mme Sekularac travaillait pour Prva Iskra, une entreprise qui fabrique, entre autres, des explosifs.
[3]
Mme Sekularac a été déclarée interdite de territoire conformément à l’alinéa 42(1)a) de la LIPR. L’agent a conclu que son époux, détenant le grade de lieutenant‑colonel dans la hiérarchie militaire entre février 1998 et mars 2000, occupait un poste de rang supérieur au sein d’un gouvernement qui « s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre »
conformément à l’alinéa 35(1)b) de la LIPR.
[4]
Mme Sekularac introduit la présente demande de contrôle judiciaire en déclarant que la décision de rejeter sa demande de visa de résidente permanente était fondée sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire. Elle soutient que : 1) le grade militaire de son époux était un grade honorifique; 2) il n’a occupé aucun poste au sein de la structure militaire de la République fédérale de Yougoslavie; 3) à l’exception d’une période de service militaire obligatoire en 1972 et 1973, alors qu’il était soldat, il était employé à titre de membre civil; 4) durant la grande partie de sa carrière, il a travaillé à titre d’ingénieur mécanique; 5) il n’était pas impliqué dans la fabrication d’armes ou d’explosifs; et 6) il a été retiré de ses fonctions de directeur et d’ingénieur auprès de l’entreprise d’État Prva Iskra en 1996, avant la période désignée.
[5]
Le défendeur note que : 1) l’époux de Mme Sekularac détenait le grade de lieutenant-colonel au sein des forces militaires serbes de 1996 à 2002; 2) il travaillait pour Prva Iskra; 3) le site Web de Prva Iskra décrit le rôle de l’entreprise comme étant un fournisseur d’explosifs utilisés dans le domaine de la défense; 4) les transcriptions des témoignages recueillis par le Tribunal pénal international pour l’ancienne Yougoslavie (TPI-y) comprennent des références à un certain lieutenant‑colonel Sekularac, et le décrivent comme un militaire et directeur de Prva Iskra. Le défendeur soutient qu’en se fondant sur cet élément de preuve, l’agent a raisonnablement conclu que Mme Sekularac était interdite de territoire conformément à l’alinéa 42(1)a) de la LIPR, puisque son époux occupait un poste de rang supérieur au sein d’un gouvernement qui « s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre »
.
II.
Question préliminaire – l’intitulé
[6]
La demanderesse a nommé le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté comme le défendeur en l’espèce. Le défendeur approprié est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, au paragraphe 5(2), et Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, au paragraphe 4(1)). En conséquence, le défendeur figurant à l’intitulé est modifié et remplacé par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.
III.
Dispositions législatives applicables
[7]
L’alinéa 35(1)b) de la LIPR prévoit qu’un agent de rang supérieur au sein d’un gouvernement qui, selon l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l’humanité ou un crime de guerre, est interdit de territoire au Canada :
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[8]
L’article 33 de la LIPR prévoit qu’un agent doit être convaincu que les faits et les éléments de preuve établissent des motifs raisonnables de croire qu’un individu occupe un poste de rang supérieur, afin de conclure qu’il est interdit de territoire en application de l’alinéa 35(1)b) :
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[9]
L’article 16 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR) décrit la façon d’interpréter l’expression « poste de rang supérieur »
, comme utilisée à l’alinéa 35(1)b) de la LIPR :
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[10]
L’alinéa 42(1)a) de la LIPR prévoit que les épouses ou époux des agents occupant un poste de rang supérieur qui sont interdits de territoire en application des articles 34, 35 ou 37 de la LIPR sont également interdits de territoire :
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[11]
L’article 23 du RIPR décrit plus en détail les circonstances dans lesquelles un membre de la famille sera interdit de territoire même s’il n’est pas accompagné de l’individu occupant un poste de rang supérieur :
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IV.
Question en litige
[12]
La seule question soulevée dans le cadre de la présente demande est de savoir si la décision de l’agent de refuser la demande de visa de résidence permanente de la demanderesse était raisonnable.
V.
Norme de contrôle
[13]
Les parties soutiennent que, et je suis d’accord, les constats d’interdiction de territoire au sens de l’alinéa 35(1)b) sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Mirosavljevic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 439, aux paragraphes 11 et 12 [Mirosavljevic]; Barac c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 566, au paragraphe 16).
VI.
Analyse
[14]
Mme Sekularac admet que son époux détenait le grade de lieutenant‑colonel en République fédérale de Yougoslavie et qu’il a conservé ce grade durant la période désignée par le ministre comme étant sous le joug d’un régime ayant commis des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre.
[15]
Les parties ne contestent pas que la jurisprudence de notre Cour enseigne également que : 1) le fait d’occuper un poste dont le rang se situe dans la moitié supérieure de la hiérarchie militaire est suffisant pour déterminer qu’une personne est « un haut gradé des forces armées »
; et 2) il n’est pas nécessaire d’analyser son influence sur l’exercice du pouvoir par son gouvernement (Mirosavljevic, aux paragraphes 23 à 25; Younis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1157, aux paragraphes 23, 25 et 26; Ali Al-Ani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 30, aux paragraphes 2 et 14 [Ali Al-Ani]).
[16]
Dans la décision Mirosavljevic, le juge Russel Zinn a examiné la structure des grades au sein de l’armée yougoslave (Mirosavljevic, au paragraphe 10). Dans cette affaire, le décideur s’est appuyé uniquement sur la structure des grades pour conclure que le grade de lieutenant‑colonel se situait dans la moitié supérieure de la hiérarchie militaire et ainsi, dans la moitié supérieure de l’armée yougoslave. Le juge Zinn a conclu qu’en l’absence de tout élément de preuve contraire, il s’agissait d’une interprétation raisonnable de la LIPR et du RIPR qui commande la déférence (Mirosavljevic, aux paragraphes 24 et 25).
[17]
Mme Sekularac prétend essentiellement que, contrairement à l’affaire Mirosavljevic, un élément de preuve contraire a été soumis à l’agent, et que le fait que l’agent n’en ait pas tenu compte et ne l’ait pas examinée rend la décision déraisonnable. Je ne puis partager ce point de vue.
[18]
L’argument de Mme Sekularac selon lequel son époux était en réalité un civil et que le grade détenu était simplement un titre honorifique n’est en l’espèce appuyé par aucun élément de preuve. Aucun élément de preuve n’a été soumis à l’agent pour démontrer qu’on attribuait des grades militaires honorifiques à des civils ou que ces derniers étaient promus à titre honorifique d’un grade à un autre en fonction de l’avancement de leur carrière civile. Comme l’a souligné l’agent, aucune explication n’a été donnée [traduction] « de l’origine d’une telle tradition militaire serbe selon laquelle un grade si élevé (ou honorifique) serait accordé à un civil »
.
[19]
En plus de souligner l’absence d’élément de preuve appuyant l’argument portant que l’attribution de grades honorifiques faisait partie de la tradition de la République fédérale de Yougoslavie, l’agent souligne également : 1) l’absence d’un carnet de service militaire malgré l’admission d’une période de service militaire; 2) le rôle principal de Prva Iskra comme fabricant d’explosifs comme le révèlent les recherches sur Internet; et 3) les références à un certain lieutenant‑colonel Sekularac dans les transcriptions de témoignages devant le TPI-y le décrivant comme militaire et directeur de Prva Iskra.
[20]
Mme Sekularac ne s’oppose pas au fait que l’agent s’appuie sur des renseignements trouvés au moyen de recherches parmi des sources ouvertes sur Internet, mais s’oppose aux conclusions tirées de ces renseignements. Les observations de Mme Sekularac à cet égard démontrent simplement son désaccord avec l’agent. Un simple désaccord avec l’interprétation de l’agent de renseignements relatifs au rôle de Prva Iskra ou du contenu des transcriptions du TPI-y ne rend pas cette interprétation déraisonnable. Dans les circonstances, il était raisonnable que l’agent tire la conclusion selon laquelle l’époux de Mme Sekularac, vu son grade militaire, occupait un poste de rang supérieur au sein du régime de l’ancienne Yougoslavie durant la période désignée.
[21]
Après avoir conclu raisonnablement que l’époux de Mme Sekularac occupait un poste de rang supérieur au sein du régime de l’ancienne Yougoslavie, le poste qu’il a occupé chez Prva Iskra de février 1998 à mars 2000 importe peu. Comme mentionné précédemment, la jurisprudence enseigne clairement que « lorsqu’il est établi que l’intéressé a occupé un poste de rang supérieur – au sens du règlement – au sein d’un régime désigné, il n’est pas nécessaire d’examiner sa capacité à influencer l’exercice du pouvoir par ce gouvernement »
. (Ali Al-Ani, au paragraphe 2).
VII.
Conclusion
[22]
La décision de la Section d’appel des réfugiés est transparente, justifiée et intelligible et elle appartient aux issues possibles acceptables fondées sur les faits et le droit. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[23]
Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale aux fins de certification et aucune question n’a été soulevée.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question n’est certifiée.
L’intitulé de la cause est modifié de façon à ce que le seul défendeur désigné soit le ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté;
« Patrick Gleeson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 3e jour d’octobre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-1993-17
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INTITULÉ :
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DRAGINJA SEKULARAC c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Calgary (Alberta)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 30 janvier 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE GLEESON
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DATE DES MOTIFS :
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LE 9 avril 2018
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COMPARUTIONS :
Michael Sherritt
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POUR LA DEMANDERESSE
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Maria Green
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
G. Michael Sherritt
Avocat
Calgary (Alberta)
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POUR LA DEMANDERESSE
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Procureur général du Canada
Calgary (Alberta)
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Pour le défendeur
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