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Date : 20240927


Dossiers : A-105-22

A-106-22

Référence : 2024 CAF 156

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LOCKE

LA JUGE WALKER

 

 

 

ENTRE :

 

MUNCHKIN, INC. et

MUNCHKIN BABY CANADA, LTD.

 

appelantes

 

et

 

ANGELCARE CANADA INC. et

EDGEWELL PERSONAL CARE CANADA ULC et

PLAYTEX PRODUCTS, LLC

 

intimées

 

Dossier : A-106-22

 

ET ENTRE :

 

ANGELCARE CANADA INC. et

EDGEWELL PERSONAL CARE CANADA ULC et

PLAYTEX PRODUCTS, LLC

 

appelantes

 

et

 

MUNCHKIN, INC. et

MUNCHKIN BABY CANADA, LTD.

 

intimées

Audience tenue à Ottawa (Ontario), les 4 et 5 juin 2024.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WALKER

 


Date : 20240927


Dossiers : A-105-22

A-106-22

Référence : 2024 CAF 156

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LOCKE

LA JUGE WALKER

 

 

ENTRE :

MUNCHKIN, INC. et

MUNCHKIN BABY CANADA, LTD.

appelantes

et

ANGELCARE CANADA INC. et

EDGEWELL PERSONAL CARE CANADA ULC et

PLAYTEX PRODUCTS, LLC

intimées

Dossier : A-106-22

ET ENTRE :

ANGELCARE CANADA INC. et

EDGEWELL PERSONAL CARE CANADA ULC et

PLAYTEX PRODUCTS, LLC

appelantes

et

MUNCHKIN, INC. et

MUNCHKIN BABY CANADA, LTD.

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LOCKE

I. Contexte

[1] Notre Cour est saisie de deux appels d’une décision unique de la Cour fédérale (2022 CF 507, le juge Yvan Roy, la décision en l’espèce), qui concernaient des allégations de contrefaçon de plusieurs brevets et de validité de plusieurs brevets. Les demanderesses, Angelcare Canada Inc., Edgewell Personal Care Canada ULC et Playtex Products, LLC (collectivement appelées « Angelcare » ci-après), ont allégué que les défenderesses, Munchkin, Inc. et Munchkin Baby Canada, Ltd. (collectivement appelées « Munchkin » ci-après), avaient contrefait ou contrefaisaient les six brevets canadiens suivants : no 2 686 128 (le brevet 128), no 2 640 384 (le brevet 384), no 2 855 159 (le brevet 159), no 2 936 421 (le brevet 421), no 2 936 415 (le brevet 415) et no 2 937 312 (le brevet 312). Pour sa part, Munchkin a nié la contrefaçon et a allégué que tous les brevets en cause étaient invalides pour divers motifs.

[2] Les brevets en cause concernent des seaux à couches et des cartouches à installer dans les seaux à couches. Les cartouches en cause ont une forme annulaire et contiennent des tubes ou des films en plastique flexibles qui sont distribués par l’ouverture centrale des parois annulaires pour recevoir les couches utilisées. Les couches ainsi enveloppées sont ensuite stockées dans les seaux.

[3] Après 35 jours d’audience, la Cour fédérale a rendu la décision en l’espèce, qui comprend plus de 500 paragraphes. Les diverses allégations de contrefaçon (concernant plusieurs générations de produits de Munchkin), ainsi que les diverses allégations d’invalidité (antériorité, évidence, portée excessive, caractère insuffisant, ambiguïté et absence d’utilité) ont été examinées dans la décision en l’espèce. La Cour fédérale a conclu que certains produits de Munchkin contrefaisaient certaines des revendications de brevet en cause et que la plupart des revendications en cause étaient valides. Fait important, la Cour fédérale a conclu que la responsabilité de Munchkin à l’égard de la contrefaçon s’étendait à Munchkin, Inc. (la société mère américaine de Munchkin Baby Canada, Ltd.).

[4] Dans le premier appel (dossier no A-105-22), Munchkin soutient que la Cour fédérale a commis une erreur à plusieurs égards dans ses conclusions concernant l’antériorité et l’évidence, ainsi que relativement à la responsabilité de Munchkin, Inc. à l’égard de la contrefaçon. Dans le deuxième appel (dossier no A-106-22), Angelcare soutient que la Cour fédérale a commis une erreur dans certaines de ses conclusions d’absence de contrefaçon du produit de quatrième génération de Munchkin. Les autres conclusions de la Cour fédérale ne sont pas contestées.

[5] Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que l’appel de Munchkin devrait être rejeté et que l’appel d’Angelcare devrait être accueilli.

II. Brevets en cause

[6] La demande pour le brevet 128 a été déposée le 2 mai 2008 et porte revendication d’une priorité fondée sur une demande de brevet américaine déposée le 4 mai 2007. La demande a été publiée le 13 novembre 2008 et le brevet 128 a été délivré le 8 janvier 2013. La demande pour le brevet 128 a été déposée par Playtex Products, Inc., mais le brevet 128 appartient maintenant à Angelcare Canada Inc. Le brevet 128 comprend 23 revendications, dont les revendications indépendantes 1 et 11.

[7] Les revendications du brevet 128 concernent des caractéristiques permettant (i) d’empiler les cartouches et (ii) d’éviter de placer les cartouches à l’envers dans les seaux à couches.

[8] Tous les autres brevets en cause (appelés les « brevets d’Angelcare » ci-après) sont interreliés, en ce sens que la demande pour le brevet 384 était la demande originale qui a servi de fondement à toutes les autres demandes, qui ont été déposées en tant que demandes divisionnaires en vertu de l’article 36 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4. En vertu du paragraphe 36(4), tous les brevets d’Angelcare ont la même date de dépôt, soit le 3 octobre 2008. De même, tous les brevets d’Angelcare portent revendication d’une priorité fondée sur une demande de brevet européenne déposée le 5 octobre 2007. Comme le brevet 128, tous les brevets d’Angelcare appartiennent maintenant à Angelcare Canada Inc. Les brevets d’Angelcare ont été délivrés aux dates suivantes :

Numéro de brevet

Date

2 640 384

9 septembre 2014

2 855 159

8 novembre 2016

2 936 421

11 avril 2017

2 936 415

4 avril 2017

2 937 312

11 avril 2017

[9] Le brevet 384 comprend 11 revendications, dont les revendications indépendantes 1 et 6. Le brevet 159 comprend 61 revendications, dont les revendications indépendantes 1, 21, 40, 51 et 52. Les brevets 421, 415 et 312 comprennent 19, 6 et 8 revendications, respectivement. Seule la revendication 1 est une revendication indépendante. Il semble que les brevets 415 et 312 ne soient plus en cause.

[10] Les revendications des brevets d’Angelcare toujours en litige définissent toutes un [traduction] « dégagement » dans une partie inférieure de l’ouverture centrale de la cartouche, qui vise à assurer la bonne orientation de la cartouche dans le seau à couches. Certaines de ces revendications concernent également un couvercle dans la partie supérieure de la cartouche.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[11] Les questions que Munchkin soulève dans son appel (dossier no A-105-22) sont les suivantes :

  1. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en définissant et en appliquant les connaissances générales courantes?

  2. La Cour fédérale a-t-elle appliqué le mauvais critère juridique dans son évaluation de la question de savoir si une divulgation antérieure à un tiers constituait une antériorité des brevets en cause?

  3. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en ne concluant pas que le brevet 128 était antérieur aux revendications des brevets d’Angelcare?

  4. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions concernant l’évidence?

  5. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que Munchkin, Inc. était responsable des activités de contrefaçon au Canada?

[12] Les questions qu’Angelcare soulève dans son appel (dossier no A-106-22) sont les suivantes :

  1. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de la revendication 6 du brevet 384 et de la revendication 1 du brevet 159?

  2. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que les cartouches de quatrième génération de Munchkin ne contreviennent ni aux revendications 9 et 10 du brevet 384 ni aux revendications 1, 16, 17, 18, 19 et 20 du brevet 159?

[13] La question de la norme de contrôle n’est pas sérieusement en litige. Les normes de contrôle sont définies dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 : les questions de droit sont examinées selon la norme de la décision correcte, et les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit, lorsqu’aucune question de droit ne peut être isolée, sont examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. L’erreur manifeste est l’erreur qui est évidente. Une erreur dominante est une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire.

IV. Questions en litige dans le premier appel (dossier no A-105-22)

[14] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, Munchkin soulève un certain nombre de questions dans le premier appel. Ces questions sont examinées dans les sections suivantes.

A. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en définissant et en appliquant les connaissances générales courantes?

[15] Les brevets doivent être lus et interprétés du point de vue de la personne versée dans l’art, y compris toutes ses connaissances générales courantes (CGC). Ces connaissances sont pertinentes pour interpréter les revendications de brevet en cause, ainsi que pour déterminer si ces revendications satisfont à certaines exigences de validité.

[16] Bien que Munchkin ne conteste pas les propos tenus par la Cour fédérale au sujet de la personne versée dans l’art, y compris la déclaration au paragraphe 376 de la décision en l’espèce selon laquelle, même si elle n’est pas inventive, elle est « raisonnablement diligente pour ce qui est de se tenir informée du marché des cartouches de couches ». Cette description est conforme aux balises posées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 R.C.S. 1067 au para. 74.

[17] Munchkin ne conteste pas non plus la définition suivante de la Cour fédérale des CGC au paragraphe 86 de la décision en l’espèce, à laquelle je souscris :

Les [CGC] sont les connaissances techniques généralement connues de la personne versée dans l’art, telle qu’elle a été définie, au moment considéré dans le domaine de la technique ou de la science dont relève l’invention (Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada, 2008 CSC 61, [2008] 3 RCS 265 [Sanofi], au para 37). Il ne s’agit que d’une partie de l’état de la technique en général et ces connaissances ne comprennent pas tous les renseignements du domaine public (ibid.; [Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30], au para 84). Elles sont également définies en relation avec la personne versée dans l’art parce qu’elles constituent les connaissances d’une telle personne à l’époque. Dans Fox on [the Canadian Law of Patents, 5e éd, Toronto, Thompson Reuters, 2019) (édition à feuilles mobiles, mise à jour 2020-6)], on les décrit comme [traduction] « ce à quoi on peut légitimement s’attendre qu’une personne sache et soit capable de trouver. Ce sont toutes les connaissances en général connues et en général considérées comme une bonne base pour l’action future de la majorité des personnes qui œuvrent dans le domaine dont relève l’invention » (no 4:14 – b)).

[18] Munchkin soutient toutefois que la Cour fédérale a commis une erreur en omettant d’inclure certains produits sur le marché des cartouches de couches dans les CGC de la personne versée dans l’art, plus particulièrement le produit d’Angelcare appelé « Diaper Genie II ». Munchkin reconnaît que la définition des CGC est une question mixte de fait et de droit à laquelle la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante s’applique normalement, mais affirme que l’exclusion du « Diaper Genie II » soulève une question de droit isolable qui doit être révisée selon la norme de contrôle de la décision correcte. Munchkin soutient également que la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant une définition différente de la personne versée dans l’art et des CGC à son interprétation des revendications par rapport à son examen de l’art antérieur pour évaluer les questions de validité des brevets. J’examinerai ces arguments tour à tour.

(1) Connaissance de la personne versée dans l’art sur le marché des cartouches de couches

[19] Bien qu’elle ait reconnu au paragraphe 376 de la décision en l’espèce que la personne versée dans l’art est raisonnablement diligente pour ce qui est de se tenir informée du marché des cartouches de couches, la Cour fédérale a déclaré au paragraphe suivant que la personne versée dans l’art « n’aurait pas de connaissances précises sur l’élargissement de la gamme de produits et les problèmes habituels qui accompagnent le développement de tels produits, ni sur le développement de produits jetables ou de consommation ». La Cour fédérale a poursuivi en citant le passage suivant de la décision de notre Cour dans l’arrêt Mylan Pharmaceuticals ULC c. Eli Lilly Canada Inc., 2016 CAF 119, [2017] 2 R.C.F. 280 au para. 24 : « Contrairement aux antériorités, qui sont une catégorie générale regroupant tous les renseignements précédemment divulgués dans le domaine, un élément d’information ne fait partie des [CGC] que si une personne versée dans l’art en serait informée et reconnaîtrait cette information comme constituant [traduction] “un bon fondement pour les actions à venir” ». La Cour fédérale a conclu que les produits Diaper Genie, y compris le produit Diaper Genie II, n’avaient pas atteint le niveau d’acceptation requis.

[20] À mon avis, cette conclusion est viciée. Le fait que la personne versée dans l’art ne connaisse pas les produits sur le marché des cartouches de couches semble fondé sur le fait que la personne versée dans l’art a été définie du point de vue de la conception industrielle en général, et non du point de vue du marché des cartouches de couches en particulier. Bien que je ne vois aucune erreur claire dans la définition de la personne versée dans l’art, il est incongru de ne pas tenir compte, dans les CGC, de produits sur le marché auxquels le brevet en cause se rapporte explicitement. Le brevet 128 nomme même les produits Diaper Genie. Ces produits étaient certainement bien connus des personnes qui connaissent le marché des cartouches de couches.

[21] Par définition, la personne versée dans l’art est informée des produits sur le marché auxquels le brevet se rapporte, et le brevet concerne des cartouches de couches. Le défaut d’inclure ces produits dans les CGC constituait une erreur dans la description des CGC elle-même ou dans la description sous-jacente de la personne versée dans l’art. Je conclus que l’erreur se rapporte à la portée des CGC. Je conclus en outre que cette erreur s’applique à tous les brevets en cause.

[22] Cependant, même si j’ai conclu que la Cour fédérale a commis une erreur en omettant d’inclure le produit Diaper Genie II dans les CGC, je conclus que cette erreur n’aurait pas modifié le résultat de l’une ou l’autre des conclusions en litige dans le présent appel, et que, par conséquent, cette erreur, en soi, ne justifie pas que j’accueille l’appel de Munchkin. Mes motifs pour tirer cette conclusion sont expliqués plus loin dans les présents motifs lorsqu’ils se rapportent à l’examen des questions.

(2) Uniformité de la définition des CGC

[23] Munchkin soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en attribuant à la personne versée dans l’art des CGC suffisantes concernant la géométrie spatiale et les éléments de conception pour comprendre comment appliquer des termes comme [traduction] « caractéristiques d’alignement » dans le brevet 128 et des termes comme [traduction] « dégagement » et [traduction] « biseau » dans les brevets d’Angelcare dans son interprétation des revendications, tout en refusant d’attribuer à la personne versée dans l’art ces CGC au moment d’examiner l’art antérieur.

[24] Je ne suis pas convaincu que la Cour fédérale a commis une telle erreur. Elle semble avoir compris que la personne versée dans l’art et la portée de ses CGC devraient être les mêmes pour l’interprétation des revendications en cause que pour la compréhension de la pertinence de l’art antérieur pour des questions comme l’antériorité et l’évidence. Au paragraphe 375 de la décision en l’espèce, dans l’analyse de l’évidence, la Cour fédérale a noté qu’elle avait déjà défini la personne versée dans l’art dans le cadre de l’analyse relative à l’interprétation des revendications et qu’il n’était pas nécessaire de répéter cette définition. De même, en ce qui concerne les CGC, et toujours dans le contexte de l’évidence, la Cour fédérale a renvoyé à son analyse de l’interprétation des revendications : voir le paragraphe 377 de la décision en l’espèce.

[25] Je ne suis pas non plus convaincu que, bien que la Cour fédérale ait reconnu la nécessité d’une uniformité dans les compétences de la personne versée dans l’art et dans la portée des CGC, elle n’ait pas respecté ce principe.

B. La Cour fédérale a-t-elle appliqué le mauvais critère juridique dans son évaluation de la question de savoir si une divulgation antérieure à un tiers constituait une antériorité des brevets en cause?

[26] Cette question concerne une divulgation par l’inventeur inscrit des brevets d’Angelcare, Michel Morand (ou son entreprise de conception), plus d’un an avant la date de dépôt du brevet du 3 octobre 2008. Cette divulgation, si elle rendait l’objet des brevets d’Angelcare accessible au public, constituerait une antériorité et rendrait les brevets invalides en vertu de l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets. Les questions clés sont de savoir si la divulgation en question (appelée la « divulgation de M. Morand » ci-après) était à la fois non confidentielle et suffisante pour permettre à une personne versée dans l’art de réaliser l’invention. Une réponse négative à l’une ou l’autre de ces questions mènerait à la conclusion selon laquelle la divulgation de M. Morand ne constituait pas une antériorité.

[27] La divulgation de M. Morand a eu lieu le 9 janvier 2007 et avait la forme d’un courriel à un fournisseur potentiel, S.A. Initial (Initial), qui demandait une proposition de prix pour un prototype du boîtier de la cartouche de couches que M. Morand était en train de mettre au point. Le courriel comprenait un fichier CAO (logiciel de conception assistée par ordinateur) qui montrait le boîtier de la cartouche sous divers angles dans un espace tridimensionnel. Initial a fourni la proposition demandée, et une fois la proposition acceptée, a produit le boîtier de la cartouche.

(1) La question de savoir si la divulgation de M. Morand était non confidentielle

[28] La confidentialité (ou la non-confidentialité) de la divulgation de M. Morand est pertinente parce qu’une divulgation confidentielle ne rend pas la divulgation « accessible au public », comme le prévoit l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets, et ne fait pas d’elle une antériorité.

[29] Munchkin note qu’Initial n’avait aucun lien de dépendance avec M. Morand, son entreprise de conception et Angelcare au moment de la divulgation. Munchkin note également que le courriel du 9 janvier 2007 était l’un de ses premiers rapports avec Initial, et qu’aucun accord de non-divulgation n’avait été signé. Munchkin soutient qu’Initial a reçu la divulgation de M. Morand sans être obligé de la garder confidentielle, et qu’elle a donc été rendue accessible au public.

[30] La Cour fédérale a reconnu à juste titre qu’« en vertu de l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets, une invention communiquée à un seul membre du public qui peut l’utiliser comme bon lui semble mettra l’invention à la disposition du public aux fins de l’antériorité » : voir le paragraphe 336 de la décision en l’espèce. Toutefois, la Cour fédérale a conclu qu’Initial n’était pas autorisé à utiliser les renseignements qui lui avaient été communiqués dans le courriel du 9 janvier 2007 comme bon lui semble, et que, par conséquent, la divulgation de M. Morand ne satisfaisait pas aux critères de l’antériorité.

[31] Dans son analyse, la Cour fédérale s’est appuyée sur la décision de notre Cour dans l’arrêt Weatherford Canada Ltd. c. Corlac Inc., 2011 CAF 228, [2011] A.C.F. no 1090 (arrêt Corlac), et sur la discussion, dans cet arrêt, du « critère de l’homme raisonnable » décrit dans l’arrêt Lac Minerals Ltd c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, 1989 CanLII 34 (arrêt Lac Minerals). Au paragraphe 48 de l’arrêt Corlac, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

On juge que des renseignements ont été échangés dans le cadre d’une relation confidentielle lorsque [traduction] « tout homme raisonnable se mettant à la place de celui qui reçoit les renseignements se serait rendu compte, s’il existait des motifs raisonnables de le croire, que les renseignements lui ont été donnés de manière confidentielle » : Coco [c. A.N. (Engineers) Ltd., [1969] R.P.C. 41 (Ch.)], pages 47 et 48. Le juge Sopinka a également fait référence au passage suivant de Coco (page 51), lequel a été cité par le juge dans la présente affaire :

[traduction] En particulier, lorsque des renseignements ayant une valeur commerciale ou industrielle sont donnés sur une base d’affaires en vue d’un objet déclaré, comme une entreprise conjointe ou la fabrication d’articles par une partie pour une autre, je considérerais que celui à qui ces renseignements ont été confiés doit faire une preuve très solide s’il veut réfuter la prétention qu’il était tenu à une obligation fondée sur des rapports de confiance. [Non souligné dans l’original.]

[32] Munchkin ne conteste pas cette déclaration au sujet de la loi. Cependant, Munchkin conteste les déclarations de la Cour fédérale (i) au paragraphe 339 de la décision en l’espèce selon laquelle la fabrication d’articles par une partie pour une autre satisferait à première vue au critère de l’homme raisonnable, et (ii) au paragraphe 348 de la décision en l’espèce selon laquelle Initial était dans le domaine de la fabrication de prototypes, ce qui laisse intrinsèquement entendre qu’elle avait l’obligation d’assurer la confidentialité de la divulgation de M. Morand. Munchkin soutient que ces déclarations confèrent une obligation de confidentialité à tous les fabricants, même à ceux qui reçoivent des renseignements non sollicités.

[33] En ce qui concerne la déclaration de la Cour fédérale au paragraphe 339, je ne vois aucune erreur. La présomption d’obligation de confidentialité d’un fabricant d’articles envers son client est pleinement étayée par le passage ci-dessus de l’arrêt Coco qui a été cité dans l’arrêt Lac Minerals.

[34] En ce qui concerne le paragraphe 348 de la décision en l’espèce, Munchkin mentionne le pouvoir de distinguer l’obligation de confidentialité en se fondant sur la question de savoir si les renseignements en question ont été reçus ou non à la suite d’une demande d’information, et soutient que la divulgation de M. Morand n’a pas été sollicitée par Initial. Je ne suis pas convaincu que la divulgation de M. Morand n’ait en fait pas été sollicitée. L’existence d’Initial, en tant que fabricant de prototypes, semble viser, du moins en partie, la réception de divulgations de renseignements confidentiels. En ce sens, Initial sollicite implicitement des renseignements confidentiels. C’est le cas même si cette demande s’adresse au grand public plutôt qu’à une personne en particulier. La Cour fédérale a conclu qu’une partie du modèle d’entreprise d’Initial est le traitement confidentiel des renseignements qu’elle reçoit dans le cadre d’une proposition de prix pour la fabrication d’un prototype : voir le paragraphe 349 de la décision en l’espèce. En conséquence, je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle une personne raisonnable dans la position d’Initial aurait compris que la divulgation de M. Morand était confidentielle. Il s’agissait d’une conclusion où les faits prédominaient, et je ne suis pas convaincu que la Cour fédérale ait commis une erreur manifeste et dominante à cet égard.

[35] Munchkin soutient également que la Cour fédérale a commis une erreur en déterminant la nature confidentielle de la divulgation de M. Morand du point de vue de M. Morand plutôt que du point de vue du destinataire, Initial. Munchkin renvoie aux paragraphes 349 et 350 de la décision en l’espèce, où la Cour fédérale aborde la question de savoir si M. Morand pouvait s’attendre à une certaine confidentialité.

[36] Le critère de l’homme raisonnable, comme il est décrit dans les arrêts Corlac et Lac Minerals, met en effet l’accent sur la compréhension de la personne qui reçoit les renseignements. Cependant, il est clair que la Cour fédérale l’a compris et ne l’a jamais perdu de vue. En plus de renvoyer à la discussion sur le critère de l’homme raisonnable dans les arrêts Corlac et Lac Minerals, au paragraphe 337 de la décision en l’espèce, la Cour fédérale a reconnu à plusieurs reprises qu’il faut mettre l’accent sur le point de vue de la personne qui reçoit les renseignements : voir les paragraphes 338, 339, 349, 351, 353 et 358 de la décision en l’espèce. Les renvois de la Cour fédérale aux attentes de M. Morand ont été faits dans le contexte de la discussion sur la nature de l’entreprise d’Initial en tant que fabricant de prototypes, et n’étaient pas erronés.

[37] Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans la façon dont la Cour fédérale a appliqué la loi aux faits relatifs à la divulgation de M. Morand. À mon avis, il était loisible à la Cour fédérale de conclure que l’exigence de divulgation aux fins de l’analyse de l’antériorité n’était pas respectée.

(2) La question de savoir si la divulgation de M. Morand était suffisante pour permettre à une personne versée dans l’art de réaliser l’invention

[38] La Cour fédérale a conclu que la divulgation de M. Morand n’était pas suffisante pour permettre la réalisation de l’invention. Il s’agissait d’un autre motif justifiant le rejet de l’allégation de Munchkin selon laquelle la divulgation de M. Morand constituait une antériorité.

[39] Munchkin soutient que la Cour fédérale a commis une erreur dans son évaluation du caractère réalisable. Cependant, le fait qu’elle n’ait pas réussi à me convaincre que la Cour fédérale a commis une erreur quant à la nature confidentielle de la divulgation de M. Morand rend inutile l’examen de l’argument de Munchkin concernant le caractère réalisable.

[40] Il s’agit d’une question sur laquelle Munchkin s’appuie pour soutenir que la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le produit Diaper Genie II ne faisait pas partie des CGC est erronée. Cependant, puisqu’il n’est pas nécessaire de déterminer le caractère réalisable de la divulgation de M. Morand, la portée des CGC n’est pas déterminante à cet égard.

C. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en ne concluant pas que le brevet 128 était antérieur aux revendications des brevets d’Angelcare?

[41] Il n’est pas contesté que le brevet 128 peut être invoqué à l’encontre des brevets d’Angelcare pour évaluer l’antériorité. Même si le brevet 128 n’a été rendu public (publié) qu’après les dates de dépôt et de priorité des brevets d’Angelcare, il peut être invoqué à titre de demande à l’égard de laquelle une demande de priorité a été ou pourrait être présentée et dont la date de priorité (date de revendication) est antérieure à la date de revendication des brevets d’Angelcare : voir l’alinéa 28.2(1)d) de la Loi sur les brevets. La Cour fédérale l’a reconnu.

[42] Munchkin soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en amalgamant les concepts d’antériorité et de double brevet. Munchkin soutient également que la Cour fédérale a commis une erreur en appliquant une définition plus étroite des CGC pour évaluer l’antériorité aux fins de l’interprétation des revendications en cause.

(1) Analyse de l’antériorité et du double brevet

[43] La Cour fédérale a conclu que le brevet 128 n’était pas antérieur au brevet 159 en raison de l’absence de divulgation, dans l’ancien brevet, d’un couvercle pour la cartouche qui s’étend de la paroi tubulaire à la périphérie extérieure de la cartouche, ce qui est un élément essentiel de chacune des revendications indépendantes du brevet 159 : voir le paragraphe 323 de la décision en l’espèce. Munchkin s’appuie sur le paragraphe 324 de la décision en l’espèce pour soutenir que la Cour fédérale a commis une erreur à cet égard :

À mon avis, que les revendications indépendantes parlent du couvercle s’engageant dans la paroi intérieure ou la paroi tubulaire et s’étendant à l’extérieur vers la limite extérieure de la cartouche, ou du tube qui surplombe le couvercle, ces caractéristiques ne sont pas divulguées par le brevet 128. Le couvercle du brevet 128 s’engage dans la paroi extérieure de la cartouche, et non dans la paroi tubulaire, comme l’indique clairement la revendication 1 : « […] ledit couvercle définit un bord intérieur périphérique éloigné de [la] partie […] tubulaire créant ainsi un interstice entre les deux […] ». Les défenderesses ont le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le brevet 128 a divulgué le brevet 159 de sorte qu’il antériorise le brevet 159. Elles ne se sont pas acquittées de ce fardeau. Il s’ensuit que toutes les revendications dépendantes ne sont pas non plus antériorisées compte tenu de l’absence de divulgation des éléments des revendications indépendantes. [Non souligné dans l’original.]

[44] Munchkin soutient que le fait que la Cour fédérale ait mis l’accent sur la revendication 1 du brevet 128 dans la deuxième phrase citée ci-dessus indique que la Cour fédérale s’est limitée à tort à comparer les revendications du brevet 128 et les revendications du brevet 159, ce qui est l’approche à suivre pour évaluer le double brevet, mais non celle à suivre pour évaluer l’antériorité. Elle soutient que le brevet 128 n’était pas limité par la revendication 1, et que l’emplacement du couvercle n’était pas pertinent aux autres caractéristiques de la cartouche qui y sont décrites.

[45] Je ne vois rien qui indique que la Cour fédérale a mal appliqué le critère de l’antériorité. Elle a déclaré à plusieurs reprises, à l’égard du brevet 159, qu’elle se préoccupait de ce qui a été divulgué dans le brevet 128, et pas seulement de ce qui est défini dans ses revendications : voir les paragraphes 320, 322, 323 et 324 de la décision en l’espèce. La Cour fédérale a noté à juste titre qu’il incombait à Munchkin de prouver l’antériorité. Plus tôt dans ses motifs (paragraphe 288), la Cour fédérale a noté qu’« il est difficile de satisfaire au critère de l’antériorité », et a cité l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024 au para. 26, dans lequel à son tour est cité l’arrêt Beloit Canada Ltée c. Valmet OY [1986] A.C.F. no 87 (QL) au para. 30 :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.

[46] De toute évidence, la Cour fédérale n’était pas convaincue, après avoir entendu l’argument de Munchkin, que le brevet 128 avait atteint ce seuil élevé. Je ne vois aucune erreur ici. L’argument de Munchkin ne fait que soutenir que le brevet 128 pourrait englober un couvercle, comme défini dans le brevet 159. À mon avis, Munchkin ne mentionne rien au sujet du brevet 128 qui permettrait à une personne versée dans l’art d’arriver « infailliblement » au couvercle revendiqué dans le brevet 159.

[47] À mon avis, le renvoi de la Cour fédérale à la revendication 1 du brevet 128 était illustratif, et non limitatif.

(2) Uniformité de la définition des CGC

[48] Cette question concerne l’allégation de Munchkin selon laquelle les revendications en cause du brevet 384 étaient antériorisées par le brevet 128. Munchkin soutient que la Cour fédérale aurait conclu à l’antériorité si elle avait appliqué une définition des CGC aussi large que celle qui a été appliquée à l’interprétation des termes [traduction] « biseau » et [traduction] « effilement » dans le brevet 384. Munchkin soutient que, dans ce cas, la Cour fédérale [traduction] « aurait conclu que le brevet 128 divulgue des renfoncements (dégagements) sous forme de biseaux parce que cette forme était connue de la personne versée dans l’art ».

[49] Je ne suis pas d’accord que la Cour fédérale a commis une erreur à cet égard. Comme elle l’a fait remarquer dans la section précédente, il est difficile de satisfaire au critère de l’antériorité. Le fait que les biseaux étaient connus de la personne versée dans l’art ne suffisait pas pour obliger la Cour fédérale à conclure que la divulgation du brevet 128 permettrait à cette personne d’arriver infailliblement à l’invention revendiquée dans le brevet 384. La Cour fédérale a examiné attentivement la question de savoir si le brevet 128 divulguait le biseau défini dans les revendications du brevet 384, et a conclu que ce n’était pas le cas.

[50] J’arrive à la même conclusion en ce qui concerne le terme [traduction] « effilement » dans le brevet 384.

[51] Mon avis sur cette question n’est pas influencé par la question de savoir si le produit Diaper Genie II relevait ou non des CGC.

D. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions concernant l’évidence?

[52] Munchkin conteste la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle les revendications toujours en cause étaient inventives. Munchkin soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en définissant les idées originales des brevets 128, 421 et 159. Munchkin soutient également que les erreurs commises par la Cour fédérale à l’égard des CGC et de l’état de la technique ont eu une incidence dominante sur son analyse de l’évidence.

(1) Idées originales des brevets 128, 421 et 159

[53] Munchkin est d’accord avec la déclaration de la Cour fédérale, au paragraphe 369 de la décision en l’espèce, selon laquelle l’idée originale est la solution que nous enseigne le brevet pour régler le problème qui a motivé l’invention (voir les arrêts Apotex Inc. c. Shire LLC, 2021 CAF 52, [2021] 3 R.C.F. 46 au para. 84 (arrêt Shire) citant l’arrêt Bristol-Myers Squibb Canada c. Teva Canada Limitée, 2017 CAF 76, [2018] 3 R.C.F. 380 au para. 75). Munchkin reconnaît également la déclaration au paragraphe 86 de l’arrêt Shire selon laquelle, « [b]ien qu’il faille analyser l’idée originale de chacune des revendications, il importe également de rappeler qu’une seule idée originale générale relie chaque revendication d’un brevet et que cette idée réside habituellement dans les revendications indépendantes ».

[54] En ce qui concerne le brevet 128, Munchkin critique l’inclusion par la Cour fédérale de l’emplacement de l’interstice sur le couvercle de la cartouche dans l’idée originale. Elle note que les revendications du brevet 128 dont la contrefaçon a été alléguée au procès, à savoir les revendications 11, 12, 13, 16, 18, 22 et 23, n’incluent pas cette caractéristique comme élément.

[55] Bien qu’il soit vrai que ces revendications ne définissent pas l’emplacement de l’interstice sur le couvercle de la cartouche, il est important de noter que d’autres revendications du brevet 128 (revendications 1 à 10, 20 et 21) le font. De plus, toutes les revendications du brevet 128 étaient en cause devant la Cour fédérale en ce qui a trait à la question de la validité. Par conséquent, la Cour fédérale n’a commis aucune erreur en incluant cette caractéristique dans l’idée originale de certaines des revendications en cause au procès, dans la mesure où elle gardait à l’esprit que l’idée originale doit être déterminée pour chaque revendication. C’était clairement le cas, comme elle l’a indiqué au paragraphe 395 de la décision en l’espèce.

[56] En ce qui concerne les brevets 421 et 159, Munchkin soutient une fois de plus que la Cour fédérale a commis une erreur en incluant dans l’idée originale des caractéristiques qui, bien qu’elles soient incluses dans les revendications en cause, ne contribueraient pas à la réalisation de l’invention.

[57] Je ne vois aucune erreur dans la définition de l’idée originale en ce qui a trait au libellé de la revendication en question. Qu’une caractéristique d’une revendication d’un brevet contribue ou non à la réalisation de l’invention, il n’est pas erroné de l’inclure comme élément essentiel de la revendication aux fins de l’évaluation de l’inventivité, dans la mesure où une interprétation adéquate de la revendication démontre que cette caractéristique est effectivement un élément essentiel.

(2) Portée des connaissances générales courantes et état de la technique

[58] Munchkin soutient que la Cour fédérale a commis plusieurs erreurs dans l’application des CGC et de l’état de la technique à son analyse de l’évidence.

[59] Munchkin soutient que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste dans son évaluation de l’évidence des revendications du brevet 128 lorsqu’elle a déclaré au paragraphe 410 de la décision en l’espèce que « l’emplacement de l’interstice [entre le couvercle de la cartouche et le boîtier de la cartouche] est en effet une différence entre l’état de la technique et l’idée originale du brevet 128 […] ». Munchkin note que le produit Twistaway, qui était sur le marché avant le produit Diaper Genie II (et faisait donc partie de l’état de la technique), avait un interstice situé sur le bord intérieur du couvercle, comme défini dans certaines revendications du brevet 128.

[60] Angelcare reconnaît que le produit Twistaway comprenait effectivement cet interstice. Cependant, elle soutient que ce fait est insuffisant pour établir que les revendications du brevet 128 étaient ainsi évidentes.

[61] Je suis également de cet avis. Les revendications du brevet 128 définissent plusieurs éléments qui n’étaient pas présents dans le produit Twistaway. De plus, le témoignage d’expert de Munchkin devant la Cour fédérale n’a pas établi l’évidence en fonction de l’emplacement de l’interstice dans le produit Twistaway. Par conséquent, même si la Cour fédérale a commis une erreur manifeste en ce qui a trait à l’état de la technique, relativement à l’emplacement de l’interstice, je ne suis pas convaincu que cette erreur soit dominante. En ce qui concerne cette question mixte de fait et de droit, cette conclusion est fatale pour l’argument de Munchkin.

[62] J’ajoute ici que l’exclusion à tort du produit Diaper Genie II des CGC par la Cour fédérale semble n’avoir eu aucun effet sur l’issue de son analyse de l’évidence. La Cour fédérale a traité le produit Diaper Genie II comme faisant partie de l’état de la technique et en a tenu compte dans son analyse de l’évidence. Je ne crois pas que les conclusions de la Cour fédérale concernant l’évidence auraient été différentes si le produit Diaper Genie II avait été considéré comme faisant partie des CGC plutôt que seulement de l’état de la technique.

[63] Munchkin soutient également que le brevet 128 aurait dû être jugé évident à la lumière de la divulgation de M. Morand. Cet argument, dont il a été question dans la section relative à l’argument fondé sur l’antériorité de M. Munchkin, à compter du paragraphe 28 ci-dessus, doit être rejeté au motif que la divulgation de M. Morand était confidentielle. Par conséquent, la divulgation de M. Morand n’était pas accessible au public et ne faisait pas partie de l’état de la technique.

[64] Munchkin soutient en outre que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que le problème de la mauvaise orientation de la cartouche, qui est corrigé par les brevets en cause, était inconnu ou difficile à détecter. Munchkin fonde cet argument sur divers éléments de preuve dont la Cour fédérale était apparemment au courant.

[65] Je conclus que cet argument n’est rien d’autre qu’un désaccord avec l’appréciation de la preuve par la Cour fédérale. À mon avis, il était loisible à la Cour fédérale de tirer les conclusions auxquelles elle est arrivée au sujet de la connaissance publique du problème d’orientation. Je ne suis pas convaincu que la Cour fédérale ait commis une erreur manifeste et dominante à l’égard de cette question mixte de fait et de droit, ou qu’elle ait commis une erreur de droit isolable à cet égard.

[66] Enfin, Munchkin critique la Cour fédérale pour avoir fondé ses conclusions d’absence d’évidence en partie sur le fait que plusieurs solutions étaient disponibles pour remédier au problème d’orientation. Elle soutient que, [traduction] « si une solution particulière est évidente à choisir ou à essayer, elle ne l’est pas moins d’un point de vue technique simplement parce qu’il y a aussi un certain nombre, voire peut-être un grand nombre, d’autres solutions évidentes ».

[67] Si je comprends bien cet argument, il semble contredire les lignes directrices sur l’évaluation de l’essai allant de soi offertes par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 (arrêt Sanofi). L’un des facteurs pertinents à considérer est la question de savoir s’il existe un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art : voir l’arrêt Sanofi au para. 69. Je ne vois aucune erreur dans le fait que la Cour fédérale a noté que plusieurs autres solutions étaient disponibles pour remédier au problème visé par le brevet en cause.

E. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que Munchkin, Inc. était responsable des activités de contrefaçon au Canada?

[68] Comme nous l’avons vu au paragraphe 3 des présents motifs, la Cour fédérale a conclu que l’appelante, la société américaine Munchkin, Inc., ainsi que sa filiale en propriété exclusive, l’autre appelante, Munchkin Baby Canada, Ltd., (Munchkin Canada), était responsable de la contrefaçon des brevets. En concluant que Munchkin, Inc. était responsable de la contrefaçon, la Cour fédérale s’est appuyée sur les éléments de preuve selon lesquels Munchkin Canada n’avait jamais eu de concepteurs et que tous les produits qu’elle distribuait au Canada étaient conçus par Munchkin, Inc. La Cour fédérale a également noté que Munchkin Canada ne comptait que sept employés, dont les rôles se limitaient aux ventes, au marketing et à l’entreposage, et que Munchkin, Inc. n’a fait aucune distinction entre les décisions prises pour le marché américain et le marché canadien. La Cour fédérale a conclu que Munchkin, Inc. était responsable de la contrefaçon au Canada au motif que ses décisions de conception et de commercialisation (bien qu’elles aient été prises à l’extérieur du Canada) « ont eu une incidence directe sur les activités de contrefaçon qui en ont résulté au Canada » : voir le paragraphe 282 de la décision en l’espèce.

[69] Munchkin soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que Munchkin, Inc. était responsable. D’abord, elle note qu’Angelcare n’a pas fait valoir devant la Cour fédérale (comme elle le fait maintenant) que Munchkin, Inc. avait une « cause commune » avec Munchkin Canada ou qu’elle devrait être tenue solidairement responsable des activités de contrefaçon de Munchkin Canada. Munchkin soutient que ces questions ne devraient pas être examinées dans le présent appel, puisqu’elles ont été soulevées pour la première fois en appel dans le mémoire des faits et du droit d’Angelcare en réponse.

[70] À mon avis, l’argument de Munchkin fondé sur l’insuffisance de l’acte de procédure ne permet pas d’ignorer la question de la cause commune et de la responsabilité solidaire. Angelcare ne soulève aucun nouvel argument concernant la responsabilité de Munchkin, Inc. La Cour fédérale a déjà reconnu la responsabilité de Munchkin, Inc. Angelcare appose plutôt des étiquettes sur les motifs de la conclusion de la Cour fédérale. L’argument de Munchkin est en fait que la Cour fédérale n’était pas autorisée à examiner les questions de la cause commune et de la responsabilité solidaire parce qu’elles n’avaient pas été soulevées et débattues correctement. Je ne suis pas de cet avis. L’acte de procédure d’Angelcare devant la Cour fédérale alléguait que Munchkin, Inc. était responsable de la contrefaçon des brevets. La responsabilité de Munchkin, Inc. était clairement en cause. De plus, la Cour fédérale a entendu et examiné des éléments de preuve concernant la responsabilité de Munchkin, Inc., apparemment sans opposition de la part de Munchkin. Aucune question quant au caractère suffisant de l’acte de procédure d’Angelcare n’a été soulevée devant la Cour fédérale. La Cour fédérale était en droit d’examiner cette question. La vraie question est de savoir si elle a commis une erreur dans son examen du droit et des faits à cet égard.

[71] Munchkin note que Munchkin, Inc. (i) n’a joué aucun rôle dans la fabrication, l’utilisation ou la vente des produits contrefaits (activités énumérées à l’article 42 de la Loi sur les brevets comme étant exclusives au breveté et à ses représentants légaux), (ii) n’avait aucun bureau ou employé au Canada, (iii) a pris des décisions de conception et de commercialisation, et (iv) n’a rien fait au Canada. Munchkin renvoie à la jurisprudence de notre Cour à l’effet que, pour que des activités portent atteinte à un brevet canadien, elles doivent avoir lieu au Canada : Domco Industries Ltd. c. Mannington Mills, Inc., [1990] A.C.F. no 269 au para. 16; Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 30 au para. 37.

[72] À mon avis, cette jurisprudence n’aide pas Munchkin à cet égard. Il est vrai que, pour contrevenir à un brevet canadien, les activités de contrefaçon doivent avoir lieu au Canada. Cependant, une personne ne peut pas échapper à sa responsabilité en cas de contrefaçon en s’installant à l’extérieur du Canada, puis en concluant des ententes qui entraînent la contrefaçon d’un brevet au Canada. La clé est de savoir si les activités de contrefaçon ont eu lieu (comme en l’espèce) et si la personne située à l’extérieur du Canada (Munchkin, Inc. en l’espèce) était responsable de ces activités, soit en ayant une cause commune avec un acteur canadien (Munchkin Canada), soit en ayant participé d’une autre façon à la contrefaçon.

[73] À mon avis, les éléments de preuve mentionnés par la Cour fédérale étaient suffisants pour lui permettre de conclure que Munchkin, Inc. avait participé dans une mesure suffisante aux activités de contrefaçon pour être jugé responsable de la contrefaçon. Il s’agissait d’une question mixte de fait et de droit, et je ne vois aucune erreur manifeste et dominante ou erreur de droit isolable dans l’analyse de la Cour fédérale.

F. Conclusion concernant le premier appel (dossier no A-105-22)

[74] Je rejetterais le premier appel. Malgré le fait que la Cour fédérale a exclu à tort le produit Diaper Genie II des CGC, j’ai conclu que la réponse aux questions soulevées dans le présent appel aurait été la même si le produit Diaper Genie II avait été inclus dans les CGC.

[75] Comme convenu par les parties, j’adjugerais à Angelcare les dépens du présent appel, fixés à une somme forfaitaire de 7 500 $.

V. Questions en litiges dans le second appel (dossier no A-106-22)

[76] Comme je l’ai mentionné précédemment, Angelcare soulève deux questions dans le second appel. Ces questions sont examinées dans les sections suivantes.

A. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de la revendication 6 du brevet 384 et de la revendication 1 du brevet 159?

[77] Cette question concerne l’utilisation de l’expression [traduction] « faisant partie intégrante » pour définir un [traduction] « dégagement » dans le récipient annulaire d’une cartouche. Angelcare ne conteste pas l’interprétation de la Cour fédérale de l’expression [traduction] « faisant partie intégrante ». Elle s’oppose plutôt à l’interprétation de la Cour fédérale de ce terme dans le contexte des revendications dont le libellé ne l’inclut pas.

[78] La revendication 1 du brevet 384 inclut cette expression. Devant la Cour fédérale, Angelcare a soutenu que les quatre fentes situées au bas de l’ouverture centrale du produit de quatrième génération de Munchkin (illustrées à l’envers ci-dessous) représentaient des dégagements [traduction] « faisant partie intégrante », comme définis dans cette revendication.

[79] La Cour fédérale n’était pas d’accord avec Angelcare au sujet de son argument, concluant que les fentes dans le produit de quatrième génération de Munchkin n’étaient pas des dégagements [traduction] « faisant partie intégrante » parce qu’elles n’avaient pas de paroi arrière : voir le paragraphe 192 de la décision en l’espèce. Elles étaient plutôt ouvertes à l’arrière, communiquant directement avec l’intérieur du récipient annulaire contenant le tube flexible. C’est sur cette base que la Cour fédérale a conclu que le produit de quatrième génération de Munchkin ne contrefaisait pas la revendication 1 du brevet 384. La Cour fédérale a étendu cette conclusion à l’autre revendication indépendante du brevet 384 (la revendication 6), en se fondant sur le témoignage des experts des parties selon lequel les deux revendications étaient « en fait identiques ». La Cour fédérale a également étendu cette conclusion aux revendications 1, 21 et 51 du brevet 159, en se fondant sur les arguments des parties concernant le brevet 384, dans la mesure où ils s’appliquent aussi au brevet 159 : voir le paragraphe 207 de la décision en l’espèce.

[80] Angelcare ne conteste pas la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le produit de quatrième génération de Munchkin n’a aucun dégagement [traduction] « faisant partie intégrante » parce que ses fentes n’ont pas de paroi arrière. Elle admet que ce produit ne contrefait pas la revendication 1 du brevet 384. Cependant, Angelcare note qu’aucune des autres revendications mentionnées au paragraphe précédent ne définit le dégagement comme [traduction] « faisant partie intégrante ». Angelcare soutient qu’elle n’a pas admis, devant la Cour fédérale, que l’expression [traduction] « faisant partie intégrante » devrait être interprétée dans le contexte de ces autres revendications qui omettent l’expression. Sur cette base, Angelcare soutient que la Cour fédérale a commis une erreur dans ses conclusions d’absence de contrefaçon de la revendication 6 du brevet 384 et de la revendication 1 du brevet 159.

[81] Munchkin soutient que la Cour fédérale n’a pas interprété l’expression [traduction] « faisant partie intégrante » dans le contexte des revendications qui n’incluent pas ces mots. En fait, Munchkin soutient que la Cour fédérale a conclu que les fentes du produit de quatrième génération de Munchkin ne représentaient pas un [traduction] « dégagement », qu’elles fassent ou non partie intégrante. Munchkin présente plusieurs observations à l’appui de cet argument, mais je ne suis pas convaincu que ces observations soient étayées par les motifs de la Cour fédérale. Sa conclusion d’absence de contrefaçon de la revendication 1 du brevet 384 n’est fondée que sur l’expression [traduction] « faisant partie intégrante », et ses conclusions concernant les autres revendications sont fondées sur une compréhension selon laquelle ces autres revendications sont semblables à la revendication 1 du brevet 384. La Cour fédérale ne reconnaît pas l’absence de l’expression [traduction] « faisant partie intégrante » dans ces autres revendications. Il est possible que la Cour fédérale n’ait tout simplement pas remarqué que la revendication 6 du brevet 384 et la revendication 1 du brevet 159 ne définissent pas explicitement le dégagement comme [traduction] « faisant partie intégrante ».

[82] Munchkin soutient également qu’il était loisible à la Cour fédérale de conclure que les autres revendications étaient semblables à la revendication 1 du brevet 384 (puisque Angelcare l’a admis), et que le principe de différenciation des revendications (en vertu duquel un sens différent devrait être donné aux différents mots utilisés entre une revendication et une autre) n’est qu’une présomption réfutable.

[83] En plus de la question de savoir si Angelcare a effectivement admis que la revendication 6 du brevet 384 était en fait identique à la revendication 1 (Angelcare nie ce fait), je demeure préoccupé par le fait que la Cour fédérale ne semble pas s’être penchée sur la principale différence dans le libellé de ces deux revendications. C’était une erreur d’interprétation des revendications, et donc une erreur de droit. Il en va de même pour le fait que la Cour fédérale a examiné la contrefaçon de la revendication 1 du brevet 159. Aucune de ces revendications ne définit le dégagement comme faisant partie intégrante.

B. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que les cartouches de quatrième génération de Munchkin ne contreviennent ni aux revendications 9 et 10 du brevet 384 ni aux revendications 1, 16, 17, 18, 19 et 20 du brevet 159?

[84] Étant donné que la Cour fédérale s’est appuyée, directement ou indirectement, sur les revendications 9 et 10 du brevet 384 pour interpréter la revendication 6, la question de la contrefaçon de ces revendications par le produit de quatrième génération de Munchkin est en litige. De même, la question de la contrefaçon des revendications 16, 17, 18, 19 et 20 du brevet 159, en plus de la revendication 1, par le produit de quatrième génération de Munchkin est fondée sur le fait que la Cour fédérale se soit appuyée sur ces revendications, directement ou indirectement, pour interpréter la revendication 1. En soi, la revendication 6 du brevet 384 n’est pas en litige en ce qui a trait à la question de la contrefaçon, car la Cour fédérale a conclu que cette revendication était invalide, et cette conclusion n’est pas contestée.

[85] Angelcare soutient que la Cour dispose de tous les renseignements nécessaires pour trancher les questions en suspens relatives à la contrefaçon, et qu’elle devrait le faire au lieu de les renvoyer à la Cour fédérale pour nouvel examen. Elle soutient que les retards encourus depuis l’introduction de son action en contrefaçon, ainsi que les retards supplémentaires auxquels on s’attend si l’affaire était renvoyée, favorisent la prise immédiate d’une décision par notre Cour. Angelcare soutient également que la question particulière identifiée au paragraphe précédent, relativement à la contrefaçon des revendications par le produit de quatrième génération de Munchkin, est simple et ne nécessite aucune appréciation de la preuve. Angelcare souligne la similitude entre le produit de quatrième génération et les produits de générations précédentes de Munchkin qui, comme l’a déjà conclu la Cour fédérale, constituaient une contrefaçon. Angelcare exhorte notre Cour à conclure que le produit de quatrième génération de Munchkin contrefait chacune des revendications 9 et 10 du brevet 384 et des revendications 1, 16, 17, 18, 19 et 20 du brevet 159.

[86] Pour sa part, Munchkin soutient, pour divers motifs, que son produit de quatrième génération ne contrefait pas ces revendications. Elle mentionne les différences entre les produits de différentes générations de Munchkin en cause. Elle mentionne également d’autres éléments des revendications en cause qui, selon elle, sont absents du produit de quatrième génération. À titre subsidiaire, Munchkin soutient que notre Cour ne devrait pas trancher la question et devrait plutôt renvoyer les questions en suspens relatives à la contrefaçon à la Cour fédérale parce qu’elles demeurent complexes. Elle évoque la complexité de certains aspects des questions sur lesquelles la Cour fédérale n’a formulé aucun commentaire dans la décision en l’espèce. Elle évoque également la profondeur des connaissances de la Cour fédérale à l’égard des questions soulevées à la suite du long procès.

[87] J’ai conclu que nous disposons de suffisamment de renseignements, y compris les conclusions et les éléments de preuves pertinents de la Cour fédérale, pour arriver à nos propres conclusions sur les questions en suspens relatives à la contrefaçon. Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclurais que les produits de quatrième génération de Munchkin contrefont toutes les revendications des brevets 384 et 159 mentionnés au paragraphe 85 ci-dessus.

(1) Faudrait-il trancher les questions en suspens relatives à la contrefaçon?

[88] Les deux parties renvoient à l’arrêt de notre Cour intitulé Sandhu Singh Hamdard Trust c. Navsun Holdings Ltd., 2019 CAF 295 au para. 60 (arrêt Sandhu Singh Hamdard Trust), pour établir les critères à considérer pour déterminer si notre Cour doit trancher les questions en suspens relatives à la contrefaçon :

Les facteurs pertinents pour déterminer s’il y a lieu de rendre une décision plutôt que de renvoyer l’affaire sont notamment les suivants : si les faits de l’affaire sont nombreux et complexes, si l’affaire porte sur des éléments de preuve documentaires ou un témoignage de vive voix et une évaluation de la crédibilité, si le résultat est incertain et dépend des faits, si les parties ont présenté des observations précises sur les questions à régler et si le retard supplémentaire associé au renvoi de l’affaire est contraire aux intérêts de la justice : Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada limitée, 2016 CAF 161, [2016] 4 R.C.F. F-13, au paragraphe 157, autorisation d’interjeter appel rejetée, [2017] 1 R.C.S. xviii; R. c. Piot, 2019 CAF 53, aux paragraphes 113 à 115 et 124 à 128; Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199, aux paragraphes 67 et 68.

[89] Bien que « les faits de [la présente] affaire [soient] nombreux et complexes », de sorte que le premier de ces facteurs favorise le renvoi à la Cour fédérale, je conclus que les autres facteurs favorisent la prise immédiate d’une décision. Il n’est pas nécessaire d’apprécier la preuve ou d’évaluer la crédibilité. Les parties ont eu la possibilité de régler les questions en suspens relatives à la contrefaçon et, compte tenu des conclusions de la Cour fédérale énoncées dans la décision en l’espèce, l’issue n’est pas incertaine. De plus, le retard supplémentaire associé au renvoi de ces questions à la Cour fédérale serait, à mon avis, inutile et contraire à l’intérêt de la justice.

[90] Je conclus que la réponse aux questions en suspens relatives à la contrefaçon n’est pas incertaine, en partie à la lumière des conclusions de la Cour fédérale selon lesquelles les produits de deuxième et troisième générations de Munchkin contrefont toutes les revendications qui demeurent en litige, et que ces conclusions ne sont pas contestées. Par conséquent, une approche raisonnable pour déterminer la contrefaçon par le produit de quatrième génération consiste à se demander si l’une des différences entre ces générations de produits de Munchkin permettrait de conclure qu’un élément essentiel de l’une ou l’autre de ces revendications est manquant.

(2) Analyse des questions en suspens relatives à la contrefaçon

[91] Munchkin identifie les principales différences entre son produit de quatrième génération et les produits de deuxième et troisième générations. Pour plus de commodité, une photographie d’un produit de troisième génération, à l’envers, est reproduite ci-dessous :

[92] Une photographie du produit de quatrième génération, également à l’envers, est reproduite au paragraphe 78 ci-dessus.

[93] Munchkin note que le produit de troisième génération avait une paroi annulaire verticale ou une paroi interne tubulaire et un fond étroit en forme d’anneau, avec une paroi inclinée, en biseau, reliant les deux. En comparaison, le produit de quatrième génération a une paroi interne en forme tronconique qui remplace les parois tubulaires en biseau.

[94] Munchkin note également que le produit de troisième génération comprenait 12 fentes, comparativement à quatre dans le produit de quatrième génération. De plus, je note que les fentes dans le produit de quatrième génération ont des parois latérales qui entrent dans le volume interne de la cartouche, lesquelles ne sont pas présentes dans le produit de troisième génération.

a) Le brevet 384

[95] Au paragraphe 189 de la décision en l’espèce, la Cour fédérale a résumé les arguments de Munchkin selon lesquels son produit de quatrième génération ne comprend aucun [traduction] « dégagement », comme défini dans les revendications 1 et 6 du brevet 384. Munchkin reconnaît que certains de ces arguments ont été explicitement rejetés par la Cour fédérale. Munchkin ne conteste pas ces rejets.

[96] En revanche, Munchkin note que la Cour fédérale a explicitement accepté son argument selon lequel le produit de quatrième génération ne comprend aucun [traduction] « dégagement », puisque ses fentes ne font pas [traduction] « partie intégrante de la paroi annulaire » parce qu’ils n’ont aucune paroi arrière. J’ai expliqué ci-dessus, à compter du paragraphe 77, pourquoi je conclus que cette conclusion est erronée dans la mesure où elle concerne la revendication 6 du brevet 384 et la revendication 1 du brevet 159.

[97] Enfin, Munchkin note que la Cour fédérale n’a pas explicitement abordé trois autres arguments concernant la raison pour laquelle les fentes dans le produit de quatrième génération ne sont pas des dégagements :

  1. Ce ne sont pas des espaces vides;

  2. L’absence d’une paroi arrière signifie qu’elles n’ont pas de volume interne;

  3. Elles ne peuvent pas délimiter une partie du volume de largeur réduite ou réduire la largeur du volume interne de la cartouche.

[98] À mon avis, ces arguments n’auraient pas pu aider Munchkin devant la Cour fédérale. Aucune des revendications qui demeurent en litige n’exige que le dégagement soit un espace vide. De même, aucune de ces revendications n’exige que le dégagement ait un volume interne. Le dégagement décrit dans les brevets d’Angelcare a une surface correspondante dans le seau de couches pour assurer l’orientation adéquate de la cartouche. Les fentes du produit de quatrième génération remplissent une fonction similaire.

[99] En ce qui concerne le troisième des arguments énumérés ci-dessus, la revendication 6 du brevet 384 définit le dégagement comme [traduction] « entraînant une largeur réduite de ladite partie du volume par rapport au volume au-dessus du dégagement ». L’expression [traduction] « ladite partie du volume » figurant dans la revendication 6 renvoie à :

[traduction]

[…] au moins une partie du volume du récipient annulaire étant située radialement à l’extérieur d’au moins une partie du dégagement et à côté d’au moins une partie du dégagement de sorte qu’au moins une partie du tube allongé de matière souple est placée dans l’état accumulé dans ladite partie du récipient annulaire […]

[100] Je ne peux pas concevoir, et Munchkin ne fait pas valoir, que les fentes dans le produit de quatrième génération pourraient ne pas répondre aux exigences de cet élément. Bien qu’elles n’aient aucune paroi arrière, elles ont clairement des parois latérales, ce qui entraîne nécessairement une réduction du volume du récipient annulaire situé à l’extérieur et à côté.

[101] Munchkin soutient que son produit de quatrième génération ne contrefait pas la revendication 6 du brevet 384, en ce sens que la paroi tronconique de la cartouche n’est pas une [traduction] « paroi annulaire », comme définie dans cette revendication. Munchkin renvoie à la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la paroi en forme tronconique du produit de quatrième génération n’est pas une [traduction] « paroi tubulaire » au sens de la revendication 2 du brevet 159 (voir le paragraphe 147 et les paragraphes suivants de la décision en l’espèce), et soutient que les termes [traduction] « paroi annulaire » et [traduction] « paroi tubulaire » ont le même sens dans les revendications des brevets d’Angelcare. Munchkin renvoie au témoignage de son expert à cet effet et soutient que la Cour fédérale a utilisé les termes de façon interchangeable.

[102] Je n’accepte pas l’argument de Munchkin et je conclus qu’il est peu probable que la Cour fédérale ait conclu, ou aurait conclu, que les termes [traduction] « paroi annulaire » et [traduction] « paroi tubulaire » signifient la même chose. Je ne vois rien dans la décision en l’espèce qui indique que la Cour fédérale avait l’intention d’adopter cette interprétation. L’expression « paroi annulaire ou tubulaire » est utilisée à deux reprises au paragraphe 130 de la décision en l’espèce, mais cela semble constituer simplement une reconnaissance que, dans certaines des revendications des brevets en cause, l’expression paroi annulaire est définie, tandis que dans d’autres revendications des brevets l’expression paroi tubulaire est définie.

[103] Les motifs invoqués par la Cour fédérale pour conclure que le produit de quatrième génération n’a aucune paroi tubulaire sont propres au mot [traduction] « tubulaire ». Ils ne s’étendent pas au mot [traduction] « annulaire ». Au paragraphe 152 de la décision en l’espèce, la Cour fédérale a distingué le mot [traduction] « tubulaire » (qui sous-entend une forme cylindrique) des mots comme [traduction] « conique » et [traduction] « tronconique » (qui ne l’indique pas). De même, rien dans le mot [traduction] « annulaire » ne sous-entend nécessairement une forme cylindrique. De plus, toute conclusion selon laquelle les termes [traduction] « tubulaire » et [traduction] « annulaire » ont le même sens amènerait quelqu’un à se demander pourquoi deux mots différents ont été utilisés.

[104] Le mot [traduction] « annulaire » est utilisé pour décrire plusieurs caractéristiques des brevets 384 et 159, et toutes n’ont pas une forme cylindrique. Par exemple, le récipient annulaire 38 décrit dans les deux brevets est illustré aux figures avec une paroi extérieure qui n’est pas cylindrique. Un autre exemple est le fait que l’ouverture annulaire à une extrémité supérieure du récipient annulaire (comme définie dans la revendication 6 du brevet 384) est orientée radialement, non selon un axe, et n’a donc pas une forme cylindrique.

[105] En dernier lieu, et il s’agit peut-être ici du point le plus important, la Cour fédérale, dans son analyse aux paragraphes 191 et 192 de la décision en l’espèce, admet implicitement que le produit de quatrième génération inclut une paroi annulaire, comme définie dans la revendication 6 du brevet 384. Par exemple, au paragraphe 191, la Cour fédérale admet que les fentes dans le produit de quatrième génération sont situées « radialement vers l’extérieur d’une saillie vers le bas de la paroi annulaire » (non souligné dans l’original), même si ladite paroi a une forme tronconique.

b) Le brevet 159

[106] En ce qui concerne le brevet 159, Munchkin soutient que l’absence de paroi tubulaire dans le produit de quatrième génération permet de conclure que la revendication 2 n’a pas été contrefaite, et que les revendications 16, 17, 18, 19 et 20 ne le sont pas non plus en raison du fait qu’elles dépendent de la revendication 2. Il est vrai que la revendication 2 définit une paroi tubulaire comme élément essentiel, et que l’absence de cet élément signifie que le produit de quatrième génération ne contrefait pas cette revendication. Cependant, les revendications 16, 17, 18, 19 et 20 dépendent également de la revendication 1, de sorte que l’absence de paroi tubulaire est insuffisante pour éviter la contrefaçon de ces revendications si tous les éléments essentiels de la revendication 1 sont présents.

[107] Munchkin soutient également que son produit de quatrième génération ne contrefait pas le brevet 159 parce que les fentes dans ce produit ne sont pas [traduction] « situ[ées] vers l’extérieur d’une projection imaginaire de la paroi s’étendant vers le bas le long de l’axe central », comme défini dans la revendication 1 du brevet 159. C’est difficile à accepter compte tenu de la conclusion de la Cour fédérale, au paragraphe 191 de la décision en l’espèce (comme indiquée au paragraphe 105 ci-dessus, et non contestée par Munchkin) selon laquelle son produit de quatrième génération comprend en effet des fentes qui sont situées [traduction] « radialement à l’extérieur d’une projection vers le bas de la paroi annulaire », comme défini à la revendication 6 du brevet 384. Munchkin tente d’établir une distinction entre ces deux clauses en faisant valoir que la projection imaginaire de la paroi mentionnée à la revendication 1 du brevet 159 s’étend [traduction] « le long d’un axe central », tandis que la revendication 6 du brevet 384 renvoie à une projection vers le bas de la paroi annulaire. Munchkin soutient que la paroi en question dans le produit de quatrième génération a une forme tronconique et qu’une projection imaginaire de la paroi s’étendant vers le bas ne serait donc pas [traduction] « le long d’un axe central ».

[108] Je ne suis pas d’accord avec cette distinction. La revendication 1 du brevet 159 définit [traduction] « un récipient doté d’une paroi délimitant une ouverture centrale, l’ouverture centrale s’étend le long d’un axe central généralement vertical ». Par conséquent, l’axe central mentionné dans le passage en cause cité dans le paragraphe précédent est celui de la paroi annulaire du récipient. Cependant, cette paroi annulaire n’a pas à être cylindrique pour avoir un axe central. Un cône a un axe central. De plus, la projection en question est imaginaire; elle n’a pas à suivre la surface de la paroi annulaire ou toute autre partie réelle de la cartouche.

[109] En outre, il importe peu de savoir si la projection imaginaire de la paroi s’étend le long de l’axe central ou le long de la surface de la paroi annulaire. Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que les fentes dans le produit de quatrième génération sont situées à l’extérieur de celui-ci.

(3) Conclusion concernant les questions en suspens relatives à la contrefaçon

[110] Ayant examiné (i) les conclusions de la Cour fédérale concernant la contrefaçon des revendications 9 et 10 du brevet 384 et des revendications 1, 16, 17, 18, 19 et 20 du brevet 159 par les produits de deuxième et troisième générations de Munchkin, (ii) les différences entre les produits de ces générations et le produit de quatrième génération, et (iii) les arguments de Munchkin à l’appui de l’absence de contrefaçon, j’ai conclu qu’il n’est pas nécessaire de renvoyer à la Cour fédérale la question de la contrefaçon de ces revendications par le produit de quatrième génération. Je suis convaincu que, si l’affaire était renvoyée, la Cour fédérale conclurait que toutes les revendications en question ont ainsi été contrefaites.

C. Conclusion concernant le deuxième appel (dossier no A-106-22)

[111] J’accueillerais le deuxième appel. Je modifierais le jugement qui accompagnait la décision en l’espèce de manière à annuler les conclusions de la Cour fédérale concernant l’absence de contrefaçon des revendications 9 et 10 du brevet 384 et de la revendication 1 du brevet 159 (ainsi que des revendications dépendantes 16, 17, 18, 19 et 20) par le produit de quatrième génération de Munchkin, et à les remplacer par des conclusions de contrefaçon. Je rendrais également une injonction permanente sous la forme proposée par Angelcare dans son mémoire des faits et du droit.

[112] J’ordonnerais à Munchkin de verser à Angelcare les dépens du présent appel, une somme forfaitaire de 7 500 $, dont les parties ont convenu.

VI. Conclusions

[113] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, je rejetterais l’appel de Munchkin dans le dossier no A‑105-22, et j’accueillerais l’appel d’Angelcare dans le dossier no A-106-22. Je modifierais le jugement de la Cour fédérale de manière à indiquer que les revendications 9 et 10 du brevet 384 et les revendications 1, 16, 17, 18, 19 et 20 du brevet 159 sont contrefaites par le produit de quatrième génération de Munchkin, et je rendrais une injonction en ce sens.

[114] En ce qui concerne les deux appels, j’adjugerais à Angelcare une somme forfaitaire de 15 000 $ à titre de dépens.

« George R. Locke »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Elizabeth Walker, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-105-22 (dossier principal)

 

 

INTITULÉ :

MUNCHKIN, INC. et MUNCHKIN BABY CANADA, LTD. c. ANGELCARE CANADA INC. et EDGEWELL PERSONAL CARE CANADA ULC et PLAYTEX PRODUCT, LLC

 

 

ET DOSSIER :

A-106-22

 

 

INTITULÉ :

ANGELCARE CANADA INC. et EDGEWELL PERSONAL CARE CANADA ULC et PLAYTEX PRODUCTS, LLC c. MUNCHKIN, INC. et MUNCHKIN BABY CANADA, LTD.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 4 et 5 juin 2024

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 SEPTEMBRE 2024

 

COMPARUTIONS :

Vincent M. de Grandpré

Benjamin K. Reingold

Thomas Laur

 

Pour les appelantes/intimées

MUNCHKIN, INC. et MUNCHKIN BABY CANADA, LTD.

 

François Guay

Guillaume Lavoie Ste-Marie

Denise Felsztyna

 

Pour les intimées/appelantes

ANGELCARE CANADA INC. et EDGEWELL PERSONAL CARE CANADA ULC et PLAYTEX PRODUCTS, LLC

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bennett Jones S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

Pour les appelantes/intimées

MUNCHKIN, INC. et MUNCHKIN BABY CANADA, LTD.

Smart & Biggar S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour les intimées/appelantes

ANGELCARE CANADA INC. et EDGEWELL PERSONAL CARE CANADA ULC et PLAYTEX PRODUCTS, LLC

 

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