Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20240321


Dossier : A-167-23

Référence : 2024 CAF 59

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

SIGMA CHI CANADIAN FOUNDATION

appelante

et

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 21 mars 2024, avec la participation
à distance d’un membre de la formation.

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 21 mars 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20240321


Dossier : A-167-23

Référence : 2024 CAF 59

CORAM :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

 

SIGMA CHI CANADIAN FOUNDATION

 

appelante

 

et

 

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 21 mars 2024.)

LE JUGE LASKIN

[1] La Sigma Chi Canadian Foundation interjette appel devant notre Cour d’une décision du ministre du Revenu national en vertu de l’alinéa 172(3)a.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la LIR). Dans cette décision, le ministre confirmait son intention de révoquer l’enregistrement de Sigma Chi en tant qu’organisme de bienfaisance.

[2] La fondation Sigma Chi est enregistrée comme organisme de bienfaisance depuis 1992. Elle se décrit comme une société d’aide mutuelle internationale comptant, au Canada et aux États-Unis, 244 sections actives de premier cycle et 152 sections d’anciens diplômés. L’un de ses objectifs, selon ce qui a été déclaré lors de l’enregistrement, était d’[traduction] « aider les étudiants méritants dans le besoin (de premier, deuxième et troisième cycles) inscrits dans des établissements d’enseignement supérieur au Canada à y poursuivre et terminer leurs études ».

[3] Un organisme doit satisfaire à des exigences légales pour pouvoir être considéré comme organisme de bienfaisance et le demeurer. En 2010 et 2011, l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a audité les activités de Sigma Chi. L’audit a permis de relever certains points de non-conformité, notamment l’omission de la fondation Sigma Chi de consacrer la totalité de ses ressources à des activités de bienfaisance et l’octroi d’avantages personnels aux membres. L’audit a révélé que la majorité des bourses de la fondation n’étaient offertes qu’aux membres.

[4] Le ministre et Sigma Chi ont conclu un accord de conformité en mars 2011 afin de résoudre les problèmes révélés par l’audit. Dans cet accord, Sigma Chi s’engageait notamment à [traduction] « consacrer la totalité de ses ressources à des activités de bienfaisance » et à ne pas limiter ses bourses et son aide financière aux membres de la fondation.

[5] L’ARC a entamé un deuxième audit en novembre 2017. Le ministre a informé Sigma Chi des conclusions de l’audit selon lesquelles Sigma Chi ne respectait pas les exigences de la loi, notamment parce qu’elle ne consacrait pas ses ressources à ses propres activités de bienfaisance, ne tenait pas de registres et de livres de comptes adéquats et délivrait des reçus fiscaux non conformes. L’audit a également révélé qu’au cours des exercices financiers 2015 et 2016, respectivement 61 % et 74 % de toutes les ressources consacrées aux bourses d’études et aux récompenses étaient destinées à des « bourses internes » réservées aux membres et aux candidats admis et que certaines bourses étaient attribuées en fonction du rôle du bénéficiaire au sein de Sigma Chi ou de sa façon de représenter les idéaux de la fondation. Selon l’audit, les activités de Sigma Chi visaient principalement à servir l’intérêt des membres et non du public (contrairement à ce qu’exige la LIR dans le cas d’un organisme de bienfaisance enregistré).

[6] Sigma Chi a présenté des observations écrites au ministre en réponse à l’audit. Après avoir examiné ces observations, le ministre a jugé que Sigma Chi ne remplissait pas les conditions d’enregistrement des organismes de bienfaisance et a délivré un avis d’intention de révoquer l’enregistrement. En réponse à cet avis, Sigma Chi a déposé un avis d’opposition. Le ministre a examiné les arguments avancés par Sigma Chi à l’appui de son opposition, mais a conclu qu’ils ne démontraient pas que Sigma Chi remplissait les conditions nécessaires au maintien de son enregistrement. Toutefois, il a décidé, à la lumière de l’avis d’opposition, de cesser d’invoquer l’un des motifs qu’il avait initialement avancé, soit le non-respect des exigences relatives à la tenue de registres et de livres de comptes énoncées au paragraphe 230(2) de la LIR.

[7] Le ministre invoque maintenant trois motifs de révocation : (1) Sigma Chi accordait des avantages à ses membres et n’était donc pas administrée exclusivement à des fins de bienfaisance comme l’exige l’alinéa 149.1(1)a) de la LIR; (2) elle versait des fonds à des donataires non reconnus, à l’encontre de l’alinéa 149.1(1)a.1); (3) elle n’exerçait aucun contrôle et n’avait aucune emprise sur les fonds envoyés à une organisation américaine, et ne consacrait donc pas la totalité de ses ressources aux activités de bienfaisance qu’elle menait elle-même, contrairement à l’alinéa 149.1(1)a.1) : Canadian Committee for the Tel Aviv Foundation c. Canada, 2002 CAF 72, au para. 40.

[8] Sigma Chi conteste ces trois conclusions. Il est communément admis que la norme de contrôle applicable à l’égard de telles conclusions est la norme de l’erreur manifeste et déterminante, qui appelle un degré élevé de retenue. Ainsi, pour que la Cour modifie la décision du ministre fondée sur ces conclusions, Sigma Chi doit démontrer l’existence d’une erreur manifeste et déterminante à l’égard de chacune des trois conclusions : Colel Chabad Lubavitch Foundation of Israel c. Canada (Revenu national), 2022 CAF 108, aux paras. 49 et 51. Sigma Chi soutient également que le ministre a manqué à son obligation d’équité procédurale et que sa conduite suscite une crainte raisonnable de partialité. Nous ne sommes pas d’avis qu’elle ait réussi à établir l’une ou l’autre de ces prétentions.

[9] Premièrement, nous ne relevons aucune erreur manifeste et déterminante dans la conclusion selon laquelle Sigma Chi accordait des avantages à ses membres au moyen de bourses d’études internes. Sigma Chi affirme que ces bourses sont offertes à tous les étudiants universitaires de sexe masculin pouvant demander à devenir membres de la fondation, mais elles ne sont versées en fin de compte qu’à ceux qui sont admis en tant que membres ou candidats. En outre, malgré l’engagement pris par Sigma Chi dans l’accord de conformité de [traduction] « consacrer la totalité de ses ressources à des activités de bienfaisance » et de ne pas restreindre les bénéficiaires du programme de bourses et d’aide à l’éducation, le dossier montre que Sigma Chi a continué à accorder des bourses internes en 2015, 2016, 2020 et 2021. En 2015 et 2016, Sigma Chi a réservé respectivement 75 % et 82 % des fonds de bourses d’études à ses membres et candidats admis. En 2020 et 2021, Sigma Chi a accordé 216 760 $ en bourses internes. Le ministre souligne également qu’au moment de l’enregistrement, l’objectif déclaré de Sigma Chi d’aider les étudiants à poursuivre des études supérieures ne faisait aucunement mention d’une quelconque restriction en faveur des membres ou des candidats admis. Pas plus tard qu’en mai 2023, Sigma Chi déclarait sur son site Web que [traduction] « [l]a Fondation sert de moyen, pour les sections locales actives, les sections d’anciens diplômés et les sociétés d’habitation, de recueillir des fonds déductibles d’impôt à des fins éducatives, principalement au profit des sections actives et des membres actifs » (non souligné dans l’original), ce qui ne constitue pas une fin de bienfaisance au sens de la LIR.

[10] Deuxièmement, nous ne décelons pas non plus d’erreur susceptible de révision dans la conclusion du ministre selon laquelle Sigma Chi a fourni des fonds à des donataires non reconnus en accordant des prêts aux sociétés d’habitation de la société d’aide mutuelle Sigma Chi, créées pour fournir des logements aux membres. En outre, la fondation n’a pas respecté l’accord de conformité, car elle n’a pas obtenu de garantie pour les prêts consentis à London Sigma Chi Properties et a accordé une nouvelle avance à London Sigma Chi Properties, en dépit des obligations qui lui incombaient aux termes de cet accord. Les prêts et avances accordés à London Sigma Chi Properties mettaient en jeu des sommes importantes. Selon le premier audit, les prêts s’élevaient à 403 015 $. L’avance supplémentaire était de 25 000 $.

[11] Troisièmement, nous ne voyons aucune erreur susceptible de révision dans la conclusion du ministre selon laquelle Sigma Chi n’a pas réussi à conserver un contrôle ou une emprise sur le programme Horizon Scholarship financé en partie par Sigma Chi et administré aux États-Unis. Comme le souligne le ministre, Sigma Chi ne dispose que d’un seul des huit sièges au conseil d’administration et de deux des seize sièges du comité de sélection. La conclusion du ministre selon laquelle Sigma Chi n’exerçait aucun contrôle ni emprise sur l’utilisation de ses fonds était amplement étayée par le dossier.

[12] Enfin, à notre avis, Sigma Chi n’a pas réussi à établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité et il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

[13] Le critère permettant d’établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité consiste à déterminer à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? : Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire # 23 c. Yukon (Procureure générale), [Commission scolaire francophone du Yukon] 2015 CSC 25, au para. 20. Le fardeau qui incombe à la partie qui allègue l’existence d’une crainte raisonnable de partialité est élevé : Commission scolaire francophone du Yukon, au para. 26. Les motifs invoqués par Sigma Chi pour alléguer une crainte raisonnable de partialité ne satisfont pas à ce fardeau élevé.

[14] Sigma Chi soutient que la conduite du ministre soulève une crainte raisonnable de partialité parce qu’il a traité la fondation d’une manière différente des autres organisations qui limitent leurs bourses d’études à un sous-ensemble du public. Elle mentionne les bourses offertes par l’Université de Toronto qui sont réservées aux étudiants inscrits au Trinity College. Toutefois, comme la Cour l’a déclaré dans un contexte fiscal, le fait que d’autres personnes aient bénéficié d’une exonération n’est pas pertinent pour déterminer si un contribuable donné devrait bénéficier de cette même exonération : Sinclair c. Canada, 2003 CAF 348, au para. 7. Même si les comparaisons étaient pertinentes, le dossier dont nous disposons est loin de fournir une base probante sur laquelle la Cour pourrait établir des comparaisons significatives.

[15] Sigma Chi soutient également que le refus du ministre de prendre en considération les offres de Sigma Chi de prendre des mesures correctives constitue le fondement de la crainte raisonnable de partialité. Toutefois, comme le fait remarquer le ministre, Sigma Chi a eu trois occasions de répondre en bonne et due forme aux questions soulevées par le ministre. Il ressort du dossier dont nous disposons que les observations de Sigma Chi ont été prises au sérieux et ont fait l’objet d’un examen approfondi. Nous sommes d’accord avec le ministre pour dire que Sigma Chi n’avait pas le droit de continuer à négocier d’autres mesures correctives, compte tenu notamment du non‑ respect de ses obligations aux termes de l’accord de conformité.

[16] Pour ces motifs, nous rejetterons l’appel avec dépens, lesquels sont fixés à 5 000 $, tout inclus, conformément à l’entente des parties.

« J. B. Laskin »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-167-23

 

 

INTITULÉ :

SIGMA CHI CANADIAN FOUNDATION c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 mars 2024

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE LASKIN

COMPARUTIONS :

David W. Chodikoff

Justin Ng

Pour l’appelante

Marissa Figlarz

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson S.E.N.C.R.L.

Toronto (Ontario)

Pour l’appelante

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.