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Date : 20240307


Dossier : A-201-22

Référence : 2024 CAF 42

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LA JUGE GOYETTE

LE JUGE HECKMAN

 

 

ENTRE :

3295940 CANADA INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

Audience tenue à Montréal (Québec), le 15 novembre 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 mars 2024.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GOYETTE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE HECKMAN

 


Date : 20240307


Dossier : A-201-22

Référence : 2024 CAF 42

CORAM :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LA JUGE GOYETTE

LE JUGE HECKMAN

 

 

ENTRE :

3295940 CANADA INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LE ROI

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GOYETTE

[1] Gestion Micsau Inc. (Micsau) détenait, par l’intermédiaire de ses actions de 3295940 Canada Inc. (3295 ou l’appelante), une participation minoritaire indirecte dans une entreprise de médicaments génériques. Le propriétaire majoritaire a entamé des négociations en vue de vendre l’entreprise à un tiers. De ce fait, Micsau devait vendre sa participation dans l’entreprise.

[2] Micsau souhaitait utiliser le coût fiscal élevé de ses actions de 3295. Comme le coût fiscal des actions que 3295 détenait dans l’entreprise sous-jacente était beaucoup plus faible, une disposition de ces actions aurait généré un gain en capital nettement supérieur. Micsau souhaitait donc vendre ses actions de 3295 et tirer profit de leur coût élevé. Pour les raisons que j’expose plus loin, cela n’a pas été possible. Dans ce contexte, Micsau a entrepris une série d’opérations calquant les conséquences fiscales qu’aurait engendrées la vente par Micsau de ses actions de 3295.

[3] Pour citer librement un auteur, ce qui aurait dû être une [traduction] « occasion de planification fiscale tout à fait ordinaire », soit le fait pour Micsau d’utiliser son coût fiscal élevé et d’être imposée sur son véritable gain économique, s’est révélé être, de l’avis de la Cour canadienne de l’impôt, de l’évitement abusif de la part de 3295 : Eric Hamelin, « GAAR Applicable to the Circular Payment of Capital Dividends » (2023) 71:3 Rev. fiscale can. 859 à la p. 868 [Hamelin].

[4] Compte tenu de la nature véritable et du résultat global de la série d’opérations, il n’y a pas eu d’abus de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). Pour les motifs suivants, j’accueillerais l’appel.

I. Contexte factuel

[5] Selon Shakespeare, « la brièveté est l’âme de l’esprit ». Même si je souhaite mettre en œuvre cette maxime, je me dois de relater les faits de manière approfondie. J’omets toutefois quelques détails accessoires par souci de simplicité. Les lecteurs qui le souhaitent peuvent consulter un compte rendu complet des faits dans l’exposé conjoint partiel des faits (l’exposé conjoint) qui est joint à la décision de la Cour de l’impôt. Sauf indication contraire, les faits sont tirés de l’exposé conjoint.

A. Situation initiale

[6] Avant la série d’opérations, la structure d’entreprise était la suivante.

[7] Comme l’illustre l’organigramme, Micsau détenait 3295 en propriété exclusive, et 3295 détenait une participation minoritaire dans Holdings. RoundTable, un fonds d’investissement américain, détenait le reste des actions et contrôlait ainsi Holdings. Holdings était propriétaire d’une société (Sabex 2002) qui exploitait une entreprise de médicaments génériques.

[8] Comme l’illustre également l’organigramme, les actions de 3295 détenues par Micsau avaient un prix de base rajusté (PBR) de 48,1 M$ et une juste valeur marchande (JVM) de 101,8 M$. Les actions de Holdings détenues par 3295 avaient un PBR de 4 M$ et une JVM de 88,5 M$. L’écart entre le PBR des actions de Holdings et celui des actions de 3295 est attribuable à une opération survenue deux ans avant la période visée, opération par laquelle Micsau a acheté des actions de 3295 auprès d’un autre actionnaire pour devenir l’unique actionnaire de 3295. Micsau a payé 47,46 M$ pour ces actions supplémentaires. Quant à l’écart entre la JVM des actions de Holdings et celle des actions de 3295, il est attribuable au fait que 3295 disposait de 13,3 M$ en liquidités.

B. RoundTable négocie la vente de Holdings

[9] En 2004, RoundTable a entamé des négociations en vue de vendre la totalité des actions de Holdings à un tiers, Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. (Novartis). Une façon de procéder aurait été la vente par Micsau de ses actions de 3295 à Novartis. Cette façon de faire aurait généré un gain en capital de 53,7 M$ (101,8 M$ - 48,1 M$). À titre comparatif, la vente par 3295 de ses actions de Holdings aurait été inefficace : le faible PBR de ces actions aurait généré un gain en capital de 84,5 M$ (88,5 M$ - 4 M$). À la lumière de cette information, le conseiller en affaires et en fiscalité de Micsau a proposé à RoundTable — détentrice du droit exclusif de négocier avec Novartis et de prendre les décisions concernant la vente à Novartis — les opérations alternatives suivantes :

  • a)Micsau vend ses actions de 3295 à Novartis;

  • b)3295 et Holdings fusionnent : Cette fusion créerait une nouvelle société (Fusion inc.). Le PBR des actions de Fusion inc. détenues par Micsau serait identique à celui de ses actions de 3295. Micsau vendrait ses actions de Fusion inc.;

  • c)Une réorganisation de type « tuck-under » est entreprise: Micsau transférerait, sur une base imposable, ses actions de 3295 à Holdings en contrepartie d’actions de Holdings, ce qui permettrait à Micsau d’utiliser son PBR élevé en calculant son gain en capital découlant de l’opération. Micsau vendrait ensuite ses actions de Holdings à Novartis. Holdings et 3295 seraient détenues en propriété croisée, laquelle propriété pourrait être éliminée sans impôt supplémentaire par voie de fusion;

  • d)Micsau vend ses actions de 3295 à RoundTable : RoundTable pourrait alors liquider 3295, le PBR des actions de 3295 serait transféré aux actions de Holdings et RoundTable vendrait les actions de Holdings à Novartis.

Chacune de ces options aurait permis à Micsau d’utiliser son PBR élevé pour réaliser un gain de 53,7 M$ et à Novartis d’acquérir la totalité des actions de Holdings.

(Transcription de l’audience du 8 septembre 2020, dossier d’appel, vol. 2, aux pp. 1032, 1034–1036, 1040–1043 [transcription du 8 septembre]; transcription de l’audience du 9 septembre 2020, dossier d’appel, vol. 2, aux pp. 1149–1150 [transcription du 9 septembre]; 3295940 Canada Inc. c. La Reine, 2022 CCI 68 au para. 152 [motifs de la CCI].)

[10] Il semble que RoundTable, pour éviter de freiner l’élan de la vente, n’a pas proposé les trois premières opérations à Novartis. Néanmoins, RoundTable a déclaré que Novartis n’était pas disposée à acquérir les actions de 3295 de crainte que 3295 ait des passifs potentiels datant de l’époque où elle opérait une entreprise. La dernière opération prévoyait l’acquisition des actions de 3295 par RoundTable, et non par Novartis. Néanmoins, RoundTable a rejeté cette proposition, au motif qu’elle ne voulait pas se retrouver avec une filiale canadienne (3295) après la vente de Holdings : transcription du 8 septembre, aux pp. 1032–1035, 1043–1044, 1067–1068; transcription du 9 septembre, aux pp. 1114–1115, 1153–1155.

[11] Une fois que Novartis et RoundTable se sont mises d’accord sur les conditions de vente de Holdings, le conseiller de Micsau a pu s’entretenir avec Novartis. Tenant pour acquis que Novartis ne voulait pas acquérir, directement ou indirectement, les actions de 3295, le conseiller a proposé de vendre les actions d’une nouvelle société : transcription du 8 septembre, à la p. 1035; transcription du 9 septembre, aux pp. 1114–1115.

[12] Novartis a accepté la proposition en contrepartie d’une baisse du prix d’achat de 1,5 M$ : transcription du 9 septembre, aux pp. 1108–1109. Les éléments de preuve ne permettent pas d’établir clairement si les chiffres ci-dessous tiennent compte de la réduction de 1,5 M$. Ce point n’est toutefois pas pertinent pour trancher la question dont la Cour est saisie.

[13] Compte tenu de ce qui précède, les opérations suivantes ont été réalisées.

C. Série d’opérations

(1) Micsau émet 31,5 millions d’actions de catégorie D

[14] Micsau a échangé ses actions de 3295 contre (1) des actions privilégiées de catégorie D ayant un PBR et une JVM de 31,5 M$ et (2) 100 actions ordinaires ayant un PBR de 16,6 M$ et une JVM de 70,3 M$. Cette opération a fait qu’une partie du PBR élevé de Micsau a été transférée aux actions de catégorie D nouvellement émises.

(2) Micsau transfère les actions de catégorie D à 4244

[15] Micsau a transféré les actions de catégorie D de 3295, d’une valeur de 31,5 M$, à une filiale nouvellement constituée : 4244851 Canada Inc. (4244). En contrepartie, 4244 a émis en faveur de Micsau des actions de catégorie D ayant un PBR et une JVM de 31,5 M$. Étant donné que les actions de catégorie D de 3295 détenues par Micsau avaient un PBR égal au prix auquel elle a transféré ces actions à 4244, cette opération n’a généré aucun gain en capital. L’organigramme résultant des opérations précitées, dont RoundTable est exclue par souci de simplicité, était le suivant :

 

[16] Je fais une pause pour souligner un point essentiel. La proposition acceptée par Novartis consistait en la vente d’actions d’une nouvelle société (4244), pour un montant de 88,5 M$. Comme nous le verrons plus loin, deux « lots » d’actions de 4244 seront vendus à Novartis. Le premier lot se compose des 31,5 millions d’actions de catégorie D de 4244 détenues par Micsau.

(3) 3295 vend ses actions de Holdings à 4244

[17] 3295 a transféré ses actions de Holdings, d’une valeur de 88,5 M$, à 4244. Pour rendre l’échange juste, 4244 a émis des actions d’une valeur de 88,5 M$, réparties ainsi : (1) 57 millions d’actions de catégorie D, d’une valeur de 57 M$ et (2) 31,5 millions d’actions ordinaires, d’une valeur de 31,5 M$. Conformément à la Loi, 3295 a choisi un produit de disposition de 57 M$, et non de 88,5 M$. Par conséquent, 3295 a réalisé un gain en capital de 53 M$ (57 M$ - 4 M$). Ce gain correspond à peu près à celui que Micsau aurait réalisé si elle avait vendu ses actions de 3295 à Novartis. En raison de ce choix, les actions de 4244 détenues par 3295 avaient un PBR de 57 M$, lequel est allé aux 57 millions d’actions de catégorie D. Ainsi, les 31,5 millions d’actions ordinaires détenues par 3295 n’avaient pas de PBR.

[18] Conformément à la Loi, la moitié du gain en capital de 3295 a été imposée et l’autre moitié a été ajoutée au compte de dividendes en capital (CDC) de 3295. Le CDC correspond aux montants, y compris la partie non imposable des gains en capital, qu’une société peut distribuer en franchise d’impôt. Ainsi, le gain en capital de 3295 a ajouté 26,5 M$ au solde de son CDC, le portant à 32,28 M$.

[19] Après ces opérations, l’organigramme était le suivant :

[20] Je m’arrête ici pour noter que le deuxième « lot » d’actions de 4244 qui sera vendu à Novartis est constitué des 57 millions d’actions de catégorie D acquises par 3295 lorsqu’elle a vendu les actions de Holdings à 4244.

(4) Élimination de la propriété croisée entre 3295 et 4244

[21] Comme Micsau avait été informée que Novartis ne voulait pas détenir, directement ou indirectement, d’actions de 3295, la série d’opérations ne pouvait pas comprendre l’achat par Novartis d’une société (4244) détenue en propriété croisée avec 3295. Par conséquent, 4244 et 3295 ont éliminé la propriété croisée avant la vente à Novartis.

[22] Il importe de souligner que l’élimination de la propriété croisée n’a pas modifié la valeur de l’actif que Novartis voulait acheter. Indépendamment de la propriété croisée, la valeur de l’entreprise de médicaments sous-jacente était de 88,5 M$. Cette valeur correspondait à celle des deux « lots » d’actions : (1) 31,5 millions d’actions de catégorie D de 4244 détenues par Micsau, d’une valeur de 31,5 M$ et (2) 57 millions d’actions de catégorie D de 4244 détenues par 3295, d’une valeur de 57 M$.

[23] La propriété croisée a été éliminée au moyen d’un rachat croisé. D’abord, 3295 a racheté les actions de catégorie D de 4244, en contrepartie d’un billet à ordre de 31,5 M$. La Loi a réputé ce montant de 31,5 M$ être un dividende que 4244 a reçu de 3295. Comme 3295 a choisi de traiter ce dividende comme un dividende en capital, ce dividende n’était pas imposable et le solde du CDC de 4244 a augmenté de 31,5 M$ (tandis que le solde du CDC de 3295 a diminué d’un montant équivalent). Ensuite, 4244 a racheté les actions ordinaires de 3295, également en contrepartie d’un billet à ordre de 31,5 M$. De ce fait, 3295 a été réputée avoir reçu un dividende de 31,5 M$ de la part de 4244. 4244 a choisi de traiter ce dividende comme un dividende en capital. Par conséquent, le dividende n’était pas imposable, le solde du CDC de 4244 a été porté à zéro, tandis que le CDC de 3295 a été rétabli. Enfin, 3295 et 4244 ont opéré compensation entre les deux billets à ordre. Après ces opérations, la structure était la suivante :

(5) Micsau transfère ses actions de 4244 à 3295

[24] Micsau a transféré à 3295 le premier lot d’actions, soit 31,5 millions d’actions de catégorie D de 4244. En contrepartie, 3295 a émis 31,5 millions d’actions de catégorie D en faveur de Micsau. Après ces opérations, la structure était la suivante :

[25] Comme l’illustre l’organigramme, 3295 avait la propriété de toutes les actions de catégorie D de 4244, lesquelles avaient une JVM et un PBR de 88,5 M$. Ces actions proviennent des deux lots mentionnés plus haut. Le premier lot correspond aux 31,5 millions d’actions de catégorie D obtenues par Micsau en utilisant son PBR élevé aux premières étapes de la série d’opérations décrites aux paragraphes 14 et 15. Le deuxième lot, soit 57 millions d’actions de catégorie D, se compose des actions sur lesquelles 3295 a été pleinement imposée à l’étape 3 de la série d’opérations décrite aux paragraphes 17 et 18.

(6) 3295 vend les deux lots à Novartis

[26] 3295 a vendu toutes les actions de 4244 qu’elle détenait à Novartis pour un montant de 88,5 M$. Comme le prix de vente des actions et le PBR étaient équivalents, 3295 n’a pas réalisé de gain en capital additionnel sur cette vente.

(7) 3295 verse 31,5 M$ en liquidités à Micsau

[27] Enfin, 3295 a racheté, pour un montant de 31,5 M$, les actions de catégorie D qu’elle avait émises en faveur de Micsau à l’étape 5 de la série d’opérations décrite au paragraphe 24. 3295 a affecté au rachat des actions les fonds qu’elle avait reçus de Novartis à la vente. Cette opération n’a généré aucun impôt à payer. La structure après la série d’opérations s’illustre de la façon suivante :

D. Nouvelle cotisation de la ministre

[28] La ministre du Revenu national (la ministre) a établi une nouvelle cotisation à l’égard de 3295 fondée sur la règle générale anti-évitement (la RGAÉ) prévue à l’article 245 de la Loi. La RGAÉ s’applique lorsqu’une série d’opérations remplit trois conditions. Premièrement, il doit exister un avantage fiscal découlant de la série d’opérations. Deuxièmement, il doit y avoir une opération d’évitement, en ce que la série d’opérations a été effectuée principalement dans le but d’obtenir un avantage fiscal. Troisièmement, l’opération d’évitement doit être abusive. Il y a abus lorsque le résultat de la série d’opérations contrecarre l’objet et l’esprit d’une disposition de la Loi ou de la Loi dans son ensemble.

[29] Par sa nouvelle cotisation, la ministre s’est fondée sur la RGAÉ pour ajouter un gain en capital de 31,5 M$ au revenu de 3295. Selon la ministre, Micsau et 3295 ont effectué une série d’opérations d’évitement qui a donné lieu à un avantage fiscal, à savoir une réduction de 31,5 M$ du gain en capital que 3295 aurait réalisé si elle avait vendu directement les actions détenues dans Holdings à Novartis. Toujours selon la ministre, la série d’opérations a permis à 3295 d’abuser :

  • a)du régime d’imposition des gains en capital de la Loi visé aux alinéas 3b), 39(1)a) et 40(1)a) et au paragraphe 38(1);

  • b)du régime fiscal propre aux dividendes en capital prévu aux paragraphes 83(2) et 89(1) de la Loi; et

  • c)du paragraphe 55(2).

[30] Avant de réviser l’analyse de la Cour de l’impôt, je vais résumer brièvement ces dispositions et leur cadre d’application.

II. Aperçu des dispositions qui auraient fait l’objet d’abus

A. Régime des gains en capital

[31] Les gains en capital correspondent au gain économique qu’une contribuable réalise lorsqu’elle dispose d’un bien en capital : alinéa 39(1)a). Le gain en capital est obtenu en soustrayant le prix de base rajusté (PBR) du produit de la disposition (PD) : paragraphe 40(1). Par exemple, si une contribuable achète un bien en capital au prix de 100 $ et qu’elle le vend pour 150 $, elle réalise un gain en capital de 50 $, soit le PD de 150 $ moins le PBR de 100 $. Seule la moitié du gain en capital est imposable : alinéa 38a). Ainsi, dans notre exemple, le gain en capital imposable est de seulement 25 $, soit la moitié du gain en capital de 50 $.

B. Dividendes en capital

[32] L’objectif du législateur est d’imposer la moitié des gains en capital, qu’ils soient réalisés directement par un particulier ou indirectement par l’intermédiaire d’une société. Lorsqu’une société privée réalise un gain en capital, la partie non imposable est ajoutée à son compte de dividendes en capital (CDC). Comme je l’ai mentionné, le solde du CDC correspond aux montants, y compris la partie non imposable des gains en capital, qu’une société peut distribuer en franchise d’impôt à ses actionnaires sous forme de dividendes en capital. Sans le CDC, la partie non imposable du gain en capital serait assujettie à l’impôt. Lorsque la société verse un dividende en capital à une société actionnaire, le solde du CDC de la société qui verse le dividende diminue du montant du dividende, tandis que le solde du CDC de la société actionnaire augmente du même montant. Ces règles sont énoncées aux paragraphes 83(2) et 89(1).

C. Paragraphe 55(2)

[33] Le paragraphe 55(2) s’applique dans le contexte du régime des dividendes intersociétés. Un élément essentiel de ce régime est le paragraphe 112(1), lequel prévoit qu’une société actionnaire qui reçoit un dividende imposable d’une société canadienne peut le déduire de son revenu. Il s’ensuit que la société actionnaire reçoit le dividende en franchise d’impôt. Ce résultat se justifie par le fait que le dividende a été prélevé sur le bénéfice après impôt; l’imposer de nouveau entre les mains de la société bénéficiaire donnerait lieu à une double imposition.

[34] Le paragraphe 55(2) a un double objectif.

[35] Premièrement, il fait obstacle au « dépouillement de gains en capital ». Il y a dépouillement de gains en capital lorsqu’une société réduit sa valeur en versant un dividende à sa société actionnaire avant la vente de ses actions, convertissant ainsi un gain en capital en dividende intersociétés libre d’impôt. Voici une illustration des effets du paragraphe 55(2). Supposons que la société A inc. détienne la société B inc. en propriété exclusive. B inc. possède un actif d’une valeur de 100 $. B inc. verse un dividende de 99 $ à A inc., qui le reçoit en franchise d’impôt. A inc. pourrait alors vendre ses actions de B inc. à un tiers pour 1 $. De cette façon, A inc. ferait passer la valeur de la vente de 100 $ à 1 $ et convertirait un gain en capital imposable en un dividende intersociétés libre d’impôt. Le paragraphe 55(2) fait obstacle à une telle stratégie, car il répute le dividende de 99 $ comme faisant partie du gain en capital réalisé par A inc. à la vente de ses actions de B inc.

[36] Deuxièmement, le paragraphe 55(2) protège le flux de dividendes exemptés d’impôt attribuable aux revenus déjà imposés de la société qui verse le dividende : Canada c. Kruco Inc, 2003 CAF 284 au para. 32 [Kruco]. Pour reprendre l’exemple précédent, si le revenu après impôt de B inc. s’élève à 10 $, elle peut verser un dividende de 10 $ à A inc. avant sa vente. Un tel dividende est permis par le paragraphe 55(2). L’hypothèse sous-jacente est qu’un dividende supérieur aux bénéfices après impôt, soit un dividende supérieur à 10 $ dans notre exemple, correspond à la hausse de valeur non imposée de l’actif: Kruco au para. 32; Ottawa Air Cargo Centre Ltd. c. La Reine, 2007 CCI 193 au para. 27, conf. par 2008 CAF 54.

[37] En gardant ce contexte législatif à l’esprit, je me penche sur la décision de la Cour de l’impôt.

III. Décision de la Cour de l’impôt

[38] La Cour de l’impôt devait déterminer si la RGAÉ s’appliquait à la série d’opérations. 3295 a admis que les deux premières conditions d’application de la RGAÉ étaient remplies, soit l’existence d’un avantage fiscal et l’opération d’évitement. La seule question restante était de déterminer si la série d’opérations était abusive.

[39] La Cour de l’impôt a jugé que la série d’opérations constituait un abus du paragraphe 55(2) et du régime fiscal propre aux dividendes en capital : motifs de la CCI, aux para. 118, 120, 129–132, 144. La Cour de l’impôt a conclu que l’objet et l’esprit des paragraphes 55(2), 83(2) et 89(1) sont collectivement « d’empêcher qu’un contribuable puisse, au moyen de dividende libre d’impôt, éviter le gain en capital inhérent aux actions d’une corporation attribuable à la plus-value non réalisée » : motifs de la CCI au para. 118. Selon la Cour de l’impôt, les dividendes que 3295 et 4244 ont reçus au moment du rachat croisé de leurs actions étaient abusifs parce qu’ils ont contourné l’application du paragraphe 55(2) et entraîné une augmentation du PBR des actions de Holdings détenues par 3295, alors que les sous-alinéas 88(1)c)(ii) et (iii) ne permettaient pas une telle augmentation : motifs de la CCI aux para. 118, 120–123, 136–144.

[40] 3295 a fait valoir que cette stratégie n’était pas abusive parce que les opérations alternatives, décrites au paragraphe 9 ci-dessus, auraient pu être réalisées et donner lieu à une imposition moindre. La Cour de l’impôt a dit que ces opérations alternatives n’étaient pas des points de comparaison valables parce qu’elles « concernent la vente des actions de [3295] » et qu’« il a été démontré que la vente des actions de Holdings était primordiale » : motifs de la CCI au para. 159.

[41] La Cour de l’impôt a donc rejeté l’appel et confirmé la nouvelle cotisation de la ministre.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[42] La seule question en litige est de savoir si la série d’opérations est abusive.

[43] La norme de contrôle pour les affaires concernant la RGAÉ portées en appel dépend de l’étape de l’analyse du caractère abusif qu’une partie conteste. L’analyse du caractère abusif se fait en deux étapes. La première étape consiste à cerner l’objet et l’esprit des dispositions en cause. Comme cette première étape est une question de droit, les cours d’appel doivent appliquer la norme de la décision correcte : Deans Knight Income Corp. c. Canada, 2023 CSC 16 au para. 78 [Deans Knight]; Canada c. Alta Energy Luxembourg S.A.R.L., 2021 CSC 49 au para. 50; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54 au para. 44 [Canada Trustco]; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 aux para. 8, 26–37 [Housen]. La deuxième étape consiste à déterminer si les opérations en cause sont abusives. Cette analyse « dépend nécessairement des faits » et est donc susceptible de révision seulement en cas d’erreur manifeste et déterminante, en l’absence d’une erreur de droit isolable : Deans Knight au para. 121; Canada Trustco au para. 44; Canada c. Oxford Properties Group Inc., 2018 CAF 30 au para. 39 [Oxford Properties]; Housen au para. 10.

[44] Lorsqu’un juge de première instance omet de considérer le résultat global d’une série d’opérations, il commet une erreur de droit isolable. Par exemple, dans l’arrêt Oxford Properties, notre Cour n’a pas fait preuve de retenue à l’égard de la partie de l’analyse du juge de première instance sur le caractère abusif, laquelle partie d’analyse ne tenait pas compte du résultat global de la série d’opérations : Oxford Properties aux para. 107–113. Dans la même veine, l’omission du juge de première instance de tenir compte de la véritable nature d’un plan constitue une erreur de droit : Canada c. Microbjo Properties Inc., 2023 CAF 157 [Microbjo]. Dans l’arrêt Microbjo, le juge Noël a donné l’explication suivante :

En ne tenant pas compte de la véritable nature du plan, la Cour de l’impôt a commis une erreur de droit. En effet, comme l’a expliqué la Cour suprême dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, 144 D.L.R. (4e) 1 (par. 39 et 41), un tribunal qui fait abstraction de la preuve que le droit l’oblige à prendre en considération commet une erreur de droit.

(Microbjo au para. 74)

V. Analyse

[45] La Cour de l’impôt n’a pas tenu compte de l’ensemble de la série d’opérations et de son résultat global. Cette erreur de droit a mené la Cour à errer dans son analyse du caractère abusif et à rejeter à tort les opérations alternatives, lesquelles auraient permis de confirmer que la série d’opérations ne constituait pas un abus du paragraphe 55(2) ou du régime propre aux dividendes en capital.

A. La Cour de l’impôt a mal interprété l’analyse du caractère abusif

[46] Pour déterminer si des opérations faisant partie d’une série sont abusives, la Cour suprême et notre Cour ont prescrit que l’on doit tenir compte de « l’ensemble des opérations » ou de son « effet global » ou « résultat global » : Lipson c. Canada, 2009 CSC 1 au para. 34; Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63 au para. 71 [Copthorne]; Canada c. Landrus, 2009 CAF 113 aux para. 66–67; Birchcliff Energy Ltd. c. Canada, 2019 CAF 151 aux para. 27–28 [Birchcliff]; Oxford Properties aux para. 106–110, 118–119.

[47] En l’espèce, le résultat global de la série d’opérations n’a pas lésé la ministre. Avant la série d’opérations, un gain en capital de 53,7 M$ aurait été réalisé si Micsau avait vendu ses actions de 3295 à Novartis. Après la série d’opérations, un gain en capital de 53 M$ a été réalisé et imposé. Dans le même ordre d’idée, l’écart entre le gain en capital imposé (53 M$) et le prix d’achat payé par Novartis (88,5 M$) n’a pas échappé à l’impôt. Il s’agit simplement de l’utilisation d’un PBR obtenu de façon légitime : 4 M$ pour 3295 et 31,5 M$ pour Micsau.

[48] Au lieu de tenir compte de l’ensemble de la série d’opérations et de son résultat global, la Cour de l’impôt a restreint son analyse à l’étape de la série où l’on pouvait supposer que 3295 avait, par le dividende en capital versé au moment du rachat croisé, réduit le gain en capital qui aurait été réalisé à la disposition de ses actions ordinaires de 4244 juste avant le versement du dividende. Toutefois, si la Cour de l’impôt avait examiné toute la série d’opérations, la seule conclusion qu’elle aurait pu tirer était que le dividende en capital versé au moment du rachat croisé n’avait pas réduit le gain en capital de 3295 et, par conséquent, qu’il n’y avait pas eu d’abus du paragraphe 55(2).

[49] Un bref scénario hypothétique démontre que le rachat croisé n’a pas diminué le gain en capital de 3295. Techniquement, Novartis aurait pu acheter les actions de 4244 sans le rachat croisé décrit au paragraphe 23. Le contrôle de 4244 aurait été transféré à Novartis, comme dans la série d’opérations contestée, et le gain en capital de 3295 aurait tout de même été de 53 M$ (PD de 57 M$ moins PBR de 4 M$). Quant à Micsau, elle n’aurait réalisé aucun gain sur la vente de ses 31,5 millions d’actions de catégorie D de 4244, car le PBR de ces actions était égal à leur JVM. Après l’achat par Novartis, 4244 et 3295 auraient pu éliminer la propriété croisée au moyen d’un rachat croisé. Tout comme la propriété croisée n’a pas augmenté la valeur de l’entreprise pharmaceutique que Novartis voulait acheter, le rachat croisé n’a pas diminué la valeur des actions vendues à Novartis.

[50] La ministre soutient que le dividende en capital versé au moment du rachat croisé a diminué le gain en capital de 3295 de 31,5 M$. Je ne suis pas d’accord. La réduction de 31,5 M$ contestée par la ministre ne résulte pas du rachat croisé, mais de la vente du premier lot d’actions. Micsau a obtenu la JVM et le PBR de ces actions en isolant en toute légalité le PBR et la JVM de 31,5 M$ obtenus légitimement dans de nouvelles actions de catégorie D.

[51] L’explication techniquement plus précise de la réduction de 31,5 M$ contestée par la ministre est la suivante. Rappelons que les actions de 4244 d’une valeur de 88,5 $ achetées par Novartis provenaient de deux lots : le premier lot était composé de 31,5 millions d’actions de catégorie D détenues par Micsau, et le second, de 57 millions d’actions de catégorie D détenues par 3295. Le second lot, d’une valeur de 57 M$, a été dûment imposé; ce que la ministre admet. Le premier lot reste en litige. La JVM et le PBR de 31,5 M$ pour ce lot résultent des deux premières étapes de la série d’opérations, par lesquelles (1) Micsau a isolé le PBR et la JVM de 31,5 M$ obtenus légitimement dans des actions de catégorie D, puis (2) elle a échangé ces actions contre des actions de catégorie D de 4244, lesquelles avaient également un PBR et une JVM de 31,5 M$. Juste avant la vente à Novartis, Micsau a transféré les actions de 4244 qu’elle détenait à 3295, puis 3295 a vendu ce lot à Novartis pour 31,5 M$. L’utilisation par Micsau de son PBR élevé explique donc pourquoi le premier lot n’a pas généré de gain en capital; cela n’a rien à voir avec le dividende en capital versé au moment du rachat croisé.

[52] Pour dissiper tout doute sur l’objectif et l’effet de la série d’opérations, il convient de rappeler qu’au lieu de transférer ses actions de 4244 à 3295 pour que 3295 les vende à Novartis, Micsau aurait pu vendre ses actions de 4244 directement à Novartis pour 31,5 M$. Si Micsau avait procédé ainsi, elle aurait reçu ce montant de 31,5 M$ directement de Novartis, et le gain réalisé par 3295 aurait également été de 53 M$ : Hamelin à la p. 874. Cette autre façon de faire aurait clairement établi que l’objectif et l’effet de la série d’opérations étaient de permettre à Micsau d’utiliser son PBR élevé, et non de réduire abusivement le gain en capital de 3295. D’ailleurs, l’objectif et l’effet correspondent exactement à l’information qui figure dans les documents de planification fiscale de l’appelante : dossier d’appel, vol. 1, onglet F.5, à la p. 829.

[53] Pour conclure, la série d’opérations a donné lieu à la vente d’actions d’une nouvelle société (4244), pour un montant de 88,5 M$. Au cours de la série d’opérations, 3295 a reçu 57 M$ et a été imposée sur un gain en capital de 53 M$ (PD de 57 M$ moins PBR de 4 M$). Également dans cette série, Micsau a reçu 31,5 M$ tout en utilisant 31,5 M$ de son PBR. Avant la série, les actions de 3295 détenues par Micsau affichaient un PBR de 48,1 M$ et une JVM de 101,8 M$, pour un gain accumulé de 53,7 M$. Après la série, Micsau a reçu 31,5 M$ de la part de 3295, le PBR et la JVM des actions de 3295 détenues par Micsau ont été réduits de 31,5 M$, et le gain accumulé par Micsau sur ces actions est toujours de 53,7 M$ (PBR de 16,6 M$ et JVM de 70,3 M$). Ainsi, Micsau sera imposée sur un montant de 53,7 M$ si elle vend ses actions de 3295 après la série d’opérations.

[54] Après avoir évalué le dividende en capital versé au moment du rachat croisé qui est contesté en le plaçant dans le contexte de toute la série d’opérations, comme la Cour de l’impôt aurait dû le faire, je ne vois pas en quoi cette opération était abusive. Je suis d’accord avec 3295 pour dire que le résultat global de cette série d’opérations est conforme à l’objet et à l’esprit du régime des gains en capital précédemment établi par notre Cour, c’est-à-dire l’imposition de gains économiques véritables : Triad Gestco Ltd. c. Canada, 2012 CAF 258 aux para. 40–42.

B. La Cour de l’impôt a omis de tenir compte des opérations alternatives

[55] En omettant de tenir compte de la série d’opérations dans son ensemble et de son résultat global, la Cour de l’impôt a non seulement mal effectué l’analyse du caractère abusif, mais elle a aussi rejeté à tort les opérations alternatives, lesquelles auraient permis de confirmer le caractère non abusif de la série d’opérations.

[56] Les opérations alternatives qu’aurait pu réaliser un contribuable sont prises en compte dans le cadre de l’analyse de la RGAÉ.

[57] Par exemple, dans certains cas, il se peut que l’existence d’un avantage fiscal ne puisse être établie qu’au moyen d’une comparaison entre les attributs fiscaux de l’opération ou de la série d’opérations effectuées et ceux d’une autre opération qui aurait pu être réalisée : Canada Trustco par. 20; Copthorne au para. 35. Le cas qui nous occupe en est un exemple parfait, 3295 ayant admis l’existence d’un avantage fiscal parce que, sans la série d’opérations, la vente de 1,5 million d’actions de Holdings qu’elle détenait aurait donné lieu à un gain en capital supérieur.

[58] De même, les tribunaux tiennent compte des attributs fiscaux des opérations alternatives au moment d’établir si l’évitement fiscal a un caractère abusif : Shawn D. Porter, « The Misuse and Abuse Exception: The Role of Alternative Transactions » dans Brian J. Arnold, (éd.), The General Anti-Avoidance Rule: Past, Present, and Future (Toronto : Fondation canadienne de la fiscalité, 2021) aux pp. 275–286 [Porter], citant Lehigh Cement Limited c. Canada, 2010 CAF 124 aux para. 40–41; Birchcliff aux para. 31, 48; Mathew c. Canada, 2005 CSC 55 au para. 58. Les opérations alternatives sont utiles pour déterminer l’objet et l’esprit des dispositions pertinentes et, de ce fait, ce qui est autorisé et interdit par la Loi. Comme l’a déclaré le juge Webb de notre Cour :

À mon avis, les autres opérations possibles décrites par le contribuable constituent un élément pertinent pour décider s’il y a eu abus dans l’application des dispositions de la LIR [la Loi de l’impôt sur le revenu]. La capacité du contribuable de démontrer [qu’il aurait] pu accomplir le même résultat sans assujettissement à l’impôt en effectuant d’autres opérations constitue, à mon avis, un élément qui permet de décider si l’opération d’évitement était abusive.

[...] [L]’autre moyen d’obtenir le même résultat est un élément important qui permet de décider si l’opération d’évitement était abusive.

(Univar Holdco Canada ULC c. Canada, 2017 CAF 207 aux para. 19–20 [Univar])

[59] En l’espèce, 3295 a demandé à la Cour de l’impôt d’examiner les quatre opérations alternatives non abusives, lesquelles opération auraient permis à Micsau d’utiliser le PBR élevé de ses actions de 3295. Comme je l’ai indiqué, la Cour de l’impôt a jugé que ces opérations n’étaient pas des points de comparaison valables parce qu’elles « concernent la vente des actions de [3295] » et qu’« il a été démontré que la vente des actions de Holdings était primordiale », avec pour conséquence que « l’objet de la vente, le prix et les conséquences commerciales auraient été différents » : motifs de la CCI aux para. 159–160.

[60] La conclusion de la Cour de l’impôt selon laquelle la vente des actions de Holdings était primordiale n’est pas compatible avec la preuve et constitue une erreur manifeste et déterminante : Novartis n’a pas acheté les actions de Holdings, mais celles de 4244. De plus, aucun élément au dossier n’indique que la vente des actions de 4244 a eu une incidence sur l’objet de la vente ou les conséquences commerciales de l’opération avec Novartis. En effet, Novartis a obtenu une réduction de 1,5 M$ en acceptant d’acheter des actions de 4244 plutôt que des actions de Holdings. Il est possible que les opérations alternatives proposées par 3295 auraient donné lieu à la même réduction du prix, mais elles n’ont jamais été présentées à Novartis.

[61] Plus fondamentalement, en décidant de ne pas tenir compte des opérations alternatives, la Cour de l’impôt a omis de prendre en considération le résultat global de la série d’opérations : Micsau a utilisé son PBR élevé et réalisé un gain en capital correspondant à peu près au gain en capital qu’elle aurait réalisé en vendant 3295 directement. À mon avis, les opérations alternatives présentées par 3295 sont pertinentes pour les raisons suivantes :

  • a)Elles sont autorisées par la Loi. Le fait qu’elles n’aient pas été présentées à Novartis ou que Novartis aurait pu refuser d’y donner suite n’empêche pas qu’elles fussent autorisées par la Loi;

  • b)Elles ne sont pas improbables au point d’être à peu près irréalisables. Les opérations alternatives présentées par 3295 auraient réellement pu être effectuées. Si Novartis ou RoundTable avaient accepté, il aurait été assez facile de les réaliser;

  • c)Elles présentent un fort degré de ressemblances sur le plan commercial et économique avec la série d’opérations en cause : Porter à la p. 270. Les opérations alternatives auraient mené à l’acquisition par Novartis d’actions d’une société dont l’actif sous-jacent était l’entreprise de médicaments génériques, soit exactement l’acquisition réalisée par Novartis;

  • d)Elles ont des incidences fiscales à peu près aussi favorables que la série d’opérations en question : Les opérations alternatives auraient permis à Micsau d’utiliser le PBR des actions de 3295. Le gain en capital réalisé aurait été de 53,7 M$, soit à peu près le gain en capital que 3295 a réalisé en l’espèce; et

  • e)Elles ne constituent pas un abus de la RGAÉ : Univar au para. 20; Porter aux pp. 277–279. Les opérations alternatives auraient permis à Micsau de tirer profit de son PBR élevé sans déclencher l’application de la RGAÉ.

[62] Par conséquent, la Cour de l’impôt a commis une erreur en ne tenant pas compte des opérations alternatives.

VI. Conclusion

[63] J’accueillerais donc l’appel avec dépens devant notre Cour et devant l’instance inférieure et j’annulerais le jugement rendu par la Cour de l’impôt. Rendant la décision que la Cour de l’impôt aurait dû rendre, j’accueillerais l’appel de la nouvelle cotisation datée du 21 novembre 2008 interjeté par 3295 et je renverrais la nouvelle cotisation à la ministre pour qu’elle établisse une nouvelle cotisation, tenant compte du fait que 3295 n’a pas réalisé un gain en capital supplémentaire de 31,5 M$ au cours de l’année d’imposition 2005.

« Nathalie Goyette »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c. »

« Je suis d’accord.

Gerald Heckman, j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-201-22

 

 

INTITULÉ :

3295940 CANADA INC. c. SA MAJESTÉ LE ROI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 novembre 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GOYETTE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF DE MONTIGNY

LE JUGE HECKMAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 mars 2024

 

COMPARUTIONS :

Roger Taylor

Daniel Sandler

Alexandra Auger

 

Pour l’appelante

 

Yanick Houle

Sara Jahanbakhsh

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EY Cabinet d’avocats s.r.l./S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour l’appelante

 

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

 

 

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