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Date : 20231011


Dossier : A-216-22

Référence : 2023 CAF 206

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE BIRINGER

 

 

ENTRE :

MARIO GHAFARI

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (STATISTIQUE CANADA)

défendeur

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE BIRINGER

 


Date : 20231011


Dossier : A-216-22

Référence : 2023 CAF 206

CORAM :

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE MONAGHAN

LA JUGE BIRINGER

 

 

ENTRE :

MARIO GHAFARI

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (STATISTIQUE CANADA)

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MONAGHAN

[1] Le demandeur, M. Mario Ghafari, présente une demande de contrôle judiciaire de la décision du 12 septembre 2022 (2022 CRTESPF 77) par laquelle la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission) a rejeté sa plainte dans laquelle il alléguait un abus de pouvoir dans le cadre d’un processus de nomination interne. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

I. Les faits

[2] Comme la Commission décrit en détail le contexte de la plainte de M. Ghafari (par. 16 à 58) dans ses motifs, un bref résumé des faits importants est suffisant pour les besoins de la présente demande.

[3] M. Ghafari était candidat à un poste de méthodologiste principal à Statistique Canada de niveau MA-04. Le processus de nomination comportait plusieurs étapes.

[4] Tout d’abord, les candidats étaient sélectionnés ou éliminés du concours en fonction des résultats de leur entente de rendement de la fonction publique (l’ERFP). Tous les candidats sélectionnés devaient ensuite remplir un bilan des réalisations dans lequel ils devaient clairement démontrer qu’ils possédaient les six compétences essentielles pour occuper le poste. Obtenir une mention de réussite pour les six compétences était une condition préalable pour passer à l’étape suivante du processus de nomination. Le directeur de chaque candidat était responsable de valider le bilan des réalisations de ce dernier et d’évaluer ses qualifications. Pour ce faire, il pouvait consulter les superviseurs du candidat, sans en avoir l’obligation.

[5] M. Dolson, le directeur de M. Ghafari, a considéré que ce dernier ne possédait aucune des six compétences essentielles. En ce qui concerne la validation du bilan des réalisations, M. Dolson a fait remarquer que les exemples fournis par M. Ghafari n’étaient pas de niveau MA‑04. À l’étape de la validation, M. Dolson a consulté deux chefs de sections où M. Ghafari travaillait ou avait travaillé, mais pas son superviseur immédiat.

[6] Après avoir appris qu’il ne passerait pas à l’étape suivante du processus de nomination, M. Ghafari a demandé une rétroaction à M. Matthews, membre du comité de sélection. En vue de cette discussion, M. Matthews a demandé à M. Laniel, un directeur adjoint qui avait une bonne connaissance du travail de M. Ghafari, d’examiner le bilan des réalisations de M. Ghafari. M. Laniel ne s’est pas entretenu avec M. Dolson à cette fin et a conclu que M. Ghafari possédait seulement deux des six compétences.

[7] La Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la Loi), exige que les nominations soient fondées sur le mérite, et le paragraphe 30(2) énonce les conditions de telles nominations. Le candidat non reçu dans le cadre d’une nomination interne peut présenter une plainte à la Commission selon laquelle il n’a pas été nommé ou fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir dans l’exercice des attributions au titre du paragraphe 30(2) : par. 77(1) et (2). Il incombe au plaignant de démontrer qu’il y a eu abus de pouvoir : Gulia c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 106, par. 7 (Gulia).

[8] M. Ghafari a présenté une plainte à la Commission en vertu de l’article 77 de la Loi dans laquelle il alléguait un abus de pouvoir ayant entraîné une évaluation incorrecte de ses compétences pour le poste de méthodologiste principal. Dans sa plainte, M. Ghafari a formulé quatre allégations :

  1. M. Dolson a fait preuve de partialité à l’égard de M. Ghafari sur la base de trois interactions antérieures précises.

  2. Bien qu’elle ait été modifiée à la suite d’un grief, l’ERFP de M. Ghafari était incorrecte lorsqu’il a postulé au poste pour la première fois, ce qui l’a pénalisé. (Bien que M. Dolson ait signé cette évaluation, c’est le superviseur de M. Ghafari qui l’avait préparée.)

  3. M. Dolson aurait dû consulter les superviseurs immédiats de M. Ghafari lorsqu’il a effectué son évaluation.

  4. L’évaluation de M. Dolson était incorrecte.

[9] La Commission a rejeté la plainte de M. Ghafari après avoir examiné chacune des allégations. Tout en reconnaissant que M. Ghafari estimait ne pas avoir été évalué de façon équitable dans le cadre du processus de nomination, la Commission a expliqué que son rôle n’était pas de réévaluer sa candidature. Elle devait plutôt déterminer s’il y avait eu abus de pouvoir. Elle a fait observer qu’il incombait à M. Ghafari d’établir l’existence d’une partialité ou d’un autre abus de pouvoir et a conclu qu’il ne s’était pas acquitté de ce fardeau.

[10] M. Ghafari présente devant notre Cour une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission.

[11] Dans son mémoire des faits et du droit, M. Ghafari soulève de nombreuses questions. Toutefois, au début de l’audience, il nous a informés qu’il comprenait qu’il ne lui suffirait pas de signaler des erreurs ou des incohérences mineures et qu’il concentrerait donc ses observations orales sur les trois points suivants : deux allégations de manquement à l’équité procédurale de la part de la Commission et une erreur qu’aurait commise la Commission en ne tenant pas compte d’éléments de preuve importants.

[12] J’ai tout de même examiné le dossier à la lumière de chacune des questions précises que M. Ghafari a soulevées dans son mémoire, mais pas à l’audience. Je conclus qu’aucune d’entre elles ne justifie l’intervention de notre Cour compte tenu de notre rôle en contrôle judiciaire. Par conséquent, les présents motifs portent sur les questions précises soulevées par M. Ghafari dans ses observations orales devant notre Cour : d’abord sur les arguments de M. Ghafari relatifs à l’équité procédurale, puis sur les erreurs que comporterait la décision de la Commission de rejeter sa plainte.

II. Allégations de manquement à l’équité procédurale

[13] M. Ghafari allègue que la Commission a violé son droit à l’équité procédurale en décidant d’exclure certains témoins proposés et d’en limiter le nombre et en refusant d’accepter de nouveaux éléments de preuve après la fin de l’audience.

[14] L’équité procédurale exige que la personne visée par la décision ait la possibilité de présenter entièrement et équitablement sa position et ait droit à ce que la décision soit prise à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte de la décision : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39, par. 28 (Baker). Toutefois, les exigences de l’équité procédurale sont tributaires du contexte : R. c. Nahanee, 2022 CSC 37, par. 53; Baker, par. 21 et 22.

[15] Lorsqu’un manquement à l’équité procédurale est allégué, notre Cour doit se demander si, eu égard à l’ensemble des circonstances, un processus juste et équitable a été suivi : Lipskaia c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 267, par. 14; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, par. 54; Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Office des transports), 2021 CAF 69, par. 46 et 47; Gulia, par. 9. Ces circonstances comprennent des « facteurs qui relèvent de l’expertise et des connaissances du tribunal, notamment la nature du régime législatif ainsi que les attentes et pratiques des personnes et organismes régis par [le décideur] » : Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, par. 231.

A. L’exclusion de témoins n’a pas violé le droit à l’équité procédurale

[16] J’examinerai d’abord la décision de la Commission d’exclure certains des témoins proposés par M. Ghafari, par suite d’une conférence téléphonique préparatoire à l’audience. M. Ghafari soutient que le processus suivi par la Commission n’était pas équitable sur le plan procédural.

[17] Il ressort du dossier dont nous disposons qu’en janvier 2022, la Commission a demandé à chacune des parties de lui fournir sa liste de témoins. Le défendeur a nommé deux témoins, mais s’est réservé le droit d’en appeler d’autres; M. Ghafari a envoyé une liste de huit témoins autres que lui-même. Le défendeur a demandé des renseignements sur la nature du témoignage de trois des témoins proposés par M. Ghafari. Dans un courriel aux parties, la Commission a demandé aux parties leur disponibilité pour assister à une téléconférence. Dans sa réponse, M. Ghafari a indiqué qu’il voulait comprendre la nature du témoignage de l’un des témoins proposés par le défendeur.

[18] Dans son courriel, la Commission a expliqué que la téléconférence [traduction] « visait à s’enquérir auprès de M. Ghafari de la nature du témoignage » de ses témoins. Elle a ajouté que, [traduction] « concernant la demande de comparution d’un témoin expert (Michelle Simard), lors de la conférence téléphonique, M. Ghafari serait invité à préciser le domaine d’expertise de ce témoin et à expliquer pourquoi un témoignage d’expert est nécessaire pour étayer sa plainte ».

[19] Peu après la téléconférence au cours de laquelle la Commission a écouté M. Ghafari, et vraisemblablement le défendeur, la Commission a avisé par écrit les parties qu’elle avait décidé que M. Ghafari ne serait pas autorisé à faire témoigner deux conseillers en ressources humaines, puisque leur témoignage n’était pas utile à l’examen des allégations formulées dans la plainte. Bien qu’elle ait reporté à l’audience sa décision sur la pertinence de leur témoignage, la Commission a également limité M. Ghafari à un témoin pour chacun des deux autres sujets afin d’éviter les témoignages répétitifs. La Commission a également confirmé que Mme Simard pouvait témoigner, mais pas à titre d’experte. Par conséquent, aucun rapport d’expert n’était nécessaire.

[20] M. Ghafari allègue que, dans son courriel de convocation à la téléconférence, la Commission ne l’a pas informé qu’il devrait expliquer les raisons pour lesquelles il voulait appeler les témoins proposés ni qu’elle pourrait par la suite exclure des témoins. Il ajoute que, bien qu’ils indiquent que les témoins peuvent être le sujet de conférences préparatoires à l’audience, les guides sur les audiences devant la Commission qui sont accessibles au public n’expliquent pas qu’une exclusion de témoins pourrait en résulter. Plus précisément, M. Ghafari souligne la différence entre le contenu du courriel concernant le témoignage proposé de Mme Simard et celui concernant les autres témoins. Enfin, il se demande si une conférence téléphonique était le moyen approprié pour tenir une telle discussion et affirme qu’il n’a pas été en mesure de présenter des éléments de preuve documentaires et que d’autres participants ne l’ont peut-être pas compris parce qu’ils ne pouvaient pas le voir.

[21] Même en l’absence de dispositions législatives établissant une procédure particulière, le décideur administratif jouit d’un large pouvoir discrétionnaire pour fixer sa propre procédure : Ré : Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, par. 37, renvoyant à Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, [1989] A.C.S. no 25, p. 568 et 569.

[22] Toutefois, en l’espèce, la loi habilitante confère expressément à la Commission le pouvoir d’ordonner la tenue de procédures préparatoires, d’ordonner l’utilisation de tout moyen de télécommunication, pourvu que tous les participants puissent communiquer adéquatement entre eux lors des conférences préparatoires et des audiences, et d’accepter des éléments de preuve : Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, L.C. 2013, ch. 40, art. 365, al. 20b), c) et e) (la Loi sur la Commission), et Règlement concernant les plaintes relatives à la dotation dans la fonction publique, DORS/2006-6, art. 27. De plus, la Commission peut trancher toute affaire ou question dont elle est saisie sans tenir d’audience : Loi sur la Commission, art. 22.

[23] Je reconnais que le courriel de convocation à la téléconférence aurait pu être plus clair. Je reconnais également que M. Ghafari n’a peut-être pas compris que la téléconférence pouvait mener à l’exclusion des témoins proposés. Toutefois, je ne suis pas convaincue qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale dans le processus suivi par la Commission.

[24] M. Ghafari avait été informé que la téléconférence porterait sur les témoignages de ses témoins. Bien qu’il n’existe aucune transcription de l’appel, je dois présumer que la Commission lui a demandé d’expliquer la nature des témoignages et les raisons pour lesquelles ces témoignages étaient importants pour l’examen de sa plainte. M. Ghafari n’affirme pas qu’après avoir compris l’objet de la téléconférence, il a demandé à la Commission un ajournement ou la permission de présenter des observations ultérieures et que la Commission a refusé. Le dossier vient confirmer ce qui précède, puisqu’il révèle que, quelque temps après que les parties ont pris connaissance de la décision de la Commission, M. Ghafari a écrit à la Commission pour contester la décision et expliquer pourquoi ces témoins étaient importants. Cependant, il n’a exprimé aucune préoccupation quant au processus lui-même. À la suite du courriel de M. Ghafari, la Commission n’a pas modifié sa décision concernant les témoins et a expliqué que sa décision était définitive.

[25] Je suis d’avis que ce processus était ouvert, transparent et équitable sur le plan procédural.

[26] Je me suis également penchée sur la question de savoir si le refus de la Commission de faire témoigner les deux conseillers en ressources humaines constituait un manquement à l’équité procédurale. M. Ghafari a expliqué que, selon lui, leur témoignage était pertinent pour comprendre la conception de « l’outil », terme par lequel il désigne, selon mon interprétation, l’avis de concours, le bilan des réalisations et le processus de validation. La Commission a estimé que ces témoignages n’étaient pas utiles à l’examen de la plainte et qu’ils étaient donc irrecevables.

[27] La Commission doit « jouir d’un vaste pouvoir discrétionnaire en matière d’appréciation de l’admissibilité de la preuve », et il est rare que « le refus d’admettre des éléments de preuve soit d’une importance telle qu’il constituera un manquement à l’équité procédurale » : Agnaou c. Canada (Procureur général), 2014 CF 850, par. 102, conf. par 2015 CAF 294, demande d’autorisation de pourvoi à la CSC rejetée, 36730 (26 mai 2016), renvoyant à Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471, [1993] A.C.S. no 23, p. 490 (Trois‑Rivières). Toutefois, le rejet d’une preuve constituera un manquement à la justice naturelle s’il « [a] un impact tel sur l’équité du processus, que l’on ne pourra que conclure à une violation de la justice naturelle » (équité procédurale) : Trois-Rivières, p. 491.

[28] Une plainte déposée en vertu de l’article 77 de la Loi est axée sur l’abus de pouvoir dans l’exercice des attributions au titre du paragraphe 30(2) de la Loi, c’est-à-dire le pouvoir de faire une nomination fondée sur le mérite. Une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne possède les qualifications essentielles pour le travail à accomplir : Loi, al. 30(2)a). Toutefois, l’employeur peut fixer ces qualifications et, pour décider si une personne possède les qualifications requises pour le poste, la Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation qu’elle estime indiquée : Loi, art. 31 et 36. La Commission a expliqué qu’elle ne pouvait pas examiner le choix de la méthode d’évaluation ou les qualifications requises pour le poste : motifs, par. 101 et 110.

[29] Les allégations concernant M. Dolson, à savoir qu’il avait fait preuve de partialité, qu’il n’avait pas consulté le superviseur de M. Ghafari, qu’il n’avait pas évalué correctement les compétences de M. Ghafari et que son évaluation était incorrecte, étaient au cœur de la plainte de M. Ghafari. Dans un tel contexte et comme la Commission a conclu que M. Ghafari n’a pas démontré la pertinence du témoignage des conseillers en ressources humaines à l’égard de sa plainte, je ne suis pas convaincue que l’exclusion de leur témoignage soit suffisamment importante pour constituer une violation du droit de M. Ghafari à l’équité procédurale.

B. Le refus d’admettre des éléments de preuve ultérieurs à l’audience n’a pas violé le droit à l’équité procédurale

[30] Le deuxième argument relatif à l’équité procédurale de M. Ghafari a trait au refus de la Commission d’accepter des éléments de preuve supplémentaires après la fin de l’audience. M. Ghafari a pris connaissance des éléments de preuve en question alors qu’il contre-interrogeait l’un des témoins du défendeur le vendredi 4 mars 2022, soit le dernier jour du témoignage. Les observations orales, puis les observations écrites, ont été présentées le mardi suivant. Deux jours plus tard, M. Ghafari a écrit à la Commission pour demander l’autorisation de présenter les éléments de preuve supplémentaires.

[31] La demande de M. Ghafari nécessitait l’application du critère d’admissibilité des éléments de preuve ultérieurs à l’audience. Après avoir reçu les observations du défendeur, la Commission a décidé de refuser d’admettre les éléments de preuve et a expliqué qu’à son avis, le critère d’admissibilité des nouveaux éléments de preuve n’avait pas été rempli. Dans ses motifs, la Commission a souligné que M. Ghafari n’avait présenté sa demande que deux jours après la fin de l’audience.

[32] M. Ghafari soutient que la décision de la Commission était inéquitable sur le plan procédural parce qu’il n’avait pris connaissance des éléments de preuve que le dernier jour de témoignage et qu’il n’aurait donc pas pu les obtenir plus tôt. Il affirme également que le délai à l’intérieur duquel la Commission s’attendait à ce qu’il demande l’autorisation d’admettre les éléments de preuve était trop court.

[33] Je ne constate aucun manquement à l’équité procédurale. La Commission a entendu les arguments des deux parties avant de rendre sa décision. Même si M. Ghafari n’a pu obtenir les éléments de preuve qu’après la fin de l’audience, rien ne l’empêchait de demander un délai en vue de les obtenir, que ce soit immédiatement après le témoignage du témoin qui en a parlé ou dans ses observations orales finales quatre jours plus tard. Je fais également remarquer que la Commission a conclu que les éléments de preuve pouvaient être « facilement obtenus avant l’audience ». À mon avis, dans ses observations sur cette question, M. Ghafari conteste essentiellement la façon dont la Commission a appliqué le critère d’admissibilité des nouveaux éléments de preuve.

III. La décision de la Commission de rejeter la plainte était raisonnable

[34] Passons aux observations de M. Ghafari concernant la décision de la Commission de rejeter sa plainte. Dans son mémoire, M. Ghafari allègue que la Commission a commis des erreurs de fait et de droit, n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents et a fourni des motifs insuffisants.

[35] En l’espèce, nous ne sommes pas saisis d’un appel de la décision de la Commission, mais plutôt d’une demande de contrôle judiciaire. La norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov), par. 10. Les cours de révision ne doivent déroger à cette présomption que lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit exige l’application d’une norme différente : Vavilov, par. 10. En l’espèce, ni la primauté du droit ni une norme de contrôle établie par voie législative n’exigent l’application d’une norme différente. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[36] Le contrôle selon la norme de décision raisonnable comporte deux volets : une évaluation du raisonnement suivi et une évaluation du résultat : Vavilov, par. 83. Pour être raisonnable, la décision de la Commission doit appartenir « aux issues possibles acceptables » pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47. Une décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles »; les motifs ne doivent pas être « jugés au regard d’une norme de perfection » et faire « référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails » que la cour de révision aurait voulu y lire : Vavilov, par. 85 et 91. Il faut plutôt interpréter les motifs « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » : Vavilov, par. 103.

[37] Dans ses observations devant nous, M. Ghafari a mis l’accent sur le fait que la Commission n’avait pas expressément renvoyé à un élément de preuve qui constituait une partie importante de ses observations écrites à la Commission et qu’il considérait comme ayant une importance cruciale : le dictionnaire des compétences de Statistique Canada. Selon ma compréhension, il s’agit d’un document de portée générale qui s’applique aux employés et aux postes de Statistique Canada et qui décrit et définit les compétences selon quatre grandes catégories.

[38] Une décision n’est pas déraisonnable simplement parce que les motifs ne renvoient pas à tous les éléments de preuve. Au contraire, pour infirmer une décision jugée déraisonnable, notre Cour doit être convaincue que la décision souffre de « lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » et que les « lacunes […] reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » : Vavilov, par. 100.

[39] Dans ses observations écrites à la Commission, M. Ghafari insistait sur les erreurs et les fautes qui auraient été commises dans le processus de nomination et qui constituaient, selon lui, un abus de pouvoir. Ses observations portaient notamment sur l’utilisation de l’ERFP, sur la question de savoir si les superviseurs immédiats auraient dû être consultés plutôt que les chefs de section et sur l’absence d’une échelle de pointage, d’un corrigé ou d’instructions sur la façon d’évaluer le bilan des réalisations d’un candidat.

[40] Comme M. Ghafari l’a expliqué, la description des six compétences essentielles pour occuper le poste de méthodologiste principal énoncées dans l’avis de concours et le bilan des réalisations correspondait exactement à la formulation utilisée pour décrire les mêmes compétences dans le dictionnaire des compétences. Par conséquent, pour évaluer ces compétences, les directeurs auraient dû recevoir la directive de consulter le dictionnaire des compétences. Plus précisément, il a fait valoir que, bien que le dictionnaire des compétences décrive ce qui doit être démontré pour atteindre le niveau propre à chacune des six compétences, ces niveaux ne sont pas liés à une classe d’emplois en particulier. En revanche, il a soutenu que d’autres compétences définies dans le dictionnaire sont liées à une classe d’emplois. Comme l’avis de concours précisait un niveau minimal (le niveau 2) pour seulement deux des six compétences essentielles, il a fait valoir que tout exemple donné dans le bilan des réalisations démontrant qu’il possédait la compétence aurait dû suffire pour qu’il obtienne la note de passage. Il a donc affirmé que les six compétences pour occuper le poste de méthodologiste principal n’auraient pas dû être évaluées au niveau MA-04. Il s’agit, selon lui, d’un abus de pouvoir, comme en témoignent les différences dans l’évaluation de ses compétences réalisée par M. Dolson et M. Laniel.

[41] Certes, la Commission n’a pas expressément renvoyé au dictionnaire des compétences et ne l’a pas analysé. Cependant, il est loin de s’agir d’une lacune grave dans le contexte de la plainte de M. Ghafari, qui portait sur les actes de M. Dolson.

[42] De plus, la Commission a manifestement examiné les observations de M. Ghafari concernant le processus de nomination lui-même : voir les motifs de la Commission aux par. 71, 72, 73, 98, 107, 109, 110 et 111. Je conclus que, même si elle n’a pas expressément renvoyé au dictionnaire des compétences, la Commission a compris et examiné les observations de M. Ghafari résumées aux paragraphes 39 et 40 ci-dessus, sans toutefois les retenir.

[43] Plus précisément, les paragraphes 102 à 115 des motifs de la Commission figurent sous la rubrique intitulée « L’évaluation des compétences de base et fonctionnelles associées aux qualifications essentielles ». Dans cette rubrique, la Commission « s’attaqu[e] de façon significative […] aux arguments principaux formulés » par M. Ghafari : Vavilov, par. 128. La Commission explique que son « rôle […] n’est pas de réévaluer les candidats dans le cadre d’un processus de nomination, mais d’examiner la façon dont l’évaluation a été faite » et que le fait d’examiner les « informations dont disposaient les évaluateurs » conduirait la Commission à réévaluer les candidats : motifs, par. 102 et 105. Contrairement à ce qu’affirme M. Ghafari, la Commission a conclu que l’avis de concours mentionnait la nécessité de fournir des exemples suffisamment complexes, mais que la complexité n’était pas un critère d’évaluation des compétences de base et fonctionnelles : motifs, par. 107 et 108.

[44] La Commission a examiné deux autres préoccupations concernant l’évaluation. Premièrement, M. Ghafari a affirmé « que les instructions relatives aux six compétences étaient ambiguës et que rien n’exigeait qu’elles soient évaluées au niveau MA-04 ». Deuxièmement, il a fait valoir « que des exemples de méthodologie et de travail statistique n’étaient pas requis dans les exemples à fournir pour ces compétences ». La Commission n’était pas du même avis et a déclaré que « [l]es instructions indiquaient clairement que les compétences devaient être décrites, en tenant compte du fait que [traduction] “[…] vous postulez un poste de niveau MA-4 […]” », de sorte que « [l]e directeur avait la possibilité d’évaluer ces compétences en tenant compte des fonctions de travail essentielles du niveau MA-04 (statistiques et méthodes) ». La Commission a souligné que, même si elle reconnaissait que l’évaluation de M. Laniel était plus précise, M. Ghafari n’atteignait pas le seuil de réussite, car il ne satisfaisait toujours pas à quatre des six compétences.

[45] M. Ghafari ne m’a pas convaincue que la décision de la Commission est déraisonnable parce que ses motifs ne renvoyaient pas expressément au dictionnaire des compétences. Après lecture des motifs de la Commission dans leur ensemble, je conclus que la Commission a fourni des motifs adaptés aux observations de M. Ghafari et qu’elle a « écouté les parties » : Vavilov, par. 127 (en italique dans l’original).

[46] Devant la Commission, M. Ghafari a allégué que M. Dolson avait fait preuve de partialité. Bien que, dans son avis de demande, il allègue que la Commission a tiré des conclusions de fait déraisonnables et n’a pas accordé le poids qu’il convenait à la preuve de partialité, nous devons accepter les conclusions de fait de la Commission et ne pouvons pas apprécier à nouveau la preuve, à moins de circonstances exceptionnelles : Vavilov, par. 125. J’estime qu’il n’existe aucune circonstance exceptionnelle justifiant que je modifie les conclusions de fait de la Commission, et cette dernière n’a commis aucune erreur en concluant à l’absence de partialité.

[47] Enfin, comme je l’ai mentionné plus haut, M. Ghafari n’a pas expressément traité de toutes les allégations d’erreurs de fait et de droit qu’il avait formulées dans son mémoire. Après avoir examiné attentivement chacune de ces allégations au vu du dossier, je conclus qu’elles ne rendent pas, isolément ou collectivement, la décision de la Commission déraisonnable. Cela comprend la décision de la Commission d’exclure des témoins et celle de refuser d’admettre des éléments de preuve après la fin de l’audience.

IV. Conclusion

[48] Je conclus que la décision de la Commission de rejeter la plainte de M. Ghafari était raisonnable et que la Commission n’a pas violé le droit de M. Ghafari à l’équité procédurale. Par conséquent, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Comme le défendeur ne demande pas de dépens, je n’en adjugerais aucuns.

« K.A. Siobhan Monaghan »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Monica Biringer, j.c.a. »

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA DÉCISION DU 12 SEPTEMBRE 2022 RENDUE PAR M. IAN R. MACKENZIE DE LA COMMISSION DES RELATIONS DE TRAVAIL ET DE L’EMPLOI DANS LE SECTEUR PUBLIC FÉDÉRAL, DOSSIER NO2022 CRTESPF 77

DOSSIER :

A-216-22

 

INTITULÉ :

MARIO GHAFARI c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (STATISTIQUE CANADA)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 septembre 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MONAGHAN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MACTAVISH

LA JUGE BIRINGER

DATE DES MOTIFS :

Le 11 octobre 2023

 

COMPARUTIONS :

Mario Ghafari

le demandeur

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Marc Séguin

Véronique Newman

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour le défendeur

 

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