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Date : 20230913


Dossier : A-116-22

Référence : 2023 CAF 185

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

DEEPROOT GREEN INFRASTRUCTURE, LLC et DEEPROOT CANADA CORP.

appelantes

et

GREENBLUE URBAN NORTH AMERICA INC.

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), les 10 et 11 mai 2023.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 septembre 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

 


Date : 20230913


Dossier : A-116-22

Référence : 2023 CAF 185

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

DEEPROOT GREEN INFRASTRUCTURE, LLC et DEEPROOT CANADA CORP.

appelantes

et

GREENBLUE URBAN NORTH AMERICA INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MACTAVISH

[1] Les appelantes et l’intimée offrent des produits et des services dans le domaine de l’aménagement paysager en milieu urbain au Canada. Les appelantes et l’intimée vendent des systèmes de cellules structurelles qui s’installent sous les surfaces revêtues de matériaux inertes et qui permettent la croissance des racines des arbres ainsi que l’infiltration des eaux pluviales, tout en prévenant les dommages causés aux surfaces revêtues de matériaux inertes.

[2] À l’issue d’un procès de trois semaines, la Cour fédérale a conclu, dans une décision publiée sous le numéro de référence 2021 CF 501 (la décision sur le fond), que le système « RootSpace » et les cellules structurelles de GreenBlue Urban North America Inc. (GreenBlue) contrefaisaient diverses revendications du brevet canadien numéro 2 552 348 (le brevet no 348) et du brevet canadien numéro 2 829 599 (le brevet no 599). Ces brevets sont la propriété de DeepRoot Green Infrastructure, LLC. DeepRoot Canada Corp. est la filiale canadienne de DeepRoot Green Infrastructure, LLC. Les deux entreprises sont désignées collectivement sous le nom de « DeepRoot » dans les présents motifs.

[3] Entre autres mesures, la Cour fédérale a interdit de façon permanente à GreenBlue de contrevenir aux revendications des brevets canadiens no 348 et no 599.

[4] Après que la Cour fédérale a rendu son jugement, GreenBlue a commencé à vendre le système « RootSpace AirForm » au Canada en tant que soi-disant « conception remaniée » des dispositions des brevets no 348 et no 599. Estimant que le système AirForm de GreenBlue violait les modalités de l’injonction, DeepRoot a entamé une procédure pour outrage à la Cour fédérale contre GreenBlue. À la suite d’une audience sur l’outrage tenue devant le juge de première instance, la Cour fédérale n’a pas été convaincue au-delà de tout doute raisonnable que GreenBlue avait enfreint l’injonction, et la requête de DeepRoot pour outrage a donc été rejetée. La décision de la Cour fédérale a été publiée sous le numéro 2022 CF 709 (la décision relative à l’outrage).

[5] DeepRoot interjette maintenant appel du rejet de sa requête pour outrage, alléguant que la Cour fédérale a fait erreur à plusieurs égards en concluant que l’outrage de la part de GreenBlue n’avait pas été prouvé au-delà de tout doute raisonnable. Plus spécifiquement, DeepRoot affirme que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en n’interprétant pas les éléments contestés des revendications des brevets no 348 et no 599, ce qui l’a amenée à conclure à l’existence d’un doute raisonnable sur le fait que GreenBlue avait contrefait ou incité à la contrefaçon des brevets de DeepRoot.

[6] DeepRoot soutient en outre que la Cour fédérale n’a ni reconnu, ni pris en considération l’étendue complète de ses droits de monopole, y compris le droit exclusif d’importer, d’exporter et d’utiliser les cellules structurelles en question en tant que structure intermédiaire. Enfin, DeepRoot affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en s’en remettant à l’opinion d’un expert qui n’a pas interprété les revendications du brevet, et en concluant à l’existence d’un doute raisonnable alors que les preuves d’expert recevables portant sur l’interprétation des revendications, de même que les calculs corrigés, établissaient que le volume disponible de la cellule structurelle RootSpace AirForm était supérieur à 84,5 %.

[7] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Cour fédérale n’a pas commis les erreurs alléguées par DeepRoot. Par conséquent, je rejetterais l’appel.

I. Contexte

[8] Une cellule structurelle est une structure ouverte à cadre (illustrée ci-dessous) qui peut être installée sous les surfaces revêtues de matériaux inertes tels que les trottoirs et les chaussées. Les modules de cellules structurelles peuvent être fixés ou reliés entre eux pour être intégrés à un système de gestion des racines des arbres et des eaux pluviales. Les systèmes de cellules structurelles sont formés d’une série de modules de cellules structurelles qui sont positionnés sous la zone de croissance des arbres. Ces systèmes supportent le poids des surfaces revêtues de matériaux inertes, y compris le poids de la circulation des piétons et des voitures, prévenant ainsi le compactage du sol. Cela permet la croissance des racines des arbres, facilite la gestion des eaux pluviales et offre une protection contre les dommages aux surfaces revêtues de matériaux inertes.

Cellule structurelle correspondant au brevet no 348 (à gauche) et cellule structurelle RootSpace (à droite)

[9] Le brevet no 348 divulgue et revendique un système de cellules structurelles qui sert à soutenir les surfaces revêtues de matériaux inertes tout en permettant la croissance des racines des arbres et la gestion des eaux pluviales. Le brevet no 599 divulgue et revendique une cellule structurelle qui peut être utilisée dans un tel système.

[10] Les composants d’une cellule structurelle de GreenBlue RootSpace, qui ont été jugés par la Cour fédérale comme contrefaisant les brevets no 348 et no 599, sont illustrés ci-dessous :

[11] Lors du procès sur le fond, les parties ont convenu que le système RootSpace de GreenBlue est un système de cellules structurelles techniques remplies de sol et doté de composants modulaires qui contient de grandes quantités de sol non compacté pour permettre la saine croissance des racines des arbres sous les surfaces revêtues de matériaux inertes. Le système de cellules structurelles RootSpace de GreenBlue utilise une série de cellules structurelles positionnées sous une surface revêtue en matériaux inertes, ce qui permet aux racines des arbres de croître, assure une gestion des eaux pluviales (filtration, rétention, stockage et infiltration) et prévient les dommages causés aux surfaces revêtues de matériaux inertes.

[12] Les cellules structurelles du système RootSpace sont conçues par GreenBlue et utilisées par cette dernière et ses clients pour supporter substantiellement la charge entière des surfaces revêtues en matériaux inertes et de la circulation des véhicules commerciaux sur ces surfaces, tout en maintenant le sol contenu dans ce volume dans un état faiblement compacté, afin de permettre la croissance naturelle des racines structurelles d’un arbre qui se trouvent dans ce volume.

[13] La revendication 1 du brevet no 348 est rédigée comme suit :

[traduction]
Un système de cellules structurelles servant à supporter les surfaces revêtues de matériaux inertes et permettre la croissance des racines des arbres ainsi qu’à assurer la filtration, la rétention, le stockage et l’infiltration des eaux pluviales tout en prévenant les dommages causés aux surfaces revêtues de matériaux inertes; ce système est composé des éléments suivants :

une multitude de cellules structurelles positionnées sous une surface revêtue de matériaux inertes qui recouvre substantiellement les cellules structurelles, chaque cellule structurelle étant composée :

d’une base, d’un dessus et d’éléments structuraux positionnés entre les deux et servant à maintenir une distance d’au moins environ huit pouces entre la base et le dessus; la base, le dessus et les éléments structuraux définissent collectivement un volume comprenant ces éléments;

au moins environ 85 % du volume peut être rempli de sol;

où les cellules structurelles supportent substantiellement la charge entière de la surface revêtue de matériaux inertes ainsi que la circulation des véhicules dirigée sur cette surface, tout en maintenant le sol contenu dans ce volume dans un état faiblement compacté, afin de permettre la croissance naturelle des racines structurelles d’un arbre qui se trouvent dans ce volume;

une ou plusieurs barrières perméables autour des cellules structurelles;

la pénétration de l’eau dans la multitude de cellules structurelles;

et l’évacuation de l’eau de la multitude de cellules structurelles.

[14] La revendication 1 du brevet no 599 est rédigée comme suit :

[traduction]
Une cellule structurelle servant à supporter une surface revêtue de matériaux inertes, cette cellule étant composée :

d’une base;

des éléments de support périphériques qui s’insèrent dans la base et qui s’étendent vers l’extérieur à partir de ladite base, et pouvant se fixer à la base d’une autre cellule ou à un couvercle aux fins du support de la surface revêtue de matériaux inertes susmentionnée, lesdits éléments de support étant disposés et dimensionnés de façon à ce qu’au moins environ 85 % d’un volume défini par les limites extérieures de ladite cellule soient constitués d’espace vide.

[15] La Cour fédérale a estimé que l’un des éléments essentiels du brevet no 348 était qu’au moins 85 % du volume des cellules structurelles revendiquées par ce brevet puisse être rempli de sol. La Cour a en outre estimé qu’un élément essentiel du brevet no 599 était la présence d’au moins 85 % d’espace vide dans la cellule structurelle revendiquée dans ce brevet : Décision sur le fond, aux paras. 141 et 150.

[16] En interprétant les revendications, le juge de première instance a souscrit à l’opinion selon laquelle « 85 % du volume » est une référence à la tolérance de mesure signifiant 84,5 % ou plus : Décision sur le fond, au para. 117.

[17] Après que la Cour fédérale a déterminé que le produit RootSpace de GreenBlue violait les revendications des brevets no 348 et no 599, GreenBlue a commencé à vendre le système RootSpace AirForm comme une présumée « conception contournant » le brevet. Le système RootSpace AirForm comprend tous les composants des cellules structurelles RootSpace issus de la contrefaçon, sans aucune modification. En effet, GreenBlue admet que les panneaux verticaux et les couvercles AirFlow de l’ensemble RootSpace AirForm sont les mêmes que ceux qui composent l’ensemble RootSpace, éléments qui ont été considérés comme emportant contrefaçon des brevets de DeepRoot lors du procès.

[18] La seule différence entre le système RootSpace initial et le système RootSpace AirForm est l’inclusion d’un composant supplémentaire, appelé « pièce AirForm », dans chaque cellule du nouveau système. La pièce AirForm est une structure formée de plusieurs petits dômes, dont la face inférieure est remplie d’air, ce qui réduit l’espace disponible pour le remplissage par le sol.

[19] Le produit RootSpace AirForm et ses composants sont représentés dans l’image ci-dessous, avec la pièce AirForm sur le côté droit de l’image :

[20] La pièce AirForm et la poche d’air créée dessous occupent de l’espace dans la cellule, réduisant ainsi l’espace disponible pour le sol. GreenBlue soutient que l’espace disponible pour le sol dans les cellules de son nouveau système RootSpace AirForm est inférieur au seuil de 84,5 % qui est un élément essentiel des revendications des brevets no 348 et no 599. Par conséquent, elle affirme que le système AirForm ne viole pas les modalités de l’injonction.

[21] Les témoins de GreenBlue ont expliqué lors l’audience sur l’outrage que, dans le jugement de première instance, la Cour fédérale avait tracé [traduction] « une ligne dans le sable », permettant à l’entreprise de connaître les paramètres qu’elle devait suivre pour concevoir un nouveau produit dont le volume de sol serait inférieur à celui des cellules de son ancien système cellulaire RootSpace. La société a donc développé le système RootSpace AirForm dans le but précis de ne pas contrefaire les brevets de DeepRoot.

[22] GreenBlue a conçu la pièce AirForm à l’aide d’un programme de conception assistée par ordinateur, de manière à réduire intentionnellement le volume disponible dans une cellule en deçà de 84,5 %, soit précisément à 82 %. GreenBlue a également pris la précaution d’obtenir un avis d’absence de contrefaçon de la part de son avocat, avant de commercialiser son nouveau produit.

[23] Le système RootSpace AirForm est composé de cellules individuelles, chacune d’entre elles incluant une pièce AirForm, qui n’est pas un composant optionnel. GreenBlue ne vend pas de cellules assemblées, mais seulement les composants nécessaires à l’assemblage des cellules, y compris la pièce AirForm.

II. La procédure pour outrage au tribunal

[24] Estimant que le système AirForm de GreenBlue violait les modalités de l’injonction, DeepRoot a entamé une procédure pour outrage à la Cour fédérale contre GreenBlue.

[25] DeepRoot a obtenu une ordonnance de justification, conformément à l’article 467 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, exigeant qu’un représentant de GreenBlue comparaisse et entende la preuve des actes reprochés à GreenBlue, à savoir la violation de l’injonction de la Cour fédérale dans la décision 2021 CF 501, en raison de :

a) La vente ou la proposition de vente au Canada des cellules structurelles RootSpace faisant partie de l’ensemble RootSpace AirForm;

b) L’importation ou l’exportation de cellules structurelles RootSpace en vue d’une vente commerciale;

c) Le stockage des cellules structurelles RootSpace au Canada à des fins commerciales.

[26] À la suite d’un ajournement de la date initiale fixée pour l’audience sur l’outrage au tribunal, GreenBlue s’est engagée à ne pas vendre le système RootSpace AirForm jusqu’à ce qu’il soit statué sur la requête pour outrage au tribunal. Il n’a pas été allégué que GreenBlue n’a pas respecté cet engagement.

[27] Lors de l’audience sur l’outrage, la Cour fédérale a entendu le PDG de DeepRoot, ainsi que deux experts témoignant au nom de l’entreprise. Le PDG et l’ancien directeur général de GreenBlue ont témoigné en faveur de l’entreprise. GreenBlue a également fait entendre trois experts, dont Jennifer Drake, experte en hydrologie, en systèmes d’eaux pluviales et en génie civil (ressources en eau). Madame Drake a été chargée de mesurer le volume disponible pour le sol et les eaux pluviales dans les cellules du système GreenBlue AirForm.

[28] Lors de l’audience sur l’outrage au tribunal, les parties ou leurs experts n’ont pas contesté le fait que la formule générale utilisée pour calculer le volume disponible consistait à calculer le volume apparent de la cellule structurelle, à en soustraire le volume du plastique composant la cellule structurelle, puis à diviser cette somme par le volume apparent de la cellule, selon la formule suivante :

V𝑜𝑙𝑢𝑚𝑒 disponible = (v𝑜𝑙𝑢𝑚𝑒 apparent – volume de la cellule structurelle) (100%)

 

v𝑜𝑙𝑢𝑚𝑒 apparent

III. La décision de la Cour fédérale sur l’outrage au tribunal

[29] La Cour fédérale n’a pas été convaincue au-delà de tout doute raisonnable que GreenBlue avait enfreint l’injonction, de sorte que la requête de DeepRoot pour outrage au tribunal a été rejetée.

[30] Pour parvenir à la conclusion que cette requête de DeepRoot devait être rejetée, la Cour fédérale a appliqué le critère applicable à l’outrage au tribunal qui a été établi par la Cour suprême dans l’arrêt Carey c. Laiken, 2015 CSC 17. La Cour suprême a confirmé dans cet arrêt que le critère applicable à l’outrage civil comporte les trois éléments suivants, qui doivent être établis au-delà de tout doute raisonnable :

  • (1)l’ordonnance dont on allègue la violation formule de manière claire et non équivoque ce qui doit et ne doit pas être fait;

  • (2)la partie à qui on reproche d’avoir violé l’ordonnance doit avoir été réellement au courant de son existence;

  • (3)la personne qui aurait commis la violation doit avoir intentionnellement commis un acte interdit par l’ordonnance ou intentionnellement omis de commettre un acte comme elle l’exige (aux paras. 33 à 35).

[31] GreenBlue n’a pas suggéré que l’ordonnance d’injonction de la Cour fédérale n’était pas claire. Il n’a pas non plus été contesté que GreenBlue était au courant de l’injonction et qu’elle comprenait qu’il lui était interdit de vendre son système de cellules structurelles RootSpace. La question à trancher était donc de savoir si la vente du système RootSpace AirForm par GreenBlue était un acte interdit par l’injonction de la Cour fédérale.

[32] La décision de la Cour fédérale en matière d’outrage portait principalement sur l’affirmation de GreenBlue selon laquelle le volume de sol disponible dans les cellules du système RootSpace AirForm était inférieur à 84,5 %, en raison de l’inclusion de la pièce AirForm dans chaque cellule. Selon GreenBlue, leur nouveau produit se trouve ainsi hors du champ d’application des brevets no 348 et no 599 et n’est pas assujetti aux modalités de l’injonction de la Cour fédérale.

[33] La question de savoir si l’AirForm faisait partie de la cellule structurelle du système RootSpace AirForm a également été examinée. La Cour fédérale a estimé que la preuve relative à cette question demeurait obscure, de sorte qu’il n’était pas possible pour la Cour fédérale de rendre une conclusion définitive à cet égard, et que le bénéfice du doute devrait être accordé à GreenBlue.

[34] La Cour fédérale a ainsi conclu que DeepRoot n’avait pas établi au-delà de tout doute raisonnable que le volume des cellules du système RootSpace AirForm était supérieur à celui allégué par GreenBlue.

[35] La Cour fédérale n’a pas non plus été convaincue que des photographies prises sur un chantier à Ottawa constituaient une preuve directe de l’utilisation du produit de cellules structurelles RootSpace sans la pièce AirForm, en violation de l’injonction de la Cour fédérale.

[36] Enfin, la Cour fédérale n’était pas convaincue qu’il existait une preuve de la vente ou de l’assemblage des cellules structurelles RootSpace originales au Canada depuis que la Cour fédérale avait rendu son jugement, non plus que GreenBlue avait commercialisé ou fait la promotion du produit RootSpace original depuis le prononcé de l’injonction permanente.

[37] L’outrage n’ayant pas été établi au-delà de tout doute raisonnable, la requête pour outrage au tribunal de DeepRoot a été rejetée.

IV. Les questions à trancher

[38] DeepRoot allègue que la Cour fédérale a commis des erreurs :

[traduction]

  • a)« en ne procédant pas à l’interprétation des éléments contestés des revendications du brevet no 348 et du brevet no 599 et, par conséquent, en concluant à l’existence d’un doute raisonnable sur le fait que GreenBlue a réalisé une contrefaçon ou incité à la contrefaçon »;

  • b)« en n’ayant pas apprécié et pris en considération l’étendue complète des droits de monopole accordés à DeepRoot, y compris le droit exclusif d’importer, d’exporter et d’utiliser les cellules structurelles revendiquées en tant que structure intermédiaire »;

  • c)« en s’en remettant à l’opinion d’un expert qui n’avait pas procédé à l’interprétation des revendications et avait commis une erreur en concluant à l’existence d’un doute raisonnable, alors que les preuves d’expert recevables portant sur l’interprétation des revendications, de même que les calculs corrigés, établissaient que le volume disponible de la cellule structurelle RootSpace AirForm était supérieur à 84,5 % ».

V. Norme de contrôle applicable

[39] Je comprends que les parties conviennent que les normes de contrôle applicables aux questions soulevées dans le présent appel sont celles prescrites par la Cour suprême dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Cela signifie que la norme de contrôle à appliquer aux questions de droit est celle de la décision correcte. La norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux inférences de fait est celle de l’erreur manifeste et déterminante. Les questions mixtes de fait et de droit doivent être examinées selon la même règle de retenue, à moins qu’une erreur judiciaire ne soit démontrée, auquel cas l’erreur est soumise à l’examen selon la norme de la décision correcte.

VI. Analyse

[40] Avant d’aborder les questions soulevées en l’espèce, je note que la décision sur le fond fait l’objet d’un appel et que l’appel de cette décision a été entendu en même temps que l’appel du rejet de la requête pour outrage au tribunal de DeepRoot.

[41] Quelle que soit l’issue de l’appel concernant la décision sur le fond, l’injonction prononcée par la Cour fédérale doit être considérée comme valide jusqu’à son annulation par notre Cour : Warner Bros. Entertainment Inc. c. White (Beast IPTV), 2021 CF 53, confirmée par 2022 CAF 34. Certes, GreenBlue ne suggère pas le contraire.

[42] Je voudrais également souligner qu’on ne peut reprocher à GreenBlue d’avoir intentionnellement élaboré une « conception contournant » les brevets no 348 et no 599. Il est possible de tenter délibérément d’éviter de violer un brevet dont on a connaissance en en contournant ou remaniant les termes. Le succès ou l’échec de cette entreprise dépendra de l’interprétation des revendications du brevet en cause, et non pas de l’intention de la personne intéressée : Illinois Tool Works c. Cobra Fixations Cie Ltée, 2002 CFPI 829, 221 F.T.R. 161 aux paras. 14 à 17, infirmée pour d’autres motifs dans 2003 CAF 358. L’intention d’une partie intimée n’est pas pertinente pour conclure à l’existence d’une contrefaçon : Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, au para. 49.

[43] En gardant à l’esprit ces éléments, j’en viens maintenant à l’analyse des questions soulevées en l’espèce.

A. La question des 85 %

[44] La Cour fédérale a constaté qu’il n’y avait aucune preuve de la vente ou de l’assemblage du produit de cellules structurelles RootSpace original au Canada après que la Cour fédérale a prononcé l’injonction permanente contre GreenBlue. La question était de savoir si la vente du système RootSpace AirForm violait les brevets no 348 et no 599 et donc l’injonction de la Cour fédérale.

[45] Comme l’a signalé la juge de la Cour fédérale, il y a contrefaçon si un produit comporte les éléments essentiels de la revendication, peu importe si une caractéristique non essentielle est omise ou substituée : Décision sur le fond, au para. 153, citant Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67, au para. 46. Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel manque ou est remplacé par autre chose : ViiV Healthcare Company c. Gilead Sciences Canada, Inc. 2020 CF 486, au para. 175, conf. par 2021 CAF 122, demande de pourvoi rejetée [2021] A.C.S.C. no 306. Il en est ainsi même si le dispositif présumément contrefait exécute substantiellement la même fonction que le dispositif breveté : Cascade Corporation c. Kinshofer GmbH, 2016 CF 1117, aux paras. 82, 86 et 87; Valeant Canada LP c. Ranbaxy Pharmaceuticals Canada Inc, 2018 CF 847, aux paras. 102 à 109.

[46] Par conséquent, pour que la Cour fédérale conclue à la contrefaçon par GreenBlue dans le cadre de la requête pour outrage, il aurait fallu que DeepRoot prouve au-delà de tout doute raisonnable que le nouveau système RootSpace AirForm comportait tous les éléments essentiels de la revendication 1 des brevets no 348 et no 599 : Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, au para. 68(4); Bauer Hockey Corp. c. Easton Sports Canada Inc., 2010 CF 361, au para. 169, conf. par 2011 CAF 83.

[47] Comme indiqué précédemment, la Cour fédérale a estimé que l’un des éléments essentiels du brevet no 348 était qu’au moins 85 % du volume des cellules du système de cellules structurelles revendiqué dans le brevet puissent être remplis de sol. La Cour a en outre estimé qu’un élément essentiel du brevet no 599 était la présence d’au moins 85 % d’espace vide dans la cellule structurelle revendiquée dans ce brevet : Décision sur le fond, aux paras. 141 et 150.

[48] DeepRoot conteste l’affirmation de GreenBlue selon laquelle le volume occupé par la pièce AirForm devrait être inclus dans le calcul du volume disponible dans son système RootSpace AirForm, en faisant valoir qu’il n’y a aucune raison fondée sur des principes permettant d’affirmer que le volume de l’AirForm devrait être déduit du volume apparent lors de l’évaluation du volume total disponible dans la cellule.

[49] DeepRoot soutient qu’une interprétation téléologique exige que seul le volume de la base, du sommet et des éléments structuraux soit déduit de l’ensemble du volume apparent pour calculer le volume disponible dans chaque cellule. La base, le sommet et les éléments structuraux sont définis par les panneaux verticaux de RootSpace. Étant donné que les panneaux verticaux n’ont pas été physiquement modifiés suivant la conclusion de contrefaçon de la décision sur le fond, la Cour devrait conclure que le volume disponible reste également inchangé.

[50] Même si la Cour devait conclure qu’il était approprié d’inclure le volume de la pièce AirForm dans le calcul du volume disponible, DeepRoot affirme que les calculs de GreenBlue montrant que le volume disponible dans les cellules du système AirForm de RootSpace est inférieur à 84,5 % sont erronés.

[51] Il y a donc deux questions à trancher. La première est de savoir s’il est approprié d’inclure le volume de la pièce AirForm dans le calcul du volume disponible dans les cellules du système RootSpace AirForm. La deuxième est de savoir si DeepRoot a établi, au-delà de tout doute raisonnable, que les cellules du système RootSpace AirForm ont un volume disponible d’au moins 84,5 %.

i. La pièce AirForm fait-elle partie de la structure des cellules RootSpace?

[52] Pour déterminer si l’espace occupé par la pièce AirForm devait être pris en compte dans le calcul du volume disponible dans le système RootSpace AirForm de GreenBlue, DeepRoot devait démontrer que la pièce AirForm ne faisait pas partie de la cellule structurelle elle-même. Si la pièce AirForm ne faisait pas partie de la structure de la cellule, DeepRoot avance qu’elle pourrait en faire abstraction dans le calcul du volume disponible dans les cellules RootSpace AirForm, permettant de déterminer si le système RootSpace AirForm a enfreint les revendications des brevets no 348 et no 599.

[53] DeepRoot maintient que les quatre panneaux verticaux définissent le volume et que les autres matériaux qui peuvent être placés dans les cellules structurelles assemblées, qu’il s’agisse d’une pièce AirForm ou d’un bloc de béton, ne font pas partie de la cellule structurelle elle-même, si bien qu’ils réduisent simplement le volume disponible pour d’autres matériaux tels que le sol.

[54] Pour soutenir cette affirmation, DeepRoot s’appuie sur le témoignage de monsieur Richard LeBrasseur, un expert en architecture paysagère et en infrastructures vertes, qui a témoigné à la fois lors du procès initial et lors de l’audience sur l’outrage au tribunal. Monsieur LeBrasseur a décrit la pièce AirForm comme un produit léger qui se glisse à l’intérieur de la cellule structurelle. Il a déclaré que la pièce AirForm n’est fixée ni à la base ni aux montants, et que si la cellule structurelle était tournée à l’envers, la pièce AirForm en tomberait.

[55] Monsieur LeBrasseur a dit être d’avis qu’il était nécessaire d’assembler entièrement la cellule structurelle avant d’y ajouter la pièce AirForm. Il était également d’avis que la pièce AirForm n’apporte aucune aide structurelle au maintien de la forme et de la rigidité des panneaux verticaux RootSpace pendant leur installation et leur utilisation. Par conséquent, monsieur LeBrasseur a estimé que la pièce AirForm ne faisait pas partie de la cellule structurelle et ne devrait pas être considérée dans le calcul du volume disponible dans les cellules du système RootSpace AirForm.

[56] Monsieur Marc Crans a également témoigné sur cette question. Monsieur Crans était directeur technique chez Infinity Testing Solutions. Il a effectué des essais de charge sur la pièce AirForm et a conclu [traduction] « qu’il ne semble pas que l’AirForm contribue de manière importante à l’intégrité structurelle du système RootSpace Airform ».

[57] GreenBlue a présenté le témoignage de monsieur Dean Bowie, PDG de GreenBlue Urban Limited au Royaume-Uni, et président de l’intimée, GreenBlue Urban North America, Inc. Monsieur Bowie a affirmé dans son témoignage que la pièce AirForm facilite l’installation des cellules et que les rainures sur les côtés de la pièce AirForm s’emboîtent dans les panneaux verticaux, de sorte que la pièce AirForm fait partie de la structure des cellules du système RootSpace AirForm de GreenBlue.

[58] Monsieur Michael Hoffman, un ingénieur professionnel que GreenBlue a appelé à témoigner, a déclaré dans son rapport que la pièce AirForm est un élément structurel du système RootSpace AirForm. Il a expliqué que la pièce AirForm devait être considérée comme faisant partie du système RootSpace AirForm car elle [traduction] « contribue effectivement aux charges latérales et verticales dans le système général ». Il a ajouté que les pièces AirForm [traduction] « aident à garder les panneaux verticaux à l’équerre et accroissent la rigidité latérale ». Selon lui, la pièce AirForm fournit un support perpendiculaire et sert de diaphragme horizontal pour le système RootSpace AirForm.

[59] Monsieur Hoffman n’approuve pas les essais effectués par monsieur Crans, car ces essais ne reproduisent pas selon lui l’utilisation du produit sur le terrain. Monsieur Hoffman a précisé que, même si l’AirForm n’est pas fixé, à savoir qu’il n’est pas attaché, il devient fixé lorsqu’il reçoit une charge de sol en raison de l’interconnexion entre l’AirForm et les autres éléments.

[60] Monsieur Barrett L. Kays a également témoigné au nom de GreenBlue en tant qu’architecte paysager professionnel et spécialiste en eaux pluviales urbaines, en horticulture et en science des sols. Comme monsieur LeBrasseur, monsieur Kays a témoigné à la fois lors du procès initial et lors de l’audience pour outrage au tribunal.

[61] Monsieur Kays a reconnu que les revendications des brevets no 348 et no 599 enseignent à une personne compétente comment évaluer le volume disponible de la cellule structurelle qui est l’objet de l’invention. Il a également reconnu que les revendications n’indiquent pas à une personne compétente de prendre en considération d’autres matériaux lorsqu’elle détermine si une cellule structurelle possède les éléments de la revendication, qu’il s’agisse de sol, d’eau ou de la pièce AirForm. Cela dit, monsieur Kays a également affirmé que la pièce AirForm est conçue pour s’emboîter ou se connecter à la cellule structurelle du système RootSpace AirForm.

[62] La Cour fédérale a estimé que les éléments de preuve permettant de déterminer si la pièce AirForm ajoutait un élément structurel aux cellules du système AirForm de RootSpace « demeur[aient] obscure[s] ». Comme il n’était pas possible d’établir une conclusion définitive à cet égard, la Cour fédérale a déclaré qu’elle « entret[enait] toujours des doutes » à cet égard, et que le bénéfice du doute devrait être accordé à GreenBlue.

[63] Un examen de la décision relative à l’outrage révèle que la Cour fédérale était bien consciente des preuves contradictoires concernant cette question, y compris les preuves des témoins experts. La Cour fédérale avait également compris qu’il incombait à DeepRoot d’établir, au-delà de tout doute raisonnable, que GreenBlue avait enfreint l’injonction prononcée par la Cour fédérale.

[64] Après avoir examiné les éléments de preuve contradictoires qui lui ont été présentés, la Cour fédérale a conclu que ceux-ci étaient insuffisants pour établir, au-delà de tout doute raisonnable, que la pièce AirForm n’ajoutait pas un élément structurel aux cellules du système AirForm de RootSpace. Il s’agit d’une constatation de fait à laquelle la Cour fédérale pouvait aboutir en se basant sur le dossier dont elle disposait. Par ailleurs, DeepRoot n’a pas établi que cette constatation était entachée d’une erreur de droit ou d’une erreur manifeste et déterminante.

ii. Le volume disponible des cellules du système RootSpace AirForm atteint-il au moins 84,5 %?

[65] Même s’il était approprié d’inclure la pièce AirForm dans le calcul du volume disponible dans les cellules du système RootSpace AirForm, DeepRoot affirme que la Cour fédérale a néanmoins commis une erreur en estimant qu’elle n’avait pas établi au-delà de tout doute raisonnable que le volume disponible des cellules RootSpace AirForm dépassait effectivement le seuil de 84,5 %.

[66] Par conséquent, DeepRoot soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas établi au-delà d’un doute raisonnable que GreenBlue avait directement enfreint les brevets de DeepRoot en vendant ses systèmes AirForm de RootSpace au Canada.

[67] Monsieur LeBrasseur avait déclaré que le volume disponible dans le RootSpace AirForm est probablement supérieur à 85 %, si l’on tient compte des espaces vides au-dessus et au-dessous de la pièce AirForm. DeepRoot avance que cela démontre que le système cellulaire GreenBlue AirForm enfreint directement la revendication 1 du brevet no 348 et la revendication 1 du brevet no 599, à tout le moins.

[68] Monsieur LeBrasseur a également déclaré que la pièce AirForm serait susceptible de se déformer si elle devait être soumise au poids du sol, ce qui augmenterait ainsi le volume disponible au-dessus de la pièce AirForm au-delà des 82 % revendiqués. Cependant, monsieur LeBrasseur n’a pas lui-même effectué de mesures du volume, et il a reconnu que, lorsque la pièce AirForm était utilisée avec des structures de sol, le volume disponible des cellules était quelque peu réduit.

[69] Selon monsieur Kays, il manque au système AirForm l’élément essentiel des brevets no 348 et no 599, à savoir que le volume disponible dans les cellules soit d’« au moins environ 85 % ». Selon monsieur Kays, la pièce AirForm réduit le volume disponible de la cellule en deçà de 84,5 % et, par conséquent, il n’empiète pas sur les brevets no 348 et no 599.

[70] Madame Jennifer Drake a également témoigné au nom de GreenBlue lors de l’audience pour outrage au tribunal. Elle fut la seule parmi les témoins à être invitée par l’une ou l’autre des parties à tenter de mesurer ou d’estimer le volume disponible pour le sol dans les cellules du système RootSpace AirForm, DeepRoot n’ayant présenté aucune preuve à cet égard.

[71] Madame Drake a précisé que, selon elle, le [traduction] « volume disponible » dans une cellule structurelle était l’espace laissé libre pour le sol ou les eaux pluviales une fois que l’espace occupé par la cellule structurelle elle-même, dont la pièce AirForm et l’espace laissé sous la pièce AirForm, avait été soustrait. Madame Drake n’a pas été interrogée à propos de cette interprétation, et on ne lui a pas demandé d’interpréter les revendications du brevet afin d’évaluer l’espace vide ou le volume disponible dans les nouvelles cellules RootSpace AirForm.

[72] Après avoir tenté en vain de calculer le volume apparent d’une cellule structurelle RootSpace à l’aide de la méthode qu’elle privilégiait, soit une mesure de déplacement, madame Drake a calculé le volume apparent d’une unité cellulaire en mesurant sa hauteur, sa largeur et sa profondeur. Pour mesurer la largeur et la profondeur de la cellule, elle s’est basée sur les dimensions du couvercle, par opposition aux côtés extérieurs de la cellule. Madame Drake a déclaré dans son rapport que, selon son calcul du volume apparent, et [traduction] « d’après les travaux de laboratoire [...] effectués [...], le volume disponible pour les modules du système AirForm [...] mis à l’essai variait de 82 % à 83 %, même si le couvercle avait été omis ».

[73] L’avocat de DeepRoot a contesté les calculs de madame Drake lors du contre-interrogatoire. Notamment, il a laissé entendre que le fait que madame Drake ait basé son calcul du volume apparent sur les dimensions du couvercle a entraîné une sous-estimation du volume disponible, puisque le couvercle n’est pas aligné avec les bords extérieurs de l’unité cellulaire. Il en résulte que 50 % du volume des panneaux verticaux n’ont pas été inclus dans l’estimation du volume apparent faite par madame Drake, ce qui fausse le calcul du volume disponible.

[74] L’avocat a ensuite présenté à madame Drake une série de calculs suggérant que ses mesures du volume disponible dans le système RootSpace AirForm constituaient une sous-estimation, et que le volume disponible pour le sol et les eaux pluviales dépassait en réalité 84,5 %.

[75] Madame Drake a reconnu en contre-interrogatoire que les couvercles utilisés dans le système GreenBlue RootSpace AirForm ne couvraient que 50 % de chacun des quatre panneaux verticaux sur lesquels ils reposent. Elle a cependant maintenu que l’approche préconisée par l’avocat lors du contre-interrogatoire ne permettait pas non plus un calcul parfait du volume apparent. Notamment, elle a indiqué que la mesure de la largeur et de la profondeur définies par les bords extérieurs de la cellule risquait d’entraîner une surestimation du volume apparent en raison de la forme irrégulière des panneaux verticaux.

[76] Tout en reconnaissant que ses calculs comportaient peut-être une sous-estimation du volume disponible dans une cellule individuelle, l’opinion de madame Drake est restée ferme à propos du fait que ses mesures étaient plus près du volume réel des cellules du système RootSpace AirForm que les mesures de l’avocat de DeepRoot. Elle a en outre affirmé que ses mesures étaient raisonnables.

[77] La Cour fédérale a reconnu la contestation des mesures de madame Drake dans sa décision relative à l’outrage au tribunal, mais elle a toutefois signalé que madame Drake était la seule parmi les experts consultés à avoir entrepris de mesurer le volume disponible des cellules RootSpace AirForm. La Cour a également noté que madame Drake avait indiqué que le volume de la cellule structurelle était réduit par la présence de la pièce AirForm dans la cellule (ce qui semble évident à notre Cour).

[78] Tout en estimant que le pourcentage précis de cette réduction n’avait pas été clairement établi, la Cour fédérale a néanmoins admis l’opinion de madame Drake voulant que le volume disponible soit réduit par rapport à celui des cellules structurelles originales RootSpace.

[79] La Cour fédérale a alors conclu que les preuves relatives au volume disponible dans les cellules du système RootSpace AirForm étaient suffisantes pour soulever un doute quant à savoir s’il s’agit d’un produit contrefait, et qu’il faudrait accorder le bénéfice du doute à GreenBlue. La Cour a donc estimé que DeepRoot n’avait pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable que les cellules du système RootSpace AirForm présentaient un volume disponible d’au moins 84,5 %, ce qui a entraîné le rejet de la requête de DeepRoot pour outrage au tribunal.

[80] DeepRoot conteste les conclusions de la Cour fédérale à cet égard, affirmant qu’elle a établi que la preuve de madame Drake concernant le volume disponible était fondamentalement erronée. Selon DeepRoot, le fait que madame Drake n’ait considéré que 50 % du volume occupé par les panneaux verticaux dans son estimation du volume apparent a eu pour effet de réduire artificiellement le volume disponible.

[81] DeepRoot assure que, lorsque ce qu’elle nomme les [traduction] « erreurs mathématiques » de madame Drake ont été corrigées, le pourcentage du volume disponible dans les cellules du système RootSpace AirForm s’est en fait avéré être plus proche de 86 ou 87 %, violant ainsi la revendication 1 du brevet no 348 et la revendication 1 du brevet no 599, à tout le moins.

[82] La question de savoir si les activités d’une partie relèvent d’un monopole est une question de fait : arrêt Whirlpool, précité, au para. 76, citant Western Electric Co., Inc. et al. v. Baldwin International Radio of Canada, [1934] RCS 570. Comme DeepRoot conteste une constatation de fait qui a été faite par la Cour fédérale, cette constatation est soumise à la norme de l’erreur manifeste et déterminante.

[83] Il semble que l’origine du désaccord entre madame Drake et l’avocat de DeepRoot porte sur la question de savoir si la totalité du volume de chaque panneau vertical doit être incluse dans le calcul du volume apparent (comme le voudrait l’avocat), ou si la moitié de ce volume doit être attribuée à la cellule adjacente (comme le soutient madame Drake).

[84] En ce qui concerne l’approche à adopter pour le calcul du volume disponible dans les cellules RootSpace AirForm, GreenBlue a présenté le témoignage de monsieur Kays, qui, on s’en souviendra, est expert en architecture paysagère, en eaux pluviales urbaines, en horticulture et en science des sols.

[85] Monsieur Kays avait, lors du procès initial, fourni des preuves au nom de GreenBlue quant à l’interprétation des brevets no 348 et no 599. Il a examiné le rapport d’expertise de madame Drake et a assisté à certains des tests qu’elle a effectués. Monsieur Kays a jugé raisonnables les mesures et les calculs de madame Drake et a souscrit à ses conclusions selon lesquelles les cellules du système RootSpace AirForm avaient un espace vide ou un volume disponible pour le sol maximal de 82 à 83 %, et qu’il manquait au système RootSpace AirForm un élément essentiel des brevets no 348 et no 599, à savoir un volume disponible d’au moins 84,5 %.

[86] Un examen de la transcription du témoignage fait par madame Drake lors de l’audience sur l’outrage au tribunal révèle qu’elle était prête à reconnaître qu’elle avait adopté une approche différente de celle de l’avocat de DeepRoot dans ses calculs du volume disponible dans les cellules du système RootSpace AirForm. Cependant, en définitive, elle n’était pas disposée à accepter l’affirmation de l’avocat selon laquelle les calculs appropriés révélaient un volume disponible supérieur au seuil de 84,5 % dans les unités individuelles du système RootSpace AirForm.

[87] Madame Drake était d’avis que ses mesures constituaient une estimation raisonnable du volume disponible, ayant été obtenues à partir des chiffres qu’un concepteur aurait à sa disposition en consultant les spécifications du produit. Elle a en outre dit être d’avis que sa possible sous-estimation du volume disponible était par ailleurs [traduction] « plus proche de la vérité » que la surestimation de l’avocat pouvait l’être.

[88] La Cour fédérale était clairement informée de l’existence d’un différend entre l’avocat et madame Drake en ce qui concerne la méthodologie adéquate à utiliser pour calculer le volume disponible dans les cellules du système RootSpace AirForm. La Cour fédérale avait également conscience que madame Drake avait reconnu que ses calculs pouvaient comporter une sous-estimation du volume disponible dans ces cellules : voir la décision relative à l’outrage au tribunal, au paragraphe 36.

[89] Cela dit, la Cour fédérale avait aussi compris qu’il incombait à DeepRoot de prouver, au-delà de tout doute raisonnable, qu’il s’agissait d’une contrefaçon faite au mépris de l’injonction. Entre autres choses, DeepRoot devait établir au-delà de tout doute raisonnable que le volume disponible dans les cellules du système RootSpace AirForm était supérieur à 84,5 %.

[90] La Cour fédérale a retenu les éléments de preuve de madame Drake selon lesquelles la présence de la pièce AirForm réduisait le volume disponible dans les cellules RootSpace AirForm, bien que le pourcentage précis de cette réduction n’ait pas été clairement établi. La Cour fédérale a donc conclu que DeepRoot n’avait pas démontré que le volume disponible dans les cellules du système RootSpace AirForm dépassait le seuil de 84,5 %. Par conséquent, la Cour fédérale a estimé que DeepRoot n’avait pas établi au-delà de tout doute raisonnable que GreenBlue avait directement contrefait les brevets de DeepRoot en vendant son système RootSpace AirForm au Canada.

[91] Il appartenait à la Cour fédérale d’apprécier les éléments de preuve qui lui étaient soumis et de déterminer quel poids leur accorder. La Cour fédérale a choisi d’admettre le témoignage de madame Drake à cet égard – une conclusion qu’elle pouvait raisonnablement tirer compte tenu du dossier dont elle disposait. Cela est d’autant plus vrai que DeepRoot avait choisi de ne pas présenter de preuves directes quant au volume disponible dans les cellules du système RootSpace AirForm.

[92] DeepRoot n’a donc pas établi que la conclusion de la Cour fédérale à cet égard était entachée d’une erreur de droit ou d’une erreur manifeste et déterminante.

B. La non-interprétation des brevets

[93] DeepRoot soutient également que la Cour fédérale a commis une erreur de droit en s’appuyant sur l’avis de madame Drake concernant le volume disponible dans les unités du système RootSpace AirForm, alors que cette dernière n’avait pas fourni d’éléments de preuve concernant l’interprétation des revendications pertinentes des brevets no 348 et no 599, ni sur la manière dont le volume disponible des cellules structurelles devait être calculé. Selon DeepRoot, la Cour fédérale a également commis une erreur en n’analysant pas les éléments contestés des revendications des brevets no 348 et no 599 de manière à déterminer comment calculer le volume disponible conformément à celles-ci.

[94] Citant la décision Paula Lishman Ltd. c. Erom Roche Inc., [1994] A.C.F. no 332, GreenBlue soutient qu’une procédure pour outrage au tribunal n’est pas la tribune appropriée pour trancher des questions concernant l’interprétation des brevets, et que celles-ci devraient être réglées lors d’un procès.

[95] DeepRoot n’a fait valoir que la revendication 1 de chacun des brevets no 348 et no 599 lors de la procédure pour outrage au tribunal. Ces revendications avaient déjà été interprétées par la Cour fédérale lors du premier procès. Dans l’énoncé des questions en litige qu’elle a déposé en prévision de l’audience sur l’outrage au tribunal, DeepRoot n’a pas ciblé d’autres questions d’interprétation comme étant en litige : Recueil des recours, p. 133. En effet, dans son énoncé, DeepRoot soulève la question de savoir si l’ajout de la pièce AirForm modifie le volume [traduction] « tel qu’il est interprété dans le jugement et les motifs du tribunal de première instance ». DeepRoot n’a pas non plus soulevé de questions d’interprétation lors du contre-interrogatoire de madame Drake. On ne peut donc pas reprocher à GreenBlue de ne pas avoir présenté de preuves sur cette question, ni à la Cour fédérale de ne pas l’avoir abordée dans sa décision sur l’outrage au tribunal.

[96] Par conséquent, DeepRoot n’a pas établi l’existence d’une erreur de droit ou d’une erreur manifeste et déterminante commise par la Cour fédérale à cet égard.

C. Est-ce que la Cour fédérale a omis d’apprécier et de prendre en considération toute l’étendue des droits de DeepRoot concernant le monopole?

[97] DeepRoot soutient que la Cour fédérale a également commis une erreur en n’appréciant pas et en ne prenant pas en considération toute l’étendue des droits de monopole accordés par les brevets no 348 et no 599, y compris le droit exclusif d’importer, d’exporter et d’utiliser les cellules structurelles en question en tant que structure intermédiaire.

[98] DeepRoot a allégué, lors de la procédure pour outrage au tribunal, qu’une cellule RootSpace pouvait être fabriquée en tant que [traduction] « contrefaçon intermédiaire », si une ancienne cellule RootSpace était assemblée avant l’ajout de la pièce AirForm pour compléter la nouvelle cellule RootSpace AirForm. DeepRoot avance en outre que les photographies produites lors de l’audience sur l’outrage au tribunal montrent une installation partielle du système RootSpace AirForm, ce qui constitue une preuve directe de l’utilisation du produit RootSpace original au Canada, sans la pièce AirForm, et donc une preuve directe d’outrage à l’injonction de la Cour fédérale.

[99] DeepRoot déclare en outre que GreenBlue contrevient également à la revendication 1 du brevet no 599 en important au Canada et en exportant hors du Canada des panneaux verticaux et des couvercles du système RootSpace.

i. Les preuves photographiques des installations du système RootSpace original

[100] DeepRoot a présenté des photographies de trois chantiers de construction sur lesquels des systèmes RootSpace AirForm étaient en cours d’installation. DeepRoot soutient que ces photographies montrent des cellules structurelles du système RootSpace assemblées sans la pièce AirForm, ce qui constitue une violation directe des brevets de DeepRoot, au mépris de l’injonction de la Cour fédérale.

[101] La Cour fédérale a constaté que, même si certaines des photos représentaient des cellules structurelles ne contenant pas de pièces AirForm, ces pièces sont clairement montrées dans les photos et les instructions d’installation de GreenBlue indiquent aux installateurs d’utiliser les pièces AirForm et de les installer avant de remplir les structures de sol.

[102] Par conséquent, la Cour fédérale en est venue à la conclusion qu’elle n’était pas en mesure de conclure que la preuve photographique illustre une utilisation du système RootSpace original qui contrevient à son injonction. La Cour fédérale a ensuite indiqué que « [d]e toute façon, les photographies illustrant que l’installation “pourrait” éventuellement violer l’injonction de la Cour si l’AirForm n’est pas installé ne constituent pas une preuve hors de tout doute raisonnable de contrefaçon ».

[103] DeepRoot soutient que, si les photographies représentent des installations partielles d’un système de cellules structurelles, elles représentent également des cellules structurelles entièrement assemblées, chacune d’entre elles constituant un acte de contrefaçon de la revendication 1 du brevet no 599, qui ne traite que d’une seule cellule structurelle. Citant le paragraphe 48 de l’arrêt Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 671, DeepRoot indique qu’une partie est responsable de la contrefaçon d’un brevet si tout produit intermédiaire utilisé au cours du processus de fabrication de son produit final s’avère contrefaire le brevet en question : voir également Bayer Inc. c. Fresenius Kabi Canada Ltd., 2016 CF 581, au para. 164.

[104] DeepRoot soutient que la création de cellules structurelles RootSpace contrefaites lors de l’assemblage des systèmes de cellules structurelles RootSpace AirForm de GreenBlue constitue une contrefaçon directe par GreenBlue, ou une incitation à la contrefaçon directe pas GreenBlue à ses clients. Même si la cellule structurelle a été ultérieurement rendue non contrefaisante grâce à l’ajout de la pièce AirForm, DeepRoot affirme que cela n’exonère pas GreenBlue de la contrefaçon antérieure.

[105] Certaines des photographies prises par Jeremy Bailey représentent un projet de construction de Minto à Ottawa. Monsieur Bailey était consultant et ancien directeur général de GreenBlue. Il était manifestement sur place en août 2021 pour apporter son soutien à l’entrepreneur lors de l’installation du système GreenBlue. DeepRoot soutient que sa présence sur le site constitue un acte direct de contrefaçon imputable à GreenBlue.

[106] Selon DeepRoot, les photographies des autres installations illustrent une contrefaçon, laquelle aurait été réalisée par les clients de GreenBlue, incités par celle-ci à travers la formation et les instructions d’installation qu’elle leur a fournies, et par le fait que GreenBlue avait connaissance que ces installations seraient faites.

[107] Selon DeepRoot, la Cour fédérale a commis une erreur de fait et de droit en exigeant plus que l’existence d’une seule cellule assemblée sans la pièce AirForm pour qu’il y ait contrefaçon de ses brevets. Tous les éléments essentiels de la revendication 1 du brevet no 599 sont satisfaits, comme le montrent les photographies de l’installation.

[108] GreenBlue affirme qu’elle ne vend pas de cellules assemblées du système RootSpace AirForm au Canada. Elle vend des composants qui, une fois assemblés, deviennent des cellules. GreenBlue n’installe pas les systèmes RootSpace AirForm. Ce sont plutôt les entrepreneurs qui sont responsables de l’installation du produit.

[109] GreenBlue affirme qu’aucune preuve n’a été présentée devant la Cour fédérale pour démontrer qu’elle avait incité les installateurs à fabriquer les cellules structurelles RootSpace originales en omettant la pièce AirForm. Par ailleurs, aucune preuve n’a été présentée pour établir que GreenBlue faisait la promotion, annonçait ou donnait des instructions différentes quant à l’assemblage du nouveau système RootSpace AirForm sans la pièce AirForm, ou pour l’insertion de la pièce AirForm à un autre moment que celui où les panneaux verticaux sont assemblés, conformément aux instructions de GreenBlue.

[110] GreenBlue fournit aux entrepreneurs responsables de l’installation des systèmes RootSpace AirForm au Canada des instructions d’installation décrivant la procédure d’installation recommandée pour le produit modifié de GreenBlue. Dans la section intitulée « Joining two Upright Panels » (Assemblage de deux panneaux verticaux) des instructions, il est indiqué que les installateurs doivent assembler les panneaux verticaux. [traduction] « Lorsque les panneaux verticaux sont assemblés », les instructions invitent les installateurs à [traduction] « [s’assurer] que le périmètre du panneau AirForm est correctement installé et fixé à chaque module pour maintenir la matrice dans un alignement à 90 degrés ».

[111] Cette étape de l’assemblage est illustrée plus loin dans les instructions. Dans cette portion des instructions, sous le titre « Joining two Upright and the AirForm Panel » (Assembler deux panneaux verticaux et le panneau AirForm), il est indiqué [traduction] « [l]orsque les panneaux verticaux sont assemblés, assurez-vous que le périmètre du panneau AirForm est fixé à la marge interne des panneaux verticaux ».

[112] Contrairement à ce qu’il en est de l’utilisation des panneaux latéraux (qui est indiquée comme étant optionnelle), rien dans les instructions d’installation du système RootSpace AirForm ne suggère que l’utilisation de la pièce AirForm soit optionnelle. Les instructions ne prévoient pas non plus qu’une cellule structurelle RootSpace originale complète soit assemblée avant l’ajout de la pièce AirForm.

[113] On ne peut donc pas dire que les actes de contrefaçon qui ont pu être accomplis par des tiers ont été influencés par les agissements de GreenBlue en ce qui concerne les instructions d’installation qu’elle a distribuée. Les instructions n’incitent donc pas à la contrefaçon des brevets de DeepRoot par la création d’un produit intermédiaire contrefaisant : Weatherford Canada Ltd. c. Corlac Inc., 2011 CAF 228, au para. 162.

[114] Il n’existe aucun élément de preuve suggérant que GreenBlue faisait la promotion, annonçait ou donnait des instructions concernant l’assemblage du nouveau système RootSpace AirForm sans la pièce AirForm.

[115] GreenBlue fait remarquer que les preuves photographiques de DeepRoot concernent l’installation des systèmes RootSpace AirForm sur trois sites de construction : le site Minto à Ottawa, le site Eglinton Crosstown à Toronto et le site Louis Street à Peterborough.

[116] Aucune preuve n’indique qu’un représentant de GreenBlue était présent sur le site d’Eglinton Crosstown ou sur le site de Louis Street. Il n’y avait pas non plus de preuve suggérant que GreenBlue était au courant de la manière dont le système RootSpace AirForm était assemblé à ces endroits, ou que cet assemblage pouvait être contraire aux instructions qu’elle fournit aux acheteurs des systèmes RootSpace AirForm. Par conséquent, les actes de contrefaçon allégués qui pourraient être illustrés dans ces photographies ne peuvent pas être attribués à GreenBlue.

[117] Monsieur Bailey a déclaré que ce sont les entrepreneurs qui assemblent les systèmes RootSpace AirForm, et non GreenBlue. GreenBlue ne participe généralement pas à l’installation des systèmes, sauf peut-être pour remettre des pièces aux ouvriers ou pour guider les entrepreneurs lorsqu’un représentant de l’entreprise est présent sur le chantier.

[118] Monsieur Bailey a ajouté que la pièce AirForm est normalement insérée après l’assemblage de deux ou trois panneaux verticaux. Un module cellulaire doit généralement être assemblé à partir d’un coin formé de deux panneaux verticaux, en ajoutant la pièce AirForm et en continuant à partir de là.

[119] En août 2021, monsieur Bailey était présent sur le site de Minto à Ottawa. Il explique que sa présence sur le chantier visait à enseigner aux entrepreneurs comment assembler le système RootSpace AirForm et à leur offrir une formation concernant la séquence d’installation. Il a déclaré avoir pris les photos au fur et à mesure que l’installation avançait.

[120] Interrogé sur les photographies du site de Minto qui montrent des panneaux verticaux dépourvus de la pièce AirForm, monsieur Bailey a déclaré que les cellules n’étaient alors pas encore achevées, puisqu’elles ne comptaient que trois panneaux en place. Il a confirmé qu’au moment où il a quitté le chantier, le système RootSpace AirForm avait été installé correctement, conformément aux instructions de GreenBlue.

[121] Ainsi, il y avait donc des éléments de preuve pour appuyer la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la preuve photographique n’établissait pas hors de tout doute raisonnable que GreenBlue avait contrefait ou incité à contrefaire les brevets de DeepRoot en vendant le système RootSpace AirForm au Canada.

ii. La question de l’importation et de l’exportation

[122] DeepRoot allègue que GreenBlue violait également, à tout le moins, la revendication 1 du brevet no 599, en important les panneaux verticaux et les couvercles AirFlow pour les cellules structurelles du système RootSpace au Canada, puis en exportant ces panneaux et couvercles vers des clients des États-Unis, et ce, après que la Cour fédérale ait rendu son injonction.

[123] DeepRoot affirme que l’importation de tout élément constitutif d’une invention brevetée en vue d’un assemblage simple constitue une contrefaçon de brevet. Comme GreenBlue importe tous les composants visés par la revendication 1 du brevet no 599, elle contrefait donc le brevet no 599, violant ainsi les modalités de l’injonction de la Cour fédérale.

[124] DeepRoot soutient en outre que l’on peut déduire que GreenBlue tient en sa possession les systèmes de cellules structurelles RootSpace contrefaits à Woodstock, en Ontario, avant de les exporter aux États-Unis. L’achat ou la possession d’articles de contrefaçon au Canada, dans le but de les exporter, constitue une violation, à tout le moins, de la revendication 1 du brevet no 599. Citant le paragraphe 264 de l’arrêt Varco Canada Limited c. Pason Systems Corp., 2013 CF 750, DeepRoot affirme que l’expédition de parties d’un produit à l’extérieur du Canada suivi de l’assemblage relativement simple revient à expédier le produit assemblé à partir du Canada.

[125] Il convient de noter que, si la question de l’importation et de l’exportation a été vigoureusement débattue devant notre Cour, elle était très secondaire lors de l’audience sur l’outrage devant la Cour fédérale, les arguments de DeepRoot concernant ces questions occupant un peu plus d’une page de transcription dans une plaidoirie tenant sur 65 pages. Reflétant peut-être le peu d’importance accordée à cette question par la Cour fédérale, peu d’éléments ont été présentés en ce qui concerne les questions d’importation et d’exportation. Les informations limitées qui ont été présentées à la Cour fédérale ont été obtenues principalement par la réponse de GreenBlue à une demande d’aveu signifiée par DeepRoot avant l’audience sur l’outrage.

[126] Le peu d’importance accordé à la question de l’importation et de l’exportation par la Cour fédérale, de même que le peu d’éléments de preuve présenté à cet égard, peuvent également expliquer pourquoi la Cour fédérale n’a pas jugé nécessaire de traiter de cette question dans sa décision.

[127] GreenBlue admet qu’elle fabrique les pièces AirForm en Ontario, mais elle affirme que les panneaux verticaux et les couvercles AirFlow sont fabriqués au Royaume-Uni. GreenBlue admet en outre avoir « reçu » des panneaux verticaux RootSpace et des couvercles AirFlow qui lui ont été envoyés au Canada après le prononcé de l’injonction par la Cour fédérale. Elle admet en outre que ces articles [traduction] « ont par la suite été transbordés vers des clients américains de GreenBlue Urban Limited ». GreenBlue nie que la manière dont ces produits ont été envoyés aux clients américains par GreenBlue constitue une « exportation » au sens de la loi. GreenBlue affirme qu’elle ne vend pas, n’offre pas à la vente au Canada, n’importe pas, n’exporte pas et ne stocke pas de cellules structurelles RootSpace contrefaites.

[128] Les droits exclusifs conférés par la Loi sur les brevets, L.R.C., 1985, ch. P-4 (la Loi) sont limités au territoire canadien : Dole Refrigerating Products Ltd. v. Can. Ice Machine Co. & Amerio Contact Plate Freezers Inc. (1957), 28 C.P.R. 32, p. 36 (C. de l’É.). Conformément à l’article 42 de la Loi, la délivrance d’un brevet interdit à d’autres personnes au Canada de fabriquer, de construire, d’exploiter et de vendre à d’autres pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention.

[129] La jurisprudence établit que l’achat ou la possession d’articles contrefaits au Canada, en vue de les vendre ou d’en faire le commerce, ou à des fins d’exportation, constitue une contrefaçon : Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2008 CF 825, au para. 143, conf. par 2009 CAF 222, demande de pourvoi rejetée, [2009] A.C.S.C. no 403.

[130] Bien que GreenBlue admette avoir « reçu » des panneaux verticaux RootSpace et des couvercles AirFlow au Canada, elle note qu’il s’agissait de composants non assemblés du produit de cellules structurelles RootSpace contrefait.

[131] Il est vrai que l’importation des éléments constitutifs d’une invention brevetée en vue d’un assemblage simple constitue une contrefaçon de brevet : Dominion Chain Co. c. McKinnon Chain Co., (1919) 58 S.C.R. 121 au para. 53. Cependant, en l’espèce, la Cour fédérale a conclu qu’il n’y avait aucune preuve de la vente ou de l’assemblage du produit RootSpace original au Canada après que la Cour a prononcé son injonction définitive contre GreenBlue.

[132] En ce qui concerne l’exportation des composants du produit RootSpace original, la Cour fédérale a déclaré dans la décision J.M. Voith GmbH c. Beloit Corp., [1993] 2 C.F. 515 (décision Voith) que les contrats de vente d’éléments destinés à être assemblés à l’étranger ne constituaient pas une contrefaçon d’un brevet canadien. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour fédérale a estimé que, dans les cas où les défenderesses expédiaient des pièces non assemblées hors du pays, « on ne peut dire qu’elles ont fabriqué, construit, exploité ou vendu à d’autres, au Canada, l’objet de l’invention de la demanderesse » : décision Voith, précitée, au para. 74.

[133] La Cour fédérale a ensuite signalé que, pour conclure qu’elles ont contrefait le brevet en question, il faut que les défenderesses « aient vendu les éléments de l’invention pour l’exploitation et l’assemblage au Canada », ou qu’elles « aient assemblé elles-mêmes ces éléments conformément à l’agencement indiqué dans les revendications du brevet, à l’intérieur de ce pays, puis qu’elles aient exporté le produit fini par la suite » : décision Voith, précitée, au para. 74.

[134] Pour parvenir à cette conclusion, la Cour fédérale a écarté l’arrêt de la Cour d’appel fédérale intitulé Windsurfing International Inc. c. Bic Sports Inc., [1985] A.C.F. no 1147. Dans cet arrêt, la Cour a estimé que l’intimée avait incité des acheteurs à contrefaire le brevet de la demanderesse par la vente de pièces sans assemblage d’une invention, lesquelles étaient vendues pour être utilisées et assemblées au Canada : décision Voith, précitée, au para. 75.

[135] La Cour d’appel fédérale a accueilli en partie l’appel de la décision Voith de la Cour fédérale : Beloit Canada Ltd. c. Valmet-Dominion Inc. (C.A.), [1997] 3 C.F. 497 (arrêt Beloit). Dans cet arrêt, la Cour a commencé son analyse en indiquant que son enquête devait porter sur la question de savoir si les actions nationales des intimées constituaient une contrefaçon du brevet en cause. Il s’agit de savoir si les intimées ont fabriqué, construit, exploité ou vendu l’invention brevetée au Canada en fabriquant et en vendant des pièces constitutives de l’invention : arrêt Beloit, précité, au para. 34.

[136] La Cour a estimé que, lorsque les éléments d’une invention sont vendus sous une forme en bonne partie unifiée et combinée en vue d’un assemblage ultérieur, la contrefaçon ne peut être évitée par une séparation ou une division de pièces qui laisse à l’acheteur la simple tâche de les intégrer et les assembler : arrêt Beloit, précité, au para. 41.

[137] Dans l’arrêt Beloit, la Cour a poursuivi en signalant que la Cour fédérale avait omis de prendre en compte le fait que l’intimée avait en fait vendu au Canada l’invention brevetée lorsqu’elle avait signé au Canada des contrats concernant l’invention complète, et non simplement des éléments constitutifs : arrêt Beloit, précité, au para. 43.

[138] Après avoir signalé que l’invention avait en réalité été assemblée au Canada, la Cour a poursuivi en déclarant qu’« [u]n fabricant ne peut se soustraire à sa responsabilité pour contrefaçon en démontant une machine après l’avoir assemblée ». La fabrication de l’ensemble des éléments constitutifs qui sont par la suite suffisamment assemblés au Canada pour permettre de vérifier l’ajustement des pièces constitue la « fabrication » d’une invention brevetée au sens de l’article 44 de la Loi : arrêt Beloit, précité, au para. 47.

[139] Le fait que l’invention ait été démontée après les essais en vue de l’expédition et de la livraison ne peut soustraire l’intimée à la responsabilité d’avoir fabriqué l’invention au Canada. En arrivant à cette conclusion, la Cour a estimé qu’il ne s’agissait pas d’une application extraterritoriale de la Loi sur les brevets, mais plutôt d’une responsabilité de l’intimée pour ses actes au pays : arrêt Beloit, précité, au para. 48.

[140] La Cour a conclu en signalant qu’une conclusion contraire récompenserait indûment l’intimée pour s’être soustraite à ses responsabilités sous le régime canadien des brevets. Le monopole accordé par la Loi ne saurait être interprété si restrictivement qu’il permette à un concurrent contrefacteur de fabriquer des éléments constitutifs et de les assembler pour en faire l’invention brevetée au Canada avant de les expédier, parce qu’il a eu la bonne idée de livrer le produit en pièces détachées : arrêt Beloit, précité, au para. 49.

[141] Comme nous l’avons indiqué précédemment, en l’espèce, la Cour fédérale a constaté qu’il n’y avait aucune preuve de l’assemblage du produit original de cellules structurelles RootSpace par GreenBlue au Canada après le prononcé de l’injonction permanente contre l’entreprise par la Cour fédérale. Cela distingue le litige en l’instance de la décision de la Cour dans l’arrêt Beloit. Il n’y a pas non plus de preuve que les revenus des ventes faites auprès des clients américains ont été réalisés au profit de GreenBlue. Cela distingue le litige dont notre Cour est saisie de la décision Varco de la Cour fédérale.

[142] En effet, les éléments de preuve présentés à la Cour fédérale concernant les ventes du produit original de cellules structurelles RootSpace à des clients aux États-Unis étaient très limités. DeepRoot ne nous a pas renvoyé à un élément de preuve dans le dossier qui indiquerait si le titre de propriété des panneaux verticaux et des couvercles AirFlow a été transmis à GreenBlue par GreenBlue Urban Limited (« GreenBlue UK », qui n’est pas partie à la présente action) avant la réception des articles au Canada ou leur « transbordement » aux États-Unis.

[143] La preuve n’établit pas non plus clairement si les clients aux États-Unis étaient des clients de GreenBlue ou de GreenBlue UK. Cela dit, dans sa réponse à la demande d’aveu de DeepRoot, GreenBlue déclare que [traduction] « [d]epuis le prononcé du jugement de la cour de première instance, les panneaux verticaux et les couvercles AirFlow ont été envoyés du Royaume-Uni vers Woodstock, en Ontario, d’où ils ont ensuite été transbordés vers les clients américains de [GreenBlue UK] ». [Italiques ajoutés.] GreenBlue poursuit en niant que la manière dont ces produits ont été envoyés aux clients américains constituait une « exportation » faite par GreenBlue au sens de la loi.

[144] Bien que la relation entre les sociétés GreenBlue canadienne et britannique soit peu claire, GreenBlue maintient que GreenBlue et GreenBlue UK sont des entités distinctes. Notamment, GreenBlue a par ailleurs déclaré dans sa réponse à la demande d’aveu de DeepRoot que GreenBlue UK n’est pas la société mère de la société canadienne.

[145] DeepRoot ne nous a pas non plus indiqué où les contrats de vente des produits de cellules structurelles RootSpace originaux avaient été conclus après le prononcé de l’injonction de la Cour fédérale. Nous ne savons donc pas si c’était au Canada, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, ni si GreenBlue était partie à ces contrats. Bien que divers documents mentionnés dans la demande d’aveu aient pu contribuer à éclaircir ces questions, ils ne semblent pas avoir été inclus dans le dossier dont nous sommes saisis.

[146] Ce manque d’éléments de preuve constitue un obstacle important à une conclusion de contrefaçon résultant de l’expédition des panneaux verticaux et du couvercle AirFlow au Canada et de leur livraison ultérieure aux États-Unis. Il est difficile de conclure que les marchandises ont été « accumulées », « détenues » ou qu’elles ont subi tout autre traitement au Canada qui pourrait constituer une « fabrication », une « vente » ou une « exploitation » aux fins de l’établissement de la contrefaçon, et encore moins de faire une constatation à cet égard au-delà de tout doute raisonnable. La Cour fédérale n’a donc pas commis d’erreur en refusant de conclure à la contrefaçon des brevets de DeepRoot par la vente de produits de cellules structurelles RootSpace originaux à des clients aux États-Unis.

VII. Conclusion

[147] Je conclus que DeepRoot n’a pas démontré que la Cour fédérale avait commis une erreur en concluant que DeepRoot n’avait pas établi au-delà de tout doute raisonnable que GreenBlue avait enfreint l’injonction prononcée par la Cour fédérale; par conséquent, je rejetterais le présent appel, avec dépens.

« Anne L. Mactavish »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a »

« Je suis d’accord.

Judith Woods, j.c.a »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-116-22

INTITULÉ :

DEEPROOT GREEN INFRASTRUCTURE, LLC et DEEPROOT CANADA CORP. c. GREENBLUE URBAN NORTH AMERICA INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

10 et 11 mai 2023

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

LA JUGE MACTAVISH

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

DATE DES MOTIFS :

13 SEPTEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Geoffrey D. Mowatt

Bentley Gaikis

David Lafontaine

Pour les appelantes

Yuri Chumak

Nyrie Israelian

Donald M. Cameron

Martin Brandsma

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA PIPER (CANADA) LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES APPELANTES

DICKINSON WRIGHT LLP

Toronto (Ontario)

BERESKIN & PARR LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

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