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Date : 20230816


Dossier : A-138-21

Référence : 2023 CAF 176

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

DORA BERENGUER

appelante

et

SATA INTERNACIONAL – AZORES AIRLINES, S.A.

intimée

Appel entendu par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe les 23 et 24 novembre 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 août 2023.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20230816


Dossier : A-138-21

Référence : 2023 CAF 176

CORAM :

LA JUGE GLEASON

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

DORA BERENGUER

appelante

et

SATA INTERNACIONAL – AZORES AIRLINES, S.A.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

[1] L’appelante a introduit une requête en autorisation de recours collectif envisagé devant la Cour fédérale afin d’obtenir réparation pour elle-même et pour d’autres passagers d’une compagnie aérienne étrangère qui ont subi des retards sur des vols à destination ou en provenance du Canada. La requête a été rejetée après examen des requêtes préliminaires (2021 CF 394) et l’appelante a fait appel devant notre Cour.

[2] L’intimée, SATA Internacional – Azores Airlines, S.A., est une compagnie aérienne portugaise qui offre des vols de passagers à destination et en provenance de plusieurs villes du Canada. Sa principale plaque tournante est située à Ponta Delgada, aux Açores, au Portugal.

[3] L’appelante, Dora Berenguer, est une résidente de l’Alberta. En 2017, elle était passagère sur l’un des vols de l’intimée entre Toronto et Ponta Delgada. L’appelante prétend avoir droit à une indemnité de 600 euros parce que son vol a été retardé de plus de quatre heures.

[4] L’appelante soutient que son droit à cette indemnité trouve sa source dans le contrat de transport. Elle affirme que le contrat incorpore des dispositions sur les retards de vol d’un règlement de l’Union européenne : le Règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne (le règlement UE 261).

I. Les requêtes présentées à la Cour fédérale

[5] Le juge Lafrenière de la Cour fédérale a été saisi de deux requêtes.

[6] Par la première, l’appelante demandait à la Cour fédérale d’autoriser l’instance comme recours collectif en vertu de l’article 334.16 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106 (les Règles). La Cour fédérale a rejeté la requête au motif que l’appelante ne satisfaisait pas aux cinq conditions énoncées au paragraphe 334.16(1) des Règles. Deux d’entre elles n’étaient pas du tout remplies : la déclaration modifiée ne révélait aucune cause d’action valable et le recours collectif n’était pas le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait. En outre, la Cour fédérale a estimé que certaines des questions communes proposées ne satisfaisaient pas à l’exigence du caractère commun.

[7] Par la deuxième, l’intimée demandait que la déclaration modifiée soit radiée sans autorisation de modification en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles au motif qu’elle ne révélait aucune cause d’action valable. La Cour fédérale a accueilli cette requête pour deux motifs. Premièrement, elle a déterminé que le recours était voué à l’échec, la Cour fédérale n’ayant pas compétence pour entendre l’affaire. Deuxièmement, elle a déterminé que la réparation demandée, une indemnité forfaitaire sans preuve de dommage, n’était pas permise par la Convention de Montréal, un traité international ayant force de loi au Canada en vertu de la Loi sur le transport aérien, L.R.C. (1985), ch. C-26.

[8] Par conséquent, le juge saisi des requêtes a accueilli la requête en radiation de la déclaration modifiée sans autorisation de modification et rejeté la requête en autorisation de l’instance comme recours collectif. L’appelante a interjeté appel des deux volets de la décision devant la Cour.

II. Déclaration modifiée

[9] Les paragraphes suivants résument les allégations pertinentes de la déclaration modifiée.

[10] L’appelante affirme qu’en 2017, elle était passagère sur l’un des vols de l’intimée entre Toronto et les Açores. Le vol est arrivé plus de quatre heures après l’heure d’arrivée prévue.

[11] L’appelante fait valoir que le règlement UE 261 prévoit des niveaux normalisés d’indemnisation pour certaines situations, dont les retards de vol, lorsque le retard n’est pas attribuable à des circonstances extraordinaires.

[12] L’appelante soutient que l’intimée a incorporé ce règlement dans ses contrats de transport pour les vols de passagers à destination et en provenance du Canada et a convenu contractuellement d’appliquer le règlement UE 261 en cas de longs retards de vols.

[13] À l’appui de cette allégation, elle fait valoir que le contrat de transport actuel applicable aux vols de passagers à destination et en provenance du Canada prévoit ce qui suit :

[traduction]

Pour les vols en provenance ou à destination du Canada, le transporteur se conforme entièrement au règlement CE 261/2004 du 11 février 2004, publié le 17 février 2005, en ce qui concerne les règles d’indemnisation et d’assistance aux passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retards de vol importants.

[14] L’appelante dit avoir demandé une indemnité à l’intimée pour le retard du vol, conformément au règlement UE 261. Elle affirme ne pas avoir reçu l’indemnité prévue par le contrat de transport.

[15] L’action sous-jacente a été introduite au nom des membres du recours collectif envisagé (les membres du groupe), qui serait composé de :

[traduction]

Toutes les personnes, où qu’elles se trouvent dans le monde, qui, à partir du 14 août 2012, ont voyagé à bord d’un aéronef (ou de deux aéronefs dans le cas de vols avec correspondances) exploité par [l’intimée] (y compris les aéronefs dont [l’intimée] conserve le contrôle commercial) à destination ou en provenance du Canada et arrivé à la destination finale plus de trois heures après l’heure d’arrivée prévue, mais à l’exclusion des personnes physiques qui ont déjà reçu une indemnisation totale en espèces de [l’intimée] respective conformément au règlement UE 261/2004.

[16] Dans sa requête, l’appelante affirme que les membres du groupe se trouvent dans une situation semblable ou identique à la sienne.

[17] L’appelante soutient que les dispositions expresses du règlement UE 261 n’exigent pas que les membres du groupe fassent une demande directement auprès de l’intimée ou déposent une plainte auprès des organismes de réglementation de l’aviation avant d’avoir droit à une indemnité.

[18] La réparation demandée comprend :

1. un jugement déclaratoire portant que la défenderesse a enfreint les modalités expresses ou implicites de son contrat de transport qui l’obligent à verser une indemnité en espèces conformément au règlement UE 261;

2. une ordonnance enjoignant à la défenderesse de verser une indemnité à chaque membre du groupe sous forme de dommages‑intérêts normalisés ou extrajudiciaires :

i. 300 euros pour un retard de plus de trois heures, mais de moins de quatre heures à l’arrivée à la destination finale du membre du groupe;

ii. 600 euros pour un retard de plus de quatre heures à l’arrivée à la destination finale du membre du groupe;

3. une ordonnance prononcée en vertu des paragraphes 334.28(1) et 334.28(2) des Règles prévoyant l’évaluation globale de la réparation pécuniaire, la conversion en monnaie canadienne au moment du procès et la distribution à l’appelante et aux membres du groupe.

III. Questions à trancher et norme de contrôle

[19] L’appel soulève trois questions :

  1. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que l’acte de procédure devait être radié pour défaut de compétence?

  2. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que l’acte de procédure devait être radié au motif que la Convention de Montréal faisait obstacle à la demande?

  3. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que les conditions d’autorisation d’un recours collectif n’étaient pas réunies?

[20] Les questions sont assujetties aux normes de contrôle applicables en appel définies dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. Les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit exigent une certaine déférence et sont assujetties à la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante. Les conclusions de droit (y compris sur les questions de droit isolables) sont assujetties à la norme de la décision correcte.

[21] Dans la section suivante, je présente brièvement les principes relatifs aux requêtes en radiation d’actes de procédure.

IV. Principes applicables à la radiation d’actes de procédure pour défaut de révéler une cause d’action valable

[22] L’alinéa 221(1)a) des Règles prévoit qu’un acte de procédure peut être radié s’il ne révèle aucune cause d’action valable :

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

[...]

...

[23] L’alinéa 221(1)a) des Règles établit un seuil très élevé. Pour qu’un acte de procédure soit radié sur ce fondement, il doit être évident et manifeste que l’acte de procédure ne révèle aucune cause d’action raisonnable (Nevsun Resources Ltd. c. Araya, 2020 CSC 5, [2020] 1 R.C.S. 166 au para. 64 (Nevsun); R. c. Imperial Tobacco Canada Ltd, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45 au para. 17).

[24] La Cour suprême a statué que l’alinéa 221(1)a) des Règles peut s’appliquer si la Cour fédérale n’a manifestement pas compétence pour connaître d’une affaire (Windsor (City) c. Canadian Transit Co, 2016 CSC 54, [2016] 2 R.C.S. 617 au para. 24 (Windsor)).

[25] Plus généralement, dans les requêtes fondées sur l’alinéa 221(1)a) des Règles, les faits allégués sont tenus pour avérés, « sauf s’ils ne peuvent manifestement pas être prouvés » (Nevsun au para. 64).

[26] En outre, aucune preuve n’est admissible (au para. 221(2) des Règles), sauf si elle porte sur une question de compétence. La Cour a reconnu qu’une preuve peut être admissible pour l’application de l’alinéa 221(1)a) des Règles si la question se rapporte à la compétence de la Cour (MIL Davie Inc. c. Société d’Exploitation et de Développement d’Hibernia Ltée, [1998] A.C.F. no 614, 1998 CanLII 7789 (C.A.F), aux paras. 7 et 8).

V. Question 1 : La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que l’acte de procédure devait être radié pour défaut de compétence?

[27] L’appelante prétend que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’il était évident et manifeste que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour entendre l’affaire.

[28] Notre Cour applique la norme de la décision correcte à cette question (Pembina County Water Resource District c. Manitoba (Gouvernement), 2017 CAF 92, [2017] A.C.F. no 454 au para. 35).

A. Principes juridiques applicables aux questions de compétence

[29] L’étendue de la compétence de la Cour fédérale a été examinée par la Cour suprême dans plusieurs arrêts. Les plus pertinentes en l’espèce sont : Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054, 1977 CanLII 10 (CSC) (Quebec North Shore); McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; Rhine c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442 (Rhine); ITO-Int'l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752, p. 766, 1986 CanLII 91 (CSC) (ITO); et, plus récemment, Windsor.

[30] Je mentionne également deux arrêts de notre Cour qui fournissent un bon résumé du droit applicable : Peter G. White Management Ltd. c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2006 CAF 190 (Peter G. White), et 744185 Ontario Inc. c. Canada, 2020 CAF 1 (Air Muskoka).

[31] Il ressort de cette jurisprudence les principes bien établis suivants :

a) La compétence est fonction d’un critère à trois volets, dit critère ITO : 1) Une loi attribue-t-elle une compétence à la Cour? 2) Existe-t-il un ensemble de règles de droit fédérales qui constitue le fondement de l’attribution de compétence et est essentiel à la solution du litige? 3) La question est-elle régie par une loi du Canada valide? (ITO).

b) Pour l’application du premier volet du critère ITO à l’article 23 de la Loi sur les Cours fédérales, la cause d’action doit avoir été créée ou reconnue par le droit fédéral (Windsor).

c) Pour l’application du deuxième volet du critère ITO à une requête fondée sur la violation d’un contrat, il peut être satisfait au critère s’il existe un cadre législatif fédéral suffisamment détaillé applicable au contrat (Rhine).

[32] L’arrêt Windsor ajoute un principe supplémentaire, lequel n’est pas en jeu en l’espèce. Les juges majoritaires y ont précisé que le critère ITO doit être appliqué à l’« essence de la demande », indépendamment de la manière dont cette demande est formulée dans l’acte de procédure. En l’espèce, il est clair que l’acte de procédure est formulé de manière à correspondre à l’essence de ce qui est demandé. L’action sous-jacente porte sur la violation d’un contrat.

[33] J’en viens au critère ITO, en commençant par l’attribution légale de la compétence.

B. Premier volet – Attribution légale de la compétence

(1) Article 23 de la Loi sur les Cours fédérales

[34] La compétence de la Cour fédérale est établie par la loi. Il convient donc de définir le fondement législatif de cette compétence. En l’espèce, la question de la compétence repose sur l’article 23 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. Comme il est indiqué ci-dessous, l’article 23 s’applique aux domaines visés aux alinéas a) à c) :

23 Sauf attribution spéciale de cette compétence par ailleurs, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans tous les cas – opposant notamment des administrés – de demande de réparation ou d’autre recours exercé sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit en matière :

23 Except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned, the Federal Court has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under an Act of Parliament or otherwise in relation to any matter coming within any of the following classes of subjects:

a) de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures;

(a) bills of exchange and promissory notes, where the Crown is a party to the proceedings;

b) d’aéronautique;

(b) aeronautics; and

c) d’ouvrages reliant une province à une autre ou s’étendant au-delà des limites d’une province.

(c) works and undertakings connecting a province with any other province or extending beyond the limits of a province.

[35] La Cour fédérale a déterminé (au para. 41) que la demande relève du domaine b) de l’aéronautique ou c) des ouvrages. Elle n’a pas apporté plus de précisions sur la question. La demande relève de toute évidence de l’un de ces domaines, ou des deux. Cette question n’ayant aucune incidence sur l’issue de l’appel, je n’ai pas à en faire une analyse plus poussée.

[36] Le litige porte sur un autre aspect de l’article 23 : la question de savoir si la demande de réparation est « exercé[e] sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit ». Il est difficile de déterminer le sens de cette expression, comme en témoigne la majorité ténue (5 contre 4) dans l’arrêt Windsor.

[37] Les juges majoritaires dans l’arrêt Windsor expliquent que la question dans cette affaire était de savoir s’il suffisait que la demande soit faite « relativement à » une loi fédérale (Windsor au para. 49). Ils ont conclu que cela n’était pas suffisant, car cela ne donnait pas effet à l’expression « exercé sous le régime d’une loi fédérale ou d’une autre règle de droit » (Windsor, aux paras. 51 et 52). Au contraire, les juges majoritaires ont statué que « la cause d’action du demandeur ou le droit de solliciter une réparation [devait] être créé ou reconnu par [le droit fédéral] » (Windsor au para. 41; en italique dans l’original).

[38] Trois des juges minoritaires dans l’arrêt Windsor préconisaient une interprétation plus large de cette expression : « Il suffit que la réparation sollicitée soit intimement liée aux droits et obligations conférés par une loi fédérale, même si la réparation découle, en fin de compte, d’une source juridique différente. » (Windsor au para. 94.)

[39] La question qui se pose en l’espèce est de savoir si la demande satisfait au critère adopté par les juges majoritaires voulant que le droit à la réparation soit « créé ou reconnu » par le droit fédéral.

(2) Application de l’article 23

[40] L’appelante soutient que le droit à la réparation demandée est créé ou reconnu par le droit fédéral parce qu’il est fondé sur les dispositions du contrat de transport, lesquelles sont assujetties à la réglementation fédérale par voie de tarifs.

[41] Il est utile de rappeler que, bien que la décision de la Cour fédérale soit contrôlée selon la norme de la décision correcte, notre Cour ne rend pas une décision sur le fond et le critère du caractère manifeste et évident s’applique à la requête préliminaire (Windsor au para. 24). Comme il est expliqué ci-dessous, je conclus que la demande satisfait au premier volet du critère ITO selon la norme du caractère manifeste et évident, parce qu’on peut faire valoir que le droit à la réparation demandée est « reconnu » par le droit fédéral.

[42] Au moment du retard allégué du vol de l’appelante en 2017, le contrat de transport applicable était assujetti à la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10 [la LTC], et au Règlement sur les transports aériens, D.O.R.S./88-58 [le Règlement]. Le cadre législatif a été modifié en 2019, mais ces modifications n’ont aucun effet sur le droit à la réparation demandée de l’appelante et ne seront pas examinées.

[43] Sous le régime de la LTC, l’Office des transports du Canada [l’Office] délivre des licences pour l’exploitation d’un service aérien international régulier. Les licences peuvent être assujetties à des conditions, notamment en ce qui concerne « les tarifs » et « le transport des passagers » (LTC aux paras. 69(1) et 71(1)). Le terme « tarif » s’entend du barème de conditions du contrat de transport (LTC au para. 55(1)).

[44] La LTC habilite également l’Office à prendre toute mesure nécessaire, notamment en ce qui concerne les conditions de transport (LTC, al. 86(1)h)). La version du sous-alinéa 122c)(v) du Règlement en vigueur à l’époque exigeait que le tarif énonce la politique du transporteur en matière de retards de vols. Le libellé était le suivant :

122 Les tarifs doivent contenir :

122 Every tariff shall contain

[...]

...

c) les conditions de transport, dans lesquelles est énoncée clairement la politique du transporteur aérien concernant au moins les éléments suivants :

(c) the terms and conditions of carriage, clearly stating the air carrier’s policy in respect of at least the following matters, namely,

[...]

...

(v) l’inexécution du service et le non-respect de l’horaire,

[...]

(v) failure to operate the service or failure to operate on schedule,

...

[45] Le tarif doit être déposé auprès de l’Office (Règlement au para. 110(1)). Il est important de noter que le paragraphe 110(4) du Règlement exige que le transporteur applique les conditions indiquées dans le tarif :

110 (4) Lorsqu’un tarif déposé porte une date de publication et une date d’entrée en vigueur et qu’il est conforme au présent règlement et aux arrêtés de l’Office, les taxes et les conditions de transport qu’il contient, sous réserve de leur rejet, de leur refus ou de leur suspension par l’Office, ou de leur remplacement par un nouveau tarif, prennent effet à la date indiquée dans le tarif, et le transporteur aérien doit les appliquer à compter de cette date.

[Non souligné dans l’original.]

110 (4) Where a tariff is filed containing the date of publication and the effective date and is consistent with these Regulations and any orders of the Agency, the tolls and terms and conditions of carriage in the tariff shall, unless they are rejected, disallowed or suspended by the Agency or unless they are replaced by a new tariff, take effect on the date stated in the tariff, and the air carrier shall on and after that date charge the tolls and apply the terms and conditions of carriage specified in the tariff.

[Emphasis added.]

[46] L’appelante allègue dans la déclaration modifiée que le contrat de transport prévoit l’indemnisation qu’elle demande. Les parties ne contestent pas que cette allégation est tenue pour vraie aux fins de l’examen de la requête.

[47] On peut soutenir qu’en obligeant le transporteur à se conformer aux conditions précisées dans le tarif, le Règlement reconnaît les obligations contractuelles du transporteur à l’égard des passagers. Puisqu’il est allégué que ces obligations incluent l’indemnisation réclamée par l’appelante, il n’est pas évident et manifeste que le droit à la réparation de l’appelante n’est pas reconnu par le Règlement.

[48] La Cour fédérale a rejeté cet argument, notant qu’elle avait déjà tranché la question dans la décision Donaldson c. Swoop Inc., 2020 CF 1089 (Donaldson). Le juge saisi des requêtes a suivi cette décision par courtoisie judiciaire et noté qu’il n’avait pas été démontré que cette décision était manifestement erronée (décision de la CF au para. 60). La décision Donaldson est examinée ci-dessous.

[49] Mme Donaldson avait demandé l’autorisation d’intenter un recours collectif contre d’importantes compagnies aériennes établies au Canada, alléguant leur défaut d’effectuer des remboursements pour des contrats rendus inexécutables par la pandémie de COVID-19. Comme en l’espèce, l’un des arguments invoqués était que l’article 23 conférait explicitement compétence à la Cour fédérale sous le régime de la LTC.

[50] Dans la décision Donaldson, le juge saisi de la requête n’a pas examiné en détail le cadre législatif encadrant le transport aérien. Il s’est plutôt appuyé sur une inférence tirée d’une disposition de la LTC relative au transport ferroviaire. Le paragraphe 116(5) de la LTC crée une cause d’action pour quiconque « souffre préjudice » de la négligence ou du refus d’une compagnie ferroviaire de s’acquitter de ses obligations. Les obligations en question sont des obligations créées par la loi et distinctes du tarif d’un transporteur ferroviaire (LTC, Section IV, Prix, tarif et services).

[51] Dans la décision Donaldson, la Cour fédérale cite une référence au paragraphe 116(5) de la LTC apparaissant dans l’arrêt Windsor (au paragraphe 54) :

D’autres causes d’action d’origine fédérale peuvent satisfaire au critère d’application de l’art. 23, notamment [...] la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, c. 10, par. 116(5) (une personne qui « souffre préjudice de la négligence ou du refus d’une compagnie de s’acquitter de ses obligations [...] possède [...] un droit d’action contre la compagnie »).

[52] Dans la décision Donaldson, le juge a tiré une conclusion concernant la compétence conférée par le paragraphe 116(5) : « Il y a une nette différence entre les articles portant sur les transporteurs aériens et ceux sur les chemins de fer, ce qui témoigne de l’intention du législateur de conférer compétence en ce qui a trait à ces derniers. [...] Les deux modes de transports sont assortis de tarifs, mais seul l’un d’eux peut constituer une cause d’action indépendante. » (Donaldson, aux paras. 44 et 45).

[53] En comparant les articles applicables aux transporteurs aériens et aux exploitants ferroviaires, la Cour fédérale semble conclure que le paragraphe 116(5) s’applique aux tarifs de transport ferroviaire. Ce n’est pas le cas, comme l’indique clairement la section IV de la LTC. Le paragraphe 116(5) ne s’applique qu’aux obligations créées par la loi et ne s’étend pas aux tarifs.

[54] Un autre problème du raisonnement dans la décision Donaldson est que le paragraphe 116(5) ne traite pas, à première vue, de la question de la compétence. Il fournit simplement une cause d’action. À mon avis, il n’y a aucune raison de conclure que le législateur était motivé par des questions de compétence lorsqu’il a adopté cette disposition.

[55] Je conclus que la Cour fédérale a commis une erreur dans la décision Donaldson lorsqu’elle a statué que le paragraphe 116(5) de la LTC impliquait l’existence d’un cadre général relatif à la compétence des tribunaux dans la LTC.

[56] Il convient de mentionner ici la raison pour laquelle les juges majoritaires ont fait référence au paragraphe 116(5) de la LTC dans l’arrêt Windsor, soit pour donner un exemple de disposition prévoyant une cause d’action susceptible de satisfaire au critère d’application de l’article 23 de la Loi sur les Cours fédérales. La Cour suprême a simplement cité le paragraphe 116(5) comme exemple de disposition susceptible de fonder une demande satisfaisant au critère d’application de l’article 23; il n’y a aucune raison de penser que cette référence doit être interprétée plus largement. Les juges majoritaires n’ont pas limité l’application de l’article 23 aux causes d’action créées en vertu du droit fédéral. Son champ d’application inclut également les causes d’action reconnues par le droit fédéral.

[57] Pour ces motifs, je conclus qu’il n’est pas évident et manifeste qu’il n’est pas satisfait au premier volet du critère ITO.

C. Deuxième volet – Ensemble de règles de droit fédérales

[58] Dans l’arrêt Quebec North Shore, la Cour suprême a déterminé que l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 était pertinent dans l’interprétation de l’article 23 de la Loi sur les Cours fédérales. Par conséquent, la compétence de la Cour fédérale doit se rapporter à l’application des lois du Canada. Le deuxième volet du critère ITO en est l’illustration : il doit y avoir un ensemble de règles de droit fédérales qui est essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence. Le terme « essentiel » a été jugé par les juges majoritaires dans l’affaire Windsor comme établissant un seuil élevé (au paragraphe 69).

[59] La Cour fédérale a conclu qu’il n’avait pas été satisfait au deuxième volet du critère, parce que la requête de l’appelante était fondée sur le droit contractuel et le règlement UE 261, et non sur le droit fédéral (motifs aux paras. 61 et 63).

[60] Toutefois, cette conclusion ne tient pas compte de l’arrêt Rhine, dans lequel la Cour suprême a statué que les actions contractuelles pouvaient, dans certaines circonstances, satisfaire au deuxième volet du critère ITO. Les principes généraux sont énoncés dans l’arrêt Peter G. White, aux paragraphes 59 et 60 :

[...] le fait qu’une cause d’action d’une partie demanderesse soit une faute délictuelle ou contractuelle ne soustrait pas forcément l’affaire à la compétence fédérale. Les contrats et les délits civils, a déclaré le juge en chef Laskin dans Rhine c. La Reine; Prytula c. La Reine, 1980 CanLII 220 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 442, à la page 447, ne peuvent pas être invariablement considérés, à l’instar de la common law, « comme des matières ressortissant exclusivement au droit provincial ».

[…]

[...] lorsque les droits d’une partie prennent naissance en vertu d’un « cadre législatif détaillé » et sont régis en grande partie par ce dernier, les litiges peuvent être tranchés devant la Cour fédérale : Rhine et Prytula. La difficulté que pose l’application de ce principe est de savoir à quel point la législation fédérale doit être exhaustive pour pouvoir constituer un cadre « détaillé ».

[61] Ce critère, s’il est rempli, est suffisant pour satisfaire au deuxième volet du critère ITO. Comme il a été mentionné, le deuxième volet établit un seuil élevé (Windsor au para. 69), mais il convient de rappeler que la norme du caractère évident et manifeste s’applique. À mon avis, le cadre législatif applicable en l’espèce est suffisamment détaillé pour satisfaire à ce critère.

[62] En vertu de la LTC, l’Office délivre des licences pour les services aériens internationaux réguliers, lesquelles peuvent être assujetties à des conditions portant sur les objets spécifiés, notamment les tarifs (LTC, aux paras. 69(1) et 71(1)).

[63] Conformément aux paragraphes 110(1) et 110(4) du Règlement, le tarif du transporteur aérien doit être déposé auprès de l’Office, après quoi « les taxes et les conditions de transport qu’il contient [...] prennent effet [...] et le transporteur aérien doit les appliquer ». En outre, le tarif doit énoncer la politique du transporteur en ce qui concerne les vols retardés et les conditions doivent être justes et raisonnables (Règlement sous-al. 122c)(v) et au para. 111(1)).

[64] De manière générale, l’Office « dispose d’un pouvoir discrétionnaire considérable sur les transporteurs » (décision de la CF au para. 120). Par conséquent, on peut raisonnablement soutenir que la LTC et le Règlement régissent les contrats de transport dans une mesure suffisante pour satisfaire au critère du caractère évident et manifeste à l’égard du deuxième volet du critère ITO.

[65] Outre le cadre législatif, l’appelante invoque la Loi sur le transport aérien comme autre loi fédérale qui contribue à satisfaire au deuxième volet du critère. Comme nous le voyons dans la section suivante relative à la Convention de Montréal, la requête de l’appelante ne peut être accueillie que si la Convention de Montréal, qui a force de loi en vertu de la Loi sur le transport aérien, n’y fait pas obstacle. Je conviens avec l’appelante que cette loi est essentielle à la résolution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence.

[66] Pour ces motifs, je conclus qu’il n’est pas évident et manifeste qu’il n’a pas été satisfait au deuxième volet du critère ITO.

D. Troisième volet – Loi du Canada valide

[67] Finalement, selon le critère ITO, « la loi invoquée dans l’affaire doit être “une loi du Canada” au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 » (Windsor au para. 34). En d’autres termes, la loi doit être constitutionnellement valide. Il est satisfait à ce critère. Il n’est pas évident et manifeste que toute loi fédérale applicable en l’espèce est constitutionnellement invalide.

E. Conclusion

[68] Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que la déclaration modifiée n’est pas vouée à l’échec pour défaut de compétence de la Cour fédérale.

VI. Question 2 – La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que l’acte de procédure devait être radié au motif que la Convention de Montréal faisait obstacle à l’action?

[69] La Cour fédérale a donné un autre motif de radiation de la déclaration modifiée. Elle a conclu qu’il était évident et manifeste que l’action en indemnisation était vouée à l’échec parce que la Convention de Montréal y faisait obstacle.

[70] Cette question est principalement une question d’interprétation des lois et est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144 au para. 30).

[71] Les articles 19 et 29 de la Convention de Montréal sont au cœur de cette question.

Article 19

Article 19

Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. Cependant, le transporteur n’est pas responsable du dommage causé par un retard s’il prouve que lui, ses préposés et mandataires ont pris toutes les mesures qui pouvaient raisonnablement s’imposer pour éviter le dommage, ou qu’il leur était impossible de les prendre.

The carrier is liable for damage occasioned by delay in the carriage by air of passengers, baggage or cargo. Nevertheless, the carrier shall not be liable for damage occasioned by delay if it proves that it and its servants and agents took all measures that could reasonably be required to avoid the damage or that it was impossible for it or them to take such measures.

Article 29

Article 29

Dans le transport de passagers, de bagages et de marchandises, toute action en dommages-intérêts, à quelque titre que ce soit, en vertu de la présente convention, en raison d’un contrat ou d’un acte illicite ou pour toute autre cause, ne peut être exercée que dans les conditions et limites de responsabilité prévues par la présente convention, sans préjudice de la détermination des personnes qui ont le droit d’agir et de leurs droits respectifs. Dans toute action de ce genre, on ne pourra pas obtenir de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ni de dommages à un titre autre que la réparation.

In the carriage of passengers, baggage and cargo, any action for damages, however founded, whether under this Convention or in contract or in tort or otherwise, can only be brought subject to the conditions and such limits of liability as are set out in this Convention without prejudice to the question as to who are the persons who have the right to bring suit and what are their respective rights. In any such action, punitive, exemplary or any other non-compensatory damages shall not be recoverable.

[72] La Cour fédérale a déterminé que les articles 19 et 29 limitent les demandes de dommages-intérêts pour retard de vol aux dommages effectivement subis (motifs au para. 66). Le juge saisi des requêtes a déclaré que comme l’appelante n’a pas allégué qu’elle a subi des dommages, la Convention faisait obstacle à la demande.

[73] Lors de l’audience, l’appelante a présenté plusieurs arguments à l’appui de son affirmation selon laquelle la Convention de Montréal ne faisait pas obstacle à son action. Ils pourraient soulever suffisamment de doutes pour qu’il ne soit pas évident et manifeste que l’action est irrecevable.

[74] Toutefois, dans une décision publiée après l’audience, notre Cour a clairement indiqué que la Cour fédérale avait commis une erreur en concluant que la demande était vouée à l’échec en raison de la Convention : International Air Transport Association c. Office des transports du Canada, 2022 CAF 211 (IATA), autorisation de pourvoi à la CSC déposée, dossier no 40614.

[75] L’arrêt IATA concerne des règlements relatifs aux droits des passagers aériens qui traitent des retards de vol et qui sont entrés en vigueur en 2019. Notre Cour devait déterminer si ces dispositions étaient contraires à la Convention de Montréal. Dans un arrêt rédigé par le juge de Montigny, notre Cour a conclu que la Convention de Montréal n’empêchait pas le Canada d’adopter des lois prévoyant une indemnisation standardisée en cas de retards de vol.

[76] Dans des motifs détaillés, notre Cour a analysé l’effet qu’aurait la Convention de Montréal sur une action fondée sur la violation d’un contrat portant sur des obligations réglementaires. La Cour a conclu qu’une telle action ne contreviendrait pas aux dispositions de la Convention de Montréal (IATA, aux paras. 133 et 135 à 141).

[77] L’arrêt IATA est notable en ce qu’il indique clairement que la Cour fédérale a commis une erreur en radiant l’acte de procédure sur le fondement de la Convention de Montréal. On ne peut pas dire qu’il est évident et manifeste que la Convention de Montréal fait obstacle à l’action de l’appelante.

[78] Compte tenu de mes conclusions sur les deux premières questions, je conclus que la Cour fédérale a commis une erreur en radiant l’acte de procédure au motif qu’il ne révélait pas de cause d’action valable. L’acte de procédure n’aurait pas dû être radié pour ce motif.

VII. Question 3 : La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que les conditions d’autorisation d’un recours collectif n’étaient pas réunies?

[79] L’appelante a demandé que l’instance soit autorisée comme recours collectif.

[80] Les membres du groupe proposé par l’appelante sont :

[traduction]

Toutes les personnes, où qu’elles se trouvent dans le monde, qui, à partir du 14 août 2012, ont voyagé à bord d’un aéronef (ou de deux aéronefs dans le cas de vols avec correspondances) exploité par [l’intimée] (y compris les aéronefs dont [l’intimée] conserve le contrôle commercial) à destination ou en provenance du Canada et arrivé à la destination finale plus de trois heures après l’heure d’arrivée prévue, mais à l’exclusion des personnes physiques qui ont déjà reçu une indemnisation totale en espèces de [l’intimée] respective conformément au règlement UE 261/2004.

[81] La portée définitive du recours collectif envisagé n’est pas connue à ce stade, mais il est probable qu’elle soit très large et qu’elle englobe des centaines de vols, touchant des passagers qui résident partout dans le monde, pour autant que les aéronefs concernés aient été exploités par l’intimée lors de vols à destination ou en provenance du Canada.

[82] L’article 334.16 des Règles prévoit cinq conditions à remplir pour obtenir une autorisation de recours collectif :

  1. les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

  2. il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

  3. les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs;

  4. le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

  5. il existe un représentant demandeur.

[83] La Cour fédérale a examiné chaque condition et jugé que le recours collectif proposé ne satisfaisait pas à deux d’entre elles : que l’acte de procédure révèle une cause d’action valable et que le recours collectif soit le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs.

[84] L’appelante soutient que ces deux conclusions de la Cour fédérale sont erronées. Pour ce qui est de la question de savoir si l’acte de procédure révèle une cause d’action valable, la conclusion à laquelle je suis parvenu concernant la requête de l’intimée en radiation de l’acte de procédure s’applique également à la condition d’autorisation. Le critère juridique applicable est le même (Brake c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 274 au para. 54). Par conséquent, il ne reste qu’à déterminer si la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le recours collectif n’était pas le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de faits communs.

[85] Le juge saisi des requêtes a conclu qu’un recours collectif ne serait pas préférable au « processus informel de facilitation et au processus officiel d’arbitrage » offerts par l’Office (décision de la CF au para. 117).

[86] Il n’y a pas lieu de modifier cette conclusion, sauf en cas d’erreur de principe ou d’erreur manifeste et dominante (AIC Limitée c. Fischer, 2013 CSC 69, [2013] 3 R.C.S. 949 au para. 65 (AIC); Canada (Procureur général) c. Jost 2020 CAF 212 au para. 21). Une telle erreur n’a pas été commise en l’espèce.

[87] La Cour fédérale a jugé que l’appelante ne s’était pas acquittée de son fardeau de démontrer que le recours collectif était le meilleur moyen de régler l’affaire, car elle s’appuyait sur des éléments de preuve non convaincants qui reviennent à se livrer à des conjectures (décision de la CF, aux paras. 116 à 118). Selon l’appelante, la Cour fédérale aurait dû conclure que l’intimée ne s’était pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait.

[88] Chacune des deux parties doit s’acquitter du fardeau de la preuve sur cette question. La Cour fédérale a retenu le bon critère, énoncé dans l’arrêt AIC (décision de la CF au para. 111). L’intimée ne peut pas se contenter de dire qu’il existe une autre option préférable au recours collectif : elle doit présenter des éléments de preuve à l’appui de cette affirmation. Si l’intimée s’acquitte du fardeau de la preuve qui lui incombe, il revient alors à l’appelante d’établir un certain fondement factuel permettant de conclure qu’elle satisfait au critère du meilleur moyen.

[89] L’appelante soutient que l’intimée n’a pas établi que les procédures offertes par l’Office étaient préférables, étant donné qu’elle n’a pas fourni de preuves quant à leur nature ou à leur efficacité. Toutefois, l’intimée n'avait pas à établir que ces procédures étaient préférables; elle devait simplement fournir des éléments de preuve quant au caractère préférable des autres options (décision de la CF au para. 111).

[90] En l’espèce, il était loisible à la Cour fédérale de conclure que l’intimée s’était acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait en présentant des éléments de preuve décrivant le régime législatif applicable, d’autant plus que l’appelante n’avait fourni aucun élément de preuve sur le critère du meilleur moyen. Il était également loisible à la Cour fédérale de prendre en considération les dispositions des lois et règlements applicables à l’Office dans son examen du caractère préférable des moyens envisagés. Il ressort clairement des motifs du juge saisi des requêtes qu’il a tenu compte de ces dispositions dans sa décision (décision de la CF au para. 120). Je ne vois aucune raison d’exiger que l’intimée apporte davantage d’éléments de preuve.

[91] L’appelante soutient également que la Cour fédérale n’a pas tenu compte de deux décisions de l’Office qui portent à croire que l’Office peut refuser d’entendre une demande fondée sur une règle de droit étrangère (décision no 18-C-A-2019 au para. 10; décision no 10‑C‑A-2014 aux paras. 99 à 102, 112 et 113). À mon avis, ces décisions n’étayent pas la position de l’appelante.

[92] Dans la décision de 2014, l’Office a déclaré qu’il ne pouvait pas traiter les demandes présentées au titre du règlement UE 261. Toutefois, la requête de l’appelante est fondée sur le contrat de transport, et non sur le règlement UE 261. Tout au plus peut-on dire que le règlement UE 261 doit être pris en compte pour trancher l’action de l’appelante. Celle-ci n’a pas été intentée en vertu de ce règlement.

[93] Dans la décision de 2019, l’Office a déclaré qu’il n’exigerait pas que British Airways incorpore les dispositions du règlement UE 261 dans son tarif. Il n’y a aucune raison de penser que cette décision pourrait avoir une quelconque incidence sur la question de savoir si l’Office entendrait une plainte comportant un tarif de transporteur auquel le règlement UE 261 est intégré.

[94] Par conséquent, je ne constate aucune erreur justifiant d’infirmer la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle le critère du meilleur moyen établi à l’article 334.16 des Règles n’a pas été rempli.

VIII. Conclusion

[95] Pour ces motifs, je conclus que :

  1. La Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’il était évident et manifeste que l’acte de procédure ne révélait aucune cause d’action valable.

  2. La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que les conditions d’autorisation n’étaient pas réunies.

[96] Par conséquent, j’accueillerais l’appel et j’annulerais la partie de l’ordonnance de la Cour fédérale radiant la déclaration modifiée.

[97] Je n’adjugerais pas de dépens, car ils n’ont pas été demandés.

« Judith Woods »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-138-21

 

INTITULÉ :

DORA BERENGUER c. SATA INTERNACIONAL – AZORES AIRLINES, S.A.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE EN LIGNE

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 23 ET 24 NOVEMBRE 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 AOÛT 2023

 

COMPARUTIONS :

Simon Lin

Jérémie John Martin

Sébastien A. Paquette

 

Pour l’appelante

 

Carlos P. Martins

Andrew MacDonald

Emma Romano

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Evolink Law Group

Burnaby (Colombie-Britannique)

 

Pour l’appelante

 

Champlain Avocats

Montréal (Québec)

 

 

WeirFoulds LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée

 

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