Date : 20230727
Dossier : A-225-21
Référence : 2023 CAF 167
[TRADUCTION FRANÇAISE]
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CORAM : |
LE JUGE PELLETIER LE JUGE WEBB LA JUGE RIVOALEN |
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ENTRE : |
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KAREN FRASER, JENNIFER SWEET, NICOLE SWEET, KIM SWEET, JOHN SWEET, J. ROBERT SWEET, CHARLES SWEET, PATRICIA CORCORAN, ANN PARKER, LA TORONTO POLICE ASSOCIATION, DOUG FRENCH, DONNA FRENCH et DEBORAH MAHAFFY |
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appelants |
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et |
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, LA COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA, CRAIG MUNRO et PAUL BERNARDO |
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intimés |
Audience tenue à Toronto (Ontario), les 23 et 24 janvier 2023.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2023.
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MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE PELLETIER |
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Y ONT SOUSCRIT : |
LE JUGE WEBB LA JUGE RIVOALEN |
Date : 20230727
Dossier : A-225-21
Référence : 2023 CAF 167
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CORAM : |
LE JUGE PELLETIER LE JUGE WEBB LA JUGE RIVOALEN |
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ENTRE : |
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KAREN FRASER, JENNIFER SWEET, NICOLE SWEET, KIM SWEET, JOHN SWEET, J. ROBERT SWEET, CHARLES SWEET, PATRICIA CORCORAN, ANN PARKER, LA TORONTO POLICE ASSOCIATION, DOUG FRENCH, DONNA FRENCH et DEBORAH MAHAFFY |
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appelants |
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et |
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, LA COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA, CRAIG MUNRO et PAUL BERNARDO |
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intimés |
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE PELLETIER
I. Introduction
[1] La Cour est saisie d’un appel d’une décision de la Cour fédérale (la juge McVeigh) publiée sous la référence 2021 CF 821. Dans cette décision, la Cour fédérale s’est penchée sur cinq demandes, présentées en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A‐1 (la LAI), concernant les refus du Service correctionnel du Canada (le Service correctionnel) et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission) de divulguer les dossiers de certains délinquants aux familles des victimes de ces délinquants. La Cour fédérale était également saisie d’une demande de la Société Radio-Canada (la SRC), qui cherchait à obtenir des copies des enregistrements sonores de certaines audiences de la Commission au nom du principe de la publicité des débats judiciaires. Même s’il s’agissait de demandes distinctes, toutes les demandes ont été instruites et tranchées ensemble et ont fait l’objet d’un même exposé des motifs. Les présents motifs portent sur les demandes présentées par les familles des victimes. L’appel de la SRC fait l’objet de motifs distincts rendus en même temps que les présents motifs.
[2] Les appelants fondent leur argumentation essentiellement sur leur point de vue selon lequel les dossiers carcéraux et de libération conditionnelle des délinquants devraient être communiqués au même titre que les dossiers produits aux procès de ces personnes parce qu’ils faisaient partie des éléments pertinents pour la détermination de la peine. Cet argument repose sur la conviction que les délinquants ont perdu leurs droits à la vie privée à l’égard de ces dossiers en raison de leurs infractions violentes et très médiatisées.
[3] Les appelants ont également présenté une demande d’autorisation de dépôt de nouveaux éléments de preuve. Ceux‐ci portent sur le traitement d’une demande concernant un autre délinquant violent. Cette demande sera examinée plus loin dans les présents motifs.
[4] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.
II. Les faits
[5] Les appelants Karen Fraser, Jennifer Sweet, Nicole Sweet, Kim Sweet, John Sweet, J. Robert Sweet, Charles Sweet, Patricia Corcoran, Ann Parker et la Toronto Police Association ont sollicité la révision des décisions par lesquelles le Service correctionnel et la Commission ont refusé de communiquer les « dossiers personnels de M. Munro qu’ils avaient en leur possession, ainsi [que les] enregistrements sonores des audiences de libération conditionnelle de M. Munro »
(décision, par. 5). M. Munro a tiré sur l’agent de police Michael Sweet lors d’un braquage raté, et l’a laissé se vider de son sang pendant qu’il le détenait en otage. Cette affaire a fait l’objet d’une grande attention des médias. Même si la Toronto Police Association n’est pas un membre de la famille Sweet, ses intérêts sont les mêmes que ceux de la famille; par conséquent ce groupe d’appelants est appelé collectivement les [traduction] « appelants Sweet »
dans les présents motifs.
[6] Les défendeurs (intimés dans l’appel) dans la demande des appelants Sweet étaient le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, le procureur général du Canada, le Service correctionnel, la Commission et Craig Munro. Les défendeurs autres que Craig Munro – qui n’a pas comparu – étaient représentés par le procureur général.
[7] Les appelants Sweet ont sollicité la révision de plusieurs refus de communication de dossiers en lien avec certaines décisions de la Commission et deux décisions du Service correctionnel, refus fondés sur l’article 19 de la LAI et des paragraphes 8(1) et 8(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21 (la LPRP).
[8] Les appelants Doug French, Donna French et Deborah Mahaffy ont sollicité la révision de la décision de la Commission de refuser la communication de l’ensemble du dossier de Paul Bernardo que la Commission avait en sa possession, et de tous les documents et renseignements dont elle disposait à son audience du 17 octobre 2018. Ces appelants demandaient également des copies complètes des enregistrements sonores et vidéo de même qu’une transcription de l’audience de libération conditionnelle de Paul Bernardo tenue le 17 octobre 2018 (dossier d’appel, p. 225).
[9] Ces personnes sont appelées les « appelants French/Mahaffy »
dans les présents motifs.
[10] Les défendeurs (intimés dans l’appel) dans la demande des appelants French/Mahaffy étaient le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, le procureur général du Canada, la Commission et Paul Bernardo. Les défendeurs autres que Paul Bernardo, qui n’a pas comparu, étaient représentés par le procureur général.
[11] Comme les appelants Sweet et les appelants French/Mahaffy étaient représentés par le même avocat, qui a présenté les mêmes arguments concernant le refus de communication des dossiers demandés par chacune des familles, je les appelle collectivement les « familles »
dans les présents motifs.
[12] M. Bernardo et M. Munro sont appelés collectivement les « délinquants »
.
[13] Les familles ont présenté leurs demandes au Service correctionnel et à la Commission en vertu de la LAI. Comme elles ont été refusées, les familles ont présenté des plaintes au Commissaire à l’information sur le fondement de l’article 30 de la LAI. Ce dernier a fait enquête et a confirmé le refus de la communication des dossiers. Les familles ont alors demandé à la Cour fédérale de procéder à la révision de chaque refus, conformément à l’article 41 de la LAI, reproduit ci-dessous :
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III. Décision visée par l’appel
[14] Afin d’éviter les répétitions, je traite brièvement des conclusions de la Cour fédérale concernant les questions dont elle était saisie dans la présente section, et du détail du raisonnement de cette cour dans l’analyse qui suit.
A. Norme de contrôle
[15] Au paragraphe 43 de sa décision, la Cour fédérale a conclu que la norme de la décision correcte s’applique à la question de savoir si « les renseignements non communiqués sont visés par l’exception prévue au paragraphe 19(1) de la LAI »
, tandis que la norme de la décision raisonnable s’applique à « la décision discrétionnaire de ne pas divulguer des renseignements en vertu du paragraphe 19(2) de la LAI, en fonction du cadre énoncé dans l’arrêt Doré »
. Les « renseignements non communiqués »
– expression utilisée dans le reste des présents motifs – sont les dossiers dont la divulgation a été refusée.
B. Alinéa 2b) de la Charte et avis de question constitutionnelle
[16] La Cour fédérale a signalé aux paragraphes 7 et 8 de sa décision que les appelants French/Mahaffy avaient présenté un avis de question constitutionnelle.
[17] La question soulevée dans l’avis a été reproduite dans les motifs de la Cour, à qui ils ont demandé de statuer sur :
[traduction]
la validité constitutionnelle ou l’applicabilité et l’effet des dispositions 3.1, 4a), b), c) et e), 26(1), 27(1) et (2), 100.1, 101a) et b), 102, 132, 140(4), 140(5), 140(13), 140(14), 140.2(1), (2) et (3), 142(1)b), 143(1) et 144(4) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC (1992), c 20 (la LSCMLC); des paragraphes et alinéas 2(1), 4(1), (2.1), 19(1), (2)b) et c) et 20(6) de la Loi sur l’accès à l’information, LRC (1985), c A‐1; des dispositions 7, 8(1), 8(2)a), 8(2)m)(i), 12 et 26 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‐21.
[18] La Cour fédérale s’est penchée sur ces questions, mais a finalement conclu que le principe de la publicité des débats judiciaires ne s’appliquait pas à la Commission :
Étant donné que la jurisprudence ne qualifie pas la Commission des libérations conditionnelles d’organisme judiciaire ou quasi judiciaire, et qu’aucune jurisprudence n’a démontré que le principe de la publicité des débats judiciaires ou l’alinéa 2b) exige la divulgation des renseignements non communiqués, je suis d’avis que la contestation constitutionnelle des demandeurs à l’égard du cadre de divulgation ne peut aboutir. La SRC et les familles n’ont pas réussi à démontrer que le cadre législatif de divulgation porte atteinte à leurs droits protégés par la Charte.
Décision, par. 92
[19] La Cour a ensuite traité du critère énoncé dans l’arrêt Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 R.C.S. 815 [Criminal Lawyers’ Association]. Cette affaire porte sur la question de savoir si l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11 [la Charte], donne le droit à une partie d’avoir accès à des documents détenus par le gouvernement. La Cour a conclu que l’accès aux renseignements non communiqués n’était pas nécessaire pour la tenue de discussions publiques significatives sur des questions d’intérêt public et de critiques à l’égard de ces questions, puisque les audiences de la Commission peuvent être suivies par le public et les médias.
[20] La Cour a ensuite reformulé brièvement sa conclusion relative à la question constitutionnelle, au paragraphe 97 de sa décision :
Il n’y a donc pas de droit constitutionnel d’accès aux documents et l’alinéa 2b) de la Charte n’a pas été violé. Suivant cette conclusion, je peux répondre par la négative à la question constitutionnelle [de] savoir si les articles mentionnés violent la Charte.
[21] Subsidiairement, la Cour fédérale a conclu que si elle se trompait quant à la nature des audiences de la Commission, la présomption du principe relatif à la publicité des débats judiciaires était réfutée selon l’arrêt de la Cour suprême du Canada Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25 [Succession Sherman]. Plus précisément, la Cour fédérale a conclu que : (1) la nature très délicate des renseignements demandés touche à la dignité des détenus, soit un intérêt public important; (2) il n’y a aucun contrôle sur la façon dont les dossiers seraient distribués s’ils étaient divulgués; (3) la divulgation des renseignements n’aurait aucune incidence sur le statut de libération conditionnelle des délinquants.
C. Caractère raisonnable des décisions de la Commission et du Service correctionnel
[22] La Cour fédérale a conclu, au paragraphe 114 de sa décision, que « le dossier révèle dans chaque cas [de refus de communication] des motifs et des éléments de preuve suffisants pour comprendre les décisions et évaluer si elles étaient raisonnables »
.
[23] La Cour fédérale a également jugé que, malgré le recours à des paragraphes passe‐partout, les décisions de refus étaient justifiées, transparentes et intelligibles (décision, par. 115).
[24] En réponse aux allégations selon lesquelles le Service correctionnel a commis des erreurs dans le choix des facteurs qu’elle a pris en considération, la Cour fédérale a conclu ce qui suit :
Il ressort de l’examen des décisions que la Commission des libérations conditionnelles et le [Service correctionnel] ont tenu compte des exigences de l’alinéa 19(2)c) de la LAI et du sous‐alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qu’ils ont évalué la nature de la preuve recherchée du point de vue de l’intérêt public à la divulgation et de l’atteinte au droit à la vie privée des détenus, et qu’ils ont rendu une décision fondée sur leur évaluation de la preuve.
(Décision, par. 118.)
[25] Quant aux droits à la vie privée des délinquants, la Cour fédérale a souligné que les décideurs des institutions fédérales avaient rejeté la prétention selon laquelle les délinquants n’ont pas de droit à la vie privée quant à tout ce qui se rapporte à l’administration de leur peine. Les délinquants s’attendaient à ce que leurs renseignements personnels restent à l’abri d’une divulgation publique (décision, par. 124).
[26] Comme les défendeurs, la Cour était d’avis que les dossiers dont la communication avait été refusée contenaient des renseignements personnels et étaient donc visés par l’exception, prévue au paragraphe 19(1) de la LAI, interdisant la communication. La Cour fédérale était également d’accord avec les défendeurs que les renseignements non communiqués n’étaient pas des renseignements auxquels le public devait avoir accès, et que les délinquants n’avaient pas consenti à leur communication. Enfin, la Cour fédérale a reconnu que la communication des renseignements n’était pas nécessaire au débat public (décision, par. 135, 136 et 145).
[27] En ce qui a trait à une possible atteinte aux droits garantis par la Charte, la Cour fédérale a examiné le cadre d’analyse établi par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395 [Doré], et École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 R.C.S. 613 [Loyola], qu’elle a appelé le cadre Doré/Loyola. En fin de compte, la Cour a conclu que les décideurs avaient pris en considération, pour leurs refus, les facteurs requis pour une analyse fondée sur le cadre Doré/Loyola : « La décision évalue les effets de la divulgation sur l’efficacité du régime législatif, le risque pour la sécurité publique et le préjudice à la réinsertion sociale »
(décision, par. 151).
[28] Ayant tenu compte de tous les facteurs, la Cour fédérale a conclu que la décision de ne pas divulguer les dossiers en litige était raisonnable.
IV. Énoncé des questions en litige
[29] Les familles ont signifié et déposé leur avis modifié de question constitutionnelle devant notre Cour. Cet avis est identique à celui déposé devant la Cour fédérale. L’essentiel de l’argumentation des familles est résumé au paragraphe suivant :
[traduction]
Dans la mesure où le régime législatif contesté (la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels) empêche la divulgation et la production des documents et renseignements sollicités par les demandeurs, il viole le principe de la publicité des débats judiciaires et les droits à la liberté d’expression des demandeurs enchâssés à l’alinéa 2b) de la Charte.
[30] L’avis de question constitutionnelle remet en question 36 dispositions législatives réparties dans trois lois. Ni les parties ni la Cour fédérale n’ont traité méthodiquement de l’avis de question constitutionnelle. Les parties n’ont pas essayé d’exposer les éléments de preuve et les arguments concernant l’invalidité éventuelle de chacune de ces dispositions, mais elles ont tout de même traité un peu de la question de l’incidence du principe de la publicité des débats judiciaires sur certaines de ces dispositions. Fait important, le procureur général n’a présenté aucun élément de preuve ou argument susceptible de justifier la validité des dispositions contestées au titre de l’article 1 de la Charte.
[31] Il n’appartient pas à notre Cour de faire pour les parties ce que ces dernières n’ont pas fait pour elles. Par conséquent, il n’y aura pas d’examen méthodique des allégations présentées dans l’avis de question constitutionnelle, même si certaines questions constitutionnelles seront étudiées au fur et à mesure qu’elles se présenteront.
[32] Même si les familles ont soulevé une série de questions de principe relativement aux droits à la vie privée des délinquants, tout compte fait, le présent appel porte sur l’application des paragraphes 19(1) et 19(2) de la LAI, du sous‐alinéa 8(2)m)(i) de la LPRP, et de l’alinéa 2b) de la Charte à la communication de documents contenant des renseignements personnels au sujet des délinquants. Ainsi, les questions à trancher sont les suivantes :
- Quelle est la norme de contrôle applicable?
- La Cour devrait-elle admettre en appel les nouveaux éléments de preuve présentés par les familles?
- La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que les renseignements non communiqués contenaient des renseignements personnels?
- Si les renseignements non communiqués contiennent effectivement des renseignements personnels, la Cour fédérale a-t-elle, selon le principe de la publicité des débats judiciaires, commis une erreur manifeste et déterminante en ne communiquant pas les documents sollicités?
- Si les renseignements non communiqués contiennent effectivement des renseignements personnels, la Cour fédérale a-t-elle commis une erreur manifeste et déterminante en ne communiquant pas les documents sollicités en application du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la LPRP et au titre du paragraphe 2b) de la Charte?
V. Analyse
A. Quelle est la norme de contrôle applicable?
[33] La présente affaire comporte un élément nouveau qui nous oblige à porter une attention particulière à la norme de contrôle applicable. Cet élément est l’article 44.1 de la LAI, reproduit ci-dessous :
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[34] Le fait qu’une demande de révision devrait être « entendu[e] et jugé[e] comme une nouvelle affaire »
signifie que la Cour fédérale ne doit pas se pencher pas sur le refus du Commissaire à l’information ou du responsable du ministère de communiquer les renseignements demandés, mais plutôt procéder à une audience de novo.
[35] Dans l’arrêt Canada (Santé) c. Elanco Canada Limited, 2021 CAF 191 [Elanco], notre Cour a traité de la question de la norme de contrôle qu’elle doit appliquer à la décision rendue par la Cour fédérale à l’issue d’une révision d’un refus de communication de certains renseignements, à la lumière de l’article 44.1 de la LAI. Dans cette affaire, les renseignements consistaient en des renseignements de tiers, qui sont soustraits à la communication selon l’article 20 de la LAI. Notre Cour a souligné que la juge de la Cour fédérale qui a entendu la demande n’examinait pas la décision du ministre, mais rendait plutôt sa propre décision quant à la question de savoir si les exceptions à la communication énoncées à l’article 20 de la LAI s’appliquaient (Elanco, par. 23). Ainsi, la juge siégeant en révision se trouvait dans la même position qu’un juge de première instance qui tire des conclusions de fait et applique la loi à ces faits.
[36] Notre Cour a ensuite examiné le débat dans la jurisprudence antérieure à l’adoption de l’article 44.1 concernant la question de savoir si la norme de contrôle appropriée dans le cas d’un appel d’une décision relative aux recours prévus aux articles 41 et 44 était la norme de contrôle applicable en droit administratif (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559) ou la norme applicable en appel (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 [Housen]). Après son examen de la jurisprudence, notre Cour a conclu ce qui suit :
À mon avis, si la norme de contrôle applicable dans le cas d’un appel d’une décision de la Cour fédérale, qui porte sur un recours prévu à l’article 44 de la Loi, devait être contestée, l’ajout de l’article 44.1 à la Loi a mis fin à ce débat. Les principes énoncés dans l’arrêt Housen sont applicables en l’espèce.
Elanco, par. 32.
[37] Par conséquent, les conclusions de la Cour fédérale sur des questions de droit sont assujetties à la norme de la décision correcte, tandis que les conclusions sur des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et déterminante (Elanco, par. 33). Même si l’analyse de notre Cour dans l’arrêt Elanco n’a pas touché aux questions de droit isolables, rien ne nous porte à remettre en question l’application de la norme de la décision correcte établie dans l’arrêt Housen.
[38] Il faut souligner que parce que l’affaire a été plaidée comme une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale n’a pas examiné les questions en litige au terme d’une audience de novo. Pour les besoins du présent appel, notre Cour traitera des conclusions auxquelles la Cour fédérale est arrivée comme étant ses conclusions, malgré le fait qu’elle pourrait avoir appliqué une norme déférente à l’égard de la décision du décideur administratif.
[39] Compte tenu de la directive donnée à l’article 45 de la LAI, selon laquelle les recours doivent être entendus et jugés en procédure sommaire, les familles ont eu raison de procéder par voie de demande, mais le recours qui s’offrait à elles n’était pas un contrôle judiciaire mais plutôt une audience de novo.
B. La Cour devrait-elle admettre en appel les nouveaux éléments de preuve présentés par les familles?
[40] Lors de l’audition du présent appel, les familles ont fait valoir que notre Cour devrait admettre en tant que nouvelle preuve la demande présentée au titre de la LAI par les familles Baylis/Leone et la Toronto Police Association pour l’obtention des dossiers sur Clinton Gayle qu’avaient en leur possession le Service correctionnel et la Commission. L’élément central de cette preuve est décrit au paragraphe 14 de l’avis de requête des familles :
[traduction]
Le meilleur exemple de cela est la preuve dont disposait le juge Nordheimer, aux termes de l’article 745.61 du Code criminel, lors de l’audience relative à la mise en liberté anticipée de Clinton Gayle. Des éléments de preuve importants tirés des dossiers institutionnels de [Clinton] Gayle, qui contenaient des documents soi‐disant « hautement sensibles », faisaient partie du dossier public relatif à cette demande et aucun droit à la protection de la vie privée n’a été reconnu. Quand les familles Baylis/Leone ont sollicité les mêmes documents dans le cadre de leur demande d’accès à l’information, on a alors nouvellement reconnu au délinquant un droit à la protection de la vie privée à l’égard de ces documents publics, droit qui, selon la [Commission des libérations conditionnelles] et le [Commissariat à l’information], surpassait l’intérêt public.
[41] La « nouvelle »
preuve a été versée dans le dossier d’appel, mais la Cour fédérale a décidé de ne pas en tenir compte, s’appuyant sur le principe selon lequel seuls les renseignements dont disposait le décideur sont pris en considération lors d’un contrôle judiciaire, à quelques exceptions près. Les familles ont fait valoir que cette preuve était visée par l’exception relative aux renseignements offrant un contexte à la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire, car elle expliquait le contexte dans lequel leurs demandes concernant les renseignements non communiqués avaient été tranchées.
[42] Le motif no 20 de l’avis d’appel des familles est ainsi libellé :
[traduction]
La juge qui a entendu les demandes [de révision] a commis une erreur en écartant les éléments de preuve concernant Clinton Gayle, alors que ces éléments de preuve étaient très pertinents au regard des questions constitutionnelles, de l’interprétation des lois et des considérations contextuelles.
[43] Par conséquent, les familles demandent à notre Cour d’admettre à titre de nouvelle preuve un document qui se trouve déjà dans le dossier d’appel et que la Cour fédérale a refusé d’examiner. Comme la question est soulevée dans l’avis d’appel, l’avis de requête par lequel les familles demandent l’introduction de ce document en tant que nouvelle preuve est redondant. Le document figure déjà au dossier et la Cour fédérale s’est prononcée à ce sujet. Dans les faits, les familles allèguent que la Cour fédérale a commis une erreur en droit en refusant d’examiner ces éléments de preuve.
[44] En fait, la Cour fédérale a appliqué le mauvais critère concernant l’admission de ce document, puisque son rôle, comme le prévoit l’article 44.1 de la LAI, était de procéder à un examen de novo. Comme la question qui faisait l’objet de la révision était le refus de divulgation des renseignements non communiqués, le sort d’une demande distincte n’était simplement pas pertinent pour la tâche que devait accomplir la Cour fédérale. La question de savoir si les renseignements non communiqués contenaient des renseignements personnels et si leur divulgation était justifiée n’a rien à voir avec la communication d’autres documents dans d’autres dossiers. Par conséquent, la requête des familles visant l’introduction de nouveaux éléments de preuve devrait être rejetée, et le motif no 20 de l’avis d’appel devrait également être rejeté.
C. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur manifeste et déterminante en concluant que les renseignements non communiqués contenaient des renseignements personnels?
[45] Les dossiers que le Service correctionnel avait en sa possession ont été énumérés au paragraphe 3 de la décision de la Cour fédérale :
● les dossiers d’admission et de libération (c.‐à‐d. les effets personnels, les objets de valeur);
● les rapports de gestion de cas (c.‐à‐d. les rapports de police, les demandes des délinquants);
● les rapports de discipline et de dissociation (c.‐à‐d. les mesures disciplinaires, les dossiers d’isolement);
● l’éducation et la formation (c.‐à‐d. les relevés d’emploi);
● les soins de santé (c.‐à‐d. les évaluations médicales et chirurgicales, dentaires et psychiatriques);
● la sécurité préventive (c.‐à‐d. les rapports d’incidents, le mode opératoire);
● la psychologie (c.‐à‐d. les évaluations psychologiques, les dossiers de traitement);
● la psychologie (c.‐à‐d. les évaluations psychologiques, les dossiers de traitement);
● les visites et la correspondance (c.‐à‐d. la liste des visiteurs, les déclarations d’unions de fait).
[46] Il est manifeste que ces dossiers ne contiennent pratiquement que des renseignements personnels. La Cour peut prendre acte du fait que les délinquants qui interagissent avec le Service correctionnel ont très peu d’attente en matière de vie privée. Ils sont constamment sous supervision et évaluation, à des fins de sécurité et pour les besoins du programme. Par conséquent, les dossiers que garde le Service correctionnel pris ensemble contiennent une quantité exceptionnelle de renseignements personnels comparativement à ceux d’autres institutions fédérales, à l’exception peut-être des services de police.
[47] Dans leur mémoire des faits et du droit, les familles font valoir que les délinquants ont perdu tout droit à la vie privée qu’ils auraient par ailleurs pu avoir en raison de leurs crimes et des peines auxquelles ils ont été condamnés. Voici quelques extraits de ce document :
[traduction]
En raison de la nature publique de la mesure sollicitée, dans le cadre d’une audience de libération conditionnelle publique, à la suite d’un crime public, après un procès public, une déclaration de culpabilité publique et des appels publics, ils ne peuvent avoir une attente raisonnable en matière de vie privée et certainement pas une attente plus grande en matière de vie privée que celle dont ils ont bénéficié jusqu’à présent. Si ces délinquants ont joui d’un droit à la vie privée à l’étape de la poursuite liée à l’infraction commise, ils y ont renoncé ou doivent céder la place à l’intérêt public quand ils demandent à être libérés des pleines conséquences de leur peine d’emprisonnement à perpétuité. Il n’y a rien de privé dans une libération conditionnelle.
Paragraphe 3
Si le droit à la vie privée des délinquants les plus dangereux du Canada, qui ont commis les infractions criminelles les plus graves, en faisant preuve d’un mépris total pour la vie humaine et la dignité de leurs victimes, l’emporte sur l’intérêt public lorsque ces délinquants sollicitent une mesure publique, alors les faits ne comptent pas et l’intérêt public est sans importance.
Paragraphe 5
Le caractère éminemment public des types de crimes visés par les présentes demandes d’accès à l’information a été réaffirmé à maintes reprises par certains des juges les plus éminents et les plus expérimentés du Canada. [...] il n’y a rien de privé dans ces crimes. Ces juges ont affirmé clairement dans leurs décisions respectives que les crimes commis par ces délinquants étaient des crimes très publics contre la société et l’humanité elle-même.
Paragraphe 6
Tout à propos de ces meurtres était public – des enquêtes, arrestations, procès, déclarations de culpabilité à la détermination des peines et aux appels. Les audiences de libération conditionnelle de Munro, Bernardo et Gayle étaient également publiques. Dans le cas de Paul Bernardo, les médias étaient massivement présents à son audience de libération conditionnelle. L’idée que, dans ces affaires, les autorités auraient en quelque sorte pu reconnaître aux délinquants un droit à la vie privée dans le cadre des audiences de libération conditionnelle, et gardé secrets des faits hautement pertinents pour la question de la sécurité publique qui n’auraient jamais pu être gardés secrets dans le cadre d’un procès et d’une audience de détermination de la peine, dépasse tout simplement l’entendement.
Paragraphe 64
La juge McVeigh n’a accordé aucun poids à ces facteurs quand elle a examiné la manière dont le Service correctionnel] et/ou [la Commission] avaient mis en balance les intérêts des auteurs des meurtres et l’intérêt public – lequel va dans le même sens que celui des familles, dont les proches ont vu leur droit à la vie privée réduit en miettes par d’atroces actes de violence commis par ces personnes mêmes qui affirment que leur droit à la vie privée doit prévaloir.
Paragraphe 65
Lorsqu’ils demandent un avantage en sollicitant une libération conditionnelle, les délinquants engagent une procédure, tout en faisant valoir leur droit à la vie privée relativement aux documents mêmes sur lesquels ils s’appuient pour obtenir une libération conditionnelle, y compris l’enregistrement ou la transcription de l’audience publique elle-même. Dans ces circonstances, ils renoncent nécessairement à tout droit à la vie privée. Le délinquant ne peut pas gagner sur tous les tableaux.
Paragraphe 82
On ne peut soutenir l’idée que la protection de la « dignité humaine » des délinquants condamnés pour meurtre au premier degré qui demandent une libération conditionnelle après avoir commis d’atroces crimes publics est devenue d’« importance publique » et l’emporte sur le principe de la justice publique. Les supposés renseignements « privés » ne sont pas privés du tout, puisqu’ils sont vitaux pour que les autorités puissent déterminer si une libération conditionnelle doit être accordée ou non.
Paragraphe 83
[Souligné dans l’original.]
[48] Ces extraits expliquent clairement le sentiment des familles à propos des droits à la vie privée des délinquants. Mais la loi n’est pas de leur côté sur cette question. L’alinéa 4d) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi sur le système correctionnel) est formulé ainsi :
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[49] Les droits à la vie privée des délinquants sont protégés par l’article 3 de la LAI, lequel est incorporé par renvoi dans la LPRP, de même que par l’ 19 de la LAI et l’article 8 de la LPRP :
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[50] Les familles demandent aux autorités de ne pas appliquer les dispositions législatives pertinentes à ces renseignements au motif qu’il n’y a, selon elles, aucune distinction à faire entre, d’une part, le procès et la détermination de la peine de ces délinquants et, d’autre part, l’administration de leur peine pendant la période d’emprisonnement. Rien dans le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, ou la Loi sur le système correctionnel ne commande une telle conclusion. Le procès des délinquants et l’audience de détermination de leur peine étaient publics et le principe de la publicité des débats judiciaires s’appliquait. Le Service correctionnel et la Commission s’occupent de l’administration des peines d’emprisonnement; comme nous le voyons plus loin, le principe de la publicité des débats judiciaires ne s’applique à aucune de ces institutions, mais elles sont toutes deux assujetties à la LAI et à la LPRP.
[51] La prétention insistante des familles selon laquelle les personnes qui demandent une libération conditionnelle exercent un recours public qui est incompatible avec le droit à la vie privée n’est pas concluante. Il est vrai que les audiences de libération conditionnelle sont ouvertes au public, sous réserve des critères d’admission d’observateurs énoncés aux alinéas 140(4)a) à d) de la Loi sur le système correctionnel, mais les renseignements divulgués lors de ces audiences ne sont pas réputés être des renseignements accessibles au public selon le paragraphe 140(14) de cette Loi :
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[52] Les familles hochent la tête devant l’inanité de déclarer qu’un renseignement divulgué dans une tribune publique n’est pas accessible au public. Mais cette inanité ne leur permet pas de classer les demandes de libération conditionnelle dans la catégorie des recours « publics »
, et d’affirmer qu’aucune question relative au respect de la vie privée n’est associée à la libération conditionnelle. Des questions relatives au respect de la vie privée se posent parce que l’alinéa 4d) de la Loi sur le système correctionnel préserve le droit à la vie privée des délinquants, et parce que leurs peines sont administrées et leurs demandes de libération conditionnelle sont tranchées par des organismes assujettis à la LAI et à la LPRP.
[53] Il s’ensuit que, jusqu’à preuve du contraire, les délinquants ont les mêmes droits à la vie privée que tous les autres citoyens, sauf si ces droits sont supprimés ou restreints conformément à la loi. La Cour fédérale et les responsables du Service correctionnel et de la Commission n’ont pas commis d’erreur en concluant que les renseignements que les familles cherchaient à obtenir étaient des renseignements personnels protégés par la LAI et la LPRP.
D. Si les renseignements non communiqués contiennent bien des renseignements personnels, la Cour fédérale a-t-elle, selon le principe de la publicité des débats judiciaires, commis une erreur manifeste et déterminante en ne communiquant pas les documents sollicités?
[54] Les familles ont fait valoir que la documentation que détenait la Commission, y compris les enregistrements sonores et les documents examinés par la Commission en lien avec les demandes de libération conditionnelle de M. Munro et de M. Bernardo, auraient dû être communiqués au nom du principe de la publicité des débats judiciaires.
[55] Le principe de la publicité des débats judiciaires ne s’applique pas au Service correctionnel, puisqu’il s’agit d’une institution fédérale figurant à l’annexe I de la LAI. La mission de cet organisme est de gérer les établissements correctionnels en vue de parvenir à la réinsertion sociale des délinquants à titre de citoyens respectueux des lois. Dans le cadre de ce mandat, le Service correctionnel recueille des renseignements et crée des dossiers sur les personnes qui lui sont confiées dans un but de gestion et afin de réaliser sa mission ultime. Comme l’indique la liste des dossiers qu’il crée et conserve, reproduite au paragraphe 45 ci‐dessus, la plupart, si ce n’est la totalité, de ces renseignements sont des renseignements personnels. Le Service correctionnel n’est pas un tribunal administratif, encore moins un tribunal administratif juridictionnel, et n’est par conséquent pas assujetti au principe de la publicité des débats judiciaires.
[56] Notre Cour a traité de l’application du principe de la publicité des débats judiciaires à la Commission dans l’arrêt Société Radio-Canada c. Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2023 CAF 166 [SRC], publié en même temps que les présents motifs. Dans cette affaire, la Cour a examiné la jurisprudence qui sous-tend l’application du principe de la publicité des débats judiciaires aux tribunaux administratifs. La Cour a conclu que l’application de ce principe à un tribunal en fonction de la question de savoir s’il est ou non un tribunal quasi judiciaire n’est plus pertinente. Elle a plutôt jugé qu’il est plus approprié de se demander si le tribunal en question est un tribunal administratif juridictionnel, c’est-à-dire un tribunal présidant des instances de nature contradictoire au cours desquelles il statue sur des droits et des obligations.
[57] La Cour fédérale a souscrit à l’affirmation de la Commission selon laquelle elle n’est pas assujettie au principe de la publicité des débats judiciaires parce que ses instances ressortissent à l’enquête, et non à un débat contradictoire. Le fait qu’il n’a pas été fait mention de l’intérêt de l’État devant la Commission était indicateur de l’absence d’une instance de nature contradictoire. De plus, la Commission a fait valoir qu’elle n’accorde pas des droits, mais évalue plutôt un risque.
[58] Dans leur mémoire des faits et du droit, les familles se sont beaucoup attardées au principe de la publicité des débats judiciaires, mais leurs arguments ne sont pas convaincants. Par exemple, elles ont fait valoir que ce principe s’applique de manière égale à tous les tribunaux administratifs, y compris la Commission, puisque la légitimité de leurs séances ne pourra être mesurée que si le public y a accès, renvoyant à la décision Southam Inc. c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1987] 3 CF 329, [1987] A.C.F. no 658 (QL) (1re inst.) [Southam]. Bien sûr, les audiences de la Commission sont publiques. En ce qui concerne la décision Southam, elle portait sur l’application du principe de la publicité des débats judiciaires aux tribunaux quasi judiciaires. Les familles ont ensuite invoqué la décision Toronto Star Newspapers Ltd. v. Ontario (Attorney General), 2018 ONSC 2586, 142 O.R. (3d) 266, rendue par le juge Morgan, mais cette affaire concernait 13 tribunaux administratifs, tous désignés comme des « institutions »
à l’annexe de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée, désignation qui a donné lieu au différend quant à l’application à ces tribunaux des lois sur l’accès à l’information.
[59] D’autres affaires sur lesquelles les familles se sont appuyées portaient sur l’application du principe de la publicité des débats judiciaires aux cours de justice (Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, 2005 CSC 41, [2005] 2 R.C.S. 188 (requête déposée à la Cour de justice de l’Ontario), Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 R.C.S. 522 (demande déposée à la Cour fédérale), CTV Television Inc. v. Ontario Superior Court of Justice (Toronto Region) (2002), 59 O.R. (3d) 18, 5 C.R. (6th) 189 (C.A.) (demande déposée à la Cour supérieure de justice de l’Ontario), Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), 1989 CanLII 20, [1989] 2 R.C.S. 1326, (Judicature Act de l’Alberta), Succession Sherman (demande déposée à la Cour supérieure de justice de l’Ontario)).
[60] De plus, il n’est indiqué dans aucun de ces arrêts que les intérêts privés doivent toujours être subordonnés au principe de la publicité des débats judiciaires. L’arrêt Succession Sherman indique plutôt le contraire :
[...] En outre, en examinant la constitutionnalité d’une exception législative au principe de la publicité des débats judiciaires, notre Cour a reconnu que la protection de la vie privée de la personne pouvait constituer un objectif urgent et réel (Edmonton Journal, p. 1345, le juge Cory; voir également les motifs concordants de la juge Wilson, à la p. 1354, dans lesquels a explicitement été souligné « l’intérêt public à la protection de la vie privée de l’ensemble des parties aux affaires matrimoniales par rapport à l’intérêt public à la publicité du processus judiciaire ») [...]
[...] Dans F.N. (Re), il était question de l’intérêt personnel que les jeunes contrevenants avaient à garder l’anonymat dans les procédures judiciaires afin de favoriser leur réadaptation personnelle (par. 11). Selon le juge Binnie, la société dans son ensemble avait un intérêt dans les perspectives personnelles de réadaptation de l’adolescent visé. Cette même idée exposée dans F.N. (Re) a été citée à l’appui de la conclusion selon laquelle l’intérêt en cause dans Sierra Club était un intérêt public [...]
Succession Sherman, par. 52 et 53
[61] Par conséquent, les familles n’ont pas démontré que le principe de la liberté des débats judiciaires s’applique à la Commission ou au Service correctionnel. Dans l’arrêt SRC, notre Cour a conclu que la SRC n’était pas autorisée à avoir accès aux copies d’enregistrements sonores des audiences de la Commission au nom du principe de la liberté des débats judiciaires.
[62] Compte tenu de la conclusion selon laquelle la Commission n’est pas un tribunal administratif juridictionnel, la question de la production de documents décisionnels ne se pose pas. Par conséquent, les familles ne sont pas autorisées à obtenir ce qu’elles demandent à la Commission au nom du principe de la liberté des débats judiciaires.
E. Si les renseignements non communiqués contiennent effectivement des renseignements personnels, la Cour fédérale a-t-elle commis une erreur manifeste et déterminante en ne communiquant pas les documents sollicités au titre du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la LPRP et du paragraphe 2b) de la Charte?
[63] Pour pouvoir répondre à cette question, il est nécessaire d’avoir une idée des dossiers que demandent les familles. Dans leurs avis de demande, les familles ont sollicité la révision du refus des organismes de fournir ce qui suit :
1. Dossier no T-1358-12 : divulgation et production complètes des dossiers concernant le détenu fédéral Craig Munro et détenus par la Commission et le Service correctionnel, particulièrement les renseignements et documents présentés à la Commission pour les audiences de libération conditionnelle de Craig Munro tenues le 26 février 2009, le 16 mars 2010 et le 30 mars 2011;
2. Dossier no T-101-18 : divulgation et production du dossier du détenu fédéral Craig Munro en la possession du Service correctionnel du Canada, y compris tous les dossiers médicaux et les détails complets des violations et infractions ayant mené à l’annulation des permissions de sortir sans escorte (PSSE) de M. Munro en 2012 et à l’annulation de son audience de libération conditionnelle en 2012, les détails complets des violations et infractions ayant mené au transfert de M. Munro de l’établissement de Kwikwexwelhp à l’établissement de Matsqui et de toute violation antérieure, ainsi que les circonstances et les faits qui ont conduit au retrait, en février 2016, de sa demande de PSSE. Cette demande était adressée au Service correctionnel;
3. Dossier no T-102-18 : divulgation et production des dossiers concernant le détenu fédéral Craig Munro en la possession de la Commission, particulièrement en ce qui concerne les renseignements et documents présentés à la Commission pour les audiences de libération conditionnelle de Craig Munro, de même que les enregistrements sonores et vidéo et les transcriptions de ces audiences de libération conditionnelle tenues le 26 février 2009, le 16 mars 2010, le 30 mars 2011 et le 29 juillet 2015;
4. Dossier no T-103-18 : divulgation et production du dossier du détenu fédéral Craig Munro en la possession du Service correctionnel et, en particulier, tous les documents subséquents non inclus dans les pièces « I » et « J » de l’affidavit de Ginette Pilon, souscrit le 21 mars 2014 et déposé dans le dossier connexe T-1358-12 à la Cour fédérale;
5. Dossier no T-465-20 : divulgation et production du dossier complet du détenu fédéral Paul Bernardo en la possession de la Commission, particulièrement en ce qui concerne les renseignements et documents présentés à la Commission pour l’audience de libération conditionnelle de Paul Bernardo, de même que les copies complètes des enregistrements sonores et vidéo et les transcriptions de son audience de libération conditionnelle tenue le 17 octobre 2018;
[64] De façon générale, les organismes ont rejeté toutes les demandes exposées ci‐dessus en application de l’article 19 de la LAI ou du sous-alinéa 8(2)m)(i) de la LPRP, ou de ces deux dispositions. Le Service correctionnel n’a pas justifié ses refus fondés sur l’article 19 autrement qu’en disant que les dossiers contenaient des renseignements personnels (voir, par exemple, le dossier d’appel, p. 327, 331). Toutefois, dans une lettre datée du 21 octobre 2019, un représentant de la Commission a offert une justification concernant le refus de produire le dossier complet de M. Bernardo de même que l’enregistrement sonore de l’audience de libération conditionnelle de M. Bernardo tenue le 17 octobre 2018 (dossier d’appel, p. 338 à 341). Pour l’essentiel, les explications offertes sont reproduites ci-dessous.
[65] Après avoir traité des paragraphes 19(1) et 19(2) de la LAI, la Commission a souligné que ces dispositions n’aident pas les familles, parce que les délinquants n’avaient pas consenti à la communication de leurs renseignements personnels et parce que ceux‐ci n’étaient pas accessibles au public. Elle a ensuite expliqué les raisons de sa décision fondée sur le sous-alinéa 8(2)m)(i) de la LPRP dans les paragraphes suivants :
[traduction]
Selon cette disposition [par. 8(2)], il existe une présomption en faveur de la non‐communication, à moins d’arguments convaincants justifiant le contraire.
[...]
Pour déterminer si des renseignements personnels devraient être communiqués dans l’intérêt public, le responsable de l’institution doit mettre en balance l’intérêt public justifiant la communication et la menace de violation de la vie privée de l’individu. Il doit pour se faire utiliser un critère d’atteinte au droit à la vie privée, et mettre en balance les attentes de l’individu, la nature et la sensibilité des renseignements personnels concernés, et la probabilité d’un préjudice causé à l’individu en raison de la communication. Les exemples de situations où l’intérêt public peut l’emporter sur l’atteinte potentielle à la vie privée attribuable à la communication incluent les urgences, les accidents, les catastrophes naturelles, les actes hostiles ou terroristes, et l’exécution d’une ordonnance judiciaire, comme une ordonnance de garde. L’intérêt public, qui doit être mis en balance avec la possible atteinte à la vie privée, peut être évalué au regard de la question de savoir s’il est spécifique, actuel et probable.
Pour examiner et soupeser les facteurs en l’espèce, la Commission a pris en considération la probabilité de préjudice, puisqu’elle doit, aux termes de la Loi, tenir compte de la mesure dans laquelle est compromise la réinsertion sociale des délinquants à titre de citoyens respectueux des lois, et du préjudice causé à toute personne sur laquelle la Commission détient des renseignements, conformément à ce qu’exigent la LAI et la LPRP. En l’espèce, les renseignements demandés sont de nature hautement sensible, intrinsèquement personnels et confidentiels. Je n’ai pas été en mesure de déterminer un groupe distinct d’individus qui aurait un véritable intérêt à obtenir ces renseignements, ou qui tirerait clairement un bénéfice d’un accès à ces renseignements, pas plus que je n’ai été en mesure de déterminer comment un tel groupe pourrait profiter de l’accès à ces renseignements. Plus précisément, je ne suis pas convaincu que l’intérêt public lié à la communication des renseignements surpasserait les intérêts de la personne en matière de droit à la vie privée. Il n’existe aucun besoin immédiat ou danger imminent; la personne était et est toujours sous la garde du Service correctionnel du Canada, conformément à la [Loi sur le système correctionnel], et il n’existe, par conséquent, aucun risque pour la sécurité publique. Je ne crois pas qu’il y ait véritablement lieu de s’inquiéter parce que les renseignements ont une incidence sur le bien‐être de citoyens. Inversement, l’atteinte à la vie privée est manifeste. J’ai donc conclu que l’intérêt public n’a pas été démontré.
Il n’est pas non plus possible d’ignorer les conséquences qui résulteraient probablement d’une divulgation discrétionnaire de renseignements personnels, dans l’éventualité où l’intérêt public aurait été démontré en l’espèce. Lorsqu’une possible atteinte à la vie privée est mise en balance avec un intérêt public, il importe de se demander qui recevra les renseignements et si des mesures de contrôle peuvent empêcher qu’ils soient par la suite utilisés ou diffusés. De l’avis éclairé de la Commission, tout délinquant se trouvant dans une telle situation courrait un risque très réel de voir son potentiel de réinsertion sociale à titre de citoyen respectueux des lois compromis en raison de la forte attention des médias ou du public à laquelle on pourrait raisonnablement s’attendre.
Dossier d’appel, p. 339-340
[66] La Cour fédérale a traité collectivement toutes les demandes d’accès à l’information et a rejeté les demandes des familles au motif que : (1) la Commission n’est pas un organisme quasi judiciaire assujetti au principe de la publicité des débats judiciaires; (2) les motifs donnés par la Commission et le Service correctionnel sont suffisants; (3) le sous-alinéa 8(2)m)(i) de la LPRP ne justifie pas la communication des dossiers demandés; (4) le critère énoncé dans les arrêts Doré/Loyola est respecté.
[67] La question de l’application du principe de la publicité des débats judiciaires à la Commission a été traitée plus haut dans les présents motifs et cette analyse n’a pas à être répétée ici. Le caractère suffisant des motifs de la Commission et l’analyse de la décision de cette dernière fondée sur le sous‐alinéa 8(2)m)(i) vont de pair et peuvent être analysés ensemble. Le principe énoncé dans les arrêts Doré/Loyola ne s’applique pas aux présents faits et ne nécessite aucune analyse plus poussée.
[68] Les familles formulent une série de critiques à l’égard des réponses qu’elles ont reçues de la part de la Commission. En ce qui concerne le Service correctionnel, les familles affirment que les réponses données étaient très laconiques. Il convient de souligner que le Service correctionnel n’a pas traité de l’application de la disposition sur la communication discrétionnaire prévue au sous-alinéa 8(2)m)(i). On pourrait penser qu’une institution pourrait traiter de cette disposition de son propre chef, sans qu’on lui demande de le faire (voir la lettre de la Commission adressée à la SRC, p. 351 à 355).
[69] La Cour fédérale a fait état des plaintes des familles quant au caractère adéquat des motifs fournis par les deux organismes fédéraux. Ces dernières ont fait valoir (à juste titre) que les lettres contenaient des formulations passe-partout et qu’elles étaient complètement dépourvues [traduction] « de motifs ou d’analyse »
. Elles ont également reproché aux organismes de ne pas avoir fourni de preuve que l’acquiescement à leurs demandes [traduction] « serait préjudiciable aux fins de la justice »
ou entraînerait [traduction] « un risque important d’injustice »
. En fin de compte, les familles ont eu l’impression que la Commission et le Service correctionnel n’avaient pas justifié leur position selon laquelle l’intérêt public n’était pas en jeu.
[70] La réponse de la Cour fédérale à ces arguments se trouve au paragraphe 114 de la décision, reproduit ci-dessous :
En me fondant sur ce qui précède, et après avoir examiné les six décisions de la Commission des libérations conditionnelles et du [Service correctionnel], la correspondance entre la Commission des libérations conditionnelles, le [Service correctionnel] et le [Commissariat à l’information], ainsi que les rapports d’enquête du [Commissariat à l’information], je suis d’avis que le dossier révèle dans chaque cas des motifs et des éléments de preuve suffisants pour comprendre les décisions et évaluer si elles étaient raisonnables. Les familles ont raison de prétendre que les lettres communiquant le résultat des décisions dans les affaires CLCC‐1 et SCC‐1 sont dépourvues d’analyse. Toutefois, ces lettres sont étayées dans le dossier par des lettres de la Commission des libérations conditionnelles et du [Service correctionnel], respectivement, qui exposent les motifs de ces décisions. Quant aux autres décisions, soit CLCC‐2, SCC‐2, CLCC‐3, et la lettre de la Commission des libérations conditionnelles à la SRC, elles contiennent toutes une analyse justifiant la décision de ne pas communiquer des renseignements. Ces documents indiquent le fondement à partir duquel les décideurs ont pondéré les intérêts relatifs à la vie privée des détenus par rapport à l’intérêt public de la divulgation, relèvent les divers facteurs pris en considération par les décideurs, et constituent une base générale pour comprendre comment les décideurs sont arrivés à leurs décisions.
[71] L’affirmation de la Cour fédérale selon laquelle les décisions « constituent une base générale pour comprendre comment les décideurs sont arrivés à leurs décisions »
est juste, dans la mesure où les décisions indiquent à quelles questions on renvoie, mais la Cour se trompe quand elle affirme que l’analyse est suffisante.
[72] Vu les extraits de la lettre de la Commission cités au paragraphe 65 ci-dessus qui exposent la position typique de la Commission relativement aux demandes d’accès à l’information des familles, plusieurs observations s’imposent.
[73] Il est manifeste que la Commission et, par extension, le Service correctionnel n’ont pas sérieusement examiné ces demandes. Dans pratiquement tous les cas où ces organismes ont renvoyé à l’article 19 pour justifier la non‐communication, rien n’indique qu’ils ont pris en considération la possibilité d’exercer leur pouvoir discrétionnaire pour autoriser la divulgation. Dans les cas où cette possibilité a été examinée, ils n’ont en aucune façon tenu compte dans l’analyse des circonstances propres aux délinquants concernés. Comme nous pouvons le constater à la lecture de la réponse reproduite ci-dessus, l’analyse est très abstraite et théorique, comme l’illustre l’affirmation selon laquelle, de l’avis de la Commission, tout délinquant dont les renseignements personnels auraient été communiqués [traduction] « courrait un risque très réel de voir son potentiel de réinsertion sociale à titre de citoyen respectueux des lois compromis en raison de la forte attention des médias ou du public à laquelle on pourrait raisonnablement s’attendre »
(voir le paragraphe 65 ci-dessus, à propos du dernier paragraphe cité en entier).
[74] On peut présumer que ces commentaires se rapportent aux délinquants visés et ne sont pas censés s’appliquer à toute personne incarcérée. Si c’est le cas, ils sont beaucoup trop généraux. Il est impossible de croire que chaque délinquant libéré fera l’objet d’une attention du public telle que cela l’empêchera de devenir un citoyen respectueux des lois. Il semble pour le moins peu probable que le taux de récidive parmi les délinquants puisse subir une hausse importante en raison de la communication de certains de leurs renseignements personnels à un moment donné avant leur mise en liberté.
[75] En ce qui concerne les délinquants, leur notoriété fera en sorte qu’ils demeurent sous la surveillance de la population durant un certain temps dans l’éventualité où ils obtiendraient une libération conditionnelle, soit la seule forme de mise en liberté qui leur est accessible étant donné leur peine d’emprisonnement à perpétuité. Si elle sait (et non présume) la mesure dans laquelle la communication de leurs renseignements personnels influera sur leur réinsertion sociale à titre de citoyens respectueux des lois, la Commission ne l’a pas divulguée. Fait toutefois important, il est peu probable que ces délinquants, en raison de leurs crimes et de leur personnalité, obtiennent une libération conditionnelle dans un proche avenir (voir, par exemple, la décision rendue par la Commission à la suite de l’audience de libération conditionnelle de M. Bernardo tenue le 17 octobre 2018, dossier d’appel, p. 5384 à 5392).
[76] Si certains des renseignements personnels des délinquants devaient être communiqués aujourd’hui, pendant combien de temps cela aurait-il un effet sur leur réinsertion : six mois, un an, cinq ans? Sans affirmer qu’il existe une réponse précise à la question, notre Cour est d’avis qu’il est peu probable que la communication de renseignements personnels, quels qu’ils soient, pose un risque quant à la réinsertion des délinquants pour le reste de leur vie. Par conséquent, quand elle évalue le risque de préjudice, la Commission devrait prendre en compte la période pendant laquelle elle considère la libération conditionnelle comme une possibilité raisonnable pour ces délinquants, ce qui va dans le sens de la propre observation de la Commission, qui a écrit que [traduction] « l’intérêt public, qui doit être mis en balance avec la possible atteinte à la vie privée, peut être évalué au regard de la question de savoir s’il est spécifique, actuel et probable »
.
[77] La prise en compte par la Commission de l’intérêt public à la divulgation est tout aussi limitée, comme le démontrent les exemples qui la justifie qu’elle a choisis : [traduction] « les urgences, les accidents, les catastrophes naturelles, les actes hostiles ou terroristes, et l’exécution d’une ordonnance de la Cour »
. Il s’agit d’un échantillon remarquablement restreint d’exemples où l’intérêt public l’emporte, et il est peu probable que ces exemples s’appliquent aux établissements correctionnels, sauf peut‐être s’il devenait nécessaire d’informer les familles des délinquants de leur état de santé si l’une de ces calamités devait survenir. Comme la Commission et le Service correctionnel sont des institutions qui font souvent les manchettes, ces organismes devraient avoir facilement la conviction que les renseignements sont demandés pour permettre aux personnes qui sollicitent la divulgation d’exercer leur liberté d’expression, qui est protégée par la Constitution.
[78] Quoi qu’il en soit, il est difficile de concevoir en l’espèce l’existence[traduction] d’« un groupe distinct d’individus qui aurait un véritable intérêt à obtenir ces renseignements, ou qui tirerait clairement un bénéfice d’un accès à ces renseignements »
. Les personnes qui demandent la communication sont les familles des personnes qui ont été victimes des actes commis par les délinquants.
[79] La Commission a indiqué être préoccupée par les questions de savoir [traduction] « qui recevra les renseignements et si des mesures de contrôle peuvent empêcher qu’ils soient par la suite utilisés ou diffusés »
. La chose importante concernant la communication de renseignements est que le renseignement ne sert à rien s’il ne peut être utilisé. La Commission ou le Service correctionnel devrait s’attendre à ce que les renseignements fassent l’objet d’une certaine diffusion. Étant donné la nature des crimes des délinquants, il existe certainement des limites raisonnables qui peuvent être imposées. Mais comme les familles invoquent leur droit à la liberté d’expression, il faudrait définir ces conditions en gardant à l’esprit leurs droits constitutionnels. À première vue, le problème n’est pas insurmontable.
[80] Il ressort de cette analyse que les raisons que les organismes ont données pour refuser la communication des dossiers demandés par les familles ne sont pas suffisantes. Mais comme il s’agit ici d’un appel d’une décision rendue au terme d’un examen de novo concernant le refus de divulgation des renseignements non communiqués, notre Cour peut rendre la décision que la Cour fédérale aurait dû rendre (voir la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, alinéa 52b)). Par conséquent, je prononcerais la même ordonnance que la Cour fédérale concernant les dossiers documentaires pour les raisons suivantes.
[81] Comme l’indique l’avis de demande des familles, ces dernières demandaient, dans leurs demandes d’accès à l’information respectives, la production de chaque bout de papier conservé dans les dossiers du Service correctionnel et de la Commission en lien avec M. Munro et M. Bernardo. Au fil du temps, les familles ont mis à jour leurs demandes d’accès afin de s’assurer que les documents créés après leurs premières demandes soient inclus dans leurs demandes subséquentes. Il est manifeste que les familles considéraient qu’aucun aspect de l’expérience carcérale de M. Bernardo et de M. Munro n’était protégé de la divulgation.
[82] L’accès à ces documents constitue une atteinte extrêmement grave à la vie privée de M. Munro et de M. Bernardo alors qu’ils étaient sous la garde du Service correctionnel, ou que leurs demandes de libération conditionnelle étaient étudiées par la Commission. La situation est différente de celle d’un grand nombre, voire de la majorité, des demandes d’accès à des renseignements personnels que pourrait recevoir une institution fédérale au sujet d’une personne, qui visent généralement uniquement les renseignements sur la personne recueillis pour être utilisés dans le cadre d’un programme restreint (par opposition à ceux du Service correctionnel) que l’institution administre. Dans le cas qui nous occupe, le Service correctionnel assume, conformément à son mandat, la garde en milieu fermé de délinquants pour une période de temps, souvent longue, au cours de laquelle pratiquement toutes leurs activités sont surveillées et enregistrées. Les renseignements recueillis vont de renseignements sans importance à des renseignements hautement personnels, comme des rapports médicaux et psychiatriques.
[83] Quel est l’intérêt public à l’égard de ce niveau de renseignements personnels cumulés durant cette période de temps? Comme je l’ai indiqué plus haut dans les présents motifs, les familles n’acceptent pas que les délinquants aient un droit à la vie privée, position à laquelle notre Cour ne peut souscrire. La comparaison fréquemment établie par les familles entre, d’une part, le procès et la détermination de la peine des délinquants et, d’autre part, les audiences de libération conditionnelle ne peut pas non plus être retenue. Le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique dans le cas du procès et de la détermination de la peine, mais pas dans le cas des audiences de libération conditionnelle. Quoi qu’il en soit, la divulgation publique dans un procès ne sera jamais aussi totale que la divulgation que les familles cherchent à obtenir en l’espèce. Il n’est tout simplement pas vrai que le respect des droits à la vie privée des délinquants a pour but de permettre que soient gardés secrets [traduction] « des faits hautement pertinents pour la question de la sécurité publique qui n’auraient jamais pu être gardés secrets dans le cadre d’un procès et d’une audience de détermination de la peine »
(mémoire des faits et du droit des appelants, par. 64).
[84] Certains passages du mémoire des faits et du droit des familles portent sur l’intérêt public qu’elles défendent. Au paragraphe 64 de leur mémoire des faits et du droit, on peut lire ce qui suit :
[traduction]
L’idée que, dans ces affaires, les autorités auraient en quelque sorte pu reconnaître aux délinquants un droit à la vie privée dans le cadre des audiences de libération conditionnelle, et gardé secrets des faits hautement pertinents pour la question de la sécurité publique qui n’auraient jamais pu être gardés secrets dans le cadre d’un procès et d’une audience de détermination de la peine, dépasse tout simplement l’entendement.
[85] Plus loin, au paragraphe 71 de leur mémoire des faits et du droit, les familles écrivent ce qui suit :
[traduction]
Dans les affaires en cause, cela a constamment mené à un résultat absurde, où les droits à la vie privée de délinquants condamnés pour les actes les plus abjects, des meurtres au premier degré, calculés et froidement perpétrés, l’emportent systématiquement sur l’intérêt public en matière de sécurité publique.
[86] Au paragraphe 81 de leur mémoire des faits et du droit, les familles poursuivent sur le même thème :
[traduction]
Les renseignements demandés en l’espèce ne pourraient jamais constituer une atteinte à la dignité comme celle qui est envisagée dans l’arrêt Sherman, parce qu’il s’agit de renseignements qui ont une importance vitale pour la question préliminaire à l’audience de libération conditionnelle – la question de la sécurité publique.
[Souligné dans l’original.]
[87] Il est manifeste que les familles cherchent à obtenir les renseignements non communiqués pour pouvoir les utiliser dans le but d’améliorer la sécurité publique. Mais il est difficile de comprendre comment la détention de ces renseignements les aiderait à réaliser cet objectif. Dans la mesure où les délinquants demeurent incarcérés, la menace à la sécurité publique est contenue. C’est la possibilité qu’ils obtiennent une libération conditionnelle qui soulève la question de la sécurité publique, ce qui tend à indiquer que les familles cherchent à obtenir les renseignements non communiqués dans le but de s’opposer aux demandes de libération conditionnelle des délinquants. Il y a une différence entre formuler des observations sur la manière dont la Commission s’acquitte de son mandat et monter un dossier contre la libération conditionnelle d’un délinquant. L’intérêt public en ce qui concerne la garde des délinquants est exprimé à l’article 3 de la Loi sur le système correctionnel, ainsi libellé :
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[88] Il peut y avoir place au scepticisme quant à la question de savoir si l’objectif relatif à la réadaptation et à la réinsertion sociale peut être atteint avec ces délinquants, mais ni le Service correctionnel ni la Commission ne peuvent, compte tenu de leur mission, considérer ces délinquants comme irrécupérables pour le reste de leur vie. Et ils ne le devraient pas non plus. Cela étant dit, il n’est pas dans l’intérêt public que les renseignements personnels des délinquants soient communiqués à des fins incompatibles avec le mandat du Service correctionnel ou de la Commission.
[89] Il n’y a aucun intérêt public à la communication de l’ensemble des renseignements en la possession du Service correctionnel ou de la Commission. L’énumération, dans l’ensemble des demandes, de certaines opérations particulières ou de certains événements d’intérêt ne change rien au fait que, dans chaque cas, la demande concerne la communication des dossiers complets conservés sur les délinquants.
[90] Il ne revient pas à la Cour de définir les circonstances dans lesquelles l’intérêt public à l’égard des renseignements personnels des délinquants justifierait une divulgation moins étendue, mais il est évident que les catégories du type de celles indiquées dans la lettre de la Commission, comme les urgences et les catastrophes naturelles, sont beaucoup trop étroites. Le sous-alinéa 8(2)m)(i) est l’une des rares dispositions de la LPRP, si ce n’est la seule, où les motifs des auteurs des demandes sont pertinents. Dans la mesure où ces derniers sont en mesure de nommer un intérêt autre que leur propre intérêt personnel, l’institution fédérale doit accorder une attention respectueuse au motif avancé, mais étant donné la facilité avec laquelle il est possible de magnifier ses intérêts personnels, l’institution n’est pas liée par l’intérêt énoncé. Cependant, malgré son scepticisme quant au motif avancé, l’institution fédérale doit demeurer sensible à l’intérêt des auteurs des demandes à exprimer leurs points de vue à propos de la manière dont l’institution exécute son mandat et exerce son pouvoir délégué. En l’espèce, malgré l’intérêt énoncé par les familles quant à la sécurité publique, le maintien du statu quo ne donne lieu à aucun intérêt public plausible à ce que soient communiqués tous les renseignements personnels des délinquants.
[91] Les familles ont fondé leur appel à l’encontre du refus de divulgation des renseignements non communiqués sur des motifs d’ordre constitutionnel, à savoir l’alinéa 2b) de la Charte. Comme le refus de communiquer les documents reposait sur la LAI et la LPRP, les familles allèguent que les dispositions en cause de ces lois violent les droits garantis par l’alinéa 2b) et devraient par conséquent être annulées. Si l’on examine l’application de l’article 19 de la LAI et de l’article 8 de la LPRP, rien n’indique qu’il y a eu violation des droits des familles garantis par l’alinéa 2b).
[92] Il est vrai qu’il ressort de l’examen de l’application du paragraphe 19(2) de la LAI et du sous‐alinéa 8(2)m)(i) de la LPRP qu’il existe des restrictions quant aux dossiers que les familles peuvent recevoir au titre de ces dispositions. Mais, comme il est souligné dans l’arrêt Succession Sherman, même dans le contexte du principe de la publicité des débats judiciaires – ce qui n’est pas le cas en l’espèce –, les restrictions concernant l’accès aux renseignements personnels ne sont pas nécessairement inconstitutionnelles.
[93] L’exercice de mise en balance prescrit par le sous-alinéa 8(2)m)(i) de la LPRP peut inclure les droits des familles garantis par l’alinéa 2b). Aucun intérêt public d’un poids suffisant ne se dégage de cet exercice, où est comparée l’étendue de la divulgation des renseignements personnels demandés par les familles à l’intérêt public à la divulgation. Comme les familles ont eu accès aux audiences mêmes de la Commission, aux enregistrements sonores de ces audiences et aux décisions de la Commission, il est manifeste que les familles n’ont pas été privées de la possibilité, au titre de l’alinéa 2b) de la Charte, d’exprimer leur point de vue sur le fonctionnement de la Commission, malgré le refus des autorités de communiquer la totalité des renseignements personnels des délinquants en la possession des institutions fédérales en cause. Ainsi, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en rejetant les demandes de révision présentées par les familles relativement au refus du Service correctionnel et de la Commission de divulguer les renseignements non communiqués.
[94] L’analyse qui précède porte sur la demande de production de dossiers documentaires, mais les familles ont également demandé la production de copies des enregistrements sonores des audiences de libération conditionnelle. La SRC a présenté une demande similaire, laquelle a été traitée dans les motifs de l’arrêt SRC publiés en même temps que les présents motifs. Dans cette affaire, notre Cour a renvoyé à la Commission sa décision de refuser de communiquer les enregistrements sonores de ses audiences pour qu’elle la réexamine en fonction des considérations énoncées aux paragraphes 77 à 84 des motifs de l’arrêt.
[95] L’on pourrait penser que les familles en l’espèce pourraient se voir reconnaître le même droit, mais, malheureusement, le paragraphe 140(13) de la Loi sur le système correctionnel, reproduit ci‐dessous, leur barre la route :
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[96] Cette disposition impose une limite explicite à l’accès que peuvent avoir les victimes aux enregistrements sonores; cette limite s’applique aux familles, qui sont indubitablement des victimes, mais cette limite, comme l’a reconnu la Commission, ne l’empêche pas de fournir à la SRC des copies de ces enregistrements. Cette conclusion est sans doute fondée sur une interprétation littérale de la disposition.
[97] L’interprétation du paragraphe 140(13) exige que l’on tienne compte de la maxime inclusio unius, exclusion alterius est, qui signifie qu’une disposition qui inclut expressément une chose exclut implicitement toutes les autres choses. Ainsi, autoriser les victimes à écouter les enregistrements sonores sous-entend que le public ne peut les écouter, ni en recevoir des copies. Cela signifie également que les victimes elles‐mêmes n’ont pas d’autre accès aux enregistrements sonores que celui que leur accorde la disposition.
[98] Interpréter le paragraphe 140(13) de manière à ce qu’il donne au public l’accès aux copies des enregistrements sonores, alors que la disposition restreint les droits des familles à ces enregistrements, constituerait une anomalie. Une telle interprétation rendrait inopérant le paragraphe 140(13), à savoir un résultat invraisemblable compte tenu de la présomption selon laquelle le Parlement ne parle pas pour ne rien dire (Canada c. Loblaw Financial Holdings Inc., 2021 CSC 51, par. 64).
[99] Vu l’interprétation littérale du paragraphe 140(13) faite par la Commission, l’analyse effectuée aux termes du sous‐alinéa 8(2)m)(i) de la LPRP ne tenait pas compte des familles. Si tel avait été le cas, l’analyse se serait soldée par un résultat différent en ce qui a trait à la production documentaire. Les demandes d’accès à des copies d’enregistrements sonores sont des demandes limitées qui ne visent pas l’ensemble des renseignements personnels concernant les délinquants que la Commission a en sa possession. Comme notre Cour l’a souligné dans l’arrêt SRC, les renseignements ont déjà été divulgués durant l’audience de libération conditionnelle et, alors que le paragraphe 140(14) de la Loi sur le système correctionnel prévoit qu’ils ne sont pas accessibles au public, ils l’ont sans doute été en raison des reportages des médias. Quoi qu’il en soit, les risques associés à la divulgation ont déjà été pris. Mais ces considérations ne sont pas suffisantes pour invalider le paragraphe 140(13) pour des motifs d’ordre constitutionnel.
[100] Comme dans le cas des dossiers documentaires demandés par les familles, le refus des autorités de fournir des copies des enregistrements sonores n’a pas empêché les familles de tenir « une discussion significative sur une question d’importance pour le public »
(Criminal Lawyers’ Association, par. 31), étant donné les autres sources d’information auxquelles elles avaient accès.
[101] Cela dit, selon l’évolution de l’affaire, les familles pourraient se retrouver avec moins de droits que la SRC à l’égard des mêmes enregistrements sonores ou d’enregistrements similaires. Ce serait un résultat regrettable qui exigerait une modification législative. Les préoccupations de la Commission concernant le mauvais usage éventuel des enregistrements sonores pourraient être facilement dissipées dans le cas des familles, peut‐être par la simple remise des enregistrements sonores à leurs avocats et l’imposition des conditions nécessaires. Mais, malheureusement, rien de plus ne peut être fait pour le moment.
VI. Conclusion
[102] Pour les motifs exposés plus haut, l’appel devrait être rejeté. Les familles demandent à notre Cour de ne pas les condamner aux dépens en appel et d’annuler l’ordonnance sur les dépens que la Cour fédérale a prononcée contre elles en première instance. Elles font valoir que les principes qu’elles défendent sont des questions d’intérêt public et qu’elles devraient être traitées comme des plaideurs ayant la qualité pour agir dans l’intérêt public. Pour les raisons énoncées aux paragraphes 84 à 88 des présents motifs, les familles ne peuvent être considérées comme ayant cette qualité.
[103] Les intimés dans le présent appel n’ont pas demandé les dépens, et aucuns dépens ne devraient être accordés. Le rejet du présent appel ne permet pas à notre Cour de traiter de la question des dépens adjugés par la Cour fédérale.
« J.D. Denis Pelletier »
j.c.a.
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« Je suis d’accord. |
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Wyman W. Webb, j.c.a. » |
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« Je suis d’accord. |
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Marianne Rivoalen, j.c.a. » |
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER : |
A-225-21 |
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INTITULÉ : |
KAREN FRASER et autres c. MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE et autres |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LES 23 et 24 janvier 2023 |
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MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE PELLETIER |
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Y ONT SOUSCRIT : |
LE JUGE WEBB LA JUGE RIVOALEN |
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DATE DES MOTIFS : |
Le 27 juillet 2023 |
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COMPARUTIONS :
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Timothy Danson Marjan Delavar |
Pour les appelants |
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Roy Lee Jacob Pollice Adrian Zita-Bennett |
Pour les intimés LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, ET LA COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Danson Recht LLP Toronto (Ontario) |
Pour les appelants |
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Shalene Curtis-Micallef Sous-procureure générale du Canada |
Pour les intimés LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, ET LA COMMISSION DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA |