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Date : 20230608


Dossier : 23-A-33

Référence : 2023 CAF 134

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

WILLIAM MCCOTTER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 8 juin 2023.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20230608


Dossier : 23-A-33

Référence : 2023 CAF 134

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

WILLIAM MCCOTTER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LOCKE

[1] William McCotter, détenu dans une prison fédérale, s’est vu refuser la libération conditionnelle à plusieurs reprises. Devant notre Cour, M. McCotter demande une prorogation du délai pour interjeter appel de la décision de la Cour fédérale de rejeter sa demande de contrôle judiciaire en raison de son caractère théorique. La décision contestée, rendue le 20 janvier 2021 par la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC), avait été remplacée par une nouvelle décision datée du 25 janvier 2022. M. McCotter demande également à être dispensé des droits liés à son appel.

[2] Le procureur général du Canada (PGC) s’oppose à la requête en prorogation de délai et ne prend pas position quant à la requête en dispense de droits.

[3] Avant d’analyser les questions en litige soulevées par les présentes requêtes, je note que M. McCotter a tenté à plusieurs reprises depuis juillet 2022 d’introduire son appel et de déposer ses requêtes. M. McCotter n’est pas représenté par un avocat et tente de se conformer aux exigences de la Cour malgré les restrictions découlant de son incarcération. Une directive de la juge Marianne Rivoalen datée du 6 mars 2023 indique que le consentement du PGC est nécessaire pour que les dossiers de requête de M. McCotter lui soient dûment signifiés par télécopieur. Le PGC a donné le consentement requis dans une lettre datée du 28 mars 2023. Il a également déposé un dossier de requête en réponse le 18 avril 2023. Par conséquent, il convient à présent d’accepter les dossiers de requête pour dépôt et de statuer sur les présentes requêtes.

I. Requête en prorogation de délai

[4] Le PGC souligne que le critère de prorogation de délai est bien établi et a été formulé par notre Cour dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Hennelly, 1999 CanLII 8190, [1999] A.C.F. no 846, au para. 3 :

Le critère approprié est de savoir si le demandeur a démontré :

1. une intention constante de poursuivre sa demande;

2. que la demande est bien-fondé [sic];

3. que le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; et

4. qu’il existe une explication raisonnable justifiant le délai.

[5] Le PGC indique également à juste titre que la considération primordiale est de servir l’intérêt de la justice.

[6] Le PGC fonde son opposition à la requête en prorogation de délai sur les deuxième et troisième facteurs. Il ne conteste pas les premier et quatrième facteurs.

[7] En ce qui concerne le deuxième critère (le bien-fondé), le PGC indique que M. McCotter n’a pas démontré que la Cour fédérale avait commis une erreur en concluant que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente était rendue théorique par la décision ultérieure de la CLCC. Le PGC reconnaît que, même lorsqu’une affaire est théorique, un tribunal peut choisir de l’entendre ou non, à sa discrétion. La Cour fédérale a brièvement examiné la question du pouvoir discrétionnaire et déclaré que [traduction] « le dossier ne révèle aucun motif justifiant que soit entendue la présente demande malgré son caractère théorique ».

[8] Pour déterminer s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre une affaire qui est théorique, le tribunal doit prendre en considération les facteurs examinés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, p. 358 à 363 (Borowski). Les facteurs sont : (i) la question de savoir si un débat contradictoire demeure; (ii) le souci de l’économie des ressources judiciaires; et (iii) le respect de la fonction véritable de la Cour dans l’élaboration du droit. Bien entendu, dans le cadre de la présente requête en prorogation de délai, il s’agit de déterminer si M. McCotter a démontré le bien-fondé de son argument selon lequel la Cour fédérale n’aurait pas dû rejeter sa demande de contrôle judiciaire. Le seuil à franchir quant au « bien-fondé » d’une demande est peu exigeant.

[9] Je reconnais que la décision ultérieure de la CLCC a rendu théorique la demande de contrôle judiciaire sous-jacente en ce qu’elle a éliminé le litige actuel entre les parties. Toutefois, compte tenu des critères énoncés dans l’arrêt Borowski, il existe une réelle possibilité qu’un tribunal exerce son pouvoir pour entendre la demande. À mon avis, M. McCotter mérite d'avoir la possibilité de faire valoir que la Cour fédérale a commis une erreur en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire à cet égard.

[10] De toute évidence, il subsiste un débat contradictoire entre les parties. M. McCotter n’a toujours pas obtenu la libération conditionnelle et il demeure incarcéré. Il se présente devant notre Cour parce qu’il veut obtenir sa liberté.

[11] En ce qui concerne l’économie des ressources judiciaires, il convient d’examiner : (i) si la décision du tribunal aura un effet concret sur les droits des parties; (ii) si les questions en litige sont de nature répétitive, mais de courte durée, et si elles sont susceptibles d’échapper à l’examen judiciaire; et (iii) s’il est dans l’intérêt public de trancher les questions sur lesquelles les parties s’opposent. Bon nombre des questions que M. McCotter veut soulever se rapportent non seulement à la décision contestée de la CLCC du 20 janvier 2021, mais aussi à d’autres décisions de la CLCC le concernant. Par conséquent, une décision de la Cour fédérale pourrait avoir un effet concret sur les droits de M. McCotter. En outre, compte tenu de la manière dont la présente affaire a été portée devant la Cour, les questions en litige peuvent être de nature répétitive, mais de courte durée, et pourraient échapper à l’examen judiciaire. Il est difficile à ce stade de déterminer s’il est dans l’intérêt public de trancher les questions sur lesquelles les parties s’opposent, mais le critère d’économie des ressources judiciaires ne semble pas être un obstacle à l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’entendre la demande de contrôle judiciaire sous-jacente en dépit de son caractère théorique.

[12] Le dernier des facteurs recensés dans l’arrêt Borowski, à savoir le respect de la fonction véritable de la Cour dans l’élaboration du droit, ne semble pas non plus constituer un obstacle à l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

[13] Compte tenu du seuil peu exigeant applicable à la question du bien-fondé d’une requête en prorogation de délai, j’estime que M. McCotter s’est acquitté du fardeau qui lui incombait en l’espèce.

[14] J’en viens maintenant à l’autre facteur invoqué par le PGC pour rejeter la requête en prorogation de délai : le préjudice. Le PGC affirme qu’il subit un préjudice du fait que M. McCotter [traduction] « continue de contester les décisions de la CLCC et de la section d’appel de la CLCC qui sont rendues théoriques par des décisions judiciaires ultérieures ». À mon avis, le fait que les efforts déployés par M. McCotter pour obtenir le contrôle judiciaire des décisions de la CLCC soient constamment bloqués parce que ses demandes sont rendues théoriques par des décisions ultérieures constitue un argument qui milite en faveur de lui accorder une prorogation de délai plutôt que de la lui refuser. Il semble que l’un des rares moyens qui permette à M. McCotter de faire entendre les questions qu’il tente de soulever soit que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour entendre ses arguments en dépit de leur caractère théorique.

[15] À mon avis, tous les facteurs pertinents pour la requête en prorogation de délai sont favorables à M. McCotter. J’accueille la requête en prorogation de délai.

II. Requête en dispense de droits

[16] Comme il est indiqué ci-dessus, le PGC ne s’oppose pas à la requête en dispense de droits. Pour appuyer la présente requête, M. McCotter invoque les décisions suivantes : Spatling c. Canada (Solliciteur général), 2003 CFPI 443, et Fabrikant c. Canada, 2014 CAF 89 (Fabrikant). Chacune d’entre elles concerne une requête en dispense des droits de dépôt. En l’espèce, le montant en cause est de 50 $ (voir l’alinéa 1(1)e) du tarif A des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106) (les Règles). Cependant, la requête de M. McCotter semble aller beaucoup plus loin que la dispense des droits de dépôt. Bien que son avis de requête ne soit pas clair sur ce point, la section [traduction] « Ordonnance demandée » de son mémoire des faits et du droit vise [traduction] « tous les autres frais du tarif A ou frais connexes », et [traduction] « des fonds pour payer les services d’un avocat afin d’aider à faire avancer l’appel [de la décision de la Cour fédérale] sans autres retards ».

[17] La question d’ordonner que soient payés les services d’un avocat pour représenter une partie est totalement différente de la dispense de droits, et les observations de M. McCotter n’abordent pas cette question. Je n’ordonne pas le versement de fonds pour ce faire sur la base des documents de la requête de M. McCotter. De même, je n’ordonne pas la dispense de tous les droits comme le demande M. McCotter. Les autres droits que M. McCotter a en tête ne sont pas clairement désignés et je n’ai pas l’intention de signer un chèque en blanc. Cela dit, des droits de 20 $ sont payables au dépôt d’un avis de requête visant la prorogation du délai fixé pour l’introduction d’une instance (voir l’alinéa 1(2)a) du tarif A). J’envisage de le dispenser de ces droits en même temps que des droits de délivrance.

[18] L’arrêt Fabrikant est particulièrement utile pour examiner cette question. On y met en lumière la nature exceptionnelle de la dispense de droits. Comme le reconnaît M. McCotter, la dispense de droits n’est possible que dans des « circonstances spéciales » : voir l’article 55 des Règles. Le droit de l’appelant potentiel de s’adresser à la Cour doit être soupesé au regard de la nécessité d’exiger des droits pour des services rendus. L’arrêt Fabrikant indique également, au paragraphe 11, que « seuls des éléments de preuve détaillés et crédibles suffiront » pour démontrer l’existence de circonstances spéciales. Dans le même paragraphe, l’arrêt Fabrikant précise que, « [e]n général, les parties qui cherchent à obtenir une dispense des droits doivent décrire, en détail, leur situation financière, en précisant les montants relatifs aux sources de financement, éléments d’actif et dépenses ».

[19] À mon avis, M. McCotter a rempli les conditions permettant que soit accueillie une requête en dispense de droits. Il a fourni des renseignements détaillés sur ses revenus, ses dépenses, ses actifs et son avoir net. Je conclus que ses ressources financières sont suffisamment limitées pour justifier une dispense de droits de délivrance dans l’appel proposé ainsi que des droits payables au dépôt d’un avis de requête visant la prorogation du délai fixé pour l’introduction d’une instance. J’ordonne cette dispense.

« George R. Locke »

j.c.a.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

23-A-33

INTITULÉ :

WILLIAM MCCOTTER c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 juin 2023

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

William McCotter

 

POUR le demandeur

(Pour son propre compte)

 

Jocelyne Mui

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

 

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