Date : 20200225
Dossier : A-405-19
Référence : 2020 CAF 55
CORAM :
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LA JUGE DAWSON
LE JUGE STRATAS
LE JUGE LASKIN
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ENTRE :
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PFIZER CANADA ULC
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appelante
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et
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PHARMASCIENCE INC.
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intimée
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Audience tenue à Toronto (Ontario), le 25 février 2020.
Jugement rendu à l'audience à Toronto (Ontario), le 25 février 2020.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :
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LE JUGE LASKIN
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Date : 20200225
Dossier : A-405-19
Référence : 2020 CAF 55
CORAM :
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LA JUGE DAWSON
LE JUGE STRATAS
LE JUGE LASKIN
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ENTRE :
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PFIZER CANADA ULC
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appelante
|
et
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PHARMASCIENCE INC.
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intimée
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MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario), le 25 février 2020)
LE JUGE LASKIN
[1]
Pharmascience Inc. est la demanderesse dans une action intentée devant la Cour fédérale contre Pfizer Canada ULC aux termes du paragraphe 8(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/98‑166. Dans cette action, Pharmascience cherche à obtenir des dommages‑intérêts de Pfizer pour les ventes qu'elle a perdues lorsque l'action en interdiction de Pfizer aux termes du Règlement, laquelle a finalement été rejetée, l'a empêchée de mettre en vente le prégabaline, un analgésique commercialisé par Pfizer sous le nom LYRICA.
[2]
En défense, Pfizer a notamment soutenu que Pharmascience n'avait pas droit à des dommages‑intérêts relativement aux ventes de prégabaline qui auraient contrefait un autre de ses brevets. Elle a invoqué le paragraphe 8(5) du Règlement (qui dispose que la Cour peut rendre toute ordonnance qu'elle juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages‑intérêts), ainsi que le principe ex turpi causa non oritur actio (on ne peut se fonder sur sa propre turpitude). Pfizer n'a invoqué aucune « turpitude »
autre que la contrefaçon de brevet.
[3]
Pour établir les dommages‑intérêts aux termes du Règlement, il faut comparer ce qui s'est produit dans le « monde réel »
, dans lequel le fabricant de médicaments génériques a été écarté du marché, et ce qui se serait produit dans le « monde hypothétique »
, dans lequel le fabricant de médicaments génériques a participé au marché. En l'espèce, Pfizer n'a pas, dans le monde réel, intenté d'action contre Pharmascience pour contrefaçon de brevet après que celle-ci eût commencé à mettre en marché sa version générique du prégabaline. Pfizer a également expressément confirmé, au cours de l'interrogatoire préalable lors de l'action en dommages‑intérêts, qu'elle n'aurait pas poursuivi Pharmascience pour contrefaçon de brevet dans le monde hypothétique.
[4]
Pharmascience a déposé une requête en procès sommaire relativement aux moyens de défense de contrefaçon de brevet et du principe ex turpi causa invoqués par Pfizer. La Cour fédérale a accueilli la requête (2019 CF 1271, le juge O'Reilly) et a conclu que ces moyens de défense n'étaient pas pertinents lors de l'action en dommages‑intérêts de Pharmascience. Ce faisant, la Cour fédérale s'est appuyée (aux paragraphes 21 à 24) sur le principe, qu'elle a tiré de la jurisprudence, selon lequel « le monde hypothétique devrait refléter, dans la mesure du possible, ce qui s'est passé dans le monde réel »
.
[5]
Pfizer interjette maintenant appel de l'ordonnance de la Cour fédérale. Elle soutient que la Cour fédérale a commis une erreur de droit dans sa conclusion et que la contrefaçon hypothétique par Pharmascience de son brevet dans le monde hypothétique doit être prise en compte dans toute adjudication de dommages‑intérêts.
[6]
Nous rejetons cette prétention, essentiellement pour les motifs de la Cour fédérale. En fait, à notre avis, la Cour fédérale pouvait et aurait dû aller plus loin qu'elle ne l'a fait et se déclarer liée par l'arrêt de la Cour suprême du Canada Sanofi‑Aventis c. Apotex Inc., 2015 CSC 20, [2015] 2 R.C.S. 136. Dans cet arrêt, la Cour suprême a confirmé la décision majoritaire des juges de notre Cour (le juge dissident était d'accord avec les juges majoritaires au sujet de cette question précise) dans l'arrêt Apotex Inc. c. Sanofi‑Aventis, 2014 CAF 68, [2015] 2 R.C.F. 828. Comme l'a fait remarquer à bon droit la Cour fédérale (au paragraphe 21) :
L'affaire Apotex c. Sanofi appuie l'assertion selon laquelle l'absence d'obstacles à l'entrée sur le marché dans le monde réel devrait primer dans le monde hypothétique; dans la mesure où un fabricant de médicaments génériques aurait pu réaliser des ventes sans opposition de la part du titulaire de brevet, ces ventes devraient être prises en compte dans le calcul des pertes liées au médicament en question.
[7]
Vu cette affirmation, la thèse de Pfizer ne peut être accueillie en raison des faits énoncés au paragraphe 3 qui précède. Et vu la confirmation de la Cour suprême, l'arrêt Apotex c. Sanofi lie non seulement la Cour fédérale, mais également notre Cour.
[8]
Nous rejetons également la prétention selon laquelle la Cour fédérale a omis de prendre en compte la décision de notre Cour Apotex Inc. c. Eli Lilly and Company, 2018 CAF 217, ou que celle‑ci nous oblige à en arriver à une conclusion différente. La Cour fédérale n'a pas mentionné cet arrêt dans ses motifs; toutefois, les avocats reconnaissent que les parties l'ont invoqué dans leurs observations. Nous ne pouvons pas présumer que la Cour ne l'a pas pris en compte. Quoi qu'il en soit, notre Cour a indiqué dans cet arrêt (au paragraphe 4) que « les faits de la présente affaire sont tellement inhabituels qu'il serait imprudent de s'en servir pour formuler des principes généraux de droit »
. De plus, rien dans les motifs de la Cour fédérale n'indique qu'elle avait l'intention de mettre en doute les conclusions de l'arrêt Apotex c. Sanofi, qui la liait.
[9]
Par conséquent, l'appel sera rejeté avec dépens.
« J.B. Laskin »
j.c.a.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Dossier :
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A-405-19
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INTITULÉ :
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PFIZER CANADA ULC c. PHARMASCIENCE INC.
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LIEU DE L'AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L'AUDIENCE :
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Le 25 février 2020
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MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :
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LA JUGE DAWSON
LE JUGE STRATAS
LE JUGE LASKIN
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PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :
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LE JUGE LASKIN
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COMPARUTIONS :
Orestes Pasparakis
David Yi
William Chalmers
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Pour l'appelante
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Marcus Klee
Devin Doyle
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Pour l'intimée
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L./s.r.l.
Toronto (Ontario)
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Pour l'appelante
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Aitkin Klee LLP
Ottawa (Ontario)
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Pour l'intimée
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