Date : 20171004
Dossier : A-351-16
Référence : 2017 CAF 204
[traduction française]
CORAM :
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LE JUGE WEBB
LE JUGE BOIVIN
LE JUGE RENNIE
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ENTRE :
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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appelant
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et
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GENDARME ROBERT McBAIN
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intimé
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Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 4 octobre 2017.
Jugement rendu à l’audience à Edmonton (Alberta), le 4 octobre 2017.
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :
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LE JUGE BOIVIN
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Date : 20171004
Dossier : A-351-16
Référence : 2017 CAF 204
[traduction française]
CORAM :
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LE JUGE WEBB
LE JUGE BOIVIN
LE JUGE RENNIE
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ENTRE :
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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appelant
|
et
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GENDARME ROBERT McBAIN
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intimé
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MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l’audience à Edmonton (Alberta), le 4 octobre 2017).
LE JUGE BOIVIN
[1]
La Couronne interjette appel du jugement rendu par le juge Manson de la Cour fédérale (le juge) le 19 juillet 2016 (répertorié sous la référence 2016 CF 829 (la décision)). Le juge a accueilli la demande de contrôle judiciaire que l’intimé avait présentée à l’encontre d’une décision du commissaire (le commissaire) de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Le commissaire avait été saisi d’un appel administratif interjeté par l’intimé à l’encontre d’une décision par laquelle le comité d’arbitrage de la GRC (le Comité) avait conclu que l’intimé s’était conduit de façon scandaleuse et avait ordonné à ce dernier de démissionner de son poste à la GRC dans un délai de quatorze jours sous peine de congédiement. Le commissaire a conclu que le Comité avait porté atteinte au droit de l’intimé à l’équité procédurale, mais il a confirmé la conclusion qu’il avait rendue et la sanction qu’il avait imposée au motif que le résultat était inéluctable sur le plan juridique. Dans le présent appel, notre Cour doit déterminer si le juge a commis une erreur en accueillant la demande de l’intimé en raison d’un manquement à l’équité procédurale et en renvoyant l’affaire à un comité différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.
[2]
Notre Cour, lorsqu’elle est saisie de l’appel d’un contrôle judiciaire, doit déterminer si le juge a identifié la norme de contrôle approprié et s’il l’a appliquée correctement. Notre Cour doit donc se « met[tre] à la place »
du juge et se concentrer sur la décision administrative en cause (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, aux paragraphes 45 à 47).
[3]
Dans ses motifs, le juge a procédé à un examen complet des faits et de l’historique procédural de l’affaire (aux paragraphes 2 à 37). Par conséquent, seul un bref résumé sera fait en l’espèce.
[4]
L’intimé a fait l’objet d’une procédure disciplinaire devant le Comité (maintenant le Comité de déontologie) au motif qu’il aurait eu des rapports sexuels avec une citoyenne au cours d’une interaction professionnelle. Pendant l’audience, le Comité a entendu un nombre important d’éléments de preuve non admissibles se rapportant à la question de savoir si les rapports sexuels étaient consensuels et au manque de franchise de l’intimé à la suite de l’incident. Le Comité s’est largement fondé sur ces éléments de preuve dans ses motifs. Il a finalement refusé la proposition conjointe sur la sanction soumise par les parties (une réprimande et la confiscation de la solde pour une période de dix jours) et a ordonné à l’intimé de démissionner.
[5]
L’intimé a interjeté appel de la décision rendue par le Comité devant le commissaire au motif que l’audience était inéquitable sur le plan procédural. Le commissaire a renvoyé l’appel au Comité externe d’examen de la GRC (le CEE) afin qu’il fasse une recommandation, conformément au paragraphe 45.15(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, c. R-10 (la Loi). Le CEE a conclu que le droit de l’intimé à l’équité procédurale avait été gravement violé et a recommandé que le commissaire accueille l’appel. Il a recommandé que le commissaire ordonne la tenue d’une nouvelle audience ou, à titre subsidiaire, qu’il accepte la proposition conjointe sur la sanction soumise par les parties.
[6]
Le commissaire a convenu que le droit de l’intimé à l’équité procédurale avait été violé, mais il a décidé de rendre la décision qui aurait dû être rendue. Il a ainsi conclu qu’une nouvelle audience aurait inévitablement mené au même résultat et a lui‑même prononcé l’ordonnance.
[7]
Saisi de la demande de contrôle judiciaire de l’intimé, le juge a conclu que la décision du commissaire n’avait pas remédié aux manquements à l’équité procédurale survenus dans le cadre de la décision initiale (au paragraphe 51) et a donc ordonné la tenue d’une nouvelle audience devant un comité différemment constitué.
[8]
La question de savoir si un décideur administratif a respecté le principe de l’équité procédurale doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, au paragraphe 79).
[9]
Les manquements à l’équité procédurale rendent habituellement une décision invalide; en général, la réparation consiste en la tenue d’une nouvelle audience (Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, [1985] A.C.S. no 78 (QL)).
[10]
Il existe des exceptions à cette règle quand le résultat est inéluctable sur le plan juridique (Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, aux pages 227 et 228; 1994 CarswellNfld 211, aux paragraphes 51 à 54) [Mobil Oil] ou quand le manquement à l’équité procédurale a été corrigé en appel (Taiga Works Wilderness Equipment Ltd. c. British Columbia (Director of Employment Standards), 2010 BCCA 97, [2010] B.C.J. No. 316 (QL), au paragraphe 38 [Taiga Works]).
[11]
En l’espèce, la loi exigeait également que le commissaire motive sa décision de ne pas tenir compte de la recommandation du CEE (la Loi, paragraphe 45.16(6)).
[12]
Nous ne partageons pas l’opinion du commissaire selon laquelle le résultat en l’espèce était inéluctable sur le plan juridique (Mobil Oil). Le Comité n’avait pas tenu compte de la proposition conjointe sur la sanction et s’était largement fondé sur des éléments de preuve non admissibles pour arriver à sa décision. Il est loin d’être certain que le Comité serait arrivé au même résultat, n’eût été les manquements à l’équité procédurale. La Couronne a reconnu que l’arrêt Mobil Oil ne s’applique pas en l’espèce.
[13]
Nous ne croyons pas non plus que la procédure devant le commissaire a permis de remédier aux manquements à l’équité procédurale. Dans l’arrêt Taiga Works, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique adopte les cinq facteurs relevés par De Smith, Woolf et Jowell dans l’ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action, 5e éd. (London : Sweet & Maxwell, 1995), aux pages 489 et 490, afin de détermine si une procédure d’appel a permis de remédier à des défauts de procédure antérieurs. Il s’agit de (i) la gravité de l’erreur commise en première instance; (ii) la probabilité que les effets préjudiciables de l’erreur puissent se répercuter sur la nouvelle audience; (iii) la gravité des conséquences pour la personne concernée; (iv) l’étendue des pouvoirs de l’organisme d’appel; et (v) la question de savoir si la décision d’appel est rendue sur la seule foi des documents dont disposait le décideur initial ou à l’issue d’une nouvelle audience.
[14]
En l’espèce, les erreurs commises en première instance étaient graves et il est probable que l’effet de ces erreurs se soit répercuté sur l’instance au cours de laquelle le commissaire a examiné des éléments de preuve non admissibles. Il n’était pas contesté que les conséquences pour l’intimé étaient graves et que le commissaire était toujours dans l’obligation de faire preuve d’équité procédurale envers l’intimé. En l’espèce, le commissaire, en s’appuyant sur l’arrêt Mobil Oil, a décidé de ne pas ordonner la tenue d’une nouvelle audience et a rendu sa décision sur la base du dossier dont il disposait, et ce dossier était entaché de violations antérieures de l’équité procédurale.
[15]
Par conséquent, nous sommes donc tous d’avis que le commissaire a commis une erreur de droit en refusant d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience. Le juge est arrivé à la même conclusion et nous souscrivons à ses motifs à cet égard. Dans son examen de la décision du commissaire, il a identifié la norme de contrôle appropriée et l’a appliquée correctement. Il n’a commis aucune erreur justifiant l’intervention de notre Cour.
[16]
Pour ces motifs, l’appel sera rejeté avec dépens.
« Richard Boivin »
j.c.a.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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A-351-16
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INTITULÉ :
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. GENDARME ROBERT McBAIN
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Edmonton (Alberta)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 4 OCTOBRE 2017
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MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :
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LE JUGE WEBB
LE JUGE BOIVIN
LE JUGE RENNIE
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PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :
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LE JUGE BOIVIN
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COMPARUTIONS :
Christine Ashcroft
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POUR L’APPELANT
|
D. Robb Beeman
|
POUR L’INTIMÉ
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
|
POUR L’APPELANT
|
McLennan Ross LLP
Calgary (Alberta)
|
POUR L’INTIMÉ
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