Date : 20141208
Dossier : IMM-5140-13
Référence : 2014 CF 1183
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2014
En présence de monsieur le juge Roy
ENTRE : |
LJUCA JUNCAJ, DIELL LUCA (ALIAS DIELL JUNCAJ), VINCE JUNCAJ ET VIKTOR JUNCAJ |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
ORDONNANCE ET MOTIFS
[1] VU la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27;
[2] ET APRÈS AVOIR examiné le dossier et reçu les observations des avocats;
[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.
[4] La présente affaire soulève la question des difficultés qui existent entre l’insuffisance des motifs d’une décision et ce qui paraît être une grande confusion dans les motifs de la décision.
[5] D’une part, la Cour suprême du Canada déclare de façon non équivoque que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCF 708 (Nurses’ Union)). En fait, les juges qui effectuent le contrôle sont invités à examiner « le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (au paragraphe 15).
[6] D’autre part, les juges qui effectuent le contrôle doivent pouvoir s’assurer du caractère raisonnable de la décision. Des erreurs répétées touchant des questions importantes remettent en question le caractère raisonnable de la décision (Nurses’ Union, au paragraphe 22).
[7] Dans ses motifs, la SPR a commis beaucoup d’erreurs graves relativement à la preuve qui lui a été soumise par les demandeurs, comme cela ressort des transcriptions de l’audience. De nombreux faits et événements sont erronément attribués au mauvais demandeur adulte, de sorte que le récit énoncé par la SPR n’a aucune logique. On a confondu les nationalités des deux demandeurs adultes. Certains faits, dont les demandeurs ont déclaré dans leurs témoignages qu’ils ont eu lieu au Monténégro sont présentés par la SPR comme s’étant déroulés en Albanie. L’effet général et combiné de ces erreurs a eu pour conséquence que la décision a été rédigée et rendue sans aucune prise en compte ni appréciation de la preuve soumise à la SPR.
[8] Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47. Selon la Cour, ces erreurs touchent au cœur même de l’affaire et ont conduit à un résultat déraisonnable; la décision de la SPR n’est ni transparente ni intelligible. Sans que la Cour substitue son appréciation de la preuve à celle de la SPR, ce qui n’est pas permis dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il n’est pas possible de comprendre avec quelque exactitude que ce soit si la décision soumise au contrôle est raisonnable.
[9] Les commentaires formulés par la Cour d’appel fédérale il y a plus de 22 ans dans l’arrêt Uddin c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] CAF no 445 semblent s’appliquer en l’espèce :
-- Malgré la qualité des présentations des procureurs de l’intimé, nous sommes tous d’avis que la décision attaquée ne saurait être maintenue.
Le nombre des imprécisions et erreurs que le procureur de l’appelant a pu relever dans l’énoncé des faits tel que formulé dans la décision, dont certaines d’importance majeure, nous laissent l’impression que les membres ont eu des difficultés à suivre le témoignage du revendicateur et que, partant, leur analyse de la preuve, leur appréciation de la crédibilité de l’appelant, nous paraissent trop suspectes pour ne pas requérir notre intervention.
[10] Dans un vaillant effort visant à obtenir le maintien de la décision contestée, le ministère public allègue que la conclusion de la SPR relativement à l’existence de la protection de l’État est raisonnable et que cela suffit en soi à trancher la présente affaire.
[11] Il y a des commentaires à formuler quant à un tel argument. La présomption de l’existence de la protection de l’État ne peut être renversée que par une preuve claire et convaincante (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCF 689). Le droit n’exige pas que la protection soit parfaite. Je partage le point de vue exprimé par le juge en chef de la Cour selon qui : « [i]l n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce qu’une personne qui fait appel à l’aide et à la générosité du Canada fasse des efforts sérieux pour recenser et épuiser toutes les sources raisonnablement existantes de protection potentielle dans son pays d’origine, sauf s’il existe un fondement incontestable au défaut d’agir ainsi » (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 50).
[12] Toutefois, vu les nombreuses erreurs faites dans la décision, il ne serait pas juste de trancher la présente affaire au motif que la décision est convaincante en ce qui concerne l’existence de la protection de l’État. Selon la Cour, elle ne l’est pas. L’extrait de la transcription auquel le ministère public a fait précisément référence dans son mémoire des faits et du droit relativement à la question de la protection de l’État tend lui aussi à démontrer une grande confusion de la part de la SPR. La décision de la SPR s’avère aussi dépourvue de logique. La même confusion factuelle ressort des motifs donnés à l’appui de la conclusion d’existence de la protection de l’État, malgré que la SPR reconnaisse que le phénomène des « vendettas » pourrait ne pas avoir été éradiqué.
[13] La résolution de la présente affaire était déficiente, et il est de l’intérêt de la justice qu’elle soit renvoyée à la SPR pour qu’un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur elle. Les présents motifs ne devraient pas être interprétés comme étant un appui à la position selon laquelle les demandeurs ont droit au statut de réfugiés. Une telle question relève entièrement de la compétence du nouveau tribunal de la SPR.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur celle‑ci. Aucune question n’est certifiée.
« Yvan Roy »
Juge
Traduction certifiée conforme
L. Endale
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-5140-13
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INTITULÉ : |
LJUCA JUNCAJ, DIELL LUCA (ALIAS. DIELL JUNCAJ), VINCE JUNCAJ ET VIKTOR JUNCAJ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 1er décembre 2014
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ORDONNANCE ET MOTIFS : |
LE JUGE ROY
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DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS : |
Le 8 décembre 2014
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COMPARUTIONS :
Yehuda Levinson
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POUR LES DEMANDEURS
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Kareena R. Wilding
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Levinson & Associates Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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