Date : 20141204
Dossier : IMM-2791-14
Référence : 2014 CF 1163
Montréal (Québec), le 4 décembre 2014
En présence de monsieur le juge Simon Noël
ENTRE : |
ALEXIS CESAR TAPANES ORSA |
demandeur |
et |
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
Défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Introduction
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision rendue le 21 mars 2014 par la commissaire Sophie Roy de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejetant la demande de rétablissement du demandeur en vertu de l’article 60 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [Règles de la SPR].
II. Faits
[2] Le demandeur, Alexis Cesar Tapanes Orsa, est âgé de 50 ans et est originaire de Cuba.
[3] Il est arrivé au Canada le 28 septembre 2013. Il a demandé l’asile le 13 novembre 2013 et la date d’audience a été fixée au 13 janvier 2014 devant la SPR.
[4] Maître Ianniciello, qui représentait le demandeur au moment du dépôt de sa demande d’asile, a avisé la SPR le 8 janvier 2014 de son retrait à titre de conseil inscrit au dossier.
[5] Le demandeur a retiré sa demande d’asile le 9 janvier 2014 au moyen d’un avis écrit déposé au greffe de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR]. Sur place, on lui a offert les services d’un interprète qui lui a lu, en espagnol, toutes les informations se trouvant sur l’avis de retrait.
[6] Le demandeur s’est présenté la même journée à l’Agence des Services frontaliers du Canada [ASFC], où il a été informé qu’il doit quitter le Canada. Après son retour au centre où il était hébergé, le demandeur est dans un état d’anxiété prononcé et est transporté en ambulance à l’hôpital. Il est vu par un urgentologue qui diagnostique de l’anxiété et lui donne les conseils appropriés. Il est noté qu’il n’y a pas lieu à une évaluation et aucun médicament n’est prescrit.
[7] La SPR a reçu, le 10 janvier 2014, un avis de « recomparution » de Maître Ianniciello précisant qu’elle reprenait son rôle de conseil inscrit au dossier et d’ignorer le retrait de la demande d’asile du demandeur déposé le 9 janvier 2014.
[8] La SPR a reçu la demande de rétablissement le 3 février 2014.
[9] L’ASFC a informé le tribunal le 7 février 2014 qu’elle n’avait pas d’information contradictoire à fournir à la demande du demandeur et que le tout était laissé à la discrétion du Tribunal.
[10] La SPR a reçu une lettre de la clinique médicale des demandeurs d’asile et des réfugiés [CDAR] du Centre de santé et de services sociaux de la Montagne le 26 février 2014 attestant que le demandeur était suivi pour son « trouble anxieux avec attaque de panique » depuis le 23 janvier 2014, qu’il était sous médication pour le sommeil, et où on lui prescrit le traitement conservateur, soit l’exercice, la relaxation et la pratique d’activité de loisirs.
III. Décision contestée
[11] Le Ministre n’a pas présenté d’information contradictoire à l’encontre de la demande de rétablissement de la demande d’asile et laisse la décision à l’entière discrétion de la SPR.
[12] La SPR présente d’abord le processus à suivre en vertu du paragraphe 60(3) des Règles de la SPR afin de décider si le rétablissement d’une demande d’asile doit être accueilli : la SPR doit évaluer s’il y a eu un manquement à un principe de justice naturelle ou s’il est dans l’intérêt de la justice de le faire.
[13] Après avoir examiné le dossier dans son ensemble, la SPR conclut qu’il n’y a pas eu de manquement à un principe de justice naturelle et qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice de rétablir la demande.
[14] En ce qui a trait au manquement à un principe de justice naturelle :
• La SPR a accepté que le demandeur ait souffert d’une grande anxiété le 9 janvier 2014;
• La SPR a tenu compte de la lettre d’attestation médicale signée par un médecin de CDAR qui indique que le demandeur souffre de troubles anxieux avec attaques de panique ainsi que d’insomnie;
• La SPR note que le demandeur est médicamenté pour soigner son insomnie et qu’il a entrepris un traitement conservateur, sans médicament, pour contrôler son anxiété, soit par l’exercice, la relaxation et la pratique de loisir;
• Bien que la SPR soit sensible aux problèmes d’anxiété dont souffre le demandeur, ce dernier n’a été vu que par un médecin généraliste et n’a pas été référé à un spécialiste;
• La lettre du médecin est silencieuse sur la question à savoir si les troubles d’anxiété du demandeur ont eu un effet sur sa capacité de prendre des décisions. La SPR est donc d’avis que cette lettre est insuffisante pour démontrer que le demandeur n’avait pas la capacité de prendre la décision de retirer sa demande d’asile et qu’il avait plutôt la capacité de comprendre les conséquences de son geste au moment du retrait de sa demande d’asile;
• Bien que le demandeur n’était plus représenté au moment du retrait de sa demande d’asile, rien n’indique qu’il ne pouvait pas consulter un autre avocat avant de signer son avis de retrait;
• La SPR est d’avis que la CISR a pris les mesures adéquates le 9 janvier 2014 lorsque le demandeur s’est présenté pour retirer sa demande d’asile. Un interprète espagnol lui a lu toutes les informations se trouvant sur l’avis de retrait;
- La SPR est donc d’avis que le demandeur était informé des conséquences du retrait de sa demande d’asile. Il n’y a donc pas eu de manquement à un principe de justice naturelle.
[15] Quant à la question de l’intérêt de la justice :
• La SPR a tenu compte de toutes les circonstances entourant le dossier du demandeur en vertu du paragraphe 60(4) des Règles de la SPR, ainsi que de l’arrêt Ohanyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1078 [Ohanyan]. Cet arrêt discute du large pouvoir discrétionnaire de la SPR dans le rétablissement d’une demande d’asile;
• La SPR a tenu compte du niveau d’éducation du demandeur, le fait qu’il avait préparé avec soin sa demande d’asile et qu’il rencontrait régulièrement son avocate afin de se préparer pour son audience;
• Bien qu’il y a un court délai entre le retrait de sa demande d’asile et sa demande de rétablissement, la SPR est d’avis qu’il n’y a pas de preuve démontrant que le demandeur n’était pas apte à prendre la décision du retrait de sa demande d’asile le 9 janvier 2014;
• La SPR est d’avis que la Loi, le règlement et les Règles de la SPR ont été correctement suivis et qu’il n’y a pas eu d’irrégularités pouvant entacher la procédure.
IV. Prétentions des parties
[16] Le demandeur affirme premièrement que la SPR a mal évalué son état mental, parce qu’il était incapable de comprendre les conséquences du retrait de sa demande d’asile au moment où il a agi. Le demandeur ajoute que la SPR a minimisé l’état mental du demandeur au paragraphe 25 de sa décision. Il soutient également que bien que le médecin traitant du demandeur soit un médecin généraliste, ce dernier est compétent pour traiter le demandeur. Le défendeur répond que la SPR a bien évalué l’état de santé du demandeur et ne l’a pas minimisé, étant donné que la SPR a tenu compte de toute la preuve présentée et a reconnu que le demandeur souffrait d’anxiété. En l’absence de preuve démontrant que le demandeur n’avait pas la capacité de décider de retirer sa demande d’asile, la SPR pouvait raisonnablement conclure qu’il était en mesure de comprendre les conséquences du retrait de sa demande.
[17] Le demandeur allègue que bien qu’un interprète espagnol lui ait lu une clause standard du document de retrait d’une demande d’asile, rien ne prouve qu’il ait véritablement compris ce que l’interprète lui lisait à ce moment. L’interprète ne devait que constater que le demandeur comprenne les mots qui lui étaient lus et non de s’assurer s’il comprend les conséquences de son geste. Le défendeur réplique qu’en absence de preuve démontrant que le demandeur n’avait pas la capacité de comprendre les conséquences du retrait de sa demande d’asile, il était raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur avait bien compris ce qui lui a été traduit. De plus, le libellé de la clause de retrait était clair et sans ambiguïté.
[18] En ce qui a trait à l’intérêt de la justice, le demandeur soumet que la SPR n’a pas expliqué les motifs pour lesquels il n’était pas dans l’intérêt de la justice d’accorder la demande de rétablissement du demandeur. Il s’appuie sur la décision Castillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1227, [2009] ACF no 1546 [Castillo] à cet effet. Le défendeur soumet que cette décision se distingue des faits en l’espèce, parce que dans cette affaire, la Cour avait noté que « les motifs de la Commission ne traitent que des aspects de [TRADUCTION] « l’intérêt de la justice » défavorables au rétablissement, et non des aspects favorables » (Ibid au para 18, mémoire du défendeur au para 43), ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le défendeur est de l’opinion que la SPR a bien expliqué les motifs de sa décision quant à sa conclusion défavorable dans son analyse de l’intérêt de la justice.
[19] Le demandeur avance finalement que nul ne serait vexé si la SPR devait accorder la demande de rétablissement de la demande d’asile du demandeur, en lui accordant le bénéfice du doute quant à sa capacité de comprendre les conséquences du retrait de sa demande alors qu’il n’avait pas de représentation juridique et qu’il était dépressif et suicidaire au moment du retrait de sa demande. Le défendeur est par contre de l’opinion que la décision de la SPR est raisonnable.
V. Questions en litige
[20] Le demandeur soumet les questions en litige suivantes :
- La SPR a-t-elle omis de tenir suffisamment compte de l’état mental de M. Alexis Cesar Tapanes Orsa lorsque celui-ci a retiré sa demande d’asile?
- La SPR a-t-elle suffisamment motivé sa conclusion relative à « l’intérêt de la justice »?
[21] Le défendeur ne propose aucune question en litige.
[22] Après avoir révisé les prétentions des parties et les questions en litige soumises par le demandeur, je propose la question en litige suivante :
La décision de la SPR refusant le rétablissement de la demande d’asile du demandeur est-elle raisonnable?
VI. Norme de révision
[23] Les parties s’entendent sur la norme de la décision raisonnable pour l’examen d’une demande de rétablissement d’une demande d’asile.
[24] Effectivement, la question en litige soulevée dans le présent dossier est une question mixte de fait et de droit. Selon la jurisprudence de la Cour, cette question doit être évaluée sous la norme de la décision raisonnable (Posada Arcila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 210, [2013] ACF no 235 au para 15 [Arcila]; Castillo, supra au para 3). Cette Cour n’interviendra donc que si la décision est déraisonnable, soit qu’elle tombe en dehors « des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).
VII. Analyse
[25] Je suis d’accord avec l’analyse proposée par le défendeur. La décision de la SPR est raisonnable et l’intervention de cette Cour n’est donc pas justifiée.
[26] En vertu du paragraphe 60(3) des Règles de la SPR, la SPR « ne peut accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi ou qu’il est par ailleurs dans l’intérêt de la justice de le faire ». Le paragraphe 60(4) de ces mêmes Règles ajoute que « pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment le fait que la demande a été faite en temps opportun et, le cas échéant, la justification du retard ».
[27] En premier, la SPR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas eu de manquement à un principe de justice naturelle. Le demandeur avance que la SPR a mal évalué son état mental parce qu’il était incapable de comprendre les conséquences du retrait de sa demande d’asile au moment où il a agi. À mon avis, la SPR a tenu compte de la preuve sur l’état mental du demandeur et l’a correctement évalué. En effet, ce n’est qu’après avoir tenu compte de toute la preuve présentée au dossier que la SPR s’est dite ne pas être convaincue que l’état mental du demandeur l’a empêché de comprendre les conséquences du retrait de sa demande d’asile. En l’espèce, la SPR a tenu compte du fait que le demandeur a souffert d’une crise d’anxiété le soir du retrait de sa demande d’asile, de la lettre médicale soumise au dossier, du fait que le demandeur n’était pas médicamenté pour ses troubles d’anxiété, du fait que le demandeur n’était pas représenté lors du retrait de sa demande, mais que rien ne l’empêchait de consulter un avocat avant de signer son retrait, et du fait qu’un interprète espagnol lui a lu toutes les informations se trouvant sur l’avis de retrait. Je suis donc de l’avis du défendeur que pour toutes ces raisons et en l’absence de preuve contraire, la SPR a raisonnablement déterminé que le demandeur était bien informé et qu’il comprenait les conséquences de la décision du retrait de sa demande d’asile. Il est notoire que la preuve médicale est inadéquate et qu’elle n’établit pas que l’état mental du demandeur était tel qu’il ne savait pas ce qu’il signait. Les notes de l’urgentologue, le soir, lorsqu’il l’a vu, constate un état d’anxiété, note que le demandeur collabore bien et ne recommande pas aucune évaluation ou médicament. Le demandeur retourne chez lui. Si l’état mental du demandeur avait été hors de contrôle, l’urgentologue n’aurait pas fait de telles recommandations. En conséquence, il n’y a eu aucun manquement à un principe de justice naturelle.
[28] L’analyse de l’intérêt de la justice par la SPR est également raisonnable. Le juge Phelan résume très bien cette partie de l’analyse dans une demande de rétablissement :
L’expression « par ailleurs dans l’intérêt de la justice » [paragraphe 60(3) des Règles de la SPR] a un sens large et donne à la Commission un pouvoir discrétionnaire étendu pour rétablir une demande, mais cela exige de sa part qu’elle pèse toutes les circonstances d’une affaire, et non pas uniquement sous l’angle des intérêts d’un demandeur. Le rétablissement est une exception à la norme et doit être interprété et appliqué dans ce contexte (Ohanyan, supra au para 13).
[29] En l’espèce, la SPR a tenu compte des aspects favorables et défavorables au rétablissement de la demande d’asile du demandeur, incluant ceux mentionnés précédemment. La SPR a également considéré le court laps de temps entre le retrait de la demande d’asile et la demande de rétablissement du demandeur, de la reprise de contact entre le demandeur et son avocate et le fait que le demandeur ait agi de façon diligente dans la préparation de sa demande d’asile. La SPR a donc tenu compte de toutes les circonstances en l’espèce. C’est dans ce cadre d’analyse que la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur a librement pris la décision de retirer sa demande d’asile et qu’il en connaissait les conséquences.
[30] La décision de refuser le rétablissement de la demande d’asile du demandeur est par conséquent raisonnable et fait partie des issues acceptables eu égard aux faits et au droit.
VIII. Conclusion
[31] Étant donné que le rétablissement d’une demande d’asile est une exception à la norme (Arcila, supra, au para 16) et le manque de preuve fourni par le demandeur au soutien de sa demande de rétablissement, je conclus que la décision de la SPR est raisonnable. La SPR a raisonnablement conclu qu’il n’y a pas eu de manquement à un principe de justice naturelle et qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’accueillir la demande de rétablissement. L’intervention de cette Cour n’est pas justifiée.
[32] Les parties ont été invitées à présenter des questions aux fins de certification, mais aucune question n’a été proposée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.
« Simon Noël »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-2791-14
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INTITULÉ : |
ALEXIS CESAR TAPANES ORSA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 2 décembre 2014
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JUGEMENT ET MOTIFS: |
LE JUGE SIMON NOËL
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DATE DES MOTIFS : |
LE 4 décembre 2014
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COMPARUTIONS :
Chantal Ianniciello
|
pour le demandeur
|
Caroline Doyon
|
pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Chantal Ianniciello Montréal (Québec)
|
pour le demandeur
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec)
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pour le défendeur
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