Date : 20141125
Dossier : IMM-5378-13
Référence : 2014 CF 1131
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2014
En présence de monsieur le juge Zinn
ENTRE : |
OSCAR RENE DIAZ ANGULO, MARGARITA GONZALES DE DIAZ, RENE OSCAR DIAZ GONZALES ET |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] À la fin de l’audience, les parties ont été informées que la présente demande serait accueillie et que des motifs écrits seraient fournis ultérieurement.
[2] Les demandes d’asile présentées par les demandeurs ont été rejetées par le commissaire Fiorino en raison de leur manque de vraisemblance. Il a précisé : « Je suis obligé de rendre une décision fondée sur des éléments de preuve réputés crédibles et dignes de foi. Je n’en ai trouvé aucun. »
[3] La Cour n’a pas à faire preuve de retenue lorsque les conclusions tirées par le décideur en matière de crédibilité se fondent sur des erreurs de droit et des conclusions de fait déraisonnables. Dans la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire, de nombreuses erreurs de cette nature ont été commises, si bien qu’il est hasardeux de se fier à la décision. Les demandes d’asile des demandeurs seront renvoyées à un autre commissaire dûment instruit en droit pour que celui‑ci statue à nouveau sur l’affaire.
Le contexte
[4] Les demandeurs sont tous des citoyens de la Bolivie. Oscar Rene Diaz Angulo (M. Diaz Angulo) est le mari de Margarita Gonzales de Diaz (Mme Gonzales de Diaz). Ils sont les parents de Rene Oscar Diaz Gonzales (Rene) et de Pady Karina Diaz Gonzales (Karina).
[5] En 1998, l’autre fille de M. Diaz Angulo et de Mme Gonzales de Diaz, Marcela Karen Diaz Gonzalez (Marcela) a fait la connaissance d’Anibal Christyan Monte Rey Nunez (Christyan) à Cochambamba, la ville natale des demandeurs, et elle l’a par la suite épousé. Christyan avait déjà eu des liens avec un professeur et dirigeant politique, Marcelo Saenz (M. Saenz), qui a été assassiné le 28 mai 1998. Christyan était au fait de cet assassinat, particulièrement qu’il avait été organisé par un politicien, Pablo Ramos. Parce qu’il était au courant de cela et qu’il avait eu des liens avec M. Saenz, Christyan s’est enfui à Cochambamba. En raison du lien entre Marcela et Christyan, les demandeurs affirment avoir eux aussi été ciblés par les autorités boliviennes.
[6] Ils allèguent que, de septembre 1998 à mai 1999, ils ont été ciblés par des agents de sécurité du ministère de l’Intérieur dans trois incidents violents. Ces incidents ont été signalés à la police qui n’a pas donné suite à leurs dénonciations. En 2000, les demandeurs, Marcela, Christyan et la famille de ce dernier se sont enfuis aux États‑Unis.
[7] Aucun d’eux n’a revendiqué le statut de réfugié aux États‑Unis, en raison de ce qu’ils ont décrit comme étant un avis juridique peu judicieux. Bien que ce défaut de demander l’asile puisse être jugé pertinent relativement à la crainte subjective des demandeurs et des autres personnes qui les accompagnaient, il ne présente aucun intérêt en l’espèce. Christyan et Marcela se sont mariés aux États‑Unis et, au fil du temps, leurs familles se sont rendues au Canada et y ont demandé l’asile. Leurs demandes se fondaient toutes sur des faits identiques – des allégations d’exposition à de la persécution de la part des autorités étatiques du fait que Christyan était au courant des circonstances entourant le meurtre de M. Saenz et du fait qu’il avait eu des liens avec celui‑ci.
[8] En 2006, le commissaire Mutuma de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que Christyan et Marcela avaient la qualité de réfugié au sens de la Convention. En 2008, le père, la mère et le frère de Christyan se sont vu reconnaître cette qualité par le commissaire Short de la SPR.
[9] M. Diaz Angulo, Mme Gonzales de Diaz et Rene sont arrivés au Canada le 7 avril 2009; Karina est arrivée plus tard. Ils ont tous immédiatement demandé l’asile. Ils ont rempli leur formulaire de renseignements personnels (FRP) le 23 avril 2009, sans l’aide d’un conseil.
[10] Les demandeurs ont ensuite retenu les services d’un conseil, qui les a aidés à rédiger un FRP modifié qui a été produit presque trois ans plus tard, soit le 21 janvier 2012 – juste avant leur première comparution devant la SPR concernant leurs demandes d’asile. L’audience a été reportée lorsque le commissaire McBean s’est aperçu que Katrina avait été déclaré coupable d’une infraction criminelle et qu’il devait donner au ministre la possibilité d’intervenir. Le ministre n’est pas intervenu.
[11] Le 5 juin 2012, les demandeurs ont comparu de nouveau devant le commissaire McBean qui a constaté qu’il était fait état dans les documents dont il disposait du fait que les demandes d’asile de Marcela et de Christyan ainsi que celles de la famille de ce dernier avaient été accueillies. Il a souligné que les renseignements relatifs à ces demandes seraient utiles aux demandeurs et pourraient constituer une preuve importante. Par conséquent, l’audience a été reportée une autre fois, et le commissaire McBean a ordonné que les FRP de ceux dont les demandes avaient été accueillies soient communiqués, en vertu du paragraphe 17(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), alors en vigueur, qui énonçait ce qui suit : « Sous réserve du paragraphe (4), la Section peut communiquer au demandeur d’asile des renseignements — personnels ou autres — qu’elle veut utiliser et qui proviennent de toute autre demande d’asile si la demande d’asile soulève des questions de fait semblables à celles de l’autre demande ou si ces renseignements sont par ailleurs utiles à la solution de la demande. »
[12] Dans le relevé de décision de la SPR, le commissaire McBean a écrit : [traduction] « FRP de parents proches à obtenir et à communiquer (TA4-09990, TA6-05973). » Le conseil des demandeurs s’est enquis de la situation auprès de l’agent préposé aux cas de la SPR, qui lui a confirmé que les FRP avaient été commandés.
[13] Le 27 août 2012, les demandeurs ont comparu devant le commissaire Pasquale Fiorino pour la suite de leur audience. Le commissaire Fiorino ne disposait pas des FRP. Le défendeur n’a pas expliqué pourquoi ils n’avaient pas été obtenus et communiqués. Malgré le fait que le conseil des demandeurs ait bien précisé qu’il souhaitait la communication des FRP, que les membres de la famille qui s’étaient vu accorder la qualité de réfugié n’en avaient plus de copies et qu’il ait également insisté sur le fait que le commissaire McBean avait reporté l’audience et ordonné leur communication précisément en raison de leur importance, le commissaire Fiorino a refusé de reporter l’audience. Il a également refusé d’attendre que les FRP soient communiqués avant de rendre sa décision. La seule concession qu’il a faite aux demandeurs était la suivante : [traduction] « Si je m’aperçois que les autres FRP seraient importants, j’ordonnerai un autre ajournement et j’en demanderai une copie ». La conclusion par laquelle il présumait que les FRP n’étaient pas importants était inique.
[14] À la fin de l’audience du 27 août 2012, le commissaire Fiorino a affirmé qu’il était surtout préoccupé par la crédibilité. Le conseil des demandeurs a formulé de brèves observations et fait référence particulièrement à la pièce C-16, à savoir deux avis de décision de la SPR concernant les cas des autres membres de la famille qui s’étaient vu reconnaître la qualité de réfugié dans des circonstances semblables ou identiques.
[15] Dix mois plus tard, le 17 juin 2013, le commissaire Fiorino, qui « continuait » d’entendre l’affaire, a affirmé : [traduction] « il y a un certain nombre de points que je voulais examiner pour obtenir des éclaircissements au sujet de l’exposé circonstancié modifié ». Il a rendu sa décision le 23 juillet 2013.
[16] En concluant que les demandeurs n’étaient pas crédibles, le commissaire Fiorino a critiqué l’insuffisance des détails du premier FRP par rapport au FRP modifié. Il était d’avis que les renseignements ajoutés au FRP modifié mettaient en évidence les omissions du premier FRP concernant des aspects importants de l’exposé circonstancié qui touchaient directement la demande du demandeur principal. À six reprises, il écrit, après avoir noté des renseignements qui avaient été ajoutés dans le FRP modifié : « Il a été confirmé que la Commission peut rejeter des éléments de preuve importants lorsque ceux‑ci ont été omis dans le FRP. » Il invoque aussi la jurisprudence suivante : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Dan-Ash (1988), 93 NR 33 (CAF) (Dan-Ash); Drevenak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1320 (Drevenak); Aragon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 144 (Aragon).
[17] De plus, le commissaire Fiorino a également contesté un dossier d’hôpital produit en preuve par les demandeurs pour établir les conséquences des violents affrontements avec le ministère de l’Intérieur de la Bolivie. Il a conclu, suivant la prépondérance des probabilités, que le dossier de l’hôpital avait été falsifié parce qu’une partie de celui-ci avait été tapée tout en lettres majuscules et que la date d’une section en particulier semblait avoir été tapée par-dessus une autre.
Les erreurs susceptibles de contrôle
[18] Le commissaire Fiorino a commis plusieurs erreurs de droit susceptibles de contrôle et tiré des conclusions déraisonnables, les plus graves étant abordées ci-dessous.
1. Le refus d’attendre la communication des autres FRP
[19] Le commissaire Fiorino n’a pas attendu que les FRP de Marcela, de Christyan et des membres de la famille de Christyan soient communiqués, malgré l’ordonnance antérieure de son collègue à cet effet. Par conséquent, il n’a pu les examiner avant de rendre sa décision. En agissant de la sorte, il a manqué à son devoir d’équité procédurale.
[20] Ces FRP étaient déjà visés par une ordonnance de son collègue, M. McBean, qui avait jugé qu’ils [traduction] « soul[evaient] des questions de fait semblables » à celles des demandes des demandeurs ou qu’ils seraient « par ailleurs utiles à [leur] solution », au titre du paragraphe 17(1) des Règles. C’est à bon droit, à mon avis, que le commissaire McBean a conclu que les détails contenus dans ces FRP renforceraient les affirmations de fait des demandeurs contenues dans leurs FRP ou les rendraient suspectes. Dans un cas comme dans l’autre, ils étaient extrêmement pertinents. S’ils corroboraient les allégations des demandeurs, la preuve qu’ils constituent aurait bien pu être déterminante pour leur demande d’asile.
[21] Je conviens avec les demandeurs que, compte tenu du fait que le commissaire McBean avait ordonné que la SPR les obtienne, il n’y avait pas lieu pour eux de chercher à les obtenir par d’autres moyens. Plus particulièrement, ils n’étaient pas tenus, contrairement à ce qu’ont laissé entendre le commissaire Fiorino et le défendeur, de les obtenir en procédant à une demande d’accès à l’information : Natt c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 238.
[22] En raison du refus du commissaire Fiorino de reporter l’audience pour permettre que le décideur soit saisi de cette preuve, qui avait été jugée importante, voire peut-être critique, par la SPR, les demandeurs n’ont pas eu droit à une audience équitable, et les règles de justice naturelle ont été enfreintes.
[23] Ce manquement aux principes de justice naturelle s’est traduit par une conclusion déraisonnable de la part du commissaire Fiorino – à savoir la conclusion inique selon laquelle, malgré une décision favorable à l’égard de sa demande d’asile, Christyan n’avait pas été persécuté par les autorités boliviennes – une question dont la SPR avait été directement saisie dans le dossier de Christyan.
2. La conclusion selon laquelle Christyan n’avait pas été persécuté
[24] La pièce C-16 renferme une lettre de Christyan que la SPR a reçue le 5 juin 2012. C’est ce document qui a incité le commissaire McBean à ordonner la communication des FRP. Christyan a écrit ce qui suit : [traduction] « J’atteste que les faits exposés dans ma demande s’apparentent à ceux exposés dans celle de M. Oscar Diaz. J’atteste également que la persécution à laquelle M. Diaz s’expose est tributaire de la persécution à laquelle je m’expose et que ses agents de persécution sont les mêmes que ceux dont il a été question dans ma demande d’asile et dans celles de mes parents et de mon frère. » Le commissaire Fiorino disposait des deux décisions favorables de la SPR. Ni l’une ni l’autre n’a été mentionnée dans ses motifs. La demande d’asile de Christyan ne pouvait être accueillie que si la SPR concluait qu’il craignait avec raison d’être persécuté en Bolivie. Malgré cela, en l’espèce, le commissaire Fiorino conclut, en s’appuyant sur le seul fait que le premier FRP ne mentionnait pas que Christyan savait que Pablo était impliqué dans le meurtre – ce qui a été mentionné dans le FRP modifié –, « selon la prépondérance des probabilités, que Cristian [sic] n’était pas persécuté par les autorités en 1998 ». Comme l’a souligné l’avocat des demandeurs, cette conclusion va à l’encontre de deux décisions antérieures de la SPR.
[25] Ce n’est là qu’un exemple où le commissaire Fiorino s’est appuyé uniquement sur le fait que le FRP modifié comportait des renseignements qui ne se trouvaient pas dans le premier FRP pour discréditer les demandeurs. Le fait qu’il a utilisé plusieurs fois la phrase type « [i]l a été confirmé que la Commission peut rejeter des éléments de preuve importants lorsque ceux‑ci ont été omis dans le FRP » et qu’il s’est appuyé sur les trois décisions précitées illustre pourquoi il est parvenu à une conclusion déraisonnable dans chaque cas.
3. L’examen des seuls ajouts au FRP modifié pour discréditer les demandeurs
[26] Le commissaire Fiorino a mal compris et mal appliqué les principes dégagés dans les décisions sur lesquelles il s’est appuyé. Plus précisément, il n’a pas tenu compte des circonstances dans lesquelles une preuve omise dans un FRP peut à bon droit être considérée comme entachant la crédibilité.
[27] Le premier précédent qu’il invoque, Dan-Ash, n’a rien à voir avec le FRP ou le principe en cause en l’espèce. Dans Dan-Ash, la Commission d’appel de l’immigration avait rejeté une preuve d’empreintes digitales qui contredisait le témoignage du demandeur parce qu’elle contrevenait à la règle de la « meilleure preuve ». La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel de la Couronne, au motif que la Loi sur l’immigration dégageait la Commission de toutes les règles techniques de preuve et que la preuve d’empreintes digitales aurait dû être admise. Cette décision n’a rien à voir avec la proposition pour laquelle elle a été citée six fois par le commissaire Fiorino.
[28] Dans Drevenak, le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il avait fait un suivi auprès de la police après avoir fait ses dénonciations d’agression. Un seul FRP avait été soumis, aucun FRP modifié n’avait été déposé. Le litige portait sur son témoignage et son FRP. Dans le FRP, il avait mentionné seulement qu’il avait fait une dénonciation; il n’avait pas mentionné qu’il avait fait un suivi. La Commission a déclaré que cette omission mettait en doute la crédibilité du demandeur. En rejetant la demande de contrôle judiciaire, la Cour a déclaré que, si l’omission avait été considérée isolément, il aurait peut-être bien été déraisonnable de fonder une conclusion relative à la crédibilité sur celle-ci, mais que ce n’était pas la seule chose qui mettait en cause la crédibilité. En ce qui a trait à l’omission dans le FRP, la Cour a souligné que « l’omission ne doit pas être prise isolément » [non souligné dans l’original]. La Cour a formulé une observation semblable dans Aragon.
[29] Dans Aragon, des renseignements avaient été ajoutés dans le FRP modifié. Là encore, la Cour a souligné que « [c]e ne sont pas toutes les modifications qui peuvent justifier une appréciation défavorable au sujet de la crédibilité ».
[30] À mon avis, la Cour n’a rendu aucune décision où elle affirmait que le simple fait pour un demandeur d’ajouter des faits à son FRP modifié était suffisant à lui seul pour mettre en doute sa crédibilité, et le défendeur n’en a fourni aucune.
[31] Dans Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1062, au paragraphe 22, le juge Mandamin a fait remarquer ce qui suit : « Les demandeurs sont autorisés à modifier ce qu’ils ont déclaré dans leur FRP avant la tenue d’une audience de la Commission, après avoir obtenu l’aide et l’avis d’un conseil bien au fait du processus d’immigration. L’approche qu’a suivie la SPR est problématique car elle donne à penser que l’on peut aisément faire abstraction des modifications juste parce qu’il s’agit de modifications. » J’ajouterais à cela qu’une modification ne peut par le fait même entraîner à elle seule une conclusion défavorable quant à la crédibilité, particulièrement si d’autres éléments de preuve corroborent la déclaration contenue dans le FRP modifié.
[32] Les deuxième et troisième fois où le commissaire Fiorino a rappelé que les demandeurs avaient mentionné dans leur FRP modifié un fait qui ne l’était pas dans leur premier FRP visent les agressions dont ils ont été victimes en septembre 1998 et en décembre 1998. Dans leur FRP modifié, ils affirment pour la première fois avoir déposé des dénonciations concernant ces agressions. Le commissaire est d’avis que ces nouveaux renseignements sont « des aspects essentiels » de la demande d’asile et que le défaut de les mentionner dans le premier FRP mettait en cause leur crédibilité. Par conséquent, il conclut « que le demandeur d’asile principal et sa famille n’ont pas été menacés ni agressés par les agents de persécution en septembre 1988 [sic] » et « que le demandeur d’asile principal et sa famille n’ont pas été agressés ni menacés par les agents de persécution en décembre 1988 [sic] ».
[33] Le commissaire Fiorino a rejeté la preuve des agressions, parce que les demandeurs n’avaient pas mentionné dans leur premier FRP qu’ils avaient fait des dénonciations. Or, il n’a pas dit que des copies des dénonciations mentionnées dans les FRP modifiés se trouvaient dans le dossier dont il était saisi, et il ne les a pas examinées. Sous réserve d’une conclusion de documents frauduleux – ce qui n’est pas le cas en l’espèce –, l’ajout au FRP modifié de la mention relative aux dénonciations constitue une déclaration de fait. Le défaut d’un demandeur de mentionner un fait dans son premier FRP et le fait de le mentionner ensuite dans son FRP modifié ne peuvent servir à le discréditer, si une preuve documentaire permet de corroborer ce fait. En l’espèce, le commissaire Fiorino s’est servi d’une déclaration véridique ultérieure des demandeurs pour entacher leur crédibilité. Il n’a pas examiné toute la preuve importante et pertinente dont il disposait; il a plutôt fondé sa conclusion relative à la crédibilité sur le simple fait que le demandeur avait ajouté quelque chose à son FRP modifié. Par conséquent, il a commis une erreur fondamentale qui s’est traduite par des conclusions déraisonnables et sans fondement.
[34] Dans le même esprit, le commissaire Fiorino conclut que la belle‑sœur de M. Diaz Angulo « n’a pas reçu la visite d’agents du ministère de l’Intérieur, qu’elle n’a pas été menacée par ces derniers et qu’elle n’a pas porté plainte aux autorités », parce que ces faits, bien qu’ils aient été inclus dans le FRP modifié, ne se trouvaient pas dans le premier FRP. Toutefois, je le répète, ces mêmes dénonciations se trouvaient dans la preuve dont il avait été saisi.
4. La conclusion selon laquelle les demandeurs ont soumis un document falsifié
[35] Le commissaire Fiorino a cependant examiné un certificat médico-légal qui faisait partie des documents versés en preuve. Ce certificat précisait que M. Diaz Augula avait été soigné pour des blessures causées par des [traduction] « agents du ministère public du gouvernement ». Le commissaire Fiorino accorde « peu de valeur » à ce document parce qu’il conclut qu’il « a été falsifié ».
[36] À l’audience, le commissaire Fiorino n’a jamais fait part aux demandeurs de ses doutes quant à l’authenticité du document ou de son opinion selon laquelle ils l’avaient falsifié. Le défaut de le faire et l’utilisation subséquente du soupçon de présentation d’un document frauduleux pour discréditer ce document et la preuve des demandeurs dans son ensemble constituent un manquement à l’équité procédurale. La Cour a souvent déclaré que cela était le cas lorsque les documents présentés à l’appui d’un visa étaient examinés : voir Tabungar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 735, et Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284. Dans la décision Madadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 716, qui portait sur une demande rejetée au titre de la catégorie de l’immigration économique, j’ai écrit ce qui suit au paragraphe 6 : « La jurisprudence de la Cour en matière d’équité procédurale dans ce domaine est claire : [lorsque] l’agent met en doute “la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis” et qu’il souhaite rejeter la demande en fonction de ces doutes, l’obligation d’équité est invoquée ». Rien de moins n’est exigé dans le contexte d’une décision relative à la qualité de réfugié.
[37]
Puisque le commissaire Fiorino ne s’est pas
conformé aux principes de justice naturelle et n’a pas agi de manière équitable
envers les demandeurs et puisqu’il a tiré plusieurs conclusions de fait
déraisonnables, la décision sera annulée et les demandes devront faire l’objet
d’une nouvelle décision par un commissaire différent. Aucune des parties n’a
proposé de question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à la Commission pour qu’un autre commissaire statue sur l’affaire. Les FRP des membres de la famille des demandeurs, dans les dossiers TA4-09990 et TA6-05973 de la Commission, devront être communiqués aux demandeurs et à leur conseil avant la tenue de l’audience, comme l’avait ordonné le commissaire McBean. Le cas advenant que ces FRP ne puissent être communiqués, des explications complètes devront être fournies aux demandeurs. Aucune question n’est certifiée.
« Russel W. Zinn »
Juge
Traduction certifiée conforme
C. Laroche
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-5378-13
|
INTITULÉ : |
OSCAR RENE DIAZ ANGULO ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto, Ontario
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
le 19 novembre 2014
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE ZINN
|
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS : |
LE 25 NOVEMBRE 2014
|
COMPARUTIONS :
Anthony P. Navaneelan
|
pour les demandeurs
|
Aleksandra Lipska
|
pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mamann, Sandalyk and Kingwell LLP Migration Law Chambers Toronto (Ontario)
|
pour les demandeurs
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
Pour le défendeur
|