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Date : 20141010


Dossier : IMM-3961-13

Référence : 2014 CF 969

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

SAJISH KARMACHARYA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) d’une décision rendue le 17 décembre 2012 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Le commissaire a conclu que Sajish Karmacharya (le demandeur) n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

[2]               Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est rejetée.

II.                Les faits

[3]               Le demandeur est un citoyen du Népal âgé de 26 ans. Il allègue craindre d’être tué par le parti communiste unifié du Népal ou par l’aile jeunesse du parti, la ligue des jeunes communistes (YCL), s’il retourne au Népal en raison du fait que lui et sa famille appuyaient le parti du congrès népalais, un groupe politique qui s’oppose au parti communiste unifié.

[4]               En septembre 2008, le demandeur s’est joint au Nepal Tarun Dal, l’aile jeunesse du congrès népalais. Lorsqu’il participait aux activités du Nepal Tarun Dal, il a été engagé dans de nombreux affrontements avec l’YCL. En juin 2010, il a participé à un conflit avec des personnes qu’il a désignées comme des membres de l’YCL. Pendant cet affrontement, le demandeur a été blessé et il a dû recevoir des soins médicaux. Ses assaillants lui ont dit qu’il devait quitter le Nepal Tarun Dal, et il a été relâché après avoir accepté de le faire.

[5]               Deux jours après l’incident, le demandeur a quitté le Nepal Tarun Dal et il a cessé ses activités politiques. En août 2010, le demandeur est entré au Canada au moyen d’un visa d’étudiant et, en septembre 2010, il a commencé à fréquenter l’Universisté Mount Allison située à Sackville, au Nouveau‑Brunswick. Il n’a pas présenté de demande d’asile à ce moment‑là.

[6]               En juin 2011, le demandeur a quitté le Canada pour retourner au Népal pour voir son père qui souffrait d’une infection pulmonaire. Il envisageait de revenir au Canada en septembre 2011, lorsque les cours reprendraient à l’Université Mount Allison.

[7]               À son retour au Népal en juin 2011, le demandeur [traduction] « a rencontré par hasard » Ritesh Maharjan (« Ritesh »), un ancien camarade de classe qu’il avait dénoncé, ce camarade ayant triché à un examen en 2005. Ritesh avait perdu sa bourse d’études et il avait été forcé d’abandonner ses études parce que le demandeur l’avait dénoncé. Le demandeur n’avait eu aucun contact avec Ritesh depuis cet incident, mais lorsqu’ils se sont revus en 2011, Ritesh a demandé au demandeur à quel moment il était rentré du Canada.

[8]               Quelques jours plus tard, Ritesh s’est rendu au domicile du demandeur et lui a proposé d’aller avec lui à un comptoir de thé. Le demandeur a accepté l’invitation, car il lui aurait semblé impoli de refuser. Lorsqu’ils sont arrivés au comptoir de thé, trois hommes [traduction] « musclés » qui portaient des bandanas rouges sont venus à leur rencontre, et Ritesh a alors mis un bandana. Selon le demandeur, il s’agissait de maoïstes. Ritesh a appris au demandeur qu’il était un commandant adjoint de secteur de l’YCL et que le demandeur s’en [traduction] « était trop bien tiré » en quittant simplement le NTD après [traduction] « la dernière fois où il avait contrarié l’YCL ». Ils ont forcé le demandeur à signer une note d’excuse pour son appartenance au Nepal Tarun Dal. Ils ont montré au demandeur une lettre de [traduction] « don » provenant de l’YCL à Katmandou dans laquelle il lui était demandé de faire un don de 500 000 roupies à l’YCL, et ils l’ont menacé de subir de [traduction] « fâcheuses » conséquences s’il s’y refusait. Dans la lettre, il était remercié de son don et de son appui au parti maoïste.

[9]               Comme le demandeur était incapable de verser une somme d’argent aussi importante, une période de grâce de 15 jours lui a été accordée pour lui permettre de payer les 500 000 roupies aux hommes. Il leur a donné un [traduction] « dépôt » de 50 000 roupies, et les hommes l’ont laissé partir en le menaçant de le tuer et de faire le suivi auprès de son père s’il omettait de payer.

[10]           Après avoir consulté ses amis et les membres de sa famille, et croyant qu’il n’était pas en sécurité au Népal, le demandeur est revenu au Canada le 13 juillet 2011 au moyen de son visa d’étudiant. À son retour au Canada, le demandeur était trop [traduction] « contrarié » pour poursuivre ses études à l’Université Mount Allison et il a demandé l’asile le 19 juillet 2011.

[11]           Dans un affidavit provenant du père et daté du 25 janvier 2013, soit après que le demandeur avait quitté le Népal, le demandeur a appris que Ritesh faisait partie d’un nouveau parti de maoïstes dissidents qui s’étaient dissociés des communistes unifiés. Il semble qu’en septembre 2011, des membres de l’YCL se seraient rendus au domicile de la famille du demandeur à Katmandou demander le paiement des sommes préalablement exigées pour le compte de l’UCP. Son père leur a dit que le demandeur était incapable de payer parce qu’il avait eu un accident au Canada et il leur a demandé de lui laisser six mois pour répondre à leur exigence. Les membres de l’YCL lui ont accordé deux mois. À la suite de cet incident, les parents du demandeur ont déménagé de la maison familiale, qu’ils ont laissée sous la surveillance d’un ami de la famille. Vers la fin de novembre 2011, les membres de l’YCL sont retournés à la maison de la famille et se sont fait dire que la famille du demandeur n’y vivait plus. Le 14 décembre 2012, les membres de l’YCL se sont rendus chez l’oncle du demandeur et lui ont laissé une lettre adressée au père du demandeur dans laquelle il était exigé qu’il verse un [traduction] « soutien financier » de 600 000 roupies.

[12]           En janvier 2013, le père du demandeur a été abordé par Ritesh et par un autre membre de l’YCL. Le père du demandeur a affirmé que Ritesh lui avait dit que [traduction] « ce n’était pas seulement une question d’argent, mais plutôt de principe » et que le père [traduction] « méritait une leçon » pour avoir protégé le demandeur et omis de payer. Ritesh et l’autre homme ont ensuite violemment battu le père du demandeur, jusqu’à ce que des voisins viennent à son secours; le père a ensuite commencé à se cacher. Selon des documents produits en preuve, le père du demandeur a été hospitalisé le 3 janvier 2011 en raison des [traduction] « blessures qui lui auraient été infligées lors de l’agression ».

III.             Décision contrôlée

[13]           La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. Elle a conclu que certains éléments de la version des faits du demandeur soulevaient des doutes, entre autres le rôle joué par Ritesh, [traduction] « l’ami », ainsi que d’autres éléments de preuve sur les tentatives d’extorsion ciblant son père, au sujet desquels des détails importants ont été omis inconcevablement du Formulaire de renseignements personnels.

[14]           Elle a également conclu qu’il était peu probable que l’UCP, qui avait accédé au pouvoir dans le cadre d’élections démocratiques, permette à ses membres d’extorquer de l’argent à des citoyens du pays en utilisant le papier à en‑tête de l’un de ses organismes et de proférer des menaces de mort s’il n’était pas donné suite à leurs exigences. Elle a conclu que les pratiques d’extorsion étaient le fait de l’un des nombreux groupes armés au Népal qui se livrent à des activités criminelles sans être liés à un programme politique, et que l’extorsion n’avait donc aucun lien avec l’article 96 de la LIPR.

[15]           Le tribunal a ensuite conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour montrer que le demandeur était exposé personnellement à un risque posé par un groupe se livrant à des activités criminelles auquel la population du pays n’était généralement pas exposée. Il a également conclu que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour montrer pourquoi la protection de l’État n’était pas offerte, ou pour justifier son défaut de solliciter la protection de la police.

IV.             Questions en litige

[16]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.   Le tribunal a tiré des conclusions erronées et des conclusions sur la vraisemblance non étayées par la preuve;

2.   Le tribunal a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucun lien avec l’article 96 de la LIPR;

3.   Le tribunal a commis une erreur dans ses évaluations fondées sur l’article 97;

4.   Le tribunal a commis une erreur dans son appréciation de la protection offerte par l’État.

V.                Norme de contrôle

[17]           La norme de contrôle qu’il convient d’utiliser pour examiner la manière dont le commissaire a évalué et traité la preuve est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Y.Z. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 749, 179 ACWS (3d) 898, au paragraphe 22).

[18]           L’examen que le commissaire a fait de la question de savoir si le risque auquel est exposé le demandeur est un risque personnalisé ou généralisé est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Olvera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1048, 417 FTR 255, au paragraphe 28; Samuel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 973).

VI.             Analyse

[19]           Au vu de l’ensemble de la décision, je conclus que le commissaire n’a pas accepté les parties de l’exposé circonstancié se rapportant à la participation de Ritesh aux pratiques d’extorsion. Néanmoins, la décision repose sur la thèse selon laquelle l’extorsion, si elle a eu lieu, tirait avant tout sa source de l’activité criminelle généralisée d’un groupe maoïste, dont les motifs n’avaient pas de lien avec des causes politiques, et que le demandeur n’avait pas montré que la protection de l’État n’était pas offerte.

[20]           Il ne m’apparaît pas déraisonnable que le tribunal ait rejeté une conclusion tirée à la lumière d’un fait survenu en 2005 et impliquant un ennemi juré s’étant tout à coup manifesté après six ans, alors qu’aucun élément de preuve se rapportant à cet intervalle n’étaye cette version des faits. Qu’un événement fortuit ait amené le demandeur à présenter une demande d’asile et que cette initiative l’ait conduit à abandonner ses études à son retour au Canada, pour plutôt demander l’asile, relève d’une coïncidence assez forte.

[21]           Je reconnais également que, en ce qui concerne les autres questions relatives à la crédibilité, le commissaire a pu estimer très improbable que le demandeur accepte de rencontrer un individu qui le haïssait manifestement parce qu’il l’avait forcé à mettre un terme à ses études alors qu’il était un étudiant brillant. Le demandeur a décrit Ritesh comme un étudiant exceptionnel et un rival à l’école qui avait de grandes aspirations universitaires et qui n’a pu réaliser son plein potentiel parce que le demandeur l’avait surpris à tricher lors d’un examen et l’avait dénoncé, de sorte que sa bourse d’études lui avait été retirée et qu’il avait dû abandonner ses études. J’estime qu’il est raisonnable de penser qu’il était improbable que le demandeur accepte de le rencontrer en privé, alors qu’il ne l’avait pas vu depuis six ans, sans connaître le but de la rencontre.

[22]           De façon similaire, il était raisonnable pour le tribunal de conclure qu’il n’était pas vraisemblable que le parti communiste du Népal et la ligue des jeunes communistes fassent des menaces d’extorsion par écrit [traduction] « conformément aux politiques de notre parti » dans un document présenté comme une lettre de don. Les menaces d’extorsion ne sont généralement pas mises par écrit, d’autant moins que l’UCP n’employait plus de tactiques d’intimidation, car il est le plus grand parti dans le cadre d’un gouvernement minoritaire et il vise à rallier les électeurs pour former un gouvernement majoritaire dans le cadre d’une élection démocratique.

[23]           Je conclus en outre qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour que le tribunal conclue que l’extorqueur agissait selon des motifs criminels et non à des fins politiques. La SPR pouvait fonder la preuve sur la situation dans le pays en cause montrant que des organisations maoïstes malveillantes extorquaient des sommes à la population népalaise en général. Dans de telles circonstances, le tribunal pouvait raisonnablement conclure que les activités de tout organe [traduction] « politique » dissident étaient criminelles et contraires aux visées de l’ancienne organisation mère.

[24]           La nature généralisée des pratiques d’extorsion est corroborée par la mention dans la lettre d’extorsion de la capacité du demandeur de payer, sans compter que la lettre semble être une lettre type, rédigée sur du papier à en‑tête de l’organisation, sur laquelle il ne reste qu’à inscrire les montants exigés au moment de la présentation de la demande.

[25]           Ce qui vient aussi compliquer les choses est le fait que le premier acte d’extorsion aurait été perpétré par l’YCL sous l’égide du parti communiste unifié, tandis que la preuve par affidavit du père du demandeur et d’autres documents montrent que Ritesh s’était joint au groupe de maoïstes dissidents qui étaient en conflit avec ceux qui avaient d’abord été présentés comme les prétendus auteurs de l’acte d’extorsion. Aucun élément de preuve ne décrit les aspirations politiques de cette organisation, mis à part une mention générale de son existence dans le témoignage livré par le père.

[26]           Quoi qu’il en soit, la SPR était en droit d’accorder peu de poids à la preuve par affidavit du père qui relatait des événements qui se seraient produits après le retour du demandeur au Canada. Le demandeur a omis de mentionner certains aspects importants des éléments de preuve concernant son père dans son FRP. De plus, le tribunal n’avait aucun moyen d’évaluer la fiabilité de la preuve présentée par écrit, celle‑ci ne pouvant faire l’objet d’un contre‑interrogatoire, alors qu’elle suscitait manifestement des réserves en raison du parti pris de l’auteur de l’affidavit à l’égard de son fils, et de la possibilité que le père soit lui aussi un demandeur d’asile potentiel.

[27]           Je conclus également que le commissaire disposait d’éléments de preuve suffisants pour décider de façon raisonnable de rejeter le témoignage du demandeur selon lequel il ne pourrait obtenir la protection de l’État, ou qu’il avait des raisons de craindre de solliciter la protection de la police à Katmandou. Comme il a été noté, la situation du parti communiste unifié dans le paysage politique avait évolué entre le moment où l’acte d’extorsion avait été commis en 2011 et celui où l’audience avait eu lieu devant la SPR. Ritesh était maintenant en conflit avec le parti communiste unifié en tant que membre d’une organisation dissidente. Rien ne permettait de conclure que le parti communiste unifié ne donnerait pas suite à une plainte déposée contre l’une de ces organisations, ou que celles‑ci pourraient faire pression sur la police de Katmandou pour qu’elle s’en abstienne.

[28]           Mais, plus encore, la preuve sur la situation dans le pays ne comprend que de vagues références à l’insuffisance de la protection policière, c’est‑à‑dire à la tendance de la police à ne pas intervenir dans le cas d’incidents impliquant des maoïstes. Les arguments du demandeur selon lesquels le parti communiste unifié pouvait exercer des pressions à l’échelle du pays n’étaient pas corroborés, car aucun élément de preuve ne montrait que ce serait le cas à Katmandou, où vivait le demandeur. Rien ne permettait de penser qu’il serait exposé à des risques s’il s’adressait à la police à son retour.

[29]           Par conséquent, je conclus que la décision de la SPR était raisonnable et amplement justifiée, conformément aux exigences formulées dans Dunsmuir. La demande est rejetée. Aucun des conseils n’a proposé de question aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande est rejetée.

2.      Aucune question n’est certifiée.

« Peter Annis »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3961-13

 

INTITULÉ :

SAJISH KARMACHARYA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 SeptembRE 2014

 

jugEment ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 OctobrE 2014

 

COMPARUTIONS :

Swathi Visalakshi Sekhar

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Melissa Mathieu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vecina & Sekhar

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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