Date : 20141121
Dossier : IMM‑1130‑14
Référence : 2014 CF 1112
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2014
En présence de monsieur le juge Annis
ENTRE : |
MARYAM MASOUMALI |
demanderesse |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Introduction
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], et visant la décision du 31 décembre 2013 par laquelle un agent d’immigration supérieur [l’agent] a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] de la demanderesse. Celle‑ci demande que la décision soit infirmée et que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.
II. Contexte
[3] La demanderesse est née le 1er septembre 1956 à Rasht (Iran). Elle est mariée à un certain Mohammad Ebrahim Javadi et a trois enfants. Elle a vécu à Rasht jusqu’en 1983 environ, puis à Téhéran jusqu’à son arrivée au Canada, le 17 mars 2005, où elle est entrée avec ses trois enfants en tant que résidente permanente, membre de la catégorie des entrepreneurs, et personne à charge accompagnant son époux.
[4] La demanderesse déclare qu’elle n’est pas une femme pieuse et qu’elle a été effrayée par les restrictions imposées aux femmes dans son pays après la Révolution iranienne de 1979. Elle affirme qu’elle a été harcelée par la police religieuse, et qu’à une occasion, elle et ses amis ont été dénoncés aux autorités pour avoir organisé une petite fête le jour de l’anniversaire du décès de l’ayatollah Khomeiny.
[5] Après son déménagement au Canada, la demanderesse est retournée en Iran plusieurs fois : de septembre 2006 à mars 2007, de septembre 2007 à mars 2008 et d’août 2009 à mars 2010.
[6] La demanderesse affirme qu’elle a commencé à prendre part à des manifestations contre les élections nationales iraniennes de 2009, et ce, au Canada en juin de cette même année. Durant son dernier séjour en Iran en 2009‑2010, elle a participé à près de cinq manifestations contre les élections. Son époux s’est joint à certaines d’entre elles. L’un de ces rassemblements s’est déroulé le 4 novembre 2009 à Rasht. La demanderesse a déposé une déclaration notariée non datée de sa vieille amie, Maryam Zadeh, d’après laquelle cette dernière a assisté à la manifestation de Rasht avec Mme Tavana, Mme Ahmadipour et la demanderesse, et que Mme Ahmadipour et elle ont été arrêtées quelques jours plus tard. Mme Zadeh a été détenue pendant près d’un mois et, durant les longs interrogatoires auxquels elle a été soumise, elle a expliqué en détail aux autorités tout ce qui concernait la présence de la demanderesse à ses côtés.
[7] Le 11 février 2010, la demanderesse a assisté à une autre manifestation, cette fois‑ci à Téhéran, avec Maryam Hassanpour Nehzami et des amis de cette femme.
[8] Le 14 février 2010, la demanderesse a reçu un avis écrit des forces de police lui enjoignant de se présenter au Bureau du procureur public de Téhéran dans les trois jours de la date de l’avis [l’avis de police], sans en préciser les motifs.
[9] La demanderesse a déclaré qu’elle a pris peur et décidé de ne pas obéir à cette convocation; elle est restée en Iran deux semaines entières de plus à partir de la date de comparution indiquée sur l’avis de police. Ni la police ni aucune autre force de sécurité ne lui ont rendu visite ni ne l’ont contactée durant cette période. Alors qu’il ignorait apparemment que ses autres amies avaient été arrêtées, son époux l’a encouragée à quitter le pays, puisqu’elle devait retourner au Canada au début de mars 2010. Elle a été autorisée à le faire sans difficulté, tout comme son mari, qui est parti cinq jours après elle sans rencontrer d’obstacles.
[10] À son retour au Canada en mars 2010, son époux lui a appris que Mme Zadeh avait été arrêtée et détenue à Rasht et que Mme Nehzami avait été arrêtée à Téhéran. La demanderesse a déclaré qu’elle ignorait que Mmes Zadeh et Nehzami avaient été arrêtées avant que son époux ne l’en informe, et qu’il avait décidé de ne rien lui dire plus tôt de peur qu’elle ne se compromette. Elle a affirmé qu’en règle générale, les gens ne parlent pas des arrestations en Iran – il est fréquent que seule la famille proche de l’individu arrêté, interrogé ou détenu soit au courant. Son époux lui a conseillé de ne jamais retourner en Iran, étant donné ce qui était arrivé à ses amies et que les autorités étaient à sa recherche.
[11] Un élément de preuve a ensuite été présenté sous la forme d’un courriel daté du 7 septembre 2011 et rédigé par le beau‑frère de la demanderesse, M. EsHagh Djavadi, auquel son époux avait demandé de l’aide. M. Djavadi indiquait que Mme Zadeh lui avait confié qu’elle avait été torturée et soumise à des violences physiques et sexuelles durant sa détention d’un mois, et que les autres femmes qui avaient manifesté avec elle (Mmes Tavana et Ahmadipour) avaient également été arrêtées et n’avaient pas recouvré leur pleine liberté. M. Djavadi précisait que Mme Zadeh avait obtenu ces renseignements des familles des femmes emprisonnées.
[12] Le 3 mars 2010, alors qu’elle se trouvait à Téhéran, Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] a établi un rapport fondé sur l’article 44 (rapport de non‑conformité à la LIPR) concernant la demanderesse, son époux et leurs enfants, au motif que les conditions imposées au moment de l’établissement n’avaient pas été respectées.
[13] Le 25 juin 2010, une mesure de renvoi a été prise contre la demanderesse et tous les membres de sa famille. Ces derniers ont fait appel de la mesure devant la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR]. L’époux de la demanderesse a retiré son appel, le 19 octobre 2010, et a quitté le Canada de son plein gré le 7 novembre suivant.
[14] Le 23 décembre 2010, la SAI a fait droit à l’appel des enfants, estimant que des circonstances d’ordre humanitaire suffisantes justifiaient dans leur cas un redressement équitable (alinéa 67(1)c) de la LIPR). La SAI a néanmoins rejeté l’appel de la demanderesse.
[15] Dans son appel, cette dernière a demandé à être dispensée des exigences liées à la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. S’agissant des difficultés auxquelles elle se heurterait à son retour en Iran, elle a fait valoir qu’après avoir vécu à l’étranger, elle ne pouvait plus accepter la discrimination visant les femmes, et qu’elle ne réussirait pas à se conformer aux [traduction] « valeurs et règles conservatrices imposées aux femmes en Iran ». La SAI a rejeté cet argument et a conclu que la preuve objective ne confirmait pas que toutes les femmes iraniennes étaient opprimées ou victimes de discrimination.
[16] Quant au danger auquel la demanderesse serait exposée à son retour, le tribunal de la SAI a noté que, bien qu’elle ait déclaré que son frère a été emprisonné pendant quatre ans pour des activités hostiles au régime, aucun détail concernant les circonstances de cet emprisonnement ou la nature des activités reprochées ou des accusations ne lui permettait de déterminer si la demanderesse s’exposerait de ce fait à un risque en cas de retour. La SAI n’indique nulle part dans sa décision que la demanderesse a pris part à des manifestations contre le régime en Iran, que Mme Zadeh a été arrêtée et détenue, ou que la demanderesse ne s’est pas conformée à l’avis de police qui lui enjoignait de se présenter au bureau du procureur. Elle ne parle pas davantage du risque lié au fait que la demanderesse a participé à des manifestations contre le régime au Canada, ce que la demanderesse affirme avoir continué à faire à son retour au pays.
[17] La SAI a fait remarquer que la demanderesse et les membres de sa famille ne sont pas venus au Canada à titre de réfugiés ou de personnes à protéger, et qu’ils ne se heurteraient à aucune difficulté à leur retour. Elle a noté que l’époux de la demanderesse avait regagné l’Iran, où il avait encore des intérêts commerciaux actifs, et que le profil de la famille n’était pas celui d’une famille se trouvant dans une situation désespérée sous un régime répressif. La SAI a ajouté que même si elle était devenue active dans la collectivité, la demanderesse n’avait pas lancé une entreprise ou entrepris une carrière qu’elle perdrait en cas de renvoi (contrairement à ses enfants), et qu’elle s’adapterait plus naturellement à la vie en Iran puisque son époux et sa famille s’y trouvaient et qu’elle avait déjà passé la plus grande partie de sa vie à se plier aux contraintes de la société iranienne.
[18] Après que la SAI eut rendu sa décision, un autre avis de comparution, daté du 16 mars 2011 et sommant la demanderesse de se présenter à la Cour pénale générale de Téhéran [traduction] « pour [fournir des] explications », aurait été livré au domicile de son époux à Téhéran. Ce dernier lui a fourni une copie de l’avis. C’est aussi à cette période que M. Djavadi l’a informée que deux des femmes avec qui elle avait manifesté en novembre 2009 étaient encore en prison. La demanderesse affirme que cette information a été confirmée dans un courriel de M. Djavadi et que la lecture du courriel en question ne lui a laissé aucun doute quant à sa véracité.
[19] La demanderesse a déposé une demande d’ERAR le 26 août 2011.
[20] La demanderesse n’a pas l’intention de retourner volontairement en Iran à l’avenir, malgré le fait que son époux y réside. Elle affirme qu’elle ne se sent pas en sécurité dans ce pays, que la vie y est difficile pour les femmes parce que le régime est très répressif, et qu’elle est inquiète parce qu’elle ne peut plus [traduction] « se conformer aux règles strictes imposées par le régime iranien en ce qui concerne [le comportement des] femmes ».
[21] La demanderesse n’a jamais présenté de demande d’asile auparavant.
III. La décision contestée
[22] Pour ce qui est de la portée de l’ERAR, l’agent a noté que, comme la demanderesse n’avait jamais présenté de demande d’asile, et que la CISR n’avait donc pas tenu d’audience, l’ERAR reposerait sur la preuve qu’elle avait présentée et les renseignements publics disponibles concernant la situation dans le pays et les droits de la personne en Iran.
A. L’opposition politique
[23] L’agent a examiné les affidavits de Mmes Zadeh et Nehzami concernant les manifestations de Rasht et de Téhéran et leurs démêlés subséquents avec les autorités iraniennes. Une certaine valeur probante leur a été reconnue dans le cadre de l’ERAR. Cependant, l’agent a relevé des lacunes dans l’affidavit de Mme Zadeh. Ainsi, il n’y était nulle part mentionné que Mme Tavana avait été arrêtée pour avoir pris part aux manifestations, comme l’indiquaient la déclaration de la demanderesse et le courriel de M. Djavadi, dans lequel ce dernier déclare que Mme Tavana avait été arrêtée et était toujours détenue au moment où il avait discuté avec Mme Zadeh.
[24] L’agent n’a accordé de valeur probante ni au courriel de M. Djavadi d’après lequel Mme Zadeh prétendait avoir été torturée, ce dont celle‑ci ne parlait pas dans son affidavit, ni aux renseignements concernant Mmes Ahmadipour et Tavana obtenus de leur famille parce qu’ils relevaient du ouï‑dire et qu’ils n’avaient pas été corroborés par des affidavits. L’agent a également relevé des contradictions entre l’avis de police et l’avis de comparution, estimant que le second soulevait un [traduction] « problème de provenance », car il manquait de détails concernant sa livraison et sa réception.
[25] L’agent a estimé que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle était accusée ou avait été déclarée coupable d’un crime, ni qu’elle était recherchée pour être arrêtée. Il a fait remarquer que rien ne prouvait ce dernier fait, qu’elle avait réussi sans peine à rester en Iran deux semaines après la date butoir indiquée dans l’avis de police, et que son mari et elle avaient réussi à fuir l’Iran en 2010 sans rencontrer d’obstacles à l’aéroport.
B. Risques liés à l’opposition de la famille
[26] L’agent n’a pas mis en doute les allégations de la demanderesse selon lesquelles son frère avait été torturé en prison en 1982, mais il a estimé que la demanderesse n’avait pas établi que la peine infligée à ce dernier avait nui à sa famille. De son point de vue, la demanderesse n’avait pas fourni de renseignements compatibles avec la preuve documentaire sur le traitement réservé aux parents des opposants politiques en Iran. L’agent a tenu compte du fait que la demanderesse avait réussi au contraire à obtenir un passeport iranien et des visas de sortie, à se rendre en Europe et aux États‑Unis et à immigrer au Canada. Cette question n’a pas été débattue devant la Cour.
C. Risque en tant que femme
[27] L’agent a examiné les allégations de la demanderesse concernant le traitement des femmes en Iran et a confirmé que la preuve documentaire révèle qu’elles sont victimes d’une discrimination généralisée. À son avis, toutefois, cela n’équivalait pas à de la persécution. Tout d’abord, la demanderesse n’appartenait pas à la catégorie des [traduction] « femmes qui faisaient campagne pour défendre leurs droits… les activistes politiques, journalistes ou blogueuses » qui sont exposées [traduction] « aux pressions, à l’intimidation et parfois aux poursuites et à l’emprisonnement » d’après la preuve documentaire. Par ailleurs, elle a passé la plus grande partie de sa vie en Iran et a subi ces contraintes discriminatoires sans avoir été persécutée ni exposée à une menace à sa vie. L’agent a conclu qu’elle n’avait fourni aucun renseignement ni document, personnalisé ou non, établissant qu’elle était une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR en raison de son sexe.
D. Situation en Iran
[28] La demanderesse a allégué que la situation politique internationale et la détérioration des conditions en Iran représentaient une menace pour sa vie. L’agent a estimé que les pièces justificatives présentées par la demanderesse donnaient une idée du bilan médiocre de l’Iran en matière de droits de la personne, mais n’établissaient pas l’existence d’un danger de persécution ou d’un risque personnalisé dans son cas. Il a noté que la situation s’améliorait compte tenu des progrès constatés dans les relations internationales et l’élection d’un nouveau président, qui sont des facteurs à considérer dans l’appréciation des conditions régnant en Iran.
IV. Questions en litige
[29] La demanderesse soutient que la présente demande soulève les questions suivantes :
1. L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en n’examinant pas le profil de la demanderesse de manière cumulative?
2. L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du risque auquel la demanderesse est exposée en raison de sa participation à des manifestations?
3. L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en ne tenant pas dûment compte du risque auquel la demanderesse est exposée en tant que femme refusant le conformisme?
4. L’agent a‑t‑il tiré des conclusions déraisonnables au regard de la preuve?
[30] Le défendeur soutient que la présente demande soulève les questions suivantes
1. La décision de l’agent était‑elle raisonnable?
2. Le fait que l’agent n’a pas évalué les effets cumulatifs de la discrimination alléguée constitue‑t‑il une erreur de droit?
[31] Je résumerai ces observations en une seule question :
1. L’agent a‑t‑il commis une erreur en n’ayant pas suffisamment pris en compte la preuve de la demanderesse?
V. Norme de contrôle
[32] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’était pas toujours nécessaire de procéder à l’analyse relative la norme de contrôle. Lorsque la norme applicable à une question particulière dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter sans autre analyse.
[33] Les questions de fait et de pouvoir discrétionnaire sont assujetties à la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir, aux paragraphes 51 et 53). C’est donc cette norme qui s’appliquera pour déterminer si l’agent a commis une erreur en ne tenant pas suffisamment compte de l’ensemble de la preuve de la demanderesse pour rendre sa décision relative à l’ERAR (Rana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 36, 87 Imm LR (3d) 291).
VI. Analyse
A. Opposition politique en Iran
[34] Dans son mémoire d’observations supplémentaires, la demanderesse fait valoir qu’elle s’expose à un grand danger du fait que son frère a milité contre le régime actuel et a été emprisonné pour ses opinons politiques en 1982. Cet argument n’a pas été débattu à l’audience.
[35] La demanderesse conteste également les motifs de l’agent, car elle a été informée que son amie, Mme Zadeh, avait été torturée, sexuellement violentée et maltraitée durant sa détention d’un mois, et que deux des autres femmes qui avaient été arrêtées en novembre 2009 étaient encore en prison.
[36] L’agent a écarté cet élément de preuve qui reposait sur un courriel de son beau‑frère dans lequel celui‑ci rapportait ses discussions avec Mme Zadeh, ce qui constitue manifestement du ouï‑dire au deuxième degré. De plus, les renseignements concernant ses amies restées en prison proviennent de la famille de Mme Zadeh, ce qui constitue du ouï‑dire au troisième degré. Rien de tout cela ne figurait dans l’affidavit de Mme Zadeh, qui indiquait seulement qu’elle avait été interrogée et emprisonnée pendant un mois.
[37] On ne peut pas reprocher à l’agent d’avoir écarté une preuve par ouï‑dire aux deuxième et troisième degrés qui ne concorde pas avec la déclaration notariée et assermentée de Mme Zadeh. De plus, les contradictions entre les prétendues déclarations de Mme Zadeh et le courriel de M. Djavadi soulèvent des questions quant à l’affidavit de cette dernière.
[38] Dans le meilleur des cas, toute la preuve visant à démontrer que la demanderesse s’exposait à un grave danger figurait dans l’affidavit de Mme Zadeh, où cette dernière a déclaré qu’elle avait été interrogée et emprisonnée à Rasht pendant un mois en 2009, après avoir semble‑t‑il été arrêtée au hasard parmi les millions de personnes qui ont participé à ces manifestations contre les élections tenues cette année‑là. Cet élément de preuve ne satisfait pas au critère de gravité suffisante permettant de conclure qu’elle est l’objet de persécution ou une personne à protéger.
[39] L’agent a également relevé des incohérences dans l’affidavit de Mme Zadeh en ce qui concerne l’identité des manifestantes qui l’accompagnaient, et le fait qu’elle ne semblait pas trop dérangée par son arrestation, puisqu’elle a déclaré sous serment qu’elle était totalement saine de corps et d’esprit.
[40] À l’audience, l’avocat de la demanderesse a soutenu que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en citant des passages concernant la pratique des tribunaux iraniens de délivrer des sommations, ce qui laissait croire que l’agent avait conclu que les procédures régulières n’avaient pas été suivies. À mon avis, l’avocat comprend mal les motifs de l’agent. Ce qui posait problème à l’agent, c’est que la provenance de l’avis de comparution n’était pas claire parce qu’il manquait de détails, par exemple si l’époux avait signé le document ou s’il avait été questionné pour savoir où se trouvait sa femme, ou tout autre renseignement pertinent.
[41] En réalité, l’agent soulignait le fait que le principal témoin qui corroborait presque tous les événements relatés dans l’affidavit de la demanderesse était l’époux de celle‑ci, et que son témoignage n’était rien d’autre que du ouï‑dire. Le fait que le principal témoin corroborant, qui a choisi de ne pas contester son renvoi, n’ait pas fourni de détails sur ces événements, préférablement par voie d’affidavit, est une raison valable de considérer que cette preuve est moins fiable parce qu’elle manque de précision. Il était raisonnable que l’agent juge problématique l’absence d’informations concernant la réception du principal document sur lequel la demanderesse s’est appuyée pour établir qu’elle était recherchée par les autorités iraniennes. Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle en ce qui concerne cet élément de preuve, et je conclus que les reproches de la demanderesse n’ont pas assez de poids pour mettre en doute le caractère raisonnable de la décision.
[42] J’estime par ailleurs que la conclusion portant que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle était recherchée par les autorités est raisonnable et suffisamment étayée par la preuve. L’agent a fait remarquer que les avis écrits ne contenaient aucune indication selon laquelle les autorités avaient l’intention de l’arrêter ou de l’emprisonner. L’avis de police a été envoyé par la poste et demandait seulement à la demanderesse de se présenter au bureau du procureur; la situation de Mmes Zadeh et Nehzami est différente puisqu’elles ont vraiment été arrêtées.
[43] L’agent a eu raison de conclure que rien ne démontrait que la demanderesse avait été accusée ou déclarée coupable d’un crime, ou qu’elle était recherchée pour être arrêtée en raison de sa conduite. À cet égard, il pouvait légitimement s’appuyer sur le fait qu’elle avait quitté Téhéran sans rencontrer la moindre difficulté à l’aéroport. Il était également raisonnable de la part de l’agent de conclure que la demanderesse ne semblait pas trop préoccupée par la sommation puisqu’elle est restée à Téhéran pendant deux semaines sans s’y conformer. Si elle avait vraiment eu peur, ainsi qu’elle l’affirme dans sa déclaration solennelle, on se serait attendu à ce qu’elle quitte l’Iran avant l’échéance du délai imparti pour se présenter au bureau du procureur.
[44] L’agent a également cité les documents concernant la situation en Iran fournis par l’avocat de la demanderesse, et noté que les articles se rapportaient à des enjeux spécifiques en matière de droits de la personne, plus particulièrement la profanation ou l’outrage de l’islam, et les sanctions économiques imposées à l’Iran par le Canada, l’Union européenne et les États‑Unis. L’agent a conclu que ces documents ne démontraient pas que la demanderesse serait exposée à un danger de persécution ou à une menace personnalisée à sa vie, ou encore à un risque de traitements ou peines cruels ou inusités. Ils indiquaient plutôt que la situation s’était nettement améliorée en Iran depuis l’élection du modéré Hasan Rouhani et les progrès réalisés dans les relations avec l’Ouest, ce qui atténuait les risques de guerre et d’événements susceptibles d’exposer la demanderesse à un danger.
[45] Dans les circonstances, j’estime que l’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en rejetant les arguments de la demanderesse fondés sur son opposition politique à l’ancien régime.
B. Refus de se conformer aux contraintes imposées aux femmes
[46] La demanderesse soutient que l’agent n’a pas examiné son argument selon lequel elle était en danger parce qu’elle n’était plus disposée à se conformer aux règles strictes du régime iranien concernant le comportement des femmes, en particulier le code vestimentaire. Son avocat fait valoir que cet élément de preuve méritait d’être examiné par l’agent, quitte à être rejeté pour manque de crédibilité ou en raison de sa nature hypothétique. La demanderesse soutient que la jurisprudence confirme que les femmes qui refusent d’obéir aux codes vestimentaires qui leur sont imposés s’exposent à un danger et même à un risque de persécution.
[47] Je conviens que les motifs touchant ce point sont brefs, mais il est vrai aussi qu’ils reprennent la conclusion de la SAI selon laquelle la demanderesse a passé la plus grande partie de sa vie en Iran dans ces conditions discriminatoires, sans rencontrer de difficultés ni d’épreuves. On voit mal comment un demandeur peut invoquer des motifs d’ordre humanitaire qui ne satisfont pas au niveau de difficultés requis selon les normes applicables à cet égard, et suggérer que les mêmes faits entraînent un danger de persécution.
[48] Je ne pense pas non plus que la jurisprudence concernant le risque auquel s’exposent les femmes qui refusent de se conformer à des codes vestimentaires ou autres s’applique en l’espèce. Les faits dans ces affaires ne ressemblent pas à ceux qui nous occupent; la demanderesse tente ici de s’appuyer sur une déclaration d’intention volontaire et récente d’après laquelle elle refusera de se conformer aux conditions qui règnent en Iran après avoir passé la plus grande partie de sa vie dans ce pays sans subir de mauvais traitements importants. Les décisions citées concernaient des femmes qui avaient subi de graves violences pour avoir refusé de se soumettre à des contraintes imposées à leur sexe, ce qui constituait le fondement probatoire d’une crainte légitime de persécution.
[49] Je conviens également avec le défendeur qu’un examen de l’ensemble des motifs révèle que l’agent a pris en compte la preuve produite par la demanderesse, mais lui a accordé peu de poids, notamment la déclaration de son intention de refuser de respecter à l’avenir les contraintes imposées aux femmes par le régime iranien.
C. Défaut de tenir compte du risque lié à la participation à des manifestations au Canada
[50] La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en n’évaluant pas le risque auquel elle s’expose après avoir assisté aux manifestations contre le régime qui ont eu lieu à Vancouver, ce qui contribue à son profil de personne à risque.
[51] Je conviens que les motifs de l’agent n’ont pas répondu à cet argument. Cependant, j’estime que ce dernier était en droit d’ignorer cet argument qui n’était absolument pas étayé.
[52] Dans un dossier certifié du tribunal d’une épaisseur d’environ cinq pouces, un seul paragraphe de la preuve (dans la déclaration solennelle de la demanderesse) traite de la participation de la demanderesse aux manifestations de Vancouver du 14 juin 2009. De plus, aucun des documents concernant la situation dans le pays ne permet de croire que les Iraniens surveillent les manifestations qui se déroulent au Canada ou s’y intéressent. Rien n’indique qu’un individu qui participe simplement à des manifestations à l’étranger s’expose à un danger s’il ne jouit pas d’une certaine visibilité publique propre à attirer l’attention des autorités qui pourraient surveiller les manifestations au Canada.
[53] Les agents ERAR, pas plus que la Cour, ne sont tenus de répondre à des arguments totalement infondés.
VII. Conclusion
[54] Je conclus que la décision de l’agent appartient aux issues possibles et raisonnables et qu’elle était justifiée par des motifs intelligibles et transparents. La demande est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée et l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande est rejetée et aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.
« Peter Annis »
Juge
Traduction
certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM‑1130‑14
|
INTITULÉ : |
MARYAM MASOUMALI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 6 OCTOBRE 2014
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE ANNIS
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 21 NOVEMBRE 2014
|
COMPARUTIONS :
Lorne Waldman
|
POUR LA demanderesse
|
Edward Burnet
|
pour LE défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
a/s Larlee Rosenberg Avocat Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LA demanderesse
|
William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada |
POUR LE défendeur
|