Dossier : IMM-5492-13
Référence : 2014 CF 1007
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 22 octobre 2014
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE : |
HEKMAT HOSINI |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. CONTEXTE
[1] Hekmat Hosini [le demandeur] est un citoyen afghan qui sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés du Canada [SPR, Commission] jugé qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger suivant les critères exposés aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) [la LIPR]. La demande a été présentée en application du paragraphe 72(1) de la LIPR.
[2] Monsieur Hosini s’est enfui de l’Afghanistan en décembre 2011 en raison d’un différend foncier avec de puissants chefs de guerre de la province de Hérat, connus sous le nom des frères de Siyawooshan [les frères]. Il a demandé l’asile au Canada. À l’audience devant la SPR, le demandeur a expliqué qu’il n’était pas en sécurité en Afghanistan parce que les Frères exerçaient leur influence et leur pouvoir non seulement à Hérat, mais dans l’ensemble du pays. Il a également souligné que les Frères avaient des liens avec d’autres groupes rebelles nationaux en Afghanistan, ainsi qu’avec la magistrature fédérale. Ces affirmations ont été corroborées par la preuve documentaire présentée à la Commission.
[3] La preuve testimoniale ou documentaire ne soulevait aucune question de crédibilité. La Commission a toutefois finalement rejeté la demande du demandeur en se basant uniquement sur la possibilité de refuge intérieure (la PRI). Dans ses motifs écrits (la décision), la Commission a estimé que les Frères exerçaient uniquement leur influence et leurs pouvoirs à Hérat et qu’il était peu probable qu’ils se lancent à la poursuite du demandeur s’il déménageait à Kaboul.
II. LES FAITS
[4] La famille du demandeur était propriétaire de terres dans le village de Siyawooshan, situé dans la province de Hérat. Vers 1979, ces terres ont été confisquées par un puissant chef de guerre, Ghulam Yahya Akbari [Yahya].
[5] Yahya et sa famille viennent de Siyawooshan (raison pour laquelle lui et ses partisans sont connus collectivement comme les frères de Siyawooshan). Yahya a été tué en 2009 après une longue poursuite par les forces du gouvernement afghan et l’armée des États‑Unis. Les frères exercent une grande influence sur la population civile de Hérat, et étendent cette influence à d’autres régions grâce à des liens avec des groupes d'insurgés en Afghanistan. Ils ont des liens avec plusieurs groupes islamiques radicalisés comprenant les Mujahedeen, les Talibans, les Hezb-e-Islami, Al-Qaïda et même le gouvernement afghan de l’ancien Président Karzai pendant les années de conflit qu’a connues le pays.
[6] S’il est vrai que Yahya a été tué à la suite d’une frappe ciblée des forces des États-Unis en octobre 2009, sa descendance ‑ les autres frères ‑ travaille toujours à la réalisation de ses objectifs.
[7] Après que les frères aient confisqué les terres de la famille du demandeur en 1979, le père du demandeur a déposé une plainte devant les tribunaux. Aucune suite n’a été donnée à la plainte pendant les dizaines d’années de guerre civile et de règne des Talibans qui ont suivi. Cependant, après la mort de Yahya, le père du demandeur a tenté de réactiver la plainte avec l’aide d’un ami de la famille, le commandant Aziz.
[8] Le père du demandeur a réuni les actes de propriété relatifs aux terres contestées et les a présentés à un tribunal à Hérat en janvier 2011. Un juge de Hérat a transféré le dossier à un tribunal de Kaboul.
[9] Les frères ont découvert par la suite que le père du demandeur avait réactivé la plainte. Ils ont également appris que la plainte avait été transmise à un tribunal de Kaboul. Les frères ont déclaré au père de l’appelant qu’ils lui rendraient ses terres s’il retirait sa plainte devant les tribunaux.
[10] Le père du demandeur a donc retiré sa plainte. Cependant, en juin 2011, le père et les deux frères du demandeur se sont rendus chez les frères pour leur montrer des preuves montrant qu’ils avaient retiré leur plainte et ils ont disparu sur le chemin de Siyawooshan. Personne n’a entendu parler d’eux depuis; ils n’ont pas été retrouvés et on pense qu’ils ont été assassinés par les frères.
[11] Le demandeur est aujourd’hui le seul détenteur du titre de propriété légal sur les terres contestées, étant donné qu’il est le seul représentant mâle, vivant de sa famille.
[12] Le demandeur a signalé la disparition de son père et de ses frères à la police, mais son rapport n’a pas eu de suite. Il est revenu se plaindre avec sa mère et la police a accepté de faire enquête. Quelques policiers se sont rendus à Siyawooshan et ont rapporté qu’il n’y avait aucune trace du père et des frères du demandeur.
[13] Insatisfait de la réponse fournie par la police, le demandeur a communiqué avec le commandant Aziz, un ami de la famille, pour qu’il l’aide à retrouver son père et ses frères. Le commandant Aziz a appris qu’un des frères de Siyawooshan avait été arrêté au cours de l’enquête sur la disparition, mais avait été libéré parce qu’il avait nié connaître la famille du demandeur.
[14] Par la suite, le 10 septembre 2011, le magasin de vêtements du demandeur a été dévalisé. Il a pensé que les frères essayaient de lui voler son argent et les actes de propriété sur les terres contestées. Lorsqu’il a rapporté cet incident aux policiers, ceux-ci lui ont dit qu'ils ne pouvaient rien faire.
[15] En octobre 2011, quelqu’un a essayé de s’introduire par effraction dans la maison du demandeur. En novembre 2011, le magasin du demandeur a été incendié. Le demandeur a commencé à recevoir des menaces provenant des frères, l’avertissant qu’il serait tué s’il ne remettait pas les documents relatifs à ces biens.
[16] Après avoir rapporté l’incendie aux policiers, ceux-ci ont déclaré au demandeur qu’ils ne pouvaient rien faire parce que les frères étaient puissants. Le commandant Aziz a confirmé qu’il n’était pas non plus en mesure d’assurer la protection du demandeur. Le demandeur a quitté l’Afghanistan le 12 décembre 2011, et après avoir passé une brève période au Pakistan pour obtenir des titres de voyage, il est arrivé par avion au Canada le 20 décembre 2011 et il a demandé l’asile deux jours plus tard.
[17] Au cours de l’audience devant la SPR, la Commission a interrogé le demandeur au sujet du différend portant sur les terres, de la disparition de son père et de ses frères, des frères et des menaces reçues en Afghanistan. Le demandeur a expliqué que les frères estimaient qu’il menaçait leur pouvoir parce qu’il avait conservé le titre de propriété légal sur les terres contestées, étant donné qu’il était le dernier membre de sexe masculin de la famille.
[18] La Commission a également interrogé le demandeur pour savoir s’il pouvait quitter Hérat et déménager à Kaboul pour être en sécurité. Le demandeur a répondu que les frères étaient puissants et avaient de l’influence, non seulement à Hérat, mais dans l’ensemble du pays. Il a également expliqué que les frères avaient des liens avec de nombreux groupes d’insurgés en Afghanistan et qu’ils avaient de l’influence sur la magistrature. Les preuves documentaires présentées à la Commission confirmaient le fait que les frères contrôlaient étroitement la région de Hérat et un secteur plus large grâce à leurs liens avec divers groupes d’insurgés exerçant leurs activités dans l’ensemble de l’Afghanistan. D’autres rapports expliquaient que les grands chefs de guerre en Afghanistan agissaient souvent avec impunité et exerçaient leur influence bien au-delà des frontières géographiques apparentes.
III. LA DÉCISION
[19] Dans des motifs écrits datés du 1er août 2013, la SPR n’a pas mis en doute la crédibilité de l’histoire personnelle du demandeur en Afghanistan, notamment les éléments essentiels concernant la propriété et les différends concernant les terres, la disparition des membres de sa famille, les menaces répétées et l’incapacité d’obtenir une protection à Hérat ou de demeurer dans cette ville.
[20] La Commission a toutefois estimé que le demandeur pourrait se soustraire au danger que posaient les frères en déménageant à Kaboul et qu’il avait donc une PRI. La Commission a estimé que les éléments de preuve ne démontraient pas que les frères s’intéressaient suffisamment au demandeur, étant donné que son profil de risque n’était pas considéré comme « élevé ». La Commission a également conclu, après avoir effectué une analyse subjective et objective, que les frères n’exerçaient pas leur influence au-delà de Hérat et que le demandeur ne serait pas en danger à Kaboul. La SPR a fondé sa décision sur le témoignage du demandeur, ainsi que sur deux rapports clés contenus dans la trousse de documents concernant ce pays. Les lacunes contenues dans le raisonnement de la Commission au sujet de ces deux éléments sont expliquées ci-dessous.
[21] Le demandeur avait indiqué lors de son témoignage que l’influence des frères ne se limitait pas à Hérat, mais la Commission a conclu (à tort) que le demandeur avait déclaré que l’influence des frères s’exerçait uniquement dans la région de Hérat.
[22] La Commission a effectué son analyse de la PRI en faisant expressément référence à deux documents clés, qui faisaient partie de nombreuses preuves présentées : (i) le document intitulé Danish Immigration Service’s Fact Finding Mission to Kabul de 2012 [le rapport danois] (rapport de mission d’enquête du Service danois de l’immigration à Kaboul), et (ii) le document intitulé Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum Seekers from Afghanistan [principes directeurs en matière d’admissibilité relatifs à l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires de l’Afghanistan] (principes directeurs du HCR), daté du 17 décembre 2010.
[23] Le rapport danois cite l’opinion de diverses sources de la société civile exerçant leurs activités en Afghanistan. La Commission a fait remarquer qu’une de ces sources, la Cooperation for Peace and Unity, estimait qu’il était improbable qu’une partie à un différend foncier puisse retracer l’autre partie n’importe où en Afghanistan. Aucune des autres sources citées dans le rapport factuel danois n’est mentionnée dans les motifs de la Commission. La Commission a également cité de façon sélective les principes directeurs du HCR pour conclure que le demandeur ne faisait pas partie d’une des 11 catégories de personnes exposées à un danger décrites par l'UNHCR.
[24] Après avoir conclu que Kaboul était une ville « relativement sûre » et qu’il était peu probable que les frères s’intéressent davantage au demandeur, la Commission a conclu qu’il existait une PRI à Kaboul.
IV. LA QUESTION EN LITIGE
[25] La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la conclusion relative à l’existence d’une PRI était raisonnable.
V. LES ARGUMENTS
[26] Le demandeur soutient que la Commission a commis trois graves erreurs qui rendent sa décision déraisonnable : elle a mal apprécié i) le profil de risque du demandeur, ii) son témoignage et iii) les sources documentaires, en ne tenant pas compte, notamment, de preuves essentielles et que ces trois erreurs rendent déraisonnable la conclusion à l’existence d’une PRI.
[27] De son côté, le défendeur invite la Cour à confirmer la décision pour le motif qu’elle était étayée par des éléments de preuve et que même s’il avait été possible d’en arriver à une autre conclusion, la conclusion tirée dans cette affaire était raisonnable.
VI. ANALYSE
A. La norme de contrôle
[28] La conclusion relative à une PRI est examinée selon la norme de la raisonnabilité : voir Roy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 768, au paragraphe 16; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 342, au paragraphe 17. La Cour n’intervient à l’égard de la décision que si celle-ci n’est pas justifiée par les faits et par le droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9. Autrement dit, pour renvoyer l’affaire pour nouvel examen, les motifs de la Commission doivent manquer de justification, de transparence et d’intelligibilité. C’est le cas en l’espèce.
B. La PRI
[29] Le critère à appliquer pour décider s’il existe une véritable PRI comporte deux volets : i) l’absence de risque, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur soit persécuté ou qu’il soit exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans la région de la PRI proposée et ii) la situation dans la région de la PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, que le demandeur y cherche refuge : Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CAF), aux paragraphes 12 et 13.
[30] Pour conclure que le demandeur ne serait pas en danger s’il déménageait à Kaboul, la Commission s’est fondée sur les éléments suivants :
• Le demandeur n’avait pas un profil de risque élevé.
• Il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que les frères continuaient à s’intéresser au demandeur.
• Il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuves indiquant que les frères avaient de l’influence au-delà de Hérat, et plus précisément, à Kaboul.
[31] Ce sont là les trois erreurs fondamentales qui ont amené la Commission à tirer une conclusion déraisonnable.
[32] Premièrement, la Commission a énuméré les 11 profils de risque, en se fondant sur les principes directeurs du HCR, et a conclu que le demandeur n’était visé par aucune de ces catégories. Cependant, le onzième risque, d’après l’énumération de la Commission et documenté par le HCR, vise [traduction] « les personnes qui risquent de devenir victimes d’une vendetta ». La définition de vendetta, que l’on trouve ailleurs dans le même document de l’UNHCR, comprend les litiges fonciers. La voici :
[traduction]
11. Vendettas
Les vendettas sont une pratique bien établie dans les traditions culturelles afghanes. Les vendettas sont des conflits qui opposent des familles, des tribus et des factions armées et qui sont souvent déclenchées par des atteintes apparentes à l’honneur des femmes, aux droits de propriété, et à des différends relatifs aux terres et à l’eau.
Selon cette pratique, les personnes qui font partie de la famille ou de la tribu de l’individu considéré comme étant l’auteur de l’atteinte sont visées par les membres de la famille ou de la tribu de la victime. La vengeance peut prendre plusieurs formes : assassinat, blessures, humiliation publique de l’auteur ou des personnes ayant des liens avec sa famille ou avec sa tribu.
Les vendettas peuvent se poursuivre sur de
longues périodes, sur plusieurs générations, avec un cycle de représailles
violentes entre les parties. La résolution d’un litige en ayant recours à un mécanisme
de justice officiel ne met pas toujours fin à une vendetta.
[aux pages 32 et 33, non souligné dans l’original.]
[33] La Commission disposait en outre d’autres éléments de preuve documentaire établissant que les parties à des litiges fonciers étaient en danger. Selon la preuve non contestée, le litige foncier en cause ici remontait à 1979 et avait directement touché le demandeur puisque son père et ses frères avaient disparu alors qu’ils essayaient de régler ce problème en 2011. Étant le dernier membre de sexe masculin de la famille, c’est lui seul qui possédait le titre de propriété légal sur les terres contestées et il a continué à être ciblé et à recevoir des menaces de mort jusqu’à ce qu’il s’enfuie.
[34] Vu que l’existence du litige foncier avait été admise et qu’elle n’était pas contestée, la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion contraire à celle qui ressortait des éléments de preuve documentaire.
[35] Deuxièmement, la Commission a mal compris le témoignage du demandeur.
[36] À l’audience, le demandeur a déclaré que les frères constituaient une menace dans l’ensemble de l’Afghanistan : [traduction] « […] Ils n’ont pas seulement des contacts dans la région de Hérat » […] mais « quel que soit l’endroit où nous pourrions aller. » Il a également déclaré que [traduction] « […] Siyawooshan est relié à Al-Qaïda, à Islami et à Hekmatyar ainsi qu'au réseau Al‑Qaïda » : Dossier de demande, onglet 3 : pièce « G », à la page 225.
[37] En réponse à des questions concernant sa sécurité à Kaboul et la plainte que sa famille avait déposée devant les tribunaux, le demandeur a répondu :
[traduction]
[…] Cela montre qu’ils ont des gens qui se sont infiltrés dans le système
judiciaire et dans la magistrature […] Il y avait donc quelqu’un, un
observateur qui écoutait, qui leur disait que certaines personnes avaient porté
plainte contre eux et que le ministère et la magistrature devraient intercepter
la plainte […] À cause de cette situation, j’étais bien connu et je ne pouvais
aller nulle part ailleurs. […]
Dossier de demande, onglet 3 : pièce « G », à la page 226.
[38] La conclusion de la Commission montre qu’elle a compris exactement le contraire de ce témoignage, dans la mesure où elle a conclu que le demandeur avait déclaré que les frères possédaient uniquement de l’influence à Hérat.
[39] La mauvaise compréhension d’une preuve subjective peut entraîner l’annulation d’une décision comme cela a été le cas ici : voir Shaheen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1485, et Gur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 992.
[40] La troisième et dernière erreur concerne la preuve documentaire objective. Des documents, y compris ceux qu’a cités la Commission, confirmaient que les frères avaient des liens avec les Talibans, Al-Qaïda, Hezb-e-Eslami, ainsi qu’avec le gouvernement central et les gouvernements provinciaux afghans : Dossier de demande, onglet 3 : pièce « C », Trousse sur la situation dans le pays, aux pages 121, 122, 124, 129, 131 et 132.
[41] Comme la Commission n’a pas examiné de façon raisonnable les éléments clés de preuve documentaire concernant l’existence d’une PRI proposée valable, elle a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 157 FTR 35 (CF), au paragraphe 17.
[42] En fait, les deux documents essentiels que la Commission a cités – le rapport danois et les principes directeurs du HCR – contenaient tous les deux des passages cruciaux que la Commission n’a pas mentionnés et qui contredisaient les passages sur lesquels s’est fondée la Commission.
[43] Par exemple, le rapport danois regroupe les commentaires reçus de divers organismes internationaux. La Commission a cité un passage provenant d’un organisme. Voici des exemples de passage contraires émanant de différentes organisations et qui se trouvaient dans le rapport de l’UNHCR :
[traduction]
L’AAWU [All Afghan Women Union] a déclaré que les litiges fonciers étaient des sujets très controversés en Afghanistan. D’après l’AAWU, si quelqu’un a un litige foncier avec une personne d’influence comme un commandant, il risque probablement d’être agressé et même d’être tué. De plus, les tribunaux fonciers ainsi que les shuras/jirgas subissent habituellement l’influence des personnes puissantes et les institutions gouvernementales sont corrompues, raison pour laquelle il est impossible de régler ce genre de différend par ces moyens […]
[…] Même si la famille accepte une solution et ne réclame pas immédiatement le retour des terres, elle peut quand même demeurer une cible parce qu’il y a le risque qu’elle réclame ses terres plus tard. Cela vaut particulièrement dans le cas où les membres de sexe masculin de la famille (héritiers) sont vivants et pourraient réclamer les terres. Ce genre de vendetta qui pouvait toucher toute une famille ou toute une tribu était une caractéristique des Pachtounes, mais, d’après l’UNHCR, elle s’étend désormais à tous les autres groupes ethniques en Afghanistan.
Lorsqu’on lui a demandé s’il serait possible de trouver un refuge à Kaboul ou dans d’autres villes (Mazar et Hérat), la LUA (Lawyers Union of Afghanistan) a déclaré que le problème perdurerait. La LUA a expliqué que la personne à l’origine du conflit et qui a obtenu la propriété des terres risquait de souhaiter éliminer l’autre partie pour être certaine que celle-ci ne les réclamera plus. À moins que la personne menacée ait des relations personnelles avec les autorités de la sécurité nationale, elle vivra constamment avec cette menace.
Dossier de demande, onglet 3 : pièce « C », Trousse sur la situation dans le pays, aux pages 114 à 117.
[44] Ces éléments de preuve contenus dans le rapport danois n’étaient pas « enfouis » dans la preuve documentaire. En fait, le conseil du demandeur avait cité ce passage à la Commission pendant sa plaidoirie. La Commission a toutefois choisi un seul passage du rapport danois qui allait à l’encontre de la prépondérance de la preuve.
[45] Dans le deuxième document sur lequel la Commission s’est fondée, le rapport de l’UNHCR, la Commission a omis un passage clé qui énonce que des milices puissantes comme celles des frères [traduction] « ont des contacts ou sont étroitement associées à des acteurs d’influence dans l’administration centrale et locale. C’est pourquoi elles bénéficient d’une large impunité et que leur zone d’influence peut s’étendre au-delà du secteur sur lequel elles exercent un contrôle immédiat (de fait) » : Principes directeurs du HCR, dossier de demande, onglet 3 : pièce « E », Trousse sur la situation dans le pays, aux pages 178 et 179.
[46] Enfin et concernant directement la question centrale de la PRI soulevée dans la présente demande, les principes directeurs du HCR énoncent ce qui suit :
[traduction]
30.06 « Il n’est pas difficile de retracer des personnes en Afghanistan, même
si cela prend parfois du temps. Les voisins et les propriétaires fonciers
vérifient les antécédents des nouveaux arrivants, parce que tout le monde pense
en termes de sécurité et que ces personnes voudraient vérifier quels sont les
antécédents d’une personne qui viendrait s’installer dans leur région. De plus,
les messages peuvent être envoyés d’un bout à l’autre du pays par des chaînes
de communication fondées sur des contacts personnels et il serait naturel de
faire enquête pour savoir d’où vient le nouvel arrivant, pour savoir quel rôle
il pourrait jouer dans un tel réseau. Le service postal n’est pas fiable et ne
fonctionne que dans les centres de district, et non dans les villages, de sorte
que l’on a souvent recours aux voyageurs pour livrer des messages et des marchandises
aux membres de la famille et aux amis. » (Dr Antonio
Giustozzi, notes sur l’Afghanistan, 28 juin 2006).
VII. CONCLUSION
[47] La Commission a commis une erreur déraisonnable lorsqu’elle a conclu que le demandeur serait en sécurité à Kaboul. Les preuves concernant i) le profil de risque du demandeur; ii) sa situation personnelle et iii) les preuves objectives relatives au pays contredisent toutes les conclusions de la Commission. La demande sera accueillie. Les conseils n’ont pas proposé de question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande est accueillie et le dossier renvoyé à une formation différemment constituée pour nouvelle décision conformément au droit.
2. Il n’y a pas de questions à certifier.
« Alan Diner »
Juge
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DoSSIER : |
IMM-5492-13 |
INTITULÉ : |
HEKMAT HOSINI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 6 OCTOBRE 2014
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE DINER
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 22 OCTOBRE 2014
|
COMPARUTIONS :
Andrew Brouwer Ben Liston
|
POUR Le demandeur
|
Margherita Braccio
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Refugee law office Toronto (Ontario)
|
POUR Le demandeur
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR
|