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Date : 20141113


Dossier : IMM-2319-13

Référence : 2014 CF 1071

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2014

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

RAGUNATHAN RAJARATNAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a rejeté la demande d’asile du demandeur. Le demandeur demande maintenant à la Cour le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]               Le demandeur demande à la Cour d’annuler la décision défavorable et de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

I.                   Contexte

[3]               Ragunathan Rajaratnam (le demandeur) est un Tamoul originaire de Cheddikulam, dans le district de Vavuniya au Sri Lanka. Il est entré au Canada le 25 novembre 2011 et il a demandé l’asile à son arrivée. Il affirme que le gouvernement le soupçonne d’avoir des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) et avoir été détenu et torturé à plusieurs reprises pour cette raison.

II.                Décision contrôlée

[4]               La Commission a rejeté la demande du demandeur le 19 février 2013.

[5]               La Commission a reconnu que le demandeur avait été détenu trois fois par l’armée sri‑lankaise ou par le Service des enquêtes criminelles. Toutefois, le commissaire n’a pas cru que le demandeur avait été torturé, car il n’avait montré aucun signe de détresse lorsqu’il avait décrit ces traitements qu’il aurait subis.

[6]               De plus, la Commission n’était pas convaincue que le demandeur était recherché par les autorités gouvernementales ou soupçonné d’avoir des liens avec les TLET. Chaque fois où il avait été détenu, il avait été relâché sans intervention judiciaire, ce qui n’aurait pas été le cas s’il avait été réellement soupçonné. D’ailleurs, il n’avait eu aucune difficulté non plus à obtenir un passeport et à quitter le pays, même si les forces de sécurité du Sri Lanka se servent des aéroports pour appréhender les partisans des TLET.

[7]               La Commission a également conclu que le profil du demandeur ne correspondait au profil d’aucun des groupes de personnes à risque nommés par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Par conséquent, il n’existait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s’il retournait au Sri Lanka.

[8]               En fait, la Commission n’a même pas cru que le demandeur craignait subjectivement d’être persécuté. Il avait passé quatre ou cinq mois en détention aux États‑Unis et avait été relâché lorsqu’un agent d’immigration avait tiré une conclusion favorable à la suite d’une entrevue relative à la crédibilité. Il s’est néanmoins désisté de sa demande et il est plutôt venu au Canada. La Commission ne croyait pas qu’une personne craignant réellement la persécution au Sri Lanka aurait laissé tomber une telle occasion alors qu’il avait de bonnes chances de voir sa demande accueillie et qu’il risquait l’expulsion en venant au Canada dans de telles circonstances.

[9]               La Commission a ensuite examiné si le fait que le demandeur serait un demandeur d’asile débouté à son retour au pays modifierait cette analyse. La réponse était non. La Commission a affirmé que peu de personnes avaient été détenues à leur arrivée, et que ces cas avaient trait à des accusations criminelles en instance. De plus, même les anciens membres des TLET sont relâchés à l’heure actuelle, et la Commission a jugé qu’il serait peu probable que les forces de sécurité détiendraient quelqu’un qu’ils ne soupçonnaient même pas de liens avec les TLET.

[10]           Enfin, la Commission a évalué le risque que le demandeur fasse l’objet d’extorsion ou d’un enlèvement. Après la fin de la guerre, certains éléments corrompus des forces de sécurité et de paramilitaires favorables au gouvernement se sont tournés vers la criminalité. Ils visent parfois les personnes perçues comme riches, y compris les personnes qui reviennent des pays occidentaux. La Commission a toutefois conclu qu’il s’agissait d’un risque généralisé exclu aux termes du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR.

[11]           Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

III.             Questions en litige

[12]           Le demandeur formule la question à trancher en termes généraux : « La Section de la protection des réfugiés a‑t‑elle commis une erreur de fait ou de droit, manqué à l’équité ou outrepassé sa compétence? »

[13]           Le défendeur répond que le demandeur n’a pas montré que la décision était déraisonnable.

[14]           À la lumière de l’examen des documents versés au dossier, la question peut être reformulée comme suit :

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.                 La Commission a‑t‑elle mal compris un ou des critères prévus à l’article 97 de la LIPR?

C.                 La décision de la Commission était‑elle déraisonnable?

IV.             Observations du demandeur

[15]           Le demandeur conteste la décision pour sept motifs. Premièrement, il souligne qu’il a été détenu pendant de longues périodes. Il affirme que les détentions elles‑mêmes constituaient de la persécution, mais la Commission ne s’est jamais réellement penchée sur cette question.

[16]           Deuxièmement, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité reposant uniquement sur son comportement (citant Lekaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 909, aux paragraphes 16 et 17, [2006] ACF no 1151 [Lekaj]). Le demandeur est demeuré constant chaque fois qu’il a livré son récit et celui‑ci aurait dû être présumé vrai. Il avance que cette erreur nécessite la tenue d’une nouvelle audience, car il est impossible de savoir quelle aurait été la décision si l’erreur n’avait pas été commise.

[17]           Troisièmement, le demandeur estime que la Commission a commis une erreur en accordant de l’importance à la manière dont il a quitté le Sri Lanka. Il renvoie à un cas de jurisprudence selon lequel la Commission ne devrait pas le faire si elle ne dispose pas d’éléments de preuve montrant que l’armée et les autorités de contrôle des frontières se transmettaient des renseignements (citant Yousuff c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1116, au paragraphe 9, [2005] ACF no 1394 [Yousuff]). L’analyse de la Commission laisse de côté le fait qu’il avait été détenu pendant dix heures à son retour de l’Équateur et qu’il avait dû leur donner tout l’argent qu’il avait sur lui avant d’être libéré.

[18]           Quatrièmement, le demandeur affirme que le rejet par la Commission de sa crainte subjective était une erreur. Il avait toujours eu l’intention de venir au Canada parce que des membres de sa famille y vivaient, et la seule raison pour laquelle il avait séjourné aux États‑Unis est qu’il y était détenu. Il n’était responsable d’aucun retard.

[19]           Cinquièmement, le demandeur affirme que la Commission a omis de tenir compte des effets cumulatifs de ses détentions, des difficultés que connaissent les demandeurs d’asile déboutés et de l’insécurité générale dans le pays.

[20]           Sixièmement, le demandeur fait valoir que le danger allégué était celui de la torture, de sorte que la Commission a eu tort d’évaluer le risque généralisé.

[21]           Septièmement, le demandeur affirme que la Commission a mal interprété le critère prévu au paragraphe 97(1) lorsqu’elle a affirmé que « le risque doit être tel que le demandeur d’asile sera, selon toute probabilité, torturé ou exposé à d’autres traitements cruels et dégradants ».

V.                Observations du défendeur

[22]           Le défendeur affirme que la décision de la Commission était raisonnable.

[23]           Le défendeur affirme que la Commission a conclu avec raison que le nom du demandeur ne figurait pas sur une liste de surveillance. Cette conclusion était pleinement étayée par la preuve et elle était pertinente pour déterminer s’il était soupçonné d’entretenir des liens avec les TLET. De plus, la Commission n’a  pas écarté l’allégation selon laquelle il faisait l’objet d’extorsion, mais l’a plutôt traitée directement; ce n’était que l’une des nombreuses conclusions qui corroboraient la conclusion de la Commission.

[24]           Le défendeur affirme également que les conclusions de la Commission au sujet du comportement du demandeur ont réfuté la présomption de véracité. Le défendeur affirme que les conclusions relatives à la crédibilité ne devraient pas être rejetées à la légère.

[25]           Par ailleurs, le défendeur affirme que la Commission a également conclu que le demandeur n’avait aucune crainte subjective. Selon lui, la Commission a raisonnablement conclu qu’une personne craignant réellement la persécution ne laisserait pas tomber de bonnes chances d’obtenir l’asile aux États‑Unis.

[26]           Le défendeur commente ensuite l’argument portant sur les effets cumulatifs. Le défendeur affirme que la Commission a raisonnablement conclu qu’il n’existait pas de risque de discrimination, de sorte qu’il n’y avait rien à évaluer de façon cumulative. Quoi qu’il en soit, cet argument n’a pas été présenté à la Commission.

[27]           Qui plus est, le défendeur affirme que la Commission a en effet examiné si les détentions passées constituaient de la persécution, même sans la torture. Il fait observer que la Commission a renvoyé à un certain nombre de cas qui ont confirmé que les détentions en soi ne sont pas nécessairement déterminantes. Il en déduit que la Commission était sensible à la question.

[28]           En ce qui concerne l’article 97, le défendeur appuie l’analyse de la Commission. Étant donné que la Commission a conclu que le demandeur n’avait jamais été torturé et qu’il n’existait aucun risque qu’il le soit, les  dispositions applicables sont celles de l’alinéa 97(1)b). Le seul risque possible était celui d’extorsion et de chantage exercés par des organisations criminelles, qui était généralisé. Enfin, le défendeur affirme que la Commission a appliqué le bon critère et qu’elle a évalué le danger et le risque selon la prépondérance des probabilités.

VI.             Analyse et décision

A.                Première question – Quelle est la norme de contrôle applicable?

[29]           Si la jurisprudence a établi la norme de contrôle de manière satisfaisante, il n’est pas nécessaire de procéder de nouveau à l’analyse (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

[30]           Dans deux de ses questions, le demandeur met en doute l’interprétation que la Commission a faite du critère énoncé au paragraphe 97(1). En général, lorsque la jurisprudence a établi un critère, la Commission doit interpréter correctement le droit. Toutefois, son application du droit aux faits devrait être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (voir Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, aux paragraphes 20 à 22, [2013] ACF no 1009; Paramanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 338, au paragraphe 11, [2012] ACF no 377).

[31]           C’est également la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique à toutes les autres questions soulevées par le demandeur. Ce sont toutes des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit qui commandent la retenue presque automatiquement (voir Dunsmuir au paragraphe 53; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (QL), au paragraphe 4, 160 NR 315; Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, aux paragraphes 22 à 40, [2012] ACF no 369).

[32]           Cette norme signifie que je ne dois pas intervenir si la décision de la Commission est transparente, justifiée et intelligible et si elle appartient aux issues possibles acceptables (voir Dunsmuir, au paragraphe 47). Autrement dit, j’annulerai la décision de la Commission seulement si je n’arrive pas à comprendre le fondement de ses conclusions ou comment les faits et le droit applicable étayent l’issue (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708). Comme la Cour suprême l’a affirmé dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339, lorsqu’une cour applique la norme de la raisonnabilité, elle ne peut substituer la solution qu’elle juge elle‑même appropriée à celle qui a été retenue et ne peut réévaluer la preuve.

B.                 Deuxième question  – La Commission a‑t‑elle mal interprété un ou des critères prévus à l’article 97 de la LIPR?

[33]           Le demandeur affirme que la Commission a fait référence au risque généralisé pour écarter le danger de torture. Si c’était vrai, je conviens que ce serait une erreur étant donné que le risque généralisé ne relève que de l’alinéa 97(1)b) et la torture, de l’alinéa 97(1)a).

[34]           Cependant, ce n’est pas ce que la Commission a fait. Le risque dont il est question dans son analyse du risque généralisé est le risque d’extorsion et d’enlèvement par des organisations criminelles qui étaient auparavant affiliées au gouvernement. Le demandeur n’a pas contesté sérieusement cette conclusion. Il ne s’agit pas de torture au sens de l’article 1.1 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, 1465, RTNU 85. Par conséquent, ce point a été évalué adéquatement en vertu du sous‑alinéa 97(1)b)(ii), duquel sont exclus les risques auxquels « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne […] sont généralement pas [exposées] ».

[35]           Le demandeur fait également valoir que la Commission a appliqué un critère juridique trop exigeant en vertu du paragraphe 97(1). Au paragraphe 23 de sa décision, la Commission énonce son critère :

[23]      La Cour fédérale a statué que, conformément au paragraphe 97(1) de la LIPR : i) il doit exister une preuve convaincante (à savoir la prépondérance des probabilités) établissant les faits sur lesquels un demandeur d’asile se fonde pour dire qu’il fait face à un risque sérieux d’être torturé ou exposé à des traitements ou peines cruels et inusités à son retour; et ii) le risque doit être tel que le demandeur d’asile sera, selon toute probabilité, torturé ou exposé à d’autres traitements cruels et dégradants.

[Non souligné dans l’original.]

[36]           Le demandeur affirme que le point ii) déforme le critère. Selon lui, il avait seulement besoin de prouver qu’il existe probablement un degré inconnu de risque ou de danger.

[37]           Je ne suis pas d’accord. Dans Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, aux paragraphes 36 et 39, [2005] 3 RCF 239 [Li (CAF)], il a été demandé précisément à la Cour d’appel fédérale quel était le degré de risque exigé en vertu des alinéas a) et b) du paragraphe 97(1). Le juge Marshall Rothstein a donné les réponses suivantes :

Le degré de risque de torture requis, selon l’expression « motifs sérieux de croire » est que le risque doit être plus probable que le contraire.

[…]

Le degré de risque exigé en vertu de l’alinéa 97(1)b) est le risque plus probable que le contraire.

[38]           Dans la mesure où la formulation employée par le juge Rothstein serait ambiguë et où elle pourrait étayer l’interprétation du demandeur, il convient de noter que la Cour d’appel a confirmé la décision du tribunal d’instance inférieure, car elle « [était] d’accord avec l’analyse et la conclusion de la juge Gauthier » (Li [CAF], au paragraphe 40). La juge Johanne Gauthier avait conclu que « le risque doit être tel que le demandeur sera selon toute probabilité torturé ou exposé à d’autres traitements cruels et dégradants » (voir Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1514, au paragraphe 50, [2004] 3 RCF 501). Ce sont exactement les mêmes mots que la Commission a utilisés.

[39]           Par conséquent, la Commission a bien interprété le droit.

C.                 Troisième question – La décision de la Commission était‑elle déraisonnable?

[40]           Je demeure toutefois convaincu que la décision de la Commission était déraisonnable, et ce, pour plusieurs raisons.

[41]           Premièrement, la Commission a reconnu que le demandeur avait été détenu. Le demandeur avait été détenu une première fois pendant deux mois, une deuxième fois pendant deux semaines (n’ayant été relâché qu’après avoir versé un pot‑de‑vin de 50 000 roupies) et une troisième fois pendant un mois. Il avait également été détenu à une autre occasion à l’aéroport pendant dix heures. Même si les détentions ne sont pas nécessairement des incidents déterminants (voir Paramanathan, aux paragraphes 29 et 30), la Commission doit en tenir compte.

[42]           En l’espèce, les périodes de détention étaient longues et le demandeur a toujours affirmé qu’il avait été interrogé sur le bombardement qui était survenu près de son domicile en 2008. La Commission l’a évidemment reconnu au paragraphe 7, mais a affirmé qu’il devait avoir été lavé de tout soupçon, car il n’aurait pas été relâché dans le cas contraire.

[43]           J’ai du mal à comprendre ce raisonnement. D’abord, la Commission n’a renvoyé à aucun élément de preuve qui aurait permis de penser que les autorités du Sri Lanka gardent en détention permanente les personnes qu’elles ne peuvent laver de tout soupçon, et mon examen du dossier n’en révèle aucun. De plus, le fait que le demandeur s’est fait demander chaque fois qu’il était en détention s’il avait quelque chose à voir avec l’explosion de la bombe Claymore semble contredire la conclusion de la Commission. Après tout, si le fait d’avoir été relâché signifiait qu’il était lavé de tout soupçon la première fois, pourquoi le gouvernement l’aurait‑il détenu deux autres fois pendant de longues périodes? Si les deux premiers épisodes de détention n’avaient pas suffi à le laver de tout soupçon, qu’est‑ce que le troisième épisode avait de particulier pour inspirer une telle confiance à la Commission? Subsidiairement, si le gouvernement détient aléatoirement des hommes tamouls qu’il a lavés de tout soupçon, sur quel fondement la Commission peut‑elle conclure que le demandeur serait à l’abri de la détention à l’avenir? Fait à noter, il est mentionné dans les principes directeurs de 2012 du HCR que les détentions arbitraires sont monnaie courante (dossier du tribunal, à la page 188).

[44]           Deuxièmement, la conclusion quant à la crédibilité posait problème. En général, je souscris à une observation que la juge Mary Gleason a formulée dans Rahal, au paragraphe 42 :

Premièrement […] il faut reconnaître, avant même de se pencher sur une conclusion relative à la crédibilité, que le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve. Ajoutons à cela que, dans bien des cas, le tribunal possède une expertise reconnue dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision. Le tribunal est donc bien mieux placé pour tirer des conclusions quant à la crédibilité, et notamment pour juger de la plausibilité de la preuve.

[Non souligné dans l’original.]

[45]           Cependant, les conclusions quant à la crédibilité ne sont pas à l’abri d’un examen. En l’espèce, la Commission a rejeté le témoignage du demandeur pour un seul motif : « [s]on comportement à l’audience était tel que le tribunal n’a remarqué aucune détresse apparente attribuable à la façon dont il a été traité lorsqu’il a été détenu par les autorités sri-lankaises ».

[46]           Bien que j’admette que la Commission a le droit de tenir compte du comportement d’un demandeur et que de telles conclusions puissent souvent être difficiles à expliquer, elles ne devraient généralement pas constituer le seul motif de rejet d’une demande d’une personne (voir Rahal, au paragraphe 45). De nombreuses raisons pourraient expliquer qu’un demandeur ne soit pas aussi émotif que ce à quoi la Commission pourrait s’attendre, dont les différences culturelles, les difficultés de traduction ou un caractère stoïque. Ce motif de rejet du témoignage du demandeur était très subjectif (voir Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1155, au paragraphe 24, 419 FTR 135; Lekaj, au paragraphe 17).

[47]           En outre, la Commission n’a donné aucune raison objective de mettre en doute la version des faits du demandeur. Les déclarations du demandeur ont toujours été cohérentes et la Commission n’a relevé aucune invraisemblance dans son récit. Le demandeur a même montré ses cicatrices au commissaire (dossier du tribunal, à la page 229) :

[traduction]

CONSEIL : Avez‑vous des cicatrices ou des marques sur le corps dont l’origine remonterait à votre détention par l’armée?

DEMANDEUR : J’ai des cicatrices sur le corps, des cicatrices laissées par des brûlures de cigarettes.

CONSEIL : D’accord. Pourriez‑vous lever votre avant‑bras comme ceci pour que le commissaire puisse le voir? Je ne sais pas si vous pouvez voir ça ou si vous voudriez qu’il [sic] plus près de vous?

COMMISSAIRE PRÉSIDANT L’AUDIENCE : Je le vois, maître.

CONSEIL : Vous le voyez?

COMMISSAIRE PRÉSIDANT L’AUDIENCE : Oui.

[Non souligné dans l’original.]

[48]           Or, le commissaire n’a jamais fait état de ces cicatrices ni expliqué pourquoi il n’en avait pas tenu compte. Essentiellement, la Commission a écarté tous les éléments de preuve objectifs et préféré rendre une conclusion subjective sur le degré d’émotivité démontré par le demandeur. Pour cette raison, sa conclusion quant à la crédibilité est difficile à comprendre ou à accepter.

[49]           Troisièmement, le raisonnement de la Commission en ce qui concerne la question de l’aéroport pose problème. La Commission a affirmé que « les forces de sécurité du gouvernement se servent des aéroports comme points de contrôle de sécurité pour arrêter des membres ou des partisans des TLET ou des personnes faisant l’objet de mandats criminels en suspens au pays ». Elle a déduit de ce passage que le demandeur n’aurait pas pu quitter le pays aussi facilement qu’il l’a fait s’il avait encore été soupçonné d’avoir des liens avec les TLET.

[50]           Le demandeur fait valoir que Yousuff empêche de faire une telle déduction (citant le paragraphe 9), mais dans cette affaire, rien n’indiquait que les autorités de contrôle des frontières et l’armée  se transmettaient des renseignements. Or, il existe de tels éléments en l’espèce (réponse à une demande d’information LKA103344.EF : Information sur les contrôles de sécurité dans les aéroports et les ports internationaux (28 janvier 2010)).

[51]           Toutefois, cet élément de preuve ne va pas jusqu’à corroborer l’allégation de la Commission. Il est écrit ce qui suit dans la partie pertinente de la réponse à la demande d’information : « Les personnes qui possédaient un casier judiciaire ou des liens avec les TLET [Tigres de libération de l’Eelam tamoul] risquaient de se faire poser des questions supplémentaires et pouvaient être détenues. » Il semble que les personnes visées seraient celles ayant des liens connus avec les TLET, ce qui exclurait celles qui en sont simplement soupçonnées.

[52]           Toutefois, le demandeur a allégué qu’il faisait partie de la seconde catégorie. Dans Sellaththurai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 104, au paragraphe 55, [2014] ACF no 103, j’ai souscrit au commentaire suivant de tiré d’une décision rendue par le juge Robert Barnes :

Il n’était pas suffisant de déterminer s’il existait un mandat d’arrestation non exécutée contre M. Rayappu. La preuve indique que d’autres personnes auxquelles les autorités ne s’intéressent pas de façon officielle et qui ne sont pas recherchées à proprement parler, mais qui font l’objet de méfiance. Les jeunes hommes tamouls ayant vécu le genre d’expériences décrites par M. Rayappu peuvent correspondre à ce profil et peuvent donc faire l’objet d’abus extrajudiciaires semblables.

[53]           Selon moi, cette observation s’applique tout autant en l’espèce.

[54]           Certes, la Commission a également conclu que le demandeur n’avait aucune crainte subjective, ce qui en soi aurait permis de rejeter la demande fondée sur l’article 96 (voir Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 723 [Ward]). On ne peut toutefois savoir avec certitude quel aurait pu être l’effet de la conclusion déraisonnable quant à la crédibilité tirée par la Commission. Après tout, une conclusion quant à la crédibilité est souvent déterminante quant à la crainte subjective (Ward, à la page 723).

[55]           De plus, la Commission pourrait avoir exagéré l’importance d’une entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte réalisée aux États‑Unis. Rien au dossier ne permet de savoir quelle est l’importance d’une telle conclusion dans le régime de l’asile aux États‑Unis. Par ailleurs, l’agent préposé aux demandes d’asile qui a mené l’entrevue n’a rédigé que ce qui suit :

[traduction]

Le demandeur a établi qu’il existe une forte possibilité qu’il puisse être jugé crédible dans le cadre d’une audition complète devant un [juge de l’immigration]. Le demandeur a également établi qu’il existe une forte possibilité qu’il puisse être jugé admissible à l’asile dans le cadre d’une audition complète devant un [juge de l’immigration].

[Non souligné dans l’original.]

[56]           Les mots employés permettent de penser que l’entrevue visant à déterminer la crédibilité de la crainte constitue principalement un examen préalable qui ne lie pas le juge de l’immigration. Rien ne permet donc d’affirmer que les chances du demandeur auraient été meilleures aux États‑Unis qu’ici.

[57]           Certes, aucune de ces erreurs n’aurait permis à elle seule de conclure que la décision dans son ensemble était déraisonnable. À la lumière de l’ensemble des erreurs, toutefois, la décision est injustifiable et je ne peux avoir la certitude que la même décision aurait été rendue si aucune de ces erreurs n’avait été commise. J’annulerais donc la décision.

[58]           En conséquence, j’accueille la demande de contrôle judiciaire et j’annule la décision de la Commission.

[59]           Aucune des parties n’a souhaité soumettre à mon examen une question grave de portée générale pour qu’elle soit certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 

 


ANNEXE

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, 1465, RTNU 85

PREMIERE PARTIE

PART I

Article premier

Article 1

1.  Aux fins de la présente Convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.

1.  For the purposes of this Convention, the term “torture” means any act by which severe pain or suffering, whether physical or mental, is intentionally inflicted on a person for such purposes as obtaining from him or a third person information or a confession, punishing him for an act he or a third person has committed or is suspected of having committed, or intimidating or coercing him or a third person, or for any reason based on discrimination of any kind, when such pain or suffering is inflicted by or at the instigation of or with the consent or acquiescence of a public official or other person acting in an official capacity. It does not include pain or suffering arising only from, inherent in or incidental to lawful sanctions.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2319-13

 

INTITULÉ :

RAGUNATHAN RAJARATNAM c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 JuIn 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 novembrE 2014

 

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nicholas Dodokin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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