Date : 20141112
Dossier : IMM‑3244‑13
Référence : 2014 CF 1061
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2014
En présence de monsieur le juge de Montigny
ENTRE : |
SARANJIT KAUR SANDHU |
demanderesse |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par madame Saranjit Kaur Sandhu (la demanderesse) d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) rejetant son appel du rejet de la demande de parrainage de son époux Kulwinder Singh Sangha. La SAI a conclu que le mariage n’est pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).
[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.
I. Faits
[3] La demanderesse est une citoyenne canadienne née en Inde. Elle a été parrainée au Canada à titre de résidente permanente par son ex‑époux en novembre 2005. Sept mois plus tard, en mai 2006, elle s’est séparée de cet époux et a obtenu le divorce en septembre 2007.
[4] La demanderesse a par la suite épousé Kulwinder Singh Sangha le 19 janvier 2008. Leur mariage a été arrangé conformément à la culture indienne, par l’intermédiaire d’un médiateur. La demanderesse allègue qu’un grand nombre de personnes, soit de 400 à 600, ont assisté aux différentes cérémonies traditionnelles organisées pour l’occasion.
[5] La demanderesse prétend qu’elle est rentrée au Canada le 10 mars 2008 après avoir passé trois mois en Inde. Le 23 juin 2008, elle a présenté une demande de parrainage de son époux. Celui-ci a été interviewé au Haut‑commissariat à New Delhi le 20 novembre 2008. L’agent des visas n’était pas convaincu que leur mariage était authentique. Il a conclu que son époux ne cherchait qu’à entrer au Canada. La demanderesse a fait appel de la décision devant la SAI.
[6] La demanderesse est retournée voir son époux en Inde du 4 janvier 2009 au 19 mars 2009, puis du 9 janvier 2010 au 31 mars 2010. Elle est devenue enceinte au cours de ce dernier voyage.
[7] La demanderesse a comparu devant la SAI le 17 septembre et le 8 décembre 2010. La SAI a rejeté l’appel, mais la Cour a annulé cette décision dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Sandhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 120 (Sandhu).
[8] Le 1er novembre 2010, la fille de la demanderesse est venue au monde. La demanderesse a rendu visite à son époux en Inde de mars à mai 2011 et est rentrée au Canada après avoir laissé sa fille auprès de son époux. Elle est retournée voir son mari de juin à avril 2012.
[9] À la suite de la décision de la Cour, la demanderesse a à nouveau comparu devant la SAI le 12 juillet 2012, le 26 septembre 2012 et le 31 janvier 2013. Dans une décision datée du 14 février 2013, la SAI a à nouveau rejeté l’appel de la décision de l’agent des visas concernant la demande de parrainage.
II. Décision visée par le contrôle
[10] La SAI a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau de la preuve à l’égard du paragraphe 4(1) du Règlement, soit que le mariage est authentique et ne vise pas principalement l’immigration.
[11] La SAI a souligné que, avant que le mariage soit décidé, on se serait attendu à ce que les deux familles procèdent à un examen approfondi des antécédents de la demanderesse et de son époux sur les aspects concernant par exemple « leur rémunération mensuelle, leurs antécédents familiaux, leurs relations passées, leurs habitudes personnelles, leur mode de vie, leurs habitudes de consommation d’alcool et de tabac, leurs problèmes médicaux antérieurs, surtout d’ordre héréditaire, leur tempérament et leur conduite envers les autres ainsi que leur propension à dire la vérité » (la Décision, à la page 5). L’examen n’a pas eu lieu en l’espèce, et, pour cette raison, la SAI a conclu que le mariage ne pouvait pas être authentique.
[12] La SAI a aussi affirmé que, la demanderesse étant divorcée, on se serait attendu à ce que l’époux pose davantage de questions concernant les raisons du divorce. Toutefois, celui‑ci s’est contenté d’entendre de la bouche du médiateur qu’elle avait divorcé parce que son ancien époux buvait, consommait de la drogue et la maltraitait. Le nouvel époux a affirmé qu’il faisait confiance au médiateur et que, pour cette raison, il n’avait pas posé de questions. Tout en acceptant l’affirmation de la demanderesse quant à la façon dont les femmes divorcées sont désormais perçues en Inde par rapport au passé, la SAI n’en a pas moins trouvé étonnant que l’époux et sa famille soient convaincus que la demanderesse n’avait rien à se reprocher en ce qui concerne son divorce.
[13] De plus, la SAI a souligné qu’il n’était pas clair si la demanderesse occupait un emploi au Canada après son voyage en Inde, en 2010. Selon la demande de parrainage, la demanderesse a constamment travaillé entre le 4 janvier 2006 et le 28 mars 2008. La SAI a soutenu que la demanderesse avait affirmé qu’elle avait recommencé à travailler pour le même employeur du mois d’août 2011 jusqu’au 31 janvier 2012. Toutefois, il n’existe aucune preuve attestant de son retour au travail pendant cette période, et aucune déclaration de revenus n’a été versée au dossier pour 2011. L’époux de la demanderesse ne connaissait pas le nombre de mois pendant lesquels elle avait travaillé en 2011 ni à combien s’élevait son revenu.
[14] La SAI a contesté les raisons fournies par la demanderesse pour avoir laissé sa fille avec son époux en Inde et être rentrée au Canada. Même si, initialement, la demanderesse et son époux ont tous deux affirmé qu’elle était rentrée au Canada [traduction] « parce que la demande avait été rejetée et qu’elle devait s’occuper de cette affaire », ils ont plus tard donné des raisons différentes. La demanderesse a déclaré qu’elle était rentrée plus tôt parce qu’elle croyait que l’audience aurait lieu incessamment et qu’elle n’avait pas demandé à son avocate si c’était bien le cas. Elle a aussi déclaré que, parce que sa cousine venait au Canada en vertu d’un visa d’étudiante, elle sentait qu’elle devait être ici pour elle. De plus, elle a affirmé qu’elle devait payer le loyer et qu’elle n’avait pas pensé à faire un transfert de fonds électronique à sa cousine pour payer le loyer. Quant à son époux, il a déclaré que la demanderesse avait quitté l’Inde parce que [traduction] « il faisait beaucoup trop chaud en Inde, et il y avait des cas de malaria ». La SAI a conclu que si la demanderesse avait été animée d’un véritable instinct maternel et que son mariage était authentique, elle serait restée avec sa fille et son époux le plus longtemps possible, au lieu de revenir précipitamment au Canada où sa présence n’était pas nécessaire pour faire avancer son dossier. La SAI a précisé que, si le climat lui était si pénible, comme l’a prétendu son époux, elle n’aurait pas laissé son enfant dans de telles conditions. La SAI a conclu que « les explications présentées par le demandeur [l’époux] sont si spécieuses qu’elles indiquent fortement que l’appelante et le demandeur ont vraisemblablement eu un enfant pour améliorer leurs chances d’obtenir gain de cause dans le cadre de l’appel et que l’existence de leur enfant ne traduit pas l’existence d’un mariage authentique » (la Décision, à la page 17).
[15] La SAI n’était pas convaincue que la demanderesse avait dû laisser sa fille avec son époux et rentrer au Canada alors qu’il lui restait trois à quatre mois de congé de maternité, parce que sa présence était nécessaire au Canada pour faire avancer sa demande; l’avocate de la demanderesse n’a produit aucun affidavit à cet effet. La SAI a souligné que la demanderesse aurait pu produire un affidavit en Inde et, de la même façon, fournir les documents nécessaires de ce pays.
[16] La SAI a contesté aussi le fait que l’époux de la demanderesse ignorait que la sœur de son ex-époux était mariée à un résident de son village. L’époux de la demanderesse a prétendu avoir dit à celle‑ci d’oublier le passé et de ne pas lui parler de ce qui s’était passé avant leur rencontre. La SAI n’était pas convaincue par cette affirmation parce que « dans une relation matrimoniale authentique, le demandeur [l’époux] n’insiste pas délibérément pour ne rien savoir d’un aspect inoffensif des antécédents familiaux de l’appelante [la demanderesse] qui a également un lien réel avec lui » (la Décision, à la page 22). La SAI a estimé que l’époux avait fabriqué ce témoignage afin de se distancier de l’ex‑époux de la demanderesse, lequel, selon l’agent, serait entré au Canada grâce à un mariage de convenance.
[17] La SAI a relevé une autre contradiction factuelle selon laquelle la demanderesse avait affirmé qu’elle avait quitté la résidence qu’elle partageait avec son ex‑époux le 20 mars 2009 et avait emménagé au domicile d’un ami de la famille (qu’elle appelait son « oncle ») dont elle louait le sous‑sol. L’agent des visas a signalé que, lorsqu’il avait téléphoné à la résidence de la demanderesse, une voix masculine avait répondu et appelé la demanderesse d’une voix forte. Toutefois, la demanderesse a pris l’appel immédiatement. L’agent des visas a signalé que, sans qu’il ne lui demande quoi que ce soit, la demanderesse s’est mise à lui expliquer en long et en large qu’il s’agissait d’un oncle/ami de la famille, qu’elle se trouvait dans une autre partie de la maison et qu’elle avait dû se déplacer pour prendre l’appel. L’agent des visas a signalé que cette explication n’était pas nécessaire, mais qu’elle était aussi incongrue compte tenu de la rapidité avec laquelle la demanderesse avait pris l’appel. Dans son témoignage devant la SAI, la demanderesse a déclaré que l’agent des visas avait composé le numéro de son cellulaire, mais l’oncle/ami de la famille a affirmé dans une déclaration statutaire que c’était la ligne terrestre que l’agent des visas avait appelée. Comme il existe une contradiction entre ce qu’a compris l’agent des visas et ce qu’ont allégué la demanderesse et son « oncle », la SAI a estimé que l’oncle de la demanderesse aurait dû témoigner et se rendre disponible pour un contre‑interrogatoire sur sa déclaration statutaire.
[18] Sur la foi de tous les éléments de preuve figurant au dossier, y compris la preuve fournie après le rejet de la demande de parrainage, comme les relevés des appels téléphoniques entre la demanderesse et son époux en février 2012, la SAI a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le mariage de la demanderesse n’était pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut au Canada.
III. Question en litige
[19] La seule question en litige à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision de la Commission était déraisonnable.
IV. Analyse
[20] Les deux parties conviennent, et j’en conviens aussi, qu’une conclusion de la Commission selon laquelle la relation de la demanderesse n’est pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la Loi devrait être contrôlée selon la norme de la raisonnabilité : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 47, 53, 55 et 62; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, aux paragraphes 52 à 62.
[21] Dans Perez Achahue c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1210, le juge Pinard a énoncé ce qui suit aux paragraphes 18 et 19 :
[18] À la question pertinente de savoir si le mariage est authentique ou s’il a été contracté dans le but d’obtenir un privilège ou un statut en vertu de la Loi, la jurisprudence a déjà bien établi que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique (voir Chen c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 1268, Singh c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 565 [Singh] et Mohamed, ci‑dessus).
[19] Il s’agit ici d’une question de nature factuelle dont la plus grande partie repose sur la crédibilité des époux (Sidhu v. The Minister of Citizenship and Immigration, 2012 FC 515 [Sidhu]). Cette cour doit donc faire preuve de déférence et exercer une grande retenue en déterminant si les conclusions sont justifiées, transparentes et intelligibles, appartenant aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 au para 47). Il ne revient pas à cette cour de réévaluer la preuve qui était devant le tribunal (Zrig c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] 3 C.F. 761 au para 42).
[22] Pour ces raisons, dans le cadre de l’examen d’une décision d’un agent selon la norme de la raisonnabilité, la Cour ne devrait pas intervenir si la décision de l’agent est transparente, justifiée et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, et il n’entre pas dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve.
[23] La décision en cause en l’espèce concerne l’application de l’article 4 du Règlement, lequel prévoit :
Mauvaise foi |
Bad faith |
4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas : |
4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common‑law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common‑law partnership or conjugal partnership |
a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi; |
(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or |
b) n’est pas authentique. |
(b) is not genuine. |
Enfant adoptif |
Adopted children |
(2) L’étranger n’est pas considéré comme étant l’enfant adoptif d’une personne si l’adoption, selon le cas : |
(2) A foreign national shall not be considered an adopted child of a person if the adoption |
a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi; |
(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or |
b) n’a pas créé un véritable lien affectif parent‑enfant entre l’adopté et l’adoptant. |
(b) did not create a genuine parent‑child relationship. |
Parrainage de l’enfant adopté |
Sponsorship of adopted children |
(3) Le paragraphe (2) ne s’applique pas aux adoptions visées à l’alinéa 117(1)g) et aux paragraphes 117(2) et (4). |
(3) Subsection (2) does not apply to adoptions referred to in paragraph 117(1)(g) and subsections 117(2) and (4). |
[24] Il incombait à la demanderesse de prouver selon la prépondérance des probabilités, au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, que son époux et elle avaient contracté un mariage authentique et que le mariage ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi.
[25] L’avocat de la demanderesse a soutenu que le fait que la Commission se soit fondée sur le défaut des parties de mener un examen approfondi des antécédents pour juger que le mariage n’était pas authentique était déraisonnable, à la lumière des explications fournies par la demanderesse et son époux à l’audience. C’est aussi mon avis. Il est sans nul doute vrai qu’un examen des antécédents et la compatibilité des parties sont généralement considérés comme les caractéristiques d’un mariage arrangé. Pourtant, les pratiques culturelles ne sont pas figées dans le temps et évoluent. Malgré le fait que le divorce était tabou à d’autres époques, la demanderesse a affirmé que des hommes célibataires épousent maintenant des femmes divorcées, et, par conséquent, le fait qu’elle était divorcée importait peu à son époux. De plus, les éléments de preuve dont disposait la Commission montrent qu’un examen approfondi des antécédents n’était pas nécessaire étant donné que le médiateur connaissait très bien les deux familles. Dans les circonstances, il était déraisonnable que la Commission trouve « étonnant » que l’époux de la demanderesse et sa famille soient « si facilement convaincus » de ce que la demanderesse n’ait rien à se reprocher au sujet de son divorce, ce qui revient à rejeter les éléments de preuve fournis par elle selon lesquels les mentalités ont évolué en ce qui concerne la perception des femmes divorcées en Inde. Comme dans Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 122 (Gill), la demanderesse a fourni des explications convaincantes pour la dérogation aux normes culturelles, et la Commission a commis une erreur en omettant de prendre en compte ces explications.
[26] La Commission a aussi concentré son attention sur les antécédents de travail de la demanderesse et mis en doute les raisons pour lesquelles elle aurait laissé un bébé de six mois en Inde alors qu’elle ne reprenait pas le travail puisqu’elle touchait des allocations de maternité. Comme il a été mentionné, la Commission, en dernière analyse, avait conclu qu’elle ne considérait pas le fait que la demanderesse se prépare en vue de son contrôle judiciaire et de sa participation à l’audience comme justifiant qu’elle laisse sa fille et son époux en Inde. Ici encore, une telle conclusion est déraisonnable. Le fait que la demanderesse voulait revenir pour participer à la préparation de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de la décision précédente rendue par la Commission pourrait très bien attester de l’authenticité de son mariage et du fait qu’elle voulait que la demande soit accueillie de sorte qu’elle puisse retrouver son époux pour toujours. Le tribunal a, à tort, supposé que la demanderesse n’avait qu’à signer un affidavit, ce qu’elle aurait pu faire en Inde. La demanderesse pouvait légitimement estimer que le fait de pouvoir rencontrer en personne son avocat favoriserait ses chances de réussite. De plus, la demanderesse a expliqué dans son témoignage qu’elle avait laissé sa fille en Inde parce que celle‑ci bénéficierait de meilleurs soins de la part de son époux et de sa famille, alors qu’elle était seule au Canada. Dans les circonstances, je conviens avec la demanderesse qu’il était certes déraisonnable, mais aussi cruel que la Commission affirme que le fait d’emmener sa fille en Inde lorsqu’elle n’avait que quatre mois et de revenir ensuite au Canada pour s’occuper de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire « indique qu’elle s’intéresse peu à sa fille ».
[27] Il se peut très bien, comme l’a supposé la Commission, que la naissance d’un enfant ne prouve pas de manière définitive l’authenticité d’un mariage. Chaque affaire repose sur ses propres faits, même s’il y a beaucoup à dire sur la présomption voulant qu’il soit improbable que « les parties à un faux mariage s’imposent les responsabilités à vie associées au fait d’élever un enfant » : Gill, précité, au paragraphe 8.
[28] En l’espèce, rien ne prouve que la conception d’un enfant constituait un stratagème pour accroître les chances de l’époux d’obtenir la résidence permanente au Canada. La demanderesse a affirmé qu’elle était dépressive et n’avait personne pour l’aider à élever sa fille au Canada. Étant donné ses obligations professionnelles, l’explication de la demanderesse selon laquelle les choses seraient plus faciles si l’enfant restait en Inde avec son époux et ses beaux‑parents était raisonnable. De plus, des éléments de preuve au dossier montrent que la demanderesse passait quelques mois chaque année en Inde avec son époux et sa fille.
[29] Il ressort d’une lecture attentive de la décision que le commissaire était porté à spéculer et à rejeter des éléments importants de la preuve. Par exemple, le commissaire a jugé que, parce que l’époux de la demanderesse connaissait des détails au sujet de la vie de celle‑ci, y compris son adresse, qu’il « a[vait] mémorisé ou lu à voix haute l’adresse de la demandeure [la demanderesse] avec le code postal pour essayer de démontrer ses connaissances ». Une telle affirmation relève, certes, de la simple spéculation, mais place aussi la demanderesse dans une situation impossible : comme c’était le cas dans Paulino c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 542, « un détail [...] qui pourrait appuyer l’authenticité de la relation sert au contraire à étayer une conclusion défavorable parce qu’il fait vraisemblablement partie intégrante du stratagème complexe de mensonges » (au paragraphe 58).
[30] On peut en dire autant de l’inférence de la Commission selon laquelle la demanderesse a toujours une relation avec son ex‑époux. Pour cette allégation, la Commission s’est fondée sur les notes de l’agent des visas où il était indiqué que, après qu’il eut téléphoné à la demanderesse à la maison, c’est un homme que la demanderesse appelle son « oncle » qui a répondu. Pourtant, la Commission a rejeté l’affidavit signé par cet homme indiquant explicitement qu’il avait connu le père de la demanderesse quand il vivait en Inde, et que la demanderesse vivait chez lui à titre de locataire jusqu’à ce que ses parents arrivent de l’Inde. La Commission a choisi de ne conférer aucun poids à cet affidavit parce que le déposant n’a pas témoigné et ne s’est pas rendu disponible pour un contre‑interrogatoire.
[31] La Commission a aussi semblé tirer des conclusions relatives aux antécédents de travail de la demanderesse, dont la pertinence n’est pas évidente. En même temps, la Commission ne dit rien au sujet des relevés d’appels étoffés pour les cinq dernières années montrant des appels quotidiens entre la demanderesse et son époux, des cartes de souhaits et des lettres envoyées l’un à l’autre et d’un compte bancaire conjoint montrant une interdépendance financière.
[32] Bref, la décision contestée présente les mêmes lacunes que la décision précédente qu’a annulée mon collègue le juge Zinn dans Sandhu I, précitée. Je fais mien l’avant‑dernier paragraphe de sa décision, où il a statué :
[7] Le dossier ne contient aucun élément de preuve qui permettait à la commissaire de dire que le couple a eu un enfant pour augmenter ses chances d’obtenir la résidence permanente au Canada. Il s’agit d’une conclusion abusive qui a, à mon avis, entaché les autres conclusions qu’elle a tirées, notamment à l’égard de la crédibilité. Il s’agit d’ailleurs d’un facteur qui a fortement influencé la commissaire à conclure qu’il s’agissait d’un mariage frauduleux. La décision doit être annulée.
[33] Je conviens avec l’avocate du défendeur que les conclusions du juge Zinn n’empêchaient pas la Commission de conclure que le mariage n’était pas authentique. Ma décision non plus. À l’inverse, je ne crois pas que le fait d’accepter les arguments de la demanderesse équivaille à empêcher la Commission d’exercer son rôle de juge des faits. Il relève manifestement de la compétence de la Commission d’établir, comme une question de fait, si le mariage entre la demanderesse et son époux « visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi ou n’est pas authentique ». Une telle décision, toutefois, doit reposer sur une appréciation raisonnable des éléments de preuve et ne peut pas être le résultat de facteurs non pertinents, de considérations accessoires ou, pis, de préjugés et d’insensibilité aux différences culturelles.
[34] Pour tous les motifs énoncés plus haut, j’estime que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et aucune n’est certifiée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et aucune n’est certifiée.
« Yves de Montigny »
Juge
Traduction certifiée conforme
Line Niquet
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM‑3244‑13
|
INTITULÉ : |
SARANJIT KAUR SANDHU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 10 JUILLET 2014
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE DE MONTIGNY
|
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS : |
LE 12 NOVEMBRE 2014
|
COMPARUTIONS :
Alesha Green
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Sybil Thompson
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
The Law Office of Alesha A. Green Avocate Toronto (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
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