Date : 20140923
Dossiers : T-2224-12
T-262-13
Référence : 2014 CF 908
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2014
En présence de madame la juge McVeigh
Dossier : T-2224-12 |
ENTRE : |
LA CHEF GAYLE STRIKES WITH A GUN |
demanderesse |
et |
Conseil de la PREMIÈRE NATION DES PIIKANI, CONSEILLER DOANE CROW SHOE, CONSEILLER FABIAN NORTH PEIGAN, CONSEILLÈRE ANGELA GRIER, CONSEILLER WESLEY PROVOST, CONSEILLER WILLARD YELLOW FACE, CONSEILLÈRE ANGELA GRIER, CONSEILLER ANDREW PROVOST FILS, CONSEILLER CLAYTON SMALL LEGS, CONSEILLER KYLE DAVID GRIER, CONSEILLÈRE REBECCA WEASEL TRAVELER, CONSEILLER MAURICE LITTLE WOLF, CONSEILLÈRE ELOISE PROVOST, CONSEILLÈRE CASEY SCOTT |
défendeurs |
Dossier : T-262-13 |
ET ENTRE : |
LA CHEF GAYLE STRIKES WITH A GUN |
demanderesse |
et |
DOANE CROW SHOE, FABIAN NORTH PEIGAN, ANGELA GRIER, ANDREW PROVOST FILS, CLAYTON SMALL LEGS, KYLE DAVID GRIER, SERENE WEASEL TRAVELLER, MAURICE LITTLE WOLF, ELOISE PROVOST, PRÉTENDANT AGIR COMME CONSEIL DE LA NATION DES PIIKANI |
défendeurs |
JUGEMENT ET MOTIFS
II. Glossaire (termes et définitions tirées de la preuve)
III. Questions préliminaires à trancher
B. Décisions - Article 302 des Règles des Cours fédérales
A. Le Comité d’appel de la Première Nation des Piikani avait-il compétence?
D. La décision du Comité d’appel de la Nation des Piikani était-elle raisonnable?
I. Préambule
[1] La demanderesse, la chef Gayle Strikes With A Gun, a été élue chef de la Première Nation des Piikani le 5 janvier 2011. Elle a été démise de ses fonctions de chef de cette Première Nation le 11 décembre 2013 à la suite d’une décision du Comité d’appel sur la révocation de la Nation des Piikani (le Comité d’appel). Son mandat à titre de chef devait venir à échéance le 4 janvier 2015.
[2] Dans la présente décision, je vais la désigner comme étant la chef afin d’éviter la confusion, car elle est à la fois la demanderesse et la défenderesse dans certaines affaires dont je suis saisie.
[3] La chef affirme que trois démarches ont été entreprises depuis septembre 2012 pour la démettre de ses fonctions à titre de chef de la Première Nation des Piikani. Elle fait valoir que sa conduite ne justifiait pas sa révocation, mais que, même si elle l’avait justifiée, le Comité d’appel était partial et inéquitable, et n’avait pas compétence étant donné qu’il avait été constitué incorrectement.
[4] Dans les avis de demande (T-2224-12 et T-262-13), la chef sollicitait le contrôle judiciaire des cinq décisions prises par le Conseil, entre septembre 2012 et mai 2013, qui l’ont démise de ses fonctions comme chef de la Première Nation des Piikani.
[5] Dans l’avis de demande modifié à deux reprises daté du 8 janvier 2014, la chef sollicite le contrôle judiciaire :
a) des décisions du Comité d’appel, soit celle du 20 novembre 2013 et celle du 11 décembre 2013. Dans ces décisions, le Comité d’appel a déclaré que la chef n’avait pas le droit d’occuper son poste;
b) de la décision du 14 novembre 2013 prise par le Conseil de la Première Nation des Piikani à la suite d’une résolution du Conseil de bande refusant que la Première Nation des Piikani assume les frais judiciaires encourus par la chef;
[6] Les défendeurs sont des conseillers de la Première Nation des Piikani qui ont révoqué la chef et décidé que l’affaire ferait l’objet d’une audience devant le Comité d’appel.
[7] Les défendeurs prétendent :
a. que le Comité d’appel avait compétence pour agir en vertu du Règlement électoral de la Nation des Piikani (Piikani Election Bylaw) et de la Réglementation électorale de la Nation des Piikani (Piikani Election Regulations);
b. que le Comité d’appel n’a pas été partial ou inéquitable et qu’il n’y avait nulle raison de mettre en doute son impartialité;
c. que les décisions prises par le Conseil de la Première Nation des Piikani et le Comité d’appel étaient raisonnables.
[8] Après une audience qui a duré une journée, la Cour a accordé suffisamment de temps aux parties pour leur permettre de résoudre la présente affaire. Elle les a invitées à régler la question afin que cette fière nation des Pieds-Noirs puisse entamer le processus de guérison et pratiquer le piikanissini, mais elles ont indiqué à la Cour ne pas avoir été en mesure d’y parvenir; je vais donc rendre une décision.
[9] J’estime regrettables les sommes d’argent et les ressources judiciaires consacrées à la multitude de litiges liés à ces questions et, surtout, les sentiments pernicieux qu’ils engendrent au sein d’un peuple qui ne guérira pas dans un proche avenir en raison de ce litige. Je suis attristée à l’idée que la Première Nation éprouve déjà des difficultés financières.
[10] Les expressions sont précisées dans la présente décision, car elles figurent dans les documents que les parties ont présentés en preuve; il s’agit aussi de l’orthographe d’usage.
II. Glossaire (termes et définitions tirées de la preuve)
[11] Bridget Kenna : dirigeante principale des finances (DPF) et directrice générale (DG) intérimaire de la Première Nation des Piikani.
[12] Chef Gayle Strikes With A Gun (la chef) : La demanderesse et la première femme élue chef de la Première Nation des Piikani. Larry Provost est son conjoint de fait et Pam Wolf Tail, sa soeur. La chef est titulaire d’un baccalauréat en Éducation de l’Université de Lethbridge et d’une maîtrise en Éducation de l’Université de la Colombie-Britannique. Elle a occupé les postes suivants :
• directrice adjointe du Conseil en Éducation de Beaufort-Delta (2007-2011), à Inuvik, Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.);
• enseignante/conseillère au sein de la Mackenzie Mountain School (2004-2007), à Norman Wells (T.N.-O.);
• directrice de l’éducation du Conseil scolaire de Peigan, à Brocket (2002-2004), en Alberta;
• directrice de la Chief T’Selehye School, à Fort Good Hope (2000-2002), dans les T.‑N.-O.;
• directrice et enseignante au sein d’écoles élémentaires après ses études.
[13] Chef de la Première Nation des Piikani: Le poste de chef confère une grande autorité morale et influence, mais peu de pouvoir. Le rôle du chef est de convoquer et présider les réunions du Conseil et d’agir comme porte-parole de la Première Nation. Le chef peut être contredit par le Conseil à tout moment et se voit seulement accorder un droit de vote lorsqu’il y a égalité des voix. Il peut établir l’ordre du jour des réunions, mais il ne l’établit pas toujours. Le Conseil doit approuver l’ordre du jour et peut ajouter des points à l’ordre du jour. Le chef recommande les nominations des conseillers aux comités et aux portefeuilles et du chef suppléant, puis les recommandations font l’objet d’un vote suivant une discussion avec le Conseil.
[14] Fabian North Peigan (M. North Peigan) : C’est le requérant de la révocation de la chef; il est nommé à titre de défendeur dans les présentes demandes. M. North Peigan a été élu pour la première fois au Conseil en 1986 et il en est à son cinquième mandat non consécutif comme conseiller; son mandat vient à échéance le 5 janvier 2015.
[15] Pam Wolf Tail : sœur de la chef et propriétaire de Taxi Peigan; dans la preuve, elle est aussi désignée sous le nom de Pam Strikes With A Gun.
[16] Comité d’appel sur la révocation de la Nation des Piikani (le Comité d’appel) : Le Comité d’appel sur la révocation de la Nation des Piikani est assujetti au Règlement électoral de la Nation des Piikani (articles 21.01 à 23.01). Il est composé de membres originaires des Pieds‑Noirs, âgés de 21 ans et plus, qui n’appartiennent pas à la Première Nation des Piikani. Pour qu’une candidature soit retenue, il faut que la personne soit originaire des autres peuples des Pieds-Noirs, car ils sont en mesure d’interpréter et d’appliquer les principes de conduite piikanissini, en raison de l’intégration comme peuple des Pieds-Noirs par la langue, la culture et l’histoire. Ce Comité d’appel est régi par des dispositions législatives et les principes de conduite piikanissini. Les membres nommés sont les suivants :
a) Roy Fox, membre de la tribu des Blood (Kainai);
b) Jack Royal, membre de la Nation de Siksika;
c) Carol Murray, membre d’Amsskapipiikani;
d) (membre suppléant) Gilbert Eagle Bear père, membre de la tribu des Blood (Kainai)
[17] Honoraires : Les honoraires sont un concept traditionnel lié aux échanges traditionnels donnant lieu à une obligation morale sans obligation légale. Il ne s’agit pas d’un salaire ou une paie; les honoraires ne sont pas considérés comme un revenu puisqu’ils ne font pas l’objet de retenues d’assurance-emploi. Être chef du peuple est perçu comme étant un service public aux yeux de la Première Nation, mais cette dernière verse néanmoins des honoraires discrétionnaires. Le Conseil de la Nation des Piikani a décidé que le Comité d’appel devrait déterminer si les honoraires ont été accordés. J’associerais le terme « honoraires » à une rétribution mais, dans la présente décision, le terme utilisé par la Première Nation est « honoraires ».
[18] Mary Ann McDougall Elders Centre : Foyer pour personnes âgées situé dans la Première Nation des Piikani.
[19] Peigan Taxi : Peigan Taxi a offert des services de transport en taxi pour soins médicaux pendant 23 ans à la Nation des Piikani. La propriétaire, Pam Wolf Tail, est la sœur de la chef. Peigan Taxi disposait d’un contrat avec Santé Canada jusqu’en 2011. En 2011, Santé Canada n’a pas renouvelé le contrat avec Peigan Taxi. Il a plutôt décidé d’accorder une somme d’argent aux services de santé de la Nation des Piikani pour le transport médical.
[20] Piikanissini : série de principes directeurs utilisés pour gouverner la Nation. Le document Piikanissini est une déclaration d’intention visant la poursuite de la gouvernance de la Nation conformément aux principes de conduite piikanissini, lesquels ne sont pas définis. Créé en 2002, ce document n’est pas une déclaration de principes, mais plutôt d’une déclaration de poursuite des coutumes et des traditions orales découlant des principes de conduite piikanissini. Il existe une distinction entre le mot piikanissini et le document Piikanissini. Le mot piikanissini renvoie à un mode de vie du peuple de la Nation des Piikani. La Nation des Piikani a toujours eu une tradition orale qui, au fil du temps, à l’instar des êtres vivants, a su être modulée aux circonstances sans cesse changeantes, comme la common law. La loi Piikani s’ajoute à la Loi sur les Indiens qui est le droit commun au Canada (annexe A).
[21] Première Nation des Piikani : membre de la Confédération des Pieds-Noirs signataire du Traité 7 située dans le sud de l’Alberta, dont l’adresse postale est Brocket (Alberta).
[22] Piikani Investment Trust (PIT) et sa filiale Piikani Energy Corporation (PEC) : Depuis 2002, la Première Nation des Piikani dispose d’une structure de fiducie de 64, 3 millions de dollars. PIT approuve les prêts consentis par Piikani Trust. La Nation des Piikani a intenté des procédures d’insolvabilité contre PIT et PEC, qui ont emprunté 14,25 millions de dollars à Piikani Trust, qu’ils n’ont pas remboursés. La Nation des Piikani a négocié avec le syndic de faillite et CIBC Trust Corporation afin de présenter une proposition aux créanciers en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, LRC 1985, c B-3 visant à permettre de régler le problème de la dette de PIT.
[23] Conseil de la Nation des Piikani (Conseil) : un Conseil de bande au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens.
[24] Conseillers de la Nation des Piikani (conseillers) et défendeurs : Maurice Little Wolf; Eloise Provost, Doane Crow Shoe, Angela Grier, Andrew Provost fils, Clayton Small Legs (chef intérimaire après la dernière suspension), Kyle David Grier, Serene Weasel Traveler, Wesley Provost, Willard Yellow Face, Casey Scott et Fabian North Peigan (requérant).
[25] Avocat de la Nation des Piikani : Michael Pflueger qui était aussi un défendeur dans l’action intentée par la chef devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, en date du 21 décembre 2012.
[26] Règlement électoral de la Nation des Piikani, 2002 et Réglementation électorale (Règlement électoral ou Réglementation électorale) : Le Règlement et la Réglementation ont été adoptés le 21 juin 2002 en troisième lecture du Conseil sans référendum. Ces documents ont été utilisés lors de trois élections; ils sont généralement acceptés par la communauté et sont reconnus par la Cour comme un règlement électoral selon la coutume. Le Règlement et la Réglementation permettent l’élection, la révocation et la suspension des membres du Conseil. Ils intègrent à la fois le document Piikanissini et les principes de conduite piikanissini. Les articles 10.04, 10.04.02, 10.05 et 10.08 du Règlement électoral de la Nation des Piikani figurent à l’annexe B.
[27] « Rôles et responsabilités du chef et du Conseil » : Il existe peu de lois de la Nation des Piikani formulées par écrit, mais le Conseil a adopté ce document en septembre 1985. Il renferme des renseignements sur la façon de composer avec la suspension ou la révocation d’un membre du Conseil. Il s’agit d’un document de politique et non d’un règlement électoral selon la coutume; il été confirmé en 1999. Étant donné que les pratiques évoluent, il n’est pas respecté au pied de la lettre, certaines parties étant modifiées par la coutume ou d’autres documents. En cas de différences, les règles énoncées dans Roberts Rules of Order sont suivies pour compléter ce document (annexe C).
[28] Tanya Potts : contrôleuse financière de la Première Nation des Piikani.
III. Questions préliminaires à trancher
A. Parties concernées
[29] Le Conseil de la Nation des Piikani a fait valoir qu’il ne devrait pas être partie à la présente de demande de contrôle judiciaire. L’article 303 des Règles des Cours fédérales prévoit que l’office fédéral dont la décision fait l’objet du contrôle judiciaire ne doit pas être désigné à titre de partie.
[30] C’est le Conseil qui a pris la décision de ne pas payer les frais judiciaires et les honoraires de la chef. Toutefois, étant donné qu’aucune requête visant à ajouter le procureur général comme partie n’a été présentée, pas même au stade de la gestion de l’instance, la Cour a estimé l’implication du Conseil très utile. La Cour d’appel fédérale a appuyé cette approche dans l’arrêt Genex Communications Inc. c Canada (Procureur général), 2005 CAF 283. J’ai accordé au Conseil le rôle d’intervenant et il été utilisé pour aider la Cour à déterminer la compétence du Conseil, les procédures et comment tout cela s’est déroulé.
B. Décisions - Article 302 des Règles des Cours fédérales
[31] Ce qui suscite davantage mon inquiétude, c’est qu’il y a au moins huit décisions distinctes qui doivent faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon l’avis de demande présenté par la chef qui a été modifié à deux reprises. Certaines de ces décisions ont trait aux suspensions de la chef, maintenant expirées, et d’autres correspondent à des décisions que le Comité d’appel ou la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta ont déjà examinées dans une certaine mesure.
[32] L’article 302 des Règles des Cours fédérales dispose qu’un contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule décision. Dans les cas où des décisions de juridictions inférieures sont ensuite examinées par un tribunal d’appel, la Cour ne se penchera que sur la décision du tribunal d’appel. En l’espèce, le Comité d’appel est un genre de tribunal d’appel qui a examiné toutes les décisions prises concernant la révocation de la chef comme chef. Ainsi, je vais uniquement examiner la décision du Comité d’appel (Pieters c Canada (Procureur général), [2004] ACF no 435; Unrau c Canada (Procureur général), [2000] ACF no 1434).
[33] Ma décision trouve aussi appui dans le fait que c’est le Comité d’appel qui disposait de tous les renseignements et de toutes les décisions précédentes et qui a entendu la preuve des parties. Il a rendu une décision détaillée de 21 pages comportant plusieurs annexes, qui porte sur toutes les décisions qui l’ont amené, sur le plan factuel, à prendre sa décision.
[34] Les décisions sous-jacentes deviennent alors théoriques étant donné que la controverse actuelle sur les suspensions est éteinte car celles-ci sont expirées et faisaient partie de l’affaire dont le Comité d’appel était saisi. Je ne vais donc pas exercer mon droit d’examiner les autres décisions (Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342; Spidel c Canada (Procureur général), 2011 CF 999).
[35] Cela étant dit, je vais exercer mon pouvoir discrétionnaire pour faire exception à l’article 302 des Règles des Cours fédérales et examiner les décisions de refuser de rembourser les frais judiciaires de la chef ou de lui verser des honoraires à compter du 8 janvier 2013.
IV. Questions à trancher
A. Le Comité d’appel de la Première Nation des Piikani avait-il compétence?
B. Le Comité d’appel de la Nation des Piikani était-il partial ou existait-il une crainte raisonnable de partialité?
C. Est-ce que le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique en l’espèce?
D. La décision du Comité d’appel de la Nation des Piikani était-elle raisonnable?
E. Était-il raisonnable que la Première Nation ne paie pas les frais judiciaires et les honoraires de la chef?
1. Frais judiciaires
2. Honoraires
V. Réparation demandée
[36] La chef sollicite 21 mesures de réparation ainsi que les dépens avocat-client réclamés dans la demande modifiée à deux reprises. Dans le mémoire des faits et du droit, la chef cherche à obtenir 12 mesures de réparation en plus des dépens avocat-client :
• Une déclaration précisant que la demanderesse est la chef;
• Une ordonnance enjoignant à la Première Nation de payer les honoraires à la chef à compter du 8 janvier 2013 et les frais à partir du 1er avril 2012;
• Une ordonnance enjoignant à la Première Nation des Piikani de rembourser les frais judiciaires de la chef pour la requête et l’instance devant la Cour fédérale;
• L’annulation de trois requêtes;
• L’annulation de quatre résolutions du Conseil de bande (RCB);
• Une injonction empêchant quiconque de ne pas reconnaître le pouvoir conféré à la demanderesse à titre de chef, exigeant de cesser et de s’abstenir de porter atteinte à son autorité, puis réclamant que certains pouvoirs soient redonnés à la chef;
• Un bref de quo warranto exigeant que les défendeurs démontrent le pouvoir qu’ils avaient de décider que la demanderesse était inhabile à exercer les fonctions de chef;
• Un bref de certiorari annulant les décisions de la suspendre ou de la destituer de ses fonctions comme chef;
• Une déclaration portant que le Comité d’appel n’a pas compétence en raison de la délégation du pouvoir non valide;
• Une ordonnance annulant la décision prise avant l’audience par le Comité d’appel, en date du 20 novembre 2013;
• Une ordonnance annulant la décision prise avant l’audience par le Comité d’appel, en date du 11 décembre 2013;
• Une ordonnance selon laquelle les décisions constituent une même série d’actes conformément à l’article 302 des Règles des Cours fédérales;
• Le remboursement des dépens avocat-client.
VI. Contexte factuel
[37] Les paragraphes ci-dessous présentent un résumé chronologique des faits importants sur lesquels le Comité d’appel s’est fondé, à mon avis, dans sa décision de révoquer la chef.
[38] La chef Gail Strikes With A Gun a été élue chef de la Première Nation des Piikani le 5 janvier 2011.
[39] Peigan Taxi a offert un service de taxi pour soins médicaux pendant 23 ans; cette entreprise appartenait à Pam Wolf Tail, la sœur de la chef. Peigan Taxi disposait d’un contrat avec Santé Canada jusqu’en 2011. En 2011, Santé Canada n’a pas renouvelé ce contrat; il a plutôt décidé d’accorder un montant forfaitaire pour le transport médical aux services de santé de la Nation des Piikani. Ce montant s’est avéré inférieur à celui versé à Peigan Taxi en 2011 dans le cadre du contrat. La Première Nation des Piikani a tenté de négocier un contrat avec Peigan Taxi afin que le service soit maintenu, mais un contrat officiel n’a pu être conclu.
[40] La chef soutient qu’une entente a été conclue avec Peigan Taxi le 2 août 2012 pour le transport médical (du 31 juillet 2012 au 31 mars 2013). Elle dit qu’elle n’est pas intervenue dans l’attribution du contrat de transport pour soins de santé; elle n’a fait qu’appliquer l’entente.
[41] Il ressort de la preuve que Bridget Kenna (DPF et DG intérimaire) a convoqué une réunion avec le directeur des services de santé de la Nation des Piikani et Pam Wolf Tail le 23 août 2012, afin de discuter de Peigan Taxi. Lors de la réunion, Pam Wolf Tail et son époux ont demandé que la sœur de celle-ci, à savoir la chef, participe à la réunion par téléconférence. Bridget Kenna a dit qu’il y aurait possibilité de conflit. En dépit de l’inquiétude manifestée par cette dernière, la réunion a eu lieu dans une salle du Conseil et la chef y a participé par téléconférence. Bridget Kenna a déclaré en présence de la chef, du Conseil, de Pam Wolf Tail et de son époux, qu’elle estimait que la participation de la chef à la discussion créait une situation de conflit d’intérêts pour cette dernière. La chef s’est adressée aux membres du Conseil, puis a raccroché.
[42] Plus tard, ce même jour, la chef a fait parvenir le courriel suivant à Bridget Kenna :
[traduction]
Le 23.08.2012 16:38, Gayle a écrit :
Bridgett, vous n’avez pas pris au sérieux mes directives aujourd’hui et je suis très déçue de mon appel téléphonique aujourd’hui. Je suis la chef de la Nation et vous n’avez pas le droit de me dire que je ne peux pas assister à la réunion ou à toute autre réunion. Vous devez respecter la hiérarchie et je ne vais pas permettre qu’une telle chose se produise. Si la situation se reproduit, je vais vous congédier. Donc, je le répète, je vous ordonne de verser 9 367 $ à Peigan Taxi la semaine prochaine. Le contrat de taxi ne fera PAS l’objet d’un appel d’offre. Je vous demande de conclure un marché avec Peigan Taxi sans plus tarder. Vous entreprendrez aussi les démarches pour renvoyer Lorilei Nord Peigan, directrice par intérim à l’époque, sans plus tarder pour insubordination. Point final.
[43] Le Conseil a adopté une proposition le 28 août 2012 qui suspendait la chef en raison de ses agissements lors de la réunion du 23 août 2012. Une seconde proposition a été adoptée pour préciser que la chef [traduction] « ne peut plus donner de directives à aucun, qu’il lui faut un quorum de sept membres pour prendre des décisions administratives et/ou financières »
[44] Les services de santé de la Nation des Piikani ont émis un chèque à l’ordre de Peigan Taxi à la fin du mois et l’ont acheminé aux fins de signature aux personnes concernées. À ce moment-là, c’étaient le cogestionnaire de la Nation des Piikani (MNP LLP) et un conseiller désigné qui détenaient les pouvoirs de signature des chèques. Bridget Kenna a obtenu la signature du cogestionnaire, mais il n’y avait pas suffisamment de fonds pour couvrir le montant du chèque, de sorte que la DPF devait retenir le chèque jusqu’à ce qu’il y ait suffisamment de fonds disponibles. Lorsque Bridget Kenna a demandé au conseiller désigné de signer le chèque, celui‑ci a refusé de le faire parce qu’il n’y avait pas suffisamment de fonds, même si la DG a dit qu’elle allait retenir le chèque jusqu’à ce qu’il y ait des fonds suffisants.
[45] Le 29 août 2012, la chef a demandé à Bridget Kenna de congédier ou de suspendre immédiatement le directeur des services de santé, mais celle-ci a refusé d’obtempérer au motif que la chef avait besoin d’un quorum de sept conseillers pour ce faire. Le lendemain, soit le 30 août 2012, Bridget Kenna était en réunion avec le directeur des services de santé lorsque la chef lui a demandé si elle avait rédigé la lettre de congédiement de ce dernier. Bridget Kenna a alors répondu à nouveau qu’elle ne l’avait pas congédié parce que, selon la politique, la chef devait avoir l’approbation de sept conseillers. La chef a alors elle-même suspendu le directeur et a dit à Bridget Kenna qu’elle devait partir. Puis elle a dit à Bridget Kenna et au directeur des services de santé de prendre leurs affaires et de sortir de l’édifice sans plus tarder sinon elle téléphonerait à la police. Bridget Kenna est alors allée annoncer, dans la salle du conseil, que la chef lui avait dit de partir sinon elle téléphonerait à la police, puis elle a quitté pour la journée.
[46] Le lendemain, soit le 31 août 2012, Pam Wolf Tail a téléphoné au commis aux finances des services de santé de la Nation des Piikani. Elle soutient que le commis lui a dit qu’il y avait suffisamment d’argent pour couvrir le chèque, mais que le chèque avait été envoyé au bureau de la bande à des fins de signature. À 12 h, Pam Wolf Tail a été dirigée vers le bureau de la bande. Lorsqu’elle s’y est présentée, le secrétaire de la bande lui aurait alors dit de revenir plus tard parce qu’il leur fallait téléphoner à Bridget Kenna, la DPF, pour obtenir l’autorisation de remettre le chèque. À son retour à 13 h, Pam Wolf Tail s’est fait dire que les commis au bureau de la bande avaient reçu l’ordre de ne pas remettre le chèque avant le mardi 4 septembre 2012.
[47] Pam Wolf Tail et son époux se sont rendus chez le conseiller, M. North Peigan, pour lui demander quand le chèque serait émis. Lors de son témoignage, Pam Wolf Tail a déclaré avoir parlé à M. North Peigan, qui a téléphoné à la DPF, et lui a dit qu’elle pourrait aller chercher le chèque.
[48] Selon le témoignage de M. North Peigan, la DPF lui a dit, lorsqu’il lui a parlé, qu’elle ne pensait pas qu’il y avait suffisamment de fonds, mais qu’elle vérifierait de nouveau. M. North Peigan soutient avoir dit à Pam Wolf Tail et à son époux que la DPF allait vérifier s’il y avait des fonds et qu’ils pouvaient se rendre au bureau de la bande et parler à la DPF. Il a déclaré avoir dit à Wolf Tails que la DPF pourrait remettre le chèque s’il y avait des fonds.
[49] Bridget Kenna ne se rendait pas à la Nation des Piikani le vendredi. La contrôleuse des finances lui a donc téléphoné le vendredi 31 août 2012 pour lui dire que la chef voulait avoir le chèque. Comme la contrôleuse des finances n’ayait pas produit le chèque, la chef lui a dit de sortir de l’édifice. Avant de partir, la contrôleuse des finances a rangé le chèque dans le coffre fermé à clé.
[50] Bridget Kenna a alors reçu un appel du cogestionnaire de la Première Nation des Piikani, MNP LLP; celui-ci lui a dit la chef avait un nouveau chèque et qu’elle désirait qu’il le signe, mais qu’il ne pouvait pas se libérer pour le signer. Le commis aux finances des services de santé a informé Bridget Kenna que la chef était passée aux services de santé et lui a dit de préparer un nouveau chèque à l’ordre de Peigan Taxi.
[51] Le Comité d’appel a constaté qu’il y avait une incohérence entre le témoignage de Pam Wolf Tail et l’autre témoignage, plus précisément concernant la récupération du chèque et a indiqué qu’ils s’appuieraient sur l’autre témoignage et l’accepteraient. Par conséquent, le Comité d’appel a accepté le témoignage de M. North Peigan sur ce qui a été dit à qui au sujet des fonds ce jour-là.
[52] Bridget Kenna craignait pour sa sécurité et a travaillé à partir de chez elle du 4 au 6 septembre 2012.
[53] Les membres du Conseil se sont réunis le 5 septembre 2012 afin de discuter de l’incident et ont alors décidé de suspendre la chef avec rémunération pendant 30 jours. Lors de la réunion, le Conseil a fait une présentation PowerPoint indiquant où le Conseil estimait que la chef était entrée en conflit d’intérêts concernant Peigan Taxi et que cela constituait du népotisme et qu’elle avait outrepassé ses pouvoirs. La RCB pour la suspension a été signée le 6 septembre 2012.
[54] Le 6 septembre 2012, le Conseil a tenu une réunion dans la salle du conseil à laquelle a assisté la chef; elle a dérangé la réunion et a refusé de quitter la salle. Le Conseil a levé la séance et a poursuivi la réunion à Lethbridge.
[55] La chef et ses partisans se sont présentés au bureau d’administration de la Première Nation le 12 septembre 2012 et ont dérangé le personnel; ses partisans ont verbalement dit des choses inappropriées au personnel. La chef, ses partisans et les médias sont passés par les bureaux situés à l’arrière, ce qui a perturbé les activités du bureau.
[56] Le 13 septembre 2012, la chef a dit à la DPF qu’elle était suspendue et qu’elle devait sortir de l’édifice.
[57] Ce même jour-là, un aîné est entré dans le bureau de l’administration et a entendu des gens discuter de la suspension de la chef. Il leur a dit, à titre d’aîné, qu’il s’agissait d’une affaire interne que le Conseil devait régler dans la salle du Conseil et non pas en public. La chef a invité l’aîné à venir les aider à régler la situation dans la salle du Conseil. Dans ladite salle, l’ainé a parlé des traditions et de la nécessité de régler le problème. Il a dit une prière, puis est sorti de la salle laissant ainsi la chef et le Conseil régler le différend.
[58] La rencontre entre le Conseil et la chef pour régler la question a duré quatre heures. Lors de son témoignage, la chef a déclaré qu’elle pensait que le problème était réglé, mais ce n’était pas le cas. Lorsque l’aîné est revenu à 18 h et a constaté que le différend n’était toujours pas réglé, il a dit aux membres du Conseil qu’ils devaient battre en retraite pour amorcer un processus de guérison. Il a prononcé une autre prière avant de partir.
[59] Le 14 septembre 2012, la chef et les membres du Conseil se sont rencontrés à Head Smashed In Buffalo Jump afin de réintégrer la chef. Il était de coutume de tenir une réunion de réintégration lors du retour d’une personne qui avait fait l’objet d’une suspension. Lors de cette réunion, la chef a fait fi de ses problèmes de suspension et a tenté d’aborder d’autres enjeux de la Première Nation. Étant donné que la chef refusait de collaborer, le Conseil a décidé de maintenir la suspension de la chef.
[60] Le 17 septembre 2012, la chef et ses partisans se sont de nouveau présentés au bureau de l’administration et ont ordonné à la DPF de sortir de l’édifice et ont aussi perturbé le personnel.
[61] Le 20 septembre 2012, la chef a écrit au Conseil pour lui dire que sa suspension n’était pas légalement justifiée, car elle ne s’est pas prononcée sur le renouvellement du contrat de Peigan Taxi auquel est associée sa sœur.
[62] Le Conseil a rédigé les raisons de la suspension. Dans une lettre en date du 26 septembre 2012, la chef s’est fait dire que les raisons avaient été diffusées au Conseil, mais elle a témoigné ne les avoir reçues que plusieurs semaines plus tard.
[63] Le 27 septembre 2012, le juge MacLeod de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a rendu une injonction obligatoire interdisant à la chef de se présenter dans les locaux gouvernementaux des Piikani avant que sa suspension ne prenne fin le 5 octobre 2012. Cette ordonnance datée du 27 septembre 2012 a confirmé la suspension de 30 jours de la chef.
[64] Lors de son témoignage, la chef a déclaré ne pas être allée au bureau d’administration, mais a affirmé avoir continué de s’occuper des affaires des Piikani en rencontrant les gens chez elle parce qu’elle estimait qu’elle ne pouvait pas dire aux gens qu’elle ne pouvait pas leur parler.
[65] La chef ne s’est pas présentée au bureau le 5 octobre 2012 au terme de sa suspension. Ensuite, un membre de la famille est décédé, si bien qu’elle n’a pas travaillé le lundi 9 octobre 2012. Le chef intérimaire lui a écrit pour lui dire qu’ils avaient prévu tenir la réunion de réconciliation le 12 ou le 15 octobre 2012. Le bureau d’administration a reçu une note du médecin le 10 octobre 2012 indiquant que la chef était malade et ne serait pas en mesure de se présenter au travail avant le 5 novembre 2012. La chef a été en congé de maladie du 5 octobre 2012 au 5 novembre 2012.
[66] Le chef intérimaire a demandé à la chef si elle désirait reporter au 6 novembre 2012 la réunion de réconciliation et le Conseil n’a pas reçu de réponse.
[67] Le 29 octobre 2012, la date du 6 novembre 2012 n’était plus disponible pour la tenue de la réunion de réconciliation, le Conseil ayant prévu une autre réunion à Calgary. Le Conseil a donc écrit à la chef et lui a demandé si la réunion de réconciliation pouvait se tenir le 2 ou le 16 novembre 2012. La lettre n’a été transmise à la chef que le 5 novembre 2012.
[68] La chef a repris le travail le 5 novembre 2012. La Première Nation des Piikani négociait depuis un an avec les syndics de faillite de PIT, PEC et CIBC Trust Corporation afin de faire une proposition aux créanciers. À son retour au bureau, le conseiller juridique interne, Michael Pfueger, a informé la chef de la procédure d’insolvabilité de la Piikani Investment Trust. Dans le cadre du breffage, la chef a reçu une copie qui lui était adressée de la proposition arborant un filigrane attestant qu’il s’agissait d’un document confidentiel.
[69] Le 5 novembre 2012, la chef a enjoint à l’avocat interne Michael Pfueger d’ajourner la demande présentée devant la Cour. L’avocat a refusé parce que les directives de la chef ne correspondaient pas à celles qu’il avait reçues du Conseil en ce qui concerne la comparution devant la Cour.
[70] Plus tard, le 5 novembre 2012, les membres du Conseil ont remis une lettre à la chef concernant la réunion de réconciliation prévue le lendemain à Calgary.
[71] Le 6 novembre 2012, la chef a demandé que la réunion de réconciliation soit ajournée et les membres du Conseil y ont consenti. La réunion sur la réintégration devait avoir lieu le 8 novembre 2012 à Calgary; ils ont envoyé un courriel à la chef lui indiquant qu’ils autoriseraient le remboursement de ses frais de voyage. La chef leur a envoyé un courriel demandant que la réunion se tienne plutôt le 16 novembre 2012, et encore une fois les membres du Conseil ont accepté.
[72] Le 15 novembre 2012, la chef s’est présentée devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta relativement à la demande en vue de nommer un liquidateur. Agissant en tant que chef, elle a demandé un ajournement de la demande auprès de la Cour, ce qui était contraire aux directives du Conseil.
[73] Le 16 novembre 2012, la chef a participé à la réunion sur la réintégration. Lors de la réunion, la chef s’est fait dire que le Conseil avait préparé quinze (15) questions auxquelles elle devrait répondre tour à tour. La chef a que le fait d’être tenue de répondre ainsi à ces questions et de ne pas en avoir reçu de copie dérogeait à la procédure suivie lors des réunions de réintégration précédentes. La chef affirme que lors des réunions de réintégration de quatre suspensions antérieures de conseillers, il y avait eu des échanges verbaux.
[74] La chef a inscrit les questions, mais a refusé d’y répondre jusqu’à ce qu’elles lui aient toutes été posées. Lors de son témoignage, la chef a déclaré que même après avoir entendu les questions, elle s’est sentie sous pression et a estimé que la réunion était déloyale. Elle a demandé un ajournement de la réunion sans répondre aux questions.
[75] Le 19 novembre 2012, M. North Peigan a fait parvenir une lettre à la chef pour l’aviser que le Conseil avait adopté une proposition la suspendant de son poste de chef pour une seconde fois, et ce, pour une période de 30 jours avec honoraires.
[76] Une copie des deux propositions adoptées qui indiquaient que la suspension faisait suite à une réunion dûment convoquée du Conseil a été jointe à la lettre, qui ne comportait toutefois pas de RCB.
[77] Le 20 novembre 2012, la chef, son partenaire Larry Provost, sa sœur Pam Wolf Tail de même que son père ont assisté à la fête d’anniversaire d’un aîné, au Mary Ann McDougall Elders Center, à laquelle ils n’ont pas été invités. La chef dit qu’elle est membre d’office, qu’elle peut donc y assister si elle le désire.
[78] La chef a essayé de parler aux aînés de sa suspension et des activités du Conseil. Son conjoint de fait a crié et a eu un comportement violent, traumatisant ainsi les aînés. La chef et ses proches ont été invités à quitter, mais c’est à contrecœur qu’ils sont partis. Les aînés ont déposé des plaintes. Aux dires de tous, la chef n’était pas violente, mais elle a discuté des affaires de la Première Nation des Piikani alors qu’elle était suspendue et n’a pas empêché ses proches d’avoir un comportement violent à l’endroit des aînés.
[79] Dans une lettre en date du 7 décembre 2012, le Conseil a avisé la chef qu’elle ne pourrait pas se présenter à des élections partielles ou des élections générales sans leur consentement s’ils la démettaient de ses fonctions. Elle a obtenu le droit de démissionner et si elle en décidait autrement, la procédure de révocation suivrait son cours devant le Comité d’appel.
[80] La chef a adressé une lettre aux membres du Conseil, en date du 7 décembre 2012, leur indiquant que les suspensions étaient illégales. Elle a dit que d’autres chefs sur le point d’être révoqués se sont vu payer les services d’un avocat et que, selon les articles 11.03 et 11.04 du Règlement électoral de la Nation des Piikani 2012 (Règlement électoral), elle a droit à un avocat. Elle dit qu’elle est indemnisée et a droit à un remboursement des honoraires de son avocat.
[81] Le 13 décembre 2012, la chef a intenté une action devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, dossier 1201-15897, en son nom propre et au nom de la Nation des Piikani. Ce jour-là, elle a déposé un affidavit dans le cadre de l’instance d’insolvabilité dans lequel elle s’opposait à la proposition ainsi que des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat (correspondance signée par l’avocat à l’intention de la chef et du Conseil).
[82] Le 13 décembre 2012, la chef de déposé un avis de demande de contrôle judiciaire concernant les décisions liées aux suspensions du 5 septembre 2012 et du 19 novembre 2012 (avis de demande, T-2224-12).
[83] Le 14 décembre 2012, la chef a fait parvenir une lettre au Conseil pour l’aviser qu’elle ne démissionnerait pas. Elle a présenté une requête visant à faire relever de leurs fonctions à titre de conseillers M. North Peigan et Doane Crow Shoe. La requête a été rejetée conformément à l’article 10.02 du Règlement électoral de la Nation des Piikani, car elle ne respectait pas l’article 101.01.01 dudit règlement – aucune pièce justificative n’y était jointe et elle n’était pas signée par le tiers de l’électorat. Elle ne respectait pas non plus l’article 10.01.02 car la chef était visée, à ce moment-là, par une suspension.
[84] La chef a déclaré avoir repris ses fonctions de chef le 19 décembre 2012.
[85] Le 18 décembre 2012, le conseiller Nord Peigan a envoyé une requête à la DG visant à démettre la chef de ses fonctions en vertu des articles 10.01 à 11.08 du Règlement électoral. La requête figurait à l’ordre du jour de la réunion du Conseil du 20 décembre 2012.
[86] Le 20 décembre 2012, la chef a transmis les réponses aux questions qui lui avaient été posées lors de la réunion de réconciliation auxquelles elle avait refusé de répondre. Elle s’est fait interroger de nouveau sur les questions et les réponses qu’elle a données. Au cours de la réunion, la chef a demandé au Conseil de passer aux autres dossiers et d’examiner ses réponses plus tard. Le Conseil a refusé et lui a demandé de sortir de la salle de réunion afin qu’il puisse examiner ses réponses. La requête devait être entendue, mais elle a été ajournée.
[87] Le 21 décembre 2012, la chef a unilatéralement intenté une action devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta visant à poursuivre un certain nombre d’avocats et de cabinets d’avocats en son propre nom, et au nom de la Première Nation des Piikani.
[88] Le 8 janvier 2013, la chef s’est présentée au travail et s’est fait demander la raison pour laquelle elle était au bureau étant donné qu’elle était suspendue.
[89] Le 8 janvier 2013, le Conseil a entendu la requête de M. North Peigan visant la révocation de la chef. Comme il était le requérant, M. North Peigan n’a pas participé aux délibérations ou à la décision de recommander que l’affaire soit déférée au Comité d’appel; il n’a pas non plus voté ou signé la RCB.
[90] Lors de la réunion du Conseil tenue le 8 janvier 2013, trois conseillers étaient absents pour cause de maladie. La chef était présente et a formulé des observations en son propre nom. Après délibération, les conseillers ont signé et adopté une RCB recommandant que l’affaire soit déférée au Comité d’appel afin qu’il détermine si la chef devrait se voir déclarer inhabile à exercer ses fonctions. Le Conseil l’a également suspendue à titre de chef sans honoraires jusqu’à ce le Comité d’appel rende sa décision.
[91] La RCB n’a pas été signée à l’unanimité par les membres du Conseil, étant donné que certains membres étaient malades, que le requérant a décidé de ne pas la signer et que la chef ne l’a bien sûr pas signée.
[92] Le 30 janvier 2013, les membres du Comité d’appel ont été désignés, par voie de RCB, conformément à l’article 21.03 du Règlement électoral, après qu’il ait été vérifié que tous les membres étaient âgés de plus de 21 ans et originaires des Pieds-Noirs. Le requérant n’a pas participé aux délibérations ou à la nomination du Comité d’appel ou au vote qui a permis d’officialiser la nomination du Comité d’appel.
[93] Le 5 février 2013, une audience a été tenue relativement au dossier 1201-15897 devant le juge en chef adjoint J.D. Rooke de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, qui a par la suite rendu une ordonnance.
[94] Le 8 février 2013, la chef, par l’entremise de son avocat, a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire concernant la décision du Conseil du 8 janvier 2013 qui a donné lieu à sa suspension et au renvoi de l’affaire au Comité d’appel (avis de demande, T-282-13).
[95] Le 11 février 2013, une RCB a confirmé la composition du Comité d’appel après les nominations du 30 janvier 2013.
[96] Le 15 février 2013, la chef a obtenu des documents confidentiels de la Nation des Piikani portant sur la procédure d’insolvabilité. Une partie s’opposant à la Première Nation a déposé une action en justice après que la chef lui eut remis lesdits documents confidentiels.
[97] En mars 2013, le Comité d’appel a tenté d’organiser une cérémonie du cercle de guérison traditionnelle avec la chef et les membres du Conseil. La chef a manifesté le désir de participer à cette tradition des Pieds-Noirs pour résoudre les problèmes.
[98] Le 19 avril 2013, la chef a dit que son avocat lui a dit que le Conseil ne souhaitait pas procéder à la cérémonie du cercle de guérison. Lors de son témoignage, le requérant, M. North Peigan, a déclaré avoir confirmé, le 10 mai 2013, qu’il n’était pas prêt à s’engager dans le cercle de guérison étant donné que la chef n’avait pas participé de bonne foi aux réunions de réconciliation et de réintégration précédentes.
[99] Le 26 avril 2013, la chef a reçu les motifs de la décision de la démettre de ses fonctions de chef prise le 8 janvier 2013.
[100] Le 1er mai 2013, le Comité d’appel a fait parvenir une lettre au Conseil dans laquelle il l’informait que la RCB du 8 janvier 2013 visant à obtenir la révocation de la chef n’a pas été adoptée à l’unanimité ainsi que l’exigent le Règlement électoral de la Nation des Piikani et la Réglementation coutumiers. Le Comité d’appel a suggéré au Conseil des façons de se conformer au Règlement.
[101] Le 8 mai 2013, une RCB a été adoptée et signée par tous les membres du Conseil (sauf la chef), y compris le requérant à titre de conseiller, afin de ratifier rétroactivement et de réaffirmer la recommandation de la décision de suspendre la chef sans honoraires et de permettre au Comité d’appel de décider si la chef doit être démise de ses fonctions.
[102] La chef n’a pas été avisée de la tenue de la réunion du 8 mai 2013 ou elle n’a pas eu la possibilité de réagir. Elle doute que les douze (12) conseillers étaient présents et qu’une réunion plénière a eu lieu; elle pense que la RCB a d’abord été écrite et que les signatures ont ensuite été obtenues.
[103] La chef déclare qu’elle n’a pas désigné de chef intérimaire et que la RCB n’a pas été adoptée dans le cadre de réunions du chef et des membres du Conseil dûment convoquées comme l’exige la réglementation coutumière de la Nation des Piikani. Elle soutient que sans sa présence à titre de chef élue, le Conseil n’existe pas, comme en fait foi le document Roles and Responsibilities of Chief and Council (annexe B).
[104] Le 28 mai 2013, aux termes d’une ordonnance, le protonotaire Roger Lafrenière a regroupé les dossiers T-2224-12 et T-262-13 et a donné à la chef jusqu’au 31 mai 2013 pour déposer un avis de demande modifié, en la forme indiquée, et a prévu la tenue d’une audience le 17 juin 2013 sur un projet de requête visant une mesure injonctive.
[105] Le 14 juin 2013, avec le consentement des parties, le juge Sean Harrington a ordonné que la requête devant être entendue le 17 juin 2013 soit reportée à une date fixée par l’administrateur judiciaire.
[106] Dans le dossier T-2224-12, la chef a présenté une demande visant à empêcher la Première Nation des Piikani de tenir une audience du Comité d’appel. Le 19 septembre 2013, le juge Harrington a reporté indéfiniment l’instruction de la requête pour que l’audience du Comité d’appel être tenue, car il a conclu que toutes les voies de recours adéquates n’avaient pas été épuisées.
[107] L’audience du Comité d’appel était prévue pour le 29 novembre 2013. Le 17 octobre 2013, le Comité d’appel a produit les Règles de l’audience (annexe D), qu’il a communiquées à la chef.
[108] Le 20 novembre 2013, la demande préliminaire a été entendue par téléphone et l’avocate de la chef a demandé que les questions touchant la compétence, la partialité et les frais judiciaires soient entendues dans les meilleurs délais.
[109] Le 22 novembre 2013, le Comité d’appel a rendu sa décision sur la demande préliminaire. Il a conclu que la procédure n’était pas entachée d’un manque d’impartialité et que le Comité d’appel avait été dûment constitué; de plus, il n’a pas ordonné que les frais judiciaires de la chef soient payés. Deux heures avant la tenue de l’audience, une RCB en date du 14 novembre 2013 a été envoyée à l’avocate de la chef pour l’aviser du refus de payer les frais judiciaires de la chef.
[110] L’audience a eu lieu à Lethbridge le 29 novembre 2013; il était prévu qu’elle durerait une journée et deux policiers y étaient présents. Les Règles de l’audience prévoyaient que seules les parties et un témoin à la fois auraient accès à la salle. La chef a demandé que l’audience soit publique et que les propos soient traduits dans la langue des Pieds-Noirs; toutefois, ces demandes ont été rejetées et il n’y a pas eu de transcription de l’audience.
[111] La chef a dit que le temps alloué aux parties semblait serré. Le seul témoin autorisé était Pam Wolf Tail, la soeur de la chef.
[112] Le 11 décembre 2013, après à l’audience du 29 novembre 2013, le Comité d’appel a ordonné la révocation immédiate de la demanderesse en qualité de chef de la Première Nation des Piikani.
[113] Le 19 décembre 2013, la chef a demandé la tenue d’une conférence de gestion de cas durant la semaine du 6 janvier 2014 afin d’établir un échéancier aux fins du contrôle judiciaire et également de déposer un nouvel avis de demande modifié.
[114] Le 6 janvier 2014, la chef a présenté au protonotaire Lafrenière une version préliminaire d’un nouvel avis de demande modifié, préalablement à la conférence de gestion de cas prévue le 8 janvier 2014.
[115] Le 8 janvier 2014, la chef a déposé à la Cour son nouvel avis de demande modifié qui inclut les décisions additionnelles suivantes :
• la décision prise par le Comité d’appel en réponse à une demande avant l’audience, rendue le 20 novembre 2013, et la décision rendue le 11 décembre 2013 déclarant la chef inhabile à exercer ses fonctions, et
• la décision du 14 novembre 2013 prise par le Conseil de la Nation des Piikani refusant d’autoriser le paiement des frais judiciaires de la chef.
[116] Le 9 janvier 2014, le protonotaire Lafrenière a accordé à la chef l’autorisation de présenter « sans délai » un nouvel avis de demande modifié ainsi qu’un échéancier modifié aux fins du contrôle judiciaire.
[117] Voici d’autres instances dont ont été saisies la Cour d’appel de l’Alberta et la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta :
• Une demande d’injonction (no 1201-11755) a été présentée le 27 septembre 2012 par le Conseil de la Nation des Piikani devant le juge MacLeod de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta afin d’empêcher la chef de se rendre au bureau. La Cour a accordé l’injonction;
• Une requête présentée le 15 novembre 2012 à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta par la Nation des Piikani afin que soit nommé un liquidateur pour une société appartenant à la Nation, ce à quoi la chef s’est opposée devant la Cour;
• Le 13 décembre 2012, la chef a entamé une poursuite devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta en son propre nom et au nom de la Nation des Piikani contre le Conseil et le liquidateur nommé par la Cour et d’autres. Les procédures contre le liquidateur ont été radiées et la Nation des Piikani a été supprimée en qualité de demanderesse. La chef a déposé à la Cour des documents confidentiels de la Nation des Piikani et a poursuivi son opposition à l’égard de l’ensemble des procédures liées à l’insolvabilité;
• Le 21 décembre 2012, la chef a intenté une poursuite devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (no 1201-16383) en son propre nom et au nom de la Nation des Piikani à l’encontre d’un certain nombre d’avocats actuels et anciens de la Nation des Piikani, et d’un juge de la Cour provinciale, pour la somme de 86 millions de dollars en dommages-intérêt et le renvoi du conseiller juridique externe de la Nation des Piikani et le congédiement de leur conseiller juridique interne;
• Le 4 janvier 2013, le juge en chef adjoint J.D. Rooke a ordonné que soit radiée la requête (no 1201-16383) puisque celle-ci semblait être faite au nom de la Première Nation des Piikani et que la chef n’était pas autorisée à la présenter en leur nom. Les autres aspects de la requête ont fait l’objet d’un sursis au motif qu’il s’agissait d’un recours abusif et assujetti à une gestion de l’instance;
• Le 29 janvier 2013, la chef a déposé une demande (no 1201-15897) devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Dans le cadre de cette demande, elle demandait que tous ses frais juridiques soient payés, qu’aucuns frais juridiques ne soient payés à tout autre membre ou au Comité d’appel pour la démettre de ses fonctions. Elle demandait à titre de mesure de réparation le paiement de ses honoraires à compter du 8 janvier 2013;
• Le 5 février 2013, le juge en chef adjoint J.D. Rooke a ordonné la suspension de toutes les affaires jusqu’à ce que la Cour d’appel de l’Alberta rende une décision (no 1201-0072AC ou le 13 avril 2013). Je donne ci‑après, sans donner de détails, les numéros des dossiers des actions suspendues : 0801-07171; 0501‑17326; 0901-07214; 0801-09301; 0801 04735; 0901-15268; 0901-42591; 0901-03549; 0901-15396; 0601-13081; 0901-05220; 0601-14313; 0901-15297; 0901-18791; 0801-06768; 1001-10326; 1201-16383; 1201-15897. Les affaires qui n’ont pas fait l’objet d’une suspension étaient celles prévues le 19 février 2013, toute affaire dont l’autorisation à poursuivre a été accordée soit par le juge Graesser soit par le juge Park et les dossiers nos 0801-05039 et 0601-13081; 0901‑15297 ; 0901‑18791; 25-1436014 et dossiers d’appel no 1201-0072AC; 1001-10326. Le juge a ordonné qu’aucune action ne soit intentée contre la Nation des Piikani, le Conseil, etc., sans autorisation de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta ou de la Cour provinciale de l’Alberta sans autorisation de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta ou s’il s’agissait d’une action dont la non‑poursuite est permise.
VII. Norme de contrôle
[118] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62, la Cour suprême du Canada a indiqué que, selon le critère à deux volets applicable, la cour de révision doit d’abord vérifier si la jurisprudence établit déjà la norme de contrôle. La première étape consiste donc à vérifier si l’analyse a déjà été effectuée relativement au décideur en question. Si c’est le cas, il n’est pas nécessaire de poursuivre : la cour de révision peut adopter cette analyse.
[119] Concernant, la révocation ou la suspension du chef ou d’un conseiller d’une bande indienne, la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de contrôle qui s’applique à cette question mixte de fait et de droit est celle de la décision raisonnable. Toutefois, lorsque l’équité procédurale est en cause, la norme de contrôle sera celle de la décision correcte (Première Nation no 195 de Salt River c Martselos, 2008 CAF 221 [Martselos], au paragraphe 28; Première Nation de Fort McKay c Orr, 2012 CAF 269, au paragraphe 11; Bande indienne de Lower Nicola c York, 2013 CAF 26, au paragraphe 6).
VIII. Analyse
[120] Je rejette la présente demande pour les motifs qui suivent.
[121] Je conclus que le Comité d’appel avait compétence pour rendre la décision contestée en l’espèce. À mon avis, le Comité d’appel a conclu avec raison qu’il n’avait pas compétence pour ordonner le remboursement des frais judiciaires de la chef et n’avait pas compétence pour ordonner le paiement d’honoraires à la chef.
[122] Je conclus que la décision du Comité d’appel était raisonnable.
[123] Je conclus que la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta s’est déjà prononcée sur la décision ne pas payer les frais judiciaires et, subsidiairement, si jamais j’avais tort, je conclus que la décision du Comité d’appel était raisonnable.
A. Le Comité d’appel de la Première Nation des Piikani avait-il compétence?
[124] La chef a soutenu que le Comité d’appel a commis une erreur en concluant qu’il avait compétence, et ce, pour deux motifs.
[125] Le premier motif avancé par la chef est que le Comité d’appel n’avait pas compétence parce que le Règlement électoral comporte des exigences réglementaires très rigoureuses (voir l’annexe B) qui n’avaient pas été suivies à la lettre. À cause de ces erreurs, la chef soutient que le Comité d’appel n’avait pas compétence.
[126] L’argument qui a été présenté au Comité d’appel et qui m’a été présenté est le suivant : lorsque le Conseil a adopté la RCB, les membres du Conseil n’étaient pas tous présents et n’ont pas tous signé la RCB, ce qui allait à l’encontre des articles 10.04, 10.04.02 et 10.05 du Règlement électoral. La chef soutient que la ratification, confirmation et signature unanime subséquentes de la RCB par le Conseil n’ont pas conféré compétence au Comité d’appel.
[127] D’après la chef, les articles 10.05 et 10.04.02 n’ont pas été suivis lors de l’adoption de la RCB du 8 janvier 2013, car il faut un accord unanime du Conseil. La RCB a été signée par les huit conseillers qui étaient présents, et non par l’ensemble des douze conseillers et la chef. La chef fait valoir que le Règlement électoral doit être respecté rigoureusement et que l’article 10.05 indique que la RCB doit être unanime :
[traduction]
Article 10.05. Le Conseil de la Nation des Piikani peut, par consentement unanime attesté par une résolution du Conseil de bande et conformément au paragraphe 10.04.02, recommander qu’une personne soit déclarée inhabile à continuer d’occuper le poste de chef ou de conseiller si […]
[128] Les défendeurs soutiennent que cet article est facultatif en raison du mot [traduction] « peut », tandis que la chef soutient le contraire parce que la virgule est placée après le mot [traduction] « peut », si bien que l’article n’est pas facultatif.
[129] La chef fait valoir à titre d’exemple que l’article 9.02 renvoie à [traduction] « la majorité » du Conseil, si bien que la formulation est intentionnelle. Ainsi, l’utilisation du terme [traduction] « unanime » à l’article 10.05 est également intentionnelle, et, tout comme les formulations choisies à l’article 9.02 et ailleurs, le mot employé reflète exactement ce qui est exigé.
[130] Selon la chef, le Règlement électoral exige le consentement [traduction] « unanime » pour éviter que des factions de conseillers puissent révoquer un chef ou d’autres conseillers. La chef soutient que le renvoi au Comité d’appel et la suspension n’étaient pas valides, si bien que le Comité d’appel n’avait pas compétence. Elle soutient que la conformité rigoureuse au règlement est obligatoire et que le Comité d’appel a lui-même soulevé cette question. Selon la chef, la non-conformité fait en sorte que la constitution du Comité d’appel est frappée de nullité et que la constitution d’un nouveau le Comité d’appel ne corrige pas ce défaut.
[131] La chef souligne également que les articles 10.05 et 10.08 renferment les termes [traduction] « les autres conseillers et le chef »; or, le 8 janvier 2013, la chef faisait l’objet d’une suspension et, faute de la signature d’un chef, la RCB n’était pas conforme à l’article 10.08.
[132] La chef a soutenu que, selon la coutume, elle désigne un chef intérimaire lorsqu’elle doit s’absenter ou n’est pas en mesure d’exercer ses fonctions. Elle fait valoir que le Comité d’appel n’avait pas compétence au moment où il a pris toutes ses mesures étant donné qu’elle n’avait pas désigné de chef intérimaire.
[133] Selon les défendeurs, le Comité d’appel avait porté à l’attention du Conseil la possibilité qu’une telle question de compétence soit soulevée et, par souci de précaution, le Conseil a pris des mesures pour corriger la situation. Le 8 janvier 2013, trois conseillers n’avaient pas assisté à la réunion du Conseil parce qu’ils étaient malades, si bien qu’ils n’avaient pas signé la RCB initiale. Toutefois, le Conseil a corrigé la situation en ratifiant et en réaffirmant la RCB de janvier dans la RCB en date du 8 mai 2013 signée par les douze conseillers. De plus, un appel a été déposé conformément à l’article 10.07 du Règlement électoral.
[134] La chef a signalé une autre erreur du Comité d’appel : les décisions de la suspendre et de la révoquer n’ont pas été prises d’une manière conforme au droit coutumier des Piikani, à l’équité procédurale et à la justice naturelle, si bien que ces décisions sont injustes.
[135] Je conclus que le Comité d’appel avait compétence pour les motifs qui suivent.
(1) Contexte législatif – Règlement électoral de la Nation des Piikani (2002) et Réglementation électorale de la Nation des Piikani (annexe B)
[136] Les parties ne s’entendent pas sur l’interprétation du Règlement électoral et de la Réglementation électorale.
[137] En réponse à une demande présentée avant l’audience, le Comité d’appel a examiné la question de la compétence dans une décision datée du 22 novembre 2013. Il a renvoyé à cette décision préliminaire aux paragraphes 6 et 71 de ses motifs.
[138] Au paragraphe 6 de ses motifs, le Comité d’appel a écrit ce qui suit :
[traduction]
À l’amorce de la procédure officielle, la défenderesse [note : dans le cadre de cette demande, la chef était la défenderesse] a soutenu que le Comité d’appel n’avait pas compétence pour instruire l’affaire et a invité le Comité d’appel à se déclarer incompétent et à renvoyer l’affaire à la Cour fédérale. Le 20 novembre 2013, la question de la compétence a été débattue à titre de demande préliminaire et, le 22 novembre 2013, le Comité d’appel a rendu sa décision dans laquelle il a entre autres conclu que le Comité d’appel avait compétence. Une copie de la décision préliminaire du 22 novembre 2013 est jointe à l’annexe A de la présente décision.
[139] Le Comité d’appel a conclu qu’il y a deux façons valides de lui soumettre une requête. La première façon est une recommandation du Conseil de bande, formulée dans une RCB (article 10.04.02). La deuxième est l’appel d’un requérant, si la requête a été refusée (article 10.07).
[140] Le Comité d’appel a conclu qu’il avait compétence pour plusieurs motifs. Premièrement, le Comité d’appel a noté avec raison dans sa décision préliminaire qu’il n’avait pas compétence à l’égard des deux suspensions temporaires mais uniquement à l’égard de la requête visant la révocation de la chef de manière définitive. Deuxièmement, le Comité d’appel a rejeté l’interprétation avancée par la chef selon laquelle l’utilisation du terme [traduction] « unanime » signifiait que sa signature devait également figurer sur la RCB visant sa révocation. Selon le Comité d’appel, cette interprétation mènerait à une absurdité juridique puisqu’il faudrait que la chef signe la RCB qui recommande qu’elle soit déclarée inhabile à continuer d’exercer ses fonctions. Le Comité d’appel a conclu avec raison qu’une telle interprétation aurait pour effet de rendre l’article dénué de sens.
[141] Je conclus que le Comité d’appel avait raison et que l’argument de la chef doit être rejeté. Si le règlement est interprété de cette façon, il serait impossible de révoquer un chef parce que le chef refuserait tout simplement de désigner un chef intérimaire, ne signerait pas une RCB visant sa révocation et se protégerait entièrement contre tout effort de le démettre de son poste. Tel n’était certainement pas la fin du Règlement électoral au moment où il a été adopté.
[142] À la page 5 de sa décision préliminaire, le Comité d’appel a renvoyé à l’arrêt Knight c Indian Head School Division No 19, [1990] 1 RCS 653 et a conclu que :
[traduction]
[…] des erreurs de forme touchant des questions administratives de nature procédurale n’invalideront pas le processus si elles n’auraient pour effet que d’imposer une exigence strictement procédurale qui va à l’encontre des principes de la flexibilité de la procédure administrative. Si le comité d’appel acceptait l’argument de la chef et se déclarait incompétent, le seul effet serait de retarder à nouveau le processus et d’ajouter de nouveaux frais, causant ainsi un préjudice aux deux parties, ce qui va à l’encontre de la bonne administration du processus administratif.
[143] Le Comité d’appel s’est fondé sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada Canadien Pacifique Ltée c Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 RCS 3 pour rendre sa décision concernant sa propre compétence dans le cadre de la requête.
[144] Je conclus que le Comité d’appel avait raison. Au mieux, il s’agissait d’une erreur de forme qui a été « rectifiée » par l’adoption d’une nouvelle RCB qui ratifiait et réaffirmait la RCB initiale. D’après le Comité d’appel, même si l’appel et la deuxième RCB étaient tardifs, [traduction] « leur conséquence pratique était de soumettre l’affaire au Comité d’appel d’une manière conforme à l’esprit et à l’objet du Règlement électoral ».
[145] Toutefois, le Comité d’appel a recommandé que le Règlement électoral soit clarifié de façon à préciser que le terme [traduction] « unanime » n’englobe pas le chef ou le conseiller qui est visé par le processus de révocation.
B. Le Comité d’appel de la Nation des Piikani était-il partial ou existait-il une crainte raisonnable de partialité?
[146] La chef allègue la partialité, la crainte raisonnable de partialité et un manque d’équité.
[147] La chef soutient que la décision préliminaire et la décision définitive du Comité d’appel, en date du 20 novembre 2013 et du 11 décembre 2013 respectivement, sont sujettes à révision parce que Comité d’appel était partial.
[148] Selon la chef, le Comité d’appel était partial parce que :
• la RCB de janvier n’était pas valide étant donné que son adoption n’était pas unanime et que, le 1er mai 2013, le Comité d’appel a envoyé une lettre au Conseil pour l’aviser de son inquiétude et proposer des moyens pour y remédier;
• les défendeurs M. Crow Shoe et M. North Peigan ont affirmé que la lettre du Comité d’appel en date du 1er mai 2013 les avait incités à signer une autre RCB le 8 mai 2013;
• le Conseil s’est réuni le 8 mai 2013 pour corriger la RCB de janvier 2013;
• le Comité d’appel a lui-même soulevé le problème du manque d’unanimité de la RCB du 8 janvier 2013 au moment où il a rendu sa décision préliminaire, à savoir qu’il avait compétence pour agir;
• la chef n’a pas été consultée relativement à la composition du Comité d’appel et n’a pas participé à sa composition;
• le Comité d’appel a fixé les dates de l’audience, soit les 9 et 10 avril 2013, puis les a reportées pour faciliter la cérémonie du cercle de guérison, puis a fixé une nouvelle date, soit le 6 juin 2013, après l’annulation de la cérémonie, puis a reporté cette date à nouveau dans l’attente de la requête en injonction devant la Cour fédérale;
• par la suite, le Comité d’appel a décidé de sa propre initiative [traduction] « […] qu’on ne peut plus permettre que l’affaire s’éternise » et a fixé de nouvelles dates, soit les 23 et 24 juillet, mais a de nouveau reporté ces dates en raison de l’injonction de la Cour fédérale;
• le Comité d’appel n’a pas permis au public d’assister à l’audience;
• le Comité d’appel a embauché deux agents du service policier de la ville de Lethbridge pour monter la garde à l’extérieur de la salle d’audience pendant toute la procédure;
• le Comité d’appel s’est largement fondé sur des affidavits et a semblé s’y reporter à l’exclusion d’autres éléments de preuve à sa disposition, même si le Comité d’appel savait qu’ils n’étaient pas assujettis à un contre-interrogatoire et qu’ils équivalaient à des preuves par ouï-dire.
[149] Le critère juridique se rapportant à la partialité et à la crainte raisonnable de partialité a d’abord été formulé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 :
La Cour d’appel a défini avec justesse le critère applicable dans une affaire de ce genre. Selon le passage précité, la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » Je ne vois pas de différence véritable entre les expressions que l’on retrouve dans la jurisprudence, qu’il s’agisse de « crainte raisonnable de partialité », « de soupçon raisonnable de partialité », ou « de réelle probabilité de partialité ». Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement d’accord avec la Cour d’appel fédérale qui refuse d’admettre que le critère doit être celui d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ».
[150] Le critère ci-dessus a été confirmé dans l’arrêt R c S(RD), [1997] 3 RCS 484, où la Cour suprême a ajouté que le critère pour établir la partialité réelle ou apparente est élevé et que la présentation d’une telle allégation est une décision sérieuse qu’on ne doit pas prendre à la légère.
[151] Les arguments de la chef concernant la partialité font notamment état d’un manque d’équité procédurale, mais ce « manque d’équité » est présenté comme étant une preuve de partialité. À la lumière de la preuve dont je dispose, je suis d’avis que la conduite du Comité d’appel ne soulève pas une crainte raisonnable de partialité.
[152] Le Comité d’appel a tenu une audience formelle et avait établi un ensemble de règles pour l’audience qui s’appliquaient aussi aux démarches préliminaires. Le Comité d’appel contrôle sa propre procédure. Conformément à la Réglementation électorale, le Comité d’appel est composé de membres d’autres nations des Pieds-Noirs, mais ne compte aucun membre de la Première Nation des Piikani.
[153] Dans le cadre d’une requête, le rôle du Conseil s’amorce lorsque le DPF inscrit la requête à l’ordre du jour. Le Conseil décide ensuite s’il y a des preuves suffisantes pour envoyer la requête au Comité d’appel. Le Conseil a le pouvoir de contraindre des gens à témoigner ou à produire des documents pour l’aider dans ses délibérations. Le requérant a le droit absolu d’attaquer une décision devant le Comité d’appel, que la requête soit acceptée ou non. Si une requête n’est pas acceptée, le requérant peut interjeter appel de la décision devant le Comité d’appel en déposant un avis d’appel auprès du directeur général de la Nation des Piikani. Le Comité d’appel est un comité averti qui comprend les principes d’équité procédurale et qui s’assure qu’il n’y a pas de manquement à cet égard. Chacune des parties a reçu un avis et a eu la possibilité de présenter des éléments de preuve à un tribunal impartial (Sparvier c Bande indienne Cowessess, [1993] 3 CF 142).
[154] À mon avis, la lettre que le Comité d’appel a envoyée au Conseil découlait d’une utilisation judicieuse de son sens pratique dans la mesure où cette lettre proposait des solutions possibles à une préoccupation soulevée par le Comité d’appel. Elle ne met pas en doute l’impartialité du Comité d’appel et ne constitue pas non plus à mon avis un manquement à l’équité procédurale. La lettre exposait plusieurs choix possibles et laissait au Conseil la décision ultime quant à la solution à retenir. D’après mon interprétation, la lettre ne favorisait ni l’une ni l’autre des parties et présentait de manière équitable les diverses solutions dont on disposait pour corriger le problème. Il y avait aussi des solutions au cas où l’une ou l’autre des parties choisissait de ne pas prendre part à une audience officielle et les solutions proposées reposaient sur un fondement juridique. Le fait que les conseillers se sont fondés sur les suggestions ne met pas en doute l’impartialité du Comité d’appel, car j’estime que ce dernier faisait son travail et que la rédaction de cette lettre faisait partie de la gestion préalable à l’audience.
[155] Le Comité d’appel a élaboré les Règles de l’audience, datées du 5 juillet 2013 (annexe C), et les a communiquées aux parties. Ces règles renferment des instructions détaillées et le Comité d’appel a de plus tenu une conférence préalable à l’audience. Comme l’indique le document, il y avait un certain nombre d’affaires devant divers tribunaux et le Comité d’appel voulait [traduction] « amorcer un examen préliminaire » des effets possibles des décisions judiciaires sur l’audience.
[156] Le Comité d’appel a procédé à une divulgation complète et les parties ont eu l’occasion de prendre connaissance de l’ensemble de la preuve. La chef et son avocat étaient bien au courant de la façon dont se déroulerait l’audience.
[157] Je rejette l’argument de la chef selon lequel le Comité d’appel était partial parce qu’elle n’a pas pris part à sa composition. L’article 21.02 de la Réglementation électorale prévoit que [traduction] « le Comité d’appel de la Nation des Piikani sera constitué de personnes nommées par le Conseil de la Nation des Piikani dont la nomination […] ». Voilà exactement ce qui a été fait : il ressort de la preuve que, le 30 janvier 2013, le Conseil a nommé le Comité d’appel et, le 11 février 2013, a adopté une RCB confirmant la décision concernant le Comité d’appel. À l’audience, j’ai confirmé que les RCB peuvent avoir un effet rétroactif et ratifier des décisions prises antérieurement par le Conseil.
[158] L’affaire est litigieuse, comme l’atteste le nombre de demandes et de poursuites devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (voir le paragraphe 117 ci-dessus), si bien que la présence de policiers à l’extérieur de la salle semble raisonnable; heureusement, elle s’est avérée inutile.
[159] À l’audience, la chef a soutenu que le fait de ne pas avoir instruit l’affaire dans la langue des Pieds-Noirs était une lacune. Le Comité d’appel a indiqué que la demanderesse et les défendeurs ont témoigné dans cette langue, mais que les parties avaient été avisées à l’avance qu’elles devaient traduire leurs témoignages en anglais. Je ne vois pas comment cette demande de traduction, après avoir parlé dans la langue des Pieds‑Noirs, puisse constituer un manque d’impartialité. Les parties avaient été avisées que l’audience se déroulerait ainsi et l’obligation de traduire s’appliquait aux deux parties. L’adoption d’une telle façon de procéder dans le cadre d’une audience me semble juste et raisonnable.
[160] Le fait que le Comité d’appel s’est fondé sur des affidavits n’ayant pas fait l’objet de contre-interrogatoires et ayant été présentés dans le cadre de la demande d’injonction ne met pas en doute l’impartialité du Comité d’appel, car les deux parties étaient bien représentées par leurs avocats; de plus, dans cette affaire, il n’a eu de contre-interrogatoire sur les affidavits d’aucune des parties. Dans les Règles de l’audience (voir le paragraphe 155 ci-dessus), le Comité d’appel a abordé la question en précisant qu’il serait permis de présenter des témoignages oraux en guise de [traduction] « contre-preuve en réponse à la preuve écrite présentée par les autres parties ». Le Comité d’appel n’a tiré aucune conclusion expresse concernant la crédibilité des témoins, mais a préféré certains témoignages à d’autres lorsqu’il y avait des divergences. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Je ne pense qu’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question en viendrait à la conclusion que le Comité d’appel a fait preuve de partialité lorsqu’il a élaboré et appliqué les règles de procédures de l’audience.
[161] Le Comité d’appel n’a pas permis au public d’assister à l’audience, mais il lui appartient de contrôler sa propre procédure. Il ressort de la documentation produite se rapportant à d’autres révocations qu’il y a eu d’autres situations où le Comité d’appel n’a pas ouvert l’audience au public. Il semblerait que, étant donné que les enjeux causaient déjà d’énormes conflits au sein de la communauté, permettre la présence des médias et des partisans des deux camps n’aurait aucunement contribué à la guérison que le Comité d’appel souhaitait favoriser, ni à l’harmonie parmi les gens de la communauté préconisées par la tradition des Pieds-Noirs et les principes de conduite piikanissini. Comme les Règles de l’audience (voir le paragraphe 155 ci-dessus) étaient connues bien avant la tenue de l’audience, les parties étaient au courant de la procédure que le Comité d’appel prévoyait appliquer.
[162] Après avoir appliqué le critère énoncé par la Cour suprême du Canada, exposé ci-dessus, je conclus qu’il est peu probable qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur et de façon réaliste et pratique en viendrait probablement à la conclusion que, consciemment ou non, le Comité d’appel ne rendrait pas une décision juste.
[163] La chef soutient également que le processus qui a mené à l’audience devant le Comité d’appel n’était pas conforme au droit coutumier des Piikani et, par conséquent, n’était pas équitable sur le plan procédural. Cet argument n’est pas convaincant, car d’après mon interprétation de la décision du Comité d’appel, l’esprit des principes de conduite piikanissini imprègne l’ensemble de la décision, qui tient compte de bon nombre des principes qui guident le mode de vie des Piikani. De plus, au paragraphe 56 de sa décision, le Comité d’appel a reconnu que les rencontres de réconciliation de novembre 2012 avaient été différentes des rencontres de réconciliation tenues précédemment pour des conseillers suspendus; toutefois, au paragraphe 108, il a également reconnu que la chef avait pris part à tous les efforts de réintégration, de réconciliation et de guérison entrepris en vertu des principes piikanissini. D’après mon interprétation, il découle de ces conclusions que le droit coutumier des Piikani a été intégré au processus, mais qu’il s’est avéré infructueux, si bien que le Comité d’appel a dû se résigner à recourir aux règlements électoraux pour trancher la requête. Même si les rencontres de réintégration tenues en novembre étaient différentes des autres rencontres, elles ont tout de même eu lieu. Peu importe que la discussion se tienne de vive voix ou qu’il y ait un échange de questions écrites, l’esprit de la réconciliation était intact. À mon avis, il n’y pas eu de manquement à l’équité procédurale.
C. Est-ce que le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique en l’espèce?
[164] La chef fait aussi valoir que les allégations avancées à l’audience sur la révocation étaient les mêmes qui avaient mené à ses suspensions et qu’en vertu du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, du principe de res judicata ou de l’arrêt Kienapple c R, [1975] 1 RCS 729, elle ne devrait pas être punie trois fois.
[165] Je conclus que le Comité d’appel a examiné ces arguments et appliqué le bon critère juridique aux faits. Le critère de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est le suivant : (1) la même question a été décidée dans une procédure antérieure; (2) la décision judiciaire antérieure est définitive; et (3) les parties ou leurs ayants droit sont les mêmes dans chacune des instances (Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, confirmé par Penner c Niagara (Commission régionale des services policiers), 2013 CSC 19). Même s’il constate la présence de ces trois conditions préalables, le Comité d’appel peut conclure qu’il n’y a pas préclusion.
[166] Je souscris à la conclusion du Comité d’appel selon laquelle les suspensions étaient de nature temporaire et, étant donné qu’il ne s’agissait pas de décisions définitives, la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’appliquait pas au Comité d’appel à la lumière de ces faits. De toute manière, l’inconduite qui a mené à la première suspension de la chef n’était pas la même que celle ayant mené à sa deuxième suspension; la deuxième suspension a été imposée parce que la chef avait fait fi de la première suspension en continuant d’exercer ses fonctions malgré la suspension. Les deux suspensions et la décision du Comité d’appel sont des questions distinctes et il ne fait aucun doute que les allégations ne sont pas les mêmes. Enfin, il était raisonnable de la part du Comité d’appel de conclure qu’il pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre la preuve liée aux audiences de suspension ou aux mesures de réintégration.
D. La décision du Comité d’appel de la Nation des Piikani était-elle raisonnable?
[167] La chef soutient que cette décision n’est pas raisonnable étant donné qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour corroborer les allégations de la requête ou pour établir que sa conduite justifiait sa révocation à titre de chef. De plus, elle fait valoir que le Comité d’appel [traduction] « a commis une erreur en concluant que la prétendue inconduite avait eu lieu et en lui accordant le poids qu’il lui a accordé ».
[168] Le rôle du Comité d’appel consistait à décider si la chef n’était plus apte à assumer la fonction de chef. Il a rendu cette décision en vertu de l’article 11.06 du Règlement électoral et de l’article 21.05 de la Réglementation électorale.
[169] Il était allégué dans la requête que la chef était inhabile en vertu des alinéas 10.05.02 a), c), d), e) du Règlement électoral (voir l’annexe B). Le requérant doit satisfaire au critère exposé à l’article 10.05.02, qui dresse une liste non exhaustive de manquements.
[traduction]
La personne adopte une conduite qui n’est pas celle que l’on attend d’un membre du Conseil de la Nation des Piikani et, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, commet un des manquements suivants :
a) elle accepte ou offre un pot-de-vin, fait un faux document se rapportant à la Nation des Piikani ou agit autrement de façon malhonnête dans le cadre de sa fonction officielle;
[…]
c) elle se livre à une tractation malhonnête en contravention des principes PIIKANISSINI;
d) elle exerce ses pouvoirs de manière abusive et porte ainsi atteinte à la dignité et à l’intégrité de la Nation des Piikani ou du Conseil de la Nation des Piikani ;
e) elle commet d’autres actes que le conseil de la Nation des Piikani jugera suffisamment graves pour justifier la révocation.
[170] Dans une décision détaillée comptant 21 pages, le Comité d’appel a fait état de la preuve qui appuyait chacune de ses conclusions. Il a résumé la preuve et tiré des conclusions fondées sur cette preuve. Il n’a négligé aucun élément de preuve important. Voici un sommaire des conclusions du Comité d’appel :
• La chef était en conflit d’intérêts lorsqu’elle a participé à la réunion au sujet de Peigan Taxi le 23 août 2012 et lorsqu’elle a tenté d’obtenir un chèque pour cette entreprise le 31 août 2012. Pour ce qui est de la façon dont la chef a agi envers le personnel, notamment sa conduite à l’égard de Bridget Kenna, de Tanya Potts, du directeur des services de santé et du commis aux finances des services de santé, elle n’en était pas une que l’on attend d’un membre du Conseil. Le Comité d’appel a conclu qu’il était inapproprié d’ordonner à Bridget Kenna de congédier un autre employé sans que la décision soit approuvée par un quorum de sept conseillers. Les gestes de la chef contrevenaient aux politiques en vigueur pour la prise de mesures disciplinaires ou le congédiement d’un employé. Il était inapproprié d’ordonner à Tanya Potts de produire un chèque et de l’obliger de quitter le bureau lorsqu’elle n’a pas produit ledit chèque. Il était inapproprié de la part de la chef d’ordonner au commis des finances de produire un nouveau chèque. Le Comité d’appel a conclu que la chef, en se livrant à ces gestes, avait adopté une conduite qui n’était pas celle que l’on attend d’un membre du Conseil.
• Le Comité d’appel a rejeté l’allégation de népotisme.
• La chef a continué d’exercer des fonctions liées à la Nation des Piikani pendant sa suspension en septembre, en contravention de l’ordonnance d’injonction prise par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta et de la suspension imposée par le Conseil. Le Comité d’appel a conclu que le non-respect d’une ordonnance du tribunal [traduction] « porte atteinte à la dignité et à l’intégrité de la Nation des Piikani. En vertu des principes de conduite piikanissini, la Nation des Piikani doit s’efforcer de maintenir une relation stable avec les autres ordres de gouvernement. Le non-respect d’une ordonnance d’injonction prise par la magistrature d’un des autres ordres de gouvernement contrevient à l’obligation de la défenderesse d’observer les principes piikanissini :
[traduction] Le témoignage de la défenderesse selon lequel elle ne reconnaît pas la compétence de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta constitue un autre facteur aggravant. Toutefois, à titre de dirigeante de la Nation des Piikani, le fait de refuser la compétence de la magistrature sur ses affaires personnelles – autrement que par le truchement des recours judiciaires habituels – établit un précédent en tant que chef. Si la chef de la Nation des Piikani refuse de reconnaître la compétence des tribunaux, l’exemple qui est donné aux membres de la Nation des Piikani va à l’encontre des obligations de la défenderesse, à titre de chef, en vertu des principes piikanissini. »
[Non souligné dans l’original.]
• Le 17 septembre 2012, elle a perturbé l’exécution des tâches administratives et autres en se présentant accompagnée des médias, par l’entrée des bureaux situés à l’arrière.
• En septembre 2012, la chef n’a pas empêché les gens de son camp d’agresser verbalement et d’intimider le personnel administratif et le Conseil et, par conséquent, a enfreint les valeurs et les principes piikanissini. Le Comité d’appel a reconnu que personne ne peut contrôler le comportement d’autrui, mais elle avait une responsabilité à titre de chef, puisque ce rôle fait en sorte que tous les membres de la bande deviennent ses enfants.
• Le Comité d’appel a conclu qu’il n’était pas clair, à la lumière de la preuve, qui s’était livré à la conduite inappropriée au foyer pour personnes âgées le 20 novembre 2012, mais a reconnu que la chef elle-même n’avait pas manqué de respect envers les aînés ou tenté de les intimider et que le comportement inapproprié était attribuable à des membres de sa famille. En vertu des principes de conduite pikanissini, il aurait fallu qu’elle s’efforce de maintenir les relations sociales, mais elle a omis de le faire.
• La chef a accepté de participer à une rencontre de réconciliation et de réintégration; elle a aussi accepté de prendre part à la cérémonie du cercle de guérison lorsque cela a été suggéré. De plus, le 20 décembre 2012, elle a fourni des réponses écrites aux questions que le Conseil lui avait posées à la rencontre de réconciliation le 16 novembre 2012. Le Comité d’appel a conclu que la conduite de la chef ne corroborait pas cet élément de la requête.
• Le Comité d’appel a conclu que la chef avait ordonné de manière unilatérale à l’avocat de suspendre une instance, soit l’action no 0901-15297, sans un quorum du Conseil.
• Le Code d’administration financière de la Nation des Péigans indique que le comité des finances est chargé du contrôle des fonds de la Nation des Péigans. La chef est membre d’office de ce comité, mais sa présence ne compte pas pour l’établissement du quorum de cinq membres requis pour la tenue d’une réunion. Le Comité d’appel a conclu que la chef ne peut pas prendre de décisions unilatérales concernant le débours de fonds de la Nation des Péigans. La communication de renseignements financiers est interdite sauf si elle est approuvée par le Comité ou son président. Rien ne permet de conclure que la chef avait obtenu une autorisation relativement au paiement à Peigan Taxi. La conduite de la chef le 31 août 2012 constituait un manquement, mais le Comité d’appel ne s’est pas fondé uniquement sur cette faute – il a plutôt conclu qu’elle s’ajoutait à l’inconduite générale de la chef.
[171] Le Comité d’appel a ensuite analysé la conduite de la chef et a conclu que chaque incident à lui seul ne suffit pas pour justifier la révocation, mais que ces incidents pris dans leur ensemble constituaient un manquement aux principes de conduite piikanissini et justifiaient sa révocation à titre de chef. Subsidiairement, le Comité d’appel a conclu que la conduite constituait un abus de pouvoir et un conflit d’intérêts en vertu de la common law.
[172] Le Comité d’appel a conclu qu’il y avait eu abus de pouvoir lorsque la chef a intenté des actions devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta contre CIBC Trust le 13 décembre 2012 et des actions contre plusieurs avocats, bureaux d’avocats et un juge provincial le 21 décembre 2012. Il s’agissait d’un manquement à ses obligations en vertu des principes de conduite piikanissini :
[traduction] Intenter de manière unilatérale une poursuite au nom de la Première Nation des Piikani qui est par la suite radiée parce qu’elle n’avait pas été autorisée de manière appropriée, ainsi que d’autres poursuites qui sont suspendues parce qu’elles constituent un recours abusif porte atteinte aux valeurs, aux principes et à l’intégrité de la Nation des Piikani.
[173] Cette absence d’efforts en vue de maintenir une relation stable avec les gouvernements provincial et fédéral et cette démarche unilatérale constituent encore une fois un manquement aux principes de conduite piikanissini.
[174] Subsidiairement, conformément à la common law, le Comité d’appel a conclu que les deux poursuites non autorisées intentées par la chef constituaient un abus de pouvoir, car elle a abusé de sa position à titre de chef. Le Comité d’appel a conclu que fermer les yeux sur les actions unilatérales de la chef aurait pour effet de permettre à l’anarchie de triompher. Cette précision a été formulée dans l’espoir de guider les futurs chefs et membres du Conseil sur la façon dont ils doivent travailler ensemble, plutôt que d’agir de manière unilatérale supposément au nom de la Première Nation des Piikani.
[175] Le Comité d’appel a conclu que le lancement des poursuites judiciaires avait perturbé le fonctionnement administratif en raison de l’affectation de ressources et des retards causés par les actions unilatérales de la chef. La poursuite contre les avocats et les bureaux d’avocats a causé un conflit et a nui à des poursuites déjà engagées par la Première Nation des Piikani, dont certaines avaient été amorcées avant qu’elle ne devienne chef et d’autres durant son mandat. Se fondant sur les principes de conduite piikanissini, le Comité d’appel a conclu que la chef avait agi de manière unilatérale et avait omis d’assurer que soient respectées la gouvernance, les politiques et les procédures internes.
[176] Le Comité d’appel a conclu que la chef, en divulguant des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat, avait manqué à ses obligations en vertu des principes de conduite piikanissini; en vertu de la common law, son action unilatérale constituait un abus de pouvoir qui a nui à la Nation des Piikani.
[177] Le Comité d’appel a exposé de manière très détaillée les motifs pour lesquels il est parvenu à sa décision.
[178] Le Comité d’appel disposait de preuves à l’appui des conclusions présentées ci-dessus et a soupesé les éléments de preuve de manière appropriée après avoir entendu les témoignages de vive voix et lu les affidavits.
[179] Le Comité d’appel a conclu que les actions de la chef étaient suffisamment graves pour que sa révocation de la fonction de chef de la Nation des Piikani soit nécessaire et appropriée, et il a ordonné sa révocation immédiate.
[180] Je conclus que la décision de révoquer la chef appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit arrêt (arrêt Dunsmuir, précité; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12). Le Comité d’appel a pu entendre les parties en personne et évaluer leur tenue et leur comportement. Au début de ses motifs aux paragraphes 14 et 22, le Comité d’appel a affirmé qu’il trouvait préoccupantes les hésitations de la chef et la façon dont elle s’est comportée lors de son témoignage. La Cour doit faire preuve de déférence à l’endroit du Comité d’appel sur ce point.
[181] Le Comité d’appel a exposé de manière raisonnable les faits sur lesquels il s’était fondé; il a aussi exposé les portions du témoignage de la chef qu’il admettait. Le Comité d’appel a indiqué les parties du témoignage qu’il préférait et pourquoi. Les conclusions et la décision étaient transparentes et ont permis à la présente lectrice de comprendre le raisonnement du Comité d’appel.
E. Était-il raisonnable que la Première Nation ne paie pas les frais judiciaires et les honoraires de la chef?
(1) Frais judiciaires
[182] La chef affirme avoir demandé, dans une lettre, le remboursement de ses frais judiciaires. Selon la chef, la décision ne lui a été communiquée que le 14 novembre 2013 : la Nation des Piikani a décidé de refuser de payer les frais judiciaires de la chef.
[183] La chef soutient qu’il est injuste que les frais judiciaires de certaines personnes soient remboursés, mais pas les siens. À titre de chef, il faudrait que ses frais judiciaires soient remboursés.
[184] Le refus du Conseil s’appuyait sur un certain nombre de motifs, dont le fait que la chef n’avait pas cotisé à l’entente d’indemnisation, contrairement à tous les autres conseillers. De plus, dans une affaire de révocation, le Conseil ne paie pas les frais judiciaires des deux parties s’il estime que la personne en cause n’agissait dans l’intérêt supérieur de la Première Nation des Piikani.
[185] À la conférence préalable à l’audience, la chef a demandé au Comité d’appel de statuer que ses frais judiciaires devaient être acquittés par la Nation des Piikani.
[186] Dans sa décision préliminaire du 22 novembre 2013, le Comité d’appel a conclu qu’il n’était pas habilité à adjuger des dépens sur une base avocat-client, comme le lui demandait la chef. Le Comité d’appel a indiqué que le Règlement électoral ne l’autorise pas à ordonner que la Première Nation des Piikani acquitte les frais judiciaires. De plus, les Règles de l’audience précisent que chaque partie est responsable de ses propres frais judiciaires.
[187] Dans la déclaration de la chef (qui compte 40 pages) dans le cadre de la demande no 1201-16383 dont est saisie la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, la réparation demandée était [traduction] « des dépens correspondant à une indemnisation intégrale ». Quelques-uns des mêmes faits ont été plaidés en l’espèce, y compris une section intitulée [traduction] « Suspension de la fonction ». À titre de réparation, elle demandait le remboursement de ses frais judiciaires liés aux audiences de révocation et à ses autres poursuites et demandes.
[188] Le juge en chef adjoint de l’Alberta a radié une partie de la demande, car la chef n’était pas habilitée à intenter la poursuite au nom de la Première Nation des Piikani, et il a suspendu le reste de la poursuite. La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta s’est en fait prononcée sur la demande de dépens correspondant à une indemnisation intégrale, sur la base des faits liés à la suspension.
[189] Dans la demande no 1201-15897 dont est saisie la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, la chef a demandé la réparation suivante [traduction] : « que les frais judiciaires se rapportant à la provision versée à Rath & Company le 18 janvier 2012 soient payés en puisant dans les fiducies, sur la base avocat-client, à la seule fin de permettre à la chef Strikes with a Gun de s’attaquer aux préoccupations qu’elle a soulevées à titre de chef […] »
[190] La chef me demande maintenant d’examiner les décisions ne pas acquitter ses frais judiciaires. Étant donné qu’elle a présenté la même demande à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta en se fondant essentiellement sur les mêmes faits, je ne siégerai pas en appel de cette décision. De plus, le juge en chef adjoint John D. Rooke a suspendu un certain nombre d’affaires et n’a permis leur poursuite qu’avec la permission du tribunal et dans le cadre d’une gestion de l’instance (voir le paragraphe 117 ci-dessus). Même si les ordonnances de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta ne visent pas tous les frais judiciaires pour lesquels la chef demandait un remboursement, je conclus que la décision du Conseil en date du 14 novembre 2013 de ne pas payer les frais judiciaires de la chef était raisonnable.
[191] La décision du Conseil en date du 14 novembre 2013 était raisonnable vu les circonstances se rapportant à l’entente d’indemnisation. Les ententes d’indemnisation ont remplacé la déclaration générale figurant à la section E du document sur les rôles et responsabilités, à la suite de la mise en œuvre de ces ententes en 2007; elles étaient en vigueur durant le mandat de la chef et du Conseil.
[192] En décembre 2011, le Conseil a adopté des RCB signalant qu’il souhaitait que les conseillers et la chef concluent des ententes d’indemnisation qui leur assureraient une protection dans l’exécution de leurs devoirs et obligations au nom de la Première Nation des Piikani.
[193] Tous ceux qui souscrivaient à une entente d’indemnisation devaient verser une prime de 500 dollars. En date du 7 mars 2014, la chef n’avait pas payé cette prime de 500 dollars pour souscrire à une entente d’indemnisation. Tous les autres conseillers avaient versé la prime.
[194] Durant le contre-interrogatoire sur son affidavit, elle a tenté de présenter en preuve un chèque de 500 dollars en date du 18 février 2014. Il a été indiqué à la chef que si le chèque était admis en preuve, il ne pourrait pas être encaissé; de plus, les contrats avaient été conclus deux ans plus tôt et il n’était plus possible d’accepter la prime.
[195] La chef a soutenu qu’aucun délai n’avait été fixé, si bien que la bande aurait dû accepter son chèque lorsqu’elle l’a soumis le 18 février 2014. Elle estime que, grâce à cette prime, l’entente d’indemnisation devrait entrer en vigueur rétroactivement et le paiement de ses frais judiciaires, y compris ceux se rapportant à l’audience devant le Comité d’appel qui avait déjà eu lieu, devrait être autorisé.
[196] L’entente d’indemnisation comporte des conditions et le Conseil de la Première Nation des Piikani soutient que, même si la chef avait versé la prime requise, elle aurait enfreint une des conditions, soit celle d’agir avec l’approbation ou l’autorisation du Conseil. Il a ajouté que la chef n’avait pas agi de manière honnête ou dans l’intérêt supérieur de la Première Nation. Selon le Conseil, la chef n’aurait pas été admissible à l’indemnisation même si elle avait versé la prime.
[197] La chef affirme que les frais judiciaires de M. North Peigan sont remboursés et qu’il est injuste que les siens ne le soient pas. Elle soutient qu’il faudrait acquitter ses frais judiciaires à la lumière de la coutume et des précédents, et qu’il s’agit d’une question d’équité.
[198] Le Conseil a entendu tous les arguments de la chef en faveur du paiement de ses frais judiciaires et les arguments de la Nation des Piikani à l’effet du contraire, et il a conclu que les frais judiciaires ne seraient pas remboursés. Certains des éléments de preuve indiquaient que les frais judiciaires de ces conseillers avaient été payés dans le cadre de requêtes visant la révocation de conseillers en 2008 et 2010. Toutefois, les faits se rapportant à ces deux décisions se distinguent des faits de l’espèce. La Première Nation n’a jamais acquitté à la fois les frais judiciaires du requérant et ceux de la personne mise en cause dans une procédure de révocation. Le Conseil a pour pratique d’acquitter les frais de la partie qui, aux yeux du Conseil, agit dans l’intérêt supérieur de la Première Nation des Piikani.
[199] À mon avis, il est raisonnable que, à une époque où la Première Nation avait des difficultés financières, ces dernières soient un facteur pris en compte dans la décision de ne pas payer les frais juridiques de la chef. Les nombreuses demandes et poursuites de la chef devant les tribunaux ont échoué et la demande d’injonction présentée par le Conseil de la Nation des Piikani à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a été accueillie, si bien qu’il semble raisonnable dans une période d’austérité de ne pas financer des poursuites intentées contre soi‑même.
[200] En outre, je conclus que le Comité d’appel avait raison de conclure qu’il n’était pas habilité à adjuger les dépens sur une base avocat-client.
(1) Honoraires
[201] La chef demande à la Cour d’examiner la décision du Conseil de ne plus lui verser d’honoraires à compter du 8 janvier 2013. Ces honoraires étaient un montant fixe que la chef a continué de toucher pendant ses deux premières suspensions, mais pas à la suite de la troisième. Selon la chef, son cas est similaire à celui de Balfour c Nation Crie de Norway House, 2006 CF 616, et, comme il n’y a pas de trafic d’influence en l’espèce, il faudrait la rémunérer.
[202] La chef avait demandé au Comité d’appel d’ordonner au Conseil de lui verser ses honoraires. Le Comité d’appel a refusé pour absence de compétence.
[203] Je conclus que le Comité d’appel avait raison de conclure qu’il n’avait pas compétence pour rendre une ordonnance.
[204] La décision du Conseil de ne pas verser d’honoraires est raisonnable compte tenu du fait que la chef faisait l’objet d’une suspension et que le Comité d’appel avait décidé de la destituer. Je conclus que la décision était raisonnable à la lumière de la preuve.
[205] Au paragraphe 6 de la demande no 1201-15897 présentée à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, la chef a sollicité :
[traduction] Une ordonnance enjoignant à la Nation des Piikani de verser à la chef Gail Strikes with a Gun ses honoraires (à compter du 8 janvier 2013) et le remboursement de ses dépenses (à compter du 1er avril 2012) ou, subsidiairement, de verser à la chef Gail Strikes with a Gun 100 $ par heure sur la base d’une semaine de travail de 37,5 heures conformément à l’article 44 de la Trustee Act, RSA 2000, c T-8.
[206] De plus, la chef a demandé d’autres mesures de réparation qui ont été rejetées.
[207] Les faits et l’argumentation à l’appui de cette demande devant la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta étaient identiques aux faits et à l’argumentation qui m’ont été présentés en l’espèce. Cette demande était visée par l’ordonnance en date du 5 février 2013 du juge en chef adjoint John D. Rooke, ordonnance ayant pour effet de suspendre cette affaire ainsi qu’un certain nombre d’autres. Je ne dispose d’aucun élément de preuve faisant état de toute autre décision prise relativement à cette demande, mais il semble que certaines des mesures de réparation que la chef sollicite en l’espèce sont les mêmes qu’elle avait demandées devant les tribunaux de l’Alberta. La présente sollicite visant les frais judiciaires et les honoraires de la chef ne sera pas accueillie.
[208] Les parties ont débattu d’un certain nombre d’autres questions et présenté d’autres arguments que je n’examinerai pas dans la présente décision, car ils sont dépourvus de fondement.
IX. Dépens
[209] La chef demande l’adjudication de dépens sur une base avocat‑client. Je rejette cette demande, car l’adjudication de dépens sur cette base constitue l’exception plutôt que la règle arrêt (arrêt Martselos, précité, au paragraphe 54). Le défendeur Fabian North Peigan a demandé que la chef soit personnellement condamnée aux dépens et que ces dépens ne soient pas payés en puisant dans les fonds de la Première Nation des Piikani. La Première Nation des Piikani demande qu’il n’y ait pas d’adjudication de dépens en faveur ou à l’encontre du Conseil de la Nation des Piikani.
[210] Étant donné que les défendeurs disposaient tous, à titre personnel, d’une entente d’indemnisation et que le Conseil de la Première Nation des Piikani a grandement aidé la Cour, je vais exercer mon pouvoir discrétionnaire et adjuger au Conseil de la Première Nation des Piikani des dépens que la chef doit, à titre personnel, acquitter sans délai.
[211] En résumé, je rejette toutes les demandes et je condamne la demanderesse aux dépens, lesquels se chiffrent à 1 000 dollars, que la demanderesse doit, à titre personnel, verser sans délai au Conseil de la Première Nation des Piikani.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. les demandes sont rejetées;
2. la demanderesse doit, à titre personnel, verser sans délai au défendeur, le Conseil de la Première Nation des Piikani, des dépens se chiffrant à 1 000 dollars.
« Glennys L. McVeigh »
Juge
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
ANNEXE A
ANNEXE B
ANNEXE C
ANNEXE D
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-2224-12
|
INTITULÉ : |
LA CHEF GAYLE STRIKES WITH A GUN c CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DES PIIKANI ET AL
|
ET LE DOSSIER : |
T-262-13
|
INTITULÉ : |
LA CHEF GAYLE STRIKES WITH A GUN c DOANE CROW SHOE ET AL
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Edmonton (alberta)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 2 aVril 2014
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE mcveigh
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 23 SEPTEMBRE 2014 |
COMPARUTIONS :
Mme Nathalie Whyte
|
pour la demanderesse, LA CHEF GAYLE STRIKES WITH A GUN
|
Mme Emily Grier
|
pour le défendeur, FABIEN NORTH PEIGAN
|
Mme Rishma Shariff |
pour le défendeur, LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DES PIIKANI |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
RATH & COMPANY Avocats Priddis (Alberta) |
pour la demanderesse, LA CHEF GAYLE STRIKES WITH A GUN |
RANA LAW Calgary (Alberta) |
pour le défendeur, FABIEN NORTH PEIGAN |
JSS BARRISTERS Calgary (Alberta) |
pour le défendeur, LE CONSEIL DE LA PREMIÈRE NATION DES PIIKANI |