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Date : 20140930


Dossier : T-2043-13

Référence : 2014 CF 927

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2014

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

MATTHEW TURNER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, qui vise la décision du 5 novembre 2013 par laquelle la Commission de l’assurance-emploi du Canada [la Commission] a refusé de défalquer le versement excédentaire de 17 659 $ effectué au demandeur. La Commission a conclu qu’elle ne pouvait pas annuler la dette du demandeur, parce ce dernier avait fait une déclaration fausse ou trompeuse à l’appui de sa demande d’assurance‑emploi [AE], qu’il ait ou non su que cette déclaration était fausse ou trompeuse, en application du paragraphe 56(2) du Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332 [le Règlement].

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

Le contexte

[3]               Le demandeur, Matthew Turner, est un travailleur indépendant qui exploite une petite entreprise de Vancouver se spécialisant dans les cires écologiques pour ski et planche à neige, entreprise dont il est le propriétaire unique et qui porte le nom de BeaverWax. Il a commencé à établir sa société en 2004, à l’extérieur de ses heures normales de travail.

[4]               En juin 2010, il a été mis à pied chez Sony Music, et il a décidé de consacrer ses énergies à BeaverWax à temps plein.

[5]               Le 13 juillet 2010, le demandeur a présenté une demande de prestations d’AE en ligne. Il a déclaré qu’il était travailleur indépendant, qu’il consacrait 15 heures ou plus par semaine à son entreprise et que, par conséquent, il n’était pas disponible pour travailler.

[6]               Le ou vers le 4 août 2010, le demandeur a confirmé à un préposé de Service Canada qu’il serait disponible et qu’il cherchait du travail à temps plein dans le secteur du ski et de la planche à neige.

[7]               Compte tenu de cette déclaration quant à la disponibilité, et compte tenu du fait que sa participation aux activités de son entreprise serait d’une mesure limitée, la demande de prestations du demandeur a été acceptée.

[8]               Le 16 août 2010, le défendeur a avisé le demandeur par écrit de déclarer son revenu net ainsi que le nombre d’heures qu’il a consacrées à son travail indépendant pour chaque semaine dans sa déclaration du prestataire. La lettre mentionnait ce qui suit :

[traduction]

La présente lettre a pour but de vous informer que nous avons examiné les renseignements concernant votre travail indépendant et que nous avons accepté votre demande d’assurance‑emploi à ce stade‑ci.

Cependant, si vous consacrez plus d’heures à votre travail indépendant, vous devez nous en aviser. Ces changements pourraient occasionner la perte de votre admissibilité à des prestations supplémentaires. Si vous ne mentionnez pas une telle chose, vous pourrez recevoir un versement excédentaire.

Rappel important :

Déclarez votre revenu net ainsi que le nombre d’heures que vous consacrez à votre travail indépendant pour chacune des semaines sur vos déclarations du prestataire.

[9]               Le demandeur n’a pas déclaré avoir travaillé ou gagné un revenu sur ses déclarations hebdomadaires du prestataire. Plus précisément, sur chaque déclaration, le demandeur a répondu « Non » à la question suivante :

[traduction]

Avez‑vous travaillé ou reçu un revenu au cours de la période couverte par le présent rapport? Cela comprend le travail pour lequel vous serez payé plus tard, le bénévolat ou le travail indépendant.

[10]           Le demandeur a reçu des prestations d’AE de juillet 2010 à juin 2011.

[11]           À la suite d’une enquête effectuée en 2012, la Commission a conclu que le travail indépendant du demandeur n’était pas d’une mesure limitée au cours de la période où il recevait des prestations d’AE. Le demandeur a été déclaré rétroactivement inadmissible, au motif qu’il n’avait pas démontré qu’il était en chômage, en application des articles 9 et 11 de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23 [la Loi] et de l’article 30 du Règlement.

[12]           Le demandeur a interjeté appel au conseil arbitral [le conseil] quant à la question de son inadmissibilité. La question dont le conseil était saisi était celle de savoir [traduction] « si le prestataire était susceptible d’être déclaré inadmissible en application des articles 9 et 11 de la [Loi] et de l’article 30 du Règlement en raison du fait qu’il n’a pas démontré qu’il était en chômage ».

[13]           Le conseil a conclu que le demandeur se consacrait à temps plein à son entreprise. Le demandeur avait gagné un revenu de 19 455 $ à titre de travailleur indépendant en 2011. Cela n’était pas [traduction] « d’une mesure si limitée que cet emploi ou activité ne constituerait pas son principal moyen de subsistance ».

[14]           Aux pages 7 et 8 de sa décision, le conseil a fait remarquer que le demandeur était :

[traduction]

[F]ranc et tout à fait honnête lorsqu’il a déclaré son intention de consacrer tout son temps et ses ressources au développement de son travail indépendant. Le prestataire a clairement mentionné qu’il n’était pas disponible pour travailler et il recevait tout de même des prestations.

[15]           Bien que le conseil ait unanimement rejeté l’appel, il a conclu que la Commission avait commis une erreur en acceptant la demande de prestations en premier lieu et que les activités de travail indépendant du prestataire étaient d’une mesure limitée pendant une partie de la période où il a reçu des prestations. Par conséquent, le conseil a demandé à la Commission de réduire le trop‑payé :

[traduction]

Le conseil souhaite attirer l’attention de la Commission sur le fait qu’elle a commis une erreur en permettant au prestataire de recevoir des prestations, alors que ce dernier a clairement mentionné, au moment où il a présenté sa demande de prestations dans sa déclaration initiale, qu’il n’avait pas l’intention de se chercher un emploi et qu’il allait consacrer tout son temps et ses énergies à mettre sur pied son entreprise. La Commission n’a pas mis en doute sa disponibilité, alors que, dans les faits, il n’était manifestement pas disponible pour travailler. Le conseil demande à la Commission qu’elle réduise le trop-payé, compte tenu du fait que le prestataire lui a clairement mentionné, au moment où il a présenté sa demande de prestations, qu’il travaillait à temps plein dans le cadre de son travail indépendant et que sa demande de prestations n’aurait jamais dû être acceptée, puisqu’il n’a pas démontré qu’il était disponible pour travailler. Le prestataire a clairement indiqué dans sa déclaration ainsi que dans les renseignements supplémentaires, qui figurent à la pièce 17, que, pour une partie de la période en question, le travail indépendant du prestataire était d’une mesure limitée. [Non souligné dans l’original.]

[16]           Il s’ensuit que le conseil a conclu que l’article 52 de la Loi s’appliquait au prestataire, et que la Commission pouvait donc réexaminer sa demande.

[17]           Le demandeur a ensuite demandé que le versement excédentaire soit défalqué, au titre du paragraphe 56(2) du Règlement, au motif que l’erreur à l’origine du versement excédentaire était uniquement attribuable à la Commission.

[18]           La Commission a conclu que le versement excédentaire ne pouvait être défalqué, selon les critères prévus par la loi. Le demandeur, en répondant « Non » dans chacune de ses déclarations à la question de savoir s’il travaillait ou s’il avait gagné un revenu, avait fait de fausses déclarations, peu importe qu’il ait su ou non que sa déclaration était fausse ou trompeuse.

Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[19]           La présente demande ne soulève qu’une seule question, soit celle de savoir si le défendeur a commis une erreur susceptible de contrôle en refusant de défalquer le versement supplémentaire fait au demandeur.

[20]           En ce qui a trait à la norme de contrôle, les parties conviennent que la question est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité : (Bernatchez c Canada (Procureur général), 2013 CF 111 [Bernatchez]; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). La « Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des décisions prises par la Commission, et n’interviendra que dans l’hypothèse où il peut être démontré que la décision contestée ne fait pas partie des décisions possibles acceptables au regard des faits et du droit » (Bernatchez, au paragraphe 22).

Analyse

[21]           Le demandeur fait valoir que le défendeur doit faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait tirées par le conseil. Le conseil a conclu :

1.                  que le demandeur était honnête et franc;

2.                  qu’il avait clairement mentionné qu’il n’était pas disponible pour travailler et qu’il recevait tout de même des prestations;

3.                  que le défendeur avait commis une erreur en permettant au demandeur de recevoir des prestations;

4.                  que le défendeur n’avait pas mis en doute la disponibilité du demandeur, alors que ce dernier n’était manifestement pas disponible pour travailler.

[22]           Le demandeur se fonde sur la décision Campbell c Canada (Procureur général), 2002 CFPI 811 [Campbell], dans laquelle la Commission a refusé de défalquer un versement excédentaire, malgré la conclusion du conseil portant que le prestataire n’avait pas fait de déclarations fausses ou trompeuses. Dans cette affaire, la Commission avait conclu que le demandeur avait bel et bien fait des déclarations fausses ou trompeuses. La juge Tremblay‑Lamer a statué, aux paragraphes 19 et 20, que la Commission « ne pouvait faire abstraction des conclusions de fait que le Conseil arbitral a tirées à cet égard » et donc, qu’en « [e]n ne tenant pas compte des conclusions de fait du Conseil arbitral, la Commission a restreint son pouvoir discrétionnaire et on ne peut pas dire qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire ».

[23]           Le demandeur tient pour acquis que la conclusion du conseil selon laquelle il était [traduction] « honnête et franc » est assimilable à une conclusion selon laquelle il n’a pas fait de déclarations fausses ou trompeuses.

[24]           En ce qui a trait au défendeur, il soutient que la Commission a bel et bien exercé son pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire. Le pouvoir discrétionnaire de la Commission de défalquer un versement excédentaire existe uniquement si une condition préalable exposée au paragraphe 56(2) du Règlement est remplie. Un versement excédentaire peut être défalqué seulement si celui‑ci ne résulte pas d’une erreur du débiteur ni d’une déclaration fausse ou trompeuse de celui‑ci, qu’il ait su ou non que la déclaration était fausse ou trompeuse. Cela n’était pas le cas en l’espèce, de sorte que la Commission ne pouvait pas défalquer le versement excédentaire. Je souscris à cette prétention.

[25]           C’est à tort que le demandeur se fonde sur la décision Campbell. Dans cette affaire, la Commission avait expressément conclu que le prestataire n’avait pas fait de déclarations fausses ou trompeuses. Les faits de la présente affaire se rapprochent plutôt de ceux dans la décision Mangat c Canada (Procureur général), 2012 CF 1409 [Mangat]. Dans cette décision, la Commission avait expressément conclu que le prestataire n’avait pas sciemment fait une fausse déclaration. Néanmoins, il a été conclu que les motifs pour lesquels l’erreur a été commise ne doivent pas être pris en considération au moment de décider si le versement excédentaire doit être défalqué.

[26]           Comme le juge Campbell l’a expliqué dans Mangat, en réponse au même argument que celui formulé par le demandeur en l’espèce lorsqu’il a invoqué la décision Campbell :

[12] […] J’écarte cet argument. La Commission n’a pas tiré de conclusion de fait qui contredisait une conclusion du conseil arbitral, mais a tiré une conclusion pertinente; il importe peu que le conseil arbitral ait estimé que le demandeur n’avait pas sciemment donné de renseignements inexacts dans sa demande de prestations.

[27]           Dans l’affaire dont la Cour est saisie, le fait que le conseil ait conclu que le demandeur était franc et tout à fait honnête lorsqu’il a déclaré son intention de consacrer tout son temps et ses ressources à la poursuite de son travail, et qu’il avait d’abord clairement mentionné qu’il n’était pas disponible pour travailler, n’est pas pertinent quant à la question de savoir si le prestataire a fait de fausses déclarations, sciemment ou non.

[28]           Le conseil a explicitement mentionné que le prestataire n’avait [traduction] « déclaré aucune heure de travail et aucun revenu sur ses déclarations », que le [traduction] « prestataire a aussi reçu la consigne de rapporter ses heures consacrées à son travail indépendant sur sa déclaration du prestataire », et qu’il [traduction] « était occupé, tous les jours, de 9 h à 17 h et, qu’à certaines occasions, il faisait des heures de travail supplémentaires ». Ces déclarations n’appuient aucune autre conclusion que celle portant que le demandeur avait fait une déclaration fausse ou trompeuse, qu’il ait ou non su que sa déclaration était fausse ou trompeuse.

Conclusion

[29]           Bien que j’éprouve de l’empathie pour le demandeur, la Commission ne pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire de défalquer les montants reçus par le demandeur à titre de prestations. Comme le juge Campbell l’a fait remarquer dans la décision Mangat, au paragraphe 13 : « le législateur avait clairement l’intention de faire reposer entièrement sur le demandeur la responsabilité de toute erreur ou fausse déclaration contenue dans la demande de prestations ». Il s’ensuit que l’article 56 du Règlement empêche la Commission de se conformer à la demande de diminution du trop-payé formulée par le conseil.

[30]           Lors de l’audience, les parties m’ont informé qu’elles convenaient que, dans l’éventualité où la présente demande était rejetée, aucuns dépens ne soient accordés au défendeur. Je crois qu’il s’agit d’une recommandation tout à fait convenable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                   La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                   Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Jocelyne Gagné »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2043-13

 

INTITULÉ :

MATTHEW TURNER c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 JUILLET 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

LE 30 SEPTEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Brad N. Cocke

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Oliver R. Pulleyblank

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harris & Company LLP

Barristers and Solicitors

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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