Date : 20140919
Dossier : T-1383-14
Référence : 2014 CF 896
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2014
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE : |
ANTON OLEYNIK |
demandeur |
et |
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
défendeur |
ORDONNANCE ET MOTIFS
[1] Le procureur général du Canada (le défendeur) sollicite, par voie d’un avis de requête daté du 4 juillet 2014, une ordonnance radiant la déclaration d’Anton Oleynik (le demandeur), en s’appuyant sur les alinéas 221(1)a), 221(1)c) et 221(1)f) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).
[2] Le demandeur est professeur à l’Université Memorial, à TerreNeuveetLabrador. Dans sa déclaration, il sollicite des dommages fondés, en partie, sur des allégations selon lesquelles le défendeur a contrevenu à la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21 (la Loi sur la protection des renseignements personnels) et la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 (la Loi sur l’accès à l’information), relativement à une demande qu’il avait formulée en vue d’obtenir du financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), soit, une bourse pour effectuer de la recherche dans le domaine des sciences humaines. Il réclame des dommages de 643 955 $, à titre d’indemnité pour atteinte à sa réputation et pour perte de possibilité de recevoir des bourses de recherche.
[3] Aucune preuve n’est admissible dans le cadre de la requête en radiation au titre de l’alinéa 221(1)a) des Règles, au motif que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable; voir paragraphe 221(2) des Règles. La Cour doit accepter comme étant véridiques les allégations susceptibles d’être prouvées; voir l’arrêt Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959. Ce principe ne s’applique pas aux allégations fondées sur les conjectures et les hypothèses, voir l’arrêt Operation Dismantle Inc. c La Reine (1985), 18 DLR (4th) 481 (CSC), aux pages 486, 487 et 490, 491.
[4] En ce qui concerne le contenu de la déclaration et les observations des parties, je suis convaincue que la déclaration devrait être radiée, puisqu’elle ne révèle pas une cause d’action valable.
[5] Selon la décision Bérubé c Canada (2009), 348 FTR 246, au paragraphe 24, pour qu’une déclaration révèle une cause d’action valable, elle doit démontrer les trois éléments suivants :
i. alléguer des faits susceptibles de donner lieu à une cause d'action;
ii. indiquer la nature de l'action qui doit se fonder sur ces faits;
iii. préciser le redressement sollicité qui doit pouvoir découler de l'action et que la Cour doit être compétente pour accorder.
[6] La déclaration du demandeur consiste en 39 paragraphes et elle est subdivisée selon les titres suivants :
i. Introduction : paragraphes 1 et 2;
ii. Renseignements contextuels : paragraphes 3 à 11;
iii. Les gestes du CRSH qui ont causé préjudice à M. Oleynik : paragraphes 12 à 36;
iv. Dommages : paragraphes 37 à 39.
[7] Le demandeur affirme ce qui suit au paragraphe 1 :
[traduction]
La présente déclaration est formulée à l’encontre du procureur général du
Canada. La nature fondamentale de cette déclaration prend source dans
l’omission du Conseil de recherches en sciences humaines de se conformer à ses
propres règles et à la réglementation en ce qui a trait à l’application
régulière de ses procédures ainsi qu’aux exigences de la Loi sur la protection des renseignements personnels (L.R.C. 1985, C. P‑21)
et de la Loi sur l’accès à l’information (L.R.C. 1985,
c. A‑1), soit, en recueillant indûment des renseignements personnels
au sujet du demandeur et en violant son droit à la vie privée. En raison de ces
gestes, le demandeur (M. Anton Oleynik, professeur agrégé de
sociologie à l’Université Memorial à TerreNeuve) a subi des dommages s’élevant
à 643 955 $ [sic].
[8] Le demandeur soumet essentiellement une déclaration dans laquelle il allègue que les processus liés à sa demande en vue d’obtenir une bourse du CRSH n’étaient pas conformes. Il soutient qu’il a été [traduction] « mis sur la liste noire » pour un poste d’évaluateur des propositions soumises au CRSH et que le CRSH a utilisé incorrectement ses renseignements personnels, ce qui contrevenait à la Loi sur la protection des renseignements personnels et à la Loi sur l’accès à l’information. La [traduction] « mise sur la liste noire » a eu lieu à l’égard de ses propositions de recherche formulées entre 2008 et 2014. Le demandeur allègue aussi que le CRSH a agi de manière discriminatoire envers lui en le sanctionnant, ce qui contrevenait à la politique du CRSH de non‑discrimination.
[9] Le défendeur allègue que la déclaration ne consiste qu’en de simples assertions, conjectures et affirmations s’apparentant à des conclusions, et qu’elle ne contient pas de faits qui révèlent une cause d’action. Il prétend que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable, comme l’exige l’alinéa 221(1)a), qu’elle est scandaleuse, frivole ou vexatoire au sens de l’alinéa 221(1)c) et qu’elle constitue un abus de procédure au sens de l’alinéa 221(1)f).
[10] Le demandeur allègue que le CRSH a omis de respecter ses règles internes et la réglementation. Dans la mesure où la déclaration se rapporte au processus, elle pourrait faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Il n’existe aucune cause d’action connue pour une telle plainte.
[11] Le demandeur allègue que le CRSH a agi de manière discriminatoire envers lui en le [traduction] « mettant sur la liste noire » après qu’il eut critiqué la manière dont le CRSH traitait ses renseignements personnels.
[12] Cette allégation n’est pas étayée par les faits. Quoi qu’il en soit, il n’existe pas de délit civil de discrimination au Canada; voir l’arrêt Seneca College c Bhaduria, [1981] 2 RCS 181, aux paragraphes 26 et 27. De plus, toute plainte concernant la discrimination devrait être présentée en vertu de la législation pertinente en matière de droits de la personne.
[13] Le demandeur allègue que le CRSH a contrevenu à l’article 5 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, en recueillant auprès de son employeur, plutôt qu’auprès de lui‑même, des renseignements personnels. Il allègue aussi que le CRSH a utilisé ses renseignements personnels de manière proscrite en refusant de corriger ses renseignements personnels après qu’il eut formulé une telle demande, ce qui contrevient au paragraphe 12(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Il a formulé plusieurs plaintes au commissaire à la vie privée, et la déclaration renvoie à un rapport daté de février 2014, publié par le Commissariat à l’information du Canada (le Commissariat à l’information), dans lequel il était conclu que les plaintes du demandeur étaient [traduction] « bien fondées ».
[14] Le demandeur se plaint au sujet de prétendus manquements à la Loi sur la protection des renseignements personnels. À cet égard, le recours dont il peut se prévaloir est le contrôle judiciaire. Si, à la fin de ce processus, il peut démontrer l’existence d’une faute légitime, il pourra alors introduire une action. Son action est prématurée.
[15] Il n’existe pas un droit distinct de présenter une action pour manquement à la loi; voir l’arrêt Saskatchewan Wheat Pool c Canada, [1983] 1 RCS 205, à la page 225. Le manquement à une loi doit être examiné dans le contexte du droit général en ce qui concerne la négligence; voir la décision Collins c Canada (2010), 366 FTR, au paragraphe 38, confirmée par l’arrêt Collins c R (2011), 418 N.R. 23 (CAF).
[16] Pour obtenir réparation en raison d’un manquement à la loi, le demandeur doit démontrer l’existence d’un manquement à une obligation légale de diligence; voir la décision du juge du procès dans l’affaire Collins, précité, au paragraphe 39. Le demandeur n’a pas établi l’existence des composantes de la négligence pour étayer une allégation à l’encontre du CRSH selon laquelle ce dernier a contrevenu, par sa négligence, à la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[17] Si le demandeur s’oppose aux conclusions du commissaire à l’information, il pourra présenter une demande de contrôle judiciaire pour obtenir réparation.
[18] Je souscris aux arguments formulés par le défendeur et selon lesquels la déclaration, telle que rédigée, ne révèle pas une cause d’action valable. Dans la mesure où le demandeur a des récriminations en ce qui concerne le mauvais usage d’un pouvoir discrétionnaire par les fonctionnaires du CRSH ainsi que l’accès inapproprié à ses renseignements personnels, il s’agit de questions qu’il serait davantage convenable de traiter au moyen d’une demande de contrôle judiciaire correctement formée.
[19] Je suis d’avis que le demandeur n’a pas révélé une cause d’action valable pour les motifs qui précèdent et que la déclaration devrait être radiée, sans autorisation de la modifier.
[20] Je traiterai brièvement des observations du défendeur selon lesquelles la déclaration du demandeur devrait être radiée conformément à l’alinéa 221(1)c), en raison de son caractère scandaleux, frivole et vexatoire. Lorsque la Cour examine une requête en radiation pour ces motifs, elle doit tenir compte du bien‑fondé de l’action; voir la décision Blackshear c Canada, 2013 CF 590, au paragraphe 12.
[21] Selon moi, la déclaration devrait aussi être radiée en raison de l’alinéa 222(1)c) des Règles. Il n’y a aucun fait plaidé à l’appui d’une cause d’action. Les allégations sont soit non étayées, soit conjecturales; par exemple, les paragraphes 17, 20 et 21 ainsi que 30 de la déclaration sont libellés ainsi :
[Traduction]
17. Lors du concours 2010‑2011 [sic], l’agente du programme a
exercé son pouvoir discrétionnaire de manière indue. Cette agente de programme,
qui ne détenait pas de doctorat, ni d’expérience en recherche, a le pouvoir
discrétionnaire de faire « la sélection finale des évaluateurs
externes » (document H [sic], page 12). Le CRSH a été
critiqué par les membres du comité d’experts international, qui avait évalué le
fonctionnement du CRSH, en raison du fait que celui‑ci donnait à l’agente
du programme des pouvoirs discrétionnaires exagérés (document G [sic],
page 3, voir aussi document L [sic]). Pour dresser un
parallèle qui serait à propos, si un tel arrangement existait au sein de
l’appareil judiciaire, l’attribution des causes à des juges en particulier
relèverait exclusivement des agents du greffe.
20. En fin de compte, les membres du comité de sélection ont donné une note d’élimination (« insatisfaisant ») pour « la nature appropriée du budget demandé et la justification des coûts proposés » (documents EE [sic], page 3), et ce, sans consulter la documentation d’appui pertinente. La note attribuée en ce qui concerne la faisabilité du projet a finalement été la plus basse (3.4 sur 6), et cela a fait en sorte que le rang du projet « n’était pas assez élevé pour obtenir une bourse à même le budget disponible pour le concours ». Tous les autres projets avaient un pointage assez élevé pour justifier une bourse.
21. Une fois de plus, l’agente de programme a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière indue en ce qui a trait au recrutement des évaluateurs externes. Elle a communiqué avec sept évaluateurs externes, dont deux après qu’elle eut obtenu l’engagement de deux autres évaluateurs. Le système automatisé de suivi du CRSH ne contient pas de renseignements sur les réponses données par les deux évaluateurs qui avaient été invités le 31 janvier 2014 (document DD [sic], page 3), ce qui ouvre la porte aux possibles « truquages » des renseignements dont dispose le comité de sélection.
30. Le CIC a documenté plusieurs manquements de la direction du CRSH à la Loi sur l’accès à l’information (documents J, GG et MM) [sic]. Il convient de relever que les représentants du CRSH ont donné aux enquêteurs du CIC, à certaines occasions, des renseignements erronés et incomplets, dont la Cour tiendra compte lorsqu’elle examinera la défense et les documents produits par le défendeur à l’appui de la défense (document QQ) [sic].
[22] Étant donné que la déclaration ne révèle pas une cause d’action valable et qu’elle est par ailleurs viciée au titre de l’alinéa 222(1)c), je suis convaincue qu’elle constitue un abus de procédure, au sens de l’alinéa 221(1)f).
[23] Remettre en instance essentiellement le même litige lorsque des tentatives antérieures d’obtenir un redressement ont échoué constitue un abus de procédure; voir la décision Black c NsC Diesel Power Inc. (syndic) et al (2000), 183 FTR 301, au paragraphe 11. La Cour s’est déjà penchée, à deux reprises, sur le fond du litige dans la présente affaire. Dans les deux cas, les demandes ont été rejetées; voir les décisions Oleinik c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2011 CF 1266, confirmée par Oleinik c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2012 CAF 229, et Oleinik c Commissaire à la vie privée (Can) (2013), 425 FTR 228. L’action présentée par le demandeur en l’espèce constitue donc un abus de procédure.
[24] Il s’ensuit que la requête du défendeur est accueillie et que la déclaration sera radiée, sans autorisation de la modifier.
[25] La Cour donnera l’autorisation de modifier les actes de procédure lorsqu’il est possible de remédier aux vices contenus dans ceux‑ci; voir la décision Simon c Canada (2011), 410 NR 374 (CAF). Selon moi, il ne peut être remédié aux vices en l’espèce, compte tenu du fait que le droit canadien ne reconnaît pas l’existence de délit civil de discrimination, ni l’existence d’un droit distinct de présenter une action relativement à un manquement à une loi.
[26] Le défendeur réclame les dépens. Je ne vois aucune raison de m’écarter de la règle habituelle selon laquelle les dépens suivent l’issue de la cause. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que me confèrent les Règles, j’accorde par conséquent le montant de 500 $, y compris la TVH et les débours, au défendeur à titre de dépens.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la requête soit accueillie, que la déclaration soit radiée, sans autorisation de la modifier, et que le montant de 500 $, incluant la TVH et les débours, soit accordé au défendeur à titre de dépens.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-1383-14
|
INTITULÉ : |
ANTON OLEYNIK c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
halifax
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 13 AOÛT 2014
|
ORDONNANCE ET MOTIFS : |
lA JUGE HENEGHAN
|
DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS : |
lE 19 SEPTEMBRE 2014
|
COMPARUTIONS :
Anton Oleynik |
POUR LE DEMANDEUR
|
Jason Jaffer Ministère de la Justice |
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Anton Oleynik St. John’s (T.‑N.) |
pour le demandeur
|
William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
Pour le défendeur
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