Date : 20140910
Dossier : T-1745-12
Référence : 2014 CF 861
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 10 septembre 2014
En présence de madame la juge Strickland
ENTRE :
|
SCOTT BLAIR |
appelant |
et |
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
intimé |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] La Cour est saisie de l’appel formé contre une décision rendue par le commissaire aux brevets (le « commissaire ») le 21 mars 2012. Le commissaire a refusé d’accorder le brevet visé par la demande de brevet canadien (numéro de série 2,286,794) (la « demande de brevet ») pour l’invention intitulée [traduction] « SYSTÈME DE TÉLÉVISION POUR MÉTRO » (« SUBWAY TV MEDIA SYSTEM ») pour cause d’évidence. L’appel est interjeté conformément à l’article 41 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4 (la Loi).
Contexte factuel
[2] À titre préliminaire, toutes les références à l’intimé dans la présente décision renvoient au procureur général du Canada. Comme il en sera question plus loin, l’appelant avait également désigné le commissaire comme intimé dans le présent appel. Le procureur général du Canada a présenté une requête préliminaire sollicitant une ordonnance pour obtenir le retrait du commissaire en tant qu’intimé, laquelle a été accordée dans le cadre du présent jugement.
[3] Le présent appel découle d’un long historique procédural comportant deux décisions antérieures de la Cour relativement à la demande de brevet. Dans une de ces décisions, Blair c. Procureur général du Canada et le commissaire aux brevets, 2010 CF 227 Blair 2, la juge Mactavish a exposé l’historique de cette affaire jusqu’à ce moment-là, celui-ci étant en grande partie adopté ci-après.
[4] L’appelant, l’inventeur, a déposé une demande de brevet le 6 mai 1998. Cette demande revendiquait la priorité sur le fondement d’une demande de brevet (no 60/045, 811) déposée aux États-Unis le 7 mai 1997. Il n’est pas contesté que cette date est celle qu’il convient d’utiliser pour déterminer si l’invention revendiquée était évidente.
Interprétation des revendications
[5] Comme mentionné précédemment, l’invention proposée est intitulée « SYSTÈME DE TÉLÉVISION POUR MÉTRO ». Elle a trait à des systèmes de présentation vidéo devant être installés à un endroit précis dans les voitures de métro. L’abrégé est rédigé comme suit :
L’invention concerne un système de télévision destiné aux voitures (10) de métro, qui comprend une pluralité de moniteurs de télévision (22) disposés à intervalles réguliers dans les voitures (10), à la jonction entre la paroi latérale et le plafond, et une unité source centrale (23) de signaux vidéo, telle que lecteur de bandes vidéo, lecteur de vidéodisques, magnétoscope numérique informatisé ou récepteur de télévision, raccordé audit moniteur (22). Des programmes de courte durée, de 5 à 15 minutes environ, ce qui correspond à la longueur moyenne d’un trajet en métro, comprenant des messages publicitaires, des informations, etc., sont lus et affichés de manière répétée par les moniteurs durant le trajet.
[6] Les revendications suivantes sont en litige, la revendication 1 étant la principale :
1. [traduction] Voiture de métro pour transport en commun comprenant des murs opposés longitudinaux, un plafond reliant ces murs, un système de présentation vidéo formé de plusieurs moniteurs vidéo dotés chacun d’un écran vidéo, et une source de signaux vidéo raccordée pour fonctionner avec lesdits moniteurs. Les moniteurs sont disposés sur toute la longueur de part et d’autre de la voiture et chacun d’eux est fixé à la jonction entre la paroi latérale et le plafond, de sorte que l’écran se trouve à peu près au niveau de la structure de surface du mur adjacent de la voiture, orienté en oblique vers les sièges de la voiture, pour que les passagers à bord de la voiture de métro puissent facilement voir chaque écran.
2. La voiture de métro de la revendication 1, dans laquelle la source de signaux vidéo comporte un lecteur de vidéocassettes, un lecteur de vidéodisques ou un enregistreur vidéo numérique informatique.
3. La voiture de métro de la revendication 1 ou de la revendication 2, dans laquelle les moniteurs vidéo comprennent des écrans à ACL.
4. La voiture de métro de la revendication 1, de la revendication 2 ou de la revendication 3, comprenant un système autonome de fils et de câbles reliant les moniteurs vidéo à la source des signaux vidéo.
5. La voiture de métro de la revendication 1, de la revendication 2, de la revendication 3 ou de la revendication 4, comprenant une unité transparente rigide recouvrant l’écran de chaque moniteur et dont la forme coïncide avec celle de la paroi interne de la voiture de métro à l’endroit où ce moniteur est fixé.
6. La voiture de métro de la revendication 5, dans laquelle l’unité transparente rigide est de forme concave de façon à s’intégrer de façon continue aux parois de la voiture de métro à l’endroit où le moniteur est fixé.
[7] L’appelant a soutenu que la revendication 1 comportait sept éléments essentiels, et la juge Mactavish a reconnu qu’il s’agissait d’une interprétation correcte de la revendication, dans Blair 2, précitée, aux paragraphes 59-60 :
1. Voiture de métro pour transport en commun comprenant des murs opposés longitudinaux, un plafond reliant ces murs (« voiture de métro »);
2. un système de présentation vidéo formé de plusieurs moniteurs vidéo dotés chacun d’un écran vidéo (« plusieurs moniteurs »);
3. une source de signaux vidéo raccordée pour fonctionner avec lesdits moniteurs (« source vidéo »);
4. les moniteurs sont disposés sur toute la longueur de part et d’autre de la voiture (« moniteurs disposés sur toute la longueur »);
5. chacun des moniteurs est fixé à la jonction entre la paroi latérale et le plafond (« installé à la jonction entre la paroi latérale et le plafond »);
6. l’écran se trouve à peu près au niveau de la structure de surface du mur adjacent de la voiture (« installé au niveau »,
7. orienté en oblique vers les sièges de la voiture, pour que les passagers à bord de la voiture de métro puissent facilement voir chaque écran vidéo (« orienté pour pouvoir être vu »).
Objections et procédures
[8] Lors de la poursuite initiale de la demande au Bureau des brevets, l’examinateur de brevets a rendu plusieurs décisions qui rejetaient la totalité des revendications pour cause d’évidence, conformément à l’article 28.3 de la Loi, du fait que l’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet eu égard à toute communication décrite aux alinéas 28.3a) et b).
[9] L’appelant a tenté de réfuter les objections de l’examinateur à sa demande, notamment en modifiant ses revendications à celles susmentionnées et en produisant les lettres de personnes qui se disaient compétentes dans divers aspects de l’industrie du transport, Dermot P. Gillespie (M. Gillespie), Van Wilkins (M. Wilkins) et Jim Berry (M. Berry).
Première décision du commissaire aux brevets
[10] Le 21 octobre 2002, l’examinateur de brevets a rendu une décision définitive dans laquelle il a refusé la totalité des revendications contenues dans la demande de brevet. Il a conclu que les revendications auraient été évidentes, à la date de revendication, aux yeux d’une personne versée dans l’art, eu égard au brevet américain no 5,606,154 délivré à Doigan et al. (« Doigan »), au brevet français no 2,652,701 délivré à Comerzan-Sorin (« Comerzan-Sorin ») et au brevet canadien no 1,316,253 délivré à Tagawa et al. (« Tagawa »), collectivement les antériorités, de même qu’à la lumière des connaissances générales courantes dans l’art.
[11] L’appelant a demandé une audience devant la Commission d’appel des brevets, et cette audience a eu lieu le 24 novembre 2004. La Commission d’appel des brevets a conclu que la demande de brevet aurait été évidente à la date de revendication et a recommandé de confirmer la décision définitive de l’examinateur de brevets rejetant la demande. Le commissaire a souscrit à cette recommandation le 13 janvier 2006.
[12] L’appelant a interjeté appel de la décision du commissaire auprès de la Cour, et le juge Teitelbaum a rendu une ordonnance tranchant la question dans Blair c Procureur général du Canada et al, dossier T-1176-06 (Blair 1)). À l’appui de son appel, l’appelant a déposé de nouveaux éléments de preuve par affidavits de deux experts, M. Wilkins, un journaliste dans le domaine du transport en commun, et Yvonne Gibson (Mme Gibson), qui avait de l’expérience dans le domaine de la publicité dans le métro. Les deux étaient d’avis que la conception du brevet proposé n’aurait pas été évidente à leurs yeux.
[13] Le juge Teitelbaum a accueilli l’appel eu égard à la question de l’évidence et a annulé la décision du commissaire. Il a alors renvoyé l’affaire à ce dernier « pour qu’il réexamine la question de l’évidence à la lumière des nouveaux éléments de preuve soumis dans le cadre du présent appel, des nouvelles observations écrites que l’appelant pourrait vouloir formuler et du dossier dont le commissaire a déjà été saisi ».
Deuxième décision du commissaire aux brevets
[14] Une nouvelle formation de la Commission d’appel des brevets a également conclu que la demande de brevet aurait été évidente à la date de revendication et a recommandé que la demande soit rejetée. Le 26 octobre 2007, le commissaire a souscrit à cette recommandation et a refusé d’accorder un brevet à l’appelant pour cause d’évidence.
[15] L’appelant a interjeté appel de la décision dans Blair 2 et, dans une décision rendue le 26 février 2010, la juge Mactavish a rejeté les observations de l’appelant ayant trait à la crainte raisonnable de partialité découlant en partie de l’allégation par l’appelant que les affidavits de Mme Gibson et de M. Wilkins n’avaient pas été examinés comme l’avait ordonné le juge Teitelbaum. Cependant, elle a relevé deux erreurs dans la décision, notamment en ce qui a trait à la manière dont le commissaire a traité les éléments de preuve contenus dans les affidavits de Mme Gibson et de M. Wilkins et à la manière dont le commissaire a appliqué le critère de l’évidence.
[16] Dans cette affaire, le commissaire avait conclu que l’objet de l’invention revendiquée n’était pas de nature trop technique et avait donc statué que les preuves d’expert de Mme Gibson et de M. Wilkins n’étaient pas nécessaires. La juge Mactavish a conclu que, ayant admis que les affidavits constituaient des éléments de preuve nouveaux dans le cadre du premier appel de l’appelant, le juge Teitelbaum a implicitement conclu que ces éléments étaient probants. Par conséquent, même si le commissaire pouvait évaluer les faits convaincants de la preuve, il ne lui était pas loisible de conclure que la preuve n’était pas nécessaire. De plus, même si le commissaire fait référence à la « personne moyennement versée dans l’art », un élément clé pour se prononcer sur le caractère évident, elle n’a pas indiqué clairement qui était cette personne pour les besoins de l’analyse de l’évidence. La juge Mactavish a retenu l’observation de l’appelant, n’ayant pas été contestée par l’intimé, selon laquelle la personne versée dans l’art était une [traduction] « une personne qui connaît bien l’installation de systèmes vidéo ».
[17] La juge Mactavish a également conclu que la commissaire a commis une erreur en appliquant le critère de l’évidence en examinant séparément chaque élément de la revendication 1 pour déterminer s’il était évident, plutôt que de considérer la revendication comme un tout. Elle a conclu qu’il ressortait manifestement de la description faite par l’appelant de la revendication 1 et de ses sept éléments essentiels, description qu’elle a acceptée comme constituant une interprétation correcte, que l’invention comportait une combinaison d’éléments constitutifs, dont certains étaient déjà connus. Par ailleurs, lorsqu’une invention revendiquée réside dans la combinaison de divers éléments, [traduction] « on ne peut pas dire de l’invention qu’il s’agit d’une série de parties parce que cette invention réside dans le fait que ces parties ont été mises ensemble » (Omark Industries (1960) Ltd. c Gouger Saw Chain Co (1965) 1 RCE 457, 45 CPR 169 (Omark)).
[18] À cause de ces erreurs, la décision du commissaire était déraisonnable.
[19] L’appelant a également demandé de produire des éléments de preuve nouveaux dans le cadre de l’appel, sous la forme d’un affidavit de Richard Morris (M. Morris), lequel se qualifie de spécialiste de la signalisation des transports en commun et des voies ferroviaires. La juge Mactavish a permis le dépôt des éléments de preuve étant jugés comme probants dans la mesure où ils démontraient que personne d’autre n’avait pensé mettre en place des écrans vidéo dans des voitures de métro à l’endroit précisé par l’appelant. Elle a également conclu que la preuve contredisait directement la conclusion ayant été tirée dans la première décision du commissaire, à savoir que la jonction du plafond et des parois latérales d’une voiture de métro est l’emplacement logique, peut-être le seul emplacement disponible où installer un écran vidéo, laquelle conclusion a également été mentionnée dans la deuxième décision. De plus, les nouveaux éléments de preuve concernaient l’installation de systèmes vidéo ayant eu lieu ailleurs dans le monde peu avant que le commissaire rende sa deuxième décision. La juge Mactavish a enjoint au commissaire d’examiner cette preuve en ce qui concerne la question de l’évidence.
Décision du commissaire portée en appel
[20] Le 21 mars 2012, un autre commissaire a conclu que l’invention proposée était évidente. Cette décision fait l’objet du présent appel.
[21] Le commissaire a exposé l’historique procédural de la demande de brevet, ainsi que les conclusions du juge Teitelbaum et de la juge Mactavish. Il a également indiqué que la Commission d’appel des brevets avait relevé une différence entre les antécédents de la personne versée dans l’art, tel que défini dans Blair 2, précitée, et les antécédents des experts de l’appelant. L’appelant a soutenu que la personne versée dans l’art est [traduction] « une personne qui connaît bien l’installation de systèmes vidéo », mais les experts par affidavit avaient des antécédents dans divers aspects de l’industrie du transport ou de la publicité dans le métro. La Commission d’appel des brevets a invité l’appelant à soumettre d’autres observations sur la question. En réponse, l’appelant a soumis des observations écrites, ainsi que les affidavits de trois experts, Gordon Ballantyne (M. Ballantyne), Robert DiNardo (M. DiNardo) et Wai Ng (M. Ng), qui prétendaient avoir des connaissances dans le domaine de l’installation de systèmes vidéo.
[22] Le commissaire a établi le cadre législatif et objectif aux fins de la détermination de l’évidence, le critère d’évidence, et a appliqué l’approche en quatre étapes énoncée dans l’arrêt Sanofi à la revendication 1 et aux revendications dépendantes 2 à 6 (Apotex Inc c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, [2008] 3 RCS 265 (Sanofi)). Le commissaire a conclu que, même si la combinaison d’éléments en un tout constituait une nouveauté parce qu’elle ne se retrouvait pas dans l’antériorité, elle ne faisait pas appel à de l’ingéniosité puisqu’il existait une tendance dans l’art consistant à installer des systèmes vidéo dans divers réseaux de transport. Compte tenu de cette tendance, le choix d’installer un système vidéo dans une voiture de métro ne comporte aucun esprit inventif. Le commissaire s’est ensuite demandé si une démarche inventive avait mené à la conception de la mise en œuvre revendiquée. À cet égard, il a conclu que des compétences moyennes auraient pu mener la personne versée dans l’art à choisir la jonction du plafond et des parois latérales comme emplacement pour les moniteurs et que ce choix d’emplacement ne comportait aucun esprit inventif. Les autres éléments essentiels, lorsqu’ils sont considérés aux fins d’un examen exhaustif comme faisant partie de la combinaison revendiquée, et lorsqu’ils sont associés aux autres éléments revendiqués, ne permettent pas d’établir une étape inventive.
[23] Le commissaire a déclaré qu’il était impossible de tirer une conclusion sur l’évidence de la combinaison sans que l’ensemble de la preuve présentée par l’appelant ait été examinée. À cet égard, il a traité des affidavits des experts en installation vidéo de l’appelant, MM. Ballantyne, DiNardo et Ng, ayant tous déclaré, après avoir examiné les antériorités citées et la demande de brevet, qu’ils n’auraient pas conclu au caractère évident de l’idée originale en question à la date pertinente. Toutefois, le commissaire a conclu qu’ils n’ont fourni aucune justification pour étayer leurs conclusions et qu’ils n’ont pas traité de la question de savoir, compte tenu de la tendance révélée dans l’art et des connaissances générales ordinaires, si l’idée originale comportait une étape inventive. Leurs observations ne l’ont pas convaincu que l’ingéniosité aurait été nécessaire pour arriver à l’idée originale.
[24] Le commissaire a conclu que les témoignages de MM. Gillespie et Berry, ayant de l’expérience dans le domaine des transports, et de M. Wilkins, ayant de l’expérience dans les domaines de la signalisation ferroviaire et du transport en commun, ainsi que les affidavits de Mme Gibson, experte en communication, en marketing et en relations d’affaires, et de M. Morris, expert dans le domaine du transport en commun, ayant été présentés suite à la décision définitive, permettaient principalement de démontrer que l’objet revendiqué est différent de l’état de la technique à la date pertinente. Le commissaire était d’accord pour dire qu’il existe des différences par rapport à l’état de la technique et que l’objet revendiqué est nouveau.
[25] Cependant, le commissaire a conclu que les témoignages des experts faisaient état de la nouveauté de la présente invention et qu’ils ne contribuaient donc à l’analyse de l’évidence qu’à l’étape 3, consistant à recenser les différences par rapport à l’état de la technique, et qu’ils n’étaient guère utiles pour la dernière étape. Mme Gibson et MM. Wilkins et Morris ont présenté leurs opinions sur l’ultime question de l’évidence, chacun d’eux concluant que les présentes revendications sont non évidentes. Cependant, le commissaire a conclu que, tout comme dans le cas des observations des trois experts en installation vidéo, ils donnaient une explication sommaire pour leur conclusion relative à l’évidence. Leurs observations ne l’ont pas convaincu que l’ingéniosité aurait été nécessaire pour arriver à l’idée originale.
[26] Le commissaire a également conclu qu’il aurait pu en arriver à la même conclusion à partir d’un point de départ différent. D’après la tendance générale dans le domaine des réseaux de transport en commun, le commissaire a conclu que rien ne semble élever la présente idée originale au-delà d’une simple substitution. Dans les voitures de métro de la Commission de transport de Toronto (CTT), les affiches publicitaires sont situées à la jonction entre la paroi latérale et le plafond, et le système vidéo de l’appelant vise principalement la transmission de messages publicitaires. Par conséquent, la revendication ne comporte qu’une simple substitution des moniteurs vidéo aux affiches publicitaires de l’art antérieur.
[27] Le commissaire a conclu que, pour compléter l’analyse relative à la revendication 1, il devait examiner le facteur de l’arrêt Janssen relatif à la « tendance dans l’art », ainsi que le critère établi dans l’arrêt Beloit (Janssen-Ortho Inc c Novopharm Ltd, 2007 CAF 217, au paragraphe 25, 59 CPR (4th) 116 (Janssen); Beloit Canada Ltd c Valmet OY (1986), 8 CPR (3d) 289, 64 NR 287 (CAF) (Beloit)). Suite à cet examen, il a statué que la revendication 1 était évidente puisque la personne versée dans l’art serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise cette revendication.
[28] Le commissaire a indiqué que l’appelant n’a présenté aucune observation au sujet des revendications 2 à 6 et qu’il semblait se fonder sur une conclusion de non-évidence à l’égard de la revendication 1. Le commissaire a conclu que les éléments additionnels présentés dans les revendications 2 à 6, auxquels s’ajoutent les éléments essentiels de la revendication 1, auraient été évidents à défaut d’étape inventive.
QUESTIONS À TRANCHER
[29] L’appelant formule ainsi les questions à trancher dans le présent appel :
- Le commissaire n’a pas appliqué les directives formulées expressément par la juge Mactavish;
- Le commissaire a analysé les éléments des revendications séparément au lieu d’analyser la combinaison de ces éléments comme un tout;
- Le commissaire n’a pas pris en considération équitablement la preuve produite par l’appelant. Au lieu d’examiner la preuve au moment de déterminer si l’invention était évidente, le commissaire s’est d’abord prononcé sur la question de l’évidence et a examiné la preuve seulement pour voir s’il devait modifier la conclusion à laquelle il était arrivé;
- L’utilisation par le commissaire de la « tendance dans l’art » était un exercice rétrospectif pour expliquer les lacunes dans l’art antérieur.
[30] L’intimé soutient que les questions à trancher dans le présent appel sont les suivantes :
- Le commissaire, à titre de décideur prévu par la loi, est-il l’intimé approprié dans le présent appel?
- Dans le présent appel, la Cour devrait-elle accorder du poids aux nouveaux éléments de preuve concernant la pratique administrative de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada en cas de refus?
- Après avoir appliqué le bon critère juridique en matière d’évidence aux faits en l’espèce, la deuxième décision, rendue à la suite du réexamen, a-t-elle droit à une certaine déférence?
[31] Je reformulerais ainsi les questions :
- Le commissaire devrait-il être retiré à titre d’intimé dans l’appel?
- Quel poids, le cas échéant, la Cour devrait-elle accorder aux nouveaux éléments de preuve produits par l’appelant relativement à la désignation par l’OPIC de sa demande comme étant « morte »?
- Quelle est la norme de contrôle?
- Le commissaire a-t-il commis une erreur en concluant que l’invention proposée par l’appelant est évidente?
QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
QUESTION 1 : Le commissaire devrait-il être retiré à titre d’intimé dans l’appel?
Observations de l’intimé
[32] À titre préliminaire, le procureur général du Canada a sollicité une ordonnance pour le retrait du commissaire comme intimé désigné dans l’appel.
[33] L’intimé soutient que le commissaire ne devrait pas être partie à l’appel. La désignation de l’intimé est régie par le paragraphe 338(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles). Comme il s’agissait d’un appel prévu à l’article 41 de la Loi, il n’y a pas eu de procédure de première instance dans laquelle des intimés ont été nommés, ce qui aurait fait en sorte que ces mêmes intimés doivent être aussi désignés dans le présent appel aux termes de l’alinéa 338(1)a). De plus, les décideurs prévus par la loi n’ont pas « des intérêts opposés » et n’ont par ailleurs aucun « intérêt » dans l’appel tel que décrit à cet alinéa (Maple Leaf Foods Inc c Consorzio Del Prosciutto di Parma et le registraire des marques de commerce, 2010 CAF 67, au paragraphe 9, 85 CPR (4th) 451 (Maple Leaf Foods)). Il est également bien établi qu’un office fédéral ou un organisme d’adjudication dont la décision est l’objet d’un contrôle judiciaire ou d’un appel ne doit pas être désigné à titre d’intimé ou de défendeur (Genex Communications c Canada (Procureur général), 2005 CAF 283, [2006] 2 RCF 199 (Genex)).
[34] La seule exception à la règle selon laquelle l’organisme dont la décision est attaquée n’a pas qualité pour comparaître dans les procédures en contestation est dans le cas d’une exception prévue par la loi (Genex, précité, aux paragraphes 64 à 66). La loi n’exige pas la désignation du commissaire à titre d’intimé dans le cadre d’un appel fondé sur l’article 41 de la Loi. Par conséquent, l’alinéa 338(1)b) des Règles ne s’applique pas et n’exige pas que le commissaire soit désigné. Dans ces circonstances, l’alinéa 338(1)c) prévoit que le procureur général du Canada est désigné à titre d’intimé dans le cadre d’un appel. Comme le procureur général du Canada est disposé à répondre, une requête en vertu du paragraphe 338(2) des Règles n’est pas nécessaire. Les Règles exigent seulement qu’un avis d’appel soit signifié au commissaire (alinéa 339(1)b) des Règles).
Observations de l’appelant
[35] L’appelant soutient que le commissaire a la qualité pour agir comme partie dans le présent appel. Il souligne qu’il s’agit du troisième appel relativement à la présente affaire et que dans les deux appels précédents le commissaire a été désigné à titre d’intimé sans que le procureur général du Canada ne s’y oppose.
[36] L’appelant fait remarquer que l’article 338 des Règles portant sur les appels ne prévoit pas de disposition semblable à celle prévue à l’alinéa 303(1)a) des Règles portant sur les demandes, qui indique expressément que l’office fédéral visé par une demande ne doit pas être désigné à titre d’intimé. Cela donne à penser qu’il y a lieu, même si cela n’est pas nécessaire, de désigner le commissaire dans le cadre d’un appel en vertu de l’article 41.
[37] Par ailleurs, il soutient que, dans le cadre d’une demande d’interdiction en application du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, le ministre de la Santé est le défendeur approprié, même si ce Règlement ne le prévoit pas expressément (Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 169, au paragraphe 11 (Pfizer)). Le ministre de la Santé est partie à de nombreuses affaires sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), mais il est également désigné dans d’autres affaires ayant trait notamment à des demandes d’accès à l’information.
[38] Dans Krause c Ministre des Finances et al, [1999] 2 RCF 476 (CA), la Cour d’appel fédérale a statué que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, il était inopportun de désigner Sa Majesté la Reine du chef du Canada à titre de défenderesse. Dans cette affaire, la Cour a modifié l’intitulé de la cause de sorte que le président du Conseil du Trésor et le ministre des Finances soient désignés comme défendeurs. Bien que l’article 41 de la Loi soit formulé comme un appel, il ressemble davantage au fond, sur le plan de la procédure, à un contrôle judiciaire par voie de certiorari, parce que la Cour examine le dossier et peut annuler la décision faisant l’objet du contrôle (René Dussault et Louis Borgeat, Traité de droit administratif, volume 4 (Carswell : 1990)).
[39] L’appelant soutient qu’il est pratique courante de désigner le commissaire à titre d’intimé dans le cadre des appels fondés sur l’article 41 (Dutch Industries Ltd. c Canada (Commissaire aux brevets), 2001 CFPI 879, [2002] 1 CF 325, mod. par Barton No-till Disk Inc c Dutch Industries Ltd, 2003 CAF 121 (Dutch Industries); Procureur général du Canada et le commissaire aux brevets c Amazon.com et al, 2011 CAF 328, [2012] 2 RCF 459 (Amazon); Harvard College c Canada (Commissaire aux brevets), 2002 CSC 76, [2002] 4 RCS 45 (Harvard College)). Le commissaire était désigné comme intimé dans Amazon et Harvard College. Dans l’arrêt Amazon, la Cour d’appel fédérale a donné une directive expresse quant à la bonne interprétation et à la bonne application de la jurisprudence, en indiquant que, si le commissaire n’était pas partie à l’instance, le procureur général devenait en quelque sorte un messager.
Analyse
[40] Le 11 décembre 2012, l’intimé a présenté une requête écrite, conformément à l’article 369 des Règles, sollicitant une ordonnance pour obtenir le retrait du commissaire en tant qu’intimé. Par ordonnance datée du 11 février 2013, le protonotaire Milczynski a reporté l’audition de la requête au moment de l’audition du présent appel sur le fond.
[41] Des copies de la correspondance entre les avocats du procureur général du Canada et de l’appelant sont jointes comme pièces à la preuve par affidavit produite par le procureur général du Canada à l’appui de sa requête. L’avocat de l’appelant y déclare qu’il croyait que le commissaire devait être nommé dans l’intitulé et qu’un avis d’appel devait lui être signifié de manière à ce qu’il soit tenu de fournir à la Cour une copie certifiée de l’historique du dossier de la demande de brevet en cause. En l’espèce, le dossier a été fourni à l’appelant et à la Cour par le service du ministère de la Justice responsable de la préparation des dossiers. De plus, le procureur général du Canada, et non le commissaire, a déposé un avis de comparution.
[42] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le commissaire n’aurait pas dû être désigné comme intimé dans le présent appel.
[43] Comme il s’agit d’un appel de la décision du commissaire, la partie 6 des Règles s’applique. Le paragraphe 338(1) prévoit ce qui suit :
Intimés 338. (1) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’appelant désigne les personnes suivantes à titre d’intimés dans l’appel : a) toute personne qui était une partie dans la première instance et qui a dans l’appel des intérêts opposés aux siens; b) toute autre personne qui doit être désignée à titre de partie aux termes de la loi fédérale qui autorise l’appel; c) si les alinéas a) et b) ne s’appliquent pas, le procureur général du Canada. |
Persons to be included as respondents 338. (1) Unless the Court orders otherwise, an appellant shall include as a respondent in an appeal (a) every party in the first instance who is adverse in interest to the appellant in the appeal; (b) any other person required to be named as a party by an Act of Parliament pursuant to which the appeal is brought; and (c) where there are no persons that are included under paragraph (a) or (b), the Attorney General of Canada. |
[44] Dans Genex, précité, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a refusé de renouveler la licence de radiodiffusion d’une station de radio. La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur la différente entre les articles 303 et 338 des Règles portant sur un intimé nommément désigné, en concluant ce qui suit :
[62] En matière de contrôle judiciaire, l’article 303 des Règles des Cours fédérales […] stipule qu’un demandeur désigne à titre de défendeur toute personne touchée par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral visé par la demande. Si les présentes procédures étaient de la nature d’un contrôle judiciaire plutôt qu’un appel, comme c’est le cas, il est clair que le CRTC ne serait pas un défendeur. Cependant, il pourrait demander un statut d’intervenant aux procédures : voir l’article 109 des Règles. La situation juridique n’est pas différente lorsqu’il s’agit d’un appel. Toutefois, on y parvient par un cheminement différent.
[63] En effet, le statut des parties à un appel est régi par l’article 338 des Règles. En vertu de cet article, l’appelante désigne à titre d’intimés toute personne qui était une partie dans la première instance et qui, dans l’appel, a des intérêts opposés aux siens. L’article 2 des Règles définit une partie en première instance dans une action comme le demandeur, le défendeur et une tierce partie. Dans le cas d’une demande, notamment une demande de contrôle judiciaire, le mot « partie » fait référence au demandeur et au défendeur.
[45] À mon avis, cela réfute la prétention de l’appelant selon laquelle, compte tenu de la différence du libellé entre les deux articles des Règles ou parce que l’appel comporte des similitudes au plan procédural avec un contrôle judiciaire, il est opportun, même si cela n’est pas nécessaire, de désigner le commissaire comme intimé dans un appel interjeté en application de l’article 41.
[46] Dans Genex, la Cour a ensuite conclu que le CRTC n’était pas partie en première instance et que, en l’absence d’une exception prévue par la loi, il n’avait pas qualité pour comparaître dans le cadre de l’appel :
[64] Or, dans la demande de renouvellement de la licence de l’appelante devant le CRTC, ce dernier n’était pas une partie à cette première instance : il était l’organisme d’adjudication. En outre, il n’est pas une personne qui, dans l’appel, a des intérêts opposés à l’appelante. En fait, l’appelante n’aurait pas dû faire du CRTC un intimé dans ses procédures […]
[65] Peu importe les raisons qui ont amené l’appelante à inscrire le CRTC comme intimé en appel, le geste fut source de confusion, car, en règle générale, les droits d’un intimé en appel sont différents et beaucoup plus étendus que ceux d’un intervenant. Sauf exception prévue par la loi comme dans le cas du Conseil canadien des relations industrielles (voir le paragraphe 22(1.1) [édicté par L.C. 1998, ch. 26, art. 9] du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2), un organisme dont la décision est attaquée n’a pas qualité pour comparaître dans les procédures en contestation. N’eût été du fait qu’il fut impliqué comme partie à l’appel par l’appelante, le CRTC aurait eu à faire une demande d’intervention en vertu de l’article 109 des Règles. Son statut aurait alors été clair et précisé par l’ordonnance l’autorisant à intervenir, comme ce fut le cas pour les intervenantes Cogeco Diffusion Inc., l’Association canadienne des radiodiffuseurs, l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, et l’Association canadienne des libertés civiles.
[66] Que ce soit dans des procédures de contrôle judiciaire ou d’appel, l’organisme fédéral qui a rendu une décision n’est pas habilité à venir défendre la décision qu’il a rendue, encore moins à se justifier. Comme le disait le juge Estey dans l’affaire Northwestern Utilities Ltd. et autre c. Ville d’Edmonton, [1979] 1 R.C.S. 684, à la page 709, où l’organisme avait présenté en appel une argumentation détaillée et approfondie à l’appui de sa décision, « [u]ne participation aussi active ne peut que jeter le discrédit sur l’impartialité d’un tribunal administratif lorsque l’affaire lui est renvoyée ou lorsqu’il est saisi d’autres procédures concernant des intérêts et des questions semblables ou impliquant les mêmes parties ». L’organisme a le droit d’être représenté en appel, mais sa plaidoirie en principe doit se limiter à un exposé de sa compétence, de ses procédures et du déroulement de celle-ci.
[47] De même, dans l’arrêt Maple Leaf Foods, précité, la juge Sharlow de la Cour d’appel fédérale a conclu que le registraire des marques de commerce n’aurait pas dû être désigné comme parce que, à titre d’auteur de la décision visée par la procédure, il n’avait pas d’intérêts opposés à Maple Leaf. L’article 338 des Règles justifiait de prononcer une ordonnance mettant le registraire hors de cause dans l’appel (voir également Genencor International Inc c Canada (Commissaire aux brevets), 2006 CF 876, au paragraphe 38, 52 CPR (4th) 253, inf. pour d’autres motifs, 2006 CF 1021 [Genencor]).
[48] Il ressort donc clairement que le commissaire n’était pas une partie dans la première instance qui a des intérêts opposés à l’appelant aux termes de l’alinéa 338(1)a). Quant à l’alinéa 338(1)b) des Règles, la Loi n’exige pas que le commissaire soit désigné comme partie.
[49] De plus, les autres observations de l’appelant sur cette question ne me semblent pas impérieuses, notamment en ce qui a trait à la recherche de « ministre de la Santé » dans les renseignements sur les instances en Cour fédérale, ayant donné 711 résultats entre 2003 et 2012. L’appelant reconnaît qu’il s’agit en grande partie d’affaires fondées sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), mais il soutient que d’autres entrées sont des demandes, dont seulement deux fournissent des précisions et semblent porter sur l’accès à l’information. Je ne vois pas en quoi ceci ou Pfizer, précitée, aide l’appelant, puisqu’un demandeur doit désigner à titre de défendeur toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée, autre que l’office fédéral visé par la demande. Par conséquent, un office fédéral pourrait désigné comme partie s’il n’agit pas en qualité d’auteur de la décision en cause. En cherchant « commissaire aux brevets », l’appelant a également obtenu 248 dossiers, entre 1971 et 2012. Ces dossiers ne portent pas tous sur des appels en vertu de l’article 41 de la Loi sur les brevets. Par ailleurs, dans les trois affaires obtenues comme résultat lors de cette recherche qui sont invoquées par l’appelant, Dutch Industries, Amazon et Harvard College, précitées, la question de la désignation du commissaire comme partie ne semble pas avoir soulevé de litige.
[50] Je ne souscris pas à la prétention de l’appelant, selon laquelle, lorsque la Cour annule une décision et qu’elle renvoie l’affaire pour réexamen, l’office fédéral n’est pas tenu de se conformer à une directive que la Cour peut avoir émise dans sa décision, s’il n’est pas désigné nommément comme partie. Ce n’est certainement pas ce qui ressort des articles 303 et 338 des Règles.
[51] Enfin, je tiens à signaler que rien dans l’article 317 des Règles, qui, en vertu de l’article 350, s’applique aux appels, ne prévoit que l’office fédéral dont l’ordonnance est visée par une demande ou un appel doit être désigné comme intimé pour qu’il puisse être contraint de produire les documents pertinents qu’il a en sa possession.
[52] Conformément à l’alinéa 338(1)c) des Règles, le procureur général du Canada devrait donc, dans les circonstances en l’espèce, être désigné comme intimé dans le présent appel. Par conséquent, la Cour ordonne que le commissaire soit mis hors de cause à titre d’intimé et que l’intitulé soit modifié en conséquence.
QUESTION 2 : Quel poids, le cas échéant, la Cour devrait-elle accorder aux nouveaux éléments de preuve produits par l’appelant en ce qui concerne la désignation par l’OPIC de sa demande comme étant « morte »?
[53] Le 16 août 2013, l’appelant a présenté à la Cour une requête afin de produire de nouveaux éléments de preuve sous la forme d’affidavits, datés du 15 août et du 6 septembre 2013, de Keith Bird, un avocat et agent de brevets, qui a contribué à la demande de l’appelant, et d’un affidavit, daté du 3 septembre 2013, de Julie Tomaselli, adjointe juridique au ministère de la Justice.
[54] Par ordonnance datée du 19 septembre 2013, le protonotaire Aalto a accueilli la requête relativement à la production de nouveaux éléments de preuve. Il a conclu que les éléments de preuve semblaient se rapporter à l’appel et qu’ils devraient être soumis au juge, qui serait mieux en mesure d’en déterminer la pertinence.
[55] Cette nouvelle preuve par affidavit fait essentiellement valoir que l’OPIC a indiqué, dans sa Base de données sur les brevets canadiens, que la demande de brevet était « morte » au 21 mars 2012 et que les taxes de maintien n’avaient été payées que jusqu’au 13e anniversaire. Bien que les paiements des taxes de maintien pour les 14e et 15e anniversaires et la taxe pour le rétablissement de l’appel aient été versés, en raison de modifications apportées à la procédure de l’OPIC en 2009, la demande de brevet sera indiquée comme étant « morte » jusqu’à l’issue de l’appel en instance. Les taxes conservées au dossier seront alors soit appliquées ou remboursées. Le fichier électronique d’administration des brevets Techsource de l’OPIC concernant la demande de brevet en cause décrit les modifications apportées pour expliquer le statut de demande « morte », notamment que l’affaire fait l’objet d’un appel, et indique que les taxes de maintien payées après le 21 mars 2012 seraient traitées lorsque les appels auront été épuisés, si le refus est renversé.
[56] Cependant, l’information que le grand public peut consulter en ligne au moyen de la Base de données sur les brevets canadiens n’est pas identique à celle que l’on peut obtenir des terminaux Techsource aux bureaux de l’OPIC. Un imprimé provenant de cette source indique l’état actuel de la demande de brevet comme étant « morte » et ce depuis le [traduction] « 2012/03/21 en raison de la DÉCISION DU COMMISSAIRE DE LA REFUSER ». Le relevé ci-joint renvoie à la lettre que l’avocat de l’appelant a envoyée au commissaire sur la question et à la réponse du commissaire expliquant ce qui signifie l’indication « morte » et autres questions connexes et comprend des copies de celles-ci. Le relevé indique que la taxe de maintien du 14e anniversaire a été consignée le 20 novembre 2012, mais celle-ci n’apparaît pas comme ayant été payée. Il n’y a rien au sujet de la taxe de maintien du 15e anniversaire. La version en ligne la plus récente de la base de données n’a pas été révisée pour tenir compte des explications fournies dans Techsourse.
Position de l’intimé
[57] L’intimé explique que les décisions du commissaire relativement à l’administration du registre des brevets sont visées par une demande de contrôle judiciaire distincte et qu’elles ne font pas partie de l’appel interjeté en vertu de la Loi pour obtenir réparation suite à un refus. Le terme « morte » n’apparaît pas dans la Loi ou dans les Règles sur les brevets, DORS/96-423 (Règles sur les brevets), il s’agit seulement d’une désignation administrative, et l’OPIC a indiqué clairement dans les dossiers publics que l’appel relativement au refus est en instance. L’indication d’une demande de brevet refusée comme étant « morte » n’est pas une preuve nécessaire pour statuer sur le présent appel de la décision du commissaire de refuser la demande de brevet parce que l’invention revendiquée est évidente.
Position de l’appelant
[58] Dans son mémoire supplémentaire des faits et du droit, l’appelant a soumis qu’aucun fondement législatif ne permettait au commissaire d’inscrire que la demande de brevet était « morte » suite à son refus. Dans l’éventualité où elle devait déterminer que le commissaire a erré en refusant la demande pour des raisons d’évidence, la Cour a le pouvoir d’ordonner au commissaire de prendre les mesures nécessaires pour rétablir le statut de demande de brevet en règle et pour enregistrer dûment le paiement des taxes de maintien. Il soutient également que le commissaire ne l’a pas traité équitablement en conformité avec les procédures autorisées par la Loi et les Règles sur les brevets. Les nouveaux éléments de preuve démontrent clairement que l’OPIC ne reconnaîtra aucune erreur relativement à la demande de brevet, mais cherchera plutôt à modifier le motif sur lequel il s’appuie pour justifier la mesure contestée.
Analyse
[59] La Loi n’utilise pas le terme « morte », pas plus que les Règles sur les brevets. L’appelant a joint à l’affidavit de M. Bird daté du 6 septembre 2012, à titre de pièce, un imprimé de la Base de données sur les brevets canadiens intitulé [traduction] « Aide : définitions des statuts administratifs ». Le document explique qu’une demande abandonnée devient morte à la date à laquelle elle ne peut plus être rétablie.
[60] L’appelant ne prétend pas avoir subi un préjudice suite à la désignation de sa demande comme étant morte dans la base de données. Cette preuve démontre, selon lui, que le commissaire a omis de le traiter équitablement, conformément aux procédures autorisées par la Loi ou les Règles sur les brevets. Or, il ne soumet aucun argument juridique étayant cette prétention qui justifierait l’annulation de la décision du commissaire. De plus, l’appelant demande, à titre de réparation relativement à cette nouvelle preuve, que la Cour ordonne la correction de la désignation de la demande de brevet comme étant morte et l’enregistrement de toutes les transactions n’ayant pas été inscrites après que cette désignation a été attribuée, ce qui comprend les paiements des taxes de maintien.
[61] D’autre part, la nouvelle preuve n’appuie pas la prétention de l’appelant selon laquelle l’OPIC ne reconnaîtra aucune erreur ayant été faite à l’égard de la demande de brevet, mais cherchera plutôt à modifier le motif sur lequel il s’appuie pour justifier la mesure contestée. Pourtant, la lettre de l’OPIC, du 29 août 2013, expliquant pourquoi la demande de brevet était indiquée comme étant morte et les mesures qui seraient prises pour régler le problème soulevé par l’appelant, laisse croire le contraire. D’ailleurs, cette question relève de l’administration du registre des brevets.
[62] Je crois également que l’enregistrement d’une demande de brevet refusée comme étant « morte » ne constitue pas une preuve nécessaire pour trancher le présent appel de la décision du commissaire de refuser la demande au motif que l’invention revendiquée est évidente.
[63] Pour ces motifs, la nouvelle preuve n’est pertinente que dans la mesure où elle procure un fondement à la partie de la demande de réparation de l’appelant ayant trait à la modification de la désignation du statut de la demande de brevet s’il obtient gain de cause en appel, ce que l’OPIC ferait vraisemblablement de son propre chef. Cependant, comme j’en suis venue plus loin à la conclusion que l’appel ne peut pas être accueilli, cette nouvelle preuve ne revêt aucune pertinence.
QUESTION 3 : Quelle est la norme de contrôle applicable?
Observations de l’appelant
[64] L’appelant ne soumet pas d’observations relativement à la norme de contrôle applicable dans le présent appel, mais il affirme que le commissaire a fait une mauvaise application des principes juridiques applicables.
Observations de l’intimé
[65] Selon l’intimé, la juge Mactavish a déjà statué dans Blair 2, précitée, que la détermination du critère juridique applicable en matière d’évidence est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte et que le commissaire a correctement relevé le critère applicable, y compris les améliorations du critère apportées dans l’arrêt Sanofi et la décision Janssen, précités, au critère de l’arrêt Beloit. Par ailleurs, une fois que le critère juridique a été correctement relevé, la décision du commissaire relative à l’évidence est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable.
[66] Le commissaire possède une expertise particulière, et comme les questions juridiques en l’espèce relèvent de son domaine d’expertise il y a lieu de faire preuve de retenue (Harvard College, précité, aux paragraphes 149 et 151). Dans l’affaire Genencor, précitée, le juge Gibson a appliqué la norme de la décision raisonnable aux questions de droit faisant intervenir l’interprétation et l’antériorité des revendications, des questions juridiques qui, à son avis, relevaient de l’expertise du commissaire et de l’agent des brevets.
[67] Une conclusion d’évidence est une question de fait qui ne doit pas être modifiée en appel à moins qu’une erreur manifeste ait été commise dans l’appréciation de la preuve et ne devrait être annulée que si la décision du commissaire a été jugée déraisonnable (Créations 2000 Inc c Canper Industrial Products Ltd, [1990] ACF no 1029 (QL), à la page 5, 34 CPR (3d) 178 (CA) (Créations 2000); Halford c Seed Hawk Inc, 2006 CAF 275, au paragraphe 39, 275 DLR (4th) 556 [Halford]; Genencor, précitée; Procter & Gamble Co c Beecham Canada Ltd (1982), 61 CPR (2d), aux pages 1 à 6, 19-20 (CAF), autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 43 NR 263).
[68] Selon l’intimé, l’appelant confond la détermination du critère juridique applicable et son application à la preuve.
Analyse
[69] Il n’est pas nécessaire de procéder dans tous les cas à l’analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise qui lui est soumise est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 57 et 62 (Dunsmuir), Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18).
[70] L’analyse de la norme de contrôle applicable et les décisions de la juge Mactavish dans le deuxième appel relatives à la présente affaire s’appliquent également à la présente instance. La juge était d’accord avec les parties pour dire que la détermination du critère juridique applicable en matière d’évidence est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Halford, précité, au paragraphe 39; CertainTeed Corp. c Canada (Procureur général), 2006 CF 436, aux paragraphes 23 à 27, 289 FTR 312) et que le bon critère avait été appliqué. Dans le présent et troisième appel, les parties ne remettent pas en question la détermination du critère juridique qu’il convient d’appliquer en matière d’évidence.
[71] La juge Mactavish a ensuite conclu ce qui suit :
[51] En fait, il semble que ce que M. Blair conteste réellement est la façon dont le commissaire a appliqué le critère juridique de l’évidence aux faits de l’espèce. Cette opération met en jeu une question mixte de fait et de droit. Au vu de l’élément factuel de l’enquête et de l’expertise du commissaire, cet aspect-là de la décision de ce dernier a droit à une certaine déférence. Tout en reconnaissant que l’on a affaire ici à un appel, plutôt qu’à une demande de contrôle judiciaire, je conclus néanmoins que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la conclusion d’évidence du commissaire est la décision raisonnable : voir Les Papiers Scott Limitée c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 129, 65 C.P.R. (4th) 303, au paragraphe 11.
[72] Par ailleurs, la principale préoccupation de l’appelant en l’espèce concernant la décision du commissaire n’est pas qu’il ait appliqué les mauvais principes, mais bien qu’il ait fait une mauvaise application des principes applicables. Par conséquent, comme l’appelant conteste le traitement et l’évaluation de la preuve par le commissaire, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.
QUESTION 4 : Le commissaire a-t-il commis une erreur en concluant que l’invention proposée par l’appelant est évidente?
Observations de l’appelant
[73] L’appelant avance essentiellement quatre observations, à savoir que le commissaire : (i) n’a pas appliqué les directives expresses de la juge Mactavish; (ii) a analysé les éléments des revendications séparément au lieu d’analyser la combinaison de ces éléments comme un tout; (iii) n’a pas pris en considération équitablement la preuve et (iv) a utilisé la « tendance dans l’art » à titre rétrospectif pour expliquer les lacunes de l’art antérieur.
[74] L’appelant soutient que le commissaire ne s’est pas conformé aux directives de la juge Mactavish de prendre en considération l’affidavit de M. Morris. Le commissaire a plutôt joint le témoignage de M. Morris à ceux de MM. Gillespie, Wilkins et Berry et de Mme Gibson et l’a essentiellement rejeté quant à la question de la nouveauté en considérant qu’elle servait seulement pour déterminer les différences par rapport à l’état de la technique. Par ailleurs, le commissaire a omis de tenir compte du témoignage de M. Morris, qui soutenait que les quatre systèmes vidéo installés après la date de priorité de la demande de brevet dans des voitures de métro essentiellement identiques aux voitures de métro de la CTT mentionnés dans la demande n’arrivaient pas à la combinaison d’éléments revendiquée par l’invention de l’appelant que la Commission a jugée comme étant évidente vu la tendance dans l’art.
[75] L’appelant fait valoir que le commissaire a omis de se conformer aux directives de la juge Mactavish de ne pas dire de l’invention qu’il s’agit d’une série de parties parce que cette invention réside dans le fait que ces parties ont été mises ensemble. Le commissaire soutient qu’il a tenu compte de la combinaison comme étant un tout et jugé qu’il s’agissait d’une nouveauté, mais il examine ensuite les éléments séparément au moment de se pencher sur la question de l’évidence. Le commissaire n’a pas adéquatement pris en compte le témoignage de M. Morris et, si la combinaison de la demande est évidente, il aurait dû expliquer pourquoi quatre autres tentatives subséquentes n’arrivaient pas à cette combinaison. Les connaissances courantes et les antériorités sur lesquelles s’est appuyé le commissaire n’auraient pas permis à la personne versée dans l’art d’arriver directement et facilement à la solution que préconise le brevet (Donald H. MacOdrum, Fox on the Canadian Law of Patents (Toronto (Ontario)) : Carswell, 2013) au paragraphe 4:17(e); Bridgeview Manufacturing Inc c. 931409 Alberta Ltd, 2010 CAF 188, aux paragraphes 47, 51-52, 87 CPR (4th) 195 (Bridgeview)). De plus, la demande de brevet n’était pas examinée par un esprit désireux de comprendre, mais bien par un esprit désireux de ne pas comprendre l’invention.
[76] L’appelant soutient que le commissaire n’a pas pris en considération équitablement sa preuve parce qu’il ne l’a examinée qu’après en être arrivé à sa conclusion selon sa propre interprétation de l’art antérieur. Cette démarche est inappropriée (Phillips c Ford Motor Company of Canada Ltd, [1971] 2 OR 637, à la page 657, 18 DLR (3d) 641 (CA)).
[77] Enfin, l’appelant prétend que le commissaire a commis une erreur dans son analyse de la « tendance dans l’art » parce qu’il a omis de tenir compte du témoignage de M. Morris relativement aux quatre réseaux de métro munis de voitures essentiellement semblables à celles de la CTT qui ont installé des systèmes vidéo après la date de priorité, dont aucun ne comportait l’ensemble complet des éléments de la combinaison de l’appelant. L’importance que le commissaire accorde au pouvoir de prédiction de la « tendance dans l’art » pour rejeter la demande de brevet est inexplicable compte tenu de cette preuve. En l’espèce, la « tendance dans l’art » n’a nullement prédit comment les systèmes vidéo seraient installés dans les réseaux de métro.
Observations de l’intimé
[78] L’intimé formule d’abord des observations sur le critère juridique de l’évidence. Il affirme que les parties s’entendent sur le critère, à savoir que, pour décider si l’invention revendiquée est évidente, la Cour doit examiner l’art antérieur et se demander quelles connaissances générales courantes devraient être attribuées à la personne versée dans la technique (Wellcome Foundation Ltd c Novopharm Ltd (1998), 82 CPR (3d) 129, 151 FTR 47 (C.F. 1re inst.), conf. (2000), 7 CPR (4th) 330 (CAF) (Wellcome)).
[79] L’intimé renvoie au critère juridique de l’évidence supplémentaire de l’arrêt Sanofi, précité, exigeant une démarche flexible et informée à l’égard de l’évidence et reconnaissant qu’une seule expression du critère pour répondre à la question « est-ce évident » ne peut pas s’appliquer à toutes les circonstances. L’intimé convient que le critère de l’arrêt Beloit n’exige pas que tous les aspects de l’invention revendiqués soient divulgués explicitement par l’art antérieur. Il soutient toutefois que, pour déterminer si l’invention en tant que tout aurait été évidente, il est nécessaire d’établir si ce qui est réellement revendiqué aurait été évident. Pour ce faire, il convient de se pencher sur les caractéristiques revendiquées constituant les modifications apportées par l’appelant à l’art antérieur, pour établir si ces modifications auraient donné lieu à une combinaison à laquelle la personne versée dans l’art serait directement et facilement arrivée, tout en tenant compte de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qu’aurait eues cette personne à la date pertinente (Wellcome, précité). Il s’agit de l’analyse ayant été faite à juste titre par le commissaire.
[80] Selon l’intimé, l’appelant rapproche trop le critère de l’évidence au critère de l’antériorité, ce qui pourrait faire perdre tout son sens à l’article 28.3 de la Loi. L’antériorité indique que, même si l’invention est ingénieuse, elle était déjà connue, alors que l’évidence laisse croire que n’importe qui aurait pu le faire. L’art antérieur qui ne suffit pas pour établir l’antériorité peut être suffisant pour établir l’évidence (Créations 2000, précité, aux pages 3 et 4).
[81] L’intimé soutient que le commissaire a examiné l’ensemble de la preuve, y compris l’affidavit de M. Morris, et a jugé que les experts ont fourni une explication sommaire pour leur conclusion relative à l’évidence. M. Morris est un spécialiste de la signalisation des transports en commun et ne constitue pas une personne versée dans l’art, une personne qui connaît bien l’installation de systèmes vidéo. Le commissaire s’est donc tourné vers l’affidavit de M. Ballantyne, qui n’a pas été soumis à la juge Mactavish, pour décider si l’emplacement choisi pour installer les moniteurs faisait appel à de l’ingéniosité ou relevait simplement de connaissances générales courantes que posséderait la personne versée dans l’art. Il a conclu que cette preuve démontrait que le choix de l’emplacement des moniteurs vidéo et des moyens de montage nécessitait un jugement fondé sur des compétences moyennes dans l’art. Cette conclusion a été tirée à la suite de l’examen de l’affidavit de M. Morris et la preuve relative à la personne versée dans l’art, et il s’agit d’une conclusion de fait relevant de l’expertise du commissaire qui appelle à la déférence.
[82] L’intimé soutient que la juge Mactavish a défini la personne versée dans l’art et que le commissaire a invité l’appelant à produire de nouveaux éléments de preuve relativement à la personne versée dans l’art, éléments de preuve que le commissaire a dûment pris en considération.
[83] Selon l’intimé, il ne constitue pas une erreur d’examiner les éléments séparément, dans la mesure où la combinaison est évaluée comme un tout. Les directives données dans Bridgeview, précité, ne disent pas qu’il ne faut pas examiner les éléments séparément, mais bien qu’il ne faut pas conclure trop rapidement à l’évidence simplement parce que les éléments pris individuellement sont bien connus. De même dans Sanofi, précité, la Cour suprême s’est penchée sur les revendications séparément pour établir les différences par rapport à l’art antérieur et s’est demandé si ces différences constituent des étapes évidentes.
[84] Selon l’intimé, le commissaire a examiné les éléments de la revendication, ainsi que les éléments dans leur ensemble. Il a examiné chaque art antérieur et a convenu avec l’appelant qu’aucun ne préconisait l’idée originale de la combinaison des éléments dans leur ensemble contenue dans la demande. Cependant, le fait que l’objet revendiqué soit nouveau ne signifie pas nécessairement que les différences démontrent de l’ingéniosité. Le commissaire a porté son attention sur les indicateurs d’ingéniosité, comme un résultat surprenant, un succès commercial, la satisfaction d’un besoin de longue date, le choix d’une solution avantageuse parmi un ensemble de possibilités et la simplification d’un dispositif, mais n’a trouvé aucun de ces indicateurs. Le commissaire a également indiqué que l’appelant a reconnu l’existence, dans les arts cités, d’une tendance à installer des systèmes vidéo pour divertir et informer les passagers dans différents réseaux de transport.
[85] L’intimé estime que l’appelant a lui-même établi une distinction entre son invention et l’art antérieur en se fondant sur l’examen séparé d’un élément, à savoir l’emplacement. Le commissaire n’en est pas arrivé à sa conclusion quant à l’évidence en jugeant que chacun des éléments était bien connu. Mais, comme l’appelant a souligné les avantages associés à certaines caractéristiques et a établi des distinctions par rapport à l’art antérieur en mettant l’accent sur certaines caractéristiques, le commissaire a dû se prononcer sur l’ingéniosité devant être conférée à ces caractéristiques. Les spécifications apportées par l’appelant lui-même portent à croire qu’une personne versée dans l’art serait en mesure d’évaluer l’installation et de choisir l’emplacement convenant aux moniteurs. Par conséquent, il était loisible au commissaire d’examiner la combinaison par rapport aux métros de la CTT où on avait choisi il y a longtemps l’emplacement préconisé dans la demande de brevet pour les affiches publicitaires, et de conclure qu’il ne faisait pas appel à de l’ingéniosité.
[86] L’établissement de l’existence d’une « moindre parcelle » d’inventivité est une conclusion de fait à laquelle le commissaire peut arriver après avoir examiné l’ensemble de la preuve, notamment l’art antérieur et, s’il le juge nécessaire, la preuve d’expert. Le commissaire a l’expertise nécessaire pour tirer une telle conclusion, et celle-ci appelle à la déférence. En cas d’absence d’analyse à l’appui, le commissaire peut rejeter l’avis d’un expert relativement à l’évidence lorsqu’il « […] s’agit tout au plus d’une conclusion non étayée » (Bridgeview, précité, aux paragraphes 52 et 85).
Analyse
[87] L’article 28.3 de la Loi prévoit que l’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard aux dispositions prévues à l’article.
[88] Dans l’arrêt Beloit, précité, à la page 294, le juge Hugessen a déclaré que « [l]a pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination […] » et qu’il s’agissait de se demander « […] si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, [la personne ainsi décrite] serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet ».
[89] Dans l’arrêt Sanofi, précité, au paragraphe 67, la Cour suprême a réitéré le cadre canadien pour l’établissement de l’évidence et a adopté un outil d’analyse en quatre étapes pour donner une plus grande flexibilité à cette partie du droit canadien des brevets :
1. a) Identifier la « personne versée dans l’art »;
b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;
2. Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;
3. Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;
4. Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité? […]
[90] La question de l’« essai allant de soi » peut se poser à la quatrième étape; il ne s’agit là qu’un seul des faits pouvant être examinés dans le cadre d’une démarche plus large au titre de l’évidence.
[91] En l’espèce, on ne semble pas contester le fait que le commissaire a appliqué le bon critère en matière d’évidence à l’invention revendiquée. L’appelant prétend plutôt que le commissaire a mal appliqué les bons principes et qu’il ne faudrait pas se concentrer sur ce que le commissaire dit qu’il fait, mais bien sur ce qu’il fait réellement. Autrement dit, l’appelant conteste l’application de ce critère.
i) Directives de la juge Mactavish – affidavit de M. Morris
[92] L’appelant soutient que le commissaire ne s’est pas conformé aux directives de la juge Mactavish selon lesquelles il devait examiner l’affidavit de M. Morris. L’ayant admis à titre de preuve nouvelle aux fins de l’appel de l’appelant, la juge Mactavish a conclu que l’affidavit de M. Morris était probant dans la mesure où il démontrait que personne d’autre n’a songé à installer des caméras vidéo dans des voitures de métro à l’endroit précisé par l’appelant. Le témoignage de M. Morris contredisait directement la conclusion tirée par le commissaire dans la première décision, à savoir que la jonction du plafond et des parois latérales d’une voiture de métro est l’emplacement logique, peut-être le seul emplacement disponible où installer un écran vidéo. Elle a déclaré que le témoignage de M. Morris peut « avoir une incidence sur la question de l’évidence et qu’il est nécessaire de [le] prendre en considération ». Par conséquent, le commissaire devait, lors du troisième appel, examiner la preuve.
[93] Dans son affidavit, M. Morris déclare qu’il est un spécialiste de la signalisation des transports en commun et des voies ferroviaires. Il affirme que les systèmes vidéo des métros de quatre villes, Beijing, São Paulo, Shanghai et Séoul, ne comprennent pas la combinaison des éléments décrite dans la revendication 1. Il estime qu’il n’aurait pas été évident à la date de la revendication de combiner les composantes formant les éléments de la revendication 1 en vue de créer un système de présentation vidéo destiné au métro. Ce constat s’appuie sur le fait qu’entre 2000 et 2007 différentes variantes de systèmes de présentation vidéo ont été créées et installées, sans qu’aucune de ces variantes ne contienne l’ensemble des éléments de la revendication 1.
[94] À mon avis, le commissaire a pris en compte l’affidavit de M. Morris et s’est donc conformé aux directives de la juge Mactavish. Il y fait référence expressément aux paragraphes 8 et 72 de sa décision. Par ailleurs, il a mentionné au paragraphe 79 que les pièces jointes à l’affidavit comprennent des photographies de voitures de métro de partout dans le monde et que ces photographies montrent des voitures de métro qui sont équipées de moniteurs vidéo installés à d’autres endroits que ceux mentionnés dans la demande de brevet. Au paragraphe 80, concernant l’affidavit de M. Morris, il a convenu avec l’appelant que, contrairement à la remarque formulée dans la première décision du commissaire, il existe des endroits autres que la jonction entre la paroi latérale et le plafond où il est possible d’installer des moniteurs dans les voitures de métro. Il traite ainsi expressément des points soulevés par la juge Mactavish concernant l’affidavit de M. Morris. De plus, le commissaire a examiné, au paragraphe 81, l’affidavit de M. Morris et les témoignages de MM. Gillespie, Wilkins, Berry et de Mme Gibson, et il a jugé qu’ils font état de la nouveauté de l’invention, mais ne contribuent à l’analyse relative à l’évidence qu'à l’étape 3 - recenser les différences par rapport à l’état de la technique. Le commissaire a également souscrit à l’opinion des experts selon lesquels l’invention est différente de l’état de la technique. Cependant, il a conclu que l’appréciation de l’évidence n’était complète qu’après l’étape 4 et que leurs témoignages n’étaient guère utiles dans l’examen de cette question. Enfin, au paragraphe 82, le commissaire a conclu que, même si Mme Gibson et MM. Wilkins et Morris estimaient que la revendication n’était pas évidente, ils donnent une explication sommaire pour leur conclusion et n’ont pas convaincu le commissaire que l’ingéniosité aurait été nécessaire pour arriver à l’idée originale.
[95] M. Morris est un spécialiste de la signalisation des transports en commun et des voies ferroviaires, il n’a fait valoir aucune compétence en matière d’installation de systèmes de présentation vidéo. En ce qui concerne l’emplacement des moniteurs, à l’étape 1b) de son analyse, le commissaire a conclu que, selon la description faite dans la demande de brevet, le choix de l’emplacement et des moyens de montage nécessitait un jugement fondé sur des compétences moyennes dans l’art et qu’il s’ensuivait que le choix d’un emplacement convenable pour l’installation des moniteurs selon certains paramètres nécessitait des compétences courantes à la date pertinente, ce qui s’accorde avec l’affidavit de Ballantyne. Il convient de souligner que la juge Mactavish ne disposait pas de l’affidavit de Ballantyne et que celui-ci a été produit par l’appelant à titre de nouvelle preuve émanant d’une personne versée dans l’art, c’est‑à‑dire à titre d’expert dans le domaine de l’installation de systèmes vidéo, en complément des affidavits de MM. DiNardo et Ng.
[96] Aux paragraphes 58 à 61 de sa décision, le commissaire a examiné expressément l’emplacement des moniteurs et, conformément à ses conclusions sur les connaissances générales ordinaires, a déclaré que l’installation des moniteurs à partir de paramètres établis est une question de compétences usuelles dans l’art et ne constitue donc pas une idée originale en elle-même.
[97] Par conséquent, dans la mesure où il traitait de l’emplacement où des moniteurs vidéo seraient installés, le témoignage de M. Morris a été pleinement pris en compte par le commissaire qui a accordé, avec raison, plus de poids à l’affidavit de Ballantyne et aux compétences usuelles de la personne versée dans l’art, en concluant que la détermination de l’emplacement ne comportait pas d’étape inventive.
ii) Directives de la juge Mactavish – interprétation de la combinaison comme un tout
[98] L’appelant soumet également que le commissaire a omis de se conformer aux directives de la juge Mactavish de ne pas dire de l’invention qu’il s’agit d’une série de parties parce que cette invention réside dans le fait que ces parties ont été mises ensemble. Le commissaire a plutôt analysé l’ingéniosité associée au choix des éléments séparément.
[99] La juge Mactavish a conclu que, dans la deuxième décision, le commissaire a commis une erreur en appliquant le critère de l’évidence en examinant séparément chaque élément de la première revendication en vue d’établir si cet élément était évident, plutôt que d’examiner la revendication comme un tout. Elle a également conclu qu’il ressortait manifestement de la première revendication et de ses sept éléments essentiels que l’invention que revendique l’appelant comporte une combinaison d’éléments constitutifs, dont certains étaient déjà connus. Par conséquent, lorsqu’une invention revendiquée réside dans la combinaison de divers éléments, [traduction] « on ne peut pas dire de l’invention qu’il s’agit d’une série de parties parce que cette invention réside dans le fait que ces parties ont été mises ensemble » (Omark, précité).
[100] À cet égard, dans la décision Bridgeview, précité, au paragraphe 51, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :
[51] Je souscris à l’argument de Bridgeview selon lequel le brevet 334 expose une invention de combinaison. Il ne serait pas juste vis-à-vis la personne revendiquant une invention de combinaison de décomposer la combinaison en ses éléments pour conclure que, chacun de ceux-ci étant bien connu, ladite combinaison est nécessairement évidente; voir par exemple Stiga Aktiebolag c. S.L.M. Canada Inc. (1990), 34 C.P.R. (3d) 216 (C.F. 1re inst.), page 245, où l’on cite le passage suivant de Wood & Amcolite Ltd. c. Gowshall Ltd. (1936), 54 R.P.C. 37, page 40, de lord juge Greene :
[traduction] La décomposition d’une combinaison en ses éléments constitutifs et l’examen de chacun de ceux-ci en vue d’établir si son utilisation est évidente ou non est, à nos yeux, une démarche qu’il faut appliquer avec de grandes précautions, puisqu’elle tend à masquer le fait que l’invention revendiquée est la combinaison. En outre, cette démarche tend aussi à occulter les faits que la conception de la combinaison détermine et précède normalement la sélection des éléments qui seront combinés, et que la question de l’évidence ou de la non-évidence de chaque acte de sélection doit en général être examinée en fonction de ce facteur. La vraie question, celle qu’il faut se poser en fin de compte, est la suivante : « La combinaison est-elle évidente ou non? »
[101] Le commissaire n’a pas répété cette erreur. Il a analysé correctement l’invention revendiquée en fonction de ses différents éléments et comme un tout, puis a conclu avec raison que, même s’il s’agissait d’une proposition nouvelle, le regroupement de ces éléments ne constituait pas une étape inventive.
[102] Le commissaire a retenu expressément l’observation de l’appelant voulant que l’idée originale est une combinaison d’éléments essentiels, tel que l’a interprétée juge Mactavish, et a accepté de procéder sur ce fondement. Il a également reconnu qu’il convenait de tenir compte des éléments essentiels énoncés dans Bridgeview, précité.
[103] À l’étape 3 de l’analyse, le commissaire a souligné qu’aucune des références à l’art antérieur ne préconisait l’idée originale (p. ex. la combinaison) dans son ensemble. La Commission a accepté que la différence entre le concept inventif et l’état de la technique est la combinaison d’éléments.
[104] À l’étape 4, le commissaire a indiqué que, ayant conclu que l’on ne trouve pas la combinaison dans son ensemble dans l’art antérieur, il était important de souligner que le seul fait d’être différent par rapport à l’art antérieur rend l’objet revendiqué nouveau, mais il ne s’ensuit toutefois pas que la différence nécessitait une certaine ingéniosité.
[105] Ceci est juste; la nouveauté et l’utilité ne sont pas les seules exigences liées à la brevetabilité. L’invention doit également être fondée sur une conception originale. Ce principe est énoncé dans l’arrêt Canadian Gypsum Co c Gypsum, Lime & Alabastine Canada Ltd, [1931] Ex CR 180, à la page 187 :
[traduction] Pour être valable, le brevet doit être fondé sur quelque chose de plus qu’un procédé de fabrication nouveau et utile; il doit reposer d’une façon ou d’une autre sur l’exercice du génie inventif : la réalisation de l’invention doit avoir nécessité un élément original ou un élément créatif.
[106] Le commissaire a énoncé les facteurs évoquant l’ingéniosité, notamment le résultat surprenant, le succès commercial, la satisfaction d’un besoin de longue date, le choix d’une solution avantageuse parmi un ensemble de possibilités et la simplification d’un dispositif. Il n’a relevé aucun de ces indicateurs en l’espèce. La différence par rapport à l’état de la technique semblait plutôt correspondre à la tendance indiquée dans les antériorités dont la mise en œuvre ne nécessite que des compétences moyennes dans l’art. Considérées globalement, les antériorités citées révélaient une tendance relative à l’installation de systèmes vidéo pour divertir et informer les passagers dans différents réseaux de transport. L’antériorité de Doigan et al. porte sur la question du divertissement des passagers lors des voyages de courte durée et des périodes d’attente, ainsi que dans les « systèmes légers de transfert horizontal de passagers sur rails », ce qui, selon l’interprétation du commissaire, comprend les métros. Compte tenu de cette tendance, il a conclu que le choix d’installer un système vidéo dans une voiture de métro ne comporte aucun esprit inventif.
[107] Cependant, après avoir décidé d’installer des systèmes vidéo dans des voitures de métro, selon la tendance dans l’art, il était également important de se demander si la conception de la mise en œuvre revendiquée comportait une étape inventive. C’est dans ce contexte que le commissaire a examiné l’élément de l’emplacement des moniteurs. Comme mentionné précédemment, le commissaire a conclu que l’emplacement des moniteurs à partir des paramètres établis était une question de compétences moyennes et ne constituait donc pas un concept inventif en lui-même et que la personne versée dans l’art est en mesure de prendre en compte les facteurs essentiels pour installer un moniteur vidéo, ce qui comprend l’utilisation visée, la position des utilisateurs et les obstacles.
[108] Le commissaire a également souligné que la description de l’appelant ne semblait pas réserver une grande importance à l’emplacement revendiqué, et il a renvoyé à certains passages de la description pour appuyer sa conclusion. Il a conclu que le choix d’installer des moniteurs vidéo à la jonction entre la paroi latérale et le plafond d’une voiture de métro ne fait preuve d’aucune ingéniosité. Le commissaire a ensuite indiqué que, bien que, dans ses observations, l’appelant n’ait pas insisté sur les autres éléments essentiels, ceux-ci ont été pris en compte aux fins d’un examen exhaustif parce « qu’ils font partie de la combinaison revendiquée ». Il a conclu que la fourniture de plusieurs moniteurs disposés sur toute la longueur et orientés pour pouvoir être vus et la combinaison comportant une source vidéo découlent des compétences moyennes de la personne versée dans l’art et que l’installation au niveau était une caractéristique esthétique. Il a conclu que ces éléments, lorsqu’ils étaient combinés aux autres éléments revendiqués, ne permettaient pas d’établir une étape inventive.
[109] À mon avis, dans sa décision, le commissaire n’a pas disséqué la combinaison en ses moindres éléments constitutifs et examiné chaque élément pour déterminer si son utilisation était évidente. Il a plutôt examiné la combinaison dans son ensemble, en a déterminé les différences par rapport à l’art antérieur et s’est simplement demandé si ces différences dénotaient quelque inventivité comme l’exige l’arrêt Sanofi, précité, au paragraphe 67.
iii) Examen de la preuve par le commissaire
[110] L’appelant soutient que le commissaire n’a pas dûment tenu compte de sa preuve parce qu’il ne l’a examinée qu’après en être arrivé à sa conclusion concernant l’évidence selon sa propre interprétation de l’art antérieur. Selon l’appelant, cette démarche est inappropriée parce que la preuve a pour fonction d’éclairer le processus décisionnel du commissaire, non pas de le convaincre après le fait afin de modifier une idée préconçue.
[111] À mon avis, l’appelant cherche à obtenir une nouvelle appréciation de la preuve. Au paragraphe 37 de sa décision, le commissaire fait état de documents d’art antérieur qui avaient été examinés et mentionne que les experts de l’appelant, MM. Ballantyne, Ng et DiNardo, lui avaient soumis leur interprétation de l’art antérieur. Le commissaire a déclaré qu’il acceptait, de façon générale, leur description, à l’exception de leur interprétation de l’expression « systèmes légers de transfert horizontal de passagers sur rails » figurant dans Doigan qui, à leur avis, ne vise pas les voitures de métro. Le commissaire s’est ensuite penché sur cette question. Il en ressort clairement, aux paragraphes 71 à 83, que l’art antérieur a été examiné au regard de la preuve d’expert produite par l’appelant et avant l’examen plus détaillé de la preuve fournie par les experts.
[112] En l’espèce, le commissaire déclare qu’il lui était impossible de tirer une conclusion quant à l’évidence de la combinaison sans avoir examiné l’ensemble de la preuve présentée par l’appelant. Le commissaire a conclu que la preuve fournie par MM. Ballantyne, Ng et DiNardo ne portait pas sur la question de savoir si l’idée originale comportait une étape inventive. Après avoir examiné leurs affidavits, j’estime qu’il était raisonnablement loisible au commissaire d’en arriver à cette conclusion. M. Ballantyne ne relève pas de manière expresse une étape inventive, mais il affirme que l’invention est nouvelle et que la combinaison des éléments de la première revendication n’aurait pas été évidente à une personne versée dans l’art. MM. Ng et DiNardo souscrivent tout simplement à la conclusion de M. Ballantyne.
[113] Après avoir examiné la preuve, le commissaire a également conclu que, dans leurs témoignages, MM. Morris, Gillespie, Wilkins et Berry et Mme Gibson faisaient état de la nouveauté et contribuaient à dégager les différences par rapport à l’état de la technique, mais qu’ils ne donnaient qu’une explication sommaire pour leur conclusion concernant l’évidence.
[114] Même si le choix de mots du commissaire, lorsqu’il dit que, compte tenu de l’ensemble de la preuve présentée par l’appelant, sa conclusion concernant l’évidence « demeure inchangée », laisse à désirer, il ressort clairement de la décision que le commissaire a examiné et soupesé la preuve produite par l’appelant pour en arriver à sa décision définitive et qu’il ne s’agit pas simplement d’une réflexion après coup.
iv) Utilisation de la tendance dans l’art par le commissaire
[115] L’appelant a également fait valoir que le commissaire a utilisé la « tendance dans l’art » de manière rétrospective pour expliquer les lacunes dans l’art antérieur et qu’il a, plus particulièrement, omis de tenir compte du témoignage de M. Morris ayant trait aux quatre réseaux de métro ayant installé des systèmes vidéo après la date de priorité, dont aucun ne comportait l’ensemble complet des éléments de la combinaison de l’appelant. Par conséquent, la tendance dans l’art n’a pas prédit comment les systèmes vidéo seraient installés dans les réseaux de métro. L’appelant se fonde essentiellement sur ce qu’il qualifie d’art « ultérieur », à savoir l’affidavit de M. Morris, pour s’attaquer à l’analyse de la tendance dans l’art formulée par le commissaire.
[116] Le commissaire a conclu que, considérées comme un tout, les antériorités citées Doigan, Comerzan-Sorin et Tagawa révèlent une tendance en matière d’installation de systèmes vidéo visant à divertir et informer les passagers dans différents réseaux de transport. L’appelant reconnaît l’existence de cette tendance dans le mémoire descriptif, dans lequel il décrit comment divers moyens de transport, autres que les métros, étaient équipés de systèmes vidéo avant la date de dépôt. L’appelant a expliqué qu’on ne s’était pas intéressé aux métros en raison des trajets relativement courts effectués par les passagers. Le commissaire a conclu que cette affirmation était compatible avec Comerzan-Sorin et Tagawa.
[117] Le commissaire a conclu que le brevet délivré à Doigan traite de la question du divertissement des passagers lors des trajets de courte durée et des périodes d’attente. De plus, étant donné son interprétation des « systèmes légers de transfert horizontal de passagers sur rails » de l’antériorité Doigan et al. comme englobant les métros, celle-ci préconise directement la fourniture de systèmes vidéo pour les métros, ou des moyens de transport semblables, pour divertir les passagers. Par conséquent, peu importe si l’application de la tendance relative aux moyens de transport de longue distance au métro constituait une idée inventive, l’antériorité Doigan avait déjà traité de ce sujet avant la date pertinente.
[118] Toutefois, le commissaire s’est également demandé si, à la suite de la décision d’installer un système vidéo dans une voiture de métro, selon la tendance dans l’art, la conception de la mise en œuvre revendiquée par l’appelant comportait une étape inventive. Après avoir examiné la question, le commissaire a conclu que les autres éléments, notamment la caractéristique de l’installation au niveau, lorsqu’ils étaient associés aux autres éléments revendiqués, ne permettaient pas d’établir une étape inventive. Par conséquent, leur examen technique n’a pas démontré l’ingéniosité requise pour justifier la délivrance d’un brevet pour la combinaison revendiquée. Le commissaire a cependant reconnu qu’il lui était impossible de tirer une conclusion sur l’évidence de la combinaison sans que l’ensemble de la preuve présentée par l’appelant ait été examinée et a procédé à l’examen de l’affidavit et autre preuve d’expert.
[119] Il est vrai que, dans la partie de la décision traitant de la tendance dans l’art antérieur de décider d’installer des systèmes vidéo dans des voitures de métro et cherchant à établir si la mise en œuvre revendiquée par l’appelant comportait une étape inventive, le commissaire ne fait pas référence au témoignage de M. Morris. Cependant, l’affidavit de M. Morris ne constituait pas un art antérieur et ne comportait aucun examen de l’art antérieur. Par ailleurs, au moment d’examiner la preuve d’expert, le commissaire a renvoyé expressément au témoignage de M. Morris, notamment en ce qui a trait à l’installation de moniteurs vidéo dans d’autres voitures de métro ailleurs dans le monde. Le commissaire n’a donc pas fait abstraction de cette preuve.
[120] Il est également vrai que le commissaire n’a examiné explicitement le témoignage de M. Morris que relativement à un seul élément de la revendication, à savoir l’emplacement de l’installation des moniteurs vidéo, et non pas dans le contexte de la combinaison des autres éléments de l’invention revendiquée par l’appelant, et ce même si M. Morris affirme que des systèmes de moniteurs vidéo installés dans le métro de quatre autres villes ne comportent pas la même combinaison d’éléments mentionnés dans la première revendication.
[121] Le commissaire a cependant conclu que, même si M. Morris fait état de la nouveauté, son témoignage ne lui vient en aide que pour dégager les différences par rapport à l’état de l’art (étape 3). À cet égard, l’affidavit de M. Morris indique qu’il n’aurait pas été évident de combiner les éléments de la première revendication. Cette conclusion est fondée sur le fait que, entre 2000 et 2007, plusieurs autres variantes de systèmes de présentation vidéo ont été créées et installées, sans qu’aucune de ces variantes ne contienne l’ensemble des éléments de la première revendication. Le commissaire a conclu que M. Morris, à l’instar de Mme Gibson et de M. Wilkins, a donné une explication sommaire quant à sa conclusion relative à l’évidence, et il ne l’a pas convaincu que l’ingéniosité aurait été nécessaire pour arriver à l’idée originale.
[122] En tout état de cause, et bien que je doute de la validité d’utiliser l’évolution ultérieure à la demande de brevet pour contester l’analyse de l’art antérieur, le commissaire en l’espèce a conclu que la tendance était d’installer des systèmes vidéo pour divertir et informer les passagers dans différents réseaux de transport. L’« art ultérieur » concordait parfaitement avec la tendance.
[123] Je crois que l’appelant conteste le poids qui a été accordé à cette preuve d’expert. Cependant, la décision du commissaire est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, et il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve (Dunsmuir, précité).
Conclusion
[124] Une conclusion d’évidence est une question mixte de fait et de droit qui ne devrait être annulée que si la décision du commissaire était déraisonnable (Harvard College, précité, au paragraphe 151; Amazon, précité, au paragraphe 19; Blair 2, précitée, au paragraphe 51; Halford, précité, au paragraphe 39; Dunsmuir, précité, au paragraphe 53). Compte tenu de ce qui précède, j’estime que la conclusion du commissaire selon laquelle l’invention proposée était évidente appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).
[125] En tout état de cause, le commissaire a indiqué qu’il en serait arrivé à la même conclusion ayant conclu que les présentes revendications ont seulement pour effet de substituer les moniteurs vidéo aux affiches publicitaires de l’art antérieur.
JUGEMENT
LA COUR STATUE QUE :
- Le commissaire des brevets doit être retiré de l’intitulé du présent appel à titre d’intimé;
- L’appel est rejeté;
- Aucuns dépens ne seront adjugés.
« Cecily Y. Strickland »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-1745-12
|
INTITULÉ : |
BLAIR c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L'AUDIENCE : |
LE 25 MARS 2014
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
La JUGE STRICKLAND
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 10 SEPTEMBRE 2014
|
COMPARUTIONS :
Peter E.J. Wells
|
POUR L’APPELANT
|
Jacqueline Dais-Visca
|
POUR L’INTIMÉ |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
McMillan LLP. Avocats Toronto (Ontario)
|
POUR L’APPELANT
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
|
POUR L’INTIMÉ
|