Date : 20140904
Dossier : T-1672-12
Référence : 2014 CF 843
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 4 septembre 2014
En présence de monsieur le juge O'Keefe
ENTRE : |
MICHAEL BIRD |
demandeur |
et |
L’AGENCE DU REVENU DU CANADA |
défenderesse |
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] M. Bird (le demandeur) a demandé à l’Agence du revenu du Canada (l’ARC, ou la défenderesse) d’annuler les pénalités et intérêts qu’elle lui réclame relativement aux années d’imposition 2007 et 2008, un pouvoir que confère au ministre le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) (la Loi). Sa demande a toutefois été refusée tant au premier palier d’examen qu’au deuxième. Il s’adresse maintenant à la Cour pour qu’elle procède au contrôle judiciaire de la décision rendue au deuxième palier en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.
[2] Dans son avis comme dans sa demande, le demandeur dit solliciter [traduction] « [l’]annulation des pénalités et intérêts exigés à l’égard des déclarations de revenus pour 2007, 2008, 2009, 2010 ». Dans son affidavit, il dit vouloir obtenir « [un] allègement/[une] renonciation au solde de [son] compte, soit 12 328,39 $ (en date du 25 février 2011) ». Dans son mémoire, il réitère sa demande pour l’obtention d’un [traduction] « allègement complet », mais à titre subsidiaire, il demande à la Cour d’ordonner la révocation du jugement et de l’autoriser à [traduction] « acquitter les sommes en souffrance uniquement à partir des remboursements futurs sans incidence négative additionnelle sur [sa] solvabilité ».
I. Contexte
[3] Le demandeur est directeur d’hôtel; il exploite actuellement un gîte touristique à son domicile. D’après sa demande initiale d’allègement fiscal, ses problèmes ont commencé en 1999 quand il a perdu son emploi à Whistler, en Colombie‑Britannique, et qu’il a déménagé à Charlottetown, à l’Île‑du‑Prince‑Édouard, pour y travailler. Au cours de la période allant de 1999 à 2004, il a été au chômage pendant deux années. Il a aussi reçu un diagnostic, pendant cette même période, indiquant qu’il souffrait de dépression.
[4] En 2001, il a obtenu un emploi à l’extérieur de la province et a dû entretenir deux résidences. Il a accumulé des dettes qu’il n’a pas été en mesure de rembourser et il a pris du retard dans ses paiements d’impôt. Il a voulu vendre sa propriété pour payer ses créanciers, mais l’ARC a empêché la vente et refusé la proposition qu’il lui a présentée en vue du règlement de sa dette fiscale. En raison de cette situation, le demandeur a fait faillite en 2005 et n’en a été libéré que le 14 septembre 2006.
[5] Financièrement, le demandeur s’est remis à flot et, de 2007 à 2010, il a touché de bons revenus : 204 188 $ en 2007, 165 418 $ en 2008, 136 190 $ en 2009 et 179 996 $ en 2010.
[6] Cependant, le demandeur a également effectué des dépenses. Vers la fin de 2007, il a fait l’acquisition d’une maison d’une valeur de 330 000 $. Il a financé cet achat au moyen d’un prêt hypothécaire de 267 303,75 $ assorti d’un taux d’intérêt très élevé (10,9 %). Dans son affidavit, il déclare qu’il faisait des remboursements hypothécaires mensuels de 2 800 $; toutefois, dans son plus récent état mensuel des revenus et dépenses, il a inscrit 2 670 $, alors que l’acte d’hypothécaire parle de versements mensuels de 2 372,61 $. De 2007 à 2010, il a également effectué des paiements mensuels de 1 300 $ au titre d’une hypothèque accessoire grevant la même maison.
[7] Malheureusement, en 2009, le demandeur a perdu son emploi et a été incapable d’en trouver un autre. La plupart des revenus qu’il a touchés en 2010 provenaient de son fonds enregistré de revenus de retraite (le FERR), qui est à présent vide. Par ailleurs, il n’a pas payé en entier les impôts qu’il devait, laissant s’accumuler un solde chaque année : 19 110,49 $ en 2007, 12 220,19 $ en 2008, 723,23 $ en 2009 et 8 011,99 $ en 2010. Les intérêts ont commencé à courir sur certaines de ces sommes le 30 avril 2008, et on lui a aussi exigé des pénalités parce qu’il a produit en retard ses déclarations de revenus pour 2007, 2008 et 2010. Ainsi, en date du 16 mai 2012, il devait à l’ARC un peu plus de 69 000 $ en arriérés d’impôts, en pénalités et en intérêts et, au cours des quatre années précédentes, il n’avait effectué qu’un seul paiement de 426,91 $ au titre de cette dette.
[8] Le 19 novembre 2009, le demandeur a écrit à l’ARC pour lui demander d’annuler les pénalités et les intérêts afférents aux années d’imposition 2007 et 2008, en invoquant son incapacité de payer et en faisant état de bon nombre des circonstances susmentionnées. Il prétend par ailleurs que, plus tard, les fonctionnaires de l’ARC lui ont donné, de vive voix, l’assurance qu’ils envisageraient également la possibilité d’un allègement à l’égard de 2009 et de 2010 sans qu’il ait à en faire la demande officielle.
[9] Pendant ce temps, il touchait de l’assurance‑emploi. Il a fini par décider de devenir travailleur autonome. Il a converti sa maison en gîte touristique, recommencé à offrir des services-conseils en matière de gestion de l’accueil et démarré avec sa femme une entreprise de tourisme réceptif. Plus tard, il a vendu la maison à sa fille et à son beau‑père, et il affirme qu’il a pu verser 55 000 $ à l’ARC depuis novembre 2012.
II. La décision rendue au premier palier d’examen
[10] L’agente de l’application des mesures d’allègement qui a d’abord été saisie du dossier a établi une fiche d’information en date du 17 mars 2011. Après avoir résumé les prétentions du demandeur, elle a relevé que ce dernier avait à maintes reprises produit ses déclarations de revenus personnelles en retard et qu’il n’avait pas agi avec diligence pour remédier à tout retard ou toute omission.
[11] En outre, elle a relevé que les avoirs nets du demandeur, après soustraction de sa dette fiscale, s’élevaient à quelque 129 000 $; elle a donc recommandé le rejet de sa demande. Le document portait la note manuscrite d’un autre examinateur signifiant son adhésion aux conclusions et faisant remarquer que le demandeur avait retiré près de 200 000 $ de ses FERR et régimes enregistrés d’épargne‑retraite (REER) en 2010 sans affecter quelque partie que ce soit de cet argent au remboursement de sa dette fiscale.
[12] Le dossier a ensuite été acheminé au délégué du ministre, directeur adjoint du Bureau des services fiscaux de Charlottetown, qui a souscrit à la recommandation de l’agente et rejeté la demande du demandeur dans une lettre‑type datée du 30 mars 2011. Le directeur adjoint a brièvement passé en revue les facteurs à prendre en compte pour rendre une décision en matière d’allègement fiscal pour ensuite affirmer qu’au terme d’un examen attentif des faits de l’espèce, on ne pouvait conclure que le remboursement de la totalité de la dette causerait de préjudice injustifié.
III. La décision rendue au deuxième palier d’examen
[13] Le demandeur a alors demandé qu’une décision soit rendue au deuxième palier d’examen au motif que le directeur adjoint n’avait pas tenu compte des faits présentés.
[14] Comme dans le cas de l’examen du premier palier, on trouve au dossier une fiche d’information sur l’allègement fiscal, établie cette fois par un autre agent de l’application des mesures d’allègement. Dans ce document, on peut lire que, depuis 2000, le demandeur a produit ses déclarations de revenus à temps uniquement en 2001, en 2005 et en 2009 sans en donner les raisons. Le document fait également mention des revenus assez élevés que le demandeur a touchés entre 2007 et 2010 et souligne qu’il n’a pas effectué de paiements en remboursement de son importante dette fiscale ni des intérêts accumulés depuis 2008.
[15] L’agent a ensuite procédé à l’examen de la situation financière actuelle du demandeur. Le demandeur avait remis à l’ARC des renseignements ayant trait à son actif et à son passif. D’après ces renseignements, sa maison valait 330 000 $ et ses voitures, 4 000 $. La valeur de ces éléments d’actif est toutefois contrebalancée par un prêt hypothécaire de 275 000 $, un solde dû de 6 000 $ sur une carte de crédit, un découvert bancaire de 1 500 $ et une dette de 50 000 $ envers l’ARC. Étant donné que la créance de l’ARC était passée à 69 034 $ au moment d’établir la fiche d’information, l’agent a calculé que la valeur nette des avoirs du demandeur était d’environ 17 500 $. L’agent a également ajouté qu’une recherche effectuée à l’aide de Google Maps a révélé que le demandeur était propriétaire d’un chalet, mais cela n’a pas semblé influencer ses calculs.
[16] De plus, l’agent a relevé le fait que le demandeur avait encaissé son FERR de 130 000 $. Après impôts, il lui restait donc 91 000 $, qu’il a dépensés de la manière suivante : 29 000 $ en remboursement d’un prêt consenti par Able Group, 44 700 $ pour combler un dépassement des dépenses et 17 300 $ au titre d’autres prêts et frais juridiques. De cette somme, il n’a rien affecté au remboursement des arriérés d’impôt.
[17] Finalement, l’agent a analysé l’état des revenus et dépenses du demandeur, qui faisait état d’un manque à gagner mensuel de 18 $; cela dit, les dépenses d’entreprise n’étaient pas séparées des dépenses personnelles, et le demandeur n’a pas non plus précisé quelle proportion de la maison était réservée à un usage personnel. En prenant connaissance de la déclaration de revenus de 2010 ayant trait au gîte touristique, l’agent a constaté le dédoublement d’une certaine partie des dépenses, dont l’assurance, les impôts fonciers, le téléphone et les services publics, les frais de carburant, les frais afférents à un véhicule à moteur et les frais d’intérêt. Même en soustrayant ne serait-ce que le montant des impôts fonciers des dépenses mensuelles du demandeur, celui‑ci se retrouve avec un excédent de 246 $.
[18] Ayant pesé tout ce qui précède, l’agent a recommandé le rejet de la demande. À son avis, le demandeur disposait de suffisamment de ressources pour rembourser sa dette fiscale, mais il ne l’avait pas fait, ayant donné la priorité à d’autres dettes et vécu au‑dessus de ses moyens. L’excédent qu’il a enregistré en 2010 aurait suffi à lui seul à rembourser la totalité de sa dette fiscale. De plus, de 2009 à 2010, il avait versé 46 299 $ en cotisations dans ses REER sans jamais se soucier de sa dette fiscale.
[19] L’examinateur désigné a souscrit à la recommandation et transmis le dossier à un autre délégué du ministre, gestionnaire de la Division des appels en matière d’allègement fiscal au Centre fiscal de Summerside. Dans une lettre datée du 31 juillet 2012, le gestionnaire a lui aussi approuvé la recommandation et rejeté la demande du demandeur.
[20] La lettre citait bon nombre des motifs de rejet déjà suggérés par l’agent. Le gestionnaire commençait par préciser que le demandeur sollicitait un allègement à l’égard des années d’imposition 2007 et 2008 en invoquant ses difficultés financières et son incapacité de payer. Le gestionnaire résumait également les observations du demandeur tout en les rejetant parce que l’ensemble des événements énumérés s’était produit avant la période visée par la demande d’allègement; ainsi, ils n’expliquaient pas pourquoi le demandeur n’avait pas pu produire ses déclarations de revenus à temps ou effectuer les paiements requis.
[21] Par ailleurs, le gestionnaire traitait en termes généraux des dispositions relatives à l’allègement pour les contribuables, soulignant qu’il y avait normalement lieu de tenir compte de quatre facteurs, lesquels consistent à se demander si, par le passé, le contribuable a respecté volontairement ses obligations fiscales, s’il a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance, s’il a fait preuve d’une diligence raisonnable dans la conduite de ses affaires et s’il a agi avec diligence pour remédier à tout retard ou toute omission. Le gestionnaire a conclu que les quatre facteurs jouaient en la défaveur du demandeur.
[22] Le gestionnaire a aussi ajouté que, du point de vue de l’ARC, les difficultés financières correspondent à une incapacité prolongée de subvenir aux besoins essentiels, comme la nourriture et le logement. On les établit normalement au moyen de facteurs tels que le revenu du ménage, les frais de subsistance de base et la capacité de contracter un emprunt. En l’espèce, il a déclaré être dans l’impossibilité de cerner la situation financière du demandeur étant donné qu’il n’y avait pas de véritable séparation entre ses dépenses personnelles et d’entreprise.
[23] En outre, il a affirmé que le demandeur avait touché des revenus suffisants en 2007 et en 2008 pour lui permettre de payer les impôts dus. Il a également souligné le fait qu’au cours des années 2009 et 2010, le demandeur avait versé d’importantes cotisations dans son REER et retiré 130 000 $ de son FERR sans jamais s’occuper de sa dette fiscale.
[24] Le demandeur a donc conclu que l’allègement était injustifié et il a avisé le demandeur que les intérêts continueraient à courir jusqu’au remboursement intégral de sa dette.
IV. La demande de contrôle judiciaire
[25] Par la suite, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue au deuxième palier d’examen. Dans le même temps, il a demandé la communication de toutes les lettres échangées entre lui et l’ARC de 2005 à 2012. La défenderesse s’est opposée à une communication d’une telle étendue et elle a uniquement versé au dossier de la Cour les documents retenus par le décideur. Le demandeur a contesté ce refus, mais le protonotaire Morneau s’est rangé aux arguments de la défenderesse et a refusé d’ordonner la communication d’autres documents.
[26] Le demandeur a cependant été en mesure de retrouver des copies de certaines des lettres manquantes et les a ajoutées à son dossier. Dans l’ensemble, ces lettres se rapportent à six éléments différents : un cas où l’ARC a procédé à une saisie‑arrêt de plus de 100 % de son salaire, son diagnostic de dépression et d’anxiété, la vente de sa maison à sa fille et à son beau‑père, sa faillite, certains chèques dont il prétend qu’ils ont été envoyés à l’ARC, mais jamais encaissés et enfin, l’entreprise dont il est propriétaire avec sa femme.
V. Les questions en litige
[27] La présente demande soulève cinq questions :
A. Les documents supplémentaires soumis par le demandeur sont-ils admissibles?
B. Quelle est la norme de contrôle applicable?
C. Le processus était-il inéquitable?
D. La décision était‑elle déraisonnable?
E. Quelle est la réparation appropriée, s’il en est?
VI. Les observations écrites du demandeur
[28] Selon le demandeur, l’affidavit du gestionnaire était raisonnablement exact. Il s’intéresse donc essentiellement aux documents qui étaient absents du dossier du tribunal mais inclus dans son propre dossier. À son avis, ces documents sont pertinents, étant donné qu’ils se rapportent à des questions évoquées dans sa demande initiale.
[29] Le demandeur n’adopte pas de position particulière sur la question de la norme de contrôle.
[30] Le demandeur affirme être un honnête citoyen ayant traversé une période difficile, mais que l’ARC s’est montrée déraisonnablement fermée et inflexible. Selon lui, le dossier montre qu’en raison de ses difficultés financières et personnelles, notamment sa dépression, il lui a été impossible de se conformer aux exigences de la Loi. Au cours des dernières années, il a été forcé d’épuiser ses économies de toute une vie, ce qui, selon ses dires, est la preuve indubitable de difficultés.
[31] Il ajoute que ses revenus actuels se situent au niveau du seuil de la pauvreté, mais qu’il a malgré tout versé à l’ARC 55 000 $ depuis 2012. En outre, son entreprise montre des signes encourageants, et les intérêts et pénalités qu’il doit à l’ARC sont la seule chose qui l’empêche de retrouver une bonne cote de crédit. Le demandeur conclut son mémoire en demandant à la Cour d’annuler les intérêts et pénalités qu’on exige de lui relativement à ses années d’imposition 2007 à 2010 ou, à titre subsidiaire, de révoquer le jugement prononcé contre lui.
[32] De même, dans la version des faits qu’il expose dans son affidavit, le demandeur formule d’autres doléances. Il estime notamment que la fiche d’information établie par l’agent est incomplète et trompeuse et se plaint de ce que le gestionnaire, dans sa décision, ignore complètement la [traduction] « dimension humaine ». Bien qu’un affidavit ne soit pas le véhicule approprié pour présenter des arguments, j’examinerai également ces plaintes.
VII. Les observations écrites de la défenderesse
[33] La défenderesse note qu’aucun des documents joints à l’affidavit du demandeur n’a été porté à la connaissance du décideur. Cependant, au final, elle ne conteste que l’admissibilité des documents annexés aux pages 99 à 117. Puisqu’ils n’ont pas été annexés à un affidavit à titre de pièces, ils sont à son avis inadmissibles.
[34] En ce qui a trait au fond de la décision, la défenderesse affirme que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable de la décision et que la décision était raisonnable. C’est à juste titre que le gestionnaire a rejeté les éléments de preuve au sujet des événements ayant mené à la faillite, puisqu’ils ne permettaient pas d’expliquer le défaut du demandeur de se conformer à la Loi en 2007 et en 2008. De plus, le demandeur a souvent manqué à ses obligations, il a fourni des renseignements financiers incohérents à partir desquels il a été impossible de cerner sa situation financière, il a omis de payer ses impôts en temps opportun, même s’il en avait les moyens, et il a accordé la priorité à d’autres dettes que sa dette fiscale. De l’avis de la défenderesse, le dossier étaye amplement ces faits qui justifient le rejet de la demande du demandeur.
[35] Au cas où elle aurait tort, la défenderesse fait valoir que les réparations demandées ne sont pas appropriées. Selon elle, la seule chose que la Cour est autorisée à faire est de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision, car seul le ministre a le pouvoir d’annuler les pénalités et intérêts. En outre, la défenderesse affirme que la réparation demandée à titre subsidiaire ne relève pas d’un contrôle judiciaire.
VIII. Analyse et décision
A. Question no 1- Les documents supplémentaires soumis par le demandeur sont-ils admissibles?
[36] L’affidavit du demandeur comporte quelques vices de forme. Contrairement à ce qui est prévu au paragraphe 80(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), il n’est pas établi selon la formule 80A; de même, contrairement aux dispositions du paragraphe 80(3), aucune des pièces jointes ne porte la signature de la personne qui a reçu le serment. En fait, aucune des pièces n’est expressément désignée dans l’affidavit et la plupart d’entre elles n’y sont même pas mentionnées en termes généraux. Ces pièces forment essentiellement un ensemble de feuilles volantes dont l’inclusion dans le dossier n’est pas envisagée par le paragraphe 309(2) des Règles.
[37] Quoi qu’il en soit, la défenderesse s’est uniquement opposée à la production de quelques‑uns de ces documents, soit ceux figurant aux pages 99 à 117 du dossier du demandeur. La défenderesse a parfaitement raison d’affirmer que ces pièces n’ont pas été déposées en conformité avec les Règles, lesquelles ne constituent d’ailleurs pas de simples formalités. Ainsi, le demandeur n’a pas précisé la nature de ces documents ni s’ils étaient ou non authentiques, et il ne s’est pas non plus engagé à attester la véracité des déclarations qui y sont contenues par serment ou affirmation solennelle. Ils sont donc d’une valeur probante douteuse.
[38] Cela dit, en vertu de l’article 55 des Règles, la Cour peut, dans des circonstances spéciales, « modifier une règle ou exempter une partie ou une personne de son application ». En l’espèce, le demandeur n’est pas représenté par un avocat. Il ne s’agit pas là d’une circonstance si spéciale, mais il a essayé de diverses autres manières de se conformer à la procédure de la Cour, alors que les Règles sont parfois complexes. On peut donc s’attendre à ce qu’il y ait quelques irrégularités procédurales qui, à mon sens, sont pardonnables dès lors qu’elles sont commises de bonne foi et qu’aucun préjudice n’en résulte pour l’autre partie. Je considère que ce point de vue est dans une certaine mesure étayé par la décision Wheeldon c Canada (Procureur général), 2012 CF 355, aux paragraphes 17 à 19, [2012] ACF no 403. Dans cette affaire, la Cour a excusé le geste d’une partie qui agissait pour son propre compte et ne s’était pas conformée aux dispositions de l’article 317 des Règles au motif que l’erreur était attribuable à son ignorance de l’existence de ces dispositions et qu’elle‑même avait besoin des documents pour procéder à l’examen au fond de la demande de contrôle judiciaire.
[39] Dans l’affaire qui nous occupe, la nature de la plupart des documents contestés est assez évidente : il s’agit principalement de lettres échangées entre les Bird et d’autres parties, dont l’ARC. Certaines de ces lettres portent un timbre de l’ARC indiquant la date. Le demandeur aurait été en mesure d’identifier la plupart d’entre elles et, du reste, elles ne semblent pas avoir été contrefaites. Par conséquent, je suis convaincu que le défaut d’identifier et d’authentifier les documents était involontaire.
[40] Par ailleurs, l’admission en preuve de ces documents ne causera aucun préjudice à la défenderesse. Ils figuraient dans le dossier que le demandeur a déposé le 10 septembre 2013. La défenderesse a eu tout le temps voulu pour y répondre préalablement au dépôt de son propre dossier, le 7 octobre 2013.
[41] De plus, bien que le rôle de la Cour, dans le cadre du contrôle judiciaire d’une décision, ne consiste pas à apprécier des éléments de preuve n’ayant pas été portés à la connaissance du décideur, il demeure que l’ARC pourrait avoir commis une erreur en ignorant des éléments de preuve pertinents auxquels elle avait accès. Pour cette raison, les éléments de preuve tendant à démontrer que l’ARC avait en sa possession des renseignements pertinents dont elle n’a pas tenu compte pourraient avoir une certaine valeur probante.
[42] À mon sens, ce sont là des circonstances spéciales, et il est dans l’intérêt de la justice de traiter ces documents comme s’il s’agissait de pièces régulièrement produites.
B. Question no 2 – Quelle est la norme de contrôle applicable?
[43] Si la jurisprudence a déjà arrêté la norme de contrôle devant s’appliquer à une question, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir)).
[44] Bien que le demandeur ne l’ait pas formulé de cette façon, certains aspects de son argumentation ayant trait aux documents manquants font naître une question d’équité procédurale. Les questions de cet ordre doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339 (Khosa)). Le décideur doit accorder aux personnes concernées par une décision les droits procéduraux qui leur sont reconnus, bien qu’il puisse parfois y avoir abstention d’accorder réparation si l’erreur procédurale « est un vice de forme et n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice » (voir Khosa, au paragraphe 43).
[45] Pour ce qui est du contrôle de la décision au fond, la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle applicable à une décision rendue en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi est celle de la décision raisonnable (voir Telfer c Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23, au paragraphe 24, 386 NR 212). Cela signifie que la Cour n’interviendra pas si la décision est transparente, justifiable et intelligible et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables, compte tenu de la preuve dont disposait le décideur (voir Dunsmuir, au paragraphe 47 et Khosa, au paragraphe 59). Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada aux paragraphes 59 et 61 de l’arrêt Khosa, les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles-mêmes appropriée à celle qui a été retenue, ni soupeser à nouveau les éléments de preuve.
[46] La portée limitée de l’examen s’explique par le fait que le législateur a choisi de conférer le pouvoir discrétionnaire de rendre ces décisions non pas à la Cour, mais au ministre. Par rapport à ce choix du législateur, la Cour doit faire preuve de retenue : elle ne peut usurper le rôle du ministre. Au contraire, l’unique fonction qui est mienne consiste à décider si le délégué du ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire en toute légalité, ce qui sera le cas s’il a eu recours à un processus équitable et rendu une décision raisonnable. Par conséquent, en ce qui a trait au fond de la décision, je ne peux annuler cette dernière que si les motifs, considérés dans le contexte du dossier, ne révèlent pas pourquoi le gestionnaire en a décidé ainsi ou ne me permettent pas de décider si les conclusions peuvent se justifier au regard des faits et du droit applicable (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 15 et 16, [2011] 3 RCS 708; Dunsmuir, au paragraphe 47).
C. Question no 3 – Le processus était-il inéquitable?
[47] Dans son argumentation, le demandeur s’intéresse entre autres à la question de savoir si la défenderesse a eu raison de ne pas verser au dossier certaines des lettres qu’il avait en sa possession. Il s’agit d’une question qui a été tranchée par le protonotaire et dont je ne suis pas saisi. Toutefois, dans ses observations et son affidavit, le demandeur reproche implicitement au gestionnaire d’avoir manqué à l’équité en ne tenant pas compte de cette correspondance. Après tout, il a soulevé les problèmes se rapportant à sa faillite et au rejet de sa proposition dans sa plainte initiale, et l’ARC aurait pu vérifier l’information en consultant son propre dossier. Elle a plutôt choisi de l’ignorer.
[48] Dans certaines circonstances, je comprends qu’il puisse être injuste qu’un décideur rejette la version des faits d’un demandeur par manque de preuve alors qu’il aurait pu en confirmer l’exactitude à partir de ses propres dossiers.
[49] Toutefois, ce n’est pas ce qui s’est produit ici. Le gestionnaire n’a pas rejeté la version des faits du demandeur. Il n’a jamais nié que le demandeur était dépressif en 2004, ni qu’il travaillait dans une autre province ou qu’il avait fait faillite en 2005. En fait, il n’a même pas nié que l’ARC avait causé sa faillite par son refus obstiné de transiger. Au contraire, le gestionnaire a tout simplement conclu que ces faits, qui avaient eu lieu entre 1999 et 2006, ne permettaient pas d’expliquer pourquoi le demandeur n’avait pas pu produire ses déclarations de revenus pour 2007 et 2008 à temps, ni pourquoi il ne pouvait pas payer l’intérêt couru sur ces impôts au vu de ses importants revenus. Le caractère raisonnable de cette conclusion est un aspect que j’analyserai un peu plus loin, mais, pour l’instant, disons simplement que ce n’est pas un manquement à l’équité de croire les déclarations d’un demandeur sans les vérifier.
D. Question no 4 – La décision était‑elle raisonnable?
[50] Étant donné que l’ARC n’a commis aucune erreur sur le plan procédural, au final, les pièces produites par le demandeur ne sont pas pertinentes. La plupart d’entre elles tendent à prouver des faits déjà reconnus par le décideur (comme le taux d’intérêt élevé du prêt hypothécaire) et aucune ne faisait partie des éléments de preuve présentés à ce dernier. En fait, quelques‑uns des faits, tels que la vente de sa maison et les 55 000 $ versés à l’ARC, se sont produits après le prononcé de la décision du gestionnaire, le 31 juillet 2012. On n’attend pas des décideurs qu’ils prédisent l’avenir.
[51] Dans le même ordre d’idées, on ne saurait reprocher au décideur d’avoir omis de tenir compte d’éléments de preuve que le demandeur n’a pas présentés. Dans son affidavit, le demandeur soutient que l’ARC l’avait traité comme s’il était [traduction] « coupable jusqu’à preuve du contraire »; il reste que les contribuables sont censés payer leurs impôts à temps et que, normalement, ils sont pénalisés s’ils omettent de le faire. L’allègement prévu au paragraphe 220(3.1) est une mesure discrétionnaire, et le ministre n’avait pas à prouver quoi que ce soit. Au contraire, c’est le demandeur qui tentait de convaincre ce dernier de faire une exception pour lui et c’était donc à lui de produire la preuve afférente.
[52] À cet égard, je ne puis accorder de poids à certains éléments, comme les déclarations du demandeur voulant qu’il ait vécu dans son garage et loué sa maison pendant l’hiver 2011 et qu’il n’ait gagné qu’autour de 29 000 $ cette année‑là. Il me faut évaluer la décision du gestionnaire uniquement en fonction de la preuve portée à sa connaissance, et le demandeur n’a pas avancé ces allégations au moment en question.
[53] Passons maintenant au fond de la décision. Bien des faits sur lesquels le décideur s’est fondé ne sont pas remis en doute par le demandeur. En effet, celui‑ci ne nie pas qu’il a à maintes reprises produit en retard ses déclarations de revenus, ni qu’il a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance, ni enfin qu’il a tardé à remédier à ses retards et omissions.
[54] En fait, le demandeur se plaint principalement de quatre aspects de la décision : le fait que le gestionnaire a écarté des éléments de preuve se rapportant à sa dépression et aux circonstances ayant conduit à sa faillite; le défaut du gestionnaire de tenir compte du fait qu’il payait à présent ses impôts assidument; les conclusions du gestionnaire concernant la confusion de ses dépenses; et le défaut de l’ARC de prendre en compte la [traduction] « dimension humaine ». J’examinerai une à une ces récriminations. Par ailleurs, comme le gestionnaire a approuvé les recommandations figurant dans la fiche d’information, il conviendra de s’y référer afin de faire ressortir certaines de ses conclusions au moment de décider si sa décision était raisonnable.
[55] Dans sa lettre initiale, le demandeur affirme qu’il a reçu en 2004 un diagnostic de dépression et qu’à compter de ce moment, il a reçu des soins (depuis, il a produit un billet de médecin mentionnant que le diagnostic était en fait tombé en 2000). Toutefois, le demandeur n’a pas expliqué au gestionnaire quels ont été les effets persistants de cette maladie sur sa vie ou sur les décisions qui ont provoqué ses difficultés financières actuelles. Ainsi, il n’y avait donc pas de preuve permettant de penser que celles-ci étaient liées à son défaut de produire ses déclarations ou de payer ses impôts à temps, et il était donc raisonnable que le gestionnaire écarte ce facteur.
[56] En ce qui a trait aux circonstances entourant sa faillite, le demandeur, dans son affidavit, prétend qu’elles sont pertinentes, puisque cette faillite est à l’origine de sa mauvaise cote de crédit et des intérêts scandaleux qu’il a dû payer pour sa maison. Ces circonstances sont donc liées à son incapacité d’acquitter ses impôts.
[57] Le demandeur affirme que l’achat de la maison était la meilleure option qui s’offrait à lui après avoir perdu sa première résidence et son chalet dans la faillite, puis déménagé deux autres fois lorsque les maisons qu’il louait ont été vendues.
[58] Quoi qu’il en soit, il y a lieu de souligner que le gestionnaire a décidé que, même s’il tenait compte de l’hypothèque contractée, le demandeur avait suffisamment d’argent pour payer ses impôts au moment où ils étaient dus. C’était là la substance de la décision rendue et, par conséquent, les raisons expliquant le montant élevé des versements hypothécaires sont sans importance, puisque le gestionnaire a reconnu qu’il s’agissait de dépenses légitimes. Partant de là, il était raisonnable de ne pas tenir compte des circonstances entourant la faillite, même au vu des explications que fournit maintenant le demandeur.
[59] En ce qui concerne la plainte suivante, le demandeur affirme dans son affidavit que, pour effectuer les calculs figurant à la page 4 de la fiche d’information établie au deuxième palier d’examen, l’agent s’est basé sur les revenus bruts et ignoré le fait qu’il ne recevait en réalité que la moitié de ces sommes après impôts.
[60] Sur la page en question, on trouve deux séries de calculs et on ne sait trop à quelle série le demandeur renvoie. Cela dit, dans un cas comme dans l’autre, son allégation est sans fondement. La première série de calculs est basée sur un formulaire que le demandeur a rempli et qui constitue un état mensuel de ses revenus et dépenses. Le document ne porte pas de date, mais, lors d’une conversation téléphonique avec l’agent, le demandeur a confirmé qu’il était à jour en date du 17 mai 2012. Dans ce formulaire, le contribuable doit inscrire ses revenus nets, et non ses revenus bruts; la fiche d’information ne fait que reproduire fidèlement les réponses du demandeur. Si celui‑ci a inscrit ses revenus bruts sur le formulaire, cela aura entrainé des erreurs dans les calculs de l’agent. Toutefois, il était raisonnable pour ce dernier de présumer que le formulaire avait été bien rempli.
[61] Dans la deuxième série de calculs, l’agent a évalué les dépenses que le demandeur avait déclarées en 2010 par rapport à ses revenus et il a conclu qu’il affichait un excédent de 59 595 $ pour cette année. Pour arriver à cette conclusion, l’agent a pris soin de soustraire de ces revenus les 47 884 $ de retenues d’impôts à la source : il est donc clair qu’il n’a pas uniquement tenu compte des revenus bruts. L’agent a évalué les revenus par rapport au total dû en impôts au mois de janvier 2011.
[62] Il s’ensuit que, dans les deux séries de calculs, l’agent s’est servi des revenus nets, et non des revenus bruts, et que les observations du demandeur ne sont pas fondées. Si le demandeur sous‑entend qu’il ne devrait pas avoir à payer ses arriérés d’impôts du fait qu’il paie ses impôts courants à temps, mentionnons que le fait qu’il respecte à présent ses obligations n’excuse pas ses manquements passés et que le décideur pouvait à juste titre n’accorder aucune importance à cet aspect. En effet, le gestionnaire se devait plutôt d’évaluer la capacité de payer du demandeur et il a raisonnablement conclu que ce dernier était en mesure de payer ses impôts en souffrance au moment où il a présenté sa demande d’allègement, et ce, en plus des impôts qu’il versait sur ses revenus de 2010.
[63] Le demandeur affirme ensuite qu’il confie la préparation de ses déclarations de revenus à un comptable général accrédité et qu’il n’a pas confondu ses dépenses personnelles et celles de son entreprise. Sur ce point, le dossier comporte des lacunes, étant donné que l’agent a déclaré avoir pris en compte la déclaration de revenus de 2010 du gîte touristique pour établir la fiche d’information et que le gestionnaire, je suppose, en a fait autant. Or, cette déclaration ne figure pas au dossier. Il m’est donc impossible de décider s’il était raisonnable que le délégué du ministre tire cette conclusion.
[64] Cela dit, même en supposant que cet aspect de la décision ait été déraisonnable, je ne puis affirmer que la décision, considérée dans son ensemble, était déraisonnable. Dans sa fiche d’information, l’agent a précisé que le demandeur avait versé 46 299 $ en cotisations dans son REER en 2010, même s’il avait auparavant établi ce montant à 27 299 $, et c’est à ce montant que le gestionnaire a dit s’être fié dans son affidavit. Quoi qu’il en soit, il s’agissait d’une somme considérable, et le demandeur reconnaît avoir fait ce geste. Il affirme maintenant l’avoir fait pour réduire le montant des impôts qu’il devait, et il a ensuite affecté les fonds à d’autres usages, mais, quelle que soit la valeur de cette stratégie, il n’a fourni à l’ARC à l’époque aucune explication à cet égard. Il ne dément pas non plus avoir retiré des fonds de ses FERR pour ensuite réserver la totalité des sommes après impôts au règlement d’autres affaires. Il était raisonnable que le délégué du ministre en déduise que le demandeur avait la capacité de payer et qu’il n’a tout simplement pas fait preuve d’une diligence raisonnable dans la conduite de ses affaires dans le cadre du régime d’autocotisation.
[65] Enfin, dans son affidavit, le demandeur soutient que l’ARC a mal saisi la [traduction] « dimension humaine » du dossier ou qu’elle en a fait abstraction. Le demandeur est une personne bien réelle qui s’efforce de faire tout en son pouvoir pour maintenir un équilibre entre ses responsabilités familiales et celles qu’il a envers l’État. Sur la question du choix qu’il a dû faire entre accroître sa dette ou vendre sa maison, il s’exprime ainsi :
[traduction]
En considérant le point de vue humain et pratique, ma décision est devenue plus facile à prendre : payer l’ARC, perdre notre maison, faire de nouveau faillite, laisser tomber ma famille, la décevoir une fois de plus. L’ARC a continué de saisir 40 % de mes revenus : elle était donc payée. J’utiliserais mes économies pour payer, dans l’ordre, la nourriture, le logement, les soins médicaux essentiels, le transport, etc. pour ma famille et pour essayer de trouver un emploi.
[66] Ses préoccupations sont compréhensibles, mais le décideur a conclu qu’il avait, dans les faits, priorisé davantage que les besoins essentiels tels que la nourriture et le logement. Rappelons qu’il a aussi accordé la priorité au remboursement des prêts contractés auprès d’Able Group et au versement de cotisations dans son REER, une conclusion de fait étayée par la preuve.
[67] En pareilles circonstances, je comprends pourquoi le délégué du ministre n’a pas annulé les intérêts et pénalités imposés au demandeur et j’estime que ce résultat peut être justifié, même si le gestionnaire s’est trompé sur la question du mélange des dépenses personnelles et d’entreprise. La décision était raisonnable.
[68] Enfin, avant de clore le débat sur cette question, mentionnons que le demandeur déclare également, dans son affidavit, que l’agent a fait erreur en lui attribuant la propriété d’un chalet. Je conviens que la recherche effectuée par l’agent au moyen de Google Maps n’offrait pas un fondement raisonnable pour arriver à la conclusion contraire. Cela dit, ni l’agent ni le gestionnaire n’ont attaché d’importance au chalet, et cette conclusion n’altère donc pas le caractère raisonnable de la décision.
[69] De la même façon, il importe peu que le gestionnaire n’ait pas tenu compte de la possibilité d’accorder aussi un allègement pour 2009 et 2010. Dans son affidavit, il déclare qu’aucune demande en ce sens ne figurait dans le dossier, mais, de toute façon, d’après les motifs qu’il a rédigés, il est évident qu’il n’aurait pas non plus accordé d’allègement pour 2009 ou 2010. Ainsi, même si cette erreur a eu lieu, elle ne vient pas modifier ma conclusion quant au caractère raisonnable de la décision.
[70] Il semble ressortir de l’affidavit du demandeur que la situation a passablement changé depuis que le gestionnaire a rendu sa décision. Si une demande était présentée maintenant et qu’elle s’appuyait sur la preuve produite par le demandeur, il se pourrait très bien qu’elle aboutisse à un résultat différent. Toutefois, ce n’est pas le genre de question que je suis autorisé à trancher dans le cadre du présent contrôle judiciaire. En effet, ma seule tâche consiste à décider si la décision rendue au deuxième palier d’examen était conforme à l’équité procédurale et si elle était raisonnable au moment de son prononcé, et j’estime que tel était le cas. En conséquence, je rejette la demande de contrôle judiciaire.
[71] En raison de mes conclusions, je n’ai pas à aborder la cinquième question.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« John A. O'Keefe »
Juge
Traduction certifiée conforme.
M.-C. Gervais
ANNEXE
Dispositions législatives pertinentes
Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7
18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande. |
18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought. |
… |
… |
(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut : |
(3) On an application for judicial review, the Federal Court may |
a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable; |
(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or |
b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral. |
(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal. |
Règles des Cours fédérales, DORS/98-106
55. Dans des circonstances spéciales, la Cour peut, dans une instance, modifier une règle ou exempter une partie ou une personne de son application. |
55. In special circumstances, in a proceeding, the Court may vary a rule or dispense with compliance with a rule. |
[…] |
… |
80. (1) Les affidavits sont rédigés à la première personne et sont établis selon la formule 80A. |
80. (1) Affidavits shall be drawn in the first person, in Form 80A. |
[…] |
… |
(3) Lorsqu’un affidavit fait mention d’une pièce, la désignation précise de celle-ci est inscrite sur la pièce même ou sur un certificat joint à celle-ci, suivie de la signature de la personne qui reçoit le serment. |
(3) Where an affidavit refers to an exhibit, the exhibit shall be accurately identified by an endorsement on the exhibit or on a certificate attached to it, signed by the person before whom the affidavit is sworn. |
[…] |
… |
309. (2) Le dossier du demandeur contient, sur des pages numérotées consécutivement, les documents suivants dans l’ordre indiqué ci-après : |
309. (2) An applicant's record shall contain, on consecutively numbered pages and in the following order, |
a) une table des matières indiquant la nature et la date de chaque document versé au dossier; |
(a) a table of contents giving the nature and date of each document in the record; |
b) l’avis de demande; |
(b) the notice of application; |
c) le cas échéant, l’ordonnance qui fait l’objet de la demande ainsi que les motifs, y compris toute dissidence; |
(c) any order in respect of which the application is made and any reasons, including dissenting reasons, given in respect of that order; |
d) les affidavits et les pièces documentaires à l’appui de la demande; |
(d) each supporting affidavit and documentary exhibit; |
e) les transcriptions des contre-interrogatoires qu’il a fait subir aux auteurs d’affidavit; |
(e) the transcript of any cross-examination on affidavits that the applicant has conducted; |
e.1) tout document ou élément matériel certifié par un office fédéral et transmis en application de la règle 318 qu’il entend utiliser à l’audition de la demande; |
(e.1) any material that has been certified by a tribunal and transmitted under Rule 318 that is to be used by the applicant at the hearing; |
f) les extraits de toute transcription des témoignages oraux recueillis par l’office fédéral qu’il entend utiliser à l’audition de la demande; |
(f) the portions of any transcript of oral evidence before a tribunal that are to be used by the applicant at the hearing; |
g) une description des objets déposés comme pièces qu’il entend utiliser à l’audition; |
(g) a description of any physical exhibits to be used by the applicant at the hearing; and |
h) un mémoire des faits et du droit. |
(h) the applicant’s memorandum of fact and law. |
Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl)
220. (3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation. |
220. (3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest. |
[…] |
… |
223. (2) Le ministre peut, par certificat, attester qu’un montant ou une partie de montant payable par une personne — appelée « débiteur » au présent article — mais qui est impayé est un montant payable par elle. |
223. (2) An amount payable by a person (in this section referred to as a “debtor”) that has not been paid or any part of an amount payable by the debtor that has not been paid may be certified by the Minister as an amount payable by the debtor. |
(3) Sur production à la Cour fédérale, un certificat fait en application du paragraphe (2) à l’égard d’un débiteur est enregistré à cette cour. Il a alors le même effet que s’il s’agissait d’un jugement rendu par cette cour contre le débiteur pour une dette du montant attesté dans le certificat, augmenté des intérêts courus jusqu’à la date du paiement comme le prévoit les lois visées au paragraphe (1) en application desquelles le montant est payable, et toutes les procédures peuvent être engagées à la faveur du certificat comme s’il s’agissait d’un tel jugement. Dans le cadre de ces procédures, le certificat est réputé être un jugement exécutoire rendu par cette cour contre le débiteur pour une dette envers Sa Majesté du montant attesté dans le certificat, augmenté des intérêts courus jusqu’à la date du paiement comme le prévoit ces lois. |
(3) On production to the Federal Court, a certificate made under subsection 223(2) in respect of a debtor shall be registered in the Court and when so registered has the same effect, and all proceedings may be taken thereon, as if the certificate were a judgment obtained in the Court against the debtor for a debt in the amount certified plus interest thereon to the day of payment as provided by the statute or statutes referred to in subsection 223(1) under which the amount is payable and, for the purpose of any such proceedings, the certificate shall be deemed to be a judgment of the Court against the debtor for a debt due to Her Majesty, enforceable in the amount certified plus interest thereon to the day of payment as provided by that statute or statutes. |
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-1672-12
|
INTITULÉ : |
MICHAEL BIRD c L’AGENCE DU REVENU DU CANADA
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Charlottetown (ÎLE‑DU‑PRINCE‑ÉDOUARD)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 6 MARS 2014
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT : |
LE JUGE O'KEEFE
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 4 SEPTEMBRE 2014
|
COMPARUTIONS :
Michael Bird, pour son propre compte |
POUR LE DEMANDEUR
|
Devon E. Peavoy
|
POUR LA DÉFENDERESSE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michael Bird Stanhope (Île‑du‑Prince‑Édouard)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada Halifax (Nouvelle‑Écosse)
|
POUR LA DÉFENDERESSE
|