Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140909


Dossier : T-1564-13

Référence : 2014 CF 855

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

DEEPAN BUDLAKOTI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande en vue d’obtenir un jugement déclaratoire selon lequel Deepan Budlakoti (le demandeur) est citoyen canadien et n’est pas assujetti à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Le demandeur est né au Canada en 1989 de parents venus au Canada à titre d’employés du haut‑commissariat de l’Inde.

[2]               Il existe un litige factuel important entre les parties en ce qui concerne la question de savoir si les parents du demandeur ont quitté leur emploi auprès du haut‑commissariat avant ou après la naissance du demandeur. Si ses parents ont quitté leur emploi avant sa naissance, alors le demandeur avait droit à la citoyenneté canadienne du fait qu’il est né au Canada. Quoi qu’il en soit, il détient un certificat de naissance de l’Ontario et il s’est vu délivrer deux passeports canadiens, probablement sur la foi du certificat de naissance de l’Ontario.

[3]               Les dispositions importantes de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-39, sont les suivantes :

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne :

3. (1) Subject to this Act, a person is a citizen if

a) née au Canada après le 14 février 1977;

(a) the person was born in Canada after February 14, 1977;

[…]

. . .

(2) L’alinéa (1)a) ne s’applique pas à la personne dont, au moment de la naissance, les parents n’avaient qualité ni de citoyens ni de résidents permanents et dont le père ou la mère était :

(2) Paragraph (1)(a) does not apply to a person if, at the time of his birth, neither of his parents was a citizen or lawfully admitted to Canada for permanent residence and either of his parents was

a) agent diplomatique ou consulaire, représentant à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger;

(a) a diplomatic or consular officer or other representative or employee in Canada of a foreign government;

b) au service d’une personne mentionnée à l’alinéa a);

(b) an employee in the service of a person referred to in paragraph (a); or

c) fonctionnaire ou au service, au Canada, d’une organisation internationale – notamment d’une institution spécialisée des Nations Unies – bénéficiant sous le régime d’une loi fédérale de privilèges et immunités diplomatiques que le ministre des Affaires étrangères certifie être équivalents à ceux dont jouissent les personnes visées à l’alinéa a).

(c) an officer or employee in Canada of a specialized agency of the United Nations or an officer or employee in Canada of any other international organization to whom there are granted, by or under any Act of Parliament, diplomatic privileges and immunities certified by the Minister of Foreign Affairs to be equivalent to those granted to a person or persons referred to in paragraph (a).

[…]

. . .

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

a) en fait la demande;

(a) makes application for citizenship;

b) est âgée d’au moins dix‑huit ans;

(b) is eighteen years of age or over;

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

[…]

. . .

12. (1) Sous réserve des règlements d’application de l’alinéa 27i), le ministre délivre un certificat de citoyenneté aux citoyens qui en font la demande.

12. (1) Subject to any regulations made under paragraph 27(i), the Minister shall issue a certificate of citizenship to any citizen who has made application therefor.

(2) Le ministre délivre un certificat de citoyenneté aux personnes dont la demande présentée au titre des articles 5 ou 5.1 ou du paragraphe 11(1) a été approuvée.

(2) When an application under section 5 or 5.1 or subsection 11(1) is approved, the Minister shall issue a certificate of citizenship to the applicant.

(3) Le certificat délivré en application du présent article ne prend effet qu’en tant que l’intéressé s’est conformé aux dispositions de la présente loi et aux règlements régissant la prestation du serment de citoyenneté.

(3) A certificate issued pursuant to this section does not take effect until the person to whom it is issued has complied with the requirements of this Act and the regulations respecting the oath of citizenship.

[Non souligné dans l’original.]

II.                Le contexte

A.                Les questions d’immigration

[4]               En bref, en 2010, le demandeur a été condamné à purger trois (3) ans de prison pour trafic d’armes et importation de cocaïne. Pendant qu’il se trouvait en prison, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a établi que, malgré le fait qu’il détenait un passeport canadien, le demandeur n’avait jamais été citoyen canadien. On a préparé un rapport d’interdiction de territoire et le demandeur a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité, en application de l’article 4 de la LIPR.

[5]               L’Inde a nié le fait que le demandeur était un citoyen indien ou qu’il avait droit à la citoyenneté indienne, mais le dossier relatif à cette question est tout au plus sommaire.

[6]               Le demandeur a été libéré de prison et mis en détention par les autorités en matière d’immigration; il a fait l’objet d’une libération conditionnelle en avril 2013. Dans les paragraphes suivants, je décrirai plus en détail les questions d’immigration pertinentes qui se posent à l’égard du demandeur.

[7]               En 2009, le demandeur a été déclaré coupable d’entrée par effraction et condamné à quatre (4) mois de prison. En 2010, un rapport a été établi selon lequel le demandeur a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité du fait de la déclaration de culpabilité prononcée en 2009. Les procédures semblent s’être arrêtées quand, en dépit du fait que CIC prétendait que le demandeur n’était pas un citoyen canadien, ce dernier a remis à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) une copie de son passeport.

[8]               Le 12 décembre 2010, le demandeur a été déclaré coupable de trafic d’armes, de possession d’arme à feu prohibée et de trafic de stupéfiants (cocaïne). Il a été condamné à trois (3) ans de prison.

[9]               En mai 2011, CIC a remis au demandeur un rapport d’interdiction de territoire, au titre de l’article 44 de la LIPR, confirmant que le demandeur était interdit de territoire pour cause de criminalité. Une mesure de renvoi a été prise contre lui eu égard à la déclaration de culpabilité prononcée en 2009.

[10]           Le 8 décembre 2011, à la suite d’une enquête qui s’est tenue en octobre 2011, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a établi que le demandeur était interdit de territoire pour cause de criminalité. La décision de la CISR était axée sur la question de savoir si le demandeur était un citoyen canadien.

[11]           Dans le contexte des procédures de la CISR, la mère du demandeur a déclaré qu’elle avait cessé de travailler pour le haut‑commissariat de l’Inde alors qu’elle était enceinte du demandeur. Le père de ce dernier a affirmé qu’il avait quitté son travail en juin 1989, demandé un permis de travail canadien à Boston et emménagé chez son nouvel employeur. En outre, leur nouvel employeur (le Dr Dehejia) a déclaré qu’il s’était rendu à Boston avec le père du demandeur à l’été 1989 pour régulariser le statut de ce dernier.

[12]           Le commissaire de la CISR n’a pas été convaincu que le demandeur était un citoyen canadien et il a pris une mesure d’expulsion à l’encontre de ce dernier (décision de la CISR du 8 décembre 2011).

[13]           Fait important, le 24 mai 2012, le juge Barnes a rejeté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la CISR datée du 8 décembre 2011.

[14]           En 2012, le demandeur a reçu une décision d’ERAR défavorable.

[15]           En décembre 2012, le demandeur avait purgé sa peine et il a été placé en détention par l’ASFC. Il a été relâché sous caution et sous conditions, lesquelles ont été modifiées le 1er novembre 2013 (mesure prise par la CISR le 1er novembre 2013).

Le demandeur a présenté une requête en vue d’obtenir une injonction interlocutoire interdisant l’exécution judiciaire de toutes les conditions en matière d’immigration qui lui avaient été imposées aux termes de la mesure prrise par la CISR le 1er novembre 2013.

[16]           Le 24 septembre 2013, le demandeur a déposé un avis par lequel il demandait une déclaration de citoyenneté – la question dont la Cour est saisie en l’espèce.

B.                 Les questions relatives à la déclaration de citoyenneté

[17]           Les problèmes du demandeur commencent avec la situation professionnelle de ses parents au moment de sa naissance en octobre 1989. Ses parents sont arrivés au Canada en 1985 pour travailler comme travailleurs domestiques auprès du haut‑commissaire de l’Inde au Canada. Leur emploi a pris fin dans le courant de l’année 1989 – la date exacte fait l’objet d’âpres controverses et les faits dont il est fait état au dossier sont difficiles à démêler.

[18]           Les parents du demandeur sont entrés au Canada en 1985, à titre de travailleurs domestiques accrédités auprès du haut‑commissariat de l’Inde; le 30 septembre 1985, une note diplomatique attestant ce fait a été communiquée au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (le MAECI).

[19]           Le 26 août 1988, une autre note diplomatique est venue préciser que les parents du demandeur avaient emménagé dans la résidence officielle du haut‑commissaire de l’Inde pour continuer leur travail domestique.

[20]           Le demandeur soutient que ses parents ont quitté leur travail auprès du haut‑commissariat de l’Inde en juin 1989. À cet égard, il se fonde sur les mêmes faits de base que ceux dont la CISR était saisie.

[21]           Le demandeur se fonde sur l’affidavit du DDehejia. Dans cet affidavit, le Dr Dehejia a admis qu’il ne se souvenait pas des dates précises auxquelles les parents du demandeur avaient commencé à travailler pour lui.

[22]           Le demandeur se fonde également sur l’affidavit de S.J.S. Chhatwal, un ancien haut‑commissaire de l’Inde, qui a déclaré que les parents du demandeur avaient cessé de travailler pour lui en juin 1989, mais qui ne pouvait pas par ailleurs se souvenir de quelque évènement que ce soit ayant trait à cette période. L’intégrité de ce document est compromise du fait qu’il manque la troisième page de cet affidavit, qui en compte quatre en tout.

[23]           En outre, ce témoignage de vive voix/cet affidavit se trouve affaibli par plusieurs documents de l’époque :

                     le 6 décembre 1989, le père du demandeur a reçu une autorisation d’emploi lui permettant de commencer à travailler pour un autre employeur que le haut‑commissaire de l’Inde;

                     la note afférente contenue dans le SSOBL est ainsi libellée : [traduction] « Le chef de famille et son épouse ont tous deux été employés par le haut‑commissariat de l’Inde jusqu’en décembre 1989. » Dans la note, il est fait référence au fait que leur fils (le demandeur) n’était pas citoyen canadien;

                     le 13 décembre 1989, le père du demandeur a voyagé avec son passeport diplomatique indien;

                     une note diplomatique produite par le haut‑commissariat de l’Inde le 21 décembre 1989 précise que le père et la mère du demandeur ont cessé d’être au service du haut‑commissaire de l’Inde les 12 et 20 décembre 1989, respectivement (M. Chhatwal a affirmé que cette note est erronée, mais aucun représentant du gouvernement indien ne l’a confirmé);

                     le 2 janvier 1990, le Canada a révoqué le statut diplomatique des parents du demandeur.

[24]           Pour compléter les faits, il convient de souligner que les parents du demandeur ont demandé, et finalement obtenu, la citoyenneté canadienne. Dans leurs demandes de citoyenneté respectives, les parents du demandeur ont affirmé que, d’octobre 1989 à août 1993, leur adresse était celle du domicile du Dr Dehejia, en dépit du fait qu’ils aient par ailleurs affirmé qu’ils avaient commencé à travailler pour ce dernier en juin 1989. Il est important de souligner qu’avant de déposer leur demande de citoyenneté, les parents du demandeur, en juin 1992, ont présenté une demande de résidence permanente dans laquelle le demandeur était nommé comme enfant à charge. Un visa et une fiche relative au droit d’établissement ont été produits au nom du demandeur.

[25]           Le demandeur, du fait qu’il est né à Ottawa le 17 octobre 1989, détient un certificat de naissance de l’Ontario, et il s’est vu délivrer un premier et par la suite un second passeport canadien.

[26]           L’affaire tourne autour de la question de savoir si, le 17 octobre 1989, les parents du demandeur étaient au service d’un agent diplomatique, comme le prévoit l’alinéa 3(2)b) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29.

[27]           En l’espèce, les questions en litige sont les suivantes :

                     Le demandeur est‑il citoyen canadien?

                     Le défendeur a‑t‑il pris quelque mesure par suite de laquelle le demandeur est devenu apatride?

                     La situation actuelle entraîne-t-elle une violation des droits du demandeur?

                     Convient‑il maintenant de produire une déclaration de citoyenneté?

La première question et la dernière question sont liées.

III.             Analyse

[28]           Il existe trois raisons principales de ne pas accorder la réparation essentielle demandée – un jugement déclaratoire selon lequel le demandeur détient la citoyenneté canadienne.

[29]           Premièrement, j’entretiens de forts doutes au sujet du fait que la Cour puisse ou doive prononcer un jugement déclaratoire selon lequel le demandeur est citoyen canadien indépendamment de toute autre réparation ou d’autres procédures. Sous le régime législatif en vigueur, c’est au ministre ou potentiellement à un juge de la citoyenneté qu’il revient de produire les documents de citoyenneté. Un refus de produire de tels documents, comme un certificat de citoyenneté, pourrait dès lors faire l’objet d’un contrôle judiciaire devant la Cour.

[30]           En l’espèce, on demande à la Cour de rendre un jugement déclaratoire selon lequel une personne est citoyenne canadienne; toutefois, il n’y a rien dans la loi qui donne à entendre qu’il appartient à la Cour de rendre des jugements déclaratoires aussi vagues. Pour la forme, on peut se demander si une telle réparation s’offre à une personne désireuse d’obtenir la citoyenneté canadienne.

[31]           Deuxièmement, la question en litige en l’espèce a déjà fait l’objet d’une décision de la Cour, ce qui soulève la question de la préclusion. Dans la décision qu’elle a rendue le 8 décembre 2011, la CISR a déclaré qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur était citoyen canadien. Le juge Barnes a confirmé cette décision le 24 mai 2012.

[32]           La présente procédure en vue d’obtenir un jugement déclaratoire constitue une contestation incidente de la décision de la CISR datée du 8 décembre 2011 et une tentative de contourner la décision que le juge Barnes a rendue dans le contexte du contrôle judiciaire de cette décision de la CISR. La question de la citoyenneté se trouvait au cœur de ces décisions; les faits qui ont été allégués étaient les mêmes et les éléments de preuve qui ont été produits étaient à peu près les mêmes que ceux qui ont été produits dans le contexte de la présente demande de jugement déclaratoire.

[33]           Je suis d’avis que la question de la citoyenneté a déjà été tranchée et qu’il ne convient pas que la Cour revienne sur la question dans le contexte d’une procédure ultérieure, mais parallèle.

[34]           Troisièmement, la preuve qui a été produite en l’espèce ne justifie pas la réparation demandée. Il aurait peut‑être été préférable que cette instance soit convertie en action (pour qu’on puisse mieux évaluer la crédibilité), mais la Cour doit examiner la preuve telle qu’elle a été produite. Le dossier n’établit pas que le demandeur est citoyen canadien du fait qu’il est né au Canada.

[35]           La cause du demandeur est largement compromise par la preuve documentaire ainsi que par des incohérences dans ses propres dossiers, et notamment par ce qui suit :

                     le père du demandeur n’a pas reçu un permis de travail l’autorisant à travailler à l’extérieur du haut‑commissariat avant le 13 décembre 1989;

                     les notes contenues dans le SSOBL confirment que le père du demandeur a travaillé pour le haut‑commissariat de l’Inde jusqu’en décembre 1989 et que le demandeur  n’avait pas la citoyenneté canadienne;

                     la note diplomatique du haut‑commissariat de l’Inde confirme que les parents du demandeur ont arrêté de travailler pour le haut‑commissariat à partir des 12 et 20 décembre 1989, respectivement;

                     le père du demandeur a voyagé avec un passeport diplomatique jusqu’au 13 décembre 1989;

                     les parents du demandeur ont présenté une demande de résidence permanente en 1992, laquelle incluait le demandeur – un point qui n’est pas cohérent avec le fait qu’il prétende détenir la citoyenneté canadienne;

                     il existe une contradiction entre l’affirmation des parents du demandeur selon laquelle ils avaient quitté leur emploi auprès du haut‑commissariat en juin 1989 et avaient commencé à travailler pour un nouvel employeur et les renseignements qui apparaissent sur leur demande de citoyenneté, selon laquelle ils ont commencé à vivre chez leur nouvel employeur en octobre 1989. À tout le moins, la contradiction compromet leur version principale.

[36]           La preuve par affidavit pâtit du fait qu’elle est fondée sur des souvenirs d’évènements survenus il y a 25 ans, et plus précisément, du fait des refus de fournir des précisions relatives à cette période.

[37]           La Cour préfère la preuve documentaire aux souvenirs de M. Chhatwal et du Dr Dehejia parce que la preuve en question a été établie à l’époque pertinente et qu’elle est plus compatible avec les autres éléments de preuve connexes.

[38]           La Cour a des doutes au sujet de la crédibilité de la preuve sur laquelle le demandeur se fonde, tant en raison des incohérences et contradictions attribuables aux 25 ans qui se sont écoulés depuis certains faits que des réponses que les témoins ont données quand on les a interrogés.

[39]           Le fait que des passeports aient été délivrés au demandeur n’établit pas de manière décisive que le demandeur a la citoyenneté canadienne. Je reprends le raisonnement adopté par la juge Strickland dans la décision Pavicevic c Canada (Procureur général), 2013 CF 997, 20 Imm LR (4e) 37, quand elle a déclaré que le fait d’avoir délivré un passeport par erreur ne créait pas une préclusion.

[40]           En ce qui concerne la question de savoir si le défendeur a pris quelque mesure en vue de rendre le demandeur apatride, le défendeur n’a rien fait pour priver le demandeur de sa citoyenneté canadienne. La position du demandeur est fondée sur l’hypothèse erronée selon laquelle il détenait déjà la citoyenneté canadienne.

[41]           La question de savoir si le demandeur a la citoyenneté indienne ou a droit à cette citoyenneté n’est pas une question que la Cour peut trancher. À tout le moins, on n’a produit aucune preuve d’expert relative au droit indien et aux droits du demandeur à l’égard de la citoyenneté indienne.

Les dispositions de la loi que le demandeur a invoquées ont trait à la révocation de la citoyenneté et elles ne sont ni applicables ni convaincantes en l’espèce.

[42]           En ce qui a trait à la question de la violation des droits du demandeur, le demandeur affirme qu’on a violé ses droits garantis par les articles 6 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

[43]           En ce qui a trait aux droits garantis par l’article 6 de la Charte, la position du demandeur est tributaire de son statut de citoyen canadien. Dans l’arrêt Solis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 186 DLR (4th) 512 (CAF), 96 ACWS (3d) 455, le juge Rothstein, qui était alors juge auprès de la Cour d’appel fédérale, a confirmé qu’il fallait être citoyen canadien pour se prévaloir des droits garantis par l’article 6 de la Charte.

[44]           Compte tenu de la conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas établi qu’il était citoyen canadien, il ne peut pas y avoir eu de violation des droits garantis par l’article 6 de la Charte.

[45]           En ce qui a trait aux droits garantis par l’article 7 de la Charte, le demandeur a le droit de se réclamer de la protection offerte par cette disposition. Le demandeur affirme que, s’il n’a pas la citoyenneté canadienne, il se retrouve face à la menace d’être expulsé de son pays de naissance, et qu’il devient apatride, ce qui contrevient à son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, y compris en ce qui concerne l’accès aux services sociaux canadiens élémentaires, comme les soins de santé.

[46]           Le demandeur, bien qu’il ait droit à la protection garantie par l’article 7 de la Charte, n’est pas parvenu à établir qu’il y avait eu violation de ses droits garantis par cette disposition.

Comme le juge Mandamin l’a déclaré dans la décision Lee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 614, 167 A.C.W.S. (3d) 859, on ne saurait assimiler le refus de la citoyenneté à une expulsion (dans ce dernier cas, les droits garantis par l’article 7 de la Charte pourraient être invoqués).

[47]           En outre, le fait de refuser l’accès au système de santé financé par l’État ne constitue pas une violation de l’article 7 de la Charte, comme il a été déclaré dans l’arrêt Chaoulli c Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, au paragraphe 104 :

104      La Charte ne confère aucun droit constitutionnel distinct à des soins de santé. Cependant, lorsque le gouvernement établit un régime de soins de santé, ce régime doit respecter la Charte. Nous estimons que l’interdiction de souscrire une assurance médicale que prévoient l’art. 15 de la Loi sur l’assurance maladie, L.R.Q., ch. A‑29, et l’art. 11 de la Loi sur l’assurance‑hospitalisation, L.R.Q., ch. A‑28 (voir l’annexe), contrevient à l’article 7 de la Charte parce qu’elle porte atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne d’une manière arbitraire, non conforme aux principes de justice fondamentale.

[48]           Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’appliquer le critère défini dans l’arrêt Oakes en l’espèce, pour examiner l’objectif de la Loi sur la citoyenneté, le mieux que je puisse faire est de reprendre les propos que le juge Shore a tenus dans la décision Al-Ghamdi c Canada (Affaires étrangères et Commerce international), 2007 CF 559, 314 FTR 1 :

[74]      L’objectif visé par les alinéas 3(2)a) et c) de la Loi sur la citoyenneté est de s’assurer que la citoyenneté n’est pas octroyée à quelqu’un qui est dispensé de la presque totalité des obligations attachées à la citoyenneté (par ex. payer des impôts et respecter les lois criminelles). Il s’agit manifestement d’un objectif important.

Lien rationnel entre la mesure et l’objectif

[75]      Pour s’assurer qu’aucun citoyen n’est dispensé des obligations afférentes à la citoyenneté, le refus d’octroyer la citoyenneté est étroitement lié à l’objectif visé.

[76]      La seule autre alternative consisterait à ne pas accorder l’immunité aux enfants des personnes ayant le statut diplomatique. Une telle mesure irait à l’encontre d’une longue tradition qui existe en droit international et constituerait une ingérence dans l’exercice de la prérogative royale sur les affaires internationales.

[77]      Il n’est pas nécessaire que le gouvernement démontre que le moyen choisi est celui qui est le moins attentatoire que l’on puisse imaginer. Il suffit que « la loi se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables ». En pareil cas, « les tribunaux ne concluront pas qu’elle a une portée trop générale simplement parce qu’ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l’objectif et à la violation » (Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827).

Proportionnalité entre la restriction et l’objectif

[78]      Pour mesurer la proportionnalité entre la restriction et l’objectif, il est important de reconnaître que les alinéas 3(2)a) et c) ont seulement pour effet de refuser la citoyenneté canadienne. Bien que le Canada n’ait aucun pouvoir sur les États étrangers et qu’il ne puisse être certain que chaque enfant né d’un diplomate étranger aura droit à la citoyenneté dans son pays d’origine, il est néanmoins raisonnable de supposer que la plupart y auront droit. Les alinéas 3(2)a) et c) ne traitent donc pas ces enfants différemment des autres citoyens nés dans le pays d’origine de leurs parents.

[79]      À l’instar de tout autre ressortissant étranger, le demandeur peut présenter une demande de résidence permanente en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et une fois qu’il aura rempli les obligations de résidence énoncées à l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté, il pourra demander la citoyenneté.

[80]      Qui plus est, comme les exigences prévues aux alinéas 3(2)a) et c) correspondent aux normes du droit international, leur justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[49]           Par conséquent, même s’il y avait eu violation de l’article 7 de la Charte, la contestation ne tiendrait pas si on devait procéder à une analyse fondée sur le critère énoncé dans l’arrêt Oakes.

IV.             Conclusion

[50]           Pour l’ensemble de ces motifs, je rejette la présente demande de jugement déclaratoire, avec dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de jugement déclaratoire est rejetée, avec dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Alya Kaddour‑Lord, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1564-13

 

INTITULÉ :

DEEPAN BUDLAKOTI

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 juin 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 septembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Yavar Hameed

Ahmad Ramadan

Paul Champ

Peter Stieda

 

POUR LE DEMANDEUR

Korinda McLaine

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hameed & Farrokhzad

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.