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Date : 20140915


Dossier : IMM-7927-13

Référence : 2014 CF 881

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 15 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

VYACHESLAV TALANOV

KARINA BRISSOVA

NATALIA BRISOVA

MIKHAIL TALANOV

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               VU la demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR];

[2]               ET APRÈS avoir examiné la demande et la documentation à l’appui;

[3]               ET APRÈS  avoir  soigneusement étudié les arguments avancés par le conseil de chacune des parties, la Cour doit conclure que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Voici les motifs de cette conclusion.

[4]               La décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire a été prise par la Section de la protection des réfugiés [SPR] qui a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention car leur demande n’a pas de lien avec les motifs prévus à la Convention et qu’ils ne sont pas non plus des personnes à protéger aux termes de l’article 97 de la LIPR parce qu’ils manquent de crédibilité et pouvaient se prévaloir d’une possibilité de refuge intérieur. Le critère applicable dans les affaires de cette nature est celui du caractère raisonnable. (En ce qui concerne le lien avec la Convention, se reporter à Balachandran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 800, et à Servellon Melendez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 700; en ce qui concerne les conclusions relatives à la crédibilité, se reporter à Aguilar Zacarias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1155, et à Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 785; et quant à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur, se reporter à Leon Jimenez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 780, et à  Sandoval Aramburo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 984).

[5]               Il s’ensuit que la norme de contrôle du caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

[6]               J’estime que les faits de l’espèce sont éloquents et mènent inexorablement à la conclusion tirée par la Cour. Les demandeurs sont des citoyens du Kazakhstan et vivaient dans ce pays avant d’arriver au Canada et d’y réclamer l’asile.  Les demandeurs fondent leur demande sur une crainte du frère de M. Talanov, prénommé Igor, qui entretenait à l’époque une relation amoureuse avec Mme Brissova. Les demandeurs prétendent que Mme Brissova a commencé à fréquenter Igor Talanov en 2000. En 2001, Mme Brissova a emménagé dans l’appartement de la famille. Les demandeurs prétendent qu’Igor Talanov a réclamé de l’argent à M. Talanov, Mme Brissova et la mère de celle‑ci (Natalia Brisova) à de nombreuses reprises pour financer sa toxicomanie. Les demandeurs soutiennent aussi qu’Igor Talanov maltraitait physiquement et verbalement Mme Brissova. Ils allèguent qu’Igor Talanov a poignardé M. Talanov la veille du jour de l’An de 2003 lorsque M. Talanov a essayé de défendre Mme Brissova contre Igor qui allait l’attaquer. L’agression au couteau n’a pas été rapportée à la police.

[7]               Après avoir commis un vol en 2003, Igor Talanov a été mis en prison et M. Talanov et Mme Brissova ont commencé à se fréquenter. Ils se sont mariés en octobre 2003 et leur fils Mikhail est né au mois de décembre cette année‑là. Les demandeurs allèguent qu’Igor Talanov a fini de purger sa peine d’emprisonnement en 2005, et bien qu’ils se fussent réinstallés dans une autre ville du Kazakhstan (où ils vivaient avec Mme Brisova), il a continué de les menacer et d’exiger qu’ils lui donnent de l’argent. Les demandeurs prétendent avoir fait appel à la police, mais qu’on leur a dit de régler leur problème eux‑mêmes.  En 2007, Igor Talanov a de nouveau été incarcéré pour vol et sa nouvelle peine devait  prendre fin au mois d’août 2012. Les demandeurs n’ont pas demandé l’aide de la police durant cette période d’emprisonnement.

[8]               En 2007, les demandeurs se sont résignés au fait que leur vie était en danger. Anticipant sa libération, ils se sont préparés à demander l’asile au Canada. M. Talanov est arrivé au Canada via les États-Unis, et a présenté sa demande le 30 mai 2011. Les autres demandeurs sont arrivés plus tard, le 31 août 2011, eux aussi en passant par les États-Unis.

[9]               Je partage sans hésiter l’avis de la SPR que la demande en l’espèce ne peut être examinée qu’en application de l’article 97 de la LIPR, à savoir qu’il s’agit de personnes à protéger.  L’article 96 de la LIPR ne s’applique pas ici parce que la demande est fondée sur des motifs de criminalité, y compris des vendettas, qui n’ont pas de lien avec les motifs énoncés à l’article 96  (Zefi c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2003 CFPI 636).

[10]           La SPR n’est pas convaincue de la véracité des éléments de preuve fournis par les demandeurs à l’appui de leur demande et a tiré maintes conclusions défavorables quant à leur crédibilité. J’estime que les demandeurs n’ont pas présenté suffisamment de « preuves crédibles et dignes de foi » pour établir qu’ils avaient demandé la protection de la police ou pour appuyer leurs allégations selon lesquelles M. Talanov avait été poignardé par son frère.  

[11]           En outre, la SPR n’a pas jugé crédible le comportement des demandeurs et a fait observer que pendant qu’Igor Talanov était incarcéré, ils n’ont pas demandé la protection de la police et que deux des demandeurs (Mmes Brissova et Brisova) étaient retournés au Kazakhstan croyant qu’ils risquaient la mort en restant là.

[12]           La SPR a également effectué ce qui est appelé une « analyse subsidiaire  » avant de prendre sa décision sur l’existence d’une possibilité de refuge intérieur à Astana, la capitale du Kazakhstan.  À l’audience, le commissaire a mentionné la possibilité qu’avaient les demandeurs de s’établir à Astana avec M. Talanov. Dans sa décision, la SPR a fait valoir que « [l]e tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir qu’un bureau responsable des adresses est administré par le gouvernement et que le persécuteur pourrait facilement retrouver les demandeurs d’asile dans la région constituant la PRI proposée » et que « le tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi qui lui permettraient de croire que la police et les autres autorités chargées de l’application de la loi ne pourraient pas offrir une protection de l’État adéquate aux demandeurs d’asile », et ce, même si Igor Talanov retrouvait les demandeurs à Astana. La SPR a conclu que, nonobstant les difficultés de trouver un emploi, il n’était pas déraisonnable de s’attendre des demandeurs qu’ils s’établissent dans la localité qui offrait une possibilité de refuge intérieur. Malgré les vaillants efforts du conseil des demandeurs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée car aucune des conclusions tirées par la SPR n’est déraisonnable au vu des faits de l’espèce et du dossier de la Cour.

[13]           Nous ne devons pas perdre de vue les raisons pour lesquelles ces demandeurs sollicitent l’asile au Canada. Ils craignent que le frère du demandeur principal ne cherche à se venger. Rien ne donne à croire que le frère du demandeur principal est omnipotent ni omniprésent. Il s’agit d’un homme qui a un passé criminel et qui en veut aux membres de sa famille. La Cour suprême du Canada a fixé la barre très haute pour ceux qui demandent la protection à l’étranger. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, elle s’exprime comme suit :

La communauté internationale était destinée à servir de tribune de second ressort pour le persécuté, de «substitut» auquel celui‑ci pourrait s'adresser à défaut de protection locale.  Le droit international relatif aux réfugiés ne repose pas simplement sur la nécessité d'abriter ceux qui sont persécutés par l'État, mais, d'une façon plus générale, sur celle de donner asile à ceux auxquels l'État d'origine ne peut pas fournir ou ne fournit pas de protection contre la persécution (p. 716).

[14]           En l’espèce, la SPR avait de grandes réserves quant à l’authenticité du récit du demandeur principal. Elle avait de bonnes raisons d’hésiter à croire son histoire. Mais, même en la croyant, il n’en reste pas moins que ces demandeurs, au lieu de venir au Canada, avaient la possibilité de s’établir ailleurs dans leur propre pays. La preuve établit clairement qu’ils auraient pu trouver refuge dans leur capitale, à quelque 2000 kilomètres d’où les incidents allégués se sont produits, plutôt que de demander l’asile au Canada.

[15]           La Cour d’appel fédérale dans l’affaire Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, a établi que la question de la possibilité de refuge intérieur doit être soulevée avant qu’une décision ne soit prise. C’est ce qui a été fait en l’espèce. Dès que la question de la possibilité de refuge intérieur a été soulevée, il incombait au demandeur d’établir selon la prépondérance des probabilités qu’il risquait sérieusement d’être persécuté dans sa capitale, à 2000 kilomètres du domicile du persécuteur allégué (voir aussi Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589).

[16]           En l’espèce, la SPR a appliqué le critère pertinent et sa conclusion que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau est raisonnable. Les demandeurs n’ont produit aucun élément de preuve, ni même un argument plausible fondé sur leur vécu, qui aurait pu justifier une conclusion selon laquelle le frère de M. Talanov aurait pu avoir l’envie et le moyen de les retrouver s’ils s’étaient établis à 2000 kilomètres de lui et que, le cas échéant, les autorités locales n’auraient pas pu assurer aux demandeurs le type de protection requis dans ces circonstances. De fait, si le frère du demandeur principal avait eu l’envie et le moyen de les retrouver dans une autre ville du pays située à 2000 kilomètres de chez lui, il aurait tout aussi bien pu les retrouver n’importe où ailleurs où ils auraient cherché refuge. Vu les circonstances de l’espèce, la conclusion de la SPR n’est pas déraisonnable et suffit pour clore le dossier.

[17]           Les demandeurs ont également fait observer que les motifs de la SPR n’étaient pas valables. Ils se sont fondés sur un cas de jurisprudence qui a été mis de côté par la Cour suprême du Canada  dans son arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62. Il suffira, en ce qui nous concerne, de citer la première  phrase du paragraphe 14 de cette décision :

Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat.

[18]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7927-13

 

INTITULÉ :

VYACHESLAV TALANOV, KARINA BRISSOVA, NATALIA BRISOVA, MIKHAIL TALANOV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AOÛT 2014

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

DATE DES MOTIFS :

LE 15 SEPTEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Claudie Lalonde-Tardif

 

POUR LEs DEMANDEURS

 

 

Suzanne Trudel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lord, Poissant et associés

Avocats

Brossard (Québec)

 

POUR LEs DEMANDEURS

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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