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Date : 20131025


Dossier : DES-7-08

 

Référence : 2013 CF 1097

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2013

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

 

ENTRE : 

AFFAIRE INTÉRESSANT UN CERTIFICAT SIGNÉ EN VERTU DU PARAGRAPHE 77(1) DE LA LOI SUR L’IMMIGRATION ET LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS (LIPR);

 

 

ET LE DÉPÔT DE CE CERTIFICAT À LA COUR FÉDÉRALE EN VERTU DU PARAGRAPHE 77(1) DE LA LIPR;

 

 

ET MOHAMED ZEKI MAHJOUB

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Monsieur Mohamed Zeki Mahjoub est visé par une instance concernant un certificat de sécurité engagée en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. En cours d’instance, M. Mahjoub a présenté un avis de question constitutionnelle demandant à la Cour de se prononcer sur la constitutionnalité de l’article 33 et de la section 9 de la LIPR ainsi que de certaines dispositions de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC, 1985, c C‑23 [la Loi sur le SCRS].

 

Redressement demandé

 

[2]               Dans son « avis de question constitutionnelle modifié » du 8 novembre 2012, M. Mahjoub :

sollicite un jugement déclaratoire sous la forme d’une ordonnance déclarant inconstitutionnels et invalides, en vertu de l’article 52 de la Constitution, de l’article 24 de la Charte et de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales :

 

         l’article 33 et la section 9 (articles 77 à 87.2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, (LC 2001, c 27)(« LIPR »), ainsi que les articles 4 et 6 et le paragraphe 7(3) de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence, en eux‑mêmes ou de par leur effet combiné avec les articles 2, 12, 17 et 21 de la Loi sur le SCRS;

 

         les articles 2, 12, 17 et 21 de la Loi sur le SCRS ainsi que les politiques ou directives du SCRS adoptés en vertu de l’article 6 de ladite loi, en eux‑mêmes ou de par leur effet combiné avec la LIPR.

 

 

 

[3]               M. Mahjoub a contesté la constitutionnalité de la Loi sur le SCRS, que j’ai examinée aux paragraphes 18 à 89 de la Décision sur les mandats. Dans les présents motifs, je ne traiterai que de la mise en cause de l’article 33 et de la section 9 de la LIPR ainsi que des articles 4 et 6 et du paragraphe 7(3) de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (certificat et avocat spécial) et une autre loi en conséquence, LC 2008, c 3 [la Loi modifiant la LIPR].

 

[4]               J’ai reproduit les dispositions législatives contestées en annexe 1.

 

Les faits

[5]               Le 26 juin 2000, M. Mahjoub a été arrêté et mis en détention en vertu d’un certificat de sécurité signé sous le régime de l’ancienne LIPR. Le 5 octobre 2001, la Cour fédérale du Canada (sa désignation à l’époque) a conclu que ce certificat de sécurité était raisonnable (Mahjoub (Re), 2001 CFPI 1095) et M. Mahjoub a été jugé interdit de territoire au Canada pour des motifs regardant la sécurité nationale. Des procédures de renvoi ont été engagées contre lui.

 

[6]               En février 2007, plusieurs détenus visés par des certificats de sécurité ont contesté avec succès la constitutionnalité de l’alinéa 78g), de l’article 83 et du paragraphe 84(2) de l’ancienne LIPR (Charkaoui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CSC 9 [Charkaoui I], aux paragraphes 139 et 141). La Cour suprême du Canada a jugé inconstitutionnels certains aspects de l’ancien régime, et suspendu l’invalidité pendant un an, le temps de permettre au Parlement de modifier la LIPR de manière à la rendre conforme à la Charte des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, c 11 (R‑U), annexe B [la Charte] (Charkaoui I, au paragraphe 140).

 

[7]               Au début 2008, le Parlement a donc adopté de nouvelles dispositions de la LIPR par le biais de la Loi modifiant la LIPR, notamment afin d’éliminer la distinction entre étrangers et résidents permanents dans le régime des certificats de sécurité, et de créer le régime des avocats spéciaux en vue de protéger les intérêts des personnes visées lorsque les ministres cherchent à produire des renseignements confidentiels pour prouver le bien-fondé des certificats de sécurité délivrés contre elles.

 

[8]               Le 22 février 2008, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ont signé un certificat de sécurité visant M. Mahjoub en vertu du nouveau régime de la LIPR. Peu après, la présente instance relative au caractère raisonnable du certificat a débuté devant la Cour.

 

[9]               En juin 2008, la Cour suprême du Canada a rendu une autre décision sur la constitutionnalité de l’ancienne LIPR, dans laquelle elle condamnait notamment la destruction de notes originales par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service) comme une violation de l’article 7 de la Charte, et clarifiait les obligations des ministres en matière de divulgation lors des instances portant sur le caractère raisonnable du certificat (Charkaoui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CSC 38 [Charkaoui II]).

 

[10]           Entretemps, conformément à une ordonnance rendue par le juge Mosley, la Cour avait remis M. Mahjoub en liberté en avril 2007 sous réserve de conditions très strictes. En mars 2009, M. Mahjoub a décidé de retourner en détention, car les membres de sa famille ne voulaient plus agir comme cautions de surveillance. Il a été libéré de nouveau en novembre 2009 sous réserve de conditions très strictes.

 

[11]           Le 19 février 2010, M. Mahjoub a déposé un avis de question constitutionnelle mettant en cause la constitutionnalité du nouveau régime de la LIPR. Il a déposé un autre avis de question constitutionnelle le 3 décembre 2010, un avis modifié le 8 novembre 2012, et des observations additionnelles le 16 novembre de la même année.

 

Questions en litige

[12]           J’examinerai les questions suivantes dans le cadre de la présente requête :

 

1.                  Les contestations constitutionnelles de M. Mahjoub ont‑elles un fondement factuel adéquat?

 

2.                  Les articles 4 et 6 et le paragraphe 7(3) de la Loi modifiant la LIPR portent‑ils atteinte aux droits de M. Mahjoub protégés par la Charte?

 

3.                  L’article 33 et la section 9 (articles 77 à 87.2) de la LIPR portent‑ils atteinte aux droits de M. Mahjoub protégés par la Charte?

 

a.                   Faut-il exercer une forme de contrôle judiciaire avant que les ministres ne puissent signer un certificat?

 

i.                    En avisant la personne visée?

 

ii.                  Sans l’aviser, comme dans le cadre d’une procédure intéressant le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité?

 

b.                  Le principe des audiences publiques, garanti à l’alinéa 2b) et aux articles 7 et 11 de la Charte, est‑il mis en péril par les délibérations à huis clos et l’admission d’éléments de preuve confidentiels?

 

i.                    L’article 11 s’applique‑t‑il à la présente instance?

 

ii.                  Les instances à huis clos et ex parte portent‑elles intrinsèquement atteinte aux droits de la personne visée protégés par la Charte?

 

iii.                M. Mahjoub a‑t‑il le droit de contester les revendications de privilèges liés à la sécurité nationale dans le cadre d’un voir dire avant que l’instance ne se poursuive à huis clos?

 

c.                   L’indépendance judiciaire, garantie par l’article 7 de la Charte, est‑elle menacée par les dispositions de la section 9 de la LIPR?

 

i.                    Les juges désignés manquent‑ils intrinsèquement, en apparence ou en réalité, d’indépendance ou d’impartialité?

 

ii.                  Le contrôle exercé par le juge désigné sur la divulgation aux termes des alinéas 83(1)c) et d) de la LIPR menace-t‑il l’indépendance, réelle ou apparente, de la Cour?

iii.                Les audiences à huis clos et l’admission d’éléments de preuve confidentiels menacent‑elles l’indépendance réelle ou apparente de la Cour?

 

iv.                La Cour prend-elle part à l’inconduite alléguée des ministres?

 

d.                  Le régime des avocats spéciaux, tel qu’établi à l’article 85 de la LIPR, combiné à la communication des résumés à la personne visée par le certificat, prévue par l’alinéa 83(1)e), représente-t-il un substitut valable à la divulgation complète de telle sorte que M. Mahjoub soit au fait de la thèse retenue contre lui et puisse y répondre?

 

i.                    La Cour d’appel fédérale a‑t‑elle déjà tranché cette question dans l’arrêt Harkat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 122 [Harkat], en s’inspirant de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui I?

 

ii.                  Le problème inévitable de [traduction] « fractionnement » porte‑t‑il nécessairement atteinte aux droits de M. Mahjoub?

 

iii.                La norme voulant que l’intéressé soit « suffisamment informé », prévue à l’alinéa 83(1)e), porte‑t‑elle atteinte aux droits de M. Mahjoub?

iv.                Si les résumés fournis ne permettent pas d’informer suffisamment la personne visée par le certificat, l’instance porte‑t‑elle atteinte aux droits de M. Mahjoub, et est-ce le cas en l’espèce?

 

e.                   Le droit de M. Mahjoub d’être représenté par un avocat de son choix, au sens de l’article 7 et de l’alinéa 10b) de la Charte, l’indépendance du Barreau et le secret professionnel de l’avocat sont‑ils menacés par le régime des avocats spéciaux établi à l’article 85 de la LIPR?

 

i.                    L’alinéa 10b) est‑il pertinent au regard de la contestation de M. Mahjoub?

 

ii.                  L’absence de secret professionnel de l’avocat entre les avocats spéciaux et M. Mahjoub porte‑t‑elle atteinte à ses droits?

 

f.                   L’exigence selon laquelle la preuve admissible doit être « digne de foi et utile » au sens de l’alinéa 83(1)h) de la LIPR est‑elle inconstitutionnelle parce qu’imprécise, trop générale ou arbitraire?

 

i.                    L’expression « digne de foi et utile » ou une norme de ce type a‑t‑elle été définie par les tribunaux?

 

ii.                  Cette disposition autorise‑t‑elle la présentation d’une preuve disproportionnée ou nettement disproportionnée à l’objectif de présentation d’une preuve équitable et utile?

 

iii.                Cette norme et le paragraphe 83(1.1) portent‑ils atteinte au droit de M. Mahjoub à un procès équitable en n’offrant pas de protection suffisante contre des éléments de preuve non dignes de foi?

 

g.                  Le régime des certificats de sécurité porte‑t‑il atteinte au droit de M. Mahjoub de garder le silence aux termes des articles 7 et 13 de la Charte?

 

i.                    L’article 13 s’applique‑t‑il à la présente instance?

 

ii.                  Compte tenu de la preuve produite à huis clos, la décision de M. Mahjoub de témoigner ou non peut‑elle être tenue pour éclairée?

 

h.                  La norme des « motifs raisonnables de croire » est‑elle trop peu proportionnelle aux répercussions d’une instance concernant un certificat de sécurité et au droit à l’application régulière de la loi?

 

i.                    Le régime de la LIPR autorisait‑il les ministres à détenir arbitrairement M. Mahjoub?

 

i.                    S’agit‑il d’un cas de justice préventive dans lequel la personne concernée doit être autorisée à mener une vie normale, en proportion avec le danger allégué et établi?

 

ii.                  Le cas échéant, le régime de la LIPR répond‑il à cette exigence?

 

Analyse

  1. Les contestations constitutionnelles de M. Mahjoub ont‑elles un fondement factuel adéquat?

 

[13]           Les questions constitutionnelles ne peuvent être tranchées dans un vide factuel. En l’espèce, cependant, la contestation constitutionnelle de M. Mahjoub a un fondement factuel adéquat. À quelques exceptions près dont nous parlerons plus loin, il a été directement affecté par les dispositions contestées. De plus, même s’il n’a pas subi tous les effets possibles de la loi, le demandeur qui invoque la Charte peut soulever une hypothèse raisonnable pour la contester (R. c Big M Drug Mart Ltd. [1985] 1 RCS 295, au paragraphe 117, R. c Heywood, [1994] 3 RCS 761, à la page 799).

 

  1. Les articles 4 et 6 et le paragraphe 7(3) de la Loi modifiant la LIPR portent‑ils atteinte aux droits de M. Mahjoub protégés par la Charte?

 

[14]           Les ministres font valoir que la Loi modifiant la LIPR n’affecte pas les droits de M. Mahjoub protégés par la Charte et donc qu’elle ne peut pas être contestée pour ce motif.

 

[15]           À mon avis, la mise en cause de la Loi modifiant la LIPR par M. Mahjoub doit échouer. Dans la mesure où elle a perturbé le statu quo, la Loi modifiant la LIPR n’a eu d’effet que sur la LIPR elle‑même et non sur des droits individuels. Dans la mesure où elle a maintenu le statu quo et affecté les droits individuels, cette loi a mis en œuvre des dispositions de l’ancienne LIPR que la Cour suprême n’a pas jugé inconstitutionnelles dans l’arrêt Charkaoui I. Les dispositions contestées de cette loi sont les suivantes :

4. La section 9 de la partie 1 de la même loi est remplacée par ce qui suit :

 

[Les articles 76‑87.2 de la LIPR actuelle]

 

6. Aux articles 7 à 10, « Loi » s’entend de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

7. (3) Dans le cas où, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration déposent à la Cour fédérale un nouveau certificat au titre du paragraphe 77(1) de la Loi, édicté par l’article 4 de la présente loi, la personne visée par le certificat qui est détenue au titre de la section 9 de la partie 1 de la Loi à l’entrée en vigueur de la présente loi demeure en détention sans que les ministres aient à lancer un mandat pour son arrestation et sa détention au titre de l’article 81 de la Loi, édicté par l’article 4 de la présente loi; celle qui est en liberté sous condition au titre de la section 9 de la partie 1 de la Loi à l’entrée en vigueur de la présente loi demeure en liberté aux mêmes conditions, à moins que les ministres ne lancent un mandat pour son arrestation et sa détention au titre de l’article 81 de la Loi, édicté par l’article 4 de la présente loi.

 Division 9 of Part 1 of the Act is replaced by the following:

 

[Sections 76‑87.2 of the current IRPA]

 

6. In sections 7 to 10, “the Act” means the Immigration and Refugee Protection Act.

 

7. (3) If, on the day on which this Act comes into force, the Minister of Public Safety and Emergency Preparedness and the Minister of Citizenship and Immigration sign a new certificate and refer it to the Federal Court under subsection 77(1) of the Act, as enacted by section 4 of this Act, the person who is named in the certificate

(a) shall, if they were detained under Division 9 of Part 1 of the Act when this Act comes into force, remain in detention without a new warrant for their arrest and detention having to be issued under section 81 of the Act, as enacted by section 4 of this Act; or

 

(b) shall, if they were released from detention under conditions under Division 9 of Part 1 of the Act when this Act comes into force, remain released under the same conditions unless a warrant for their arrest and detention is issued under section 81 of the Act, as enacted by section 4 of this Act.

 

 

[16]           Les articles 4 et 6 n’affectent en rien les droits individuels de M. Mahjoub. L’article 4 a pour seule fonction de modifier la LIPR. L’article 6 contient seulement des définitions. La seule contestation de M. Mahjoub qui soit étayée concerne l’alinéa 7(3)b), qui a eu pour effet de maintenir les conditions de sa libération puisqu’il concernait sa liberté. Cependant, cette contestation est également non fondée puisque les dispositions de l’ancienne LIPR ayant trait à la détention ont résisté à l’examen constitutionnel effectué dans l’arrêt Charkaoui I (voir notamment les paragraphes 89 et 110).

 

[17]           Je ne suis donc pas convaincu que les dispositions contestées de la Loi modifiant la LIPR soient inconstitutionnelles.

  1. L’article 33 et la section 9 (articles 77 à 87.2) de la LIPR portent‑ils atteinte aux droits de M. Mahjoub protégés par la Charte?

 

[18]           M. Mahjoub conteste, en substance, l’intégralité du régime des certificats de sécurité, tel qu’il existe actuellement en vertu de la section 9 de la LIPR. Bien qu’il avance par ailleurs d’innombrables allégations selon lesquelles le comportement des ministres et des organismes intervenant dans la procédure relative à ces certificats, y compris leurs politiques, porte atteinte à ses droits protégés par la Charte, ces questions ont déjà été examinées dans la Décision sur l’abus de procédure.

 

a.      Faut-il exercer une forme de contrôle judiciaire avant que les ministres ne puissent signer un certificat?

 

[19]           M. Mahjoub fait valoir que le régime de la LIPR porte atteinte à son droit à un procès équitable garanti par la Charte, car il ne prévoit ni surveillance judiciaire ni audience avant que les ministres soient en mesure de signer un certificat de sécurité et de détenir la personne visée. Il propose deux solutions de rechange : une procédure comparable à l’actuelle et qui serait déclenchée avant la signature du certificat de sécurité, et un examen par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS).

 

[20]           Je noterai d’emblée qu’il revient au Parlement de décider de la procédure à suivre dans les instances relatives au certificat. Le fait que M. Mahjoub ait imaginé un régime qui lui paraît plus équitable ne rend pas le régime actuel constitutionnellement inacceptable.

 

                                                              i.      En avisant la personne visée?

[21]           Dans la première solution proposée par M. Mahjoub, la personne visée ne pourrait pas présenter des observations sur la question de savoir si les ministres peuvent signer le certificat sans lui en donner avis. Cela contreviendrait à l’objectif des certificats de sécurité, lequel repose, comme l’explique la juge Dawson au paragraphe 59 de Jaballah (Re), 2010 CF 79, sur les principes « de prudence et de prévention », et reviendrait à alerter les individus dont les ministres estiment qu’ils représentent une grave menace à la sécurité que ceux-ci mènent une enquête et qu’ils ont l’intention de les détenir et de les expulser. Cette solution permettrait à la personne visée par le certificat de se cacher ou de faire échec aux mesures prises par les autorités afin de maintenir la sécurité du pays.

 

 

                                                            ii.      Sans l’aviser, comme dans le cadre d’une procédure intéressant le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité?

 

[22]           La seconde proposition de M. Mahjoub consiste à ce qu’un organe indépendant, comparable au CSARS, examine la preuve présentée par le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile et celui de la Citoyenneté et de l’Immigration à l’appui du certificat de sécurité avant qu’ils ne puissent le signer. Cet organe pourrait même présenter des observations aux ministres, et attirer leur attention sur les faiblesses ou les lacunes de la preuve soumise.

 

[23]           Toutefois, cette solution est difficile à mettre en pratique, car elle retarderait indument la délivrance des certificats de sécurité. Face à des menaces touchant la sécurité nationale, l’exécutif doit pouvoir agir rapidement pour les neutraliser sans être entravé par des processus judiciaires (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 [Suresh], aux paragraphes 120‑121).

 

[24]           M. Mahjoub n’a pas réussi à démontrer que le régime de la LIPR est inconstitutionnel parce qu’il ne prévoit pas de mécanisme d’examen préliminaire faisant intervenir la personne visée ou un organe indépendant avant que les ministres ne délivrent un certificat de sécurité. Par ailleurs, compte tenu des enjeux de sécurité nationale évoqués plus haut, il est difficile d’imaginer comment ces propositions peuvent être mises en pratique dans le cas de personnes considérées comme une menace sérieuse et imminente à la sécurité nationale. Quoi qu’il en soit, j’estime que M. Mahjoub n’a pas démontré que l’absence d’un tel mécanisme d’examen préliminaire porte atteinte à ses droits à un procès équitable. À mon avis, en prévoyant le dépôt obligatoire du certificat devant la Cour fédérale, la section 9 de la LIPR autorise M. Mahjoub à contester le certificat au nom de ses droits garantis par l’article 7, tout en permettant à l’exécutif de répondre rapidement aux menaces imminentes à la sécurité.

 

b.      Le principe des audiences publiques, garanti à l’alinéa 2b) et aux articles 7 et 11 de la Charte, est‑il mis en péril par les délibérations à huis clos et l’admission d’éléments de preuve confidentiels?

 

[25]           M. Mahjoub fait valoir que les procédures à huis clos et l’admission d’éléments de preuve confidentiels portent atteinte au principe des audiences publiques et enfreignent ses droits protégés par l’alinéa 2b) et les articles 7 et 11 de la Charte. Dans l’arrêt Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43 [Vancouver Sun], aux paragraphes 23 et 26, la Cour suprême réaffirme que le principe des audiences publiques est « caractéristique d’une société démocratique », qu’il « s’applique à toutes les procédures judiciaires » et qu’il est « inextricablement lié » à la liberté d’expression protégée par l’alinéa 2b) de la Charte. Par conséquent, M. Mahjoub revendique le droit à une audience publique, et en particulier le droit de contester toute tentative par les ministres d’invoquer le privilège fondé sur la sécurité nationale dans le cadre d’un voir dire avant que l’audience ne se poursuive à huis clos. Or, la formulation impérative de l’alinéa 83(1)c) de la LIPR, « et doit le faire à chaque demande du ministre » le prive de cette possibilité, rendant ainsi automatique le droit des ministres de passer à une audience à huis clos :

83. (1) Les règles ci‑après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2 :

 

[]

 

c) il peut d’office tenir une audience à huis clos et en l’absence de l’intéressé et de son conseil — et doit le faire à chaque demande du ministre — si la divulgation des renseignements ou autres éléments de preuve en cause pourrait porter atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

 

83. (1) The following provisions apply to proceedings under any of sections 78 and 82 to 82.2:

 

 

(c) at any time during a proceeding, the judge may, on the judge’s own motion — and shall, on each request of the Minister — hear information or other evidence in the absence of the public and of the permanent resident or foreign national and their counsel if, in the judge’s opinion, its disclosure could be injurious to national security or endanger the safety of any person;

 

 

                                                              i.      L’article 11 de la Charte s’applique‑t‑il à la présente instance?

[26]           L’un des thèmes constants des observations de M. Mahjoub est qu’il jouit de tous les droits protégés par la Charte qui ne sont normalement accordés qu’aux personnes accusées d’infractions publiques. Le libellé de la Charte ne semble pas étayer cet argument. L’alinéa 11d) prévoit explicitement que « [t]out inculpé a le droit d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable » [non souligné dans l’original].

 

[27]           À première vue, la jurisprudence de la Cour suprême ne semble pas plus appuyer ce point de vue. Dans l’arrêt R. c Wigglesworth, [1987] 2 RCS 541 [Wigglesworth], à la page 554, la Cour a estimé que l’article 11 de la Charte ne peut être invoqué que par « les personnes que l’état poursuit pour des infractions publiques comportant des sanctions punitives, c‑à‑d. des infractions criminelles, quasi criminelles et de nature réglementaire, qu’elles aient été édictées par le gouvernement fédéral ou par les provinces ». À la page 558, la Cour suprême précise que :

[…] ces droits [protégés par l’article 11] sont accordés à ceux qui sont accusés d’infractions criminelles, à ceux qui doivent faire face au pouvoir de poursuite de l’état et qui peuvent très bien subir une privation de liberté par suite de l’exercice de ce pouvoir […] J’estime, pour ce motif, qu’il est préférable de restreindre l’art. 11 aux plus graves infractions que nous connaissons dans notre droit, c‑à‑d. les affaires criminelles et pénales, et de laisser les autres « infractions » relever du critère plus souple de la « justice fondamentale » énoncé à l’art. 7.

 

[28]           Le commentaire de la Cour suprême à la page 560 intéresse particulièrement la présente instance : « Les procédures de nature administrative engagées pour protéger le public conformément à la politique générale d’une loi ne sont pas non plus le genre de procédures relatives à une “infraction”, auxquelles s’applique l’art. 11 ».

 

[29]           Cependant, le juge Wilson explique à la page 562 que le critère non cumulatif comprend deux volets. Une procédure peut ne pas satisfaire au critère de la « nature même », mais remplir celui de la « véritable conséquence pénale ». En d’autres mots, l’article 11 s’applique aux instances non criminelles lorsqu’elles comportent de véritables conséquences pénales. La Cour suprême a déclaré que :

À supposer que cela soit possible, il me semble que dans les cas où il y a conflit entre les deux critères, le critère de la « nature même » doit céder devant celui de la « véritable conséquence pénale ». Si une personne doit subir des conséquences pénales comme l’emprisonnement, qui constitue la privation de liberté la plus grave dans notre droit, j’estime alors qu’elle doit avoir droit à la meilleure protection qu’offre notre droit en matière de procédure.

 

De plus, le juge Wilson n’écarte pas la possibilité que l’article 7 prévoie des mécanismes analogues de protection procédurale. L’arrêt R. c Rodgers, 2006 CSC 15 [Rodgers], au paragraphe 59, endosse le critère Wigglesworth.

 

[30]           Dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Chiarelli, [1992] 1 RCS 711 [Chiarelli], à la page 735, la Cour suprême a déterminé que les dispositions en matière d’expulsion « ne portent pas sur les conséquences pénales des actes de particuliers ». Dans Jaballah (Re), 2010 CF 224, au paragraphe 76, la juge Dawson a estimé que cela voulait dire que les droits protégés par l’article 11 n’entrent pas en jeu dans les procédures relatives aux certificats de sécurité (interdiction de territoire), tout en affirmant que « [l]’article 7 de la Charte peut offrir une protection résiduelle » relativement à ces droits. Elle a conclu, en particulier, que l’alinéa 11c) ne s’appliquait pas. De même, le juge Lemieux a conclu au paragraphe 113 de Harkat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1740, que l’alinéa 11b) ne garantissait pas de droit analogue à celui, en matière criminelle, d’avoir un procès dans un délai raisonnable. Il fonde sa conclusion sur l’arrêt Blencoe c Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 [Blencoe]. Dans les motifs de l’ordonnance rendue le 1er février 2012, la Cour a estimé, après avoir examiné les motifs de détention, que la présomption d’innocence découlant de l’alinéa 11d) de la Charte ne trouvait pas à s’appliquer (au paragraphe 40).

 

[31]           En résumé, même si l’article 11 de la Charte ne s’applique pas aux instances fondées sur la section 9, un grand nombre des droits pertinents garantis par cet article sont protégés à titre résiduel en vertu du droit à un procès équitable énoncé à l’article 7. Ce serait le cas du principe des audiences publiques contenu à l’alinéa 11d).

 

                                                            ii.      Les instances à huis clos et ex parte portent‑elles intrinsèquement atteinte aux droits de la personne visée protégés par la Charte?

 

[32]           M. Mahjoub soutient que les procédures à huis clos et ex parte, comme celles qu’autorise le paragraphe 83(1) de la LIPR, portent intrinsèquement atteinte à la Charte parce qu’elles sont une forme de procès inéquitable et qu’elles enfreignent le principe des audiences publiques.

 

[33]           Les procédures ex parte ne sont pas intrinsèquement injustes, et il reste à prouver qu’elles violent le droit à un procès équitable, même dans le contexte criminel. L’arrêt Rodgers, précité, explique au paragraphe 47 :

 

Il importe de signaler d’abord que la prétention de M. Rodgers ne tient pas la route en ce qu’elle présuppose que le préavis et la participation sont en eux‑mêmes des principes de justice fondamentale auxquels toute dérogation doit être justifiée pour satisfaire à la norme constitutionnelle minimale. Dans ses motifs, le juge Fish paraît partager ce point de vue. J’estime en toute déférence que ce raisonnement est erroné. La norme constitutionnelle applicable est plutôt celle de l’équité procédurale. Son respect peut exiger ou non un préavis et la présence à l’audience — il est bien établi que l’équité dépend entièrement du contexte...

 

 

[34]           L’arrêt Rodgers est cité au paragraphe 57 de l’arrêt Charkaoui I, dans lequel la Cour suprême rappelle également que « [l]e droit d’une partie de connaître la preuve qui pèse contre elle n’est pas absolu ». Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Khawaja, 2007 CAF 388 [Khawaja], la Cour d’appel fédérale pose la question en ces termes aux paragraphes 138‑139 :

Est‑ce un déni de justice fondamentale de la part du procureur général que de dire, en l’absence de M. Khawaja, des choses qu’il ne pourrait pas dire en sa présence? Vu que l’avis et la participation ne sont pas eux‑mêmes des principes de justice fondamentale, on ne saurait répondre à la question en invoquant une règle invariable selon laquelle l’avis et la participation sont requis. Si la raison d’être de la règle audi alteram partem est de laisser une partie produire des renseignements « afin de permettre à l’instance décisionnelle de rendre une décision équitable et raisonnable » (voir l’arrêt Gallant, précité), alors la question est de savoir si la capacité de l’instance décisionnelle d’en arriver à une telle décision a été réduite en raison d’audiences ex parte.

 

Si l’on présume que les règles de la divulgation sont telles que je les ai décrites, la réponse à la question qui vient d’être posée est que la capacité de l’instance décisionnelle d’arriver à une décision équitable et raisonnable a, dans ces conditions, été améliorée, grâce aux audiences ex parte, par rapport à ce qu’elle aurait été autrement. L’absence de M. Khawaja signifie que le procureur général peut parler librement et explicitement des risques que pose la divulgation, mais, aspect plus important, le juge de première instance peut lui poser des questions précises et compter sur des réponses précises. Rien de cela n’est possible si le juge et l’avocat du procureur général sont tenus de s’exprimer à un niveau de généralité qui fait obstacle à une pleine divulgation et à un interrogatoire serré de la part du juge saisi de la demande.

 

[35]           À mon avis, ce raisonnement s’applique également à la procédure à huis clos relative aux certificats de sécurité. Il s’agit évidemment de savoir dans quelle mesure les intérêts de la personne visée doivent être protégés dans le cadre d’une audience à huis clos. Le paragraphe 61 de l’arrêt Charkaoui I explique :

La non‑communication dans le contexte de la sécurité nationale, dont l’étendue peut être assez vaste, ajoutée aux graves atteintes portées à la liberté d’une personne détenue, rend difficile, voire impossible, le recours à une solution de rechange qui satisfasse à l’art. 7. La justice fondamentale exige que soit respecté, pour l’essentiel, le principe vénérable voulant qu’une personne dont la liberté est menacée ait la possibilité de connaître la preuve produite contre elle et d’y répondre. Or, il se peut que la nécessité de protéger la société exclue cette possibilité. Des renseignements peuvent avoir été fournis par des pays ou des informateurs à la condition qu’ils ne soient pas divulgués. Il peut aussi arriver que des renseignements soient sensibles au point de ne pouvoir être communiqués sans que la sécurité publique soit compromise. C’est là une réalité de la société moderne. Pour respecter l’art. 7, il faut soit communiquer les renseignements nécessaires à la personne visée, soit trouver une autre façon de l’informer pour l’essentiel...

 

La Cour suprême laisse donc entendre qu’il n’y aura pas de violation de l’article 7 du moment qu’on aura trouvé une autre façon d’informer la personne visée pour l’essentiel.

 

[36]           Quant au principe des audiences publiques, même si l’arrêt Vancouver Sun explique au paragraphe 26 que « le moins qu’on puisse dire est qu’il ne faut pas modifier à la légère le principe de la publicité des débats en justice », le critère Dagenais/Mentuck a été mis au point pour déterminer si une ordonnance de non publication ou toute autre restriction à la liberté de la presse se justifie au nom de l’équilibre des intérêts, qui « peuvent comprendre les droits qui touchent à la vie privée et à la sécurité » (ibid., au paragraphe 28). L’arrêt Ruby c Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75 [Ruby], souligne de même l’importance du principe (au paragraphe 53), et indique que les procédures à huis clos enfreignent l’alinéa 2b) de la Charte. Cependant, leur existence peut se justifier par l’article premier de la Charte, et même si ce n’était pas le cas des dispositions en cause dans l’arrêt Ruby, la solution consistait à en retenir une interprétation atténuante (au paragraphe 60). Le principe des audiences publiques n’est donc pas absolu.

 

[37]           D’après l’arrêt Vancouver Sun, c’est à la partie qui demande à ce que les procédures soient interdites au public qu’il incombe de prouver que la règle des audiences publiques doit être écartée (paragraphes 31, 83), toute restriction à ce principe constituant une atteinte à l’alinéa 2b) qui doit se justifier au regard de l’article premier de la Charte. D’après M. Mahjoub, cela rend les alinéas 83(1)c) et 83(1)d) inconstitutionnels, car le premier permet aux ministres de demander que l’audience se déroule à huis clos sans en fournir la raison, et que le second n’exige pas que la procédure à huis clos ait un fondement raisonnable ou que la non‑divulgation donne lieu à un redressement.

 

[38]           Je ne peux accepter l’argument de M. Mahjoub voulant que l’alinéa 83(1)c), dans la mesure où il autorise la tenue d’une audience à huis clos à la demande du ministre, porte atteinte à la règle des audiences publiques ou soit de portée excessive. Compte tenu de l’arrêt Ruby, dans lequel des dispositions similaires ont été jugées comme des limites raisonnables à l’alinéa 2b), une telle conclusion serait incompatible avec la jurisprudence existante. La Cour suprême déclarait au paragraphe 60 de l’arrêt Ruby :

J’ai conclu, plus tôt, à la constitutionnalité des dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui, sur demande en ce sens de l’institution fédérale concernée, obligent le tribunal saisi d’un recours en révision à entendre les arguments de cette institution en l’absence de l’autre partie, afin de prévenir toute divulgation accidentelle de renseignements délicats. Il s’ensuit, pour les mêmes motifs, que ces arguments doivent également être entendus à huis clos.  La réparation convenable consiste donc à donner une interprétation atténuante du par. 51(2), de façon qu’il ne s’applique qu’aux audiences ex parte prescrites par le par. 51(3).  Le tribunal saisi d’un recours en révision dispose, aux termes de l’art. 46, du pouvoir discrétionnaire de poursuivre tout ou partie du reste de l’audition en audience publique, à huis clos ou encore à huis clos et en l’absence d’une partie.

 

 

[39]           M. Mahjoub n’a pas le droit, comme il le fait valoir, de contester la revendication du privilège fondé sur la sécurité nationale par les ministres dans le cadre d’un voir dire avant que l’audience ne se déroule à huis clos. Comme l’indique clairement l’arrêt Khawaja, la notification et la participation ne sont pas des principes de justice fondamentale. L’intérêt de la personne visée de contester l’opportunité de la revendication du privilège fondé sur la sécurité nationale par les ministres, peut être plus efficacement servi par les avocats spéciaux à huis clos, où un débat exhaustif peut avoir lieu.

 

[40]           Je rejette pareillement l’observation de M. Mahjoub selon laquelle l’alinéa 83(1)d) n’exige pas que le maintien de la confidentialité des renseignements repose sur un fondement raisonnable et que la non‑divulgation donne lieu à un redressement. À mon avis, cette disposition fixe un seuil élevé à franchir avant que les renseignements ne soient soustraits à la divulgation. Je reproduis la disposition contestée ci‑après, en incluant les alinéas 83(1)b) et e) à titre de mise en contexte :

83. (1) Les règles ci‑après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2 :

 

[]

 

b) il nomme, parmi les personnes figurant sur la liste dressée au titre du paragraphe 85(1), celle qui agira à titre d’avocat spécial dans le cadre de l’instance, après avoir entendu l’intéressé et le ministre et accordé une attention et une importance particulières aux préférences de l’intéressé;

 

 

 

[…]

 

d) il lui incombe de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

 

e) il veille tout au long de l’instance à ce que soit fourni à l’intéressé un résumé de la preuve qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et qui permet à l’intéressé d’être suffisamment informé de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause;

 

83. (1) The following provisions apply to proceedings under any of sections 78 and 82 to 82.2:

 

 

(b) the judge shall appoint a person from the list referred to in subsection 85(1) to act as a special advocate in the proceeding after hearing representations from the permanent resident or foreign national and the Minister and after giving particular consideration and weight to the preferences of the permanent resident or foreign national;

 

 

(d) the judge shall ensure the confidentiality of information and other evidence provided by the Minister if, in the judge’s opinion, its disclosure would be injurious to national security or endanger the safety of any person;

 

(e) throughout the proceeding, the judge shall ensure that the permanent resident or foreign national is provided with a summary of information and other evidence that enables them to be reasonably informed of the case made by the Minister in the proceeding but that does not include anything that, in the judge’s opinion, would be injurious to national security or endanger the safety of any person if disclosed;

 

[41]           Tout d’abord, l’alinéa 83(1)d) oblige le juge à maintenir la confidentialité des renseignements fournis par le ministre si leur divulgation « porterait » atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Le juge doit donc déterminer si les ministres ont raison de prétendre que la divulgation des renseignements fournis en l’absence d’une partie serait préjudiciable, avant de protéger leur confidentialité. Si les instances à huis clos sont justifiées au regard de l’article premier de la Charte dans de telles circonstances, il s’ensuit logiquement que la non-communication des renseignements dans le cadre de ces procédures est aussi justifiée (Almrei (Re), 2009 CF 1263, aux paragraphes 113, 117 [Almrei]). Il est loisible aux avocats spéciaux de faire valoir au nom de la personne visée que la revendication des ministres n’est pas justifiée, et d’exiger que les renseignements lui soient divulgués.

 

[42]           Deuxièmement, l’alinéa 83(1)e) exige que la personne visée obtienne un « résumé de la preuve […] qui [lui] permet[te] […] d’être suffisamment informé de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause ». Si elle n’offre pas de redressement dans tous les cas de non‑divulgation (ce qui n’est pas toujours indispensable, suivant l’arrêt Ruby), cette disposition, combinée au régime des avocats spéciaux créé par l’alinéa 83(1)b), permet d’assurer l’équité de l’instance.

 

[43]           Pour finir, je me pencherai sur l’argument de M. Mahjoub selon lequel les instances à huis clos et ex parte enfreignent d’importants instruments de droit international, à savoir l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIRDCP).

 

[44]           L’article 10 de la DUDH prévoit : « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien‑fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

 

[45]           La DUDH doit être éclairée par le PIRDCP, un traité plus détaillé auquel le Canada est partie.

 

[46]           Le paragraphe 14(1) du PIRDCP prévoit ce qui suit :

Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien‑fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Le huis clos peut être prononcé pendant la totalité ou une partie du procès soit dans l’intérêt des bonnes mœurs, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, soit lorsque l’intérêt de la vie privée des parties en cause l’exige, soit encore dans la mesure où le tribunal l’estimera absolument nécessaire lorsqu’en raison des circonstances particulières de l’affaire la publicité nuirait aux intérêts de la justice; cependant, tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public, sauf si l’intérêt de mineurs exige qu’il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux ou sur la tutelle des enfants.

 

 

 

[47]           Le paragraphe 14(1) prévoit une exception au droit à une audience publique dans l’intérêt de « la sécurité nationale dans une société démocratique ». Bien que la disposition précise que le « huis clos peut être prononcé », une exception liée à la sécurité nationale n’aurait aucun sens si la personne considérée comme une menace à la sécurité ne saurait être pareillement exclue simplement parce qu’elle est partie à l’instance. Dans le cas du paragraphe 83(1), les avocats spéciaux remplacent la partie exclue et peuvent contester le bien‑fondé de cette exclusion s’ils estiment qu’il n’existe aucun enjeu valide de « sécurité nationale dans une société démocratique ». Je ne vois aucune incohérence entre les dispositions contestées et les obligations internationales du Canada.

 

 

c    L’indépendance judiciaire, garantie par l’article 7 de la Charte, est‑elle menacée par les dispositions de la section 9 de la LIPR?

 

[48]           D’après M. Mahjoub, les procédures fondées sur la section 9 menacent l’indépendance judiciaire de quatre manières. Il soutient que les juges désignés aux termes de l’article 76 manquent d’indépendance en raison de leur désignation, qu’ils contrôlent le processus de divulgation au titre des alinéas 83(1)c) et d), qu’ils président une instance à huis clos, et qu’ils prennent part à l’inconduite des ministres et du Service, particulièrement en ce qui touche l’interception des communications entre les avocats et leurs clients. J’aborderai ces allégations tour à tour.

 

[49]           Dans l’arrêt Charkaoui I, la Cour suprême s’est demandé si l’ancien régime de la LIPR menaçait l’indépendance et l’impartialité apparentes des juges désignés. Au paragraphe 46 de ses motifs, la Cour a conclu que :

[…] il ressort, à la simple lecture de la LIPR, que le processus qu’elle établit est conçu de façon à préserver l’indépendance et l’impartialité du juge désigné, comme l’exige l’art. 7. On ne saurait dire que l’indépendance et l’impartialité apparentes du juge désigné sont compromises, lorsque les juges appliquent correctement ce processus en procédant à un examen approfondi.

 

 

i.                    Les juges désignés manquent‑ils intrinsèquement, en apparence ou en réalité, d’indépendance ou d’impartialité?

 

[50]           M. Mahjoub prétend que la définition du mot « juge » à l’article 76 de la LIPR [traduction] « est inconstitutionnelle parce qu’elle enfreint les principes constitutionnels non écrits de la règle de droit, la séparation des pouvoirs et l’indépendance judiciaire, » en autorisant le juge en chef de la Cour fédérale à créer une [traduction] « sous‑catégorie » de juges susceptibles de se saisir d’affaires intéressant la section 9, ce qui revient [traduction] « effectivement à ce que certains juges en nomment d’autres ». Par souci de commodité, je reproduis ci‑après la définition contestée :

76. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section.

 

[…]

 

« juge »

“judge”

« juge » Le juge en chef de la Cour fédérale ou le juge de cette juridiction désigné par celui‑ci.

76. The following definitions apply in this Division.

 

 

 

“judge”

« juge »

“judge” means the Chief Justice of the Federal Court or a judge of that Court designated by the Chief Justice.

 

[51]           La question a été examinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Atwal c Canada, [1988] 1 CF. 107 (CA) [Atwal]. Dans cette affaire, il était allégué que le Parlement avait créé, en vertu de la loi, une cour supérieure distincte, composée de juges désignés, qui n’agissaient à ce titre ni comme juges de la Cour fédérale ni en qualité spéciale de persona designata. La Cour d’appel fédérale a estimé que l’existence d’une telle catégorie ne pouvait être inférée sans une indication claire du Parlement, et a conclu à la page 117 qu’« un juge désigné pour les fins de la Loi agit soit à titre de juge de la Cour fédérale soit à titre de persona designata […] ». La Cour a appliqué les principes énoncés dans l’arrêt Herman et al. c Sous‑procureur général du Canada, [1979] 1 RCS 729, dans lequel la Cour suprême a estimé qu’à première vue, dès qu’une loi confère des pouvoirs à un juge, il faut présumer que l’intention du Parlement est que celui-ci agisse en tant que juge. L’intention contraire de voir le juge agir en qualité spéciale de persona designata suppose que la loi contienne des dispositions spécifiques. La Cour suprême a adopté le critère suivant pour déterminer si une telle intention ressort de la loi en question : « le juge exerce‑t‑il une compétence particulière, distincte, exceptionnelle et indépendante de ses tâches quotidiennes de juge, et qui n’a aucun rapport avec la cour dont il est membre? » Ayant appliqué le critère ci-dessus, le juge Mahoney a déclaré au nom de la Cour d’appel : « La Loi ne m’apparaît révéler aucune intention claire du Parlement que les juges désignés agissent autrement qu’en qualité de juges de la Cour fédérale » (page 118). Dans ses motifs, le savant juge a conclu que la délivrance de mandats et l’autorisation d’une surveillance électronique étaient des fonctions judiciaires reconnues de la Cour fédérale, et a expressément statué que « […] le nombre très bas des juges désignés par le juge en chef pour les fins de la Loi, ne compte[…][pas] parmi les facteurs qui, selon la Cour suprême, permettraient de conclure qu’un juge agit à titre de persona designata plutôt qu’à titre de juge ».

 

[52]           Comme les dispositions applicables en l’espèce sont fondamentalement les mêmes aujourd’hui, le raisonnement adopté dans l’arrêt Atwal trouve encore à s’appliquer dans le cas présent. Il s’ensuit que comme les juges désignés agissent comme juges de la Cour fédérale aux fins de la section 9 de la Loi sur le SCRS, ils ne forment pas, contrairement à ce que prétend M. Mahjoub, une cour distincte créée par le juge en chef.

 

[53]           L’une des caractéristiques essentielles de l’indépendance judiciaire est l’indépendance administrative (Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Î.P.E.; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de Î.P.E., [1997] 3 RCS 3, au paragraphe 119). Celle-ci tient en partie à la capacité de la Cour fédérale de contrôler ses propres procédures. Le juge en chef est responsable de l’administration de la Cour, ce qui comprend l’attribution des affaires à des juges individuels. La désignation de certains juges de la Cour pour traiter des affaires intéressant la section 9 ne peut être considérée en soi comme ayant un impact sur l’indépendance judiciaire. Il existe une forte présomption en vertu de laquelle le juge en chef agit avec intégrité (Felipa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 272 [Felipa]). Pour établir le contraire, il faut apporter une preuve convaincante. La preuve versée au dossier est tout simplement insuffisante pour suggérer que le processus de désignation a exercé une influence indue sur les juges.

 

[54]           Il était loisible au Parlement d’adopter les dispositions en question et d’exiger que certains juges soient désignés pour traiter les affaires se rapportant à la section 9. Je ne vois rien dans cette exigence qui puisse contrarier l’indépendance judiciaire. Une fois affecté à une affaire précise intéressant la section 9, le juge désigné est libre de l’examiner et de la trancher comme il l’entend, au même titre que n’importe quel collègue en Cour fédérale à qui seraient confiées des affaires sans rapport avec la section 9.

 

[55]           Par ailleurs, une telle exigence est sans doute très opportune. Comme l’objectif politique qui sous‑tend la disposition n’a pas été abordé en détail par les parties, je dirais simplement que le fait qu’un nombre limité de juges soient désignés pour traiter les affaires concernant la section 9 favorise le développement d’une expertise au sein de la Cour. Compte tenu de la nature des tâches à prendre en charge au titre de la section 9 de la Loi, notamment le traitement urgent de certaines demandes, le développement de l’expertise des juges désignés dans ce domaine ne peut être considéré que comme une évolution souhaitable.

 

[56]           La question de savoir si les juges désignés sont perçus comme étant indépendants et impartiaux soulève aussi des préoccupations. Le critère de la crainte raisonnable de partialité est objectif et repose « sur ce qu’une personne raisonnable et sensée, au courant des faits, conclurait » (R. c S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484, au paragraphe 79).

 

[57]           M. Mahjoub n’a pas prouvé qu’une personne raisonnable, bien informée de la situation, estimerait que les juges désignés n’étaient pas indépendants. Les décisions qu’il cite et dans lesquelles la Cour a conclu que l’indépendance judiciaire avait été entamée n’ont rien à voir avec le cas des juges désignés en vertu de l’article 76 de la LIPR. L’arrêt Mackin c Nouveau‑Brunswick, 2002 CSC 13, traite du risque que des facteurs financiers aient une influence sur le travail des juges surnuméraires en raison d’un barème d’indemnité journalière dépendant de la charge de travail, ce qui ouvrait la voie à des empiètements arbitraires sur leur rémunération. L’arrêt R. c Lippé, [1991] 2 RCS 114, concernait une loi autorisant des juges suppléants à travailler à temps partiel comme avocats, et créant potentiellement des conflits d’intérêts. Quoique la majorité dans l’arrêt Felipa indique au paragraphe 81 que «  [l]a charge de travail d’un juge suppléant qui a pris sa retraite d’une cour supérieure relève entièrement du pouvoir discrétionnaire du juge en chef, et il s’ensuit donc que son droit à une indemnité quotidienne fixée par la loi relève aussi du pouvoir discrétionnaire du juge en chef », et que cela pouvait soulever « une crainte raisonnable d’abus d’influence de la part du juge en chef », la Cour a refusé d’examiner cette question.

 

[58]           Par conséquent, je conclus qu’une personne raisonnable et informée estimerait que la désignation de juges par le juge en chef de la Cour fédérale au titre de l’article 76 de la LIPR est en accord avec l’indépendance et l’impartialité de l’appareil judiciaire.

 

[59]           M. Mahjoub affirme également que le fait que les juges désignés obtiennent leur attestation de sécurité du Service permet [traduction] « une intrusion de l’exécutif dans l’indépendance judiciaire » et crée [traduction] « une apparence systémique et manifeste de partialité, car les juges sont agréés par la partie même au litige dont les documents seront examinés dans toute affaire intéressant la section 9 de la LIPR ». La décision du juge MacKay dans Jaballah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 299, est invoquée à l’appui de cet argument. Je ne suis pas sûr de savoir pourquoi M. Mahjoub fait valoir cette décision dans laquelle le juge MacKay rejette explicitement au paragraphe 59 l’idée selon laquelle les juges désignés sont « d’abord approuvés par le SCRS » et qu’ils « [peuvent] à bon droit être perçus comme des juges choisis par le SCRS ».

 

[60]           Quoi qu’il en soit, je puis disposer de cet argument sans délai. Contrairement à ce qu’affirme M. Mahjoub, le SCRS n’intervient nullement dans les attestations de sécurité accordées aux juges désignés. L’évaluation de sécurité des juges s’effectue au moment de leur nomination initiale. La désignation d’un juge de la Cour fédérale afin de traiter une affaire concernant la section 9 au titre de la Loi sur le SCRS relève de la discrétion absolue du juge en chef de la Cour fédérale (voir article 76 de la LIPR). La seule condition préalable est que le juge appartienne à la Cour fédérale.

 

[61]           Par conséquent, je conclus qu’une personne raisonnable et informée ne serait pas d’avis que le Service exerce sur les juges désignés une influence propre à menacer leur indépendance ou leur impartialité.

 

                                                            ii.      Le contrôle exercé par le juge désigné sur la divulgation aux termes des alinéas 83(1)c) et d) de la LIPR menace-t‑il l’indépendance, réelle ou apparente, de la Cour?

 

[62]           M. Mahjoub met en cause la capacité du juge désigné d’approuver les renseignements à divulguer au titre des alinéas 83(1)c) et d) de la LIPR. Il soutient que ces dispositions permettent au juge d’être influencé par des renseignements qui ne seront ni produits en preuve ni communiqués à la personne visée. M. Mahjoub assure que pour éviter qu’ils n’aient une influence indue, les renseignements confidentiels fournis par les ministres devraient être divulgués entre parties, ou qu’à tout le moins un autre juge désigné devrait les approuver.

 

[63]           Je reproduis ces dispositions ci-après par souci de commodité :

83. (1) Les règles ci‑après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2 :

 

[…]

 

c) il peut d’office tenir une audience à huis clos et en l’absence de l’intéressé et de son conseil — et doit le faire à chaque demande du ministre — si la divulgation des renseignements ou autres éléments de preuve en cause pourrait porter atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

 

 

 

d) il lui incombe de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

 

[…]

 

 

83. (1) The following provisions apply to proceedings under any of sections 78 and 82 to 82.2:

 

 

(c) at any time during a proceeding, the judge may, on the judge’s own motion — and shall, on each request of the Minister — hear information or other evidence in the absence of the public and of the permanent resident or foreign national and their counsel if, in the judge’s opinion, its disclosure could be injurious to national security or endanger the safety of any person;

 

(d) the judge shall ensure the confidentiality of information and other evidence provided by the Minister if, in the judge’s opinion, its disclosure would be injurious to national security or endanger the safety of any person;

 

[64]           Les dispositions contestées obligent le juge à garantir la confidentialité des renseignements et de la preuve fournie par le ministre s’il croit que leur divulgation menacerait la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui. S’il estime que certains renseignements doivent être protégés pour ces motifs, il ne les divulguera ni à la personne visée ni au procureur. Cependant, ces renseignements confidentiels seront communiqués aux avocats spéciaux chargés de veiller aux intérêts de la personne visée dans de telles circonstances. Par ailleurs, aux termes de l’alinéa 83(1)e) de la LIPR, le juge doit s’assurer que la personne visée reçoit un résumé des renseignements et autres éléments de preuve qui lui permette d’être suffisamment informée de la thèse du ministre. J’ai déjà examiné cette question pour répondre à l’argument de M. Mahjoub concernant le caractère adéquat de la divulgation. J’ai conclu que le régime des avocats spéciaux suffisait pour dissiper les préoccupations soulevées, et n’en répéterai pas les raisons ici. Qu’il suffise de dire que les renseignements confidentiels qui ne peuvent être communiqués à M. Mahjoub ou au procureur auront été examinés par les avocats spéciaux qui, à ce que je constate, ont protégé ses intérêts avec diligence durant la partie de la présente instance qui s’est déroulée à huis clos. Tout renseignement confidentiel qui sera produit en preuve aura été examiné et vérifié par les avocats spéciaux. En l’espèce, ces derniers ont à plusieurs reprises contesté efficacement l’admissibilité de la preuve. Par conséquent, contrairement à ce que prétend M. Mahjoub, les renseignements produits dans le dossier confidentiel sont dûment présentés à la Cour.

 

[65]           Le Parlement confie à la Cour fédérale le soin de déterminer si la divulgation de renseignements sera ou non préjudiciable, ce qui n’enfreint pas le principe de l’indépendance judiciaire. Le juge désigné peut évaluer en toute indépendance le préjudice susceptible de découler de la communication d’une information donnée. M. Mahjoub ne m’a pas convaincu que cette disposition a pour effet d’enfreindre un principe constitutionnel.

 

[66]           Un autre juge désigné pourrait approuver la divulgation, mais cela n’est pas nécessaire, pour la même raison que les dispositions contestées de la LIPR ne contreviennent pas au principe de l’indépendance judiciaire. Dans l’exercice de leur fonction judiciaire, les juges ont l’habitude de mettre de côté des renseignements entendus, mais non produits en preuve par les parties ou jugés inadmissibles. C’est même le cas dans le contexte criminel lorsque le juge est exposé à des renseignements hautement pertinents et inculpatoires comme une confession (exemple donné dans l’arrêt R. c Stinchcombe, [1991] 3 RCS 326, à la page 347).

 

[67]           Puisque dans le cours normal d’un procès, un juge est censé pouvoir mettre de côté des renseignements qui n’ont pas été admis en preuve, le fait que le juge désigné doive évaluer les éléments dont il peut autoriser la divulgation aux fins de l’alinéa 83(1)d) de la LIPR ne menace pas l’indépendance judiciaire ou l’impartialité.

 

[68]           Enfin, en ce qui a trait à l’observation de M. Mahjoub selon laquelle la divulgation doit se faire entre parties, la juge Dawson, dans la décision sur les questions communes Almrei (Re), 2009 CF 240, a donné l’interprétation définitive de l’alinéa 83(1)d) pour ce qui intéresse la présente instance. Au paragraphe 31, la juge a conclu qu’« aucun élément de la présentation exigée par l’arrêt Charkaoui 2 ne peut être communiqué à l’intéressé ou à l’avocat de celui‑ci sans que le juge désigné ait d’abord eu la possibilité de se conformer à son obligation découlant de l’alinéa 83(1)d) de la Loi ». Ainsi, la LIPR n’autorise pas de divulgation entre parties sans l’intervention du juge désigné. Je souscris aux motifs et à la conclusion de l’éminente juge.

 

[69]           Pour les raisons qui précèdent, je rejette l’argument de M. Mahjoub concernant les alinéas 83(1)c) et d) de la LIPR.

 

iii.Les audiences à huis clos et l’admission d’éléments de preuve confidentiels menacent-elles l’indépendance réelle ou apparente de la Cour?

 

[70]           La personne visée dans l’arrêt Charkaoui I contestait l’ancien régime de la LIPR en partie pour ce motif. Dans l’ancienne loi, le risque que les procédures à huis clos et les éléments de preuve confidentiels n’entament l’indépendance des juges désignés était encore plus grand que dans le régime actuel, puisque les avocats spéciaux n’existaient pas et que personne ne représentait les intérêts de la personne visée à huis clos. La Cour suprême a néanmoins conclu que le dispositif de la LIPR était « conçu de façon à préserver l’indépendance et l’impartialité du juge désigné, comme l’exige l’art. 7 » (au paragraphe 46) et que « cette conclusion réfute définitivement la prétention de M. Charkaoui selon laquelle la LIPR contrevient au principe constitutionnel non écrit de l’indépendance judiciaire reconnu dans Assoc des juges de la Cour provinciale du Nouveau‑Brunswick c Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Justice), [2005] 2 RCS 286, 2005 CSC 44 » (au paragraphe 47).

 

[71]           La création du régime des avocats spéciaux a permis de réduire davantage le soupçon que « le juge [est] perçu comme appartenant au camp du gouvernement » (Charkaoui I, au paragraphe 42). Par conséquent, je conclus que le dispositif de la LIPR, en ce qui a trait aux procédures à huis clos et au traitement de la preuve confidentielle, ne porte pas atteinte au principe de l’indépendance judiciaire.

 

iv. La Cour prend‑elle part à l’inconduite alléguée des ministres?

 

[72]           M. Mahjoub remet par ailleurs en question l’indépendance et l’impartialité de la Cour : il prétend que sa connaissance présumée des méfaits imputés au Service – qui a intercepté les communications entre les avocats et leurs clients, et s’est appuyé sur des renseignements dont la Cour a conclu ultérieurement, sur la base de motifs raisonnables, qu’ils avaient été obtenus par la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants – l’en rend complice.

 

[73]           Le Service était autorisé à intercepter les communications entre les avocats et leurs clients en vertu de mandats fondés sur l’article 21, pour autant que ceux-ci soient conformes aux exigences des arrêts Atwal et Solosky c La Reine, [1980] 1 RCS 821 [Solosky], suivant le cas (voir la Décision sur les mandats, aux paragraphes 85‑87). Le simple fait d’avoir conclu, après examen, que les conditions de certains mandats étaient insuffisantes ne signifie pas que la Cour était complice des prétendus méfaits du Service.

 

[74]           Lorsque le juge Mosley a ordonné la remise en liberté de M. Mahjoub sous réserve de conditions très strictes en février 2007 (2007 CF 171), la Cour ne pouvait pas s’attendre à ce que le Service interprète à tort l’ordonnance comme l’autorisant à intercepter les communications entre l’avocat et son client. De même, après que la juge Layden‑Stevenson eut clarifié les choses dans une ordonnance du 18 décembre 2008, la Cour ne pouvait pas prévoir que le Service ne se conformerait pas totalement à l’ordonnance. Lorsque les problèmes ont été portés à l’attention de la Cour, ils ont été traités sans délai. La Cour ne peut en aucun cas avoir pris part à l’inconduite alléguée, comme le soutient M. Mahjoub.

 

[75]           De même, la question de l’inadmissibilité de certains éléments de preuve dérivés au titre du paragraphe 83(1.1) de la LIPR a été vivement débattue. La Cour a rendu sa décision après avoir entendu les observations des parties et celles des avocats spéciaux. Elle a entendu les témoignages et tranché les questions sur la base de la preuve produite, en motivant sa décision. Il est ridicule de donner à penser que la Cour a eu quelque autre part à l’inconduite alléguée.

 

[76]           Chaque fois qu’une partie invoque une inconduite, la Cour doit examiner la preuve à l’appui de l’allégation, trancher la question et accorder le redressement approprié, le cas échéant. C’est ce qu’elle a fait en l’espèce. La Cour ne saurait être responsable de la conduite des parties qui comparaissent devant elle, ni de la décision de l’une d’elles d’invoquer des éléments de preuve jugés ensuite inadmissibles en vertu du paragraphe 83(1.1). Suggérer le contraire sans preuve pour le confirmer relève de la conjecture et heurte les principes de l’indépendance judiciaire.

 

[77]           Par conséquent, je rejette l’argument de M. Mahjoub.

d.   Le régime des avocats spéciaux, tel qu’établi à l’article 85 de la LIPR, combiné à la communication des résumés à la personne visée par le certificat, prévue par l’alinéa 83(1)e), représente-t-il un substitut valable à la divulgation complète de telle sorte que M. Mahjoub soit au fait de la thèse retenue contre lui et puisse y répondre?

 

[78]           M. Mahjoub conteste le nouveau régime de la LIPR en faisant valoir que le mécanisme des avocats spéciaux, combiné à la disposition sur la divulgation à l’alinéa 83(1)e), contrevient à son droit à un procès équitable au titre de l’article 7 de la Charte. Les ministres prétendent que cette question a déjà été tranchée dans l’arrêt Harkat, mais M. Mahjoub maintient qu’il conteste la Loi sous un autre angle que celui qui a été présenté à la Cour d’appel fédérale.

 

i. La Cour d’appel fédérale a‑t‑elle déjà tranché cette question dans l’arrêt Harkat en s’inspirant de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui I?

 

[79]           Je conviens avec les ministres que l’arrêt Harkat a déjà tranché la question, en tenant compte de ce que l’arrêt Charkaoui I dit de la teneur du droit à un procès équitable dans le contexte des certificats de sécurité. Ces arrêts sont contraignants pour la Cour.

 

[80]           L’arrêt Charkaoui I précise au paragraphe 20 que « [l’]article 7 de la Charte exige non pas un type particulier de procédure, mais une procédure équitable eu égard à la nature de l’instance et des intérêts en cause […] ». Au paragraphe 24, la Cour suprême ajoute que « [t]ous les renseignements qui servent de fondement à l’affaire ne peuvent peut‑être pas être divulgués », et au paragraphe 27 que « [l]es principes de justice fondamentale ne peuvent être réduits au point de ne plus offrir la protection de l’application régulière de la loi […] Il se peut que cette protection ne soit pas aussi complète qu’en l’absence de contraintes liées à la sécurité nationale. Mais il demeure qu’il ne saurait y avoir conformité avec l’art. 7 sans une protection véritable et substantielle ».

 

[81]           Au paragraphe 29 de l’arrêt Charkaoui I, la Cour suprême indique quels sont les éléments essentiels du droit à l’application régulière de la loi garanti à l’article 7 lorsqu’il est question de détention prolongée et de possible expulsion : « il emporte le droit de chacun de connaître la preuve produite contre lui et le droit d’y répondre. La façon précise de se conformer à ces exigences variera selon le contexte. » Enfin, la Cour suprême explique au paragraphe 61 que « [p]our respecter l’art. 7, il faut soit communiquer les renseignements nécessaires à la personne visée, soit trouver une autre façon de l’informer pour l’essentiel ».

 

[82]           L’arrêt Harkat évalue le régime actuel, y compris le mécanisme des avocats spéciaux, en se demandant dans quelle mesure il permet à chacun de connaître la thèse retenue contre lui et d’y répondre. Aux paragraphes 58‑67, la Cour d’appel fédérale décrit en détail le rôle et les pouvoirs des avocats spéciaux suivant le nouveau régime. Les critiques de M. Harkat à l’égard du régime étaient les suivantes :

 

1.                  il ne permettait pas à la personne visée de bénéficier d’une divulgation suffisante;

 

2.                  la personne visée ne pouvait pas donner d’instructions adéquates à l’avocat spécial étant donné que la Cour fédérale devait autoriser leurs communications.

 

[83]           La Cour d’appel a rejeté ces deux critiques et conclu au paragraphe 116 « que le paragraphe 85.4(2) et l’article 85.5 de la Loi comportent la souplesse nécessaire pour garantir l’équité procédurale ainsi que la protection de la sécurité nationale et de la sécurité d’autrui ». Elle élabore au paragraphe 119 :

La Loi révisée fournit au juge les outils nécessaires pour assurer l’équité procédurale. Avec l’aide des avocats spéciaux agissant pour le compte de l’appelant, le juge est au centre du régime et il y joue un rôle clé. Il est investi des pouvoirs nécessaires en vertu de la common law et de la Charte ainsi que d’un pouvoir discrétionnaire sous le régime de la Loi pour satisfaire aux exigences du droit à l’équité procédurale garanti par l’article 7 de la Charte. Il possède le pouvoir d’ordonner la divulgation de renseignements, de remédier à un manquement à une obligation de divulgation et d’accorder une réparation juste et convenable en application du paragraphe 24(1) de la Charte dans les cas où il y a eu manquement à l’équité procédurale. Il peut prendre des mesures préventives pour empêcher la violation du droit à la liberté et à la sécurité d’une personne. L’ensemble de ces facteurs jumelé à la divulgation ordonnée par l’arrêt Charkaoui no 2 constitue un substitut valable à une divulgation complète. [Non souligné dans l’original.]

 

[84]           La décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Harkat vient à bout de l’objection de M. Mahjoub en l’espèce.

 

[85]           Lorsqu’il affirme que la Cour en a statué autrement dans ses motifs d’ordonnance du 19 février 2010, M. Mahjoub sort de son contexte la remarque de la Cour selon laquelle le régime des avocats spéciaux n’était pas un substitut valable à la divulgation. Dans certains cas, la divulgation sera nécessaire pour permettre à la personne visée d’être suffisamment informée de la thèse retenue contre elle, mais l’alinéa 83(1)e) envisage cette éventualité. Il est loisible à la Cour de conclure dans certains cas particuliers que les avocats spéciaux n’offrent pas un substitut valable à la divulgation, ce qui ne rend pas invalide ce régime au complet.

 

ii.   Le problème inévitable de « fractionnement » porte‑t‑il nécessairement atteinte aux droits de M. Mahjoub?

 

[86]           Même si j’estime que l’arrêt Harkat a statué sur la constitutionnalité des dispositions relatives aux avocats spéciaux et à la divulgation, j’aimerais me prononcer sur l’observation de M. Mahjoub selon laquelle ce qu’il nomme la question du « fractionnement », c’est-à-dire du caractère restreint de ses communications avec les avocats spéciaux, porte en soi atteinte à son droit à un procès équitable. Je pense qu’il est important d’aborder ce point étant donné que M. Mahjoub cite les critiques concernant le système des avocats spéciaux au Royaume‑Uni soulevées par la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui I, au paragraphe 83, et qui paraissent donner à penser qu’un régime analogue serait constitutionnellement inadéquat s’il était importé au Canada. L’arrêt R. c Ahmad, 2011 CSC 6 [Ahmad], invoque ces critiques comme suit au paragraphe 47 : « le mécanisme de l’avocat spécial établi dans la LIPR a fait l’objet de nombreuses critiques [au Royaume‑Uni] dont nous ne minimisons aucunement le poids », mais l’avocat spécial pourrait être utile dans le cadre des procédures fondées sur l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC, 1985, c C‑5. Ces commentaires peuvent donner à penser qu’un désaccord existe peut-être entre la Cour suprême et la Cour d’appel fédérale.

 

[87]           À mon avis, la décision de la Cour d’appel fédérale résiste à un examen minutieux, malgré les critiques concernant le système des avocats spéciaux au Royaume‑Uni.

 

[88]           Dans la décision Affaire A. et autres c Royaume‑Uni, [2009] CEDH 301, la Cour européenne des droits de l’homme examine le recours aux avocats spéciaux aux paragraphes 216 à 220. Elle conclut au paragraphe 220 : 

 

La Cour considère en outre que la possibilité offerte aux avocats spéciaux de vérifier les preuves administrées et de plaider la cause des requérants en chambre du conseil pouvait leur conférer un rôle important susceptible de compenser la divulgation seulement partielle des éléments probatoires et l’absence d’une véritable audience, publique et contradictoire. Toutefois, les avocats spéciaux n’étaient aptes à remplir efficacement cette fonction que si les détenus avaient reçu suffisamment d’informations sur les charges retenues contre eux pour pouvoir leur donner des instructions utiles. S’il s’agit là d’un point à examiner au cas par cas, la Cour relève que, d’une manière générale, dans l’hypothèse où les preuves auraient été divulguées dans une large mesure et où les éléments non confidentiels auraient joué un rôle décisif dans la décision rendue à l’égard d’un requérant, on ne pourrait dire que celui-ci s’est vu priver d’une occasion de contester utilement le caractère raisonnable de la conviction et des soupçons que le ministre de l’Intérieur nourrissait à son égard. Dans d’autres cas, où les allégations figurant dans les éléments non confidentiels auraient été suffisamment précises bien que l’intégralité ou la majorité des éléments à charge eussent été tenus secrets, le requérant aurait pu, le cas échéant, fournir des renseignements à ses représentants ainsi qu’à l’avocat spécial, et ce dernier s’en servir pour réfuter les accusations en question sans avoir besoin de connaître le détail ou la source des éléments de preuve sur lesquels elles étaient fondées. On en trouve un exemple dans le reproche fait à plusieurs des requérants de s’être rendus dans un camp d’entraînement au terrorisme dans un endroit donné entre des dates données : par sa précision, cette allégation conférait aux intéressés la possibilité de fournir aux avocats spéciaux des éléments à décharge suffisants pour leur permettre de la contester utilement, tels que des alibis ou une autre explication à leur présence en ce lieu. En revanche, dans les cas où les éléments non confidentiels auraient consisté exclusivement en des assertions générales et où la SIAC se serait fondée uniquement ou dans une mesure déterminante sur des pièces secrètes pour approuver la délivrance d’un certificat ou maintenir les requérants en détention, il n’aurait pas été satisfait aux exigences de l’article 5 § 4.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[89]           La décision Secretary of State for the Home Department c AF & Anor, [2009] UKHL 28 [AF], est considéré comme le jugement de principe sur les avocats spéciaux au Royaume‑Uni; elle est ultérieure à celle de la CEDH dans Affaire A. et autres c Royaume‑Uni. En ce qui regarde les [traduction] « ordonnances de contrôle » (comparables aux certificats de sécurité canadiens en ceci qu’elles servent à détenir et expulser des terroristes internationaux et supposent une [traduction] « importante privation de liberté », voir AF au paragraphe 1), cette décision conclut que le régime des avocats spéciaux est en soi insuffisant : les allégations pesant contre le [traduction] « contrôlé » doivent faire l’objet d’une divulgation adéquate. Au paragraphe 5, la Chambre des lords cite Secretary of State for the Home Department c MB and AF, [2007] UKHL 46 [MB], afin de décrire les règles régissant le régime des avocats spéciaux. Se référant à nouveau MB, la Chambre des lords indique que le système canadien (le système original des avocats spéciaux qui existait en 1996) a été cité dans le contexte européen des droits de l’homme (p. ex. Chalal c Royaume‑Uni, [1996] CEDH 54) comme un exemple de procédures qui [traduction] « tiennent compte des préoccupations de sécurité légitimes touchant la nature et les sources de renseignements et accordent en même temps à l’individu un degré considérable de justice procédurale » (au paragraphe 13).

 

[90]           Lord Phillips, s’exprimant au nom de la majorité, conclut au paragraphe 68, sans critiquer le régime des avocats spéciaux, que le contrôlé devait se voir divulguer plus de renseignements, avec cette mise en garde au paragraphe 66 : [traduction] « [d]ans Affaire A. c Royaume‑Uni, la Cour de Strasbourg a néanmoins reconnu que lorsque la sécurité nationale est en jeu dans la lutte contre le terrorisme, il peut être acceptable de ne pas divulguer la source de la preuve permettant de soupçonner qu’une personne prend part à des activités liées au terrorisme ».

 

[91]           En résumé, concurremment avec ce que la Cour suprême du Royaume‑Uni qualifie de [traduction] « récapitulation » (gisting en anglais, soit communiquer à l’individu visé par l’action de l’État l’« essentiel » des allégations pesant contre lui, incluant certains détails), ni cette Cour ni la Cour européenne des droits de l’homme ne rejettent le recours aux avocats spéciaux pour protéger les droits de la personne visée dans le cadre de procédures à huis clos concernant le privilège fondé sur la sécurité nationale. À mon avis, c’est exactement ce que le régime de la LIPR prévoit aux articles 85 à 85.2 et à l’alinéa 83(1)e).

 

[92]           Enfin, j’aborderai les critiques considérables dont le régime des avocats spéciaux au Royaume‑Uni a fait l’objet dans le rapport sur la Politique en matière de contre‑terrorisme et les droits de l’homme (seizième rapport) du Comité conjoint sur les droits de l’homme. Ci-après, j’examinerai tour à tour les trois grandes préoccupations soulevées au paragraphe 54 du rapport :

 

a)                   Je ne suis pas sûr que [traduction] « l’absence d’accès des avocats spéciaux à des experts et à des éléments de preuve indépendants » puisse jamais être corrigée, car les mêmes restrictions existeraient même si les arguments étaient entièrement divulgués au procureur. De toute façon, le gouvernement est susceptible de disposer d’un plus grand bassin de ressources et d’experts dans le domaine de la sécurité nationale que les personnes visées, comme c’est généralement le cas de la Couronne dans le domaine des sciences judiciaires et de la criminologie par rapport à l’accusé dans un procès criminel. Quoi qu’il en soit, contrairement au système britannique, les avocats spéciaux peuvent, en vertu de l’alinéa 85.2(c), exercer, avec l’autorisation de la Cour, tout autre pouvoir nécessaire pour défendre à huis clos les intérêts de la personne visée et qui n’est pas énoncé dans la loi. Par exemple, les avocats spéciaux ont été autorisés en l’espèce à appeler un témoin expert.

 

b)                   Je ne pense pas que [traduction] « la capacité des avocats spéciaux à éprouver les objections du gouvernement à la divulgation des éléments confidentiels » est aussi limitée au Canada qu’elle peut l’être au Royaume‑Uni. Au Canada, les principales catégories de renseignements secrets sont raisonnablement bien établies : les renseignements qui, s’ils étaient divulgués, enfreindraient la règle des tiers; ceux qui divulgueraient des techniques d’enquête; ceux qui permettraient d’identifier des sources; et ceux qui révéleraient les détails d’une enquête en cours. Aux termes de l’alinéa 85.2b) de la LIPR, les avocats spéciaux sont expressément autorisés à contester les revendications des ministres concernant le privilège fondé sur la sécurité nationale.

 

c)                   La question de [traduction] « la capacité des avocats spéciaux de communiquer avec la personne visée après avoir pris connaissance des documents secrets » continue de se poser devant nos tribunaux et ceux du Royaume‑Uni (voir Almrei, au paragraphe 113). Le thème central du rapport est l’obligation d’aviser le gouvernement. Comme le précise le paragraphe 75, aucune exigence de ce type n’est prévue dans la LIPR. Dans Almrei (Re), 2008 CF 1216, le juge en chef Lutfy a indiqué qu’il était attendu que les ministres soient avisés d’une demande de communication (au paragraphe 65). Cependant, ce n’est pas nécessairement le cas. En l’espèce, les avocats spéciaux ont été autorisés à demander à la Cour la permission de communiquer ex parte, sans en aviser les ministres.

 

[93]           Outre les caractéristiques du régime des avocats spéciaux de la LIPR que j’ai décrites plus haut et qui répondent aux critiques visant le système britannique, un certain nombre de facteurs permettent d’atténuer davantage le problème du « fractionnement » découlant des restrictions nécessaires imposées aux avocats spéciaux. Avant que ces derniers n’aient accès aux éléments confidentiels du dossier, ils peuvent discuter librement avec la personne visée et son avocat. Il est loisible à la personne visée de divulguer aux avocats spéciaux tout ce qu’elle sait au sujet des allégations résumées qui lui ont été communiquées. Comme la Cour divulgue des documents à la personne visée, cette dernière est libre de communiquer aux avocats spéciaux toute observation, changement de stratégie ou autre question que soulève à son avis la divulgation.

 

[94]           Si les avocats spéciaux estiment qu’une mesure spécifique doit être prise pour protéger les intérêts de la personne visée, ils peuvent présenter une demande en vertu de l’article 85.2 afin d’être autorisés par la Cour à communiquer avec celle-ci ou à exercer tout autre pouvoir qui n’est pas autrement prévu dans la LIPR. Comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Harkat, au paragraphe 116, l’article 85.2 n’est pas inconstitutionnel simplement parce qu’il est possible que la Cour refuse à tort d’autoriser des communications ou l’exercice de tout autre pouvoir.

 

[95]           Pour conclure, le régime de la LIPR permet de résoudre adéquatement le problème de « fractionnement » dont parle M. Mahjoub, et aussi de répondre aux critiques concernant le système des avocats spéciaux au Royaume‑Uni. À mon avis, la mise en cause du régime par M. Mahjoub pour ce motif doit échouer.

 

iii. La norme voulant que l’intéressé soit « suffisamment informé », prévue à l’alinéa 83(1)e), porte‑t‑elle atteinte aux droits de M. Mahjoub?

 

[96]           Par ailleurs, M. Mahjoub soutient que l’obligation de la Cour de fournir à la personne visée des résumés qui lui permettront d’être « suffisamment informée » de la thèse retenue contre elle, énoncée à l’alinéa 83(1)e) de la LIPR, se traduit par une divulgation insuffisante pour garantir son droit à un procès équitable.

 

[97]           M. Mahjoub affirme que les résumés ne mettront pas les renseignements dans leur contexte et ne diront pas quelles formules ont réellement été utilisées, si bien que le sens de la preuve sera invérifiable, comme avec la fameuse déclaration « J’ai tué David » dans R. c Ferris, [1994] 3 LRC 756 [Ferris].

 

[98]           La question du caractère suffisant des résumés a été soulevée dans l’arrêt Harkat, et la réponse de la Cour d’appel fédérale est contraignante pour la Cour. Aux paragraphes 76 et 77, la Cour d’appel fédérale explique que la version française de la disposition révèle ce qu’il faut entendre par être « raisonnablement informé » :

 

En fait, la version française de ces dispositions emploie justement les mots « suffisamment informé » de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause (je souligne). À cet égard, la version française est plus précise que la version anglaise, elle est plus favorable à la personne visée et elle s’accorde mieux avec l’exigence d’équité de l’article 7 de la Charte. Les textes anglais et français ayant la même valeur (voir l’article 18 de la Charte), il convient pour les motifs susmentionnés de préférer la version française.

 

De plus, je conviens avec l’avocat des intimés que l’exigence d’être « suffisamment informé » est nuancée par l’article 7 de la Charte : la personne visée doit être informée de façon à lui permettre de connaître la preuve qui pèse contre elle et d’y répondre.

 

[Souligné dans l’original.]

 

 

[99]           Dans l’arrêt Harkat, la Cour d’appel fédérale a donc établi que la disposition législative exigeant que la personne visée soit suffisamment informée de la thèse retenue contre elle, et en mesure d’y répondre, n’enfreignait pas l’article 7 de la Charte.

 

[100]       Comme la personne visée dans l’affaire Harkat, M. Mahjoub fait valoir en l’espèce que la Cour devrait pondérer la sécurité nationale et l’intérêt du public lié à la divulgation (y compris le préjudice qui lui serait causé en cas de non‑divulgation). La Cour d’appel fédérale a catégoriquement rejeté, aux paragraphes 101, 102 et 103, cet exercice de pondération proposé, comparable à ce que prévoit l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada; elle affirme au paragraphe 103 que les obligations du juge en matière de divulgation dans les procédures liées aux certificats de sécurité sont déjà « régies par le critère d’équité plus exigeant de l’article 7 de la Charte plutôt que par le concept d’intérêt public ». En d’autres mots, l’alinéa 83(1)e) doit être lu en ayant à l’esprit les droits de la personne visée protégés par l’article 7.

 

[101]       M. Mahjoub fait valoir qu’il ne devrait pas être forcé de prouver que la non‑divulgation lui a causé un préjudice étant donné qu’il n’a aucun moyen de connaître les renseignements qui ne lui ont pas été communiqués. Il cite à l’appui de cet argument le paragraphe 27 de l’arrêt Ahmad et la page 499 de l’arrêt R. c Durette [1994] 1 RCS 469. Cet argument est infondé. En fait, M. Mahjoub n’a pas à prouver le préjudice sans connaître les éléments qui ne lui sont pas divulgués, puisqu’il bénéficie de l’assistance des avocats spéciaux qui ont accès à tous les renseignements et sont tenus de soulever à huis clos la question du préjudice résultant de la non‑divulgation.

 

[102]       M. Mahjoub soutient par ailleurs, en invoquant de nouveau l’arrêt Ahmad, que toutes les non‑divulgations doivent donner lieu à une réparation. Or, on lit au paragraphe 30 de cet arrêt que « dans bien des cas la non‑divulgation de renseignements protégés n’aura aucune incidence sur l’équité du procès, ou alors des mesures autres que la divulgation totale pourront garantir que l’équité du procès n’est pas compromise par l’absence de divulgation totale ». Dans les instances relatives aux certificats de sécurité, où tous les renseignements formant la thèse des ministres et tous ceux qui sont définis dans l’arrêt Charkaoui II sont divulgués aux avocats spéciaux, il existe une solution de rechange préétablie à la divulgation totale pour tous les renseignements pertinents. Quoique les dispositions de la section 9 ne le prévoient pas explicitement, l’arrêt Charkaoui II garantit à la Cour et aux avocats spéciaux l’accès à toute information potentiellement disculpatoire détenue par le Service. Les résumés des renseignements suffisants pour connaître la thèse des ministres sont aussi directement fournis à la personne visée, ce qui est une autre solution de rechange préétablie à la divulgation totale.

 

[103]       Qui plus est, en ce qui concerne les renseignements contenus dans les résumés, le libellé de l’alinéa 83(1)d) oblige seulement la Cour à garantir la confidentialité des éléments dont la divulgation nuirait à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Les autres renseignements seront divulgués à la personne visée. Si le contexte n’est pas fourni, c’est que sa divulgation serait préjudiciable. La Cour s’assure, avec l’aide des avocats spéciaux et de ceux qui représentent les ministres, que les résumés communiqués à la personne visée ne sont pas trompeurs. De plus, les avocats spéciaux peuvent présenter à huis clos des observations concernant le contexte lié aux renseignements, et contester la non-divulgation de certains éléments, comme la manière dont ils ont été obtenus, pour prendre un exemple courant. Ces deux facteurs permettent de distinguer la situation présente et l’arrêt Ferris.

 

[104]       Enfin, M. Mahjoub invoque l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, LC 1960, c 44, pour étayer sa contestation constitutionnelle. À mon avis, cette disposition n’ajoute rien à l’analyse spécifique ayant trait à la divulgation dans les cas où la sécurité nationale est en jeu : elle signale simplement que la loi doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer le droit à une audition équitable, conformément aux principes de la justice fondamentale. Ces considérations entrent également dans l’analyse de la conformité des dispositions à l’article7 de la Charte.

 

iv.  Si les résumés fournis ne permettent pas d’informer suffisamment la personne visée par le certificat, l’instance porte‑t‑elle atteinte aux droits de M. Mahjoub, et est-ce le cas en l’espèce?

 

[105]       M. Mahjoub conteste également la constitutionnalité de l’alinéa 83(1)i), qui prévoit :

83. (1) Les règles ci‑après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2 :

 

[]

 

i) il peut fonder sa décision sur des renseignements et autres éléments de preuve même si un résumé de ces derniers n’est pas fourni à l’intéressé;

 

83. (1) The following provisions apply to proceedings under any of sections 78 and 82 to 82.2:

 

 

(i) the judge may base a decision on information or other evidence even if a summary of that information or other evidence is not provided to the permanent resident or foreign national;

 

[106]       M. Mahjoub soutient que cette disposition permet au juge de se prononcer sur le caractère raisonnable du certificat en s’appuyant entièrement sur des éléments non divulgués à la personne visée.

 

[107]       Cette disposition, telle que la décrit M. Mahjoub, serait incompatible avec l’alinéa 83(1)e) en vertu duquel la personne visée doit être « suffisamment informée » (reasonably informed) de la thèse du ministre.

 

[108]       Je rejette l’argument de M. Mahjoub. Même si l’alinéa 83(1)i) prévoit que le juge peut fonder sa décision sur des éléments de preuve ou des renseignements qui n’ont pas été divulgués à la personne visée et dont aucun résumé n’a été fourni, d’autres éléments de preuve ou renseignements doivent néanmoins lui être communiqués, directement ou par voie de résumé, de manière à ce qu’elle soit suffisamment informée de la thèse des ministres. Les deux dispositions doivent être lues conjointement. En d’autres mots, le certificat ne sera jamais jugé raisonnable si la personne visée n’est pas suffisamment informée des arguments invoqués contre elle par les ministres. Une conclusion contraire reviendrait à enfreindre son droit à un procès équitable.

 

[109]       Comme le fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Harkat au paragraphe 119, « [l]a Loi révisée fournit au juge les outils nécessaires pour assurer l’équité procédurale ». La Loi n’est pas inconstitutionnelle simplement parce que la Cour ne se sert pas ou ne peut pas se servir de ces outils.

 

e.   Le droit de M. Mahjoub d’être représenté par un avocat de son choix, au sens de l’article 7 et de l’alinéa 10b) de la Charte, l’indépendance du Barreau et le secret professionnel de l’avocat sont‑ils menacés par le régime des avocats spéciaux établi à l’article 85 de la LIPR?

 

[110]       M. Mahjoub soutient que la section 9 de la LIPR, et en particulier le régime des avocats spéciaux, porte atteinte à son droit d’être représenté par un avocat de son choix. Il invoque l’article 7 et l’alinéa 10b) de la Charte à l’appui de cette allégation. Il ajoute que ce régime menace l’indépendance du Barreau et le secret professionnel de l’avocat.

 

i.    L’alinéa 10b) est‑il pertinent au regard de la contestation de M. Mahjoub?

 

[111]       Dans l’arrêt R. c Willier, 2010 CSC 37 [Willier], au paragraphe 26, la Cour suprême souligne que « [l]e texte de l’al. 10(b) demeure le point de départ pour l’interprétation de cette disposition, mais il est essentiel de comprendre les objectifs sous‑jacents de la disposition pour pouvoir bien en saisir le contenu. Cela est particulièrement vrai en l’espèce, car le texte de l’alinéa 10(b) ne prévoit pas expressément le droit à l’assistance de l’avocat de son choix ». Cependant le droit de consulter l’avocat de son choix fait partie intégrante de ce droit. Comme le déclarait la Cour suprême dans l’arrêt R. c Bartle, [1994] 3 RCS 173, à la page 191, « la personne “détenue” au sens de l’art. 10 de la Charte a immédiatement besoin de conseils juridiques, afin de protéger son droit de ne pas s’incriminer et d’obtenir une aide pour recouvrer sa liberté » [souligné dans l’original], et comme l’explique l’arrêt Willier au paragraphe 28, la raison d’être de ce droit est d’atténuer le désavantage de la détention. Cela suppose également une opportunité raisonnable de s’entretenir avec l’avocat spécifique que le détenu aura choisi (au paragraphe 35).

 

[112]       Comme l’indique l’arrêt R. c McCallen (1999), 43 OR (3e) 56 (CA) [McCallen], au paragraphe 32, [traduction] « Il est bien établi que l’alinéa 10b) comprend non seulement le droit de retenir les services d’un avocat, mais aussi le droit d’engager l’avocat choisi par l’accusé, et celui d’être représenté par cet avocat tout au long de l’instance ». Aux paragraphes 34 à 38, la Cour d’appel de l’Ontario explique en outre que :

[traduction]

 

[…] La relation entre l’avocat et son client repose sur le présupposé que ce dernier doit être en mesure de faire totalement confiance à l’avocat qui représente ses intérêts.

 

La loyauté et le dévouement de l’avocat à l’égard du client ne doivent laisser aucune place au doute. La nature humaine est telle que la confiance, qui est essentielle à la viabilité de la relation, sera encouragée et plus facile à obtenir si les clients ont non seulement le droit de retenir les services d’un avocat, mais aussi celui d’engager l’avocat de leur choix.

 

La nature même du droit commande que le choix subjectif du client soit respecté et protégé. En l’absence de motifs impérieux touchant l’intérêt public, il n’est pas nécessaire que le gouvernement et les tribunaux se mêlent du choix que les clients pourront faire de leur avocat.

 

En plus de fournir une garantie personnelle et précieuse aux clients, le droit protégé par l’alinéa 10b) est une composante importante de l’impression objective d’équité du système de justice criminelle […] Ce droit fondamental à un avocat inclut celui d’engager l’avocat de son choix; ce droit-là accroît l’impression objective d’équité puisqu’il éloigne le spectre de l’intrusion de l’État ou de la Cour dans une décision qui revient très légitimement à l’individu dont les intérêts sont en jeu et qui sera représenté par l’avocat.

 

Ce qui entraîne pour corollaire, essentiel en l’espèce, que l’impression d’équité sera dégradée, gravement dans de nombreux cas, si les accusés se voient indûment ou injustement refuser la possibilité d’être représentés par l’avocat de leur choix.

 

 

[113]       Aucune preuve au dossier n’indique que M. Mahjoub a été privé de la possibilité de contacter l’avocat de son choix lorsqu’il a été arrêté en juin 2000, ou qu’il n’a pas été autorisé à charger l’avocat de son choix de le représenter. M. Mahjoub n’a pas précisé quelle disposition spécifique de la section 9 de la LIPR contrevient directement ou indirectement à ce droit. Il n’a pas démontré en quoi la LIPR avait une incidence sur son droit protégé par l’alinéa 10b).

 

 

ii.   L’absence de secret professionnel de l’avocat entre les avocats spéciaux et M. Mahjoub porte‑t‑elle atteinte à ses droits?

 

[114]       M. Mahjoub conteste le régime des avocats spéciaux au regard de l’alinéa 10b) à deux chapitres. Il affirme d’une part qu’en prévoyant explicitement que les personnes visées et les avocats spéciaux ne sont pas liés par une relation avocat‑client, la LIPR le prive de ses droits garantis par l’alinéa 10b). Il soutient d’autre part qu’en l’obligeant à choisir parmi une liste d’avocats ayant obtenu une attestation de sécurité sans lui permettre de charger son avocat de le représenter à huis clos, la LIPR enfreint son droit d’être représenté par l’avocat de son choix.

 

[115]       Par souci de commodité, je reproduis ci‑après les dispositions pertinentes :

83. (1) Les règles ci‑après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2 :

 

[…]

 

b) il nomme, parmi les personnes figurant sur la liste dressée au titre du paragraphe 85(1), celle qui agira à titre d’avocat spécial dans le cadre de l’instance, après avoir entendu l’intéressé et le ministre et accordé une attention et une importance particulières aux préférences de l’intéressé;

 

 

 

[…]

 

 (1.2) Si l’intéressé demande qu’une personne en particulier soit nommée au titre de l’alinéa (1)b), le juge nomme cette personne, à moins qu’il estime que l’une ou l’autre des situations ci‑après s’applique:

 

a) la nomination de cette personne retarderait indûment l’instance;

 

b) la nomination de cette personne mettrait celle‑ci en situation de conflit d’intérêts;

 

c) cette personne a connaissance de renseignements ou d’autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et, dans les circonstances, ces renseignements ou autres éléments de preuve risquent d’être divulgués par inadvertance.

 

(2) Il est entendu que le pouvoir du juge de nommer une personne qui agira à titre d’avocat spécial dans le cadre d’une instance comprend celui de mettre fin à ses fonctions et de nommer quelqu’un pour la remplacer.

 

83. (1) The following provisions apply to proceedings under any of sections 78 and 82 to 82.2:

 

 

(b) the judge shall appoint a person from the list referred to in subsection 85(1) to act as a special advocate in the proceeding after hearing representations from the permanent resident or foreign national and the Minister and after giving particular consideration and weight to the preferences of the permanent resident or foreign national;

 

 

 

(1.2) If the permanent resident or foreign national requests that a particular person be appointed under paragraph (1)(b), the judge shall appoint that person unless the judge is satisfied that

 

 

(a) the appointment would result in the proceeding being unreasonably delayed;

 

(b) the appointment would place the person in a conflict of interest; or

 

(c) the person has knowledge of information or other evidence whose disclosure would be injurious to national security or endanger the safety of any person and, in the circumstances, there is a risk of inadvertent disclosure of that information or other evidence.

 

 

 

(2) For greater certainty, the judge’s power to appoint a person to act as a special advocate in a proceeding includes the power to terminate the appointment and to appoint another person.

85. (1) Le ministre de la Justice dresse une liste de personnes pouvant agir à titre d’avocat spécial et publie la liste de la façon qu’il estime indiquée pour la rendre accessible au public

 

 

 

[…]

85. (1) The Minister of Justice shall establish a list of persons who may act as special advocates and shall publish the list in a manner that the Minister of Justice considers appropriate to facilitate public access to it.

 

85.1 (1) L’avocat spécial a pour rôle de défendre les intérêts du résident permanent ou de l’étranger lors de toute audience tenue à huis clos et en l’absence de celui‑ci et de son conseil dans le cadre de toute instance visée à l’un des articles 78 et 82 à 82.2.

 

 

[…]

 

(3) Il est entendu que l’avocat spécial n’est pas partie à l’instance et que les rapports entre lui et l’intéressé ne sont pas ceux qui existent entre un avocat et son client.

 

 

(4) Toutefois, toute communication entre l’intéressé ou son conseil et l’avocat spécial qui serait protégée par le secret professionnel liant l’avocat à son client si ceux‑ci avaient de tels rapports est réputée être ainsi protégée, et il est entendu que l’avocat spécial ne peut être contraint à témoigner à l’égard d’une telle communication dans quelque instance que ce soit.

 

85.1 (1) A special advocate’s role is to protect the interests of the permanent resident or foreign national in a proceeding under any of sections 78 and 82 to 82.2 when information or other evidence is heard in the absence of the public and of the permanent resident or foreign national and their counsel.

 

 

(3) For greater certainty, the special advocate is not a party to the proceeding and the relationship between the special advocate and the permanent resident or foreign national is not that of solicitor and client.

 

(4) However, a communication between the permanent resident or foreign national or their counsel and the special advocate that would be subject to solicitor‑client privilege if the relationship were one of solicitor and client is deemed to be subject to solicitor‑client privilege. For greater certainty, in respect of that communication, the special advocate is not a compellable witness in any proceeding.

 

 

 

[116]       Pour commencer, l’argument de M. Mahjoub suppose un droit d’être représenté par un avocat à huis clos. La logique veut qu’une personne visée n’ait pas le droit d’être représentée par un avocat pour ce qui intéresse les renseignements non divulgués, tout comme elle ne peut pas prétendre à une divulgation complète (voir paragraphes 78‑84 précités). Il n’est pas nécessaire que les avocats spéciaux soient ceux de la personne visée pour que le régime soit constitutionnel; ils représentent le choix politique du corps législatif, une « autre façon […] sensiblement équivalente » de communiquer les renseignements, comme l’exige l’article 7 de la Charte, et la loi les oblige à représenter la personne visée en son absence pour réduire l’injustice découlant de la non-divulgation. M. Mahjoub ne m’a présenté aucun motif de conclure à l’inconstitutionnalité du paragraphe 85.1(3).

 

[117]       Je conviens avec M. Mahjoub que certaines des considérations soulevées dans l’arrêt McCallen intéressent les avocats spéciaux. Pour qu’ils puissent représenter efficacement ses intérêts à huis clos, la personne visée devrait idéalement pouvoir se confier aux avocats spéciaux et être assurée qu’ils veilleront à ses intérêts. Dans la mesure du possible, la section 9 de la LIPR, et notamment l’alinéa 83(1)b) et le paragraphe 83(1.2), autorise la personne visée à choisir ses avocats spéciaux. Ces dispositions limitent son choix, pour des raisons de conflits d’intérêts ou parce que le nom des avocats spéciaux doit figurer sur une liste approuvée par le ministère de la Justice (paragraphe 85(1)); cela dit, même dans les procès criminels où la sécurité nationale n’est pas en jeu, le droit d’être représenté par un avocat de son choix est restreint par des considérations pratiques. Comme l’explique la Cour d’appel de l’Ontario au paragraphe 40 de l’arrêt McCallen :

[traduction]

 

Néanmoins, le droit de retenir les services de l’avocat de son choix n’est pas absolu; il se limite évidemment aux avocats aptes et disposés à assurer la représentation. Deux autres restrictions au droit concerné sont en cause dans le présent appel : l’avocat doit être en mesure de représenter les clients dans un délai raisonnable, et il ne doit être partie à aucun conflit d’intérêts le rendant inapte à exercer son mandat.

 

 

[118]       Les alinéas 83(1.2)a) et b) concernent directement ces restrictions. Ajoutons à cela l’exigence pratique au nom de laquelle les avocats spéciaux doivent être agréés par l’exécutif avant de recevoir des renseignements confidentiels, pour la protection de l’intérêt public. Pour autant, la LIPR ne prédispose pas les avocats spéciaux à subir l’influence de l’exécutif. Au contraire, ces derniers enfreindraient le paragraphe 85.1(1) de la Loi s’ils n’agissaient pas dans le seul but de représenter les intérêts de la personne visée. La LIPR institue aussi un secret professionnel de l’avocat au paragraphe 85.1(4) afin de s’assurer que les avocats spéciaux ne puissent divulguer aucune information communiquée par la personne visée et qu’ils ne puissent jamais témoigner contre elle. Aux termes du paragraphe 87.2(2), les règles servant à établir la liste des avocats spéciaux doivent exclure quiconque est affilié à l’administration publique fédérale.

 

[119]       La restriction relative au choix des avocats spéciaux que M. Mahjoub trouve la plus contestable est qu’il ne soit pas permis à son avocat d’agir comme avocat spécial ou de prendre connaissance des renseignements confidentiels produits par les ministres. Il cite l’affaire Air India [R. c Malik, 2005 BCSC 350] [Air India], citée dans l’arrêt Ahmad, comme exemple d’une solution de rechange qui respecterait son droit à être représenté par l’avocat de son choix. Dans Air India, l’avocat de l’accusé a obtenu l’accès à des documents confidentiels après avoir pris l’engagement de n’en divulguer le contenu à personne sans autorisation, y compris à l’accusé (Ahmad, au paragraphe 30).

 

[120]       Dans Air India, la poursuite et la défense ont convenu que d’autoriser l’avocat de la défense à examiner les renseignements confidentiels, en s’engageant à n’en divulguer la teneur à personne, était une manière acceptable de traiter lesdits renseignements tout en sauvegardant la sécurité nationale. Rien dans la LIPR n’empêche ce genre d’entente, sauf si le juge invoque l’alinéa 83(1)c). Les ministres peuvent ne pas se prévaloir de cette disposition et adopter plutôt une entente de type Air India. Cependant, le simple fait qu’une telle entente soit possible et que M. Mahjoub la préfère ne frappe pas d’inconstitutionnalité toutes les autres options.

 

[121]       À mon avis, un arrangement de type Air India dans un cas où les renseignements confidentiels produits sont pertinents (et non l’inverse, comme c’était presque toujours le cas dans Air India) risque d’entraver la relation avocat‑client entre la personne visée et son avocat. L’avocat ne sera plus en mesure de communiquer pleinement et ouvertement avec la personne visée, et devra faire preuve de prudence et de retenue dans la défense des droits de cette dernière sous peine que ses actes ou ses paroles ne divulguent par inadvertance certains détails des renseignements confidentiels. C’est l’antithèse de ce qu’un avocat est censé faire pour représenter son client, et la personne visée se retrouverait sans un mandataire zélé capable de prendre toutes les mesures nécessaires à la défense de ses intérêts. Si l’avocat de la personne visée n’est pas exposé au moindre renseignement confidentiel, il peut agir comme il le souhaite et parler à qui il veut sans craindre de divulguer quoi que ce soit par inadvertance.

 

[122]       La section 9 de la LIPR n’a pas le moindre impact sur le droit d’un individu à être représenté par l’avocat de son choix. La personne visée est libre de choisir un avocat, comme dans toute autre procédure, et ses droits au titre de l’alinéa 10b) de la Charte sont donc respectés. Les avocats spéciaux ne sont pas les avocats de la personne visée, et d’ailleurs il n’y a pas lieu qu’ils le soient. Nommés par la Cour, ils représentent un substitut valable à la divulgation garantissant l’équité du procès. L’efficacité et l’intégrité du régime des avocats spéciaux sont renforcées par les dispositions de la LIPR qui lui confèrent les attributs d’une relation avocat‑client avec la personne visée, et sont nécessaires pour q’il s’agisse d’un substitut valable à la divulgation conforme à l’article 7 de la Charte. Cependant, ces attributs ne font pas de l’avocat spécial l’avocat de M. Mahjoub, et donc n’engagent pas son droit à embaucher l’avocat de son choix protégé par l’alinéa 10b).

 

 

f.    L’exigence selon laquelle la preuve admissible doit être « digne de foi et utile » au sens de l’alinéa 83(1)h) de la LIPR est‑elle inconstitutionnelle parce qu’imprécise, trop générale ou arbitraire?

 

[123]       M. Mahjoub soutient que l’alinéa 83(1)h) de la LIPR est inconstitutionnel pour cause d’imprécision, de portée trop générale ou de caractère arbitraire, l’expression « digne de foi et utile » étant insuffisamment définie et circonscrite, ce qui confère au juge un pouvoir discrétionnaire absolu d’admettre en preuve toutes sortes de renseignements.

 

[124]       Par souci de commodité, je reproduis ci‑après la disposition contestée :

83. (1) Les règles ci‑après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2 :

 

h) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément — même inadmissible en justice — qu’il estime digne de foi et utile et peut fonder sa décision sur celui‑ci;

 

 

[…]

 

 

(1.1) Pour l’application de l’alinéa (1)h), sont exclus des éléments de preuve dignes de foi et utiles les renseignements dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture, au sens de l’article 269.1 du Code criminel, ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, au sens de la Convention contre la torture.

83. (1) The following provisions apply to proceedings under any of sections 78 and 82 to 82.2:

 

(h) the judge may receive into evidence anything that, in the judge’s opinion, is reliable and appropriate, even if it is inadmissible in a court of law, and may base a decision on that evidence;

 

 

 

(1.1) For the purposes of paragraph (1)(h), reliable and appropriate evidence does not include information that is believed on reasonable grounds to have been obtained as a result of the use of torture within the meaning of section 269.1 of the Criminal Code, or cruel, inhuman or degrading treatment or punishment within the meaning of the Convention Against Torture.

 

 

[125]       Le critère de l’imprécision a été établi dans l’arrêt R. c Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 RCS 606, à la page 643, et formulé par la Cour suprême en ces termes : « [l]a théorie de l’imprécision peut donc se résumer par la proposition suivante : une loi sera jugée d’une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire. » Dans l’arrêt Suresh, la Cour suprême a ajouté au paragraphe 81 qu’une loi est imprécise si « (1) elle ne prévient pas raisonnablement les personnes auxquelles elle pourrait s’appliquer des conséquences de leur conduite; ou (2) elle ne limite pas convenablement le pouvoir discrétionnaire en matière d’application de la loi […] ».

 

i.    L’expression « digne de foi et utile » ou une norme de ce type a‑t‑elle été définie par les tribunaux?

 

[126]       Comme la Cour dans l’arrêt Harkat s’était reportée à la version française, d’égale autorité, de l’expression contestée « reasonably informed » pour en élucider le sens, je me tournerai aussi vers la version française de « reliable and appropriate » pour plus de précisions. « Digne de foi » signifie habituellement « credible » en anglais et « utile » « useful ». Cela veut dire que le Parlement souhaitait que la Cour détermine, avant de les admettre en preuve, si les renseignements produits par les parties sont crédibles et s’ils lui seront utiles.

 

[127]       L’arrêt Mooring c Canada (CNLC), [1996] 1 RCS 75, au paragraphe 27 (page 92), fournit des instructions additionnelles. Dans cette décision, le juge Sopinka indique qu’il incombe à la Commission des libérations conditionnelles de considérer tous les renseignements dignes de foi, « pourvu que ceux‑ci n’aient pas été obtenus irrégulièrement ». Le paragraphe 36 (page 96) évoque le critère des renseignements « sûrs et convaincants » et exclut expressément les informations obtenues par la torture, à titre d’exemple extrême. S’il s’agit de déterminer si les renseignements sont dignes de foi, il faut en examiner la source.

 

[128]       Le terme « reliable » renvoie donc à des éléments de preuve crédibles et, d’une manière ou d’une autre, dignes de foi. Le terme « appropriate » signale que ces renseignements sont utiles à la Cour au moment de rendre sa décision, et aussi qu’ils ont été obtenus d’une manière régulière, interprétation d’ailleurs appuyée par le paragraphe 83(1.1) qui fournit un exemple clair de preuve inappropriée.

 

[129]       Cette disposition n’est donc pas imprécise. La définition de l’expression « reliable and appropriate » permet de guider le débat juridique : pour que des renseignements soient exclus de la preuve, une partie peut soutenir (comme le fait ici M. Mahjoub) qu’ils ne sont pas crédibles, qu’ils ne sont pas utiles à la Cour, ou qu’ils ont été obtenus de manière irrégulière. Par ailleurs, la disposition indique aux personnes visées, aux ministres et aux organismes gouvernementaux que les renseignements qu’ils cherchent à soumettre en preuve à la Cour fédérale lors d’instances concernant des certificats de sécurité doivent être dignes de foi, utiles et avoir été obtenus de manière régulière; elle leur signale aussi clairement que les renseignements dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par la torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants, ne seront pas admissibles. Cette restriction limite pour sa part le pouvoir discrétionnaire du gouvernement quant à la méthode d’obtention et à la source des renseignements invoqués à l’appui des certificats de sécurité.

 

ii.   Cette disposition autorise‑t‑elle la présentation d’une preuve disproportionnée ou nettement disproportionnée à l’objectif de présenter une preuve équitable et utile?

 

[130]       Dans Jaballah (Re), 2010 CF 79, au paragraphe 52, la juge Dawson répond par les remarques suivantes à l’argument par lequel M. Jaballah conteste la norme de preuve plus souple régissant les instances relatives aux certificats de sécurité :

Le fait que le législateur fédéral ait prévu un critère différent en ce qui concerne l’admission de la preuve dans le contexte des instances portant sur des certificats de sécurité ne rend pas en soi l’instance injuste ou non conforme aux principes de justice fondamentale. L’alinéa 83(1)h) de la Loi reflète le contexte des instances mettant en cause la sécurité nationale, en tenant compte, par exemple, de la difficulté créée par l’admission d’éléments de preuve qui peuvent avoir été reçus par un service du renseignement étranger et qui constitueraient une preuve par ouï‑dire. Le pouvoir discrétionnaire conféré à l’alinéa 83(1)h) de la Loi doit être exercé d’une manière rationnelle, en conformité avec le principe de la primauté du droit et les principes de justice fondamentale applicables.

 

 

[131]       Bien que M. Jaballah n’ait pas contesté directement la disposition, estimant qu’« il serait très difficile pour l’État, compte tenu de la nature des enquêtes en matière de sécurité, de devoir se conformer aux règles d’admissibilité des preuves en matière civile ou pénale » (au paragraphe 51), je ne vois aucune raison de m’écarter de la conclusion de la juge Dawson. La disposition ne confère pas au juge un « pouvoir discrétionnaire » absolu d’admettre des renseignements qui rendent l’instance inéquitable : le pouvoir discrétionnaire du juge doit s’exercer conformément aux principes de la justice fondamentale.

 

[132]       Dans l’arrêt Lavallee c Alberta (Securities Commission), 2010 ABCA 48 [Lavallee], la Cour d’appel de l’Alberta a retenu l’interprétation la plus large et la plus discrétionnaire possible d’une disposition prévoyant une norme de preuve restrictive. Au paragraphe 14, la Cour d’appel de l’Alberta reconnaît le droit et même l’obligation du tribunal d’envisager l’admissibilité de la preuve, et juge inapproprié d’[traduction] « établir une liste interminable de situations dans lesquelles un tribunal peut et doit exercer ce droit ». La Cour d’appel ajoute, au paragraphe 16, que la disposition contestée [traduction] « indique que la Commission n’est pas liée par les règles de la preuve : elle ne dit pas qu’elle est obligée de les ignorer complètement ». Enfin, au paragraphe 17, la Cour d’appel de l’Alberta fait remarquer qu’[traduction] « il ne s’ensuit pas que les tribunaux de la Commission doivent tenir d’office un voir dire pour déterminer l’admissibilité de la preuve. Ni la législation ni les principes de l’équité procédurale ne l’exigent ».

 

[133]       De même, le pouvoir discrétionnaire est un élément positif de la disposition en ce qui se rapporte aux instances concernant la section 9, pour autant qu’il s’exerce dans les limites du critère « digne de foi et utile » évoqué plus haut. Les renseignements [traduction] « disproportionnés ou nettement disproportionnés » à [traduction] « l’objectif légitime de présenter des éléments de preuve équitables et utiles », pour citer M. Mahjoub, ne seraient pas admissibles, car ils n’obéiraient pas à l’exigence de [traduction] « l’utilité ». Comme dans l’arrêt Lavallee, le juge qui préside une instance se rapportant à la section 9 n’est pas tenu d’ignorer totalement les règles de la preuve, ces règles ayant été élaborées principalement par souci de fiabilité et d’utilité.

 

[134]       L’alinéa 83(1)h) ne prive pas la Cour du pouvoir discrétionnaire d’exclure des éléments de preuve qui rendraient l’instance inéquitable. En fait, l’emploi du mot « peut » suggère le contraire, à savoir que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de ne pas admettre en preuve quelque renseignement particulier (Jaballah (Re), 2010 CF 224, au paragraphe 63). Le redressement accordé dans l’arrêt Harkat, et mis en œuvre dans la présente instance, est un exemple d’exclusion d’une preuve inéquitable. Encore une fois, ce pouvoir discrétionnaire doit s’exercer conformément aux principes de la justice fondamentale.

 

[135]       M. Mahjoub revendique le droit de tenir pour [traduction] « présumée inadmissible » la preuve par ouï‑dire. Il invoque l’arrêt R. c Khelawon, 2006 CSC 57 [Khelawon], et soutient que la partie qui produit une preuve par ouï‑dire doit s’acquitter du fardeau d’établir qu’elle est digne de foi avant qu’elle ne soit admise.

 

[136]       Comme l’alinéa 83(1)h) exige que la preuve soit « digne de foi et utile », il incombe à la partie qui produit une preuve par ouï‑dire, ou toute autre preuve, d’établir qu’elle est digne de foi (et utile), comme je l’ai longuement expliqué dans les motifs d’ordonnance se rapportant à la requête fondée sur le paragraphe 83(1.1) (Mahjoub (Re), 2010 CF 787, aux paragraphes 42 et 46). Compte tenu du caractère expéditif des procédures imposé par l’alinéa 83(1)a), et comme il ne s’agit pas d’une instance criminelle, il serait néanmoins déplacé de tenir formellement un voir dire à chaque fois qu’une preuve par ouï‑dire est produite, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Lavallee, précité, contrairement à ce qui prévaut en droit criminel (Khelawon, au paragraphe 47). Comme cela a été le cas en l’espèce, lorsqu’une partie s’oppose à ce que la partie adverse tente d’introduire des éléments de preuve, ou de sa propre initiative, la Cour peut recevoir des observations sur le caractère digne de foi et utile de la preuve qu’une partie cherche à soumettre, et se prononcer ensuite sur son admissibilité. De telles décisions ont été rendues ponctuellement tout au long de l’instance, mais la requête en exclusion d’une preuve fondée sur le paragraphe 83(1.1), et la requête en exclusion d’éléments de preuve de source inconnue, montrent aussi que les avocats spéciaux peuvent demander aux ministres de démontrer le caractère digne de foi et utile de la preuve sur laquelle ils se fondent.

 

[137]       Bien qu’en autorisant l’admission de preuves autrement irrecevables, l’alinéa 83(1)h) supprime l’inadmissibilité présumée de la preuve par ouï‑dire, il ne crée pas une présomption selon laquelle cette preuve est admissible. Cela dit, en pratique et tout au long de l’instance, la Cour a exigé de la partie adverse qu’elle [traduction] « soulève la question » du caractère digne de foi ou utile de la preuve (comme l’a reconnu M. Mahjoub dans le cas de la requête fondée sur le paragraphe 83(1.1), Motifs de l’ordonnance au paragraphe 54), qu’il revenait alors à la partie qui présentait la preuve de réfuter. Le fardeau d’établir l’admissibilité continue d’incomber à la partie qui soumet la preuve.

 

[138]       Comme avec le critère de [traduction] « la nécessité et la fiabilité » régissant les exceptions à la règle du ouï‑dire en droit criminel, il convient de distinguer entre le « seuil de fiabilité » aux fins de l’admissibilité, et la « fiabilité en dernière analyse », qui déterminera quel poids le juge des faits donnera à la preuve (Khelawon, au paragraphe 3). Ce faisant, le juge doit néanmoins tenir compte de tous les facteurs qui influent sur la fiabilité des renseignements, notamment ceux qui menacent ou non l’équité du procès, et pas seulement des circonstances dans lesquelles ils ont été obtenus (ibid., au paragraphe 55).

 

[139]       Le droit constitutionnel mis en jeu par l’exigence voulant que la preuve présentée à la Cour soit « digne de foi et utile » est le même que dans les procès criminels, où la preuve (en particulier par ouï‑dire) doit être [traduction] « nécessaire et fiable » pour être admissible. Le juge Charron s’est étendu sur ce droit aux paragraphes 48 et 49 de Khelawon :

 

[...] le droit constitutionnel garanti par l’art. 7 de la Charte n’est pas en soi le droit de confronter ou contre‑interroger des témoins opposés. Le processus judiciaire accusatoire, qui comprend le contre‑interrogatoire, n’est que le moyen de parvenir à la fin recherchée. L’équité du procès, en tant que principe de justice fondamentale, est la fin qui doit être atteinte. L’équité du procès englobe plus que les droits de l’accusé. Bien qu’elle comprenne indubitablement le droit de présenter une défense pleine et entière, l’équité du procès doit aussi être évaluée à la lumière de préoccupations sociales plus globales : voir R. c Mills, [1999] 3 RCS 668, par. 69‑76. Dans le contexte d’un examen de l’admissibilité, l’une de ces préoccupations est l’intérêt qu’a la société à ce que le processus judiciaire permette de découvrir la vérité.

 

La gamme plus vaste d’intérêts compris dans l’équité du procès se reflète dans le double principe de la nécessité et de la fiabilité. Le critère de la nécessité repose sur l’intérêt qu’a la société à découvrir la vérité. Étant donné qu’il n’est pas toujours possible de satisfaire au critère optimal du contre‑interrogatoire effectué au moment précis où la déclaration est faite, au lieu de simplement perdre la valeur de la preuve en question, il devient nécessaire dans l’intérêt de la justice de se demander si cette preuve devrait néanmoins être admise sous sa forme relatée. Le critère de la fiabilité vise à assurer l’intégrité du processus judiciaire. Bien qu’elle soit nécessaire, la preuve n’est pas admissible, sauf si elle est suffisamment fiable pour écarter les dangers que comporte la difficulté de la vérifier. 

 

 

[140]       Pour ce qui est de l’admissibilité de la preuve par ouï‑dire dans les instances relatives aux certificats de sécurité, je suis convaincu que l’exigence du caractère « digne de foi et utile » énoncée à l’alinéa 83(1)h) protège les droits de M. Mahjoub à un procès équitable. À mon avis, ce raisonnement s’applique aussi à d’autres types de preuve. Je conclus par conséquent que la disposition n’est pas inconstitutionnelle. 

 

iii.  Cette norme et le paragraphe 83(1.1) portent‑ils atteinte au droit de M. Mahjoub à un procès équitable en n’offrant pas de protection suffisante contre des éléments de preuve non dignes  de foi?

 

[141]       M. Mahjoub soutient qu’il a le droit d’être protégé contre des renseignements obtenus par la torture, mais il ne me renvoie à aucune disposition spécifique de la Charte. À mon avis, ce droit est englobé par le droit à un procès équitable prévu à l’article 7 de la Charte.

 

[142]       Bien qu’il ait obtenu en l’espèce l’exclusion d’éléments de preuve importants du fait de l’application du paragraphe 83(1.1) (voir Mahjoub (Re), 2010 CF 787), M. Mahjoub soutient que cette disposition ne va pas assez loin dans la protection de ses droits. Il affirme que le paragraphe 83(1.1) est inconstitutionnel parce qu’il ne crée pas de présomption réfragable en vertu de laquelle tous les renseignements provenant d’agences étrangères utilisant notoirement la torture sont obtenus par la torture. Il ajoute que la LIPR est incomplète parce qu’elle n’oblige pas le Service à déterminer la source originale de ses renseignements ni à les filtrer pour supprimer tous ceux qui ont été obtenus par la torture, avant que les ministres ne signent le certificat de sécurité.

 

[143]       M. Mahjoub semble prétendre qu’en l’absence d’une [traduction] « présomption réfragable », la disposition n’est pas conforme à la Charte. Je ne suis pas d’accord. Pour que son droit à un procès équitable soit respecté, il faut que les renseignements obtenus par la torture ou découlant de ce moyen soient exclus de la preuve. C’est ce que prévoit expressément la disposition en cause. M. Mahjoub ne m’a pas convaincu qu’une présomption réfragable était requise. Le juge désigné prendra une décision en se fondant sur la preuve qui lui est présentée dans chaque cas. L’absence d’une telle présomption ne m’a pas empêché d’exclure des éléments de preuve importants dans le cadre de la requête des avocats spéciaux fondée sur le paragraphe 83(1.1) de la LIPR pour inclure des éléments de preuve.

 

[144]       De plus, la section 9 de la LIPR n’est pas inconstitutionnelle simplement parce qu’elle n’oblige pas le Service à adopter une politique particulière ayant pour effet d’exclure des renseignements découlant de l’usage de la torture ou d’un traitement cruel, inhumain et dégradant. La collecte de tels renseignements par le Service n’engage les droits de la personne visés que lorsqu’ils sont produits en preuve dans le cadre d’une instance judiciaire ayant des répercussions sur ceux-ci. En l’espèce, la Cour ne peut qu’examiner les dispositions contestées censées enfreindre les droits de M. Mahjoub. Si des renseignements obtenus par la torture ne peuvent servir à étayer un certificat de sécurité signé à son encontre sans violer son droit à un procès équitable en raison de leur caractère intrinsèquement indigne de foi, leur exclusion du cours des procédures constitue un redressement suffisant. Le paragraphe 83(1.1) prévoit explicitement l’exclusion de tels renseignements.

 

[145]       La politique de contrôle inadéquate mise en place par le Service n’a d’importance dans le cas présent que dans la mesure où je n’ai pas été convaincu que celui-ci avait évité qu’un élément obtenu par la torture ne vienne étayer le Rapport de renseignement de sécurité (RRS) sur lequel le certificat de sécurité était fondé (Mahjoub (Re), 2010 CF 787, au paragraphe 90). Au‑delà de l’application du paragraphe 83(1.1), la Cour empiéterait sur la séparation des pouvoirs si elle obligeait le Service à mette en œuvre telle ou telle une politique. C’est à ce dernier qu’il revient d’adopter ses propres réformes internes, ou à la législature de lui imposer des modifications de la loi. 

 

g.      Le régime des certificats de sécurité porte‑t‑il atteinte au droit de M. Mahjoub de garder le silence aux termes des articles 7 et 13 de la Charte?

 

[146]       M. Mahjoub fait valoir que le régime de la section 9 porte atteinte à son droit de garder le silence, garanti par les articles 7 et 13 de la Charte, en le privant du choix éclairé et volontaire de témoigner ou non pour sa défense.

 

i.    L’article 13 s’applique‑t‑il à la présente instance?

[147]       Les ministres invoquent l’arrêt Knutson c S.R.N.A. (1990), 75 DLR (4e) 723 (Ca Sask), et soutiennent que l’article 13 de la Charte ne s’applique pas à la question soulevée par M. Mahjoub.

 

[148]       Par souci de commodité, je reproduis l’article 13 de la Charte ci‑après :

 

13. Chacun a droit à ce qu’aucun témoignage incriminant qu’il donne ne soit utilisé pour l’incriminer dans d’autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires.

13. A witness who testifies in any proceedings has the right not to have any incriminating evidence so given used to incriminate that witness in any other proceedings, except in a prosecution for perjury or for the giving of contradictory evidence.

 

 

[149]       M. Mahjoub n’a pas témoigné en l’espèce. Par conséquent, ce droit protégé par la Charte ne peut être applicable dans la présente instance que si les ministres avaient essayé de produire le témoignage que M. Mahjoub a livré devant le juge Nadon durant la précédente instance relative au certificat de sécurité. Cette question a été abordée par la juge Dawson dans l’une des décisions sur les questions communes (Jaballah (Re), 2010 CF 224, aux paragraphes 84 et 86 : elle s’appuie en partie sur Dubois c La Reine, [1985] 2 RCS 350). Je conviens avec elle qu’autoriser les ministres à utiliser le témoignage antérieur de M. Mahjoub reviendrait indirectement à le forcer à témoigner, et ils n’ont pas été autorisés à le faire. Par ailleurs, ces derniers ne cherchent pas à produire le témoignage qu’il a livré dans le cadre d’instances précédentes. Cette question ne se pose pas. Je conclus que l’article 13 de la Charte ne s’applique pas en l’occurrence.

 

ii.   Compte tenu de la preuve produite à huis clos, la décision de M. Mahjoub de témoigner ou non peut‑elle être tenue pour éclairée?

 

[150]       L’arrêt Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, confirme que la protection contre l’auto‑incrimination est un principe de justice criminelle et qu’à ce titre, le fait d’être contraint par l’état à témoigner engage le droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte (aux paragraphes 67, 69 et 70). La jurisprudence nous apprend aussi que pour que ce droit soit respecté, les accusés au criminel doivent pouvoir décider de témoigner de façon éclairée (R. c Underwood, [1998] 1 RCS 77, au paragraphe 5). Les décisions qui concernent ce droit en dehors du contexte criminel sont très rares.

 

[151]       Même en admettant qu’il s’agit d’une affaire administrative susceptible d’avoir de « véritables conséquences pénales », au sens de l’arrêt Wigglesworth, je ne suis pas convaincu que la simple existence d’une preuve produite à huis clos prive la personne visée de sa capacité de faire le choix éclairé de témoigner ou pas. L’alinéa 83(1)e) exige que lui soient fournis des résumés grâce auxquels elle sera suffisamment informée de la thèse des ministres pour être en mesure d’y répondre. Cela suppose nécessairement la divulgation d’une quantité suffisante de détails pour faire le choix éclairé de témoigner ou pas, ce qui fait partie intégrante de la réponse à opposer à la thèse des ministres.

 

[152]       Comme le régime de la section 9 prescrit que la personne visée soit informée de la thèse retenue contre elle avec suffisamment de détails pour lui permettre d’y répondre, je ne suis pas convaincu que l’existence d’une preuve produite à huis clos empêche M. Mahjoub de décider de manière éclairée s’il lui faut témoigner ou pas. De plus, ainsi qu’il a été établi dans la Décision sur le caractère raisonnable, je suis convaincu qu’il a été raisonnablement informé de la thèse des ministres (voir la Décision sur le caractère raisonnable, au paragraphe 173).

 

h.   La norme des « motifs raisonnables de croire » est‑elle trop peu proportionnelle aux répercussions d’une instance concernant un certificat de sécurité et au droit à l’application régulière de la loi?

 

[153]       M. Mahjoub conteste la norme de preuve se rapportant aux certificats de sécurité, à savoir les « motifs raisonnables de croire », au motif qu’elle est trop peu proportionnée aux droits en cause. Il soutient que les ministres doivent prouver leur thèse au moins suivant la norme civile de la preuve, sinon au‑delà de tout doute raisonnable.

 

[154]       La norme est énoncée à l’article 33 de la LIPR qui prévoit :

 

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

[Non souligné dans l’original.]

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

[Emphasis added]

 

 

[155]       L’article 81 autorise également la détention selon la norme des « motifs raisonnables de croire ». Par souci de commodité, je reproduis cette disposition ci‑après :

 

81. Le ministre et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration peuvent lancer un mandat pour l’arrestation et la mise en détention de la personne visée par le certificat dont ils ont des motifs raisonnables de croire qu’elle constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’elle se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

81. The Minister and the Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration may issue a warrant for the arrest and detention of a person who is named in a certificate if they have reasonable grounds to believe that the person is a danger to national security or to the safety of any person or is unlikely to appear at a proceeding or for removal.

[Emphasis added]

 

[156]       La juge Dawson a déjà tranché cette question dans Jaballah (Re), 2010 CF 79, une décision contraignante pour la Cour, comme l’a reconnu M. Mahjoub (voir l’ordonnance de la Cour du 15 mars 2010). Au paragraphe 2, la juge explique que « M. Jaballah affirme qu’il ne peut bénéficier d’une audience équitable parce que la Loi n’oblige pas les ministres à établir le bien‑fondé de leurs allégations selon la prépondérance des probabilités ». L’éminente juge conclut aux paragraphes 53 et 54 :

[...] Dans l’arrêt Charkaoui I, la Cour suprême n’a pas jugé qu’une norme de preuve particulière était un élément constitutif d’une audience équitable. La Cour suprême a souscrit, sans formuler de commentaires négatifs, à l’application de la norme des motifs raisonnables de croire dans le cadre du contrôle de la détention d’une personne nommée dans un certificat de sécurité...

 

Comme je viens tout juste de le mentionner, dans l’arrêt Charkaoui I, au paragraphe 39, la Cour suprême a déclaré que la norme des motifs raisonnables de croire était celle que devaient appliquer les juges chargés d’examiner les motifs justifiant le maintien en détention. Devant la Cour d’appel fédérale, M. Charkaoui avait plaidé que cette norme, qui avait été adoptée par le législateur fédéral pour justifier la délivrance d’un certificat de sécurité, était trop peu exigeante, et que la norme appropriée devait être plus rigoureuse et exiger que les actes invoqués pour justifier l’interdiction de territoire soient prouvés selon la prépondérance des probabilités. Aux paragraphes 102 à 107 de ses motifs, la Cour d’appel, dont un extrait de la décision a déjà été cité au paragraphe 17, a rejeté cet argument. Vu l’observation formulée par la Cour suprême du Canada au paragraphe 39, il semble que celle‑ci n’a pas annulé cette conclusion; elle lie donc notre Cour.

 

[157]       Aux paragraphes 114 et 115 de l’arrêt Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 [Mugesera], la Cour suprême décrit la norme en ces termes :

La première question que soulève l’al. 19(1)j) de la Loi sur l’immigration est celle de la norme de preuve correspondant à l’existence de « motifs raisonnables [de penser] » qu’une personne a commis un crime contre l’humanité. La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile : Sivakumar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF. 433 (CA.), p. 445; Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (CA.), par. 60.  La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : Sabour c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1615 (1re inst.).

 

En prévoyant l’application de cette norme à l’égard du crime de guerre et du crime contre l’humanité dans la Loi sur l’immigration, le législateur a clairement indiqué que ces crimes classés parmi les plus graves justifient une sanction extraordinaire.  Ainsi, une personne ne sera pas admissible au Canada s’il existe des motifs raisonnables de penser qu’elle a commis un crime contre l’humanité, même si ce crime n’est pas établi selon une norme de preuve plus stricte.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[158]       La juge Dawson souligne, et je suis de son avis, que la Cour suprême a confirmé dans l’arrêt Charkaoui I, au paragraphe 39, que la norme des « motifs raisonnables de croire » était celle qu’il convenait d’appliquer au contrôle des motifs de détention fondé sur le paragraphe 82(1) de la LIPR. M. Charkaoui avait fait valoir devant la Cour d’appel fédérale que cette norme était inappropriée, car trop peu exigeante. Dans l’arrêt Charkaoui (Re) (2004), 247 DLR (4e) 405, aux paragraphes 102 à 107, la majorité a rejeté cet argument. La Cour suprême s’est rangée à l’avis de la Cour d’appel.

 

[159]       M. Mahjoub soutient que même s’il monte une défense, il sera incapable de réfuter la thèse des ministres parce que la norme de preuve est trop conciliante.

 

[160]       Cet argument a également été écarté dans cette affaire. Aux paragraphes 44 et 45 de Jaballah (Re), 2010 CF 79, la juge Dawson rejette l’observation de M. Jaballah selon laquelle :

[…] il est possible de conclure qu’il est probable qu’une personne ne soit pas membre d’une organisation terroriste tout en croyant raisonnablement que cette même personne en est membre. Si la preuve établit l’existence d’une probabilité, c’est‑à‑dire si elle démontre qu’une chose est plus probable qu’improbable, pareille conclusion exclut tout motif raisonnable de croire le contraire.

 

De plus, malgré la règle d’interprétation prévue à l’article 33 de la Loi, lorsque la preuve est contradictoire sur un point, la Cour doit trancher en déterminant quelle version des faits est la plus probable. Un certificat de sécurité ne peut être jugé raisonnable si la Cour est convaincue que la prépondérance des éléments de preuve crédibles va à l’encontre des allégations des ministres.

 

 

 

[161]       Par ailleurs, au paragraphe 101 de la décision Almrei, le juge Mosley déclarait :

[...] Lorsque les deux parties produisent une preuve considérable et que des versions concurrentes des faits sont présentées à la Cour, la norme du caractère raisonnable exige une évaluation de la preuve et des conclusions établissant les faits qui seront acceptés. La Cour ne peut conclure au caractère raisonnable d’un certificat si elle est convaincue que la prépondérance de la preuve infirme ce que prétendent les ministres.

 

 

[162]       À mon avis, il ne fait aucun doute que M. Mahjoub peut réfuter la thèse des ministres selon la norme de la preuve des « motifs raisonnables de croire » en présentant ses propres arguments. Cette question a déjà été tranchée.

 

[163]       Les commentaires de l’arrêt Charkaoui I cités plus haut, combinés aux remarques de la Cour suprême dans l’arrêt Mugasera et à la décision de la juge Dawson dans Jaballah, sont contraignants pour la Cour. La question est donc réglée.

 

[164]       Comme la jurisprudence est sans équivoque sur la question, j’estime que l’avocat public a abusé des procédures de la Cour en soulevant de nouveau cet argument en l’espèce (voir Toronto (Ville) c S.CF.P., section locale 79, [2003] 3 RCS 77, aux paragraphes 35‑55).

 

i.    Le régime de la LIPR autorisait‑il les ministres à détenir arbitrairement M. Mahjoub?

 

[165]       M. Mahjoub affirme qu’en raison de l’inconstitutionnalité alléguée de la section 9 de la LIPR, l’article 81 concernant la mise en détention autorise la détention illégale et donc arbitraire. Il avance un argument complémentaire et plus spécifique portant que le régime de la section 9 peut être considéré comme relevant de la [traduction] « justice préventive », et implique donc qu’il soit permis à l’individu de mener une vie normale, en proportion avec le danger établi qu’il représente pour la société.

 

i.    S’agit‑il d’un cas de justice préventive dans lequel la personne concernée doit être autorisée à mener une vie normale, en proportion avec le danger allégué et établi?

 

[166]       M. Mahjoub fait une analogie entre le régime de la section 9 et l’article 810.1 du Code criminel, autre régime visant à prévenir un danger lorsqu’un individu est considéré comme une menace à la sécurité publique. Comme l’explique l’arrêt R. c Budreo (2000), 46 OR (3e) 481 (CA), cette disposition permet à la Cour d’obliger cet individu à contracter un engagement, même s’il n’a jamais commis d’infraction auparavant. Au paragraphe 25, la Cour d’appel de l’Ontario qualifie cette disposition de [traduction] « préventive », et non de [traduction] « punitive ». Pour être considérée comme [traduction] « punitive », cette mesure doit supposer, d’après la Cour d’appel de l’Ontario au paragraphe 29, [traduction] « de véritables sanctions pénales », au sens de l’arrêt Wigglesworth. La Cour conclut au paragraphe 30 que l’article 810.1 [traduction] « ne vise pas à punir un crime, mais à prévenir sa perpétration. Les sanctions qu’il prévoit ne sont pas punitives, et n’ont pas non plus pour objet de réparer un tort; elles ont pour effet de restreindre les activités et la liberté de mouvement d’une personne afin de protéger un groupe vulnérable dans notre société d’un danger futur ». Plus important encore, la Cour d’appel de l’Ontario conclut au paragraphe 39 :

[traduction]

 

Je crois qu’il est juste de conclure que la détention ou l’emprisonnement au titre d’une disposition qui ne prévoit pas le dépôt d’accusations représenterait une restriction inacceptable à la liberté d’un défendeur et serait contraire aux principes de la justice fondamentale. Mais comme l’a fait observer Then J., les restrictions envisagées par l’article 810.1 permettent au défendeur de mener une vie raisonnablement normale.

 

 

[167]       M. Mahjoub invoque les décisions Noble c Teale, [2006] R.JQ. 181 (CS) et R. c Dyck (2005), 203 CCC (3e) 365 (CSJ Ont), et soutient par ailleurs que comme la section 9 autorise l’emprisonnement ou la remise en liberté sous réserve de conditions strictes sans prévoir le dépôt d’accusations, la détention enfreint un principe de justice fondamentale et viole son droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l’article 9 de la Charte. La réponse préventive de l’État à une menace, soutient‑il, doit être proportionnelle au risque évalué et doit permettre à la personne visée de mener une vie normale, dans la mesure du possible.

 

ii.   Le cas échéant, le régime de la LIPR répond‑il à cette exigence?

 

[168]       Il est vrai que le régime de la section 9, en particulier l’article 81, autorise la détention sans prévoir le dépôt d’accusations, entièrement sur la base du danger. Je reproduis ci‑après la disposition sur la détention :

 

81. Le ministre et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration peuvent lancer un mandat pour l’arrestation et la mise en détention de la personne visée par le certificat dont ils ont des motifs raisonnables de croire qu’elle constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’elle se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

 

81. The Minister and the Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration may issue a warrant for the arrest and detention of a person who is named in a certificate if they have reasonable grounds to believe that the person is a danger to national security or to the safety of any person or is unlikely to appear at a proceeding or for removal.

 

[169]       Dans l’arrêt Charkaoui I, les appelants ont soulevé la question de la détention arbitraire au regard de la section 9 de la LIPR. La Cour suprême a rejeté leur argument au paragraphe 89 :

Je rejetterais l’argument de M. Almrei selon lequel la détention automatique des étrangers est arbitraire parce qu’elle s’applique sans qu’il soit tenu compte de la situation personnelle du détenu. La détention n’est pas arbitraire quand elle se fonde sur des [traduction] « critères qui ont un lien rationnel avec l’objectif visé par l’attribution du pouvoir de détention » : P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (éd. feuilles mobiles), vol. 2, p. 46‑5. L’événement à l’origine de la détention d’un étranger est la signature du certificat attestant que ce dernier est interdit de territoire pour raison de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée. Le motif de la sécurité est basé sur le danger que représente la personne désignée, et constitue un fondement rationnel pour la détention [...] dans le contexte de la sécurité nationale, la signature d’un certificat pour raison de sécurité en vertu de l’art. 77 de la LIPR a nécessairement un lien avec le caractère dangereux de l’individu. Bien que tous les autres motifs de délivrance d’un certificat prévus au par. 77(1) ne soient pas probants quant au danger que pose la personne désignée, le danger n’est pas le seul motif valable du point de vue constitutionnel pour lequel une personne peut être détenue et le caractère arbitraire de la détention pour ces autres motifs n’a pas été plaidé.

 

 

[170]       Aux termes de l’article 81, les ministres doivent être convaincus que la personne visée constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui, ou encore qu’elle se soustraira vraisemblablement au renvoi avant qu’ils ne puissent la détenir. En vertu de l’article 82, le juge de la Cour fédérale qui procède au contrôle des motifs de la détention de la personne visée, ou des conditions de sa remise en liberté, doit attentivement étudier sa situation ainsi que les mesures spécifiques requises pour neutraliser la menace établie par les ministres. La section 9 de la LIPR tient donc compte de la situation de l’individu et s’assure que la détention est constamment proportionnelle à la menace.

 

[171]       Dans l’arrêt Charkaoui I, la Cour suprême a conclu que la détention fondée sur le régime des certificats de sécurité n’était pas arbitraire, en particulier lorsque le certificat est signé pour des motifs liés à la sécurité. Ces motifs regardent le danger que représente la personne visée et justifient donc rationnellement la détention.

 

[172]       Par ailleurs, le régime prévoit des garanties liées au contrôle judiciaire de la détention. Le premier de ces contrôles doit s’effectuer dans les 48 heures de la détention, et ensuite tous les six mois. Pour que la détention se poursuive, le juge chargé du contrôle doit être convaincu que la libération conditionnelle de la personne visée serait préjudiciable à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui (paragraphes 82(1) à (5)).

 

[173]       Lorsque le certificat a à voir avec la sécurité nationale et qu’il est délivré pour des motifs de sécurité renvoyant nécessairement au danger que représente l’individu, je suis convaincu que la détention n’est pas arbitraire.

 

Conclusion

[174]       En conclusion, compte tenu du raisonnement qui précède, j’estime que les contestations de M. Mahjoub concernant l’article 33 et la section 9 de la LIPR de même que certaines dispositions de la Loi visant à modifier la LIPR doivent être rejetées. Ces diverses dispositions, examinées individuellement et collectivement, n’enfreignent pas les droits de M. Mahjoub protégés par la Charte.

 

[175]       Par ailleurs, j’adopte, aux fins de la présente requête, mes conclusions concernant la remise en cause constitutionnelle de certaines dispositions de la Loi sur le SCRS par M. Mahjoub dans la décision touchant sa requête en exclusion des éléments de preuve obtenus grâce à des mandats autorisés au titre de l’article 21 de la Loi sur le SCRS.

 

[176]       Par conséquent, les contestations constitutionnelles de M. Mahjoub sont rejetées.


ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


ANNEXE I – Dispositions législatives contestées

 

 

4. La section 9 de la partie 1 de la même loi est remplacée par ce qui suit :

 

[Les articles 76-87.2 de la LIPR actuelle]

 

6. Aux articles 7 à 10, « Loi » s’entend de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

7. (3) Dans le cas où, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration déposent à la Cour fédérale un nouveau certificat au titre du paragraphe 77(1) de la Loi, édicté par l’article 4 de la présente loi, la personne visée par le certificat qui est détenue au titre de la section 9 de la partie 1 de la Loi à l’entrée en vigueur de la présente loi demeure en détention sans que les ministres aient à lancer un mandat pour son arrestation et sa détention au titre de l’article 81 de la Loi, édicté par l’article 4 de la présente loi; celle qui est en liberté sous condition au titre de la section 9 de la partie 1 de la Loi à l’entrée en vigueur de la présente loi demeure en liberté aux mêmes conditions, à moins que les ministres ne lancent un mandat pour son arrestation et sa détention au titre de l’article 81 de la Loi, édicté par l’article 4 de la présente loi.

 

 

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

 

76. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section.

« juge »

“judge”

« juge » Le juge en chef de la Cour fédérale ou le juge de cette juridiction désigné par celui-ci.

« renseignements »

“information”

« renseignements » Les renseignements en matière de sécurité ou de criminalité et ceux obtenus, sous le sceau du secret, de source canadienne ou du gouvernement d’un État étranger, d’une organisation internationale mise sur pied par des États ou de l’un de leurs organismes.

 

77. (1) Le ministre et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration déposent à la Cour fédérale le certificat attestant qu’un résident permanent ou qu’un étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée.

 

(2) Le ministre dépose en même temps que le certificat les renseignements et autres éléments de preuve justifiant ce dernier, ainsi qu’un résumé de la preuve qui permet à la personne visée d’être suffisamment informée de sa thèse et qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon le ministre, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

 

 

 

 

(3) Il ne peut être procédé à aucune instance visant la personne au titre de la présente loi tant qu’il n’a pas été statué sur le certificat. Ne sont pas visées les instances relatives aux articles 82 à 82.3, 112 et 115

 

 

 

 

78. Le juge décide du caractère raisonnable du certificat et l’annule s’il ne peut conclure qu’il est raisonnable.

 

 

79. La décision n’est susceptible d’appel devant la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci; toutefois, les décisions interlocutoires ne sont pas susceptibles d’appel.

 

80. Le certificat jugé raisonnable fait foi de l’interdiction de territoire et constitue une mesure de renvoi en vigueur, sans qu’il soit nécessaire de procéder au contrôle ou à l’enquête.

 

 

81. Le ministre et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration peuvent lancer un mandat pour l’arrestation et la mise en détention de la personne visée par le certificat dont ils ont des motifs raisonnables de croire qu’elle constitue un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’elle se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi.

 

82. (1) Dans les quarante-huit heures suivant le début de la détention, le juge entreprend le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention.

 

(2) Tant qu’il n’est pas statué sur le certificat, le juge entreprend un autre contrôle des motifs justifiant le maintien en détention au moins une fois au cours des six mois suivant la conclusion du dernier contrôle.

 

(3) La personne dont le certificat a été jugé raisonnable et qui est maintenue en détention peut demander à la Cour fédérale un autre contrôle des motifs justifiant ce maintien une fois expiré un délai de six mois suivant la conclusion du dernier contrôle.

 

 

(4) La personne mise en liberté sous condition peut demander à la Cour fédérale un autre contrôle des motifs justifiant le maintien des conditions une fois expiré un délai de six mois suivant la conclusion du dernier contrôle.

 

(5) Lors du contrôle, le juge :

 

a) ordonne le maintien en détention s’il est convaincu que la mise en liberté sous condition de la personne constituera un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’elle se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi si elle est mise en liberté sous condition;

 

b) dans les autres cas, ordonne ou confirme sa mise en liberté et assortit celle-ci des conditions qu’il estime indiquées.

 

 

82.1 (1) Le juge peut modifier toute ordonnance rendue au titre du paragraphe 82(5) sur demande du ministre ou de la personne visée par l’ordonnance s’il est convaincu qu’il est souhaitable de le faire en raison d’un changement important des circonstances ayant donné lieu à l’ordonnance.

 

(2) Pour le calcul de la période de six mois prévue aux paragraphes 82(2), (3) ou (4), la conclusion du dernier contrôle est réputée avoir eu lieu à la date à laquelle la décision visée au paragraphe (1) est rendue.

 

 

82.2 (1) L’agent de la paix peut arrêter et détenir toute personne mise en liberté au titre des articles 82 ou 82.1 s’il a des motifs raisonnables de croire qu’elle a contrevenu ou est sur le point de contrevenir à l’une ou l’autre des conditions de sa mise en liberté.

 

(2) Le cas échéant, il la conduit devant un juge dans les quarante-huit heures suivant le début de la détention.

 

(3) S’il conclut que la personne a contrevenu ou était sur le point de contrevenir à l’une ou l’autre des conditions de sa mise en liberté, le juge, selon le cas :

 

a) ordonne qu’elle soit maintenue en détention s’il est convaincu que sa mise en liberté sous condition constituera un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d’autrui ou qu’elle se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi si elle est mise en liberté sous condition;

 

b) confirme l’ordonnance de mise en liberté;

 

c) modifie les conditions dont la mise en liberté est assortie.

 

(4) Pour le calcul de la période de six mois prévue aux paragraphes 82(2), (3) ou (4), la conclusion du dernier contrôle est réputée avoir eu lieu à la date à laquelle la décision visée au paragraphe (3) est rendue.

 

 

82.3 Les décisions rendues au titre des articles 82 à 82.2 ne sont susceptibles d’appel devant la Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci; toutefois, les décisions interlocutoires ne sont pas susceptibles d’appel.

 

82.4 Le ministre peut, en tout temps, ordonner la mise en liberté de la personne détenue au titre de l’un des articles 82 à 82.2 pour lui permettre de quitter le Canada.

 

 

83. (1) Les règles ci-après s’appliquent aux instances visées aux articles 78 et 82 à 82.2 :

 

 

a) le juge procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive;

 

b) il nomme, parmi les personnes figurant sur la liste dressée au titre du paragraphe 85(1), celle qui agira à titre d’avocat spécial dans le cadre de l’instance, après avoir entendu l’intéressé et le ministre et accordé une attention et une importance particulières aux préférences de l’intéressé;

 

 

c) il peut d’office tenir une audience à huis clos et en l’absence de l’intéressé et de son conseil — et doit le faire à chaque demande du ministre — si la divulgation des renseignements ou autres éléments de preuve en cause pourrait porter atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

 

 

 

d) il lui incombe de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

 

e) il veille tout au long de l’instance à ce que soit fourni à l’intéressé un résumé de la preuve qui ne comporte aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et qui permet à l’intéressé d’être suffisamment informé de la thèse du ministre à l’égard de l’instance en cause;

 

 

 

f) il lui incombe de garantir la confidentialité des renseignements et autres éléments de preuve que le ministre retire de l’instance;

 

g) il donne à l’intéressé et au ministre la possibilité d’être entendus;

 

 

h) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément — même inadmissible en justice — qu’il estime digne de foi et utile et peut fonder sa décision sur celui-ci;

 

 

i) il peut fonder sa décision sur des renseignements et autres éléments de preuve même si un résumé de ces derniers n’est pas fourni à l’intéressé;

 

 

j) il ne peut fonder sa décision sur les renseignements et autres éléments de preuve que lui fournit le ministre et les remet à celui-ci s’il décide qu’ils ne sont pas pertinents ou si le ministre les retire.

 

(1.1) Pour l’application de l’alinéa (1)h), sont exclus des éléments de preuve dignes de foi et utiles les renseignements dont il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont été obtenus par suite du recours à la torture, au sens de l’article 269.1 du Code criminel, ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, au sens de la Convention contre la torture.

 

(1.2) Si l’intéressé demande qu’une personne en particulier soit nommée au titre de l’alinéa (1)b), le juge nomme cette personne, à moins qu’il estime que l’une ou l’autre des situations ci-après s’applique:

 

a) la nomination de cette personne retarderait indûment l’instance;

 

b) la nomination de cette personne mettrait celle-ci en situation de conflit d’intérêts;

 

c) cette personne a connaissance de renseignements ou d’autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui et, dans les circonstances, ces renseignements ou autres éléments de preuve risquent d’être divulgués par inadvertance.

 

(2) Il est entendu que le pouvoir du juge de nommer une personne qui agira à titre d’avocat spécial dans le cadre d’une instance comprend celui de mettre fin à ses fonctions et de nommer quelqu’un pour la remplacer.

 

84. L’article 83 — sauf quant à l’obligation de fournir un résumé — et les articles 85.1 à 85.5 s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à l’appel interjeté au titre des articles 79 ou 82.3 et à tout appel subséquent.

 

85. (1) Le ministre de la Justice dresse une liste de personnes pouvant agir à titre d’avocat spécial et publie la liste de la façon qu’il estime indiquée pour la rendre accessible au public

 

2) La Loi sur les textes réglementaires ne s’applique pas à la liste.

 

(3) Le ministre de la Justice veille à ce que soient fournis à tout avocat spécial un soutien administratif et des ressources adéquats.

 

85.1 (1) L’avocat spécial a pour rôle de défendre les intérêts du résident permanent ou de l’étranger lors de toute audience tenue à huis clos et en l’absence de celui-ci et de son conseil dans le cadre de toute instance visée à l’un des articles 78 et 82 à 82.2.

 

 

 

(2) Il peut contester :

 

a) les affirmations du ministre voulant que la divulgation de renseignements ou autres éléments de preuve porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui;

 

b) la pertinence, la fiabilité et la suffisance des renseignements ou autres éléments de preuve fournis par le ministre, mais communiqués ni à l’intéressé ni à son conseil, et l’importance qui devrait leur être accordée.

 

(3) Il est entendu que l’avocat spécial n’est pas partie à l’instance et que les rapports entre lui et l’intéressé ne sont pas ceux qui existent entre un avocat et son client.

 

 

(4) Toutefois, toute communication entre l’intéressé ou son conseil et l’avocat spécial qui serait protégée par le secret professionnel liant l’avocat à son client si ceux-ci avaient de tels rapports est réputée être ainsi protégée, et il est entendu que l’avocat spécial ne peut être contraint à témoigner à l’égard d’une telle communication dans quelque instance que ce soit.

 

 

85.2 L’avocat spécial peut:

 

a) présenter au juge ses observations, oralement ou par écrit, à l’égard des renseignements et autres éléments de preuve fournis par le ministre, mais communiqués ni à l’intéressé ni à son conseil;

 

b) participer à toute audience tenue à huis clos et en l’absence de l’intéressé et de son conseil, et contre-interroger les témoins;

 

 

 

c) exercer, avec l’autorisation du juge, tout autre pouvoir nécessaire à la défense des intérêts du résident permanent ou de l’étranger.

 

85.3 L’avocat spécial est dégagé de toute responsabilité personnelle en ce qui concerne les faits — actes ou omissions — accomplis de bonne foi dans le cadre de la présente section.

 

85.4 (1) Il incombe au ministre de fournir à l’avocat spécial, dans le délai fixé par le juge, copie de tous les renseignements et autres éléments de preuve qui ont été fournis au juge, mais qui n’ont été communiqués ni à l’intéressé ni à son conseil.

 

 

(2) Entre le moment où il reçoit les renseignements et autres éléments de preuve et la fin de l’instance, l’avocat spécial ne peut communiquer avec qui que ce soit au sujet de l’instance si ce n’est avec l’autorisation du juge et aux conditions que celui-ci estime indiquées.

 

 

(3) Dans le cas où l’avocat spécial est autorisé à communiquer avec une personne, le juge peut interdire à cette dernière de communiquer avec qui que ce soit d’autre au sujet de l’instance, et ce jusqu’à la fin de celle-ci, ou assujettir à des conditions toute communication de cette personne à ce sujet, jusqu’à la fin de l’instance.

 

85.5 Sauf à l’égard des communications autorisées par tout juge, il est interdit à quiconque :

 

a) de divulguer des renseignements et autres éléments de preuve qui lui sont communiqués au titre de l’article 85.4 et dont la confidentialité est garantie par le juge présidant l’instance;

 

b) de communiquer avec toute personne relativement au contenu de tout ou partie d’une audience tenue à huis clos et en l’absence de l’intéressé et de son conseil dans le cadre d’une instance visée à l’un des articles 78 et 82 à 82.2.

 

85.6 (1) Les juges en chef de la Cour d’appel fédérale et de la Cour fédérale peuvent chacun établir un comité chargé de prendre des règles régissant la pratique et la procédure relatives à la participation de l’avocat spécial aux instances devant leurs cours respectives; ces règles l’emportent sur les règles et usages qui seraient par ailleurs applicables.

 

 

(2) Le cas échéant, chaque comité est composé du juge en chef de la cour en question, du procureur général du Canada ou un ou plusieurs de ses représentants, et d’un ou de plusieurs avocats membres du barreau d’une province ayant de l’expérience dans au moins un domaine de spécialisation du droit qui se rapporte aux instances visées. Le juge en chef peut y nommer tout autre membre de son comité.

 

 

 

(3) Les juges en chef de la Cour fédérale d’appel et de la Cour fédérale président leurs comités respectifs ou choisissent un membre pour le faire.

 

 

86. Le ministre peut, dans le cadre de l’appel devant la Section d’appel de l’immigration, du contrôle de la détention ou de l’enquête, demander l’interdiction de la divulgation de renseignements et autres éléments de preuve. Les articles 83 et 85.1 à 85.5 s’appliquent à l’instance, avec les adaptations nécessaires, la mention de juge valant mention de la section compétente de la Commission.

 

 

87. Le ministre peut, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, demander l’interdiction de la divulgation de renseignements et autres éléments de preuve. L’article 83 s’applique à l’instance, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l’obligation de nommer un avocat spécial et de fournir un résumé.

 

87.1 Si le juge, dans le cadre du contrôle judiciaire, ou le tribunal qui entend l’appel de la décision du juge est d’avis que les considérations d’équité et de justice naturelle requièrent la nomination d’un avocat spécial en vue de la défense des intérêts du résident permanent ou de l’étranger, il nomme, parmi les personnes figurant sur la liste dressée au titre du paragraphe 85(1), celle qui agira à ce titre dans le cadre de l’instance. Les articles 85.1 à 85.5 s’appliquent alors à celle-ci avec les adaptations nécessaires.

 

87.2 (1) Les règlements régissent l’application de la présente section et portent notamment sur les exigences — conditions et qualités — auxquelles doit satisfaire toute personne pour que son nom figure sur la liste dressée au titre du paragraphe 85(1), ainsi que sur les autres qualités qui constituent des atouts et dont il peut être tenu compte à cette fin.

 

2) Les règlements :

 

a) prévoient que, pour que le nom d’une personne puisse figurer sur la liste, celle-ci doit être membre en règle du barreau d’une province et ne pas occuper un emploi au sein de l’administration publique fédérale ni par ailleurs être associée à celle-ci de manière que sa capacité de défendre les intérêts du résident permanent ou de l’étranger serait compromise;

 

b) peuvent préciser ces exigences.

 

 Division 9 of Part 1 of the Act is replaced by the following:

 

[Sections 76-87.2 of the current IRPA]

 

6. In sections 7 to 10, “the Act” means the Immigration and Refugee Protection Act.

 

 

7. (3) If, on the day on which this Act comes into force, the Minister of Public Safety and Emergency Preparedness and the Minister of Citizenship and Immigration sign a new certificate and refer it to the Federal Court under subsection 77(1) of the Act, as enacted by section 4 of this Act, the person who is named in the certificate

 

(a) shall, if they were detained under Division 9 of Part 1 of the Act when this Act comes into force, remain in detention without a new warrant for their arrest and detention having to be issued under section 81 of the Act, as enacted by section 4 of this Act; or

 

(b) shall, if they were released from detention under conditions under Division 9 of Part 1 of the Act when this Act comes into force, remain released under the same conditions unless a warrant for their arrest and detention is issued under section 81 of the Act, as enacted by section 4 of this Act.

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

76. The following definitions apply in this Division.

“information”

« renseignements »

“information” means security or criminal intelligence information and information that is obtained in confidence from a source in Canada, the government of a foreign state, an international organization of states or an institution of such a government or international organization.

“judge”

« juge »

“judge” means the Chief Justice of the Federal Court or a judge of that Court designated by the Chief Justice.

 

77. (1) The Minister and the Minister of Citizenship and Immigration shall sign a certificate stating that a permanent resident or foreign national is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality, and shall refer the certificate to the Federal Court.

 

(2) When the certificate is referred, the Minister shall file with the Court the information and other evidence on which the certificate is based, and a summary of information and other evidence that enables the person who is named in the certificate to be reasonably informed of the case made by the Minister but that does not include anything that, in the Minister’s opinion, would be injurious to national security or endanger the safety of any person if disclosed.

 

(3) Once the certificate is referred, no proceeding under this Act respecting the person who is named in the certificate — other than proceedings relating to sections 82 to 82.3, 112 and 115 — may be commenced or continued until the judge determines whether the certificate is reasonable.

 

78. The judge shall determine whether the certificate is reasonable and shall quash the certificate if he or she determines that it is not.

 

79. An appeal from the determination may be made to the Federal Court of Appeal only if the judge certifies that a serious question of general importance is involved and states the question. However, no appeal may be made from an interlocutory decision in the proceeding.

 

80. A certificate that is determined to be reasonable is conclusive proof that the person named in it is inadmissible and is a removal order that is in force without it being necessary to hold or continue an examination or admissibility hearing.

 

81. The Minister and the Minister of Citizenship and Immigration may issue a warrant for the arrest and detention of a person who is named in a certificate if they have reasonable grounds to believe that the person is a danger to national security or to the safety of any person or is unlikely to appear at a proceeding or for removal.

 

 

82. (1) A judge shall commence a review of the reasons for the person’s continued detention within 48 hours after the detention begins.

 

(2) Until it is determined whether a certificate is reasonable, a judge shall commence another review of the reasons for the person’s continued detention at least once in the six-month period following the conclusion of each preceding review.

 

(3) A person who continues to be detained after a certificate is determined to be reasonable may apply to the Federal Court for another review of the reasons for their continued detention if a period of six months has expired since the conclusion of the preceding review.

 

(4) A person who is released from detention under conditions may apply to the Federal Court for another review of the reasons for continuing the conditions if a period of six months has expired since the conclusion of the preceding review.

 

(5) On review, the judge

 

(a) shall order the person’s detention to be continued if the judge is satisfied that the person’s release under conditions would be injurious to national security or endanger the safety of any person or that they would be unlikely to appear at a proceeding or for removal if they were released under conditions; or

 

(b) in any other case, shall order or confirm the person’s release from detention and set any conditions that the judge considers appropriate.

 

82.1 (1) A judge may vary an order made under subsection 82(5) on application of the Minister or of the person who is subject to the order if the judge is satisfied that the variation is desirable because of a material change in the circumstances that led to the order.

 

 

(2) For the purpose of calculating the six-month period referred to in subsection 82(2), (3) or (4), the conclusion of the preceding review is deemed to have taken place on the day on which the decision under subsection (1) is made.

 

82.2 (1) A peace officer may arrest and detain a person released under section 82 or 82.1 if the officer has reasonable grounds to believe that the person has contravened or is about to contravene any condition applicable to their release.

 

(2) The peace officer shall bring the person before a judge within 48 hours after the detention begins.

 

(3) If the judge finds that the person has contravened or was about to contravene any condition applicable to their release, the judge shall

 

(a) order the person’s detention to be continued if the judge is satisfied that the person’s release under conditions would be injurious to national security or endanger the safety of any person or that they would be unlikely to appear at a proceeding or for removal if they were released under conditions;

 

(b) confirm the release order; or

 

(c) vary the conditions applicable to their release.

 

(4) For the purpose of calculating the six-month period referred to in subsection 82(2), (3) or (4), the conclusion of the preceding review is deemed to have taken place on the day on which the decision under subsection (3) is made.

 

82.3 An appeal from a decision made under any of sections 82 to 82.2 may be made to the Federal Court of Appeal only if the judge certifies that a serious question of general importance is involved and states the question. However, no appeal may be made from an interlocutory decision in the proceeding.

 

82.4 The Minister may, at any time, order that a person who is detained under any of sections 82 to 82.2 be released from detention to permit their departure from Canada.

 

83. (1) The following provisions apply to proceedings under any of sections 78 and 82 to 82.2:

 

(a) the judge shall proceed as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness and natural justice permit;

 

(b) the judge shall appoint a person from the list referred to in subsection 85(1) to act as a special advocate in the proceeding after hearing representations from the permanent resident or foreign national and the Minister and after giving particular consideration and weight to the preferences of the permanent resident or foreign national;

 

(c) at any time during a proceeding, the judge may, on the judge’s own motion — and shall, on each request of the Minister — hear information or other evidence in the absence of the public and of the permanent resident or foreign national and their counsel if, in the judge’s opinion, its disclosure could be injurious to national security or endanger the safety of any person;

 

(d) the judge shall ensure the confidentiality of information and other evidence provided by the Minister if, in the judge’s opinion, its disclosure would be injurious to national security or endanger the safety of any person;

 

(e) throughout the proceeding, the judge shall ensure that the permanent resident or foreign national is provided with a summary of information and other evidence that enables them to be reasonably informed of the case made by the Minister in the proceeding but that does not include anything that, in the judge’s opinion, would be injurious to national security or endanger the safety of any person if disclosed;

 

(f) the judge shall ensure the confidentiality of all information or other evidence that is withdrawn by the Minister;

 

(g) the judge shall provide the permanent resident or foreign national and the Minister with an opportunity to be heard;

 

(h) the judge may receive into evidence anything that, in the judge’s opinion, is reliable and appropriate, even if it is inadmissible in a court of law, and may base a decision on that evidence;

 

(i) the judge may base a decision on information or other evidence even if a summary of that information or other evidence is not provided to the permanent resident or foreign national; and

 

(j) the judge shall not base a decision on information or other evidence provided by the Minister, and shall return it to the Minister, if the judge determines that it is not relevant or if the Minister withdraws it.

 

(1.1) For the purposes of paragraph (1)(h), reliable and appropriate evidence does not include information that is believed on reasonable grounds to have been obtained as a result of the use of torture within the meaning of section 269.1 of the Criminal Code, or cruel, inhuman or degrading treatment or punishment within the meaning of the Convention Against Torture.

 

(1.2) If the permanent resident or foreign national requests that a particular person be appointed under paragraph (1)(b), the judge shall appoint that person unless the judge is satisfied that

 

(a) the appointment would result in the proceeding being unreasonably delayed;

 

(b) the appointment would place the person in a conflict of interest; or

 

(c) the person has knowledge of information or other evidence whose disclosure would be injurious to national security or endanger the safety of any person and, in the circumstances, there is a risk of inadvertent disclosure of that information or other evidence.

 

(2) For greater certainty, the judge’s power to appoint a person to act as a special advocate in a proceeding includes the power to terminate the appointment and to appoint another person.

 

84. Section 83 — other than the obligation to provide a summary — and sections 85.1 to 85.5 apply to an appeal under section 79 or 82.3, and to any further appeal, with any necessary modifications.

 

 

85. (1) The Minister of Justice shall establish a list of persons who may act as special advocates and shall publish the list in a manner that the Minister of Justice considers appropriate to facilitate public access to it.

 

(2) The Statutory Instruments Act does not apply to the list.

 

(3) The Minister of Justice shall ensure that special advocates are provided with adequate administrative support and resources.

 

 

85.1 (1) A special advocate’s role is to protect the interests of the permanent resident or foreign national in a proceeding under any of sections 78 and 82 to 82.2 when information or other evidence is heard in the absence of the public and of the permanent resident or foreign national and their counsel.

 

(2) A special advocate may challenge

 

(a) the Minister’s claim that the disclosure of information or other evidence would be injurious to national security or endanger the safety of any person; and

 

(b) the relevance, reliability and sufficiency of information or other evidence that is provided by the Minister and is not disclosed to the permanent resident or foreign national and their counsel, and the weight to be given to it.

 

(3) For greater certainty, the special advocate is not a party to the proceeding and the relationship between the special advocate and the permanent resident or foreign national is not that of solicitor and client.

 

(4) However, a communication between the permanent resident or foreign national or their counsel and the special advocate that would be subject to solicitor-client privilege if the relationship were one of solicitor and client is deemed to be subject to solicitor-client privilege. For greater certainty, in respect of that communication, the special advocate is not a compellable witness in any proceeding.

 

85.2 A special advocate may

 

(a) make oral and written submissions with respect to the information and other evidence that is provided by the Minister and is not disclosed to the permanent resident or foreign national and their counsel;

 

(b) participate in, and cross-examine witnesses who testify during, any part of the proceeding that is held in the absence of the public and of the permanent resident or foreign national and their counsel; and

 

(c) exercise, with the judge’s authorization, any other powers that are necessary to protect the interests of the permanent resident or foreign national.

 

85.3 A special advocate is not personally liable for anything they do or omit to do in good faith under this Division.

 

 

 

85.4 (1) The Minister shall, within a period set by the judge, provide the special advocate with a copy of all information and other evidence that is provided to the judge but that is not disclosed to the permanent resident or foreign national and their counsel.

 

(2) After that information or other evidence is received by the special advocate, the special advocate may, during the remainder of the proceeding, communicate with another person about the proceeding only with the judge’s authorization and subject to any conditions that the judge considers appropriate.

 

(3) If the special advocate is authorized to communicate with a person, the judge may prohibit that person from communicating with anyone else about the proceeding during the remainder of the proceeding or may impose conditions with respect to such a communication during that period.

 

 

85.5 With the exception of communications authorized by a judge, no person shall

 

 

(a) disclose information or other evidence that is disclosed to them under section 85.4 and that is treated as confidential by the judge presiding at the proceeding; or

 

 

(b) communicate with another person about the content of any part of a proceeding under any of sections 78 and 82 to 82.2 that is heard in the absence of the public and of the permanent resident or foreign national and their counsel.

 

85.6 (1) The Chief Justice of the Federal Court of Appeal and the Chief Justice of the Federal Court may each establish a committee to make rules governing the practice and procedure in relation to the participation of special advocates in proceedings before the court over which they preside. The rules are binding despite any rule of practice that would otherwise apply.

 

(2) Any committee established shall be composed of the Chief Justice of the Federal Court of Appeal or the Chief Justice of the Federal Court, as the case may be, the Attorney General of Canada or one or more representatives of the Attorney General of Canada, and one or more members of the bar of any province who have experience in a field of law relevant to those types of proceedings. The Chief Justices may also designate additional members of their respective committees.

 

(3) The Chief Justice of the Federal Court of Appeal and the Chief Justice of the Federal Court — or a member designated by them — shall preside over their respective committees.

 

86. The Minister may, during an admissibility hearing, a detention review or an appeal before the Immigration Appeal Division, apply for the non-disclosure of information or other evidence. Sections 83 and 85.1 to 85.5 apply to the proceeding with any necessary modifications, including that a reference to “judge” be read as a reference to the applicable Division of the Board.

 

87. The Minister may, during a judicial review, apply for the non-disclosure of information or other evidence. Section 83 — other than the obligations to appoint a special advocate and to provide a summary — applies to the proceeding with any necessary modifications.

 

87.1 If the judge during the judicial review, or a court on appeal from the judge’s decision, is of the opinion that considerations of fairness and natural justice require that a special advocate be appointed to protect the interests of the permanent resident or foreign national, the judge or court shall appoint a special advocate from the list referred to in subsection 85(1). Sections 85.1 to 85.5 apply to the proceeding with any necessary modifications.

 

 

87.2 (1) The regulations may provide for any matter relating to the application of this Division and may include provisions respecting conditions and qualifications that persons must meet to be included in the list referred to in subsection 85(1) and additional qualifications that are assets that may be taken into account for that purpose.

 

 

(2) The regulations

 

(a) shall require that, to be included in the list, persons be members in good standing of the bar of a province, not be employed in the federal public administration, and not otherwise be associated with the federal public administration in such a way as to impair their ability to protect the interests of the permanent resident or foreign national; and

 

(b) may include provisions respecting those requirements

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

                                                            DES-7-08

 

INTITULÉ :

AFFAIRE INTÉRESSANT UN CERTIFICAT SIGNÉ EN VERTU DU PARAGRAPHE  77(1) DE LA LOI SUR L’IMMIGRATION ET LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS (LIPR);

 

 

 

ET LE DÉPÔT DE CE CERTIFICAT À LA COUR FÉDÉRALE EN VERTU DU PARAGRAPHE 77(1) DE LA LIPR;

 

 

 

ET MOHAMED ZEKI MAHJOUB

 

LIEUX DE L’AUDIENCE                         TORONTO (ONTARIO)/ OTTAWA (ONTARIO)

PUBLIQUE :

 

DATES DE L’AUDIENCE

                                                            12, 13, 15, 18, 19, 20, 21, 22, 25, 26, 27 octobre 2010

PUBLIQUE :                                     1er, 2, 23, 24, 25, 29, 30 NOVEMBRE 2010

                                                            1er, 6, 7, 8, 14, 15 DÉCEMBRE 2010

                                                            10, 11, 12, 17, 19, 20, 21 JANVIER 2011

                                                            2, 3, 9, 13, 14, 15, 17, 20, 21, 27, 28, 29 JUIN 2011

                                                            4, 5, 6, 7, 8, 11, 12, 13, 14 JUILLET 2011

                                                            24, 25, 26 JUILLET 2012

                                                            1er, 8 AOÛT 2012

                                                            6, 9, 10, 11, 12 SEPTEMBRE 2012

                                                            26, 27, 28, 29, 30 NOVEMBRE 2012

                                                            3, 4, 6, 7, 10 DÉCEMBRE 2012

                                                           

                                                           

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE   LE JUGE BLANCHARD

ET ORDONNANCE :

                                                           

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 25 OCTOBRE 2013

 

 

 

 

 

COMPARUTIONS :

Donald MacIntosh

David Tyndale

Bernard Assan

Peter Southey

Marianne Zoric

Mahan Keramati

Christopher Ezrin

Balqees Mihirig

Judy Michaely

Rhonda Marquis

James Mathieson

Marcel Larouche

Toby Hoffmann

Proja Filipovich

Philippe Lacasse

Erin Bobkin

Dominique Castagne

 

 

 

POUR LES DEMANDEURS, MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

 

 

Johanne Doyon

Paul Slansky

Yavar Hameed

David Kolinsky

Khalid Elgazzar

Lucie Joncas

 

 

POUR LE DÉFENDEUR m. MOHAMED ZEKI MAHJOUB

 

 

Gordon Cameron

Anil Kapoor

AVOCATS SPÉCIAUX

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Johanne Doyon

Doyon & Associés

Montréal (Québec)

 

Paul B. Slansky

Slansky Law Professional Corp.

Toronto (Ontario)

 

Yavar Hameed

Hameed & Farrokhzad

Ottawa (Ontario)

 

David Kolinsky

Avocat

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

Gordon Cameron

Ottawa (Ontario)

 

AVOCAT SPÉCIAL

Anil Kapoor

Toronto (Ontario)

AVOCAT SPÉCIAL

 

 

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