Dossiers : IMM-13236-12
IMM-13237-12
Référence : 2014 CF 742
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2014
En présence de monsieur le juge Russell
Dossier : IMM-13236-12 |
ENTRE : |
NAFI DIABY |
demanderesse |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
Dossier : IMM-13237-12 |
ET ENTRE : |
NAFI DIABY |
demanderesse |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
INTRODUCTION
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], de deux décisions datées du 30 novembre 2012 par lesquelles une agente principale d’immigration [l’agente] a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] de la demanderesse et la demande de résidence permanente présentée par celle‑ci depuis le Canada pour des considérations d’ordre humanitaire [demande CH].
CONTEXTE FACTUEL
[2] La demanderesse affirme venir de la Sierra Leone, mais sa nationalité constituait la principale question en litige dans les deux décisions visées par le contrôle. Elle dit qu’elle a fui ce pays dans de graves circonstances et sans les documents appropriés, mais l’agente n’était pas convaincue que la demanderesse s’était suffisamment efforcée dans les circonstances de prouver son identité. La demanderesse a deux enfants nés au Canada, qui avaient 11 ans et 10 ans à l’époque de l’audience. Elle affirme avoir très peur de ce qui leur arrivera, à elle et à ses enfants, si elle est forcée de retourner en Sierra Leone.
[3] La demanderesse déclare être née dans le village rural de Blama en Sierra Leone le ou vers le 19 novembre 1971. À l’âge de 11 ans, des aînés du village lui ont fait subir la mutilation génitale des femmes.
[4] La famille de la demanderesse a déménagé à Freetown en 1996, quand le père a obtenu un emploi de chauffeur pour le président nouvellement élu, Ahmad Tejan Kabbah. Toutefois, la guerre civile persistait en Sierra Leone. La demanderesse dit qu’en mai 1997, des rebelles armés sont venus à la maison familiale et ont tué son père, sa mère et son frère. Après avoir été victime d’un viol collectif, la demanderesse a été emmenée par les rebelles dans un camp, où elle a été attachée à un lit, battue et violée à répétition par d’autres rebelles. Remarquant que la demanderesse avait subi seulement une ablation partielle de ses organes génitaux, les rebelles ont décidé de [traduction] « terminer le travail » avec un couteau.
[5] La demanderesse a réussi à s’enfuir quand les rebelles l’ont emmenée au marché acheter de la nourriture pour qu’elle puisse cuisiner pour eux. Elle a demandé à aller aux toilettes et s’est sauvée par la fenêtre, profitant de la commotion causée par la présence des rebelles. Elle est montée à bord d’un camion rempli de personnes qui s’enfuyaient en lieu sûr et s’est retrouvée à Conakry, en Guinée, où de nombreux autres réfugiés étaient déjà rassemblés à l’ambassade de la Sierra Leone. Des agents consulaires l’ont interrogée et lui ont donné un affidavit en guise d’acte de naissance. Elle n’a pas d’autres documents d’identité.
[6] À l’ambassade, la demanderesse dit avoir rencontré un homme qui était, croit‑elle maintenant, un passeur de clandestins. Il lui a offert de l’aider si elle acceptait de venir vivre avec lui à titre de petite amie. Désespérée, la demanderesse a accepté, craignant la venue des rebelles à l’ambassade. L’homme devait l’aider à se rendre au Canada et, après quelques semaines, il l’a amenée au port à des hommes qu’il a présentés comme ses amis. Les hommes ont fait monter la demanderesse à bord d’un bateau, l’ont placée dans une pièce et l’ont violée à répétition jusqu’à ce que le bateau arrive à New York. Elle a ensuite été mise à bord d’un train à destination de Montréal. La demanderesse affirme avoir dormi pendant presque tout le trajet et ne se souvient pas d’avoir été soumise à un contrôle à la frontière.
[7] À Montréal, la demanderesse a cherché quelqu’un qui parlait sa langue et a fini par trouver un couple qui a accepté de l’aider. Elle a vécu avec le couple pendant environ un an et a poursuivi une relation avec l’homme, le père de ses deux enfants. La demanderesse dit qu’il voit ses enfants à l’occasion seulement, quand il se rend à Toronto où elle vit maintenant ou quand il les emmène chez lui pour une fin de semaine, et qu’il offre du soutien de temps à autre seulement.
[8] La demanderesse a présenté une demande d’asile peu après son arrivée, demande qui a été rejetée en juin 1998. Il avait alors été conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible. L’autorisation de contester cette décision devant la Cour par voie de contrôle judiciaire lui a été refusée.
[9] La demanderesse affirme qu’elle était terrifiée à l’idée de retourner en Sierra Leone. Lors d’une réunion communautaire, elle a rencontré un homme qui lui a conseillé de modifier son récit et de changer d’identité, et de présenter une autre demande d’asile. Il lui a procuré un faux acte de naissance de la Guinée. Avant que sa nouvelle demande ne soit instruite, des agents d’immigration ont découvert le mensonge et l’ont arrêtée. Elle a passé plus de quatre mois en détention à Laval, au Québec, et a finalement été libérée grâce au cautionnement versé par un ami.
[10] Peu après, la demanderesse a déménagé à Toronto et donné naissance à deux enfants, en 2002 et en 2004. Elle affirme avoir subvenu à leurs besoins principalement en offrant des services de tressage de cheveux à son domicile.
[11] La demanderesse a déposé sa demande d’ERAR et sa demande CH en septembre 2006, et les deux demandes ont été rejetées par la même agente le 30 novembre 2012, après de nombreuses discussions avec l’avocat de la demanderesse sur la question de l’identité et de la nationalité.
[12] La demanderesse atteste être terrifiée à l’idée de retourner en Sierra Leone en raison du traumatisme qu’elle aurait subi là‑bas, et craindre encore plus ce qui pourrait arriver à ses enfants. Bien que ses enfants soient citoyens canadiens et aient le droit de demeurer au Canada, elle seule en prend soin. En d’autres termes, ils devront l’accompagner si elle est expulsée.
DÉCISIONS FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[13] L’agente a fourni des motifs distincts pour chacune des deux décisions faisant l’objet du contrôle, mais l’analyse sur la question de l’identité de la demanderesse est essentiellement la même.
[14] L’agente a noté qu’à l’époque de la demande d’asile, la demanderesse n’avait fourni aucun document concernant le temps passé en Sierra Leone ou aux États‑Unis, ou son entrée au Canada. La demanderesse a fourni seulement un affidavit, dont elle était l’auteure, qui aurait été souscrit à l’ambassade de la Sierra Leone en Guinée, en mai 1997. L’agente a remarqué que le document était une photocopie non datée, qu’il ne portait pas d’en‑tête particulier de l’ambassade, et que l’espace réservé au nom de la personne qui avait fait prêter serment était laissé en blanc. Le document portait bien l’estampille et la signature (toutes deux illisibles) du chef de la chancellerie, mais ces marques, a conclu l’agente, confirmaient seulement que le document avait été signé à l’ambassade. L’affidavit avait été fait par la demanderesse et l’information avait été fournie par elle. L’agente a noté que l’ambassade de la Sierra Leone aux États‑Unis avait déclaré, dans une lettre envoyée à la demanderesse, que ce document devait faire l’objet d’une vérification plus poussée avant qu’un passeport ne soit délivré. L’agente n’a donc accordé aucun poids à l’affidavit quand il s’agissait d’établir l’identité et la nationalité de la demanderesse.
[15] L’agente a reconnu qu’il était difficile d’obtenir des documents d’identité [traduction] « d’un pays ayant vécu des heures difficiles » et avec lequel la demanderesse affirmait ne plus avoir de lien. Toutefois, l’agente estimait que la demanderesse avait d’autres moyens d’établir sa nationalité.
[16] Par exemple, si le président de la Sierra Leone pour qui le père de la demanderesse aurait travaillé avait été chassé lors d’un coup d’État survenu à peu près au moment de l’attaque alléguée contre la maison familiale, il a été réintégré en 1998 et est demeuré président jusqu’en 2007. L’agente a conclu que la demanderesse aurait pu tenter de communiquer avec l’entourage de cet ancien président ou avec un membre de sa propre famille afin d’obtenir des documents d’identité.
[17] L’agente a en outre conclu que, si la demanderesse affirmait qu’elle n’avait pas été à l’école en Sierra Leone, elle avait vécu dans un petit village, travaillé comme coiffeuse à Freetown et fréquenté des institutions religieuses là‑bas. Bien qu’il puisse être difficile de rétablir le contact après plusieurs années, estimait l’agente, la demanderesse disait avoir vécu plus de 20 ans en Sierra Leone et n’avait pas démontré qu’elle avait déployé des efforts particuliers pour établir son identité et sa citoyenneté.
[18] La demanderesse a communiqué avec l’ambassade de la Sierra Leone aux États‑Unis, qui a refusé de lui délivrer un passeport sans avoir fait une vérification plus poussée de son identité, et qui a déclaré que la demanderesse pouvait s’adresser directement aux autorités en Sierra Leone. Cependant, a conclu l’agente, la demanderesse n’avait pas produit d’élément de preuve établissant qu’elle avait pris des mesures en ce sens, ni n’avait fourni d’explications à cet égard.
[19] L’agente a pris note de la deuxième demande d’asile de la demanderesse, dans laquelle celle‑ci affirmait être de nationalité guinéenne. À la lumière de ce fait et en l’absence de documents d’identité, l’agente a eu des contacts répétés sur plusieurs mois – et même sur plusieurs années – avec l’avocat de la demanderesse dans le cadre desquels elle soulignait combien il était important d’établir l’identité et la nationalité de la demanderesse. L’agente a fait les observations suivantes :
[traduction] En effet, à la lumière de cette deuxième demande d’asile et de l’acte de naissance présenté à ce moment‑là, et compte tenu des langues parlées par la demanderesse et de l’absence de tout document venant de la Sierra Leone, l’avocat de la demanderesse a été informé que la nationalité guinéenne de celle‑ci, si elle pouvait être démontrée, pourrait constituer un important élément favorable à prendre en considération (car une nationalité serait ainsi établie) dans l’examen de la présente demande. Néanmoins, la demanderesse nous a réaffirmé qu’elle était citoyenne de la Sierra Leone […]
[20] L’agente a attribué seulement [traduction] « un poids infime » à l’affidavit dans lequel un citoyen canadien originaire de la Sierra Leone, Ahmed Kabba, attestait se souvenir de la famille de la demanderesse à Blama, parce qu’il venait d’un village avoisinant et avait de la famille à Blama. L’agente a fait observer que M. Kabba n’avait pas demeuré à Blama, n’y avait pas rencontré la demanderesse et avait fourni très peu de détails, mis à part le vague souvenir d’une discussion qu’il avait eue avec le frère de la demanderesse, lequel devait avoir quatre ou cinq ans à peine quand M. Kabba a quitté le pays. Il n’a pas indiqué non plus si sa famille vivait toujours là‑bas et si lui ou la demanderesse avaient tenté de communiquer avec elle.
[21] L’agente a également accordé un [traduction] « léger poids » à une lettre d’appui du groupe Concerned Citizens and Friends of Sierra Leone. Si la lettre mentionnait que la demanderesse était originaire de la Sierra Leone, elle n’indiquait pas comment son auteur était parvenu à cette conclusion.
[22] Dans la décision relative à l’ERAR, l’agente a conclu ce qui suit sur la question de la nationalité :
[traduction] Je dois faire remarquer que la demanderesse n’a produit aucun document probant qui établirait son identité ou sa nationalité à mon intention. À la lumière de ce qui précède, je conclus donc que la demanderesse n’a pas établi selon la prépondérance des probabilités qu’elle est une ressortissante de la Sierra Leone. Par conséquent, je ne peux me prononcer sur les risques allégués relatifs à son possible retour en Sierra Leone, étant donné qu’aucun élément probant ne me démontre qu’elle est une ressortissante de ce pays.
[23] Dans sa décision relative à la demande CH, l’agente a examiné l’établissement de la demanderesse au Canada, l’intérêt supérieur des enfants et les éléments de preuve concernant l’état psychologique de la demanderesse.
[24] En ce qui a trait à l’établissement, l’agente a conclu que, si la demanderesse avait passé plus de 15 ans au Canada, c’était non pas en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, mais surtout en raison de son défaut d’observer le droit canadien et de collaborer avec les autorités de l’immigration en vue d’établir son identité. L’agente a aussi déterminé que les renseignements sur l’emploi de la demanderesse remontaient à plus de deux ans, et que les documents disponibles ne permettaient pas de conclure que la demanderesse était financièrement indépendante récemment ou qu’elle avait démontré de récents antécédents de stabilité d’emploi. Bien que la demanderesse ait établi des relations et des liens avec sa collectivité, ils n’étaient pas de nature à causer, si elle devait quitter le pays, des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives justifiant une dispense des règles habituelles.
[25] En ce qui a trait à l’intérêt supérieur des enfants, l’agente a fait observer qu’il s’agissait seulement de l’un des nombreux facteurs importants à prendre en considération. Le rapport sur l’état psychologique de la demanderesse daté du 13 janvier 2012 indique que les enfants se trouvent à une étape cruciale de leur développement, mais n’indique pas que l’auteur a rencontré les enfants ou a une connaissance approfondie de la Sierra Leone. L’agente a attribué [traduction] « un certain poids » à ce rapport relativement à l’intérêt supérieur des enfants, mais a noté qu’elle en tenait compte [traduction] « dans le contexte de la situation de la demanderesse dans son ensemble ».
[26] Selon l’agente, la demanderesse n’avait pas mentionné que le père des enfants jouait un rôle significatif dans leur vie, mais il n’avait pas été démontré que le père ne pourrait pas prendre ses enfants avec lui et s’occuper de leur bien‑être financier, émotionnel, psychologique et social. Étant donné que l’identité et la nationalité de la demanderesse n’avaient pas été établies, l’agente a conclu qu’elle ne pouvait présumer les conséquences que pourraient subir les enfants si leur mère était renvoyée du Canada et qu’ils devaient partir avec elle. Tout en reconnaissant qu’il n’était pas dans l’intérêt supérieur des enfants d’être séparés de leur mère et que leur intérêt constituait un important facteur, l’agente a conclu qu’il ne s’agissait pas du seul et unique facteur et qu’il ne pouvait l’emporter sur les autres facteurs appréciés en l’espèce, y compris le fait que la demanderesse n’avait pas réussi à établir son identité et n’avait fait aucun effort raisonnable à cette fin.
[27] En ce qui a trait aux deux rapports psychologiques datés du 14 novembre 2007 et du 13 janvier 2012 présentés par la demanderesse, l’agente a conclu que ces rapports décrivaient des symptômes du trouble de stress post‑traumatique, mais qu’ils étaient fondés sur des renseignements fournis par la demanderesse et ne permettaient pas de conclure que ces symptômes s’expliquaient par les allégations formulées par cette dernière à propos de son passé. L’agente a noté que l’arrivée de la demanderesse au Canada, la durée de sa résidence et la possibilité qu’elle soit séparée de ses enfants pouvaient avoir certains effets sur son état psychologique. Rien n’indiquait qu’un traitement psychologique avait été reçu entre 2007 et 2012. Bien que, selon le rapport de 2012, la demanderesse participait à un groupe de soutien, suivait une thérapie pour les victimes de viol et une thérapie pour le trouble de stress post‑traumatique, recevait du soutien thérapeutique à la suite de la mort des membres de sa famille en 1997, suivait une thérapie personnelle et une thérapie pour la dépression, l’agente a noté que la demanderesse n’avait présenté aucun document pouvant indiquer qu’il y avait eu traitement ou thérapie depuis ce temps. L’agente a tiré la conclusion suivante sur ce point :
[traduction] À la lumière de ce qui précède, et compte tenu du fait que la demanderesse n’a pas établi qu’elle est une ressortissante de la Sierra Leone, j’accorde seulement un léger poids à ces documents concernant les problèmes de santé mentale attribuables à son passé en Sierra Leone.
[28] Sur le fondement de tous les éléments susmentionnés, l’agente n’était pas convaincue que le fait d’avoir à présenter une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives à la demanderesse.
[29] L’agente a également analysé les rapports psychologiques dans la décision relative à l’ERAR et conclu que, compte tenu du fait que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle était une ressortissante de la Sierra Leone, il était justifié d’accorder seulement un [traduction] « léger poids » à ces rapports relativement aux problèmes de santé mentale liés au passé de la demanderesse en Sierra Leone.
[30] En ce qui a trait aux risques auxquels la demanderesse pourrait être exposée à son retour en Sierra Leone, l’agente a fait observer ce qui suit :
[traduction] Je ne peux me prononcer sur les risques allégués d’un possible retour en Sierra Leone, parce qu’aucun élément de preuve probant n’établit que la demanderesse a vraiment la citoyenneté de ce pays.
[31] En ce qui concerne les risques pour les enfants, l’agente a déclaré ce qui suit :
[traduction] Je constate que les enfants de la demanderesse sont citoyens canadiens et qu’ils n’ont pas à quitter le Canada. En outre, je conclus que la demanderesse n’a pas établi sa nationalité ni son identité.
[32] Pour ce qui est de la demande d’ERAR dans son ensemble, l’agente a conclu ce qui suit :
[traduction] Dans la mesure où la demanderesse n’a pas établi qu’elle est de nationalité sierra‑léonienne, et vu l’absence de documents probants établis à son nom pour la Sierra Leone, je conclus que la demanderesse n’a pas démontré qu’il y aurait plus qu’une simple possibilité qu’elle soit persécutée dans ce pays, ou qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’elle serait personnellement exposée au risque d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités.
QUESTIONS EN LITIGE
[33] La demanderesse soulève les questions en litige suivantes. Premièrement, en ce qui concerne la décision relative à la demande CH :
a) L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en refusant de tirer une conclusion sur la nationalité selon la prépondérance des probabilités?
b) L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en refusant d’évaluer les difficultés dans le pays de renvoi?
c) L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit et tiré des conclusions déraisonnables dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants?
d) L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en omettant de convoquer la demanderesse à une entrevue?
e) L’agente a‑t‑elle rendu une décision déraisonnable et abusive?
[34] Deuxièmement, en ce qui concerne la décision relative à l’ERAR :
a) L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en refusant de tirer une conclusion sur la nationalité selon la prépondérance des probabilités?
b) L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en omettant d’évaluer les risques dans le pays de l’éventuel renvoi?
c) L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en omettant de convoquer la demanderesse à une entrevue?
NORME DE CONTRÔLE
[35] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question en litige est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que le tribunal procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.
[36] En ce qui a trait à la décision relative à la demande CH, l’appréciation de la preuve faite par l’agente et la conclusion de l’agente sur la question d’accorder ou non une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Alcin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1242, au paragraphe 36; Daniel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 797, au paragraphe 12; Jung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 678, au paragraphe 19. La norme de contrôle applicable à la question de savoir si l’agente a appliqué le bon critère juridique dans sa décision relative à la demande CH est celle de la décision correcte : voir Guxholli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1267, aux paragraphes 17 et 18; Awolope c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 540, au paragraphe 30.
[37] En l’absence de manquement à l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable à la décision relative à une demande d’ERAR est celle de la décision raisonnable : Jainul Shaikh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1318, au paragraphe 16; Cunningham c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 636, au paragraphe 15.
[38] La demanderesse allègue, en ce qui concerne les deux décisions, que l’agente a commis une erreur de droit en rejetant sa preuve par affidavit sur son identité et sa citoyenneté sans l’avoir d’abord convoquée à une entrevue. Voilà qui soulève, à mon avis, une question d’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : voir Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100; Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, au paragraphe 53. Bien que la décision de la Cour ne concerne pas ce point, je réalise que la jurisprudence à cet égard a changé depuis que j’ai entendu l’affaire. À la lumière des arrêts Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 30, et Lemus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114, au paragraphe 18, rendus par la Cour d’appel fédérale, la question de savoir si le tribunal a appliqué le bon critère à une décision relative à une demande CH est maintenant susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, bien que, comme il est exposé dans les décisions Ainab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 630, aux paragraphes 17 et18, et Blas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 629, aux paragraphes 17 à 23, que j’ai rendues récemment, l’éventail des issues raisonnables auxquelles l’agent peut parvenir est restreint par les principes établis dans la jurisprudence portant sur le paragraphe 25(1) de la Loi.
[39] Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir les arrêts Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[40] Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :
Visa et documents 11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi. […] |
Application before entering Canada 11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act. […] |
Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger 25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. […] |
Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national 25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible or does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected. […] |
Asile 95. (1) L’asile est la protection conférée à toute personne dès lors que, selon le cas : […] c) le ministre accorde la demande de protection, sauf si la personne est visée au paragraphe 112(3). […] |
Conferral of refugee protection 95. (1) Refugee protection is conferred on a person when […] (c) except in the case of a person described in subsection 112(3), the Minister allows an application for protection. […] |
Définition de « réfugié » 96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques : a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays; b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner. |
Convention refugee 96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion, (a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or (b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country. |
Personne à protéger 97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée : a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture; b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas, (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles, (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. […] |
Person in need of protection 97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally (a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country, (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care. […] |
Demande de protection 112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1). […] |
Application for protection 112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1). […] |
Examen de la demande 113. Il est disposé de la demande comme il suit : a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet; […] c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98; […] |
Consideration of application 113. Consideration of an application for protection shall be as follows: (a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection; […] (c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98; […] |
ARGUMENTS
Demanderesse
[41] La demanderesse soutient que la conclusion de l’agente sur son identité et sa nationalité est déraisonnable. L’agente aurait entrepris de pondérer les éléments de preuve, affirme la demanderesse, n’accordant [traduction] « aucun poids » à l’affidavit venant de l’ambassade de Conakry, en Guinée, et accordant un [traduction] « poids infime » à l’affidavit de Ahmed Kabba, et un [traduction] « poids minime » à la lettre d’une organisation communautaire sierra‑léonienne. Toutefois, l’agente n’a pas déterminé le poids qu’elle devait accorder au témoignage sous serment fourni par la demanderesse elle‑même. Selon la demanderesse, deux nationalités seulement étaient possibles – la nationalité sierra‑léonienne et la nationalité guinéenne – et le seul élément de preuve auquel un certain poids avait été accordé indiquait que la demanderesse était originaire de la Sierra Leone. Il n’y avait donc pas d’autre conclusion raisonnable.
[42] La demanderesse soutient également que l’agente a commis une erreur en n’évaluant pas les difficultés auxquelles elle serait exposée dans le pays de l’éventuel renvoi. L’agente semble avoir retenu que la demanderesse serait renvoyée en Sierra Leone après les décisions défavorables, mais, ayant refusé de conclure que la demanderesse était une ressortissante de ce pays, l’agente n’a pas voulu examiner le risque auquel la demanderesse serait exposée là‑bas. Même si la demanderesse n’avait pas établi sa nationalité selon la prépondérance des probabilités (ce que la demanderesse nie), il incombait à l’agente, conformément à l’article 7 de la Charte et aux obligations du Canada en matière de droits de la personne, et conformément au chapitre 3 du guide Personnes protégées (PP3) – Examen des risques avant renvoi (guide PP3 – ERAR) et au chapitre 5 du guide Traitement des demandes au Canada 5 (IP5) – Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, d’évaluer le risque et les difficultés auxquels la demanderesse serait exposée dans ce pays.
[43] La demanderesse cite l’extrait suivant du guide PP3 – ERAR :
La LIPR n’exige pas explicitement une évaluation des risques concernant tout autre pays vers lequel le demandeur peut être renvoyé. Cependant, nos obligations nationales et internationales exigent que nous tenions compte des risques que le demandeur encourt dans tout pays vers lequel il serait renvoyé, qu’il s’agisse ou non d’un pays dont il est citoyen ou résident habituel.
[44] La demanderesse cite également la décision rendue par la Cour dans Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 379, au paragraphe 55 :
Je suis d’avis que l’agente avait raison lorsqu’elle a conclu que, malgré la persistance des problèmes d’identité, elle avait quand même l’obligation d’évaluer le risque dans le pays où elle envisageait le renvoi. Le non‑établissement de l’identité a pour conséquence qu’il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse et d’examiner la preuve relative à la persécution. Voir : Najam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 516, au paragraphe 16; Su c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 680, au paragraphe 14; Elmi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 4; Jin, au paragraphe 26; Liu, au paragraphe 18. Je n’interprète pas cette série d’affaires comme signifiant que l’agent d’ERAR n’a pas à évaluer le risque si l’identité continue d’être un problème, et l’agente dans la présente affaire est bien allée au‑delà du problème d’identité.
[45] La demanderesse affirme que l’agente a aussi commis une erreur en n’étant pas réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, invoquant l’analyse faite par le juge Zinn dans la décision Sebbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813, aux paragraphes 15 à 17 [Sebbe]. Loin de faire une analyse équilibrée et sensible, soutient la demanderesse, l’agente a plutôt refusé simplement d’examiner les difficultés et les risques graves auxquels les enfants seraient exposés en Sierra Leone, notamment le risque de subir la mutilation génitale des femmes. L’agente s’est fondée sur la pure hypothèse non étayée selon laquelle le père des enfants pourrait prendre soin d’eux malgré l’absence de tout élément de preuve appuyant cette conclusion, et malgré le témoignage sous serment indiquant que le père ne s’occupait pas des enfants et avait déjà refusé d’en prendre soin.
[46] Il est bien établi en droit, ajoute la demanderesse, que lorsque la crédibilité se situe au cœur même d’une décision relative à une demande d’ERAR ou à une demande CH, la justice naturelle et l’article 113 de la Loi exigent la tenue d’une audience. À tout le moins, affirme‑t‑elle, l’agente avait l’obligation de répondre à sa demande d’entrevue en rendant une décision raisonnable sur cette demande, ce que l’agente n’a pas fait : Shafi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 714, aux paragraphes 19 à 24; Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 RCS 177 [Singh]; Liban c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252, au paragraphe 14; Arfaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 549, au paragraphe 20 [Arfaoui]; Zokai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1103, aux paragraphes 11 et 12 [Zokai]; Latifi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1388, aux paragraphes 51 et 63.
Défendeur
[47] Le défendeur soutient que l’agente a fait une appréciation raisonnable de la preuve et conclu que la demanderesse n’avait pas droit à une dispense pour des considérations d’ordre humanitaire sous le régime de l’article 25 de la Loi.
[48] Le défendeur souligne que l’article 25 n’a pas pour objet de fournir d’autres moyens d’obtenir la résidence permanente : Vidal c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 63, 41 FTR 118; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125 [Legault]. Une telle dispense est plutôt accordée seulement dans des circonstances exceptionnelles, et seulement si le demandeur peut démontrer qu’il subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 17 [Baker]; Legault, précité, au paragraphe 23; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475, aux paragraphes 9 et 30; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 11, au paragraphe 19; Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1906, au paragraphe 26, 10 Imm LR (3d) 206 (1re inst.).
[49] En outre, affirme le défendeur, en l’absence d’erreur susceptible de contrôle, il n’appartient pas à la Cour de substituer son opinion sur le bien‑fondé d’une décision rendue sous le régime de l’article 25, ni d’apprécier à nouveau les facteurs ou les éléments de preuve : Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 3 CF 172, 2003 CFPI 94 (1re inst.); Alvarado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 255 (1re inst.); Legault, précité, au paragraphe 11. Dans la présente affaire, le défendeur affirme que l’agente a examiné le dossier de la demanderesse et tous les facteurs pertinents, et a déterminé de manière raisonnable qu’il n’était pas justifié de lever les exigences législatives. La demanderesse n’approuve tout simplement pas le résultat défavorable.
[50] Selon le défendeur, l’agente a déterminé de manière raisonnable que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir l’identité de la demanderesse. Le personnel de l’ambassade du pays de nationalité allégué de la demanderesse l’a aussi confirmé en refusant systématiquement de lui délivrer un document de voyage en l’absence de preuve d’identité.
[51] De surcroît, soutient le défendeur, l’agente n’a pas déterminé que la demanderesse était de nationalité guinéenne, mais elle a plutôt conclu que les éléments de preuve insuffisants ne lui permettaient pas de se prononcer sur la nationalité de la demanderesse. Il incombait à la demanderesse d’établir sa nationalité, mais elle n’y est pas parvenue.
[52] De l’avis du défendeur, il est particulièrement inapproprié que cette demanderesse‑ci demande que ses déclarations de citoyenneté soient acceptées, étant donné la conclusion valide tirée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] selon laquelle la demanderesse manquait de crédibilité et le fait que la demanderesse a par la suite présenté frauduleusement une deuxième demande d’asile sous une fausse identité.
[53] En l’absence d’élément de preuve satisfaisant établissant que la demanderesse venait de la Sierra Leone, soutient le défendeur, l’agente n’avait aucune raison d’examiner la preuve concernant les difficultés que pourrait subir la demanderesse dans ce pays. Aucun fondement ne permet de conclure que la Sierra Leone est un pays de renvoi, étant donné que la demanderesse n’a pas réussi jusqu’à maintenant à obtenir un document de voyage auprès des autorités responsables.
[54] En ce qui a trait à l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse, le défendeur dit que cette dernière a refusé de fournir des renseignements détaillés sur la possibilité que le père prenne soin des enfants. Elle déclare avec condescendance qu’elle seule peut prendre soin des enfants, mais cette déclaration ne suffit pas : Bernard c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1474, aux paragraphes 37 et 38, 2001 CFPI 1068 (1re inst.) [Bernard]; Patel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 54, 36 Imm LR (2d) 175 (1re inst.) [Patel]. La preuve psychologique présentée par la demanderesse à propos de l’intérêt supérieur des enfants a été appréciée de manière appropriée et fidèle, affirme le défendeur. S’il convenait d’accorder un certain poids au rapport, l’agente n’était pas tenue pour autant d’accueillir la demande de la demanderesse.
[55] Rien ne justifiait que la demande soit accueillie sur le fondement du degré d’établissement de la demanderesse, ajoute le défendeur, étant donné que les éléments de preuve à cet égard étaient extrêmement faibles et démontraient que la demanderesse n’était pas établie sur le plan économique au Canada.
[56] En ce qui concerne la décision relative à l’ERAR, le défendeur ne s’oppose pas à la demande et reconnaît que l’agente d’ERAR a commis une erreur en n’appréciant pas les risques auxquels la demanderesse était exposée dans le pays de l’éventuel renvoi (c.‑à‑d. la Sierra Leone). Les parties ont maintenant présenté à la Cour un projet d’ordonnance sur consentement dans le dossier IMM-13237-12 pour approbation et signature.
Réplique de la demanderesse
[57] La demanderesse soutient en réponse que les éléments de preuve sur sa nationalité présentés à l’agente n’étaient pas les mêmes que ceux qui avaient été présentés à la CISR, de sorte que le défendeur a tort d’avancer que la conclusion tirée par la Section de la protection des réfugiés sur cette question doit être déterminante en l’espèce. De plus, affirme la demanderesse, le processus de l’article 25 existe expressément pour offrir de la souplesse quand l’application stricte du droit entraînerait des résultats non prévus ou des difficultés inhabituelles et injustifiées. L’agente n’a pas non plus organisé d’entrevue pour établir elle‑même la crédibilité de l’affidavit souscrit par la demanderesse, ni n’a sérieusement examiné les effets que sa décision aurait sur la demanderesse et les enfants de celle‑ci.
[58] Le dossier contredit directement l’affirmation du défendeur selon laquelle rien ne permet de conclure que la Sierra Leone est le pays de renvoi visé. Après avoir reçu signification du rejet de sa demande, la demanderesse a immédiatement été invitée à signer une demande en vue d’obtenir un document de voyage de la Sierra Leone : affidavit de Kezia Speirs, dossier de la demanderesse, page 26. Il est donc clair que la Sierra Leone est le principal pays de l’éventuel renvoi.
[59] En ce qui a trait à l’intérêt supérieur des enfants, la demanderesse dit que les éléments de preuve présentés à l’agente, y compris son propre témoignage sous serment, la dépeignaient systématiquement comme une mère seule et mentionnaient que le père des enfants ne jouait pas vraiment de rôle dans leur vie. Il n’y avait absolument aucun élément de preuve à l’effet du contraire, et aucune raison de douter de leur véracité. La demanderesse affirme que l’agente a formulé une pure hypothèse en concluant que le père des enfants pourrait prendre soin d’eux, et que l’agente n’a pas satisfait au critère voulant qu’elle se montre réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants : Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Satiacum, [1989] ACF no 505, 99 NR 171 (CAF); Baker, précité; Sebbe, précitée. Les décisions Bernard et Patel invoquées par le défendeur ne sont nullement pertinentes au regard de la question en litige, affirme la demanderesse, et n’affaiblissent en rien les arguments de la demanderesse.
ANALYSE
[60] Pour ce qui est du dossier IMM-13237-12, le défendeur a avisé la Cour qu’il ne s’opposait pas à la demande et qu’il consentait à l’ordonnance demandée par la demanderesse au motif que l’agente d’ERAR avait commis une erreur en n’appréciant pas les risques auxquels la demanderesse était exposée dans le pays de l’éventuel renvoi. Le défendeur estime toutefois que le nouvel examen ne devrait pas avoir lieu immédiatement, parce que la question de la nationalité de la demanderesse demeure en litige et doit être réglée avant qu’une nouvelle demande d’ERAR ne soit tranchée. Les parties ont fourni à la Cour un projet d’ordonnance par consentement dans le dossier IMM‑13237‑12; la Cour l’accepte et rendra l’ordonnance dans ce dossier.
[61] À mon avis, la décision relative à la demande CH contient également plusieurs erreurs susceptibles de contrôle. En particulier, l’agente n’a pas pris en considération les difficultés que subirait la demanderesse à son retour en Sierra Leone et a omis de procéder à une analyse de l’intérêt supérieur des enfants qui tienne compte de l’absence d’éléments de preuve à l’appui de la conclusion selon laquelle le père prendrait les enfants avec lui au Canada, et qui tienne compte des difficultés et des risques graves – y compris le risque de subir la mutilation génitale des femmes – auxquels les enfants seraient exposés s’ils accompagnaient la demanderesse en Sierra Leone. L’agente a également manqué à l’équité procédurale en ne répondant tout simplement pas à la demande d’entrevue présentée par la demanderesse, puis en faisant totalement abstraction du témoignage sous serment de la demanderesse à propos de sa nationalité.
[62] Il était déraisonnable pour l’agente de ne pas évaluer les difficultés dans cette affaire parce qu’il est clair, au vu de la preuve, que la demanderesse vient soit de la Sierra Leone soit de la Guinée, et que sa demande d’asile à l’encontre de la Guinée était carrément frauduleuse. Ainsi, il est évident que la demanderesse sera renvoyée en Sierra Leone ou bien restera au Canada en qualité d’apatride. Le défendeur a reconnu, aux fins de la décision relative à l’ERAR, que la même agente aurait dû apprécier les risques en Sierra Leone même si la nationalité de la demanderesse n’avait pas été clairement établie. Le fait que la demanderesse n’a pas établi à la satisfaction de l’agente qu’elle est citoyenne de la Sierra Leone ne signifie pas qu’elle ne sera pas exposée à des risques et à des difficultés à son retour dans ce pays. Et si la demanderesse devait rester au Canada, l’agente aurait dû évaluer les difficultés qu’elle subirait en qualité d’apatride.
[63] La demanderesse a produit un affidavit dans lequel elle décrit son passé et l’horrible traitement qu’elle a subi avant de réussir à entrer au Canada. Il y a plus de 15 ans, la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada avait conclu que l’exposé circonstancié de la demanderesse n’était pas digne de foi, au vu du dossier disponible à ce moment‑là. Toutefois, il existe aujourd’hui d’abondants éléments de preuve sur ce que les femmes ont vécu en Sierra Leone à l’époque où la demanderesse affirme avoir été violée et mutilée, et avoir été témoin de la mort de sa famille puis forcée de s’enfuir. Ces éléments de preuve appuient fortement l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle vient de la Sierra Leone (et la demanderesse a produit à l’appui une preuve médicale et psychologique cohérente venant du Canada). Si l’agente ne croyait pas le témoignage sous serment de la demanderesse, elle aurait alors dû organiser une entrevue comme le demandait la demanderesse. Rien dans la décision relative à la demande CH n’explique pourquoi l’affidavit de la demanderesse a été ignoré et écarté, ni pourquoi l’agente n’a même pas répondu à la demande d’entrevue de la demanderesse, entrevue qui aurait donné à la demanderesse, dans une situation où son identité ne pouvait être clairement établie à l’aide des documents habituels, l’occasion de dissiper les doutes de l’agente. Il s’agissait d’un manquement à l’équité procédurale. Voir Duka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1071, au paragraphe 13; Zokai, précitée, aux paragraphes 11 et 12; Arfaoui, précitée, au paragraphe 20; Chekroun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 738, au paragraphe 72; Singh, précité, au paragraphe 59.
[64] Comme le reconnaît le défendeur, si la demanderesse dit la vérité, il s’agit alors d’un cas extrêmement impérieux. Compte tenu des difficultés évidentes que présentait la production de documents de la Sierra Leone en vue d’établir l’identité de la demanderesse, il était très inéquitable de la part de l’agente de ne pas répondre à la demande d’entrevue de celle‑ci.
[65] L’agente a conclu de manière déraisonnable que [traduction] « la demanderesse aurait pu tenter de communiquer avec l’entourage de l’ex‑président ou avec un membre de sa propre famille pour obtenir certains documents qui auraient pu confirmer son identité ». L’agente n’a donc pas tenu compte du témoignage de la demanderesse disant qu’elle venait d’un village rural, qu’elle n’avait pas fait d’études, que sa famille avait été assassinée, que sa naissance n’avait jamais été enregistrée, que sa maison avait été détruite et qu’elle n’avait personne vers qui se tourner en Sierra Leone pour obtenir de l’aide.
[66] Dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants, l’agente écrit ceci :
[traduction] La demanderesse ne mentionne pas que le père joue un rôle significatif, mais j’ignore quelle relation particulière les enfants ont avec leur père, ou quel soutien il offre ou pourrait offrir. Par ailleurs, il n’a pas été démontré que le père ne pourrait pas prendre ses enfants avec lui et s’occuper de leur bien‑être financier, émotionnel, psychologique et social.
[67] Le témoignage sous serment présenté à l’agente était le suivant :
[traduction] Penser à ce qui arrivera à mes enfants si nous rentrons est encore pire. Je sais que mes enfants, en tant que citoyens canadiens, ont légalement droit de demeurer au Canada, mais dans la pratique, si je suis expulsée, ils devront venir avec moi. Je suis leur mère et la seule à en prendre soin. Personne ne pourrait s’occuper d’eux au Canada si j’étais renvoyée, car Tanjura a toujours dit qu’il ne s’en occuperait pas et, à mon avis, il n’est pas en mesure de le faire de toute façon. Qui plus est, je ne pourrais supporter l’idée de laisser mes enfants sans mère. Ma propre famille m’a été enlevée quand j’étais jeune, je sais ce que c’est et je refuse de faire subir la même chose à mes propres enfants.
Or, un retour en Sierra Leone les exposerait à un risque très grave. La violence y règne. Mes enfants seraient exposés à cette violence, au viol, à la maladie et à l’extrême pauvreté. Ils seraient loin d’avoir l’accès à l’éducation et aux soins médicaux auquel ils ont droit à titre de Canadiens. Ils n’auraient pas d’avenir. Pire encore, je sais que la mutilation génitale des femmes est encore très, très fréquente dans ce pays, et que de nombreuses filles meurent au bout de leur sang après l’avoir subie. Toutefois, en tant que mère seule là‑bas, sans famille sur qui compter pour obtenir assistance ou protection, je serais impuissante à empêcher que Goundoba ne soit soumise à cette atrocité.
[Non souligné dans l’original.]
[68] La demanderesse a très clairement indiqué qu’elle était la seule responsable de la garde des deux enfants canadiens, que leur père offrait du soutien de temps à autre seulement, mais qu’il ne jouait aucun rôle parental et avait clairement laissé savoir qu’il ne le ferait jamais. Si l’agente ne croyait pas cette preuve claire selon laquelle les enfants ne pouvaient compter sur le soutien de leur père ni sur le soutien de qui que ce soit au Canada, elle aurait dû répondre à la demande d’entrevue de la demanderesse. Il n’y a donc pas eu de véritable appréciation de l’intérêt supérieur des enfants.
[69] Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier si la demande est accueillie, et la Cour est du même avis.
[70] La Cour a décidé que cette affaire devait être renvoyée pour nouvel examen, mais la demanderesse a aussi demandé à la Cour de donner des instructions particulières pour guider le nouvel examen, compte tenu des particularités extraordinaires de l’affaire et du temps qui s’est écoulé. Les avocats ont demandé la possibilité de discuter et de conseiller la Cour sur cette question avant que l’ordonnance finale ne soit rendue.
[71] Après examen des observations écrites supplémentaires des avocats, la Cour est d’avis que les considérations d’ordre humanitaire que soulève la présente demande sont si impérieuses qu’un effort s’impose pour parvenir à un règlement aussi rapidement qu’il est raisonnablement possible de le faire.
[72] Le long délai qu’il a fallu avant que ne soit rendue la décision relative à la demande CH ne saurait être attribué entièrement au ministre. Tout comme la Sierra Leone est un pays difficile du point de vue de la demanderesse, la situation est également difficile pour le ministre, qui doit évaluer une demande pour laquelle le pays de référence est si chaotique que les procédures normales permettant d’établir l’identité d’une personne ne sont pas accessibles. De plus, c’est la demanderesse (sans doute mal conseillée et désespérée) qui a présenté une deuxième demande d’asile dans laquelle elle affirmait être de nationalité guinéenne. Cette situation a certainement causé d’importants problèmes au ministre et entravé le processus.
[73] Toutefois, en dépit des complications, l’agente chargée de l’affaire n’a même pas répondu à la demande d’entrevue, entrevue qui aurait bien pu fournir des renseignements utiles et permettre le règlement rapide d’un processus qui, sur le plan humanitaire, a vraiment duré trop longtemps. Cette situation donne à penser que nous ne pouvons pas laisser simplement cette affaire suivre son cours et qu’une certaine orientation, voire de la supervision, pourrait être utile aux deux camps.
[74] Dans ce contexte, la Cour a conclu que l’affaire devait être renvoyée pour nouvel examen avec les directives suivantes :
i. Le ministre doit accepter la Sierra Leone comme pays de référence, sur le fondement du dossier présenté à la Cour, aux fins de l’évaluation des difficultés dans le pays de l’éventuel renvoi et de l’intérêt supérieur des enfants; ou alors le ministre doit évaluer les difficultés sur le fondement d’une situation d’apatridie de fait au Canada si, après une entrevue avec la demanderesse et son avocat, l’agente conclut que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’est pas une ressortissante de la Sierra Leone et ne sera donc pas renvoyée dans ce pays;
ii. La demanderesse a 30 jours pour fournir au ministre des formulaires de demande mis à jour ainsi que les autres éléments de preuve et documents écrits qu’elle estime appropriés;
iii. Le ministre doit rendre une nouvelle décision initiale relative à la demande CH et communiquer cette décision à la demanderesse et à son avocat au plus tard 60 jours après avoir reçu les documents mis à jour de la demanderesse;
iv. Si la nouvelle décision est favorable, le ministre doit lever l’obligation de produire d’autres documents ou éléments de preuve concernant l’identité ou la nationalité, y compris l’obligation de fournir un passeport, et rendre une décision finale relative à la demande de résidence permanente le plus tôt possible, et, en tout état de cause, au plus tard 60 jours après la décision initiale.
[75] La Cour reconnaît que les échéances susmentionnées peuvent être difficiles à respecter étant donné les complexités de l’affaire. Toutefois, compte tenu de l’approche inacceptable adoptée par l’agente qui a rendu la décision faisant l’objet du contrôle et des facteurs d’ordre humanitaire impérieux qui sont en jeu, il faut vraiment conclure cette affaire rapidement. Par conséquent, si les parties ne s’entendent pas, les échéances susmentionnées pourront être repoussées uniquement par la voie d’une autre ordonnance de la Cour. Sur le conseil des avocats et à cette fin, je demeurerai saisi de l’affaire pour veiller à ce que tout écart par rapport à l’échéancier soit raisonnable et nécessaire dans les circonstances.
[76] La demanderesse a demandé les dépens dans la présente affaire. Je suis d’avis que l’affaire n’a pas été traitée en temps opportun. Toutefois, la responsabilité des retards ne peut être entièrement imputée au ministre. Il s’agit d’une affaire complexe, et la demanderesse doit assumer une certaine part de responsabilité pour les complications qu’elle a créées dans le processus en présentant une deuxième demande d’asile fondée sur la nationalité guinéenne. Par conséquent, je ne crois pas pouvoir trouver de « raisons spéciales » qui me permettraient d’adjuger les dépens à ce stade‑ci. J’estime que l’échéancier exposé ci‑dessus envoie au ministre le message suffisamment clair que l’affaire doit être réglée rapidement. Je demeure néanmoins saisi de l’affaire, et les futurs agissements pourraient m’amener à envisager l’adjudication de dépens, ce que j’examinerai le cas échéant.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La demande présentée dans le dossier IMM-13236-12 est accueillie. La décision est annulée, et la demande CH est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent, conformément à mes motifs.
2. Les conditions suivantes doivent s’appliquer lors du nouvel examen :
i. Le ministre doit accepter la Sierra Leone comme pays de référence, sur le fondement du dossier présenté à la Cour, aux fins de l’évaluation des difficultés dans le pays de l’éventuel renvoi et de l’intérêt supérieur des enfants; ou alors le ministre doit évaluer les difficultés sur le fondement d’une situation d’apatridie de fait au Canada si, après une entrevue avec la demanderesse et son avocat, l’agente conclut que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’est pas une ressortissante de la Sierra Leone et ne sera donc pas renvoyée dans ce pays;
ii. La demanderesse a 30 jours pour fournir au ministre des formulaires de demande mis à jour ainsi que les autres éléments de preuve et documents écrits qu’elle estime appropriés;
iii. Le ministre doit rendre une nouvelle décision initiale relative à la demande CH et communiquer cette décision à la demanderesse et à son avocat au plus tard 60 jours après avoir reçu les documents mis à jour de la demanderesse;
iv. Si la nouvelle décision est favorable, le ministre doit lever l’obligation de produire d’autres documents ou éléments de preuve concernant l’identité ou la nationalité, y compris l’obligation de fournir un passeport, et rendre une décision finale relative à la demande de résidence permanente le plus tôt possible, et, en tout état de cause, au plus tard 60 jours après la décision initiale;
v. si les parties ne s’entendent pas, les échéances susmentionnées pourront être repoussées uniquement par la voie d’une autre ordonnance de la Cour. À cette fin, je demeurerai saisi de l’affaire pour veiller à ce que tout écart par rapport à l’échéancier soit raisonnable et nécessaire dans les circonstances.
3. Aucuns dépens ne sont adjugés à ce moment‑ci, mais il pourrait être envisagé d’en accorder dans l’avenir, comme il est mentionné dans les présents motifs.
4. Il n’y a pas de question à certifier.
« Juge Russell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Johanne Brassard, trad. a.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-13236-12
|
INTITULÉ : |
NAFI DIABY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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ET DOSSIER : |
IMM-13237-12
|
INTITULÉ : |
NAFI DIABY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 31 MarS 2014
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE RUSSELL
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 24 JUILLET 2014
|
COMPARUTIONS :
Andrew Brouwer
|
POUR La demanderesse
|
Lorne McClenaghan
|
POUR Le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
The Refugee Law Office Toronto (Ontario)
|
POUR La demanderesse
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR Le défendeur
|