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Date : 20140702


Dossier : T‑1521‑13

Référence : 2014 CF 643

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE : 

STEVEN LOVE

demandeur

et

COMMISSARIAT À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7, visant la décision, datée du 21 août 2013, [la décision] par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] a jugé irrecevable, en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC, 1985, c H‑6 [la Loi ou LCDP], la plainte du demandeur contre le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada défendeur [CPVP] au motif qu’elle était frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi.

CONTEXTE

[2]               La présente affaire est un peu inhabituelle en ce qu’elle porte sur une plainte adressée à un organisme administratif, la Commission, au sujet du traitement de la plainte présentée par le demandeur à un autre organisme administratif, le CPVP, concernant la conduite d’un ministère, Citoyenneté et Immigration Canada [CIC], à son égard.

[3]               Le 23 février 2011, le demandeur s’est plaint auprès du CPVP du fait que CIC avait enfreint ses droits au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC, 1985, c P‑21. Il affirme dans son affidavit qu’il a déposé à cette date trois plaintes contre CIC auprès du CPVP, et encore d’autres par la suite, car CIC a continué, à ce qu’il prétend, à violer ses droits en matière de protection de la vie privée. La Cour dispose de très peu de renseignements sur ces plaintes contre CIC puisqu’elles ne sont pas l’objet de la présente demande.

[4]               Le demandeur estime que le CPVP n’a pas traité adéquatement ses plaintes contre CIC. Il allègue en fait que le CPVP a fait preuve de discrimination à son endroit en raison de son orientation sexuelle et de ses déficiences physiques et mentales. Il prétend que le CPVP ne s’est prononcé que sur l’une des cinq plaintes qu’il a déposées, et encore sans même l’examiner sur le fond. Il avance que le CPVP l’a traité avec mépris et que les membres de son personnel ont fait des commentaires trahissant des attitudes discriminatoires.

[5]               Le demandeur a déposé une plainte auprès de la Commission en raison du traitement que lui aurait réservé le CPVP. Il y fait valoir que le CPVP a négligé de statuer sur la plupart de ses plaintes, a ignoré ou dénaturé les faits pertinents, l’a activement induit en erreur, l’a empêché de présenter des observations et a indûment défendu les actions de CIC et a refusé d’exercer sa compétence.

[6]               Dans la plainte soumise à la Commission, le demandeur alléguait que le défaut du CPVP de procéder à une enquête adéquate et de statuer sur ses plaintes équivalait à un traitement différent et préjudiciable fondé sur son orientation sexuelle et sa déficience, en contravention de l’article 5 de la Loi. Il décrit en ces termes la conduite de CIC et du CPVP à son égard :

[traduction] Je suis homosexuel et je souffre d’une maladie du foie mortelle. Cette maladie affecte mes fonctions cognitives, ce qui provoque de la confusion et des épisodes d’anxiété extrême. J’estime avoir été victime de discrimination en raison de mon orientation sexuelle et de ma déficience physique et mentale. Tout au long de ce processus, j’ai été humilié, provoqué et soumis à des angoisses mentales et émotionnelles prolongées et inutiles. Le stress a nui à ma santé physique. J’ai été systématiquement dépouillé de mes droits constitutionnels. Je me sens dévalorisé et rabaissé, car le CPVP refuse de dénoncer CIC et défend ses actes.

[7]               En plus d’exposer les prétendues lacunes dans le traitement de ses plaintes par le CPVP, le demandeur rapporte deux déclarations faites par des employés de cet organisme qui démontrent, d’après lui, des attitudes discriminatoires. Il prétend que lors de sa discussion du 23 février 2011 avec l’enquêteur du CPVP assigné à son dossier, ce dernier a désigné son partenaire comme [traduction] « votre je‑ne‑sais‑trop‑quoi ». Le demandeur affirme avoir été si insulté par ce terme qu’il a demandé à parler à son superviseur. Angela Cornac, la superviseure, a accepté de confier le dossier à quelqu’un d’autre. En ce qui concerne sa déficience, le demandeur déclare que le CPVP a adopté une approche condescendante :

[traduction] Ils ont continué à me prendre de haut, en déclarant « veuillez m’indiquer si des accommodements sont nécessaires pour […] un […] appel téléphonique ». Lorsque je leur ai demandé de me donner des explications, ils ont carrément refusé de répondre. Ils se sont montrés dédaigneux envers moi du début à la fin en raison de mon orientation sexuelle et de mes déficiences.

[8]               Le chef d’équipe de règlement anticipé de la Commission [l’agent de règlement] a notifié aux parties la réception de la plainte. Dans cet avis daté du 14 mars 2013, il était fait état de l’opinion exprimée par le personnel de la Commission : la plainte pouvait relever de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, qui autorise la Commission à déclarer une plainte irrecevable si elle est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi. La lettre soulevait la possibilité que la plainte soit frivole étant donné qu’elle [traduction] « n’établi[ssait] pas de lien clair avec un motif de discrimination illicite ». L’agent de règlement a invité les parties à expliquer leurs positions, lesquelles serviraient à préparer un rapport qui serait soumis à l’examen de la Commission; une feuille d’information énumérant les questions précises auxquelles les parties devaient répondre dans leurs observations était jointe à l’avis.

[9]               Les parties ont présenté deux séries d’observations écrites à la Commission. Sur la base de ces observations, une employée de la Commission, Jennifer Bouchard, a rédigé un rapport et des recommandations concernant la question de savoir si la Commission devait statuer sur la plainte [le rapport]. Ce type de rapport est appelé « rapport sur les articles 40/41 », en référence aux dispositions pertinentes de la Loi. Le rapport de Mme Bouchard, daté du 11 juin 2013, recommandait à la Commission de ne pas instruire la plainte en application de l’alinéa 41(1)d) au motif qu’elle était « frivole ».

[10]           Le 21 août 2013, la Commission a souscrit à la recommandation contenue dans le rapport et décidé de ne pas statuer sur la plainte.

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[11]           Le dossier de la décision datée du 21 août 2013 est succinct et ne comprend qu’une seule page. Sous le titre [traduction] « Décision fondée sur le paragraphe 41(1) », on peut lire ce qui suit :

[traduction] La Commission a décidé, pour les motifs énoncés plus loin, de ne pas statuer sur la plainte en application de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[12]           Sous le titre [traduction] « Motifs de la décision », la Commission déclare :

[traduction]
La Commission adopte les conclusions suivantes formulées dans le rapport sur les articles 40/41 :

Les motifs raisonnables sont un seuil bas lorsqu’il s’agit de prouver une pratique discriminatoire et un lien avec un motif illicite; cependant, les allégations doivent comporter ces deux éléments et reposer sur des motifs raisonnables. Dans la présente plainte, les allégations selon lesquelles le CPVP a traité le plaignant de manière différente et préjudiciable en raison de son orientation sexuelle et de sa déficience ne reposent pas sur des motifs raisonnables.

[13]           Le rapport sur les articles 40/41 expose l’analyse qui sous‑tend cette conclusion. Sous la rubrique [traduction] « Facteurs pertinents pour rendre une décision fondée sur l’alinéa 41(1)d) », le rapport indique :

[traduction]
6.         La Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) vise à protéger les droits individuels d’une importance vitale. Elle ne s’applique pas à toutes les situations dans lesquelles quelqu’un s’estime traité injustement. La Commission ne peut qu’examiner les plaintes visant des actes discriminatoires au sens de la Loi.

7.         Premièrement, seule la conduite (actes, omissions ou comportements) décrite aux articles 5 à 14.1 de la Loi peut être considérée comme un exemple de pratiques discriminatoires. La conduite peut être jugée discriminatoire au sens de la Loi même si le défendeur n’avait pas l’intention de faire preuve de discrimination. Une des pratiques discriminatoires au sens de la Loi consiste à :

•           priver un individu de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement (article 5).

[…]

8.         Deuxièmement, la conduite alléguée dans la plainte doit être liée à au moins un des onze motifs de discrimination illicites énoncés à l’article 3 de la Loi […].

9.         Si elle ne remplit pas ces deux exigences, la plainte est considérée comme « frivole » en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi. La Loi accorde à la Commission le pouvoir discrétionnaire de ne pas statuer sur des plaintes visant une conduite qui n’est pas discriminatoire aux termes de la Loi.

10.       La Commission peut refuser de statuer sur une plainte s’il est manifeste et évident qu’elle est frivole. Afin de décider si une plainte est frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi, la Commission peut tenir compte des facteurs suivants :

a)         Existe‑t‑il des faits donnant à penser que la conduite alléguée est visée par au moins une des pratiques discriminatoires décrites aux articles 5 à 14.1 de la Loi […]? Le cas échéant, quels sont ces faits?

b)         Existe‑t‑il des faits qui établissent un lien entre la conduite alléguée et au moins un des motifs de discrimination énoncés à l’article 3 de la Loi […]? Le cas échéant, quels sont ces faits?

c)         Le plaignant a‑t‑il des motifs raisonnables de croire que la conduite du défendeur est discriminatoire au sens de la Loi? Le cas échéant, quels sont ces motifs raisonnables? Il est à noter que ces « motifs raisonnables » ne peuvent se résumer à une déclaration (une simple affirmation) portant que la conduite est discriminatoire.

[14]           Sous la rubrique [traduction] « Analyse », le rapport indique que les décisions de ne pas statuer sur une plainte au stade de l’analyse relative à l’article 41 appelle un examen judiciaire plus approfondi (citant Hérold c Agence du revenu du Canada, 2011 CF 544 [Hérold]), que la Commission ne devrait juger une plainte irrecevable que dans les cas manifestes et évidents, et que les faits allégués dans une plainte doivent être tenues pour avérés (citant Keith c Service correctionnel du Canada, 2012 CAF 117 aux paragraphes 50‑51 [Keith]). Le rapport fait remarquer que l’exigence des [traduction] « motifs raisonnables » représente un seuil bas, mais [traduction] « oblige [néanmoins] le plaignant à établir que les allégations sont pas totalement gratuites (citant Hartjes c Canada (Procureur général), 2008 CF 830 [Hartjes]). Le rapport poursuit par l’analyse suivante menant à sa conclusion :

[traduction]
18.       Il faut davantage que des conjectures pour déposer une plainte. Les « motifs raisonnables » exigent davantage qu’une déclaration ou qu’une simple affirmation selon laquelle la conduite est discriminatoire. Le plaignant est tenu de démontrer qu’une personne raisonnable placée dans sa situation estimerait que les politiques ou que les pratiques reprochées sont discriminatoires.

19.       La première étape de cette analyse consiste à déterminer si la conduite du mis en cause, telle qu’elle est décrite dans la plainte, peut passer pour une pratique discriminatoire au sens de l’article 5 de la Loi. Dans sa plainte, le plaignant allègue que le mis en cause a mal géré les plaintes qu’il avait déposées au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, puisque ce dernier a refusé d’enquêter sur certaines d’entre elles et de se prononcer sur d’autres. Il affirme que ce traitement est fondé sur sa déficience et son orientation sexuelle. S’il était prouvé, l’objet de ces allégations pourrait constituer une pratique discriminatoire au sens de l’article 5 de la Loi.

20.       Le plaignant semble rejeter les conclusions du rapport du mis en cause concernant ses plaintes. La Commission n’est pas un organe d’appel et ne peut pas examiner la décision du CPVP. S’il n’est pas d’accord avec la décision de cet organisme, le plaignant doit intenter un recours devant la Cour fédérale, ce qu’il n’a pas fait. Le CPVP s’est penché sur chacun de ses motifs de plainte, dont certains ont été examinés conformément aux politiques et procédures de cet organisme. La Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit un recours qui permettrait de répondre adéquatement aux préoccupations du plaignant. Si ce dernier n’est pas satisfait par la décision du mis en cause, il doit intenter le recours prévu conformément à la disposition de la Loi.

21.       La seconde étape de cette analyse consiste à déterminer si la conduite du mis en cause alléguée dans la plainte est liée à au moins un des onze motifs de discrimination illicites énumérés à l’article 3 de la Loi. Dans la présente plainte, le plaignant prétend avoir été traité de manière différente et préjudiciable en raison de son orientation sexuelle et de sa déficience, et que ces facteurs expliquent que ses plaintes en matière de protection de la vie privée ont été examinées de façon insatisfaisante. Le plaignant fonde ses allégations sur le commentaire prêté à un employé du CPVP, qui aurait parlé de son partenaire conjugal en disant « votre je‑ne‑sais‑trop‑quoi ». Il est fort possible que ces paroles l’aient offensé, mais cela ne semble pas avoir eu d’impact sur sa plainte auprès du CPVP puisqu’il s’est ensuite adressé à une superviseure qui a confié son dossier à quelqu’un d’autre. En dehors de ce commentaire isolé, le plaignant n’a fourni dans sa plainte aucune information donnant à penser que le CPVP l’a traité d’une manière différente et préjudiciable sur la base d’un motif illicite. L’allégation selon laquelle le traitement que lui a réservé cet organisme est lié à son orientation sexuelle et à sa déficience est une simple affirmation non étayée par les faits.

22.       […]

23.       Le plaignant n’a pas démontré, dans son formulaire de plainte, qu’il avait des motifs raisonnables de croire que le mis en cause l’avait traité de manière différente et préjudiciable en raison de son orientation sexuelle et (ou) de sa déficience. Ses plaintes en matière de respect de la vie privée n’ont pas eu l’issue qu’il souhaitait, mais cela ne démontre pas un traitement différent et préjudiciable lié à son orientation sexuelle et (ou) à sa déficience.

24.       Bien que l’exigence des motifs raisonnables représente un seuil bas, le plaignant doit présenter des renseignements suffisants pour démontrer l’existence d’un lien entre ses allégations et un motif illicite. Il n’a pas fourni des renseignements suffisants pour démontrer qu’une personne raisonnable placée dans sa situation estimerait que le mis en cause l’a traité d’une manière différente et préjudiciable en raison de sa déficience ou de son orientation sexuelle. La présente plainte est donc frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi.

QUESTIONS EN LITIGE

[15]           Le demandeur soumet les cinq questions suivantes à l’examen de la Cour :

a.       Le rapport reposait‑il sur des erreurs de fait?

b.      Le rapport reposait‑il sur des erreurs de droit?

c.       La Commission a‑t‑elle manqué aux principes d’équité procédurale en refusant au demandeur la possibilité de présenter une défense pleine et entière?

d.      Le rapport était‑il arbitraire?

e.       Le rapport avait‑il un parti pris en faveur du CPVP?

[16]           Les deux premières questions concernent le bien‑fondé de la décision, alors que la troisième a trait à l’équité du processus décisionnel. L’allégation selon laquelle la décision était arbitraire semble toucher à ces deux questions.

NORME DE CONTRÔLE

[17]           Dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a indiqué qu’il n’était pas nécessaire de procéder dans chaque cas à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle qui s’applique à une question particulière que la Cour doit trancher est établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, le tribunal de révision peut l’adopter. Il n’examinera les quatre facteurs de l’analyse liés à la norme de contrôle que si cet exercice s’avère infructueux ou si la jurisprudence semble désormais incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au paragraphe 48.

[18]           Le défendeur avance que les questions concernant l’équité procédurale soulevées par le demandeur sont assujetties à la norme de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 43; Exeter c Canada (Procureur général), 2012 CAF 119 au paragraphe 6 [Exeter]. Je suis d’accord : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au paragraphe 79; Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29 au paragraphe 100; Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404 au paragraphe 53 [Sketchley].

[19]           Quant au bien‑fondé de la décision, le défendeur estime que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité (arrêt Exeter, précité, au paragraphe 6; décision Hérold, précitée, au paragraphe 36; arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Le défendeur ajoute que lorsqu’elle effectue son examen préalable au titre du paragraphe 41(1), la Commission a droit à [traduction] « beaucoup de déférence ». Le libellé de cette disposition lui confère un large pouvoir discrétionnaire en vertu duquel elle peut juger une plainte irrecevable si « elle estime » que certains critères sont remplis; cette formulation générale, combinée au fait que la Commission est un organisme effectuant des examens préalables et non un organisme juridictionnel, indique que « le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission » : arrêt Sketchley, précité, au paragraphe 38; Bergeron c Canada (Procureur général), 2013 CF 301 au paragraphe 39; décision Hérold, précitée, au paragraphe 33.

[20]           Je conviens que la norme de contrôle quant au bien‑fondé de la décision est celle de la raisonnabilité. Il existe cependant une contradiction apparente entre l’argument du défendeur concernant la nécessité de faire preuve de « beaucoup de déférence » et l’idée que les décisions prises à l’issue d’un examen préalable, mais sans enquête, réclament [traduction] « [l’] examen approfondi » des cours de justice, comme le soutient la Commission elle-même dans son rapport.

[21]           La Commission invoque la décision Hérold et l’arrêt Keith, précités, et fait valoir qu’un [traduction] « examen approfondi » est de mise. À mon avis, les extraits cités de ces décisions concernent le critère applicable lors de l’examen préalable, et non la norme de contrôle que doit employer la Cour. Les indications fournies par la Cour d’appel aux paragraphes 50 et 51 de l’arrêt Keith valent néanmoins la peine d’être répétées :

[50]      La Commission peut, en vertu de l’alinéa 41(1)c) de la Loi, refuser de statuer sur une plainte au motif qu’elle n’est pas de sa compétence. Elle peut prendre cette décision avant ou après l’enquête prévue à l’article 43 de la Loi. Dans le cas qui nous occupe, la Commission a rendu sa décision sans avoir eu l’avantage de connaître les conclusions d’une enquête. Suivant la jurisprudence de la Cour fédérale, dans ces situations, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable que dans les cas évidents, et ce, parce que la décision que rend la Commission en vertu de l’article 41 est une décision définitive rendue à un stade préliminaire sans que la plainte n’ait fait l’objet d’une enquête aux termes de l’article 43 de la Loi (Société canadienne des postes c. Commission canadienne des droits de la personne et autres (1997), 130 F.T.R. 241, au paragraphe 3 (le juge Rothstein), conf. par 169 F.T.R. 138, 245 N.R. 397 (C.A.F.); Michon‑Hamelin c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1258, au paragraphe 16 (la juge Mactavish, citant le juge Rothstein dans la décision Société canadienne des postes, précitée); Hicks c. Canada (Procureur général), 2008 CF 1059, au paragraphe 22 (la juge Snider); Canada (Procureur général) c. Maracle, 2012 CF 105, aux paragraphes 39 et 40 (la juge Bédard)).

[51]      De plus, comme la Commission a, en l’espèce, tranché la question de sa compétence sans avoir eu l’avantage de prendre connaissance des conclusions d’une enquête menée en vertu de l’article 43, les allégations de fait qui étaient articulées dans la plainte doivent être présumées vraies (décision Michon‑Hamelin c. Canada (Procureur général), précitée, aux paragraphes 23 et 24; décision Hicks c. Canada (Procureur général), précitée, au paragraphe 6).

[Non souligné dans l’original.]

[22]           En définitive, la question n’est pas de savoir s’il faut faire preuve de « beaucoup de déférence » ou effectuer un « examen approfondi », mais plutôt de déterminer si la décision de ne pas donner suite à la plainte était raisonnable, compte tenu du critère applicable et des renseignements dont disposait (et ne disposait pas) la Commission, et eu égard au fait qu’aucune enquête n’avait encore eu lieu.

[23]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir les arrêts Dunsmuir, au paragraphe 47, et Khosa, au paragraphe 59, précités. En d’autres mots, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable dans le sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[24]           On dit parfois que les questions de partialité ont trait à l’équité procédurale et sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au paragraphe 45; Konya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 975 au paragraphe 5; Punia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1078 au paragraphe 19), mais cela ne nous donne que peu d’indications pratiques dans un cas comme celui qui nous occupe, où la question de la partialité n’a été ni examinée ni tranchée par le décideur administratif. Il me semble plutôt que la Cour doit simplement appliquer le critère bien établi relatif à la partialité eu égard à l’ensemble de la preuve. Ce critère consiste à se demander si une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait qu’il est probable que le décideur n’a pas tranché la question de manière impartiale : arrêt Exeter, précité, au paragraphe 16; Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369 aux paragraphes 394 et 395 [Committee for Justice and Liberty].

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[25]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

Motifs de distinction illicite

Prohibited grounds of discrimination

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for an offence for which a pardon has been granted or in respect of which a record suspension has been ordered.

[…]

[…]

Refus de biens, de services, d’installations ou d’hébergement

Denial of good, service, facility or accommodation

5. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public

5. It is a discriminatory practice in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public

a) d’en priver un individu;

(a) to deny, or to deny access to, any such good, service, facility or accommodation to any individual, or

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

(b) to differentiate adversely in relation to any individual,

 

 

[…]

[…]

Plaintes

Complaints

40. (1) Sous réserve des paragraphes (5) et (7), un individu ou un groupe d’individus ayant des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière.

40. (1) Subject to subsections (5) and (7), any individual or group of individuals having reasonable grounds for believing that a person is engaging or has engaged in a discriminatory practice may file with the Commission a complaint in a form acceptable to the Commission.

Irrecevabilité

Commission to deal with complaint

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

[…]

[…]

ARGUMENTS

Le demandeur

Erreurs de fait

[26]           Le demandeur soutient que la Commission a commis des erreurs de fait en conjecturant sur les mesures que le CPVP a prises ou non à l’égard de ses plaintes.

[27]           Tout d’abord, le demandeur prétend que la phrase [traduction] « Le plaignant semble rejeter les conclusions du rapport du mis en cause concernant ses plaintes » contenue dans le rapport est factuellement incorrecte, puisqu’il n’y a pas de conclusions auxquelles il pourrait s’opposer. Il affirme que ses plaintes ont été ignorées ou rejetées par le CPVP, et que le seul rapport de conclusions existant n’en fait aucune mention. Le demandeur cite à cet égard une lettre du 4 juillet 2012 dans laquelle le CPVP conclut que sa plainte est non fondée; la Commission ne disposait pas de cette lettre lorsqu’elle a rendu la décision faisant l’objet du contrôle, mais le demandeur l’a jointe à l’affidavit qu’il a déposé dans la présente instance. Il signale que cette lettre n’indique qu’un numéro de dossier et qu’elle se rapporte à une plainte reçue par le CPVP le 5 avril 2011, et non aux plaintes qu’il avait déposées initialement le 23 février précédent.

[28]           Le demandeur prétend que deux numéros de dossier sont soudainement apparus sur l’en‑tête de la lettre suivante envoyée le 6 février 2013 par le CPVP, après qu’il s’est plaint du traitement que lui a réservé cet organisme. Cette lettre, dont ne disposait pas non plus la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision, indique que le CPVP était convaincu que les plaintes du demandeur avaient été traitées et examinées de manière adéquate, et qu’il [traduction] « ne donnerait pas d’autre suite » à ses plaintes. Le demandeur estime que cette lettre prouve que le CPVP a refusé d’examiner correctement ses plaintes, et que la déclaration selon laquelle [traduction] « [l]e CPVP s’est penché sur chacun de ses motifs de plainte, dont certains ont été examinés conformément aux politiques et procédures de cet organisme », figurant dans le rapport, est inexacte. Le demandeur affirme que le CPVP n’a pas examiné ses plaintes conformément à ses politiques et procédures.

[29]           Il prétend par ailleurs que le CPVP lui a refusé toute possibilité de présenter des observations avant de remettre son unique rapport de conclusions, et qu’il l’a carrément induit en erreur quant à ses intentions. Le demandeur renvoie à un courriel qu’il a envoyé à l’avocat qui le représentait alors dans lequel il a écrit que le CPVP [traduction] « a mené enquête et s’apprête à conclure que mes plaintes sont bien fondées » pour démontrer qu’il a été induit en erreur quant aux conclusions auxquelles allait parvenir le CPVP. Son argument paraît être le suivant : il aurait présenté d’autres observations s’il avait su que le CPVP s’apprêtait à conclure que ses plaintes étaient non fondées.

[30]           Le demandeur fait remarquer que la Cour a déclaré que le CPVP était soumis aux principes d’équité procédurale en ce qui concerne le traitement des plaintes (Kniss c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2013 CF 31, au paragraphe 18), et que la Loi exige que les plaignants puissent présenter des observations au commissaire : paragraphe 33(2) de la Loi. Pourtant, le CPVP lui a ouvertement refusé la possibilité de traiter du fond de ses plaintes, déclarant dans un courriel de janvier 2013 que s’il souhaitait appeler le personnel du CPVP comme prévu, [traduction] « il ne sera question que de vos commentaires selon lesquels ce Commissariat aurait omis d’enquêter sur deux plaintes au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels ».

[31]           Le demandeur conteste également la déclaration contenue dans le rapport selon laquelle le fait qu’un employé du CPVP ait désigné son partenaire conjugal comme [traduction] « votre je‑ne‑sais‑trop‑quoi », [traduction] « ne semble pas avoir eu d’impact sur sa plainte auprès du CPVP [...] ». Le demandeur estime que cette phrase est fausse d’un point de vue factuel puisque le CPVP n’a pas statué sur la plainte dont il était question dans cette conversation. Dès lors, la Commission a conjecturé sur des questions de fait, contrairement aux directives de la Cour d’appel fédérale concernant les enquêtes fondées sur l’article 41. Il cite à cet égard l’arrêt Keith, précité, au paragraphe 51 :

[51]      De plus, comme la Commission a, en l’espèce, tranché la question de sa compétence sans avoir eu l’avantage de prendre connaissance des conclusions d’une enquête menée en vertu de l’article 43, les allégations de fait qui étaient articulées dans la plainte doivent être présumées vraies (décision Michon‑Hamelin c. Canada (Procureur général), précitée, aux paragraphes 23 et 24; décision Hicks c. Canada (Procureur général), précitée, au paragraphe 6).

D’après le demandeur, la Commission a ouvertement contredit ses allégations malgré cette directive de la Cour d’appel fédérale.

Erreurs de droit

[32]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit en déclarant dans le rapport que des dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoyaient des recours adéquats pour traiter de ses préoccupations liées au traitement de ses plaintes par le CPVP. Il y voit une référence à l’article 41 de la Loi, qui n’offre pas à son avis de recours adéquat. Il affirme que le CPVP ne s’est pas prononcé sur ses plaintes et qu’il ne dispose d’aucun droit d’appel en l’absence de telles conclusions. Il soutient donc que la décision de la Commission repose sur une erreur de droit.

[33]           Par ailleurs, le demandeur fait valoir que deux des plaintes qu’il a adressées au CPVP concernaient des ingérences dans des affaires personnelles et privées, et l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne prévoit aucun droit d’appel relativement aux décisions touchant ce type de plaintes.

[34]           Le demandeur avance également que le CPVP a commis une erreur de droit en interprétant sa propre compétence comme il l’a fait. Il note qu’avant de se plaindre à la Commission, il avait donné au CPVP la possibilité de dissiper ses préoccupations concernant le traitement de ses plaintes. Il signale que, dans sa lettre du 6 février 2013, le CPVP estimait qu’il présentait essentiellement une plainte en matière de droits de la personne, ce qui échappait à sa compétence. Le CPVP lui suggérait de contacter la Commission. À présent, fait-il valoir, la Commission refuse de statuer sur sa plainte parce qu’elle estime que la Loi sur la protection des renseignements personnels lui offre des recours adéquats. D’après le demandeur, cela montre que la Commission et le CPVP se contredisent sur une question de compétence, et il incombe à la Cour de résoudre ce différend.

Atteintes à l’équité procédurale

[35]           Le demandeur soutient en outre que la Commission a enfreint ses droits en matière d’équité procédurale de trois façons. Premièrement, ses observations complètes n’ont pas été présentées à la Commission avant qu’elle ne rende sa décision. Deuxièmement, la Commission n’a pas mentionné la ou les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC, 1985, c P‑21 [Loi sur la protection des renseignements personnels] qui auraient permis de dissiper adéquatement ses préoccupations, l’obligeant ainsi à deviner ce qu’elle a voulu dire. Enfin, la Commission aurait demandé aux parties de soumettre des observations sur l’alinéa 41(1)d) de la Loi, mais pour fonder ensuite sa décision au moins en partie sur l’alinéa 41(1)b), sans lui permettre de présenter des observations sur ce point.

[36]           Le premier de ces arguments renvoie aux observations du demandeur concernant l’existence d’un lien clair entre la conduite alléguée et un motif de discrimination illicite par la Loi. Il prétend que, dans le rapport, la Commission [traduction] « reconnaît que le demandeur a établi un lien clair avec un motif illicite » au paragraphe 19 lorsqu’elle écrit que [traduction] « [s]i les allégations étaient prouvées, il s’agirait d’une pratique discriminatoire au sens de l’article 5 de la Loi ». Malgré cela, affirme le demandeur, le rapport n’incluait pas toute sa réponse sur la question du lien avec un motif illicite, ce qui l’a par conséquent privé de [traduction] « la possibilité de soumettre une défense pleine et entière à la Commission ».

[37]           Deuxièmement, le demandeur note que la Commission indique, au paragraphe 20 du rapport, que la Loi sur la protection des renseignements personnels lui offrait des recours adéquats, mais sans préciser de quelles dispositions il s’agissait, ce qui l’a par conséquent privé de [traduction] « la possibilité de présenter une défense pleine et entière ».

[38]           Enfin, le demandeur fait valoir que le paragraphe 20 du rapport montre également que la Commission fondait sa décision sur l’alinéa 41(1)b) de la Loi, en vertu duquel elle peut juger une plainte irrecevable si :

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

[39]           Le demandeur affirme que la Commission ne lui a posé aucune question relativement à l’alinéa 41(1)b) de la Loi, et l’a ainsi privé du droit de présenter une défense pleine et entière.

Caractère arbitraire de la décision

[40]           Le demandeur prétend que l’auteur du rapport a agi de manière arbitraire en y adoptant la position du défendeur. Ce dernier déclarait dans ses observations que le demandeur s’appuyait sur de simples déclarations portant qu’il avait été victime de discrimination sur la base de motifs illicites. Le rapport poursuit au paragraphe 21 : [traduction] « L’allégation selon laquelle le traitement que lui a réservé le CPVP est lié à son orientation sexuelle et à sa déficience est une simple affirmation non étayée par les faits. »

[41]           Le demandeur cite également cet extrait du paragraphe 3 du rapport :

[traduction] Le plaignant a également déposé une plainte contre Citoyenneté et Immigration Canada, et ces dossiers seront présentés simultanément à la Commission, comme il l’a demandé.

Malgré cela, affirme le demandeur, les deux plaintes ont été présentées séparément à la Commission, de sorte qu’elle ne pouvait pas nécessairement savoir que l’auteur du rapport avait examiné les deux plaintes en adoptant des positions contradictoires.

Partialité

[42]           Selon le demandeur, comme la Commission et le CPVP ont fait valoir le même argument [traduction] « quoiqu’en sens inverse », il serait raisonnable de sa part de conclure que la première n’est pas loin de partager la position du second.  Cet argument semble lié à celui relatif à la compétence : comme l’un et l’autre ont refusé d’exercer leur compétence, la Commission inclinerait naturellement vers la position du CPVP sur cette question. Le demandeur estime qu’il serait raisonnable de conclure que les présumées erreurs de fait et droit, les manquements aux principes de l’équité procédurale et les mesures arbitraires susmentionnées procèdent de cette solidarité, et que la décision et le processus décisionnel étaient donc partialement favorables au CPVP.

[43]           D’après le demandeur, la simple réalité est que les atteintes à ses droits à la protection de sa vie privée sont en partie liées à sa déficience. Il prétend que le refus du CPVP d’enquêter et de statuer sur ses plaintes établira un précédent qui limitera gravement le degré de protection de la vie privée offert aux Canadiens atteints de déficience au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, pour ce qui est de l’usage et de la divulgation de leurs renseignements médicaux personnels par le gouvernement fédéral, comme du droit d’accès à leurs dossiers médicaux détenus par ce dernier. Il affirme qu’il a été dépouillé de son droit à la protection de la vie privée, qu’il ne dispose d’aucun droit d’appel dans les circonstances, et que la Commission et, en denier ressort, le Tribunal des droits de la personne sont les seuls à pouvoir lui offrir des mesures de réparation. Il demande donc à la Cour d’infirmer la décision par laquelle la Commission a refusé de statuer sur sa plainte ou, subsidiairement, de rendre une ordonnance de mandamus enjoignant à la Commission d’enquêter sur sa plainte conformément au paragraphe 43(1) de la Loi.

Le défendeur

Question préliminaire : preuve additionnelle déposée par le demandeur

[44]           Le défendeur fait remarquer que le dossier du demandeur dans la présente instance contient un certain nombre de documents dont ne disposait pas la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision et soutient que ceux-ci ne sont donc pas pertinents en l’espèce : O’Grady c Bell Canada, 2012 CF 1448 au paragraphe 22.

Processus équitable et impartial

[45]           Le défendeur affirme que, contrairement à ce que le demandeur prétend dans ses observations, ce dernier a eu tout le loisir de faire valoir ses arguments et de les faire examiner par la Commission. Le demandeur a fourni des observations écrites en réponse au rapport ainsi que des commentaires écrits concernant la réponse du CPVP audit rapport, et la Commission a tenu compte des uns et des autres. À ce titre, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale : décision Hérold, précitée, au paragraphe 42.

[46]           Quant aux deux préoccupations soulevées par le demandeur relativement au paragraphe 20 du rapport — à savoir qu’il ne précise pas quelles dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels lui offraient un recours adéquat, et qu’il démontre que la décision reposait sur l’alinéa 41(1)b) de la Loi plutôt que sur l’alinéa 41(1)d) à l’égard duquel les parties avaient été invitées à présenter des observations —, le défendeur soutient qu’il ressort clairement de la lecture du rapport complet que cette disposition n’a joué qu’un rôle mineur, voire aucun rôle, dans les recommandations finales qu’a adoptées la Commission dans sa décision. Les paragraphes suivants précisent que le problème avec la plainte du demandeur est qu’il n’a étayé par aucun fait son allégation selon laquelle la conduite reprochée découlait de son orientation sexuelle ou de sa déficience (paragraphes 21‑24). Il n’a donc pas démontré [traduction] « qu’il existe un lien entre ses allégations et un motif illicite » (paragraphe 24) et c’est pourquoi la plainte a été jugée « frivole » (paragraphes 24‑25).

[47]           Par ailleurs, soutient le défendeur, le demandeur a eu la possibilité de commenter le paragraphe 20 dans sa réponse au rapport, et c’est d’ailleurs ce qu’il a fait en faisant valoir que la Loi sur la protection des renseignements personnels ne lui offrait aucun recours adéquat dans les circonstances; dès lors, aucune question d’équité procédurale n’entre en jeu.

[48]           Quant aux allégations de partialité avancées par le demandeur, le défendeur estime qu’il n’a fourni aucun motif sérieux qui puisse satisfaire au critère bien établi concernant la crainte raisonnable de partialité, c’est‑à‑dire qu’il n’a présenté aucun motif susceptible d’amener « une personne bien renseignée, qui étudie la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » à conclure qu’il est probable que l’affaire n’a pas été tranchée de manière équitable et impartiale » arrêt Exeter, précité, au paragraphe 16; arrêt Committee for Justice and Liberty, précité, aux pages 394‑395. Le défendeur fait valoir que l’existence de prétendues erreurs dans le traitement de sa plainte n’implique pas que la Commission était partiale envers le demandeur.

[49]           Le défendeur soutient au contraire que le processus était équitable et impartial. La Commission a notifié aux parties qu’elle envisageait de rejeter la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)d), et elle leur a posé des questions précises. Les parties ont fait connaître leurs positions à une employée de la Commission, et celle-ci a préparé le rapport. Elles ont eu la possibilité d’y répondre, ainsi qu’aux observations respectives de la partie adverse, et la Commission a examiné ces documents avant de rendre sa décision. Le demandeur connaissait donc la preuve qu’il devait réfuter et a eu tout le loisir d’être entendu avant que sa plainte ne soit rejetée.

La décision était raisonnable

[50]           Le défendeur estime que la Commission a raisonnablement refusé de statuer sur la plainte du demandeur en vertu de l’alinéa 41(1)d) au motif qu’elle était frivole.

[51]           Pour qu’une plainte soit jugée frivole, fait remarquer le défendeur, il doit être « manifeste et évident » que le plaignant ne peut avoir gain de cause : décision Hérold, précitée, au paragraphe 35. Par ailleurs, lorsque la Commission refuse de statuer sur une plainte aux termes de l’article 41 sans procéder au préalable à une enquête, comme en l’espèce, les allégations factuelles contenues dans la plainte doivent être tenues pour véridiques. Dès lors, en présumant de la véracité des allégations du demandeur, la question est de savoir si la Commission a agi raisonnablement lorsqu’elle a refusé de statuer sur la plainte : arrêt Keith, précité, au paragraphe 51. Le défendeur note à cet égard que le rapport doit être considéré comme indissociable des motifs de la décision de la Commission : arrêt Sketchley, précité, au paragraphe 37; Derksen c Canada (Service correctionnel), 2013 CF 1120 au paragraphe 14.

[52]           Le défendeur soutient que les motifs de la Commission, pris dans leur ensemble, satisfont à la norme de « la justification […], la transparence […] et l’intelligibilité » énoncée à l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47. Le rapport expose les facteurs pertinents au regard de l’alinéa 41(1)d), les arguments principaux des parties concernant ces facteurs ainsi qu’une analyse convaincante touchant la manière dont ils se rapportent à la plainte du demandeur contre le CPVP.

[53]           Même si le demandeur conteste les commentaires du rapport concernant le traitement de ses plaintes par le CPVP, le défendeur soutient que les passages visés ne sont pas essentiels au regard de l’analyse et de la conclusion du rapport. Il ressort clairement de la partie de ce document consacrée à l’analyse que le problème fondamental de la plainte tenait à ce que le demandeur n’avait présenté aucune preuve établissant un lien entre la conduite alléguée et un motif de discrimination illicite (paragraphes 21‑24). En d’autres termes, même en présumant de la véracité de toutes les allégations concernant la conduite du CPVP, rien ne prouvait que celle-ci reposait sur un motif de discrimination illicite.

[54]           Le défendeur prétend que l’exigence énoncée à l’article 40 de la Loi, selon laquelle un plaignant doit avoir des « motifs raisonnables » de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire, signifie qu’il doit prouver de façon probante que les actes du défendeur reposaient sur un motif illicite : articles 5 et 40 de la Loi; décisions Hérold, au paragraphe 41, et Hartjes, au paragraphe 23, précitées. En l’espèce, cependant, la seule conduite expressément décrite par le demandeur qui serait susceptible d’être liée à un motif illicite est le commentaire de l’enquêteur du CPVP qui aurait désigné le partenaire du demandeur comme [traduction] « votre je‑ne‑sais‑trop‑quoi ». Comme le note le rapport, quand bien même ce serait vrai, cela ne semble pas avoir eu d’impact sur la manière dont le demandeur a été traité par le CPVP puisque son dossier a été confié à un autre enquêteur.

[55]           Le défendeur fait valoir que les observations du demandeur faisant réponse au rapport ne fournissent aucune preuve additionnelle établissant un lien entre la conduite du CPVP et un motif de discrimination illicite. Le demandeur mentionne [traduction] « plusieurs […] commentaires désobligeants » dans sa réponse de juin 2013, mais il ne précise ni leur teneur ni l’identité de leur auteur. Il prétend aussi que la Commission l’a informé que ses plaintes ne pouvaient donner lieu à une enquête parce qu’il était atteint de déficience et qu’il devait contacter la Commission, mais il ressort de la preuve qu’il a soumise que le CPVP répondait simplement à ses allégations de violation des droits de la personne. La Commission ne faisait que lui indiquer qu’elle n’était compétente qu’à l’égard des atteintes à la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[56]           Selon le défendeur, même si l’allégation du demandeur selon laquelle le CPVP n’a pas convenablement enquêté sur ses plaintes est tenue pour véridique, cela ne change rien à la conclusion principale du rapport, à savoir qu’il n’a présenté aucune justification raisonnable du lien entre la conduite du CPVP et un motif de discrimination illicite.

[57]           De même, il n’est pas important de savoir si l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels offrait un recours adéquat pour dissiper les préoccupations du demandeur concernant le traitement de ses plaintes par le CPVP. La Commission n’a pas basé sa décision sur cette question. Elle a plutôt conclu que le demandeur n’avait pas établi de lien entre le traitement que lui a réservé le CPVP et un motif de discrimination illicite.

[58]           En fait, le défendeur soutient que le demandeur a demandé à la Commission de déduire que la présumée conduite du CPVP était fondée sur un motif de discrimination illicite. Cependant, il était raisonnable de la part de la Commission de ne pas tirer une telle inférence, compte tenu de la preuve dont elle disposait. En l’absence d’éléments de preuve probants établissant que la conduite du CPVP était fondée sur un motif de discrimination illicite, il était manifeste et évident que la plainte du demandeur ne pourrait pas être accueillie.

[59]           Le défendeur rappelle que, même si le rapport n’est peut-être pas parfait à tous égards, la perfection n’est pas la norme. Le dossier de la décision et le rapport permettent à la Cour de comprendre pourquoi la Commission a pris sa décision, et celle-ci appartient aux issues raisonnables : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador Newfoundland and Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 18.

ANALYSE

[60]           Le demandeur consacre une partie considérable de la présente demande à attaquer la décision du CPVP en s’appuyant sur des éléments de preuve dont ne disposait pas la Commission et qui ne sont pas pertinents pour les questions dont je suis saisi. S’il n’était pas satisfait de la décision du CPVP, le demandeur aurait dû demander à la Cour de l’examiner. Quoi qu’il en soit, la Commission n’a pas eu à se prononcer sur le bien‑fondé de la décision du CPVP et donc la Cour n’examinera pas cette question.

[61]           La décision de la Commission ne comporte aucune erreur factuelle importante, eu égard aux éléments dont elle disposait. L’essentiel de cette décision figure aux paragraphes 21 et 23 du rapport. Le demandeur prétendait qu’il avait été traité de manière différente et préjudiciable en raison de son orientation sexuelle et de sa déficience, mais les motifs et les renseignements qu’il a avancés pour étayer cette allégation ne suffisaient pas pour établir l’existence de [traduction] « motifs raisonnables ».

[62]           Comme le signale le rapport, les arguments que le demandeur a soumis à la Commission reposaient sur le commentaire d’un employé du CPVP qui aurait désigné son partenaire conjugal comme son [traduction] « je‑ne‑sais‑trop‑quoi ». Le demandeur s’en est plaint et le dossier a été confié à quelqu’un d’autre. Pour ce qui est du commentaire en question, rien, ni alors ni maintenant, ne prouve que le CPVP l’a traité de manière différente et préjudiciable sur la base d’un motif illicite lorsqu’il a tranché sa plainte. Au contraire, le fait que le dossier du demandeur a été confié à quelqu’un d’autre après qu’il s’est plaint montre que le CPVP a été réceptif et sensible à ses préoccupations concernant le commentaire désobligeant et qu’il s’est assuré que ledit commentaire n’aurait pas d’impact sur la décision finale.

[63]           Le demandeur demandait à la Commission  — comme il le fait maintenant avec la Cour — de conclure que ce qui a pu motiver la remarque a persisté et eu des répercussions importantes sur la décision du CPVP concernant ses plaintes. Cependant, aucun élément de preuve ni renseignement ne vient étayer cette affirmation.

[64]           Le demandeur soutient également que la question que lui a posée un employé du CPVP pour savoir s’il avait besoin d’ [traduction] « accommodements [...] un […] appel téléphonique » trahit une mentalité discriminatoire, mais je ne vois pas comment une telle question peut être interprétée ainsi.

[65]           Le demandeur n’a fourni ni élément de preuve ni renseignement montrant en quoi sa déficience a pu avoir un impact sur la décision du CPVP. Son affirmation à ce sujet demeure une simple allégation et la Commission n’a commis aucune erreur de fait à cet égard.

[66]           Il convient de s’arrêter ici sur ce que la Commission doit tenir ou non pour avéré lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire au titre de l’article 41 de la LCDP avant d’effectuer une enquête. La juge Kane a récemment examiné la jurisprudence relative à cette question et fourni un résumé utile dans Alliance de la Fonction publique du Canada c Canada (Procureur général), 2014 CF 393 aux paragraphes 49‑61 [Alliance de la Fonction publique]. Elle affirme que :

[56]      À l’étape de l’examen préliminaire, un demandeur doit exposer les allégations, mais n’est pas tenu de produire des éléments de preuve pour prouver ces allégations. Il n’est pas nécessaire de soumettre de la documentation ou de la preuve à l’appui, car de tels éléments de preuve ne deviennent nécessaires que si la plainte passe à l’étape de l’enquête (décision Valookaran, précitée, au paragraphe 22; Michon-Hamelin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1258, [2007] ACF no 1607 (Michon-Hamelin)).

[67]           La juge Bédard a déclaré dans Canada (Procureur général) c Maracle, 2012 CF 105, 404 FTR 173 au paragraphe 41 [Maracle] :

[41]      À l’étape précédant l’ouverture de l’enquête, le plaignant n’est pas tenu de présenter des éléments de preuve, mais sa plainte doit néanmoins montrer qu’il existe un lien suffisant avec un motif de distinction illicite.

[68]           Je suis d’accord avec la juge Kane pour dire que les décisions prises en vertu de l’article 41 doivent en définitive trouver un équilibre entre deux objectifs importants (décision Alliance de la Fonction publique, précitée, au paragraphe 61) :

[61]      Bien que l’exclusion d’une plainte à l’étape de l’examen initial soit perçue comme une mesure exceptionnelle parce qu’elle constitue un rejet définitif de la plainte sans la tenue d’une enquête, il faut aussi tenir compte du but de l’article 41, qui est de permettre l’exclusion des plaintes dans des cas évidents et manifestes, notamment lorsque la plainte ne dévoile pas de lien suffisant avec un motif de discrimination ou que le plaignant ne fournit pas suffisamment de renseignements pour établir le lien.

[69]           Les plaignants ne sont pas tenus de présenter des éléments de preuve à l’étape précédant l’ouverture de l’enquête, mais l’exigence d’établir l’existence de motifs raisonnables à l’appui de la plainte implique qu’ils ne peuvent pas non plus se contenter de formuler de simples allégations (décision Hartjes, précitée au paragraphe 23). Les analogies avec le critère autorisant la radiation d’un acte de procédure ou d’une enquête préliminaire sont fréquentes (voir la décision Maracle, précitée, au paragraphe 42; Cooper c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854 au paragraphe 53, 140 DLR (4th) 193). Le plaignant n’a pas à prouver que ce qu’il dit est vrai, mais il doit alléguer des faits qui, s’ils étaient avérés, établiraient un lien avec un motif de discrimination illicite. Il ne peut simplement affirmer que ce lien existe. Sinon, aucune plainte ne pourrait jamais être rejetée au stade de l’examen préalable de l’article 41.

[70]           Comme la Cour l’a récemment fait remarquer dans une affaire similaire, la Commission s’est dotée de procédures qui accordent au plaignant plusieurs occasions de présenter les détails de sa plainte de manière à établir l’existence de motifs raisonnables avant qu’une décision fondée sur l’article 41 ne soit prise, ce dont nous devons tenir compte au moment d’évaluer le caractère raisonnable de la décision de la Commission. Le juge Hughes a décrit le problème en ces termes dans McIlvenna c Banque de Nouvelle‑Écosse (Banque Scotia), 2013 CF 678 aux paragraphes 5‑6 et 18‑19 :

[5]        […] La Commission a statué à partir d’un rapport d’un membre de la Division des services de règlement qui résumait les observations antérieures des parties et formulait une recommandation. Une copie de ce rapport a été envoyée à l’avocat du demandeur et à l’avocat de la Banque Scotia et chacun d’eux a formulé des observations à la suite du rapport. La Commission avait aussi en main ces observations lorsqu’elle a rendu sa décision.

[6]        Il importe de préciser que des enquêtes initiales ont été effectuées relativement à l’affaire. Le résultat de ces enquêtes a été pris en compte et résumé dans le rapport et chacune des parties a formulé des observations relatives au rapport. La Commission n’a donc pas rendu sa décision uniquement sur la foi de la plainte; elle disposait du rapport de même que des observations des parties concernant le rapport.

[…]

[18]      Les tribunaux ont établi que, règle générale, la Commission aborderait ces questions dès le début de l’instruction et qu’elle éliminerait celles qui peuvent l’être de façon « claire et évidente » et que, lorsqu’aucune enquête n’a eu lieu, les allégations formulées dans la plainte doivent être considérées comme véridiques. […]

[19]      La situation en l’espèce est différente. Les parties ont eu l’occasion dès le départ de présenter leur thèse de façon détaillée, ce qu’elles ont fait. Un rapport a été rédigé. Les parties ont eu tout le loisir de présenter des observations relatives au rapport et elles l’ont fait. C’est uniquement à la fin de ce processus qu’une décision a été rendue.

[71]           Des procédures semblables ont été suivies dans le cas présent. À mon avis, le plaignant n’est toujours pas tenu d’étayer ses allégations par des éléments de preuve au stade précédant l’ouverture de l’enquête, mais il est tout à fait approprié de rejeter de simples allégations parce qu’elles sont insuffisantes pour établir l’existence de motifs raisonnables à l’appui de la plainte puisque le plaignant a été avisé de cette lacune et qu’il lui a été permis de fournir des renseignements additionnels.

[72]           La distinction entre des faits allégués et de simples allégations peut être aisément illustrée dans l’affaire qui nous occupe. Le demandeur n’a pas à prouver sa déclaration selon laquelle un employé du CPVP a parlé de son partenaire conjugal comme de [traduction] « votre je‑ne‑sais‑trop‑quoi ». On présume que cette remarque a été dite. Le demandeur ne peut toutefois pas se contenter d’affirmer que la prétendue omission du CPVP d’examiner adéquatement ses plaintes est liée à un motif de discrimination illicite. Il doit rapporter des faits qui, s’ils sont admis, sont de nature à établir ce lien. Autrement, la demande n’a aucune chance d’être accueillie.

[73]           À mon avis, contrairement à ce qu’a fait valoir le demandeur, aucune des conclusions de la Commission n’était « conjecturale ». La Commission a simplement fait remarquer qu’il n’avait pas établi un fondement raisonnable permettant de donner suite à la plainte.

[74]           Contrairement à ce qu’allègue le demandeur, la Commission n’a pas fondé sa décision sur le fait que la Loi sur la protection des renseignements personnels lui offrait des recours. Cette décision était fondée sur l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, et non l’alinéa 41(1)b). Quand bien même la Commission se serait trompée au sujet du recours prévu par la Loi sur la protection des renseignements personnels, cela n’a pas affecté les principaux éléments de sa décision qui ont été présentés plus haut. La Commission soulignait simplement que la question dont elle était saisie ne concernait pas le caractère généralement raisonnable ou équitable de la décision du CPVP ou la manière dont cet organisme a traité ses plaintes, car cela pouvait être contesté par d’autres moyens. La question portée devant la Commission avait trait au traitement différent fondé sur des motifs illicites. Le demandeur essaye à présent d’attaquer la décision de la Commission sous cet angle en renvoyant la Cour à ce qu’il appelle maintenant les problèmes liés à la décision du CPVP.

[75]           En ce qui intéresse l’équité procédurale, le demandeur essaye de soulever à nouveau des questions sans pertinence au regard de l’enjeu fondamental soumis à la Commission et qui n’ont eu aucune conséquence sur la décision. Dans sa décision, la Commission dit essentiellement que le demandeur n’avait pas présenté de faits établissant que la conduite et la décision du CPVP étaient basées sur son orientation sexuelle ou sa déficience. La Commission a reconnu un lien potentiel avec un motif illicite et a présumé que les allégations de fait du demandeur étaient véridiques. Ce dernier n’a pas établi qu’il existait des motifs raisonnables de croire que la conduite du CPVP était liée à un motif de discrimination illicite. Le demandeur a reçu le rapport et était donc tout à fait conscient de ce problème et il a également pu répondre aux commentaires du CPVP. Il n’a pourtant fourni aucune preuve additionnelle ni allégué d’autres faits susceptibles de démontrer un lien entre la conduite du CPVP et un motif de discrimination illicite.

[76]           Le processus suivi par la Commission a laissé au demandeur tout le loisir de présenter ses arguments et de répondre à tout le contenu du rapport. Le demandeur a d’ailleurs répondu de manière exhaustive aux points qu’il prétend maintenant n’avoir pas pu aborder adéquatement.

[77]           Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve autorisant une conclusion de partialité conforme au critère de l’arrêt Exeter, précité.

[78]           Même si les griefs du demandeur concernant la décision du CPVP étaient fondés, rien ne prouve que la conduite du CPVP lorsqu’il a évalué la plainte ou rendu la décision défavorable était liée à un motif de discrimination illicite. Le demandeur a tenté d’attaquer cette conclusion intelligible, transparente et justifiable en invoquant le processus décisionnel et la décision du CPVP ou des éléments de la décision de la Commission qui ne se rapportaient pas la question fondamentale en l’espèce. Le demandeur n’a établi aucun motif qui permette à la Cour de conclure qu’une erreur susceptible de contrôle justifiant l’annulation de la décision de la Commission a été commise.

[79]           Le demandeur insiste sur le paragraphe 20 du rapport et fait valoir qu’il contient des erreurs de fait et de droit, mais ce paragraphe n’est pas déterminant pour la décision de la Commission concernant le paragraphe 41(1) de la Loi. Lorsqu’elle affirme qu’elle [traduction] « n’est pas un organe d’appel et ne peut pas examiner la décision du CPVP », la Commission indique simplement qu’elle ne peut pas examiner la décision du CPVP sur le fond, de sorte que le demandeur, s’il n’est pas satisfait par les refus du CPVP, doit chercher à exercer un recours autre que la présentation d’une plainte à la Commission. La Commission ne dit pas qu’elle ne peut pas examiner une plainte contre le CPVP fondée sur le paragraphe 41(1), puisqu’après elle a en fait examiné celle du demandeur.

[80]           Lorsque le rapport dit que [traduction] « [l]e CPVP a examiné chacun des motifs de plainte, dont certains ont été examinés conformément aux politiques et procédures de cet organisme », cela ne veut pas dire que le CPVP a mené enquête et qu’il a rendu les décisions que le demandeur voulait obtenir. Le paragraphe 19 clarifie cela en renvoyant aux allégations selon lesquelles le CPVP a mal géré les plaintes déposées au titre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, et qu’il a refusé d’enquêter sur certaines d’entre elles et de se prononcer sur d’autres. La Commission ne nie pas que les plaintes aient pu être [traduction] « mal gérées », ce qui pourrait, comme elle le reconnaît, [traduction] « constituer une pratique discriminatoire au sens de l’article 5 de la Loi. » Il appert clairement de l’ensemble de la décision que les allégations du demandeur à l’encontre du CPVP sont acceptées; le problème est qu’il n’a pas réussi à établir qu’il existait des motifs raisonnables de croire que ce qu’a fait ou omis de faire le CPVP démontrait un lien avec un motif illicite.

[81]           La question de savoir si la [traduction] « Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit un recours qui permettrait de répondre adéquatement aux préoccupations du plaignant » n’est pas pertinente au regard de la demande dont je suis saisi. La Commission n’a évidemment pas dit que la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoyait des recours relativement à sa plainte contre le CPVP fondée sur le paragraphe 41 de la LCDP puisqu’elle examine elle‑même cette plainte dans la décision. La question de savoir si la LCDP prévoit des recours relativement à d’autres aspects de la conduite du CPVP n’est pas pertinente en ce qui concerne une plainte fondée sur le paragraphe 41(1) de la LCDP dont est saisie la Commission.

[82]           J’ajouterai toutefois qu’il existe des recours lorsqu’il est allégué que le CPVP a manqué à ses obligations légales, que cela équivaille ou non à de la discrimination. Le demandeur a raison de dire que l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoit un recours assez étroit qui ne lui aurait pas nécessairement permis de répondre à toutes ses préoccupations. Il s’agit simplement d’un mécanisme de contrôle de novo par la Cour en cas de refus d’accès à des renseignements personnels. Dans ce type de demande, c’est la partie qui refuse l’accès, et non le CPVP, qui est désignée comme le mis en cause, et elle ne peut être poursuivie qu’une fois que le CPVP a communiqué ses recommandations : voir Oleinik c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2011 CF 1266 aux paragraphes 5‑9 [Oleinik]. Cependant, les pouvoirs de réparation de la Cour dans le cadre de contrôles judiciaires fondés sur l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales sont assez larges pour couvrir les cas où le CPVP refuserait illégalement d’enquêter ou de rendre ses conclusions relativement à une plainte, ou mènerait enquête d’une manière inéquitable : voir la décision Oleinik, précitée, aux paragraphes 10‑11 et 18.

[83]           Il est possible de refuser les conclusions de la Commission concernant la plainte du demandeur fondée sur le paragraphe 41(1), mais non d’affirmer que la décision manque de justification, de transparence ou d’intelligibilité, ou qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[84]           Le demandeur se sent évidemment très frustré et a été offensé par la façon dont le CPVP a agi avec lui, mais je n’ai pas à me prononcer sur la conduite de cet organisme et aucun élément ne me permet de savoir si une erreur susceptible de contrôle a été commise. La décision de la Commission ne peut pas être considérée comme déraisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir, précité, inéquitable d’un point de vue procédural, ou fondée sur un parti pris. J’estime qu’aucune erreur susceptible de contrôle n’a été démontrée.

[85]           Le demandeur a tenté de soumettre à la Cour au moyen d’affidavits des documents dont ne disposait pas la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision. Ces documents doivent être exclus aux fins de mon examen. Voir Association des collèges et des universités du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux paragraphes 16‑20; Première Nation Tl'Azt'En c Joseph, 2013 CF 767 aux paragraphes 16‑17; International Relief Fund for the Afflicted and Needy (Canada) c Canada (Revenu national), 2013 CA  178. Cependant, quand bien même ces documents seraient admis, ils ne changeraient rien à ma décision.

[86]           Comme l’a souligné la juge Snider dans la décision Hartjes, précitée, au paragraphe 23 :

Bien que le niveau de la preuve requise puisse être faible, il appartient à un plaignant de donner une version des faits qui soit propre à persuader la Commission qu’il existe un lien entre les actes reprochés et un motif de distinction illicite.

C’est aussi le fardeau dont le demandeur ne s’est pas acquitté en l’espèce.

[87]           J’ai affirmé plus haut que le caractère raisonnable de la décision de la Commission doit être évalué à la lumière du critère qu’elle devait appliquer. La question dont je suis saisi est donc de savoir si la Commission a raisonnablement conclu qu’il était manifeste et évident que la plainte ne pouvait être accueillie : décision Hérold, précitée, au paragraphe 35. Compte tenu des renseignements dont disposait la Commission, il s’agissait d’une conclusion raisonnable appuyée par des motifs transparents et intelligibles.

[88]           Comme le soulignait encore la juge Snider dans la décision Hartjes, précitée :

[29]      Même si je présumais qu’il aurait été raisonnable pour la Commission d’accepter les observations de la demanderesse et de faire les déductions qu’elle avance aujourd’hui, cela ne signifierait pas qu’il est déraisonnable pour la Commission d’en avoir décidé autrement. L’une des caractéristiques de la norme de la décision raisonnable est qu’il peut exister un éventail d’issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Le fait qu’une autre issue possible soit préférée par la Cour ou par un demandeur ne rend pas pour autant déraisonnable la décision d’un tribunal administratif.

[89]           Le défendeur n’a pas demandé de dépens dans la présente demande.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :  

T‑1521‑13

 

INTITULÉ :

STEVEN LOVE c COMMISSARIAT À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 avril 2014

 

jugement et motifs :

le juge RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Steven Love

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Regan Morris

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steven Love

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Direction des services juridiques, des politiques et de la recherche

Commissariat à la protection de la vie privée du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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