Date : 20140606
Dossier : T‑270‑13
Référence : 2014 CF 552
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 6 juin 2014
En présence de madame la juge Kane
ENTRE : |
NAVIN JOSHI |
demandeur |
et |
LA BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE |
défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le demandeur, Navin Joshi, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 31 octobre 2012 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a refusé de renvoyer sa plainte devant le Tribunal canadien des droits de la personne aux termes du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la Loi), ayant conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que la défenderesse, la Banque Canadienne Impériale de Commerce [CIBC], ne lui avait pas fait une proposition d’emploi ou l’avait autrement congédié ou traité de manière différente et préjudiciable en raison de sa déficience, à savoir un problème lombaire non diagnostiqué.
Aperçu
[2] Le demandeur fait valoir que sa demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie parce que la Commission a commis les erreurs suivantes lorsqu’elle a rejeté sa plainte : elle a fondé sa décision sur des conclusions factuelles erronées, elle a commis une erreur de droit, elle a manqué à l’équité procédurale et enfreint les principes de la justice naturelle, notamment en faisant preuve de partialité, et elle a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou d’un faux témoignage.
[3] Dans ses observations orales, le demandeur a donné plus de détails sur la plainte initiale qu’il a adressée à la Commission. Il soutient à présent que cette dernière n’a pas examiné ses plaintes telles qu’il les a présentées, et qu’il ne s’est jamais plaint d’avoir été congédié de façon discriminatoire, mais seulement qu’une formation lui a été refusée de façon discriminatoire, et que cela a entraîné un mauvais rendement au travail persistant et finalement son licenciement.
[4] Le demandeur soutient que l’enquête de la Commission était incomplète et [traduction] « bâclée », que l’enquêtrice a fait preuve de partialité à son endroit, qu’elle a préféré la preuve de la CIBC, qu’elle n’a pas suffisamment poussé son enquête ou cherché à parler à d’autres témoins pour déterminer dans quelle mesure le manque de formation a nui à son rendement ou s’il avait les aptitudes requises pour occuper le poste désiré d’analyste financier, comparativement aux personnes à qui celui‑ci a été proposé.
[5] Le demandeur estime que parce qu’il a été embauché par la CIBC après avoir pris part à un programme de formation préalable à l’emploi pour les personnes atteintes de déficience, il a établi qu’il appartenait à un groupe protégé. Il avance que ce statut, combiné à la conclusion de l’enquêtrice portant qu’il a été traité de manière défavorable en ce qui regarde la formation, devrait suffire pour démontrer qu’il a été victime de discrimination en raison de sa déficience.
[6] Le demandeur soutient énergiquement que l’enquête n’était ni complète ni équitable et que la décision de la Commission n’était pas raisonnable. Ses observations ont été attentivement examinées, mais ne peuvent être acceptées.
[7] L’enquête était équitable d’un point de vue procédural et il n’existe aucun indice de partialité. Le rapport de l’enquêtrice atteste le caractère approfondi de l’enquête. Cette dernière a examiné chacune des allégations formulées par le demandeur dans sa plainte initiale, ainsi que les renseignements que celui‑ci et la CIBC ont présentés, y compris les réponses additionnelles de la CIBC aux questions précises qu’elle a posées, et les informations des témoins interviewés. La Commission a ensuite examiné le rapport et les observations des parties. Dans ses observations, le demandeur critique l’enquête et il donne des précisions sur certains aspects de sa plainte. La Commission a raisonnablement conclu, sur la foi du rapport et des observations, que la plainte ne devait pas être renvoyée au Tribunal.
[8] Le demandeur ne peut pas se contenter de démontrer qu’il appartient à un groupe protégé et qu’il a été traité différemment d’autres employés pour que sa plainte fondée sur la Loi soit accueillie. La preuve doit établir que le traitement différentiel ou défavorable est dû à une déficience ou un autre motif interdit. Après avoir examiné ses plaintes, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas établi le lien de causalité essentiel entre le traitement défavorable et sa déficience. Par conséquent, il n’y a pas eu de discrimination.
[9] Pour les motifs plus détaillés qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Le contexte
Les faits tels que rapportés par le demandeur
[10] En mars 2006, le demandeur a répondu à une annonce, placée dans son journal local par la CIBC, qui recherchait la candidature de personnes atteintes de déficience intéressées à participer à un programme de six semaines de formation préalable à l’emploi, offert pour son compte par le Jewish Vocational Service of Metropolitan Toronto [JVS]. Le demandeur estime avoir été recruté par la CIBC par le biais de cette annonce.
[11] Après avoir complété le programme avec succès, le demandeur a été interviewé par JVS, qui aurait déterminé, selon ce qu’il prétend, que le poste d’analyste financier lui conviendrait parfaitement. Contrairement à ses attentes, la défenderesse lui a d’abord proposé un poste contractuel temporaire. Il s’en est plaint auprès du JVS et, par suite de cette démarche, un emploi à temps plein lui a été offert.
[12] Le demandeur a commencé à travailler le 6 mai 2006, mais s’est vu confier divers petits travaux, l’occasion de remplir les fonctions spécifiques d’un analyste ne s’étant pas présentée. Un an plus tard, il a accepté à contrecœur un poste d’analyste en valeurs mobilières, lequel exigeait d’examiner avec soin des documents relatifs à des valeurs mobilières. Un programme de formation de deux semaines était obligatoire. Cependant, il n’a pu suivre la formation qu’à temps partiel car, en plus de ses tâches habituelles, il remplaçait une employée qui avait été promue. Le demandeur a fait remarquer que la défenderesse a eu d’autres occasions de lui offrir une formation adéquate, mais qu’elle ne l’a pas fait.
[13] En décembre 2009, le demandeur a déposé un grief contre la défenderesse. Avant que le processus de règlement ne soit parvenu à son terme, il a été congédié parce qu’il n’avait pas fait de [traduction] « progrès significatifs » dans son travail. À la suite de son congédiement, il a déposé une plainte auprès de la Commission.
[14] Il soutient que la défenderesse a dénaturé les raisons pour lesquelles il a quitté son emploi. Au lieu d’indiquer qu’il avait été congédié, son relevé d’emploi précisait qu’il était parti pour cause de « congé autorisé », mention qui a par la suite été modifiée et remplacée par « retraite ».
Les faits tels que rapportés par la défenderesse
[15] La défenderesse soutient que le demandeur a omis plusieurs faits pertinents.
[16] Elle affirme qu’au mieux de sa connaissance, la déficience du demandeur consistait en une restriction physique l’empêchant de soulever plus de vingt livres, ce qui n’a jamais posé problème puisqu’il n’avait pas à soulever quoi que ce soit dans le cadre de son emploi. Le demandeur ne s’est jamais présenté comme une personne handicapée, n’a pas demandé d’accommodement et n’a produit aucun document médical confirmant sa déficience. En fait, son problème lombaire n’a pas été diagnostiqué et aucune restriction ou limitation ne lui a été recommandée par un professionnel de la santé depuis 1992, soit plus de dix ans avant qu’il ne commence à travailler pour la défenderesse.
[17] La défenderesse fait observer qu’avant d’être congédié, le demandeur a reçu deux avertissements écrits pour son rendement insatisfaisant. Ses habiletés physiques n’avaient aucun rapport avec ses responsabilités d’analyste en valeurs mobilières, et sa déficience n’était pas à l’origine de son congédiement. La défenderesse souligne par ailleurs que le demandeur n’a jamais soulevé ses préoccupations durant ses quatre années d’emploi avant de présenter sa plainte en matière de droits de la personne.
[18] La défenderesse a expliqué, en réponse aux questions de l’enquêtrice concernant la mention figurant sur son relevé d’emploi, que ledit relevé n’indiquait pas que le demandeur avait été congédié pour qu’il puisse rester admissible à des prestations de retraite. La défenderesse a toutefois fourni les renseignements nécessaires à l’agent d’assurance‑emploi de façon à veiller à ce que le demandeur soit admissible à recevoir ces prestations.
La plainte
[19] Dans ses observations orales, le demandeur soutient qu’il a soulevé sept motifs de plainte. À présent, il fait également valoir qu’il n’a jamais prétendu avoir été congédié pour un motif discriminatoire. Compte tenu de ses observations, il est utile de rappeler exactement ce qu’il déclarait dans sa plainte du 16 juin 2010 adressée à la Commission.
[20] Voici la teneur de la plainte :
[traduction]
1. Je m’appelle Navin Joshi et ma plainte vise la CIBC. Je suis atteint d’une déficience et j’estime avoir été victime de discrimination en raison de cette déficience.
2. Je détiens un baccalauréat en commerce avec spécialisation en finance et je suis qualifié pour travailler comme analyste du risque. Le 30 mai 2006, la CIBC m’a embauché à l’issue d’un programme de formation offert par JVS Toronto visant à aider des personnes atteintes de déficience à obtenir un bon emploi.
3. Le programme de formation a commencé le 16 avril 2006 ou autour de cette date; la CIBC a proposé des emplois à temps plein à ceux qui avaient complété la formation avec succès, sur la base de leurs compétences et de leur expertise déterminées par le formateur de JVS.
4. Le formateur de JVS a recommandé qu’un poste d’analyste financier me soit offert. La CIBC a accepté et m’a fait une offre d’emploi. Cependant, elle n’a jamais honoré son offre et m’a plutôt confié des travaux divers ici et là. Au début, cela ne m’a pas dérangé, car je m’attendais à ce que la CIBC remplisse son obligation et me forme pour les besoins du poste d’analyste du risque, mais cela ne s’est pas produit. Bien que plusieurs postes se soient libérés, la CIBC a à de nombreuses reprises rejeté ma candidature au poste d’analyste du risque. Dans plusieurs cas, des candidats externes moins qualifiés ont été embauchés alors que la CIBC a pour pratique d’engager à l’interne. J’ai donc été forcé de me contenter du poste d’analyste en valeurs mobilières bien que je n’aie pas les compétences nécessaires, ce qui a entraîné mon congédiement. La CIBC m’a licencié le 8 avril 2010 alors qu’elle avait l’opportunité et l’obligation de m’offrir un poste plus adapté, et que, dans une situation analogue, elle a offert un autre poste à Rhoda Jno‑Baptiste.
4. J’estime que le poste d’analyste du risque m’a été refusé et que j’ai été traité différemment en raison de ma déficience.
La décision de la Commission
[21] La Commission a rejeté la plainte en application du sous‑alinéa 44(3)b)(i). Elle a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que la défenderesse n’avait pas donné l’occasion au demandeur de travailler, qu’elle l’avait traité de manière préjudiciable, ou qu’elle l’avait congédié en raison d’une déficience réelle ou perçue. La Commission a estimé qu’un examen plus approfondi de la plainte par le Tribunal canadien des droits de la personne n’était pas justifié.
[22] La décision de la Commission était fondée sur le rapport d’enquête ainsi que sur les observations des parties.
Le processus et le rapport d’enquête
[23] Le rapport décrit en détail le processus d’enquête, qui a consisté entre autres à examiner les observations des parties ainsi que toute la preuve documentaire fournie. L’enquêtrice a effectué des entrevues téléphoniques avec M. Joshi, le demandeur; Mick Leicester, directeur principal à la CIBC; Armando Santos, gestionnaire à la CIBC; et Carol Hacker, directeur des services aux personnes atteintes de déficience chez JVS.
[24] Le rapport indiquait que les deux parties avaient convenu que la Commission devait enquêter sur la plainte.
[25] L’enquêtrice a décrit la méthode d’enquête et énoncé toutes les questions qui attendaient une réponse. Elle a à nouveau exposé la méthode retenue et les questions soulevées lorsqu’elle a abordé chaque aspect de la plainte, elle a examiné la preuve concernant chacun de ces aspects et a formulé ses conclusions.
[26] L’enquêtrice a énoncé la question centrale dans le premier paragraphe du rapport : la défenderesse a‑t‑elle omis de proposer un emploi au demandeur, une promotion ou une affectation intérimaire, l’a‑t‑elle traité de manière différente et préjudiciable et/ou l’a‑t‑elle congédié en raison d’une déficience réelle ou perçue (douleur lombaire non diagnostiquée).
[27] L’enquêtrice est revenue sur le contexte, et noté que le demandeur avait participé en avril et mai 2006 au programme de formation préalable à l’emploi offert conjointement par la CIBC et JVS afin de permettre à des personnes atteintes de déficience de trouver du travail.
La déficience
[28] L’enquêtrice a relevé qu’aucun professionnel de la santé n’avait diagnostiqué la douleur lombaire du demandeur, et qu’on ne lui avait recommandé aucune restriction ou limitation depuis 1992. Le demandeur n’a fourni aucun document médical à la défenderesse et son problème lombaire n’a jamais été en cause durant son emploi. Bien que sa déficience ait été divulguée à JVS dans le cadre du programme d’embauche de 2006, le demandeur n’a jamais eu à fournir de détails à cet organisme pour pouvoir y prendre part. Comme l’a noté l’enquêtrice, M. Joshi avait indiqué que son problème lombaire n’était pas en cause, qu’il avait seulement besoin de temps à autre d’un support sur sa chaise, et que son travail n’exigeait pas qu’il soulève du poids.
Absence d’offre d’emploi ou de promotion
[29] En ce qui concerne l’allégation du demandeur selon laquelle la défenderesse [traduction] « n’a jamais honoré » sa promesse de l’engager comme analyste du risque/analyste financier, et qu’une fois embauché, elle ne lui a pas offert de formation en vue d’occuper ce poste comme elle était tenue de le faire, l’enquêtrice a estimé que le demandeur avait répondu à une annonce pour un emploi à la CIBC et qu’il avait présenté sa candidature sous les catégories générales d’opérateur/agent de traitement et/ou analyste. La CIBC et JVS ont nié que l’un des postes annoncés était celui d’analyste du risque/analyste financier.
[30] L’enquêtrice a conclu que même si le demandeur était qualifié pour travailler comme analyste du fait du programme de formation préalable à l’emploi, la CIBC avait le dernier mot sur le poste proposé et n’était pas liée par la recommandation de JVS. L’enquêtrice a estimé qu’en fin de compte, le demandeur s’est vu offrir un poste d’analyste, mais pas celui d’analyste du risque/analyste financier.
[31] L’enquêtrice a noté que le demandeur n’a fourni aucune preuve documentaire confirmant que la défenderesse avait l’obligation de le former pour le poste d’analyste du risque/analyste financier, ainsi qu’il le prétend. Le demandeur a affirmé que c’était l’emploi qui lui convenait le mieux, tout en reconnaissant que personne à la CIBC ne s’était engagé à le lui proposer.
[32] L’enquêtrice a conclu que même s’il n’a pas reçu l’offre pour laquelle il se croyait qualifié, M. Joshi a obtenu un emploi à temps plein comme analyste, compatible avec le programme de formation préalable à l’emploi. M. Joshi estime qu’il ne remplissait pas les véritables fonctions d’un analyste, mais il n’a fourni aucune preuve à l’appui de cette allégation. L’enquêtrice a donc conclu qu’il n’y avait pas lieu d’examiner cette allégation de manière plus approfondie.
[33] En ce qui concerne l’allégation du demandeur selon laquelle sa candidature au poste d’analyste du risque/analyste financier a constamment été rejetée malgré de nombreuses ouvertures, l’enquêtrice a conclu que M. Joshi avait effectivement postulé le poste convoité à quelques reprises. La CIBC l’a avisé qu’il ne possédait pas les aptitudes et compétences requises pour cet emploi, puisqu’il s’agissait d’un poste de plus haut niveau que celui qu’il occupait alors et qu’il exigeait une meilleure compréhension de la comptabilité générale. L’enquêtrice a conclu que [traduction] « les parties ne semblent pas s’entendre sur la question de savoir si le plaignant était qualifié pour [cet] emploi, ou s’il pouvait autrement y prétendre. L’enquête se poursuivra donc à ce sujet par souci de rigueur ».
[34] Pour ce qui est de savoir si cet emploi a été refusé au demandeur en raison de sa déficience, l’enquêtrice a examiné la preuve et conclu que le personnel de la CIBC chargé de l’embauche ne pouvait savoir si des personnes étaient atteintes d’une déficience pour les postes affichés que si les candidats aux postes dont M. Joshi prétend qu’ils ont été offerts à d’autres s’étaient identifiés ainsi, autrement dit si ces personnes s’étaient présentées comme atteintes d’une déficience ou si elles avaient réclamé des accommodements. L’enquêtrice a noté que le plaignant n’avait fait ni l’un ni l’autre, et a conclu que sa déficience réelle ou perçue n’était pas entrée en ligne de compte dans son insuccès à obtenir d’autres postes.
[35] L’enquêtrice a donc conclu que cet aspect de la plainte ne serait pas examiné plus avant.
Traitement différentiel et préjudiciable
[36] Quant à la question cruciale de savoir si le demandeur a subi un traitement différentiel et préjudiciable en raison d’une déficience, l’enquêtrice a considéré chacune de ses allégations.
[37] S’agissant de l’allégation selon laquelle il n’avait pas suivi la formation de deux semaines nécessaire pour le poste d’analyste en valeurs mobilières (qu’il a occupé en 2007), contrairement aux six autres employés, l’enquêtrice a conclu qu’il était possible que le demandeur ait été traité différemment de ses collègues.
[38] L’enquêtrice a fait remarquer que les parties ne s’entendaient pas sur la valeur et l’importance de la formation, et conclu qu’il [traduction] « subsistait des doutes quant à savoir si le traitement [en question] avait eu des conséquences négatives pour le plaignant. L’enquête relative à cette allégation ira donc de l’avant ».
[39] En ce qui touche la question fondamentale – à savoir si le demandeur a été traité différemment en raison de caractéristiques se rapportant ou non à un ou plusieurs motifs interdits de discrimination –, l’enquêtrice a conclu qu’il ne semblait pas que M. Joshi ait reçu moins de formation que les autres à cause d’une déficience réelle ou perçue. D’après elle, cette disparité était le résultat d’exigences opérationnelles en raison desquelles le demandeur n’a pas pu être relevé de ses fonctions antérieures.
[40] L’enquêtrice a fait observer que d’après la preuve même de M. Joshi, et plus exactement sa lettre à l’agent d’intervention préventive de Développement des ressources humaines Canada, il n’avait pas suivi la formation parce qu’il avait dû remplacer sa collègue, Jennifer Chen. Il a dit la même chose dans sa lettre à M. Leicester de la CIBC visant à l’informer qu’il ne pouvait pas assister à la formation.
[41] L’enquêtrice a conclu que M. Joshi ne semblait pas avoir subi un traitement différentiel et préjudiciable fondé sur une déficience réelle ou perçue, et donc que l’enquête concernant cette allégation n’irait pas plus loin.
Congédiement injustifié
[42] L’enquêtrice a conclu que M. Joshi n’avait pas étayé par une preuve suffisante son allégation portant qu’il avait été congédié en raison d’une déficience réelle ou perçue. Elle a cependant ajouté que [traduction] « par souci de rigueur, l’enquête passera à l’étape 2 pour permettre à la défenderesse d’expliquer ses actes ».
[43] L’enquêtrice s’est ensuite demandé si la défenderesse pouvait justifier ses actes par une explication raisonnable montrant l’absence de discrimination fondée sur un motif interdit. Elle a examiné la preuve de la CIBC concernant les avertissements que le demandeur avait reçus au sujet de son rendement, et qui comprenait ses évaluations de rendement, deux avertissements écrits et le témoignage de M. Leicester. Ce dernier a déclaré qu’il s’était efforcé d’aider le demandeur à régler ses problèmes de rendement pendant plus de deux ans, mais que ce dernier se défilait derrière des excuses et ne coopérait pas. M. Santos a expliqué pour sa part que la formation s’effectue généralement au travail et que la plupart des employés sont en mesure de progresser après environ six mois. L’enquêtrice a également examiné le témoignage du demandeur, qui prétendait notamment qu’un autre poste lui aurait mieux convenu, que son échec était planifié parce qu’il était considéré comme inférieur pour avoir trouvé de l’emploi grâce à un programme destiné aux personnes atteintes de déficience, et qu’on ne lui avait pas fourni la formation requise.
[44] L’enquêtrice était d’avis qu’il était permis de conclure que la défenderesse avait congédié le plaignant en raison de problèmes de rendement persistants et bien documentés. Il n’y avait aucun motif de discrimination.
La position du demandeur
[45] Le demandeur fait valoir que la Commission a enfreint les principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale : elle n’a pas mené une enquête équitable, impartiale et approfondie, elle s’est entièrement appuyée sur les faux témoignages et les allégations frauduleuses de la défenderesse, et elle a fait preuve de partialité.
[46] Le demandeur soutient par ailleurs que la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée : plus spécifiquement, elle fait abstraction du fait qu’il était le seul des sept analystes en valeurs mobilières à ne pas avoir reçu la formation obligatoire de deux semaines, et a décidé plutôt de justifier la discrimination en invoquant une exigence opérationnelle, au lieu de reconnaître que la défenderesse le considérait comme un employé inférieur et incapable de faire son travail en raison de sa déficience.
[47] Le demandeur soutient qu’il a été engagé grâce à un programme pour personnes atteintes de déficience et qu’il a été victime de discrimination dès [traduction] « le premier jour ».
[48] Comme je l’ai déjà noté, le demandeur s’est efforcé, dans ses observations orales, de préciser la teneur de sa plainte et de développer ses arguments concernant la rigueur de l’enquête et le caractère raisonnable de la décision.
[49] Le demandeur affirme maintenant qu’il invoquait sept griefs :
1. la CIBC ne lui a pas confié les tâches d’un analyste, mais plutôt divers petits travaux;
2. la CIBC n’a pas envisagé sa candidature au poste d’analyste du risque comme l’avait recommandé JVS;
3. la CIBC l’a traité de manière différente ou préjudiciable en lui confiant les tâches de deux employés;
4. la CIBC a indûment planifié une formation de deux heures par jour plutôt que de deux semaines complètes (c.‑à‑d. que la CIBC n’a pas confié ses autres tâches à d’autres employés pour lui permettre de suivre la formation);
5. la CIBC ne lui a pas offert la formation requise (même ultérieurement);
6. la CIBC ne l’a pas promu au poste d’analyste du risque bien que deux de ces postes soient devenus vacants en 2009‑2010;
7. la CIBC ne lui a pas proposé un autre poste au lieu de le congédier, comme elle l’a fait pour une autre employée, Mme Baptiste.
[50] Bien que cette description ne corresponde pas à sa plainte initiale, telle qu’exposée au paragraphe 20, l’enquêtrice a examiné tous les actes ici allégués. Elle a prié la défenderesse de fournir des renseignements additionnels et de répondre à plusieurs de ces allégations, ce qu’elle a fait.
Questions à trancher
[51] Bien que le demandeur ait soulevé plusieurs arguments, dont certains intéressent plus d’une question, il y a trois grandes questions en jeu :
1. La Commission a‑t‑elle manqué à son devoir d’équité procédurale?
2. La Commission a‑t‑elle mené une enquête approfondie?
3. La décision de la Commission était‑elle raisonnable?
Norme de contrôle
[52] Le demandeur n’a pas abordé la question de la norme de contrôle. Il préférerait que la Cour réexamine la question de savoir si cette plainte devrait être renvoyée devant le Tribunal canadien des droits de la personne. Cependant, là n’est pas le rôle de la Cour. La Cour doit plutôt déterminer si la décision de la Commission est raisonnable et, s’agissant des allégations de manquement à l’équité procédurale et de partialité, si le processus suivi par la Commission était équitable et s’il y a eu partialité.
[53] Comme je l’ai noté à l’audience, le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire faisant intervenir la norme de la raisonnabilité n’est pas de substituer sa propre décision à celle de la Commission, mais plutôt de déterminer si la décision de cette dernière appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], au paragraphe 47. La Cour n’examine pas la plainte à nouveau, elle ne tire pas de conclusion touchant la crédibilité et ne réévalue pas non plus la preuve. La Cour se préoccupe de savoir si la décision de la Commission était raisonnable. Si elle conclut qu’elle ne l’est pas, l’affaire sera renvoyée à la Commission pour qu’elle la réexamine.
[54] Il est important de rappeler que le rôle de la Commission est d’enquêter sur les plaintes qui lui sont présentées, et de déterminer si le Tribunal canadien des droits de la personne devrait en être saisi. Lorsqu’elle examine la décision de la Commission de ne pas donner suite à une plainte – en d’autres mots, de ne pas la renvoyer au Tribunal –, la Cour ne peut que se demander si la décision « préalable » de la Commission était raisonnable.
[55] Comme l’a fait remarquer la défenderesse, le juge Barnes, dans la décision Tutty c Canada (Procureur général), 2011 CF 57 (aux paragraphes 12 à 14), a offert une bonne analyse de la jurisprudence concernant la norme de contrôle applicable à une décision de la Commission dans des circonstances analogues à celles de la présente espèce :
12 L’examen préalable auquel procède la Commission en vertu de l’article 44 de la Loi a été comparé au rôle du juge qui effectue une enquête préliminaire. La Cour suprême du Canada décrit ce rôle comme suit au paragraphe 53 de l’arrêt Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, 140 DLR (4th) 193 :
53 La Commission n’est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi. Lorsqu’elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu’un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante. Le juge Sopinka a souligné ce point dans Syndicat des employés de production du Québec et de L’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, à la p. 899 :
L’autre possibilité est le rejet de la plainte. À mon avis, telle est l’intention sous‑jacente à l’al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d’un tribunal en application de l’art. 39. Le but n’est pas d’en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante.
[Non souligné dans l’original.]
13 Pour procéder à l’examen préalable des plaintes, la Commission s’appuie sur le travail de l’enquêteur qui généralement interroge des témoins et examine la preuve documentaire au dossier. Lorsque la Commission rend une décision qui va dans le sens de la recommandation de son enquêteur, le rapport de l’enquêteur est considéré comme faisant partie des motifs de la Commission : voir Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 RCF 392, au paragraphe 37.
14 Comme il l’a été noté dans la jurisprudence précitée, la décision de la Commission de rejeter ou de renvoyer une plainte requiert qu’elle apprécie la preuve afin de déterminer si elle est suffisante pour justifier une audience sur le fond. C’est cet élément du processus qui exige la retenue judiciaire. La retenue judiciaire n’est pas requise, toutefois, dans le contexte du contrôle de l’équité du processus, notamment en ce qui a trait à la rigueur de l’enquête. Pour de telles questions, la norme de contrôle judiciaire est celle de la décision correcte.
La Commission a‑t‑elle manqué à son devoir d’équité procédurale?
[56] Le demandeur soutient que la Commission n’a pas mené une enquête équitable, impartiale et suffisamment approfondie. La Commission a ignoré des éléments de preuves déterminants, par exemple son allégation selon laquelle de nouvelles personnes engagées aux postes d’analyste du risque/analyste financier étaient moins qualifiées que lui, et que son mauvais rendement comme analyste en valeurs mobilières était dû au fait que la formation lui avait été refusée.
[57] Le demandeur soutient également que la Commission, et l’enquêtrice en particulier, ont fait preuve de partialité. Il affirme que la méthode employée par l’enquêtrice était de nature à mener à un résultat prédéterminé. Il prétend que l’enquêtrice avait l’esprit fermé et qu’elle a ignoré des éléments de preuve de façon à l’empêcher de se prévaloir de la Loi. Il ajoute qu’elle a trouvé des prétextes pour justifier la conduite de la CIBC, notamment que cette dernière n’était pas liée par la recommandation de JVS concernant son aptitude à occuper le poste d’analyste financier. Il avance en outre que l’enquêtrice n’a pas recherché la vérité en ce qui concerne les qualifications requises pour le poste d’analyste financier, et qu’elle a accepté les renseignements fournis par la CIBC en tant qu’« éléments de preuve », alors qu’elle a qualifié ceux qu’il a fournis d’« allégations ».
[58] La défenderesse soutient que la Commission a respecté les principes de la justice naturelle. L’enquêtrice a accordé le bénéfice du doute au demandeur, par exemple en reconnaissant qu’il était possible qu’il ait été traité différemment en ce qui concerne la formation, et que les opinions divergeaient sur l’importance de celle‑ci, et aussi en se demandant si le demandeur était qualifié pour le poste d’analyste du risque/analyste financier. Toutefois, ce qui s’est passé au travail n’avait rien à voir avec sa déficience.
[59] La défenderesse rappelle qu’il incombe au demandeur d’établir la partialité, que le seuil de preuve est élevé, puisque les enquêteurs qui s’acquittent de fonctions non juridictionnelles sont assujettis à une norme d’impartialité moins stricte que celle qui s’applique aux tribunaux (Hughes c Canada (Procureur général), 2010 CF 837, aux paragraphes 20 à 23). La défenderesse soutient qu’étant donné que l’enquêtrice a tenu compte des observations du demandeur, qu’elle a examiné toutes ses allégations, et qu’elle l’a interviewé ainsi que d’autres personnes, l’argument de la partialité invoqué par le demandeur témoigne du fait qu’il est insatisfait du résultat.
L’enquête était équitable d’un point de vue procédural et il n’y a pas eu partialité
[60] La Commission n’a pas manqué à l’équité procédurale en enquêtant sur la plainte, et n’a pas fait preuve d’aucune partialité.
[61] L’équité procédurale oblige la Commission à mener des enquêtes neutres et approfondies (Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574; confirmée par (1996), conf. par 205 NR 383 (CAF)).
[62] Le demandeur avance que l’enquête dont sa plainte a fait l’objet est analogue à celle dont il est question dans la décision Hughes, précitée, où la juge Mactavish a conclu que l’enquête n’avait pas été exhaustive et que la plainte devait donc être réexaminée. Dans cette affaire, la partialité n’avait pas été établie, bien que la juge Mactavish ait examiné des allégations de cet ordre.
[63] Je ne pense pas que la situation du demandeur puisse se comparer aux faits de la décision Hughes. Cependant, les principes énoncés par la juge Mactavish concernant la partialité et la rigueur (nous y reviendrons plus loin dans les présents motifs) peut nous servir de guide (Hughes, précitée, aux paragraphes 20 à 24) :
20 Le critère qui permet de déterminer s’il existe une partialité réelle ou une crainte raisonnable de partialité en rapport avec un décideur particulier est bien connu : la Cour doit se demander quelle conclusion tirerait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. C’est‑à‑dire, cette personne croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste : voir Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394. Voir aussi Bande indienne de Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259, au paragraphe 74.
21 Le fardeau de prouver l’existence d’une partialité réelle ou d’une crainte raisonnable de partialité pèse sur les épaules de l’auteur de l’allégation. Une allégation de partialité est une allégation sérieuse, qui met en doute l’intégrité même du décideur dont la décision est en litige. De ce fait, un simple soupçon de partialité ne suffit pas : R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, au paragraphe 112; Arthur c. Canada (Procureur général) (2001), 283 N.R. 346, au paragraphe 8 (C.A.F.), et c’est une question qu’il faut examiner avec rigueur : R. c. S. (R.D.), au paragraphe 113.
22 La CCDP est manifestement soumise à l’obligation d’agir équitablement quand elle exerce les pouvoirs que la loi lui confère de faire enquête sur une plainte relative aux droits de la personne : Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 (SEPQA), et cela exige que la Commission et ses enquêteurs soient exempts de toute partialité.
23 Cela dit, vu la nature non décisionnelle des responsabilités de la Commission, il a été statué que la norme d’impartialité exigée d’un enquêteur de la Commission est moins stricte que celle qui s’applique aux membres de la magistrature. Plus précisément, il ne s’agit pas de savoir s’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de cet enquêteur mais plutôt de savoir s’il a abordé l’affaire avec un « esprit fermé » : voir Zündel c. Canada (Procureur général) (1999), 175 D.L.R. 512, aux paragraphes 17 à 22.
24 Comme l’a déclaré la Cour dans la décision Société Radio‑Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), (1993), 71 F.T.R. 214 (C.F. 1re inst.), le critère à appliquer dans les affaires semblables à la présente est le suivant :
[L]e critère ne repose donc pas sur le point de savoir si l’on peut raisonnablement discerner un parti pris, mais plutôt si l’on s’est tellement écarté de la norme de l’ouverture d’esprit qu’on pourrait avec raison affirmer qu’il y a eu préjugement de la question portée devant l’organisme d’enquête.
[64] Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve à l’appui de son allégation de partialité, ni même concernant un soupçon de partialité. Il s’en est tenu à de simples allégations et n’a aucunement démontré que l’enquêtrice avait décidé à l’avance de l’issue de sa plainte ou qu’elle avait l’esprit fermé.
[65] Son affirmation selon laquelle la méthode adoptée par l’enquêtrice était de nature à mener à un résultat prédéterminé n’est pas fondée. L’enquêtrice a minutieusement expliqué la méthodologie qu’elle s’est employée à suivre et a examiné chaque question. Elle a disséqué la plainte du demandeur et considéré tous les agissements qu’il invoque à présent dans les sept parties de sa plainte.
[66] L’enquêtrice a gardé l’esprit ouvert en acceptant les allégations du demandeur, dans la mesure où la preuve le permettait, puis a conclu que ce qui s’était passé à la CIBC n’avait pas le moindre rapport avec sa déficience alléguée. Il lui était loisible de parvenir à cette conclusion. La preuve indiquait clairement que la déficience du demandeur n’a jamais été en cause durant son emploi, d’autant plus qu’il ne s’était pas identifié comme une personne atteinte d’une déficience et qu’il n’avait pas réclamé d’accommodements.
[67] La préoccupation du demandeur concernant le fait que l’enquêtrice a qualifié ses observations d’« allégations » et celles de la CIBC d’« éléments de preuve » n’est pas un indice de partialité. C’est là le langage habituel : la plainte du demandeur consiste en une série d’allégations, et tous les renseignements recueillis par l’enquêtrice, y compris les réponses de la CIBC à ses questions spécifiques ainsi que les informations fournies par JVS et par le demandeur, ont été qualifiés d’éléments de preuve.
[68] Comme l’indique la décision Hughes, les allégations de partialité sont graves et ne doivent pas être faites à la légère; en l’espèce, absolument rien n’étayait une telle allégation.
La Commission a‑t‑elle mené une enquête approfondie?
[69] Le demandeur soutient que la Commission n’a pas mené une enquête approfondie, comme en témoigne selon lui sa réticence initiale à en effectuer une, puisqu’elle a essayé de renvoyer la plainte devant le Conseil canadien des relations industrielles [CCRI] et n’a accepté de mener une enquête que sur l’insistance des parties.
[70] Le demandeur prétend également que l’enquêtrice n’a pas abordé certains aspects de sa plainte, comme le fait qu’il a été congédié au lieu de se voir offrir un autre poste, comme cela a été le cas pour une autre employée ayant eu des problèmes de rendement au travail, et qu’elle ne s’est pas suffisamment renseignée et a omis d’interviewer d’autres témoins sur la nécessité de la formation, l’importance de l’exactitude pour les analystes en valeurs mobilières, et les compétences requises pour être analyste financier.
[71] En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’enquêtrice n’a pas étudié la question de la formation, la défenderesse note que cette dernière a reconnu qu’il était possible que le demandeur ait subi un traitement préjudiciable à ce chapitre, et qu’elle a poursuivi l’enquête et conclu que ce traitement n’était pas lié à une déficience.
[72] Quant à l’allégation selon laquelle l’enquêtrice ne s’est pas attardée sur les compétences requises pour être analyste du risque/analyste financier, ou sur la question de savoir si le demandeur ou les candidats retenus les possédaient, la défenderesse fait remarquer que celle‑ci n’a tiré aucune conclusion sur les aptitudes du demandeur. Elle a plutôt reconnu qu’il y avait une divergence d’opinion, elle a continué son enquête et conclu que cela n’était pas lié à une déficience.
[73] Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle JVS avait recommandé que le demandeur soit engagé comme analyste financier, la défenderesse fait remarquer que la preuve établit clairement que c’était la CIBC, et non JVS, qui prenait les décisions d’embauche. L’offre d’emploi écrite ne promettait pas ce poste et le demandeur a été engagé comme analyste, ce qu’il a d’ailleurs lui‑même reconnu dans les déclarations qu’il a faites à l’enquêtrice.
[74] En ce qui concerne l’affirmation du demandeur voulant qu’il ait été initialement relégué à des travaux divers plutôt que de se voir confier les tâches d’un analyste, la défenderesse note qu’aucune preuve n’a été produite pour l’étayer. Les conditions de son emploi étaient énoncées dans l’offre qu’il a acceptée.
[75] Quant à l’allégation selon laquelle l’enquête a été bâclée parce que la Commission aurait préféré renvoyer la plainte devant le CCRI, la défenderesse note que l’enquêtrice a procédé à une enquête très approfondie dans le cadre de laquelle tous les motifs de la plainte ont été abordés.
[76] Selon la défenderesse, les éventuelles lacunes de l’enquête n’étaient pas si fondamentales que les observations supplémentaires fournies en réponse par le demandeur n’auraient pas pu y remédier, et celles qu’il a soumises à l’enquêtrice ne comportaient aucun fait additionnel.
[77] Bien que le demandeur affirme à présent que la Commission a enquêté sur les mauvais griefs, la défenderesse soutient que la plainte telle qu’elle a été présentée a délimité l’enquête et que c’est cette plainte que la Commission a examinée.
La Commission a mené une enquête approfondie
[78] Les principes régissant le rôle de la Commission, notamment l’obligation d’équité procédurale et celle de faire preuve d’exhaustivité, ont été abordés par la juge Mactavish dans la décision Hughes, précitée, aux paragraphes 30 à 34 :
30 Dans l’arrêt Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1996), 140 D.L.R. (4th) 193, la Cour suprême du Canada a décrit le rôle que joue la CCDP. Elle a fait remarquer que la Commission n’est pas un organisme de nature décisionnelle et que les décisions concernant les plaintes relatives aux droits de la personne sont réservées au Tribunal canadien des droits de la personne. La Commission a plutôt pour rôle de « déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante » : au paragraphe 53. Voir également l’arrêt SEPQA.
31 La Commission a le vaste pouvoir discrétionnaire de décider si « compte tenu de toutes les circonstances » une autre procédure est justifiée : Mercier c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] 3 C.F. 3 (CAF). Cependant, pour prendre cette décision, il faut que le processus que suit la Commission soit équitable.
32 Dans Slattery c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, décision confirmée par (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.), la présente Cour a analysé la teneur de l’équité procédurale qui est exigée dans les enquêtes de la Commission. Elle a fait remarquer que, pour s’acquitter de la responsabilité que la loi impose à la Commission de faire enquête sur les plaintes de discrimination, il faut que ses enquêtes soient à la fois neutres et exhaustives.
33 Pour ce qui est de l’obligation de faire preuve d’exhaustivité, la Cour, dans Slattery, fait remarquer qu’« [i]l faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes ». Cela étant, « [c]e n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose » : au paragraphe 56.
34 L’obligation de faire preuve d’exhaustivité dans le cadre d’une enquête doit aussi être prise en considération au regard des réalités administratives et financières de la Commission. Dans ce contexte, la jurisprudence établit qu’il est possible de surmonter quelques lacunes dans l’enquête en accordant aux parties le droit de présenter des observations sur le rapport d’enquête. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans Sketchley, les seules erreurs qui justifient l’intervention d’un tribunal de révision sont les « lacunes […] à ce point fondamentales que les observations complémentaires présentées par les parties ne suffisent pas à y remédier » : au paragraphe 38.
[79] Même si les principes de la décision Hughes s’appliquent en l’espèce, les faits en présence ne mènent pas à la même conclusion.
[80] Dans l’affaire qui nous occupe, l’enquêtrice a mené une enquête approfondie et tenu compte notamment de tous les aspects de la plainte, des observations du demandeur et de la défenderesse, et des témoignages fournis par les parties et les quatre témoins qui avaient une connaissance directe des allégations au centre de la plainte. Là où il y avait des divergences d’opinions, l’enquêtrice a poursuivi son enquête.
[81] L’enquêtrice a demandé à la CIBC de répondre à plusieurs questions précises liées aux allégations du demandeur, qui prétendait notamment qu’il avait été congédié en raison de son rendement médiocre au lieu de se voir offrir un autre poste, comme cela avait été le cas pour une autre employée dans la même situation. La CIBC a répondu que les deux cas étaient différents; l’autre employée, Mme Baptiste, s’est vu attribuer le poste qu’elle occupait antérieurement, pour lequel son rendement était satisfaisant alors que M. Joshi n’avait pas un bon rendement ni poste occupé antérieurement auquel il aurait pu être assigné.
[82] Par ailleurs, l’enquêtrice n’avait pas à rencontrer tous les témoins proposés par le demandeur, puisque les quatre personnes consultées avaient une connaissance directe des renseignements nécessaires pour effectuer l’examen de toutes les questions fondamentales soulevées dans la plainte.
[83] Comme l’a déclaré le juge Martineau dans Best c Canada (Procureur général), 2011 CF 71, aux paragraphes 21 et 22 :
21 L’effet pratique de l’obligation de rigueur est énoncé par le juge Nadon dans Slattery, précité, aux paragraphes 56 et 57 :
Il faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l’égard des activités d’appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.
Dans des situations où les parties ont le droit de présenter des observations en réponse au rapport de l’enquêteur, comme c’est le cas en l’espèce, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l’attention du décideur. Par conséquent, ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier. Même s’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, il me semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l’enquêteur devraient comprendre: (1) les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier; ou (2) le cas où le décideur n’a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l’information ou encore du rejet explicite qu’il en a fait.
[Non souligné dans l’original.]
22 L’obligation de rigueur de l’enquêteur n’oblige pas celui‑ci à interroger chaque personne que propose le demandeur (Miller c. Canada (CCDP), [1996] A.C.F. no 735 (QL), au paragraphe 10). L’enquêteur doit cependant s’assurer que son rapport d’enquête traite de toutes les questions fondamentales soulevées dans la plainte du demandeur (Bateman, précité, au paragraphe 29).
[84] Le demandeur a eu l’opportunité de présenter des observations en réponse au rapport d’enquête, et il l’a fait. La Commission a pris connaissance de ces observations dans lesquelles il critiquait l’enquête, soulignait l’importance de la formation, et expliquait que les exigences opérationnelles étaient invoquées pour justifier un acte discriminatoire, que JVS l’avait recommandé pour un autre poste qui lui convenait davantage, que l’enquêtrice aurait dû interroger d’autres témoins et que l’enquête était [traduction] « frauduleuse ». Ces arguments ressemblent de très près à ceux qu’il soulève à présent.
[85] Le demandeur fait valoir que plusieurs autres employés auraient dû être interviewés pour apprécier l’importance de la formation et des compétences requises pour le poste d’analyste financier, mais il reste que l’enquêtrice a raisonnablement soupesé la valeur probante de la preuve recueillie, et raisonnablement conclu que la preuve et les renseignements dont elle disposait étaient suffisants pour décider si la plainte devait être ou non renvoyée au Tribunal.
La décision de la Commission de rejeter la plainte était‑elle raisonnable?
[86] Le demandeur soutient que la Commission a déraisonnablement écarté la preuve par laquelle il entendait établir qu’il avait été le seul des sept analystes en valeurs mobilières récemment embauchés à ne pas avoir reçu la formation obligatoire. Il affirme que ce traitement ne peut pas être mis sur le compte d’une exigence opérationnelle puisque la défenderesse contrôle ce facteur et qu’elle aurait pu retarder le transfert de sa collègue, Mme Chen, afin de lui éviter d’avoir à faire le travail de deux employés durant sa formation. Il soutient qu’il était vu comme un employé inférieur dès le départ, malgré ses titres de compétences.
[87] Le demandeur prétend par ailleurs que la Commission s’est fiée aux allégations mensongères de la CIBC selon lesquelles la formation initiale n’était pas obligatoire, et qu’il n’était pas qualifié pour remplir les fonctions d’analyste du risque/analyste financier. Le demandeur affirme qu’il était plus qualifié que les candidats finalement retenus pour ce poste.
[88] Le demandeur relève ce qu’il estime être des contradictions entre les témoignages de M. Leicester et de M. Santos dont l’enquêtrice fait état dans son rapport, à savoir que la formation de deux semaines n’était pas obligatoire et qu’il était courant d’offrir des formations en cours d’emploi. Il soutient que ceci est [traduction] « mensonger » et aurait dû amener l’enquêtrice à se renseigner davantage.
[89] Le demandeur soutient également que la Commission a commis une erreur en ne reconnaissant pas qu’il avait été victime de discrimination. Il a établi prima facie qu’il a été engagé grâce à un programme destiné aux personnes atteintes de déficience, alors que la défenderesse n’a prouvé d’aucune manière qu’un employé physiquement apte avait eu à participer à un tel processus. Il affirme que le poste d’analyste du risque/analyste financier était celui qui lui convenait le mieux, et qu’il y aurait excellé, mais qu’il ne l’a pas obtenu en raison d’une discrimination.
[90] Bien qu’aucune preuve n’ait été fournie à cet égard, le demandeur fait valoir qu’il a demandé de recevoir une formation à quatre reprises. Faute de formation, son rendement n’a pas été satisfaisant et il a été congédié. Il affirme n’avoir jamais prétendu que ce congédiement était dû à sa déficience, seulement que la formation et le poste d’analyste du risque/analyste financier lui ont été refusés pour cause de discrimination. Cependant, il a reconnu à l’audience avoir allégué que la discrimination avait joué un rôle dans son congédiement puisque son rendement médiocre découlait d’un manque de formation imputable à une discrimination.
[91] La défenderesse souligne que l’enquêtrice a évalué la preuve et conclu qu’il était possible que le demandeur ait fait l’objet d’un traitement différentiel en ce qui concerne la formation, et qu’elle a poursuivi son enquête, mais estimé en définitive que cela était sans rapport avec la prétendue déficience du demandeur. Cette méthode analytique est raisonnable (Canada (Commission des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2012 CF 445, au paragraphe 254 [CCDP c PG]).
[92] La défenderesse souligne que selon la propre déposition du demandeur, il n’avait pas assisté à la formation en raison d’exigences opérationnelles.
[93] Quant au fait que le poste d’analyste financier ne lui a pas été proposé, la défenderesse fait remarquer que l’enquêtrice n’a formulé aucune conclusion quant aux compétences du demandeur. Elle a reconnu que les opinions divergeaient, elle s’est demandé si sa déficience l’avait empêché d’obtenir ce poste, et a conclu que cela n’était pas le cas. Il ressort tant de la preuve présentée par la CIBC que de celle présentée par le demandeur que sa déficience n’a jamais été en cause; la CIBC en ignorait même l’existence après l’entrevue initiale.
[94] Quant à l’allégation du demandeur selon laquelle l’enquêtrice a fondé ses conclusions sur les allégations mensongères ou le faux témoignage fourni par la CIBC, la défenderesse soutient que le demandeur n’a pas fourni de preuve claire et convaincante – voire la moindre preuve – à l’appui de cette grave assertion.
[95] En réponse à l’affirmation du demandeur selon laquelle il ne s’est jamais plaint d’avoir été congédié pour un motif discriminatoire, la défenderesse renvoie aux observations que le demandeur lui‑même a adressées à la Commission et à l’affidavit qui accompagne sa demande de contrôle judiciaire, d’après lesquels il a été congédié en raison d’une discrimination.
La décision de la Commission était raisonnable
[96] Comme je l’ai déjà noté, la décision de la Commission reposait sur le dossier de preuve étoffé de l’enquêtrice et les observations des parties. Celle‑ci a utilisé le cadre analytique approprié, enquêté sur chaque aspect de la plainte, demandé des renseignements additionnels à la CIBC et considéré l’ensemble de la preuve.
[97] Le demandeur soutient, en s’appuyant sur la décision CCPD c PG, précitée, au paragraphe 254, qu’il appartenait à un groupe protégé et qu’il a fait l’objet d’un traitement différentiel et préjudiciable, mais il omet la partie la plus importante du passage sur lequel il s’appuie : le traitement différentiel doit être lié à l’appartenance au groupe protégé.
[98] Dans CCDP c PG, la juge Mactavish notait (aux paragraphes 253 et 254) :
[253] Dans le même ordre d’idée, l’alinéa 7b) de la Loi prévoit « qu’au regard d’un employé, le fait de le défavoriser en cours d’emploi » constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite [italiques ajoutés]
[254] À mon avis, le sens ordinaire de l’expression « differentiate adversely in relation to any individual », pour un motif de distinction illicite, signifie qu’une personne est traitée d’une façon différente qu’elle l’aurait été, n’eût été son appartenance à un groupe protégé. Cette interprétation s’harmonise avec l’objet de la Loi et l’intention du législateur lorsqu’il a adopté la Loi canadienne sur les droits de la personne.
[99] L’enquêtrice a raisonnablement conclu que le demandeur n’a pas été traité différemment en ce qui touche la formation, l’obtention d’une promotion ou son congédiement, à cause de sa déficience. Il ne suffit pas d’établir qu’il était atteint d’une déficience ou qu’il appartenait à un groupe protégé et qu’il peut avoir été traité différemment. Le lien de causalité est essentiel. En l’espèce, celui‑ci était tout simplement inexistant.
[100] Il était raisonnable de la part de l’enquêtrice de conclure que le poste d’analyste du risque/analyste financier n’a pas été refusé au demandeur à cause de sa déficience. Elle a examiné la preuve et conclu que le personnel de la CIBC chargé de l’embauche n’était pas au courant du problème lombaire du demandeur, car ce dernier ne s’est jamais identifié comme une personne atteinte d’une déficience, qu’il n’a pas divulgué la nature de son problème de dos, et qu’il n’a pas demandé d’accommodements. Le demandeur a été recommandé à la CIBC après avoir pris part à un programme conçu pour attirer les personnes atteintes de déficience et leur offrir une formation préalable à l’emploi. Le demandeur a reconnu que JVS n’avait pas demandé de détails ou de confirmation concernant sa déficience puisque sa politique ne l’y obligeait pas. Cet organisme a seulement informé la CIBC que le demandeur ne pouvait pas soulever plus de vingt livres, ce qui n’a jamais été une exigence d’emploi. À aucun moment, le demandeur n’a invoqué sa déficience auprès de la CIBC, ou n’a cherché à obtenir des accommodements. Bien qu’il ait été embauché grâce à un programme destiné aux personnes atteintes de déficience, l’enquêtrice a déterminé qu’une fois engagé, ce fait était en soi insuffisant pour appuyer une allégation de discrimination.
[101] L’enquêtrice a raisonnablement conclu que le demandeur n’a pas été privé de la formation nécessaire au poste d’analyste en valeurs mobilières à cause de sa déficience, mais en raison d’exigences opérationnelles, ce qu’il a d’ailleurs reconnu lui‑même dans sa déposition.
[102] De plus, l’allégation du demandeur selon laquelle son manque de formation expliquait son rendement médiocre comme analyste en valeurs mobilières ne s’accorde pas avec ce qu’il a déclaré à l’enquêtrice, à savoir que le poste d’analyste en valeurs mobilières était un poste inférieur à celui d’analyste du risque/analyste financier et que [traduction] « vous pouvez prendre n’importe qui dans la rue et lui faire faire ce travail [d’analyste en valeurs mobilières], c’est comme faire des hamburgers ».
[103] Le demandeur maintient catégoriquement qu’il n’a jamais prétendu que son congédiement était dû à une discrimination, et que l’enquêtrice s’est attardée sur les mauvaises questions, mais il n’a pas soulevé ce point dans les observations soumises à la Commission en réponse au rapport d’enquête, lequel contenait manifestement des conclusions relatives à son congédiement. Ses observations ultérieures concernaient surtout l’absence de formation.
[104] Dans sa plainte initiale fondée sur la discrimination, le demandeur affirmait : [traduction] « […] j’ai […] été forcé de me contenter du poste d’analyste en valeurs mobilières bien que je n’aie pas les compétences nécessaires, ce qui a entraîné mon congédiement » [non souligné dans l’original].
[105] En septembre 2011, il déclarait dans les observations soumises à la Commission en réponse au rapport d’enquête :
[traduction] Mon congédiement découle d’une discrimination antérieure m’ayant empêché d’obtenir le poste d’analyste financier pour lequel j’étais qualifié. Durant la formation préalable à l’emploi offerte conjointement par JVS et la CIBC en avril‑mai 2006, le formateur a déterminé que j’avais les compétences requises pour occuper le poste d’analyste financier et a recommandé qu’il me soit proposé. De même, c’est le poste que je suis compétent à occuper et qui suscite mon intérêt en tant que diplômé en finances.
[106] Dans l’affidavit qui accompagnait sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur déclarait au paragraphe 14 :
[traduction] La discrimination persistante dont a fait preuve la CIBC, son refus de m’offrir la formation nécessaire et son évaluation irréfléchie de mon travail ont tous contribué à ce que je n’atteigne pas le niveau de précision de 91 % exigé. J’ai donc été congédié par la CIBC.
[107] Au paragraphe 29, il ajoute :
[traduction] La CIBC m’a pénalisé pour les deux erreurs dues à mon manque de formation que j’ai commises durant la période de deux ans, en retenant ma prime de Noël de fin d’année pour chacune de ces deux années. La pratique discriminatoire de la CIBC m’a donc été préjudiciable puisqu’elle ne m’a pas offert une formation adéquate, ce qui a finalement entraîné mon congédiement.
[108] Entre autres choses, le demandeur alléguait clairement que son congédiement était dû à une discrimination. La Commission n’a commis aucune erreur en enquêtant sur cette allégation, ni en concluant que son congédiement n’était pas dû à une discrimination, mais plutôt à un rendement médiocre bien documenté.
[109] La Commission a examiné, en plus des allégations spécifiques, les trois aspects de sa plainte : elle s’est demandé si la défenderesse avait omis de proposer un emploi, une promotion, ou une affectation temporaire au plaignant, si elle l’avait traité de manière différente et préjudiciable et/ou si elle l’avait congédié en raison d’une déficience réelle ou perçue.
[110] L’observation du demandeur selon laquelle la Commission s’est concentrée sur son congédiement plutôt que d’examiner attentivement ses allégations touchant le manque de formation et les qualifications requises pour le poste d’analyste du risque/financier n’est pas fondée et il en a été disposé plus haut lorsque j’ai traité du caractère approfondi de l’enquête. Les agissements reprochés par le demandeur étaient tous reliés et ce dernier a indiqué qu’il n’aurait pas forcément donné suite à sa plainte s’il n’avait pas été congédié. De plus, aucun de ces actes, dans la mesure où il s’agissait d’un traitement différentiel, n’était motivé par sa déficience. Les conclusions de l’enquêtrice à cet égard étaient raisonnables.
[111] Enfin, l’affirmation du demandeur selon laquelle la Commission s’est appuyée sur les allégations mensongères ou le faux témoignage de la CIBC est dépourvue de tout fondement. Le fait que les dépositions fournies par deux représentants de la CIBC au sujet de la formation requise ne soient pas identiques ne signifie pas qu’elles sont fausses ou mensongères, ni contradictoires ou incompatibles. Ces dépositions concernaient deux types de formation offerts à divers stades du parcours d’un employé. Dans son témoignage portant que le demandeur n’avait pas les compétences requises pour le poste d’analyste financier, M. Leicester a donné son point de vue éclairé en tant que supérieur du demandeur. L’enquêtrice a relevé que le demandeur n’était pas d’accord et elle a poursuivi ses investigations. On ne saurait considérer qu’il s’agit d’un cas de fraude ou de faux témoignage.
[112] Peut‑être que le demandeur ne se rend pas tout à fait compte de la gravité de telles allégations ou de leur définition juridique, ou qu’il ne les a soulevées que comme motif additionnel de contrôle judiciaire au titre du paragraphe 18(4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, mais on ne peut ce contenter de présenter de simples allégations comme celles‑ci sans en fournir la preuve.
[113] Comme l’a relevé la défenderesse, dans Construction and Specialized Workers’ Union, section locale 611 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 512, le juge Zinn a fait des remarques au sujet d’allégations de fausse déclaration – lesquelles sont sans doute moins graves que des allégations de fraude ou de faux témoignage – et déclaré (au paragraphe 90) ce qui suit, après avoir souligné que les demandeurs avaient omis de soulever ces allégations dans leur déclaration :
[90] De plus, même si ces affidavits avaient été déposés en preuve, je leur aurais accordé un poids très faible, et ce, pour les motifs exposés lorsque j’ai jugé qu’ils étaient irrecevables, soit le fait qu’il s’agit de ouï‑dire, le fait qu’ils étaient incomplets, et les doutes concernant l’exactitude des renseignements qu’ils contenaient. Tout comme pour la fraude, des éléments de preuve clairs, solides et convaincants sont nécessaires pour conclure à l’existence d’une fausse déclaration. La preuve produite par les demandeurs est loin de satisfaire à cette norme exigeante. [Non souligné dans l’original.]
[114] Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve à ce sujet et il s’en est tenu à son allégation selon laquelle l’enquêtrice aurait dû recueillir le témoignage d’autres témoins pour établir la vérité étant donné que sa position différait de celle de la CIBC. J’ai disposé de cet argument plus haut lorsqu’il était question du caractère approfondi de l’enquête.
[115] Comme je l’ai déjà signalé, la norme de contrôle à laquelle la décision de la Commission est assujettie est celle de la raisonnabilité. La Commission jouit d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer si l’enquête doit se poursuivre devant le Tribunal. Tel que noté dans la décision Tutty, précitée, cela suppose un exercice de pondération de la preuve, qui exige que la Cour fasse preuve de retenue à l’étape du contrôle judiciaire (au paragraphe 14). Dans le cas qui nous occupe, la Commission a soupesé la preuve et elle est parvenue à une conclusion raisonnable, de toute évidence bien étayée.
[116] Je ne crois pas que la Commission ait commis la moindre erreur. Le processus était équitable d’un point de vue procédural, il n’y a eu aucune partialité, l’enquêtrice a mené une enquête approfondie, et la décision de rejeter la plainte appartenait aux issues possibles acceptables.
[117] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[118] Les dépens seraient normalement adjugés contre le demandeur débouté, d’autant plus en présence de simples allégations de partialité, de fraude et de faux témoignage, non fondées.
[119] Dans le cas présent, comme il estimait avoir été traité injustement, M. Joshi s’est prévalu de tous les recours disponibles. Quoique la Commission ait raisonnablement conclu qu’il n’avait pas été victime de discrimination, et que la défenderesse a engagé des dépenses pour répondre à la demande de contrôle judiciaire, M. Joshi pourrait considérer l’adjudication des dépens à son encontre comme une injustice additionnelle.
[120] Je refuse d’adjuger les dépens à l’encontre de M. Joshi dans la présente instance.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE ce qui suit :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Catherine M. Kane »
Juge
Traduction certifiée conforme
Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T‑270‑13
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INTITULÉ : |
NAVIN JOSHI c BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 14 AVRIL 2014
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motifs du jugement et jugement : |
la juge KANE
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DATE DES MOTIFS : |
le 6 juin 2014
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COMPARUTIONS :
Navin Joshi
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pour le demandeur (pour son propre compte)
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Elisha c. Jamieson
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pour la défenderesse
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Navin Joshi Mississauga (Ontario)
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POUR LE demandeur (POUR SON PROPRE COMPTE)
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Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE
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