Date : 20140528
Dossier : T-1819-12
Référence : 2014 CF 508
Ottawa (Ontario), le 28 mai 2014
En présence de monsieur le juge de Montigny
ENTRE : |
GUY MEDZALABANLETH |
demandeur |
et |
CONSEIL DES ABÉNAKIS DE WÔLINAK |
Défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le demandeur, M. Guy Medzalabanleth, conteste par le biais de la présente demande de contrôle judiciaire, la décision du Comité d’appel de l’élection (le Comité d’appel) du Conseil des Abénakis de Wôlinak (le défendeur) rendue le 1er septembre 2012, laquelle entérinait la conclusion du Rapport d’enquête de son président à l’effet qu’il n’y avait pas eu violation du Code électoral. Par voie de conséquence, le Comité d’appel déclarait valides les résultats de l’élection qui s’est tenue à Wôlinak le 10 juin 2012.
[2] Pour les raisons énoncées ci-dessous, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire du demandeur doit être rejetée. Le demandeur n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, et l’interprétation du Code électoral qu’ont faite le Président d’élection et le Comité d’appel était raisonnable.
I. Faits
[3] La bande des Abénakis de Wôlinak est une bande au sens de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, ch I-5. Pour sa part, le demandeur est membre de cette bande. Il n’est pas contesté que la bande contrôle l’appartenance à ses effectifs au sens de l’article 10 de la Loi sur les Indiens depuis le 23 juin 1987, tel qu’il appert du Code d’appartenance des Abénakis de Wôlinak et de la correspondance du ministère des Affaires Indiennes produite au soutien de l’affidavit de M. Denis Landry.
[4] Le 26 avril 2012, un avis d’élection a été émis pour combler les postes de Chef et de conseiller non-statué. L’élection, dont la tenue était prévue le 10 juin 2012, était régie par le Code électoral des Abénakis de Wôlinak, lequel a été approuvé par le ministère des Affaires Indiennes le 29 mai 2009.
[5] L’avis d’élection mentionnait également que le Conseil de bande avait nommé par voie de résolution M. Claude Philippe à titre de président de cette élection, ainsi que MM. Yvon Savard, Daniel Landry et Stéphan Landry à titre de membres du Comité d’appel. Enfin, l’avis rappelait aux électeurs « qu’il est de leur responsabilité de vérifier les informations sur la liste électorale et de s’assurer auprès du responsable à l’inscription de la bande de faire faire les corrections les concernant si nécessaire ».
[6] Lors de l’assemblée de mise en candidature tenue le 11 mai 2012, quatre candidats se sont présentés au poste de Chef (dont Denis Landry et Raymond Bernard, pour qui le demandeur agissait à titre de représentant), et deux candidats se sont présentés au poste de conseiller non-statué (Gaétan Landry et Réjean Bonneville).
[7] À cette même date, le demandeur a présenté une demande de révision de la liste électorale. Dans cette demande, il indiquait que plusieurs membres de la famille Medzalabanleth, qui auraient dû figurer sur la liste, ne s’y trouvaient pas. La demande mentionnait également que plusieurs individus dont les noms apparaissaient sur la liste (incluant Denis Landry et Gaétan Landry) ne devraient pas s’y trouver puisque ces personnes avaient été radiées du Registre des Affaires Indiennes et du Nord Canada.
[8] Le Président d’élection a répondu par courriel au demandeur le 12 mai, lui indiquant que ses remarques seraient prises en considération dans son rapport final de l’élection.
[9] Le 30 mai 2012, le demandeur présentait par l’entremise de son avocat une nouvelle demande de révision de la liste électorale en vertu de l’article 5.3 du Code électoral, reprenant essentiellement les motifs invoqués dans sa première demande de révision. Le Président d’élection a répondu le 31 mai 2012 ne pas avoir la compétence voulue pour effectuer la révision sollicitée par le demandeur, et indiquait qu’à moins de recevoir des informations supplémentaires, la décision deviendrait finale le 1er juin 2012.
[10] Dans une lettre en date du 5 juin 2012, le procureur du demandeur a répondu au Président d’élection en faisant valoir que la confection de la liste électorale ne constitue pas une procédure purement cléricale consistant à retranscrire la Liste de bande mais implique nécessairement le devoir de s’assurer que seuls ceux et celles qui sont habiles à voter peuvent le faire.
[11] C’est dans ce contexte qu’a eu lieu comme prévu l’élection du 10 juin 2012. Denis Landry a été réélu comme Chef avec 149 votes (contre 100 pour Raymond Bernard et 39 pour Paul Lefebvre), tandis que Gaétan Landry a été élu comme conseiller non-statué par 170 voix (contre 111 pour Réjean Bonneville).
[12] Le 4 juillet 2012, le demandeur signifiait au Comité d’appel son appel à l’encontre de l’élection, en conformité avec l’article 8.2 du Code électoral. Le demandeur réitérait que le Président d’élection avait erré en refusant de trancher sa demande de révision de la liste électorale. Étant donné les préoccupations du demandeur quant à l’impartialité du Comité d’appel (M. Stéphan Landry étant le frère de M. Denis Landry), le Comité a jugé bon, « par souci de transparence », de confier l’examen de cet appel au Président du Comité, M. Yvon Savard.
[13] M. Savard a remis son rapport au Comité d’appel le 31 août 2012 (« Rapport d’enquête »). Reprenant chacun des points soulevés par le demandeur dans sa Déclaration solennelle à l’appui de son appel, M. Savard concluait qu’il n’y avait pas eu violation du Code électoral lors de l’élection du 10 juin 2012 et que les résultats de cette élection devraient être maintenus. Le Comité d’appel a entériné ces conclusions à l’unanimité le 12 septembre 2012.
[14] Le 15 octobre 2012, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire de la décision du Comité d’appel.
II. La décision contestée
[15] Puisque le Comité d’appel a adopté toutes les conclusions du Rapport d’enquête, par ailleurs fort étoffé (le Rapport fait trente pages), c’est aux faits saillants de ce Rapport qu’il convient de s’attarder.
[16] Afin de répondre aux nombreuses allégations du demandeur, l’enquêteur a fait des recherches approfondies en révisant différents documents déjà considérés dans le Rapport du Président d’élection, en se procurant des documents additionnels, et en contactant l’ancien Registraire de la bande et sa remplaçante, le Président d’élection et deux représentants de candidats présents à l’examen des boîtes de scrutin afin d’obtenir des renseignements supplémentaires. L’enquêteur a également examiné différentes décisions rendues dans le cadre d’autres contestations similaires.
[17] Le demandeur avait d’abord remis en question l’éligibilité de MM. Denis Landry et Gaétan Landry, au motif qu’ils étaient tous deux « non-statués ». L’enquêteur rejette cette allégation, précisant que Denis Landry a obtenu son inscription au Registre des Indiens le 2 mai 2012, et qu’en tout état de cause l’article 2.1 du Code électoral prévoit que le poste de Chef peut être occupé par un électeur statué ou non-statué. Quant à Gaétan Landry, le fait d’être non-statué ne le disqualifiait pas mais constituait au contraire une condition essentielle à son éligibilité à titre de conseiller non-autochtone conformément à l’article 2.1 du Code électoral.
[18] Le demandeur avait également allégué que le Président d’élection avait refusé de considérer ses demandes de correction de la liste électorale. À cet égard, l’enquêteur rappelle d’abord que le Président a donné suite à ces demandes en indiquant qu’elles seraient prises en considération dans son rapport d’élection, et en déclinant correctement sa compétence quant aux demandes relatives aux modifications du Registre. Quant à la prétention du demandeur à l’effet que des votes auraient été rejetés de façon irrégulière, l’enquêteur note que 33 votes postaux ont été rejetés parce qu’ils ne respectaient pas les formalités prescrites par l’article 5.9 du Code électoral et ce avec l’appui unanime de tous les représentants des candidats incluant le demandeur.
[19] L’enquêteur se penche ensuite longuement sur la prétention du demandeur voulant que plusieurs personnes n’ayant pas le droit de vote ont quand même exercé ce droit lors des élections du 10 juin 2012. À cet égard, l’enquêteur écrit :
Suite à l’analyse de la documentation existante sur les élections antérieures à Wôlinak, j’ai pu observer qu’au cours des 15 dernières années, il y a eu maintes fois des contestations d’élections à Wôlinak, la plupart du temps en rapport avec cette même question, à savoir si les membres non statués ont droit de voter et de se présenter aux élections de la Bande. Cette question a toujours été tranchée de la même façon très claire soit par des comités indépendants, soit par les tribunaux ou encore par le Ministères des Affaires indiennes. C’est-à-dire que la réponse de ces instances était toujours, en substance, à l’effet que la bande ayant, depuis 1987, le contrôle de ses effectifs, elle avait la pleine latitude d’accepter des personnes non statuées comme membre et de leur permettre de voter et de se présenter aux élections.
Dossier du demandeur, p. 29.
[20] L’enquêteur ajoute que cette approche a été confirmée et renforcée depuis l’adoption en 2008 d’un code électoral coutumier, dont l’article 2.1 précise que l’un des quatre postes de conseiller doit échoir à un électeur non autochtone et que le poste de Chef peut être occupé soit par un électeur statué ou non statué. Pour que cette disposition ait un sens, écrit-il, « il faut qu’il y ait des non-statués sur la liste de bande et sur la liste électorale » (Dossier du demandeur, p. 30). Enfin, il s’appuie sur une décision du juge Lemieux eu égard à cette même bande (Landry c Bernard, 2011 CF 720) pour préciser qu’une élection ne sera annulée en application des articles 8.2 et 8.7 du Code électoral que dans l’hypothèse où deux conditions sont réunies : « …il doit y avoir non seulement un ou des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu violation, mais encore et malgré l’existence de motif, il faut prouver que ce motif ait pu porter atteinte au résultat de l’élection. » (Dossier du demandeur, p. 31)
[21] L’enquêteur a ensuite abordé les allégations d’ordre procédural avancées par le demandeur. À la lumière des informations qu’il possédait et des vérifications qu’il a effectuées auprès du Président d’élection, il s’est dit d’avis que les dispositions du Code électoral régissant l’assemblée de mise en candidature, la liste électorale, la surveillance des boîtes de votes postaux, les enveloppes de retour des votes postaux, les trousses de votes postaux, le positionnement des isoloirs, la vérification des boîtes de scrutin, le relevé de votes et la non-utilisation d’appareils électroniques ont toutes été respectées. Qui plus est, le retrait d’une candidate au poste de Chef a été communiqué à tous les électeurs au moment du vote même si les bulletins n’ont pu être réimprimés faute de temps. Selon l’enquêteur, le Président d’élection a fait preuve de jugement en agissant de la sorte. Les allégations du demandeur quant au fait qu’un électeur aurait pu voter sans s’identifier ont été considérées comme étant non fondées. Enfin, l’enquêteur précise qu’il était loisible au Président d’élection de modifier la déclaration d’électeur puisque le Code ne prévoit rien à cet effet et que la nouvelle déclaration ne portait pas atteinte au secret du vote ou à l’acceptation de votes.
III. Questions en litige
[22] Le demandeur a soulevé plusieurs questions, qui me semblent pouvoir être utilement reformulées de la façon suivante :
A. La nomination et le comportement du Président d’élection et des membres du Comité d’appel font-elles naître une crainte raisonnable de partialité?
B. Le Comité d’appel a-t-il erré en droit en considérant que le Président d’élection avait exercé correctement sa compétence en vertu du Code électoral, plus particulièrement en ce qui a trait à la composition de la liste électorale et du Registre de bande?
C. Les divers manquements procéduraux allégués par le demandeur constituent-ils des violations du Code électoral? Si oui, ces manquements justifient-ils l’annulation de l’élection du 10 juin 2012?
IV. Analyse
[23] Il ne me semble pas faire de doute que la norme de contrôle applicable à la première question en litige doit être celle de la décision correcte. Il s’agit en effet d’une question d’équité procédurale qui n’implique aucune déférence de la part d’une cour de révision : Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539 au para 100; Canada (Procureur general) c Sketchley, 2005 CAF 404 aux para 52 et s.
[24] La troisième question, quant à elle, fait intervenir l’application d’une norme légale à des situations de fait. De telles questions mixtes de droit et de fait doivent être révisées en appliquant la norme de la raisonnabilité : Première nation no 195 de Salt River c Martselos, 2008 CAF 221 aux para 28 et s.
[25] Qu’en est-il de la deuxième question? Dans l’arrêt Landry c Bernard, le juge Lemieux s’est dit d’avis que l’interprétation du Code électoral par le Conseil de bande doit être évaluée à la lumière de la décision correcte. Le juge Beaudry en est arrivé à une conclusion semblable eu égard à la décision d’un Comité d’appel faisant intervenir l’interprétation d’un code électoral : Bacon c Comité d’appel du Conseil de bande de Betsiamites et al., 2009 CF 1060.
[26] En l’occurrence, j’estime qu’il faut plutôt appliquer la norme de la décision raisonnable, en appliquant un raisonnement similaire à celui qu’a développé mon collègue le juge Mosley dans l’arrêt Cameron c Le Conseil de la bande indienne d’Aschcroft, 2012 CF 579 [Cameron]. Était notamment en cause dans cette affaire une décision par laquelle le ministre des Affaires Indiennes et du Nord canadien avait rejeté un appel interjeté sous le régime de l’article 12 du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, CRC, c 952, concernant l’élection du conseil de bande. S’appuyant sur le fait que les dispositions relatives aux élections de la Loi sur les Indiens et du Règlement appartenaient au domaine d’expertise du décideur, que la question de droit dont il s’agissait ne revêtait pas une importance capitale pour le système juridique, et qu’il y avait lieu de supposer que la déléguée du ministre possédait une expertise dans l’interprétation des lois électorales et leur application en conformité avec les politiques du ministère, le juge Mosley a conclu que la norme de contrôle applicable était celle du caractère raisonnable.
[27] J’estime qu’il en va de même dans le présent dossier. Je note tout d’abord que les questions à trancher font intervenir l’interprétation du Code électoral et, accessoirement, du Code d’appartenance de la bande des Abénakis de Wôlinak plutôt que la Loi sur les Indiens, ce qui diminue d’autant l’impact de la décision sur l’ensemble du système juridique. D’autre part, il m’apparaît évident que les questions à trancher relevaient de l’expertise du Comité d’appel. Enfin, tout comme dans l’arrêt Cameron, le Président du Comité d’appel dont le rapport d’enquête constitue pour l’essentiel la décision contestée n’en était pas à ses premières armes. Non seulement a-t-il participé activement comme coordonnateur à la rédaction du Code électoral et du Code d’appartenance, mais il appert qu’il était également le président du Comité d’appel lors des élections du 14 novembre 2010.
[28] Cette approche a par ailleurs le mérite d’être cohérente avec la jurisprudence la plus récente de la Cour suprême en matière de révision judiciaire. Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, la majorité écrivait (au para 39): « Il convient de présumer que la norme de contrôle à laquelle est assujettie la décision d’un tribunal administratif qui interprète sa loi constitutive ou qui l’applique est celle de la décision raisonnable ». Les questions d’interprétation législatives commandent donc généralement la déférence en cas de contrôle judiciaire.
A. La nomination et le comportement du Président d’élection et des membres du Comité d’appel font-elles naître une crainte raisonnable de partialité?
[29] Le demandeur a soutenu que deux éléments faisaient naître une crainte raisonnable quant à l’impartialité et l’indépendance du Président d’élection. On a tout d’abord fait valoir qu’il avait été nommé et rémunéré par le Conseil de bande, alors dirigé par celui-là même (M. Denis Landry) qui a été réélu au poste de Chef lors de l’élection du 10 juin 2012. D’autre part, on a invoqué le fait qu’il a requis et obtenu des avis juridiques de Me Paul Dionne, alors même que ce dernier est également le procureur de la famille Landry dans les procédures d’appel à l’encontre de leur radiation par le Registraire des Affaires Indiennes.
[30] Le demandeur a également soulevé l’apparence de partialité du Comité d’appel, dont les membres ont également été nommés par le Conseil de bande. Cette apparence se trouve renforcée, aux yeux du demandeur, par la demande de deux des membres du Comité au Président d’agir comme enquêteur par souci de transparence.
[31] Après avoir soigneusement analysé le dossier, je ne peux faire droit à ces prétentions. Même en admettant que les allégations de partialité ne sont pas tardives étant donné que le demandeur n’aurait pris connaissance des demandes d’avis juridiques formulées par le Président d’élection et le Comité d’appel auprès de Me Dionne qu’en juillet 2013, elles doivent quand même être rejetées parce qu’elles ne sont pas étayées par la preuve.
[32] Il convient tout d’abord de rappeler que des allégations de partialité doivent être analysées avec rigueur, compte tenu de l’impact qu’elles peuvent avoir pour les parties visées : Giroux c Première nation de Swan River, 2006 CF 285. Le test qui doit être appliqué est bien connu et a été formulé dans cet extrait souventes fois cité du juge de Grandpré dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c Office national de l’énergie et autres, [1978] 1 RCS 369 à la p. 394 :
[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander «à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique […] »
Voir aussi : R c S.(R.D.), [1997] 3 RCS 484 au para 111; Bande indienne de Wewaykum c Canada, 2003 CSC 45, [2003] 2 RCS 259 au para 76.
[33] L’application de ce test doit évidemment tenir compte des circonstances particulières propres à chaque affaire, et notamment du fait que la bande des Abénakis de Wôlinak est peu populeuse et ne comptait au jour de l’élection que 511 électeurs. À cet égard, j’adopte et je fais miens les propos tenus par mon collègue le juge O’Keefe dans l’affaire Bande indienne de Lower Nicola c Joe, 2011 CF 1220, où l’on avait également soulevé une crainte de partialité dans le contexte d’une contestation d’élection :
[45] Ce critère ne s’appliquera pas nécessairement de façon stricte à la BILN. Comme il s’agit d’une bande d’environ 800 électeurs, il est difficile de constituer un conseil des aînés à l’abri de tout lien de parentés ou de relations d’affaires.
[46] Dans la décision Sparvier c Bande indienne Cowessess no 73 (1993), [1994] 1 CNLR 182 (C.F. 1ère inst.), le requérant qui sollicitait le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un tribunal d’appel électoral, alléguait que celui-ci avait fait preuve de partialité, car l’un de ses membres avait une relation d’affaires avec le demandeur qui avait comparu devant lui. Le juge Marshall Rothstein notait à ce propos que le critère en matière de partialité ne pouvait pas s’appliquer strictement à une petite bande de 408 électeurs participants; il déclarait aux pages 198 et 199 :
[…] il ne me semble pas réaliste de s’attendre à ce que les membres du tribunal d’appel, qui résident dans la réserve, n’aient eu aucun contact social, familial ou commercial avec un candidat à une élection. […]
Si on devait appliquer rigoureusement le critère de la crainte raisonnable de partialité, la légitimité des membres d’organismes décisionnels comme tribunal d’appel, dans les bandes peu nombreuses, serait constamment contestée pour des motifs de partialité découlant des liens de parenté qu’un membre de l’organisme décisionnel avait avec l’un ou l’autre des candidats éventuels. Une application aussi rigoureuse des principes relatifs à la crainte de partialité risque de mener à des situations où le processus électoral serait constamment menacé par de telles allégations. Comme l’a affirmé l’avocat des intimés, une telle paralysie de la procédure pourrait compromettre l’élection autonome des gouvernements des bandes.
[34] Qu’en est-il dans la présente instance? Je note tout d’abord que le Président d’élection a été nommé conformément aux articles 1.5 et 2.9 du Code électoral, qui se lisent comme suit :
1.5 Président d’élection
La personne nommée par résolution du Conseil de la Première nation des Abénakis de Wôlinak pour diriger le processus électoral prévu au présent code et s’assurer que celui-ci est respecté.
2.9 Quarante-cinq (45) jours avant la fin du mandate des membres sortants du Conseil, le Conseil doit annoncer par avis public, les postes à pourvoir, la date prévue de prochaine élection et nommes les personnes qui agiront à titre de président ainsi que les membres du comité d’appel.
[35] On ne saurait remettre en cause l’impartialité du Président d’élection du seul fait qu’il a été nommé par un Conseil de bande dont le Chef a par la suite été réélu, ou parce qu’il a touché une rémunération à titre de consultant. Cette preuve est nettement insuffisante pour faire naître une crainte raisonnable de partialité. Ce dernier n’est pas membre de la bande, et il a été nommé sur la base de son expertise particulière dans l’interprétation du Code électoral (c’était son deuxième mandat comme président d’élection pour les Abénakis de Wôlinak) et de son expérience antérieure (il avait été fonctionnaire au ministère des Affaires Indiennes et du Nord canadien et avait agi comme président d’élection dans d’autres communautés).
[36] Je ne vois rien de répréhensible non plus dans le fait que le Président d’élection ait obtenu des avis juridiques de la part de Me Dionne. Sans doute aurait-il été plus prudent de consulter un avocat qui n’était pas impliqué dans les affaires personnelles du Chef de la bande. Il n’en demeure pas moins que Me Dionne était le conseiller juridique du Conseil de bande, et l’on ne peut donc reprocher au Président d’élection d’avoir eu recours à ses services dans le cadre de son mandat. En l’absence de preuve à l’effet contraire (et le demandeur a choisi de ne pas interroger Me Dionne), il faut présumer que Me Dionne a agi dans le respect des règles entourant les conflits d’intérêt et du Code de discipline de la profession. Qui plus est, le Président d’élection n’était pas tenu de suivre ses avis et jouissait de la plus entière autonomie.
[37] La crainte de partialité à l’égard des membres du Comité d’appel m’apparaît également sans fondement. Tout comme pour le Président d’élection, les membres de ce Comité ont été nommés conformément au Code électoral, dont l’article 8.1 stipule ce qui suit :
8.1 Comité d’appel
Au moment où il nomme le président d’élection à l’égard d’une élection en vertu de l’article 2.8, le Conseil de Première nation nomme également les membres du comité d’appel à l’égard de cette élection.
Le comité d’appel est composé de trois (3) personnes, toutes âgées de 18 ans et plus, dont deux (2) seront des membres de la Première nation et un (1) qui sera idéalement un professionnel du droit ou à défaut, ayant une expérience reconnue en cette matière, et qui agira comme président.
Les membres du comité peuvent adopter des règles de fonctionnement interne sous réserve du présent code et ils prendront leurs décisions à la majorité.
Le mandat du comité d’appel se termine dès qu’une décision a été rendue en cas d’appel ou, sinon, 35 après la date du scrutin s’il n’y a pas eu d’appel.
[38] Encore une fois, il aurait sans doute été mieux avisé de ne pas nommer comme membre du Comité d’appel le frère de l’un des candidats au poste de Chef (M. Stéphane Landry). J’estime néanmoins, compte tenu de la procédure suivie, que la présence de ce membre n’a pas entaché l’impartialité de la décision prise par le Comité d’appel.
[39] Il importe d’abord de préciser que M. Daniel Landry n’a qu’un lien de parenté très éloigné avec le Chef élu, M. Denis Landry (Interrogatoire de Denis Landry, pp. 48-50; Dossier du demandeur, pp. 703-705). C’est donc apparemment par souci de transparence et pour donner suite à la préoccupation de partialité soulevée par M. Raymond Bernard qu’il a choisi de ne pas participer à l’enquête déclenchée par cette plainte et qu’il a été décidé de confier ce mandat au Président du Comité d’appel.
[40] Cette façon de procéder était parfaitement conforme au Code électoral, dont l’article 8.6 prévoit :
8.6 Enquête
Le comité d’appel peut, si les faits allégués ne lui paraissent pas suffisants pour décider de la validité de l’élection faisant l’objet de la plainte, mener ou faire mener une enquête aussi approfondie qu’il le juge nécessaire et de la manière qu’il juge convenable.
a) Cette enquête peut être tenue par le comité d’appel, par l’un de ses membres, ou par toute personne que le comité d’appel désigne à cette fin.
b) Lorsque le comité d’appel désigne l’un de ses membres ou une autre personne pour tenir une telle enquête, ce membre ou cette autre personne doit présenter un rapport détaillé de l’enquête pour examen par le comité d’appel.
[41] L’impartialité du Président du Comité d’élection n’a pas été remise en cause par le demandeur, et rien dans le Rapport d’enquête ne laisse soupçonner le moindre doute à cet égard. Le demandeur fait cependant valoir que la décision du Comité d’appel d’entériner ce rapport est entachée de partialité du fait que deux de ses trois membres n’étaient pas impartiaux. Or, tel que mentionné précédemment, il n’a pas été prouvé que M. Daniel Landry a un lien de parenté significatif avec le Chef élu Denis Landry pour que l’on puisse craindre de ce seul fait qu’il ne soit pas impartial. Par conséquent, un seul des trois membres du Comité d’appel (Stéphane Landry) était relié au Chef élu; or, il n’a pas pris part à l’enquête et s’est contenté d’entériner le rapport du Président. Il n’y a aucune preuve qu’il aurait tenté d’influencer ce dernier. Dans ces circonstances, je suis d’avis que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau d’établir que la décision du Comité d’appel fait naître une crainte raisonnable de partialité. Gardant à l’esprit que les principes relatifs à la crainte de partialité doivent être appliqués en tenant compte des liens de parenté qui unissent nécessairement plusieurs membres d’une bande peu nombreuse, et considérant que le processus suivi par le Comité d’appel minimisait les risques d’influence indue qu’aurait pu avoir l’un de ses membres en raison de ses liens avec la personne dont on contestait l’élection, il m’apparaît qu’une personne bien au fait de la situation ne croirait pas que le Comité d’appel n’a pas rendu, selon toute vraisemblance, une décision juste.
[42] Pour tous les motifs qui précèdent, je rejetterais donc les allégations de partialité formulées par le demandeur à l’encontre du Président d’élection et du Comité d’appel.
B. Le Comité d’appel a-t-il erré en droit en considérant que le Président d’élection avait exercé correctement sa compétence en vertu du Code électoral, plus particulièrement en ce qui a trait à la composition de la liste électorale et du Registre de bande?
[43] Tel que mentionné précédemment, le demandeur s’est adressé au Président d’élection à deux reprises pour qu’il retire de la liste électorale cent douze (112) membres de la famille Landry et cent soixante-huit (168) autres membres de la bande au motif que ces personnes avaient perdu leur statut d’Indien inscrit au Registre des Indiens maintenu par le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada [MAADNC]. Le 31 mai 2012, le Président d’élection a répondu à ces demandes dans les termes suivants :
Ma responsabilité à l’égard de la liste électorale telle que stipulé à l’article 5.1 du Code électorale [sic] actuellement en vigueur, consiste à confectionner une liste électorale à partir de la liste de bande dressée par le registraire de la Bande.
Dans ce contexte, il est de ma responsabilité de vérifier si les personnes se trouvant sur la liste électorale respectent les qualités d’électeur tels que décrites à l’article 1.3 du même Code électoral. Il n’est pas de ma responsabilité de vérifier si une personne a le droit d’être inscrite sur la liste de bande. […]
Par conséquent, je considère ne pas avoir compétence pour donner suite à votre demande […]
Pièce R-9 au soutien de l’affidavit du demandeur, Dossier du demandeur, p. 314.
[44] Dans son rapport d’enquête, le Président du Comité d’appel a entériné la position du Président d’élection, considérant que l’explication fournie était conforme à l’esprit et à la lettre de l’article 5.1 du Code électoral.
[45] Devant cette Cour, le demandeur est revenu à la charge en faisant valoir que le Président d’élection avait le pouvoir de réviser la liste électorale au motif que certains électeurs n’avaient pas le droit d’y figurer, et a réitéré que le rôle du Président ne se limitait pas à s’en remettre mécaniquement au Registre de la bande.
[46] Cette question est au cœur du présent litige et doit être résolue en procédant à l’examen des dispositions pertinentes du Code électoral et du Code d’appartenance. Doivent d’abord être considérées les définitions suivantes que l’on trouve dans le Code électoral :
1.3 Électeur
Une personne qui
a) est inscrite sur la liste de bande de la Première nation des Abénakis de Wôlinak, ou qui a droit de l’être
b) a dix-huit (18) révolus, le jour du scrutin, et
c) n’a pas perdu son droit de vote aux élections de la Première nation.
1.4 Liste électorale
La liste des électeurs de la Première nation des Abanakis de Wôlinak maintenue par le registraire de la bande.
1.5 Président d’élection
La personne nommée par résolution du Conseil de la Première nation des Abénakis de Wôlinak pour diriger le processus électoral prévu au présent code et s’assurer que celui-ci est respecté.
[47] Sont également très pertinentes les dispositions du Code électoral relatives à la liste électorale, dont voici le texte :
5.1 Liste électorale
Aux fins de confection de la liste électorale, la personne responsable de l’effectif de la Première nation doit remettre dès qu’il est nommé, au président d’élection, une liste à jour des membres avec leur date de naissance et leur numéro de bande ou de membre ainsi que leur adresse.
5.3 Révision de la liste
Tout électeur peut, jusqu’à dix (10) jours avant la tenue du scrutin, demander par écrit au président d’élection la révision de la liste électorale pour le motif que son nom en a été omis, que le nom d’un électeur y est inexactement inscrit, ou que le nom d’une personne inhabile à voter y figure.
5.4 Sur réception d’une demande visée à l’article 5.3, le président d’élection ou le président du scrutin prendra les mesures appropriées pour s’entretenir avec le demandeur et, le cas échéant, la personne dont le nom est présumément inexactement inscrit ou qui est présumément inhabile à voter.
5.5 Correction
Après avoir donnée aux personnes visées à l’article 5.4 la possibilité de se faire entendre, le président d’élection de la question et, le cas échéant, il révise la liste électorale.
5.6 Droit à l’inscription
Outre les articles 5.3, 5.4 et 5.5, toute personne qui possède, le jour du scrutin, la qualité d’électeur, a le droit d’être inscrite sur la liste électorale.
[48] À la lecture de ces dispositions, il semble bien que le rôle du Président d’élection consiste essentiellement à confectionner une liste électorale à partir de la liste des membres que lui remet le Registraire de la bande. Ce dernier, élu par l’assemblée générale de la bande, est la personne responsable de la tenue et de la conservation du Registre (Code d’appartenance, art 40). C’est le Registraire qui a le pouvoir, notamment, de retrancher ou d’ajouter des membres au Registre de la bande :
Art. 49 Le registraire doit ajouter ou retrancher, selon le cas, de la liste des membres de la bande des Abénakis de Wôlinak, contenue au chapitre sixième du registre de la bande, le nom de la personne qui devient membre ou cesse de l’être; le registre doit de même procéder à toute modification qui s’impose au registre.
[49] Enfin, les articles 63 à 74 du Code d’appartenance régissent les contestations relatives à l’inscription ou à la non-inscription au Registre de la bande. C’est le Registraire qui, dans un premier temps, se prononce par décision écrite et motivée eu égard à ces contestations (art. 64). Un appel de sa décision peut être logé au Conseil de la bande (art. 65), qui agit alors comme tribunal d’appel et possède l’autorité de réviser la décision rendue par le registraire (art. 66). L’article 67 précise par ailleurs que le Conseil de la bande doit entendre le membre si ce dernier le requiert, et l’article 69 ajoute que le Conseil doit rendre sa décision à partir de la preuve recueillie durant l’audition qui s’est tenue devant lui.
[50] Il appert de ces dispositions que c’est au Registraire et, en appel, au Conseil de bande, de se prononcer sur l’appartenance d’une personne à la bande, que ce soit à titre de membre ordinaire, de membre associé ou de membre à titre honorifique. Il ressort des dispositions citées plus haut que la décision prise à ce chapitre est lourde de conséquences et doit être entourée de formalités visant à en assurer le bien-fondé. Une telle décision ne peut être prise par un président d’élection dans le contexte d’une campagne électorale. Un président d’élection n’a ni l’expertise ni le temps requis pour procéder aux vérifications qu’implique nécessairement l’ajout ou le retrait du nom d’une personne sur le Registre de la bande. Il en ira ainsi d’autant plus lorsque, comme c’est le cas dans la présente affaire, ce sont 280 personnes dont on conteste le droit de figurer au Registre.
[51] Compte tenu de ce contexte, je suis d’avis que la décision du Président d’élection, puis du Comité d’appel, était non seulement raisonnable mais correcte. Lorsque l’on interprète l’article 5.3 du Code électoral à la lumière du Code d’appartenance et en prenant en considération les contraintes qu’impose le processus électoral, il faut nécessairement conclure que cette disposition n’a pas pour objet d’habiliter le Président d’élection à se prononcer lui-même sur l’appartenance d’une personne à la bande ou sur son droit de figurer sur le Registre de la bande. Son rôle doit plutôt se limiter à vérifier si la personne dont le nom apparaît sur la liste électorale figure bel et bien sur le Registre de la bande. En cas de doute, le Président d’élection ne peut qu’en référer au Registraire, sauf peut-être dans un cas clair et objectivement vérifiable comme dans l’hypothèse où la personne dont on conteste l’inscription sur la liste n’aurait pas 18 ans ou serait décédée.
[52] En tout état de cause, il ne suffit pas de prouver qu’il y a eu une violation du Code électoral pour obtenir l’annulation d’une élection. Pour avoir gain de cause, le demandeur devait également démontrer que cette violation aurait pu avoir un impact sur le résultat de l’élection. L’alinéa 8.7(b) du Code électoral prévoit en effet ce qui suit :
8.7 Lorsque le comité d’appel a lieu de croire :
a) qu’il y a eu manœuvre corruptrice ou frauduleuse à l’égard d’une élection,
b) qu’il y a eu violation du présent code qui puisse porter atteinte au résultat d’une élection, ou :
c) qu’une personne présentée comme candidat à une élection était inéligible à la candidature,
le comité d’appel peut rejeter l’élection en tout ou en partie et ordonner une nouvelle élection ou un nouveau scrutin à l’égard de l’un ou de plusieurs postes.
Le comité d’appel informe par écrit les appelants, les candidats, le président d’élection et le Conseil sortant de sa décision. Le Conseil sortant doit alors mettre en marche sans délai la procédure pour une nouvelle élection ou un nouveau scrutin.
Lorsque le comité d’appel n’a pas lieu de croire que les allégations des appelants sont fondées, il informe alors par écrit les appelants, les candidats, le président d’élection et le nouveau Conseil de la Première nation des Abénakis de Wôlinak de sa décision de rejeter l’appel.
Toute décision du comité d’appel est finale et sans appel.
[53] Appelé à interpréter cette disposition, le juge Lemieux a considéré la jurisprudence pertinente à cet égard et a conclu sans équivoque que deux étapes devaient être franchies pour qu’une élection soit annulée. Un demandeur doit d’abord démontrer qu’il y a eu violation du Code électoral, puis établir que cette violation a pu porter atteinte au résultat de l’élection : Landry c Bernard, précité au para 46; voir aussi Bande indienne de Lower Similkameen c Allison, [1997] 1 CF 475.
[54] En l’occurrence, le demandeur n’a pas réussi à démontrer que les personnes dont il conteste l’inscription sur la liste électorale ne rencontrent pas les critères d’appartenance à la bande. Dans ses demandes de révision auprès du Président d’élection, il alléguait essentiellement qu’un certain nombre de personnes ne pouvaient être inscrites sur la liste électorale parce qu’elles n’avaient pas le statut d’Indien. Dans sa demande de révision en date du 11 mai 2012, il écrivait notamment :
Je vous remets ci-joint la liste de personnes radiées en vertu d’une décision du registraire d’Ottawa rendue en 2011. Même si ces personnes faisaient l’objet d’un appel elles n’ont pas à être inscrites durant la dite procédure …
Pièce R-7 au soutien de l’affidavit du demandeur, Dossier du demandeur, p. 288.
[55] Dans la demande de révision subséquente produite par les procureurs du demandeur le 30 mai 2012, ceux-ci écrivent :
Le nom des individus dont l’inscription est contestée sont inscrits dans la Liste ci-jointe. Selon l’article 1.3 du Code électoral, un électeur est une personne inscrite sur la liste de bande de la Première nation des Abénakis de Wôlinak. Or, les personnes nommées dans la Liste ci-jointe ne remplissent pas les critères des articles 8 à 10 du Code d’appartenance des Abénakis de Wôlinak et n’ont donc pas le droit de figurer sur la liste de bande.
Selon la liste des membres du Registraire de la bande telle que consultée le 22 mai 2012 par Diane Bernard et Guy et Lucie Medzalabanleth, la plupart de ces personnes n’ont pas le statut d’Indien puisqu’elles ne sont pas inscrites au registre du ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (ci-après « MAADNC »). Elles ne semblent par ailleurs pas avoir fait l’objet d’un ajout comme membre associé ou honorifique.
Dans la liste de bande comme dans la Liste qui vous est ici fournie, le nom de ces personnes est suivi d’un þ. Selon le Registraire de la bande, ce crochet signifie que la personne n’a pas de statut d’Indien auprès du MAADNC ou est en attente d’un statut. Ceux qui n’ont pas de þ après leur nom ou qui n’ont qu’un ☐ ne semblent pas avoir, eux non plus, de numéro au registre du MAADNC. Des précisions sur la raison de la demande de révision sont parfois indiquées dans la colonne de droite.
Pièce R-8 au soutien de l’affidavit du demandeur, Dossier du demandeur, p. 299.
[56] Dans son mémoire, le demandeur a tenté de soutenir n’avoir jamais prétendu que des membres non-statués n’avaient pas le droit de voter. Il prétend avoir plutôt allégué que les personnes qui n’ont pas le droit d’être sur la liste de bande n’avaient pas le droit de voter. Cet argument me paraît circulaire, puisque la raison invoquée par le demandeur pour alléguer que des personnes n’ont pas le droit d’être sur la liste de bande est précisément le fait que ces personnes ne sont pas inscrites au Registre des Indiens.
[57] Or, le statut d’Indien ne constitue pas une condition essentielle pour être membre de la bande des Abénakis de Wôlinak. Jusqu’à ce que le Parlement adopte la Loi modifiant la Loi sur les Indiens, LC 1985, c 27, une bande indienne ne pouvait être constituée que de membres « statués », c’est-à-dire inscrits comme Indiens au Registre des Indiens tenu par le MAADNC. Avec l’adoption de cette loi, les bandes indiennes ont acquis le droit de reprendre le contrôle de l’appartenance à leur effectif. En 1987, la bande des Abénakis de Wôlinak s’est prévalue de cette possibilité en se dotant d’un Code d’appartenance, dont l’alinéa 8.2(a) prévoit que « [t]out Abénakis, descendant d’un Abénakis ayant eu domicile sur la réserve des Abénakis de Wôlinak, qui n’est pas membre d’une autre bande », peut être membre ordinaire de la bande. Dans son affidavit, M. Denis Landry souligne d’ailleurs qu’environ 30% des électeurs de la bande des Abénakis de Wôlinak ont le statut d’Indiens et sont inscrits au Registre des Indiens maintenu par le MAADNC.
[58] Par conséquent, même si j’en venais à la conclusion que le Président d’élection se devait d’examiner lui-même l’appartenance à la bande de toutes les personnes visées par les demandes de révision du demandeur pour ensuite déterminer si ces personnes pouvaient être inscrites sur la liste électorale, il n’en résulterait vraisemblablement aucune modification. En l’absence de preuve permettant d’établir que ces personnes n’ont pas le droit de figurer sur le Registre de la bande pour d’autres motifs que le fait de ne pas être des Indiens « statués », il n’aurait eu d’autre choix que de rejeter les demandes de révision présentées par le demandeur. Bref, la violation alléguée du Code électoral par le Président d’élection n’aurait pu avoir aucun impact sur le résultat de l’élection.
C. Les divers manquements procéduraux allégués par le demandeur constituent-ils des violations du Code électoral? Si oui, ces manquements justifient-ils l’annulation de l’élection du 10 juin 2012?
[59] Le demandeur a soutenu que le défendeur l’avait délibérément empêché d’avoir accès à plusieurs documents relatifs à l’élection et au Registre de la bande, entravant du même coup sa capacité de solliciter la révision de la liste électorale auprès du Président d’élection. Le Président d’élection aurait également procédé à la destruction du dossier d’élection moins de deux semaines après la décision du Comité d’appel, ce qui contreviendrait à l’article 7.1 du Code électoral.
[60] La question de l’accès aux documents relatifs à l’élection et au Registre de la bande n’a pas été soulevée devant le Comité d’appel et n’a pas fait l’objet de décision, tant et si bien qu’elle ne peut faire l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. De toute façon, la preuve au dossier ne suffit pas à démontrer que le Conseil de bande aurait agi de mauvaise foi, et le demandeur a eu accès au Registre de la bande dans le cadre d’un autre dossier devant la Cour supérieure du Québec. Enfin, les difficultés d’accès au Registre de la bande ne peuvent être assimilées à une violation du Code électoral en vertu de l’alinéa 8.7(b) et donc susceptibles d’avoir pu influer sur le résultat du vote.
[61] Quant à la destruction du dossier d’élection et des bulletins de vote, l’article 7.1 du Code électoral prévoit que le Président d’élection doit les garder, lorsqu’il y a un appel, jusqu’à l’issue de cet appel. C’est ce que M. Philippe a fait en détruisant les bulletins de vote le 26 septembre 2012. Il serait sans doute mieux avisé, dans le futur, de conserver ces bulletins jusqu’à ce que le délai de 30 jours prévu à l’article 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales pour déposer une demande de contrôle judiciaire soit écoulé. Aucune faute n’a cependant été commise dans les circonstances, d’autant plus qu’il n’y a aucune preuve au dossier à l’effet que les bulletins de vote et le matériel électoral auraient pu permettre de démontrer que le vote était vicié ou que son issue aurait pu être remise en cause.
[62] Le demandeur a également invoqué plusieurs violations d’ordre procédural : rejet illégal des votes postaux dont la déclaration d’électeur ne comportait pas d’adresse, rejet d’un vote en raison de l’absence des initiales du Président d’élection, permission à un électeur de voter sans s’identifier par le Président d’élection, omission de faire parvenir des trousses de vote postal à quelques électeurs, ajouts tardifs de noms à la liste électorale, ainsi que d’autres manquements à la procédure.
[63] Lors de l’interrogatoire sur affidavit du demandeur le 27 mars 2012, le procureur du demandeur a admis que ces divers manquements procéduraux n’ont pas eu d’impact sur l’issue du vote. De fait, il n’y a aucune preuve à cet effet, et les manquements soulevés par le demandeur n’ont affecté qu’un nombre très restreint d’électeurs. Il m’apparaît par conséquent inutile de m’y attarder très longuement, d’autant plus que le Rapport d’enquête entériné par le Comité d’appel en a traité de façon exhaustive après avoir procédé à une enquête et en a disposé de façon raisonnable.
V. Conclusion
[64] Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, et que la décision du Comité d’appel doit être maintenue. Les dépens sont adjugés au défendeur.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et que la décision du Comité d’appel est maintenue. Les dépens sont adjugés au défendeur.
« Yves de Montigny »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-1819-12
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INTITULÉ : |
GUY MEDZALABANLETH c CONSEIL DES ABÉNAKIS DE WÔLINAK
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 29 janvier 2014
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JUGEMENT ET motifs : |
LE JUGE DE MONTIGNY
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DATE DES MOTIFS : |
LE 28 MAI 2014
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COMPARUTIONS :
Philippe Larochelle
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Pour le demandeur
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Paul-Yvan Martin
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
ROY LAROCHELLE AVOCATS INC. Montréal (Québec)
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Pour le demandeur
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MARTIN, CAMIRAND, PELLETIER, s.e.n.c. Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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