Date : 20140521
Dossier : T-615-13
Référence : 2014 CF 486
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 21 mai 2014
En présence de madame la juge Gagné
ENTRE : |
RANDALL SULLIVAN |
demandeur |
et |
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA |
défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue, le 15 mars 2013, par un délégué du ministre du Revenu national [le ministre], en vertu du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985) c 1 (5e Suppl.), [la Loi]. Le ministre a rejeté en partie la demande d’allègement fiscal présentée par le demandeur ainsi que la demande de réexamen des dépenses d’emploi dont il avait demandé la déduction pour les années d’imposition 2002 et 2003.
[2] Pour les motifs discutés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
Aperçu
[3] Par suite d’une vérification effectuée en 2005, le demandeur a fait l’objet de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2002 et 2003 afin d’inclure dans ses revenus, entre autres choses, des revenus d’emploi non déclarés de 26 403 $ et 76 847 $, respectivement, qui figuraient sur un feuillet de revenu d’emploi T4A provenant de Steelmatic Wire Inc [Steelmatic]. Des dépenses de 20 375 $ relatives à une commission furent refusées pour l’année d’imposition 2003 étant donné qu’aucun justificatif n’avait été fourni au soutien de cette déduction.
[4] Le demandeur s’est opposé à cette nouvelle cotisation dans un avis d’opposition daté du 17 octobre 2005.
[5] Dans l’intervalle, le 4 juillet 2005, une décision fut demandée à la Division des décisions RPC/AE afin de déterminer le statut d’emploi du demandeur à l’égard de Steelmatic pour ces mêmes années. Il a été conclu que le demandeur exerçait auprès de Steelmatic un emploi assurable et ouvrant droit à pension et n’était pas un travailleur indépendant. Steelmatic a interjeté appel de la décision, mais elle fut confirmée le 3 mars 2006.
[6] En conséquence, Steelmatic a émis des feuillets T4, sur lesquels figuraient respectivement des revenus de 24 250 $ et 39 683 $, pour remplacer les feuillets T4A précédents et de nouvelles cotisations furent établies à l’égard du revenu du demandeur pour les années d’imposition 2002 et 2003.
[7] Le demandeur a déposé un deuxième avis d’opposition, qui fut également rejeté. Il a interjeté appel de cette décision devant la Cour canadienne de l’impôt, mais s’est par la suite désisté de son appel.
[8] Le 10 janvier 2008, le demandeur a déposé des demandes de redressements de la T1 qui furent traitées comme des demandes d’allègement fiscal soumises en vertu du paragraphe 152 (4.2) de la Loi, étant donné que les années d’imposition 2002 et 2003 étaient alors frappées de prescription.
[9] Le demandeur a présenté une demande d’examen de deuxième niveau, qui a été rejetée. Il a demandé le contrôle judiciaire de cette décision, mais la demande a par la suite été retirée étant donné que l’affaire fut renvoyée, sur consentement, au ministre.
[10] Au cours du troisième examen administratif de la demande d’allègement fiscal auquel le ministre a procédé, les faits suivants furent pris en considération:
1.
Dans son formulaire Rev99, le demandeur a
mentionné que Steelmatic n’exigeait pas qu’il ait son propre bureau à
l’extérieur du lieu d’affaires de l’employeur, contrairement au paragraphe
8(13) de la Loi qui prévoit que le contribuable doit accomplir principalement
les fonctions de sa charge ou de son emploi à partir de son établissement
domestique, ou que la partie de l’établissement domestique est utilisée pour
rencontrer des clients ou d’autres personnes de façon régulière et continue;
2.
Dans le même formulaire, le demandeur a déclaré que
ses dépenses lui étaient remboursées sur présentation de son relevé de
dépenses;
3. Le formulaire T2200 (Déclaration des conditions de travail) soumis par le demandeur n’a pas été rempli et signé par un représentant autorisé de Steelmatic, mais plutôt par le demandeur lui-même ;
4. L’information soumise dans le formulaire T2200 était incompatible avec la description des conditions de travail que le demandeur lui-même avait faite dans le formulaire Rev99. On constate par exemple que, dans le formulaire T2200, le demandeur mentionnait qu’il était normalement tenu de travailler à l’extérieur du lieu d’affaires de son employeur. Toutefois dans le formulaire Rev99, le demandeur déclarait qu’il travaillait cinq jours par semaine, de 8 h 30 à 17 h, au lieu d’affaires de son employeur.
[11] Les demandes d’allègement fiscal ont été accueillies en partie pour des éléments qui ne sont pas visés par la présente demande de contrôle judiciaire, mais celles relatives aux dépenses d’emploi pour les années 2002 et 2003 ont été refusées, de même que les remboursements de TPS s’y rapportant pour l’année 2002.
Questions en litige et norme de contrôle
[12] La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la question suivante :
Le ministre a-t-il commis une erreur dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 152(4.2) de la Loi en accueillant qu’en partie la demande de nouvelles cotisations présentée par le demandeur pour ses années d’imposition 2002 et 2003?
[13] Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur soutient également que le ministre n’a pas observé les règles de justice naturelle et d’équité procédurale. Toutefois, il ne laisse pas voir en quoi ce manquement pourrait consister et son avocat a à peine abordé cette question lors de ses observations orales.
[14] La seule question que soulève la présente demande de contrôle judiciaire doit être contrôlée selon la norme de la raisonnabilité (Lanno c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 153; Canada (Procureur général) c Abraham, 2012 CAF 266, au paragraphe 49; Dunsmuir c Nouveau- Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Comme l’a souligné le demandeur, le pouvoir discrétionnaire du ministre est vaste et fondé sur une politique, et commande un degré élevé de déférence.
Cadre législatif
[15] La disposition pertinente de la Loi est la suivante :
Nouvelle cotisation et nouvelle détermination |
Reassessment with taxpayer’s consent |
152.(4.2) Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), pour déterminer, à un moment donné après la fin de la période normale de nouvelle cotisation applicable à un contribuable — particulier, autre qu’une fiducie, ou fiducie testamentaire — pour une année d’imposition le remboursement auquel le contribuable a droit à ce moment pour l’année ou la réduction d’un montant payable par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie, le ministre peut, si le contribuable demande pareille détermination au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de cette année d’imposition, à la fois : |
152.(4.2) Notwithstanding subsections (4), (4.1) and (5), for the purpose of determining, at any time after the end of the normal reassessment period of a taxpayer who is an individual (other than a trust) or a testamentary trust in respect of a taxation year, the amount of any refund to which the taxpayer is entitled at that time for the year, or a reduction of an amount payable under this Part by the taxpayer for the year, the Minister may, if the taxpayer makes an application for that determination on or before the day that is ten calendar years after the end of that taxation year, |
a) établir de nouvelles cotisations concernant l’impôt, les intérêts ou les pénalités payables par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie; |
(a) reassess tax, interest or penalties payable under this Part by the taxpayer in respect of that year; and |
b) déterminer de nouveau l’impôt qui est réputé, par les paragraphes 120(2) ou (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) ou (3), 127.1(1), 127.41(3) ou 210.2(3) ou (4), avoir été payé au titre de l’impôt payable par le contribuable en vertu de la présente partie pour l’année ou qui est réputé, par le paragraphe 122.61(1), être un paiement en trop au titre des sommes dont le contribuable est redevable en vertu de la présente partie pour l’année. |
(b) redetermine the amount, if any, deemed by subsection 120(2) or (2.2), 122.5(3), 122.51(2), 122.7(2) or (3), 127.1(1), 127.41(3) or 210.2(3) or (4) to be paid on account of the taxpayer’s tax payable under this Part for the year or deemed by subsection 122.61(1) to be an overpayment on account of the taxpayer’s liability under this Part for the year. |
Analyse
[16] Le demandeur prétend que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une façon déraisonnable qui ne résiste pas à un examen poussé et qu’il a fondé sa décision sur des conclusions de faits erronées tirées de façon arbitraire sans tenir compte de la preuve documentaire dont il était saisi. Par conséquent sa décision devrait être annulée. Le mémoire des faits et du droit du demandeur ne contient pas d’autres détails. Lors de l’audition, le demandeur a été plus précis et a ajouté que le ministre a conclu par erreur que i) le rajustement de ses cotisations pour les années 2002 et 2003 augmenterait ses revenus pour ces années; ii) le demandeur n’a engagé aucune dépense d’emploi au cours des années 2002 et 2003; iii) le demandeur n’était pas justifié de déduire des frais de bureau à domicile pour ces mêmes années.
[17] La défenderesse prétend de son côté que la décision est raisonnable et que le délégué du ministre a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire. Ce faisant, le ministre a examiné la demande d’allègement fiscal et tous les documents l’étayant. La défenderesse prétend que le demandeur ne recherche pas un avantage fiscal auquel il aurait par ailleurs eu droit s’il l’avait demandé au cours de la période normale de nouvelle cotisation. Sa demande de déductions de dépenses d’emploi a été précédemment refusée par la Division de la vérification et la Division des appels de l’Agence du revenu du Canada et le demandeur a décidé de se désister de son appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Le paragraphe 152(4.2) de la Loi n’est pas un mécanisme alternatif grâce auquel on peut contester les points en cause (voir circulaire d’information 07-1-Dispositions d’allègement pour les contribuables, au paragraphe 73).
[18] La défenderesse prétend de plus que le demandeur ne peut pas établir qu’il a légalement droit aux dépenses qu’il souhaite déduire. La preuve soumise à l’appui de sa demande est, c’est le moins qu’on puisse dire, contradictoire et intéressée. À cet égard, la défenderesse souligne les déclarations faites par le demandeur en contre-interrogatoire lorsqu’il fut invité à expliquer les contradictions relatives à son statut d’emploi.
[19] Au cours de l’audition, l’avocat du demandeur a tenté de ramener le débat sur la question de savoir si le demandeur aurait dû être considéré, pour la période en question, comme un employé de Steelmatic ou comme un travailleur indépendant. Toutefois, la Cour est liée par la conclusion qui a déjà été tirée quant à cette question. Les questions de savoir si Steelmatic a retenu à la source des impôts sur le revenu du demandeur ou si ce dernier a travaillé parallèlement à titre de consultant pour quelques clients (qui, je remarque, lui ont versé un faible pourcentage de ses revenus totaux) n’étaient pas pertinentes quant à l’examen que le ministre a fait des dépenses réclamées relativement à son emploi principal auprès de Steelmatic.
[20] À titre d’employé, le demandeur devait déposer le formulaire T2200 (Déclaration des conditions de travail) dûment signé par un représentant autorisé de Steelmatic, ainsi que le formulaire Rev99, afin de convaincre le ministre que ses dépenses générales et celles relatives à son bureau à domicile étaient conformes aux exigences énoncées aux alinéas 8(1)h) et au paragraphe 8(13) de la Loi.
[21] Le demandeur invoque le fait qu’à cette époque ses liens avec Steelmatic s’étaient détériorés à un point tel qu’il était justifié de signer le formulaire T2200 (Déclaration des conditions de travail) à la place du représentant de Steelmatic. Même si le délégué du ministre était au courant des difficultés auxquelles le demandeur avait dû faire face pour obtenir que son ancien employeur signe le formulaire T2200 (Déclaration des conditions de travail), il était raisonnable qu’il refuse un document incomplet.
[22] Il était également raisonnable pour le ministre, compte tenu de toutes les contradictions et incohérences qui existaient entre les renseignements mentionnés dans le formulaire T2200 (Déclaration des conditions de travail) et ceux mentionnés dans le formulaire Rev99, de conclure que les conditions de travail du demandeur ne l’obligeaient pas à supporter les dépenses dont il demande la déduction ou d’utiliser une partie de sa résidence à titre de bureau principal. Le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable, particulièrement lorsque l’on considère le fait que le demandeur s’est désisté de son appel devant la Cour canadienne de l’impôt et le fait qu’il a eu plusieurs occasions de fournir une preuve convaincante et cohérente qu’il satisfaisait aux exigences de la Loi.
Conclusion
[23] Le demandeur n’a pas convaincu la Cour qu’elle devait intervenir et sa demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
2. Les dépens sont accordés à la défenderesse.
« Jocelyne Gagné »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-615-13
|
INTITULÉ : |
RANDALL SULLIVAN c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 26 MARS 2014
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE GAGNÉ
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS : |
LE 21 MAI 2014
|
COMPARUTIONS :
Dale Barrett
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Andrea Jackett
|
POUR LA DÉFENDERESSE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Barrett Tax Law Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE
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