Date : 20140515
Dossier : IMM-1789-13
Référence : 2014 CF 474
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 15 mai 2014
En présence de monsieur le juge Campbell
ENTRE : |
LASZLO HANKO LILIANA FRIDA HANKO FRIDA KRAJCZAR |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
ORDONNANCE ET MOTIFS
[1] La présente demande touche une famille de Roms, un couple et leur fille, citoyens de Hongrie, qui demandent l’asile en prétendant craindre avec raison plus qu’une simple possibilité d’être persécutés, du fait de leur origine ethnique, s’ils devaient retourner en Hongrie. Dans la décision faisant l’objet du contrôle et rendue le 30 janvier 2013, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leur demande d’asile, au titre des articles 96 et 97 de la LIPR, sur la conclusion que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État (décision, paragraphe 6). La question fondamentale à trancher dans la présente demande est de savoir si la conclusion de la SPR peut être qualifiée de raisonnable sur les plans de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que cela n’est pas raisonnable.
I. La position des demandeurs sur la question de la protection de l’État
[2] La SPR n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité et, par conséquent, on a accepté le témoignage des demandeurs concernant les événements antérieurs de persécution en Hongrie : ils se sont enfuis au Canada après avoir souffert toute leur vie de traitements assimilables à la discrimination et à la persécution, en ce qui a trait à l’accès à l’éducation, à l’emploi, aux soins médicaux et aux autres services sociaux, en raison de leur ethnicité rom.
[3] Le fait culminant et non contesté qui a incité les demandeurs à s’enfuir au Canada s’est produit le 1er février 2011 :
[traduction]
Le 1er février 2011, ma famille et moi retournions à la maison
quand une voiture s’est arrêtée près de nous. Un groupe d’hommes, des non-Roms,
sont sortis de la voiture et nous ont abordés sur la rue. Ils portaient tous un
pantalon de camouflage et une casquette de baseball, ce qui ne semblait pas
normal. Ils nous ont abreuvés de paroles racistes et agressives, nous menaçant
même de mort. L’un d’eux a bousculé Frida, la qualifiant de sale pute gitane.
Ils nous ont également craché dessus. Par leur apparence et leur comportement,
nous craignions qu’ils aient été membres du Jobbik ou de la Garde hongroise.
Nous étions si effrayés par l’incident que nous sommes allés au poste de police
pour porter plainte. La police nous a dit qu’il ne valait pas la peine d’établir
un rapport, parce que nous ne pouvions confirmer qu’il y avait eu des témoins.
Ayant entendu parler d’autres Roms qui ont demandé l’aide de la police sans qu’il
y ait eu de suite, nous avons pensé que cela ne ferait aucune différence si
nous portions plainte auprès d’une autorité supérieure.
11. Les Roms sont persécutés de multiples façons dans notre pays. Nos expériences personnelles sont confirmées par les médias. Après l’agression contre ma famille dans la rue, nous sommes devenus si craintifs pour notre sécurité et abattus par les persécutions constantes dont nous faisions l’objet quotidiennement en Hongrie que nous avons décidé de partir. Il nous a fallu du temps pour réunir suffisamment d’argent et acheter des billets d’avion pour le Canada et obtenir nos passeports. Nous sommes partis pour le Canada dès que nous avons pu le faire.
(Exposé circonstancié dans le FRP de Laszlo Hanko, dossier du tribunal, aux pages 29 et 30)
[4] La position des demandeurs, devant la SPR et dans le cadre de la présente demande de contrôle, est que les éléments de preuve de discrimination constante et de plus en plus grave ainsi que de persécution à l’endroit des Roms en Hongrie constituent une preuve claire et convaincante réfutant la présomption de la protection de l’État dans ce pays. Sur cette base, les demandeurs ont soutenu devant la SPR que, bien qu’ils se soient adressés à la police pour obtenir la protection de l’État, ils n’ont pris aucune autre mesure en ce sens, parce que, selon la preuve, la protection de l’État n’aurait pu être assurée (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689).
II. La reconnaissance, par la SPR, de la persécution et de la discrimination subies
[5] Dans les paragraphes qui suivent, tirés de la décision en cause, la SPR a reconnu qu’en Hongrie, les Roms faisaient l’objet de persécutions et de discrimination constantes de plus en plus graves, et a précisé le problème central qui en résultait :
[9] Selon les documents les plus récents de la Commission, les conditions de vie des Roms se sont détériorées. Dans un rapport sur sa mission de mai 2011 en Hongrie, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée a écrit que la situation des Roms ne s’était pas améliorée au cours des dernières années, mais qu’elle s’était plutôt aggravée. D’après la Société pour les peuples menacés, organisation indépendante de défense des droits de la personne en Allemagne, les Roms en Hongrie sont « sciemment méprisés par la majorité de la population et poussés en marge de la société [alors que les] attitudes anti Roms [précédemment] dissimulées deviennent plus exposées ».
[…]
[11] Le tribunal ferait preuve de négligence s’il ne reconnaissait pas et ne prenait pas en compte les renseignements contenus dans la documentation qui font état d’incidents répandus d’intolérance, de discrimination et de persécution envers les Roms en Hongrie, comme il a été mentionné précédemment.
[12] Parmi les autres difficultés en matière de droits de la personne survenues au cours de l’année, il faut mentionner l’usage d’une force excessive par les policiers contre les suspects, particulièrement les suspects roms. Selon de multiples sources, la Garde hongroise et d’autres organisations d’extrême droite ont tenu des manifestations partout au pays dans le but d’attiser [traduction] « les préjugés contre les Roms ». Les groupes ont organisé les manifestations sous prétexte de protéger les Hongrois contre ce qu’ils ont appelé la [traduction] « terreur tzigane » ou la [traduction] « criminalité tzigane ». Des manifestations anti-Roms auraient également été organisées par des membres du parti Jobbik et de la Garde hongroise dans des localités rurales pour « intimider les Roms ».
[13] Le tribunal a examiné la preuve documentaire et il estime qu’elle révélait que les comportements de certains Hongrois, y compris des personnes en position d’autorité, à l’endroit des Roms sont discriminatoires et préjudiciables. Il ressort clairement de la preuve documentaire que cette attitude a pour effet de marginaliser les Roms. Les Roms sont généralement sous employés et peu instruits; nombre d’entre eux habitent des logements modestes, et ils sont actuellement exposés à des actes de violence commis par des groupes radicaux qui trouvent un certain appui dans la population en général. Les Roms en Hongrie sont « sciemment méprisés par la majorité de la population et poussés en marge de la société [alors que les] attitudes anti Roms [précédemment] dissimulées deviennent plus exposées ». Selon la preuve documentaire, des groupes d’extrême droite incitent souvent à la persécution et commettent fréquemment des actes de persécution, notamment des membres de la Garde hongroise, aujourd’hui dissoute, qui ont continué leurs activités sous différents noms et au sein d’organisations nouvellement créées. En outre, le parti de droite Jobbik se nourrit des opinions de ses électeurs, ce qui contribue à la discrimination contre les Roms et à leur persécution. Selon des sources, le Jobbik est un parti politique « d’extrême droite » ayant des racines nationalistes et un programme fortement anti-Roms et antisémite. Des sources affirment que la popularité de la Garde hongroise ainsi que la campagne du parti contre la soi‑disant « criminalité tzigane » ont grandement contribué à la croissance du parti Jobbik. Par ailleurs, bien qu’il semble y avoir eu une certaine surprise devant le succès relatif du parti Jobbik aux dernières élections nationales, où il est arrivé au troisième rang avec près de 17 p. 100 des votes, la preuve documentaire révèle également que le soutien au parti Jobbik a chuté en avril 2011; 13 p. 100 des électeurs étant alors susceptibles de voter pour lui. En août 2011, il obtenait 15 p. 100 des intentions de vote. Pour regagner des appuis, le parti Jobbik a renouvelé sa campagne contre les Roms au moyen de rassemblements dans des villages partout au pays.
[14] C’est dans ce contexte, et en examinant les circonstances particulières de l’affaire, que le tribunal doit établir si le demandeur d’asile en l’espèce peut bénéficier d’une protection de l’État adéquate en Hongrie.
[Non souligné dans l’original; renvois omis.]
III. Le traitement, par la SPR, des éléments de preuve de discrimination et de persécution
[6] Dans les paragraphes qui suivent de la décision, la SPR expose brièvement les motifs pour lesquels elle a rejeté la contre‑preuve produite par les demandeurs :
[25] La Commission reconnaît qu’il y a certaines incohérences entre plusieurs sources figurant dans la preuve documentaire; toutefois, les éléments de preuve objectifs en ce qui concerne la situation actuelle dans le pays laissent croire que, même si elle n’est pas parfaite, la protection de l’État offerte par la Hongrie aux Roms victimes de crimes, d’abus de pouvoir de la part des policiers, de discrimination et de persécution est adéquate, que la Hongrie fait de sérieux efforts pour régler ces problèmes et mettre en œuvre des mesures sur le terrain ou à l’échelon local, et que les policiers et les représentants du gouvernement veulent et peuvent protéger les victimes.
[…]
[30] Compte tenu de ce qui précède, une lecture objective de la preuve documentaire révèle que les critiques à l’égard du traitement réservé aux Roms en Hongrie sont justifiées, en particulier dans le contexte des normes que les autres États membres de l’Union européenne respectent en matière de droits de la personne. Dans ce contexte particulier, le fait de dire que la protection de l’État en Hongrie n’est pas parfaite serait un euphémisme. Quoi qu’il en soit, il incombe au demandeur d’asile principal en l’espèce de réfuter la présomption selon laquelle une protection adéquate de l’État est offerte en Hongrie. Le tribunal a démontré que le gouvernement central est motivé et disposé à mettre en œuvre des mesures afin de protéger les Roms, et il a fourni des exemples précis de leur application sur le terrain. Le tribunal a prouvé que les demandeurs d’asile disposent de recours s’ils ne sont pas satisfaits de la réponse des policiers du premier palier ou à la première occurrence.
[31] Même s’il est reconnu que la preuve documentaire contient des éléments divergents, dans les circonstances particulières de l’espèce, le demandeur d’asile principal n’a pas démontré que la protection de l’État en Hongrie est inadéquate et qu’il n’avait nul besoin de s’adresser aux autorités ou de faire tous les efforts raisonnables pour solliciter la protection de l’État dans son pays d’origine, par exemple le fait de demander l’aide de personnes d’une instance supérieure ou de porter plainte à des organismes dotés d’un pouvoir de surveillance, comme l’ombudsman des minorités ou l’IPCB, avant de demander la protection internationale au Canada. Selon les documents de la Commission, dans les faits, ces organismes de plainte reçoivent les plaintes, tirent leurs conclusions et en font part aux autorités compétentes afin que celles-ci agissent (bien que le nombre de règlements finaux de ces plaintes en faveur du plaignant semble relativement faible, il ne s’agit pas d’une question que le tribunal doit trancher, puisqu’il n’a pas été saisi des faits qui concernent ces cas, mais seulement des chiffres signalés).
[32] Par conséquent, en ce qui concerne l’ensemble de la preuve dont dispose le tribunal, bien qu’il existe des éléments de preuve démontrant que les policiers commettent encore des abus contre certaines personnes, y compris les Roms, la preuve révèle également qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités agissent dans de tels cas, que les policiers peuvent et veulent protéger les Roms et que des organisations ont été mises sur pied afin de veiller à ce que les policiers répondent de leurs actes. Par conséquent, compte tenu des faits en l’espèce, la présomption d’une protection adéquate de l’État en Hongrie n’a pas été réfutée.
[…]
[41] Par conséquent, après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve, le tribunal estime que le demandeur d’asile principal, vu les faits en l’espèce, n’a pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, et qu’il n’a pas déployé tous les efforts raisonnables, dans les circonstances, en vue d’obtenir cette protection avant de présenter une demande d’asile. Par conséquent, le tribunal n’est pas convaincu que la protection de l’État de la Hongrie ne serait pas raisonnablement assurée au demandeur d’asile s’il en faisait la demande.
[Non souligné dans l’original; renvois omis.]
IV. L’argumentation de l’avocate des demandeurs
[7] L’essentiel de l’argumentation soigneusement préparée par l’avocate des demandeurs est que la SPR a omis de traiter de la substance de la demande d’asile : si les demandeurs doivent retourner en Hongrie, les souffrances qu’ils ont connues par le passé se reproduiront très certainement à l’avenir. C’est-à-dire qu’il existe plus qu’une simple possibilité que, s’ils retournent, ils subiront la persécution simplement parce qu’ils sont des Roms, et, malgré certains efforts dans le sens de la protection des Roms, l’État n’a pas encore mis en place de moyens adéquats pour gérer cette réalité sur le terrain. Je trouve que cet argument est convaincant.
[8] Au paragraphe 31 de la décision citée ci-dessus, la SPR dit s’être attendue à ce que les demandeurs soient allés plus loin qu’un signalement à la police et à ce qu’ils aient déclaré la chose à une instance gouvernementale qui n’offre pas vraiment la protection, mais simplement reçoit les plaintes et publie des rapports statistiques. Il semble que le point soulevé par la SPR est qu’il découlerait un avantage réaliste si les demandeurs faisaient plus pour obtenir la protection de l’État. À mon avis, cette attente est non fondée dans les circonstances. Compte tenu des éléments de preuve de la nature systémique bien comprise de la discrimination contre les Roms et de la persécution qu’ils subissent, faire ce genre de déclaration n’aurait pu, de manière réaliste et raisonnable, faire en sorte que les demandeurs bénéficient de la moindre protection supplémentaire.
[9] La surveillance réelle par la police, sa présence physique et ses interventions immédiates pour faire enquête et prendre des mesures en cas de commission de crime et lorsque survient un crime peuvent être considérées comme étant une protection adéquate de l’État sur le terrain. Il est vrai que même le corps policier le mieux formé, le plus sensibilité et le plus motivé pourrait ne pas arriver à temps, mais le critère des « efforts sérieux » ne sera rempli que s’il est établi que la capacité et l’expertise du corps policier sont suffisamment au point pour le rendre apte à prendre véritablement les moyens requis, de façon crédible, tant du point de vue de la victime concernée que de celui de la collectivité visée (voir : Garcia c Canada (MCI), 2007 CF 79, au paragraphe 16). De toute évidence, dans le cas présent, il n’existe pas cette volonté et cette capacité de protection à laquelle les Roms pourraient faire appel en Hongrie.
[10] À mon avis, le fait de consentir des efforts embryonnaires pour gérer le problème sociétal sans conteste énorme et constant de racisme actif contre les Roms en Hongrie ne peut être interprété comme étant l’offre d’une protection adéquate sur le terrain, comme le soutient la SPR.
[11] Je souscris à l’analyse du juge O’Keefe dans Kumati c Canada, 2012 CF 1519, où il explique ce que suppose la protection adéquate de l’État. Même si la citation qui suit vise la protection de l’État au Guyana, elle invoque la même approche que celle adoptée par la SPR dans la présente affaire :
[27] […] la « protection adéquate » et les « sérieux efforts pour protéger [les] citoyens » sont deux choses différentes. L’une concerne la question de savoir si la protection est effectivement assurée dans un pays donné, tandis que les autres ne nous renseignent que sur celle de savoir si l’État a pris des mesures afin de garantir cette protection.
[28] C’est une maigre consolation pour la personne qui craint d’être persécutée que son État ait fait des efforts pour la protéger si ceux‑ci ne sont pas ou guère suivis d’effet. C’est pourquoi la Commission doit évaluer dans sa réalité empirique le caractère adéquat de la protection de l’État.
[…]
[34] Même en exerçant toute la retenue que commandent les résultats de l’examen de la preuve par la Commission, j’estime que son erreur dans l’énonciation du critère juridique applicable à la protection de l’État se retrouve dans sa conclusion selon laquelle la preuve est « contradictoire ». En fait, la preuve concernant la situation au Guyana se compose de deux catégories d’éléments : 1) des passages déclarant sans ambiguïté que la protection de l’État est inadéquate, et 2) la description de divers efforts déployés par l’État guyanien.
[…]
[39] Il est évident, si on analyse la protection de l’État suivant le critère voulu, que les « sérieux efforts » énumérés plus haut ne suffisent pas établir le caractère adéquat de la protection de l’État. Une loi inscrite au code ou un cours de formation pour les policiers n’ont pas nécessairement pour effet la garantie d’une protection adéquate. Les éléments de preuve qui concernent vraiment le caractère adéquat de la protection de l’État sont ceux qui permettent de répondre aux questions de savoir si une loi donnée est effectivement appliquée de manière à protéger les citoyens ou si la formation reçue par les policiers a entraîné un changement réel de leur comportement.
[12] En tant qu’exemple précis de la disponibilité actuelle de la protection de l’État pour les Roms en Hongrie, la SPR a recours à la citation suivante :
[22] En ce qui concerne les instructions de la Cour selon lesquelles les efforts déployés pour offrir la protection de l’État doivent, dans les faits, avoir engendré une protection adéquate de l’État, le tribunal a examiné un rapport de mars 2011 du Centre européen des droits des Roms (ERRC), qui fournit des renseignements sur les progrès réalisés dans 22 cas où des Roms ont été victimes d’agressions en 2008 et en 2009 en Hongrie. Les résultats suivants ont été observés :
• dans six cas, l’enquête de la police a été suspendue, car aucun suspect n’a été identifié;
• dans un cas, l’enquête de la police a été suspendue faute de crime;
• une enquête pour faux témoignage a été ouverte sur les prétendues victimes;
• dans 12 cas, les poursuites judiciaires étaient en instance;
• dans un cas, l’auteur a été reconnu coupable et condamné à 11 ans d’emprisonnement;
• dans deux cas, aucun renseignement n’était disponible.
D’après ces renseignements provenant de l’ERRC, des éléments de preuve donnent à penser que les policiers ont fait enquête relativement aux incidents susmentionnés et qu’ils ont tiré des conclusions précises de ces enquêtes, ce qui atteste l’existence de la protection de l’État sur le terrain.
[Renvois omis.]
[13] En ce qui a trait à cet exemple, l’avocate des demandeurs formule un argument convaincant touchant la mauvaise utilisation d’éléments de preuve que la SPR a considérés comme essentiels, lesquels viennent juste d’être cités :
[traduction]
20. Tout d’abord, je soutiens qu’il est tout simplement faux de déclarer qu’une condamnation sur 22 cas constitue une preuve concluante de protection adéquate de l’État. De la même façon, cet élément ne fait état que de la protection policière à l’égard d’assassinats en série très médiatisés et ne traite pas de la protection de la police contre les criminels de droit commun ou les racistes que les demandeurs craignent dans le cas présent.
21. Facteur plus important, par contre, la citation est prise entièrement hors du contexte du rapport initial. Plus particulièrement, le paragraphe qui précède directement la ventilation des cas précise ceci :
L’ERRC affirme que les autorités de l’État ne sont pas efficaces pour répondre à la violence faite aux Roms (15 févr. 2012). The Irish Times précise dans un article du 25 février 2009 que le ministre de la Justice a admis que la force policière en Hongrie [traduction] « ne réussit pas à trouver les responsables d’un nombre croissant d’attaques » contre des Roms.
Dossier certifié du tribunal, à la page 332.
22. En outre, dans le rapport même de l’ERRC où sont examinés les 22 cas mentionnés, l’organisme conclut ceci à propos des Roms de la République tchèque, de la Slovakie et de la Hongrie :
[traduction]
L’échec des autorités chargées de l’application de la loi d’identifier les auteurs de crimes contre les Roms dans un nombre considérable d’enquêtes crée un climat d’impunité et peut encourager la commission d’autres actes de violence contre les Roms. Le fait que les tribunaux n’aient prononcé que des condamnations avec sursis à l’égard des personnes déclarées coupables de crimes graves contre les Roms renforce cette atmosphère. La reconnaissance de motivations racistes dans un aussi petit nombre de cas peut être la preuve du peu d’importance accordée aux circonstances aggravantes des crimes commis et pourrait ne pas rendre compte pleinement de la nature des agressions commises contre les Roms.
Dossier certifié du Tribunal, à la page 471.
23. Élément encore plus convaincant, [la juge Strickland de] la Cour a récemment conclu que la Commission fait erreur en citant le passage qui précède de l’ERRC pour conclure à une protection adéquate de l’État à l’égard des Roms. Plus particulièrement, la Cour a conclu :
[7] […] La Commission a examiné de façon isolée un extrait d’un rapport de mars 2011 du Centre européen des droits des Roms (European Roma Rights Centre – ERRC; le rapport de l’ERRC) cité dans la réponse à la demande d’information HUN104110.EF (16 juillet 2012), Hongrie : information sur le traitement réservé aux Roms et les efforts déployés par l’État pour les protéger (le document Hongrie : information sur le traitement des Roms et les efforts déployés par l’État pour les protéger), qui fait partie du cartable national de documentation (CND). L’extrait porte sur 22 des [traduction] « plus violentes attaques contre les Roms signalées à la police » entre 2008 et 2010. Ces attaques, à la suite desquelles il y a eu sept décès, des personnes gravement blessées et des maisons endommagées, ont fait l’objet d’enquêtes et certaines accusations ont été portées. La Commission a conclu que cela attestait de l’existence d’une protection de l’État sur le plan opérationnel. Toutefois, la preuve concernant les mesures prises par la police pour réagir à des meurtres en série connus de tous et largement médiatisés ne donne pas vraiment une idée de la façon dont la police traite les criminels qui ressortent moins du lot, ainsi que le mentionne le juge Zinn dans la décision Orgona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1438, au paragraphe 13.
[8] En outre, selon le rapport de l’ERRC, il est rare que les personnes à l’origine d’attaques violentes contre des Roms soient identifiées, fassent l’objet d’une enquête et soient poursuivies. Un nombre encore plus restreint d’agresseurs sont emprisonnés. Dans un seul des 22 cas examinés, l’auteur a été reconnu coupable. Si ces données peuvent, dans une certaine mesure, témoigner de l’existence d’une protection de l’État sur le plan opérationnel, la situation des demandeurs, qui font l’objet de discrimination tous les jours comme bon nombre de Roms, n’est pas la même que celle des victimes des attaques décrites par la Commission. De plus, dans le document Hongrie : information sur le traitement des Roms et les efforts déployés par l’État pour les protéger, on mentionne que, dans un rapport publié en 2012, l’ERRC affirme que « les autorités de l’État ne sont pas efficaces pour répondre à la violence faite aux Roms ». On y mentionne également que, dans un article publié le 25 février 2009, le Irish Times précise que « le ministre de la Justice a admis que la force policière en Hongrie [traduction] “ne réussit pas à trouver les responsables d’un nombre croissant d’attaques” contre des Roms ».
[Souligné dans l’original.]
Marosi c Canada (MCI) (26 novembre 2013) Toronto, IMM‑1675‑13 (CF);
24. Ainsi, l’information utilisée par le commissaire à l’appui de sa conclusion selon laquelle l’État offre une protection adéquate démontre plutôt le contraire. C’est-à-dire que la police n’a pas réagi de façon adéquate aux agressions contre les Roms, ce qui a conduit à un climat d’impunité.
[14] À tous égards, je souscris à l’argumentation de l’avocate des demandeurs.
V. Conclusion
[15] À mon avis, il n’y a pas de logique claire liant l’abondance des éléments de preuve que l’État hongrois n’offre pas de protection adéquate aux Roms sur le terrain à la conclusion de la SPR selon laquelle il le fait. Le raisonnement aboutissant à cette conclusion est inintelligible. Par conséquent, je juge que la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de la protection de l’État n’est pas raisonnable et que la décision faisant l’objet du contrôle ne peut se justifier au regard des faits et du droit.
ORDONNANCE
La décision faisant l’objet du contrôle est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Douglas R. Campbell »
Juge
Traduction certifiée conforme
C. Laroche
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DoSSIER : |
IMM-1789-13 |
INTITULÉ : |
LASZLO HANKO, LILIANA FRIDA HANKO, FRIDA KRAJCZAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 7 MAI 2014
|
ORDONNANCE ET MOTIFS : |
LE JUGE CAMPBELL
|
DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS : |
LE 15 MAI 2014 |
COMPARUTIONS :
Meera Budovitch
|
POUR LES DEMANDEURS
|
Balqees Mihiriq
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Patricia Wells Immigration Lawyers Avocats Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR
|