Dossier : T-2058-12
Référence : 2014 CF 161
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 16 février 2015
En présence de Me Kevin R. Aalto, protonotaire
ENTRE : |
VOLTAGE PICTURES LLC |
demanderesse |
et |
M. UNTEL et MME UNETELLE |
défendeurs |
et |
LA CLINIQUE D’INTÉRÊT PUBLIC ET DE POLITIQUE D’INTERNET DU CANADA SAMUELSON-GLUSHKO |
Intervenante |
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE MODIFIÉS
[traduction]
« [. . .] le nombre croissant de ce qu’on appelle les « pêcheurs à la traîne de droits d’auteur » − des demandeurs qui déposent des multitudes d’actions uniquement en vue d’extorquer des règlements rapides – oblige les cours à s’assurer qu’il n’y ait pas abus du processus judiciaire non plus que de leurs ressources restreintes ».[1]
INTRODUCTION
[1] Les personnes qui téléchargent d’Internet des contenus protégés par droit d’auteur en recourant à un réseau de pairs (P2P) et au protocole BitTorrent (BitTorrent) par l’entremise d’un prestataire de service Internet (PSI) disposent‑elles du droit au respect de la vie privé, de telle sorte que leurs coordonnées ne puissent être révélées à la partie dont le droit d’auteur est enfreint? Si ces personnes enfreignent un droit d’auteur, quelle réparation, le cas échéant, la Cour devrait‑elle imposer? Ce sont là les questions que soulève la présente requête. Quoiqu’à première vue les réponses puissent sembler assez faciles à donner, il s’agit en réalité, vu les questions en jeu, d’établir un juste équilibre entre le droit au respect de la vie privé et les droits des titulaires de droits d’auteur. Cela est d’autant plus vrai lorsque sont en cause la technologie moderne et les utilisateurs d’Internet.
[2] La demanderesse (Voltage) vise essentiellement par le présent recours à obtenir le nom et l’adresse de quelque 2 000 abonnés (les abonnés) d’un PSI connu sous le nom de TekSavvy Solutions Inc. Le type d’ordonnance demandé est souvent désigné une ordonnance de type Norwich[2] – un outil qui permet dans le cadre d’un litige de soumettre des non‑parties à la procédure de communication préalable ou de les obliger à fournir des renseignements.
[3] Voltage veut obtenir le nom et l’adresse des abonnés pour pouvoir les poursuivre pour copie et distribution non autorisées de ses œuvres cinématographiques protégées (les œuvres). L’affaire met en cause des dispositions de la Loi sur le droit d’auteur, LRC, 1985, c C‑42 et de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, c 5 (la LPRPDE).
[4] Par ordonnance de la Cour, la Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada Samuelson-Glushko (la CIPPIC) a été autorisée à intervenir dans le cadre de la présente requête, afin de renforcer le dossier et de présenter des arguments et des éléments de preuve devant aider la Cour à trancher la question en litige et à inscrire en contexte la position tant des abonnés que de Voltage. À cette fin, la CIPPIC a produit une preuve par affidavit et elle a contre‑interrogé le déposant principal pour le compte de Voltage. La CIPPIC a également produit de longues observations écrites. TekSavvy, le PSI, n’a pas pris position dans le cadre de la présente requête.
[5] La CIPPIC a fait valoir divers motifs d’opposition à la requête de Voltage. Elle soutient que la nécessité de protéger la vie privée ainsi que l’intérêt général de la justice devraient prévaloir dans les circonstances particulières de la présente affaire.
[6] La CIPPIC soutient, plus particulièrement, que les motifs véritables d’agir de Voltage ne découlent pas des droits dont elle peut être titulaire en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42. La CIPPIC qualifie Voltage ainsi que Canipre Inc. (Canipre), la société d’enquête judiciaire dont Voltage a retenu les services pour trouver le nom des abonnés concernés, de [traduction] « pêcheurs à la traîne de droits d’auteur » qui s’adonnent à la [traduction] « facturation hypothétique » et qui tentent d’obtenir des règlements faciles en intimidant les gens au moyen de mises en demeure et de menaces de poursuites. Elle affirme que les coûts et la stigmatisation associés à un litige, et l’incertitude quant son résultat, poussent la plupart des personnes visées à payer, qu’ils aient véritablement ou non copié et distribué sans autorisation des films sur Internet. La CIPPIC met la Cour en garde de ne pas devenir, par inadvertance, un instrument au service des parties qui recourent à ce type de modèle commercial.
LES FAITS
[7] On a produit dans le cadre de la requête une importante preuve par affidavit et de volumineux mémoires. Voltage a déposé l’affidavit de Barry Logan (l’affidavit de M. Logan), le propriétaire et principal expert‑conseil judiciaire de Canipre. Voltage a également produit deux affidavits de John Philpott (les affidavits de M. Philpott), un avocat du cabinet représentant Voltage, qui a joint un affidavit de Michael Wickstrom, de chez Voltage, ainsi qu’un affidavit de Mathias Gartner, un expert en technologie de l’information. La CIPPIC a elle aussi produit en preuve un affidavit de Timothy Lethbridge (l’affidavit de M. Lethbridge), traitant également de questions techniques liées à Internet, ainsi qu’un affidavit d’Alexander Cooke (l’affidavit de M. Cooke), un étudiant en droit qui a procédé à des recherches pour repérer des actions pour partage de fichiers intentées par Voltage.
[8] Voltage a demandé la radiation de l’affidavit de M. Lethbridge au motif que ce dernier n’avait pas une connaissance directe des questions en litige, ni n’était un expert dans les domaines à l’égard desquels il émettait des commentaires. Voltage a attiré l’attention sur de longs passages du contre-interrogatoire de M. Lethbridge, afin de démontrer qu’il n’était pas un spécialiste des questions en jeu dans l’affaire non plus que de l’utilisation de BitTorrent. En dernière analyse, toutefois, il convient d’admettre l’affidavit de M. Lethbridge, en tenant compte toutefois des réserves exprimées par Voltage.
[9] Voltage est une entreprise cinématographique qui a notamment produit le film, en nomination aux Oscars, The Hurt Locker. Le deuxième affidavit de M. Philpott témoigne du fait, directement et indirectement par l’entremise de l’affidavit de Michael Wickstrom, que Voltage est bien titulaire de droits d’auteur sur les œuvres.
[10] En 2012, Voltage a retenu les services de Canipre pour qu’elle vérifie si certaines de ses œuvres cinématographiques (les œuvres) étaient copiées et distribuées au Canada par l’intermédiaire de réseaux P2P recourant à BitTorrent.
[11] Il semble que BitTorrent soit un protocole de partage de fichiers P2P qui facilite la distribution d’importants volumes de données sur Internet. TekSavvy, non partie au litige, est un PSI établi au Canada qui offre l’accès à Internet à ses clients.
[12] Le mode de fonctionnement de la technologie en cause semble peu contesté. On désigne sous le nom de « seeding » (ensemencement) le téléchargement d’un fichier vers un réseau BitTorrent. D’autres utilisateurs de réseau P2P, appelés les « pairs », peuvent ensuite se raccorder à l’utilisateur à la source du fichier. BitTorrent fractionne le fichier en de nombreux petits paquets de données, chacun étant identifiable par un numéro de hachage unique créé au moyen d’un algorithme de hachage. Une fois le fractionnement en paquets effectué, d’autres pairs sont en mesure de télécharger différentes sections du même fichier auprès de différents utilisateurs. Chaque nouveau pair voulant procéder à un téléchargement est dirigé vers le paquet le plus accessible. Les pairs copient les fichiers auprès de multiples utilisateurs qui les rendent disponibles sur le réseau BitTorrent. Le pair qui a téléchargé devient lui‑même un seeder (semoir), le paquet de données étant lui‑même distribué à d’autres pairs branchés au réseau BitTorrent. Une fois un paquet téléchargé, les autres utilisateurs du réseau y ont accès.
[13] Voltage a retenu les services de Canipre pour qu’elle procède à une enquête judiciaire sur le téléchargement d’œuvres depuis les réseaux BitTorrent. Le logiciel utilisé à cette fin par Canipre a permis de connaître l’adresse IP de chaque semoir et pair qui a offert l’une quelconque des œuvres pour transfert ou distribution. Il a permis de connaître, en plus de l’adresse IP de l’utilisateur, la date et l’heure de la distribution du fichier, le réseau P2P utilisé, ainsi que les métadonnées du fichier, y compris le nom et la taille du fichier (collectivement, les données sur les fichiers).
[14] On a passé en revue les données sur les fichiers pour ne viser que l’Ontario, au plan géographique, ainsi que les clients de TekSavvy. L’enquête judiciaire a permis de retracer quelque 2000 abonnés, au moyen de l’adresse IP unique que TekkSavvy leur avait assignée.
[15] La CIPPIC apporte des réserves, dans sa preuve, quant à la mesure dans laquelle on peut obtenir de l’information utile d’un PSI. Ainsi, disposer d’une adresse IP ne permet pas nécessairement de connaître l’auteur du téléchargement d’une œuvre. Au moyen d’un réseau WiFi ouvert et non protégé par un mot de passe, par exemple, tout tiers quelconque pourrait établir une connexion pour téléchargement par l’entremise d’un client de BitTorrent. Il en est fréquemment ainsi dans des endroits tels que les cybercafés. Le violateur particulier d’un droit d’auteur peut ainsi être impossible à identifier.
[16] Aux États‑Unis, Voltage a l’habitude des instances introduites pour partage de fichiers telles que celle qui nous occupe. Si l’on en croit l’affidavit de M. Cooke, Voltage est inscrite comme demanderesse dans 22 actions de cette nature devant l’appareil judiciaire fédéral américain. L’on a affaire dans la majorité des cas à des présumés violateurs inconnus. Le nombre total de ces derniers est d’environ 28 000.
POSITIONS DES PARTIES À LA REQUÊTE
[17] Comme il n’y a pas de défendeur « réel » dans la présente procédure, mis à part les M. Untel et Mme Unetelle désignés, aucune partie ne pouvait faire opposition à la requête. La CIPPIC a donc demandé et obtenu la qualité d’intervenante, et elle a fait valoir ses arguments à l’encontre de l’octroi de l’ordonnance recherchée par Voltage.
Position de Voltage
[18] La position de Voltage est relativement simple dans le cadre de la présente requête : les abonnés identifiés ont violé ses droits d’auteur en téléchargeant ou distribuant les œuvres, et ils sont donc susceptibles prima facie d’être tenus responsables de violation sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur. La Cour devrait donc ordonner à TekSavvy de produire les coordonnées de ces abonnés, qui sont tous d’éventuels défendeurs dans la présente action.
[19] Voltage s’appuie principalement sur BMG Canada Inc. c Doe, 2005 CAF 193 (BMG) (analysé plus en détail par la suite) pour soutenir qu’elle‑même respectant tous les principes énoncés dans cet arrêt, il faudrait ordonner à TekSavvy de communiquer toute l’information dont elle dispose sur les abonnés. Il convient de noter que Voltage a aussi soutenu qu’elle avait pleinement l’intention d’aller à procès avec les abonnés.
Position de la CIPPIC
[20] La thèse de la CIPPIC est que TekSavvy ne devrait divulguer aucune information, comme cela porterait atteinte au droit au respect de la vie privée des abonnés, et pourrait restreindre la portée de la protection dont jouissent les activités anonymes en ligne.
[21] Elle soutient que d’importantes questions de politique publique sont ici en cause, au croisement du droit et de la technologie, et que la Cour doit les examiner et les soupeser avec soin avant d’ordonner à des tiers de révéler des renseignements confidentiels. Selon la CIPPIC, la portée d’une demande telle que celle faite à la Cour pourrait s’étendre, par‑delà les simples violateurs de droits d’auteur, à l’obtention d’information sur les dénonciateurs et sur les sources confidentielles de documents ayant l’objet d’une fuite dans l’intérêt public.
[22] La CIPPIC fait valoir à ce titre que le droit au respect de la vie privée est implicitement garanti aux articles 7 et 8 de la Charte des droits et libertés. De la sorte, la Cour ne devrait pas astreindre à la légère des tiers innocents à une communication de renseignements brisant des attentes légitimes en matière de vie privée, sans nécessairement, dans un environnement technologique en mutation rapide, permettre d’obtenir de l’information véridique sur le comportement illicite visé.
[23] La CIPPIC fait valoir qu’au vu de la jurisprudence en pleine évolution dans d’autres pays, particulièrement aux États‑Unis et au Royaume‑Uni, les tribunaux canadiens ne devraient pas rapidement délivrer le type d’ordonnance demandé sans d’abord se pencher sur l’objectif véritable de la partie qui sollicite l’information.
[24] La CIPPIC soutient que ce type de litige ne constitue en fait qu’un modèle commercial visant à soutirer de l’argent aux personnes qui ne veulent pas acquitter les frais d’une défense, et préfèrent verser un certain montant à une entité telle que Voltage plutôt que de payer des honoraires d’avocats, . On s’est penché sur ce type de stratégie commerciale dans les autres pays mentionnés (tel qu’il sera précisé par la suite). La Cour ne devrait donc pas être un instrument involontaire aux mains des [traduction] « pêcheurs à la traîne de droits d’auteur ».
[25] Il convient toutefois de noter qu’aux fins de la présente requête, il ne s’agit pas d’établir si solliciter des renseignements de TekSavvy fait ou non de Voltage un [traduction] « pêcheur à la traîne de droits d’auteur ». La seule question en litige est de savoir s’il est satisfait au critère applicable, selon la jurisprudence, pour délivrer une ordonnance de type Norwich.
Dispositions législatives applicables
[26] Avant d’examiner les questions soulevées par les parties, il sera utile de reproduire les dispositions législatives et les règles mises en cause par la présente requête.
[27] Premièrement, la Cour peut, en vertu de l’article 238 des Règles des Cours fédérales, autoriser qu’on procède à l’interrogatoire préalable de non‑parties à une action :
Interrogatoire d’un tiers 238. (1) Une partie à une action peut, par voie de requête, demander l’autorisation de procéder à l’interrogatoire préalable d’une personne qui n’est pas une partie, autre qu’un témoin expert d’une partie, qui pourrait posséder des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l’action. Signification de l’avis de requête (2) L’avis de la requête visée au paragraphe (1) est signifié aux autres parties et, par voie de signification à personne, à la personne que la partie se propose d’interroger. Signification de l’avis de requête (3) Par suite de la requête visée au paragraphe (1), la Cour peut autoriser la partie à interroger une personne et fixer la date et l’heure de l’interrogatoire et la façon de procéder, si elle est convaincue, à la fois : a) que la personne peut posséder des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l’action; b) que la partie n’a pu obtenir ces renseignements de la personne de façon informelle ou d’une autre source par des moyens raisonnables; c) qu’il serait injuste de ne pas permettre à la partie d’interroger la personne avant l’instruction; d) que l’interrogatoire n’occasionnera pas de retards, d’inconvénients ou de frais déraisonnables à la personne ou aux autres parties. |
Examination of non-parties with leave 238. (1) A party to an action may bring a motion for leave to examine for discovery any person not a party to the action, other than an expert witness for a party, who might have information on an issue in the action. Personal service on non-party (2) On a motion under subsection (1), the notice of motion shall be served on the other parties and personally served on the person to be examined. Where Court may grant leave (3) The Court may, on a motion under subsection (1), grant leave to examine a person and determine the time and manner of conducting the examination, if it is satisfied that (a) the person may have information on an issue in the action; (b) the party has been unable to obtain the information informally from the person or from another source by any other reasonable means; (c) it would be unfair not to allow the party an opportunity to question the person before trial; and (d) the questioning will not cause undue delay, inconvenience or expense to the person or to the other parties. |
[28] On le précisera plus loin, le paragraphe 238(3) des Règles concorde étroitement avec les principes énoncés dans BMG.
[29] Les deux lois applicables en l’espèce sont la Loi sur le droit d’auteur et la LPRPDE. Les parties à la présente requête en invoquent les dispositions suivantes :
Loi sur le droit d’auteur, L.R.C., 1985, c C-42
Violation du droit d’auteur : responsabilité 35. (1) Quiconque viole le droit d’auteur est passible de payer, au titulaire du droit qui a été violé, des dommages-intérêts et, en sus, la proportion, que le tribunal peut juger équitable, des profits qu’il a réalisés en commettant cette violation et qui n’ont pas été pris en compte pour la fixation des dommages-intérêts. Détermination des profits (2) Dans la détermination des profits, le demandeur n’est tenu d’établir que ceux provenant de la violation et le défendeur doit prouver chaque élément du coût qu’il allègue. L.R. (1985), ch. C-42, art. 35; 1997, ch. 24, art. 20. Dommages-intérêts préétablis 38.1 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le titulaire du droit d’auteur, en sa qualité de demandeur, peut, avant le jugement ou l’ordonnance qui met fin au litige, choisir de recouvrer, au lieu des dommages-intérêts et des profits visés au paragraphe 35(1), les dommages-intérêts préétablis ci-après pour les violations reprochées en l’instance à un même défendeur ou à plusieurs défendeurs solidairement responsables: a) dans le cas des violations commises à des fins commerciales, pour toutes les violations — relatives à une oeuvre donnée ou à un autre objet donné du droit d’auteur —, des dommages-intérêts dont le montant, d’au moins 500 $ et d’au plus 20 0 $, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence; b) dans le cas des violations commises à des fins non commerciales, pour toutes les violations — relatives à toutes les oeuvres données ou tous les autres objets donnés du droit d’auteur —, des dommages-intérêts, d’au moins 100 $ et d’au plus 5 000 $, dont le montant est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence. Violation du paragraphe 27(2.3) (1.1) La violation visée au paragraphe 27(2.3) ne peut donner droit à l’octroi de dommages-intérêts préétablis à l’égard d’une oeuvre donnée ou à un autre objet donné du droit d’auteur que si le droit d’auteur de l’une ou de l’autre a été violé par suite de l’utilisation des services mentionnés à ce paragraphe. Violation réputée: paragraphe 27(2.3) (1.11) Pour l’application du paragraphe (1), la violation du droit d’auteur visée au paragraphe 27(2.3) est réputée être commise à des fins commerciales. Réserve (1.12) Toutefois, le titulaire du droit d’auteur qui a choisi de recouvrer des dommages-intérêts préétablis auprès de la personne visée au paragraphe (1) pour des violations qu’elle a commises à des fins non commerciales ne pourra pas recouvrer auprès d’elle de tels dommages-intérêts au titre du présent article pour les violations commises à ces fins avant la date de l’introduction de l’instance et qu’il ne lui a pas reprochées dans le cadre de celle-ci. Réserve (1.2) Si un titulaire du droit d’auteur a choisi de recouvrer des dommages-intérêts préétablis auprès de la personne visée au paragraphe (1) pour des violations qu’elle a commises à des fins non commerciales, aucun autre titulaire du droit d’auteur ne pourra recouvrer auprès d’elle de tels dommages-intérêts au titre du présent article pour les violations commises à ces fins avant la date de l’introduction de l’instance. Cas particuliers (2) Dans les cas où le défendeur convainc le tribunal qu’il ne savait pas et n’avait aucun motif raisonnable de croire qu’il avait violé le droit d’auteur, le tribunal peut réduire le montant des dommages-intérêts visés à l’alinéa (1)a) jusqu’à 200 $. Cas particuliers (3) Dans les cas où plus d’une oeuvre ou d’un autre objet du droit d’auteur sont incorporés dans un même support matériel ou dans le cas où seule la violation visée au paragraphe 27(2.3) donne ouverture aux dommages-intérêts préétablis, le tribunal peut, selon ce qu’il estime équitable en l’occurrence, réduire, à l’égard de chaque oeuvre ou autre objet du droit d’auteur, le montant minimal visé à l’alinéa (1)a) ou au paragraphe (2), selon le cas, s’il est d’avis que même s’il accordait le montant minimal de dommages-intérêts préétablis le montant total de ces dommages-intérêts serait extrêmement disproportionné à la violation. Société de gestion (4) Si le défendeur n’a pas payé les redevances applicables en l’espèce, la société de gestion visée à l’article 67 — au lieu de se prévaloir de tout autre recours en vue d’obtenir un redressement pécuniaire prévu par la présente loi — ne peut, aux termes du présent article, que choisir de recouvrer des dommages-intérêts préétablis dont le montant, de trois à dix fois le montant de ces redevances, est déterminé selon ce que le tribunal estime équitable en l’occurrence. Facteurs (5) Lorsqu’il rend une décision relativement aux paragraphes (1) à (4), le tribunal tient compte notamment des facteurs suivants : a) la bonne ou mauvaise foi du défendeur; b) le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle-ci; c) la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question; d) dans le cas d’une violation qui est commise à des fins non commerciales, la nécessité d’octroyer des dommages-intérêts dont le montant soit proportionnel à la violation et tienne compte des difficultés qui en résulteront pour le défendeur, du fait que la violation a été commise à des fins privées ou non et de son effet sur le demandeur. Cas où les dommages-intérêts préétablis ne peuvent être accordés (6) Ne peuvent être condamnés aux dommages-intérêts préétablis : a) l’établissement d’enseignement ou la personne agissant sous l’autorité de celui-ci qui a fait les actes visés aux articles 29.6 ou 29.7 sans acquitter les redevances ou sans observer les modalités afférentes fixées sous le régime de la présente loi; b) l’établissement d’enseignement, la bibliothèque, le musée ou le service d’archives, selon le cas, qui est poursuivi dans les circonstances prévues à l’article 38.2; c) la personne qui commet la violation visée à l’alinéa 27(2)e) ou à l’article 27.1 dans les cas où la reproduction en cause a été faite avec le consentement du titulaire du droit d’auteur dans le pays de production; d) l’établissement d’enseignement qui est poursuivi dans les circonstances prévues au paragraphe 30.02(7) et la personne agissant sous son autorité qui est poursuivie dans les circonstances prévues au paragraphe 30.02(8). Dommages-intérêts exemplaires (7) Le choix fait par le demandeur en vertu du paragraphe (1) n’a pas pour effet de supprimer le droit de celui-ci, le cas échéant, à des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs. |
Liability for infringement 35. (1) Where a person infringes copyright, the person is liable to pay such damages to the owner of the copyright as the owner has suffered due to the infringement and, in addition to those damages, such part of the profits that the infringer has made from the infringement and that were not taken into account in calculating the damages as the court considers just. Proof of profits (2) In proving profits, (a) the plaintiff shall be required to prove only receipts or revenues derived from the infringement; and (b) the defendant shall be required to prove every element of cost that the defendant claims. R.S., 1985, c. C-42, s. 35; 1997, c. 24, s. 20. Statutory damages 38.1 (1) Subject to this section, a copyright owner may elect, at any time before final judgment is rendered, to recover, instead of damages and profits referred to in subsection 35(1), an award of statutory damages for which any one infringer is liable individually, or for which any two or more infringers are liable jointly and severally, (a) in a sum of not less than $500 and not more than $20,000 that the court considers just, with respect to all infringements involved in the proceedings for each work or other subject-matter, if the infringements are for commercial purposes; and (b) in a sum of not less than $100 and not more than $5,000 that the court considers just, with respect to all infringements involved in the proceedings for all works or other subject-matter, if the infringements are for non-commercial purposes. Infringement of subsection 27(2.3) (1.1) An infringement under subsection 27(2.3) may give rise to an award of statutory damages with respect to a work or other subject-matter only if the copyright in that work or other subject-matter was actually infringed as a result of the use of a service referred to in that subsection. Deeming — infringement of subsection 27(2.3) (1,11) For the purpose of subsection (1), an infringement under subsection 27(2.3) is deemed to be for a commercial purpose. Infringements not involved in proceedings (1.12) If the copyright owner has made an election under subsection (1) with respect to a defendant’s infringements that are for non-commercial purposes, they are barred from recovering statutory damages under this section from that defendant with respect to any other of the defendant’s infringements that were done for non-commercial purposes before the institution of the proceedings in which the election was made. No other statutory damages (1.2) If a copyright owner has made an election under subsection (1) with respect to a defendant’s infringements that are for non-commercial purposes, every other copyright owner is barred from electing to recover statutory damages under this section in respect of that defendant for any of the defendant’s infringements that were done for non-commercial purposes before the institution of the proceedings in which the election was made. If defendant unaware of infringement (2) If a copyright owner has made an election under subsection (1) and the defendant satisfies the court that the defendant was not aware and had no reasonable grounds to believe that the defendant had infringed copyright, the court may reduce the amount of the award under paragraph (1)(a) to less than $500, but not less than $200. Special case (3) In awarding statutory damages under paragraph (1)(a) or subsection (2), the court may award, with respect to each work or other subject-matter, a lower amount than $500 or $200, as the case may be, that the court considers just, if (a) either (i) there is more than one work or other subject-matter in a single medium, or (ii) the award relates only to one or more infringements under subsection 27(2.3); and (b) the awarding of even the minimum amount referred to in that paragraph or that subsection would result in a total award that, in the court’s opinion, is grossly out of proportion to the infringement. Collective societies (4) Where the defendant has not paid applicable royalties, a collective society referred to in section 67 may only make an election under this section to recover, in lieu of any other remedy of a monetary nature provided by this Act, an award of statutory damages in a sum of not less than three and not more than ten times the amount of the applicable royalties, as the court considers just. Factors to consider (5) In exercising its discretion under subsections (1) to (4), the court shall consider all relevant factors, including (a) the good faith or bad faith of the defendant; (b) the conduct of the parties before and during the proceedings; (c) the need to deter other infringements of the copyright in question; and (d) in the case of infringements for non-commercial purposes, the need for an award to be proportionate to the infringements, in consideration of the hardship the award may cause to the defendant, whether the infringement was for private purposes or not, and the impact of the infringements on the plaintiff. No award (6) No statutory damages may be awarded against (a) an educational institution or a person acting under its authority that has committed an act referred to in section 29.6 or 29.7 and has not paid any royalties or complied with any terms and conditions fixed under this Act in relation to the commission of the act; (b) an educational institution, library, archive or museum that is sued in the circumstances referred to in section 38.2; (c) a person who infringes copyright under paragraph 27(2)(e) or section 27.1, where the copy in question was made with the consent of the copyright owner in the country where the copy was made; or (d) an educational institution that is sued in the circumstances referred to in subsection 30.02(7) or a person acting under its authority who is sued in the circumstances referred to in subsection 30.02(8). Exemplary or punitive damages not affected (7) An election under subsection (1) does not affect any right that the copyright owner may have to exemplary or punitive damages. |
[30] Ces articles de la Loi sur le droit d’auteur constituent un code complet du recouvrement des dommages‑intérêts en cas de violation du droit d’auteur. Voltage soutient qu’elle a démontré disposer d’une véritable cause d’action en violation du droit d’auteur et qu’elle a le droit de poursuivre les violateurs présumés en dommages‑intérêts sur le fondement de ces articles.
[31] Les articles pertinents de la LPRPDE sont les suivants :
Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, c 5
Communication à l’insu de l’intéressé et sans son consentement 7. (3) Pour l’application de l’article 4.3 de l’annexe 1 et malgré la note afférente, l’organisation ne peut communiquer de renseignement personnel à l’insu de l’intéressé et sans son consentement que dans les cas suivants: […] c) elle est exigée par assignation, mandat ou ordonnance d’un tribunal, d’une personne ou d’un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements ou exigée par des règles de procédure se rapportant à la production de documents; […] i) elle est exigée par la loi. […] Communication sans le consentement de l’intéressé (5) Malgré l’article 4.5 de l’annexe 1, l’organisation peut, dans les cas visés aux alinéas (3)a) à h.2), communiquer un renseignement personnel à des fins autres que celles auxquelles il a été recueilli. |
Disclosure without knowledge or consent 7. (3) For the purpose of clause 4.3 of Schedule 1, and despite the note that accompanies that clause, an organization may disclose personal information without the knowledge or consent of the individual only if the disclosure is […] (c) required to comply with a subpoena or warrant issued or an order made by a court, person or body with jurisdiction to compel the production of information, or to comply with rules of court relating to the production of records; […] (i) required by law. […] Disclosure without consent (5) Despite clause 4,5 of Schedule 1, an organization may disclose personal information for purposes other than those for which it was collected in any of the circumstances set out in paragraphs (3)(a) to (h.2). |
[32] La CIPPIC fait valoir ces dispositions de la LPRPDE pour soutenir que la Cour devrait bien réfléchir avant de prescrire la communication de tout renseignement concernant les abonnés. TekSavvy peut procéder à une telle divulgation si elle est « exigée par la loi ».
QUESTIONS EN LITIGE
[33] Faut‑il délivrer une ordonnance accordant à Voltage, afin d’obtenir les coordonnées des abonnés, le droit de procéder à l’interrogatoire préalable de TekSavvy en tant que non‑partie?
[34] Si une telle ordonnance est rendue, de quelles mesures de protection doit‑on l’assortir pour protéger le droit au respect de la vie privée des utilisateurs d’Internet, ou pour réduire au minimum l’atteinte à ce droit?
[35] Tel qu’on y a déjà fait allusion et qu’on l’examinera plus longuement par la suite, la décision d’octroyer ou non une ordonnance de type Norwich dans une situation comme la nôtre met en jeu d’importantes considérations de politique générale contradictoires. Une telle ordonnance constitue un recours extraordinaire de nature discrétionnaire. Pour les motifs que je vais exposer, et comme Voltage a démontré disposer d’une véritable demande en violation du droit d’auteur, toutefois, la Cour va rendre une ordonnance de type Norwich. L’ordonnance sera assortie de conditions visant à protéger le droit au respect de la vie privée des intéressés, et à faire en sorte qu’on n’utilise pas le processus judiciaire au profit d’un modèle commercial ayant pour objet de forcer des personnes innocentes à verser de l’argent pour éviter d’être poursuivies.
ANALYSE
[36] Une jurisprudence s’élabore à la Cour et de manière générale au Canada portant sur les ordonnances de type Norwich. L’arrêt‑clé au Canada est BMG, et la Cour d’appel de l’Ontario s’est aussi récemment aventurée dans le domaine en rendant 1654776 Ontario Limited c. Stewart, 2013 ONCA 184. L’examen de ces arrêts sera nécessaire afin d’établir si Voltage a démontré l’état de fait minimal requis pour avoir droit à l’ordonnance qu’elle demande.
Critères de la demande véritable et de la preuve prima facie au Canada
[37] S’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale dans BMG, le juge Edgar Sexton a traité de la tension qui existe, lorsqu’il y a téléchargement et partage illégaux de musique, entre le droit au respect de la vie privée des utilisateurs d’Internet et les droits d’auteur.
[38] La Cour d’appel a statué que les principes juridiques relatifs à l’interrogatoire préalable en equity s’appliquent aux fins du critère permettant d’établir si un demandeur satisfait à l’article 238 des Règles des Cours fédérales. Il y a lieu de rendre une ordonnance si le demandeur dispose d’une véritable demande et répond aux critères de l’article 238.
[39] L’arrêt BMG fournit un cadre pour l’examen des questions soulevées dans la présente requête. La CIPPIC met en cause les commentaires de la Cour d’appel sur le critère requis de la demande véritable. On a statué dans BMG que le critère de la demande véritable était préférable à celui, plus exigeant, de la preuve prima facie parce que les demandeurs seraient privés d’un recours s’ils devaient satisfaire à ce critère plus exigeant. Le juge Sexton a fait remarquer qu’il était difficile pour un demandeur de démontrer la violation d’un droit d’auteur lorsqu’il ne connaît ni l’identité de la personne qu’il désire poursuivre, ni les détails de la violation alléguée.
[40] Le demandeur doit selon la Cour d’appel, pour établir l’existence d’une demande véritable, démontrer : 1) qu’il a vraiment l’intention d’introduire une action en violation du droit d’auteur fondée sur les renseignements à obtenir, et 2) qu’il ne vise aucun autre but, qui soit illégitime, en cherchant à obtenir l’identité des personnes concernées. La Cour d’appel a ainsi déclaré (au paragraphe 34) :
Selon moi, il ne serait pas logique d'exiger une preuve prima facie à ce stade de l'instance. Les appelants ne connaissent pas l'identité des personnes qu'ils désirent poursuivre, ni les détails quant à ce qui a précisément été fait par chacune d'elles de manière à ce qu'ils puissent prouver la violation. De tels faits ne peuvent être établis qu'après l'interrogatoire préalable et l'instruction. Les appelantes seraient privées d'un recours si les cours de justice leur imposaient, à ce stade, le fardeau de présenter une preuve prima facie. Il suffit qu'elles prouvent l'existence d'une véritable demande, c'est-à-dire qu'elles ont vraiment l'intention d'introduire une action en violation de droit d'auteur fondée sur les renseignements qu'ils obtiennent et qu'ils ne visent aucun autre but illégitime pour chercher à obtenir l'identité de ces personnes. (Non mis en évidence dans l’original.)
[41] Quant à la question des intérêts contradictoires à soupeser, le juge Sexton a qualifié de « considération importante » la question du respect de la vie privée soulevée dans l’affaire, et il a souligné qu’il fallait concilier le droit au respect de la vie privée et l’intérêt public lorsque la divulgation de renseignements confidentiels était demandée. La Cour d’appel a fait les observations suivantes :
La question du respect de la vie privée
[36] Je souscris à la qualification faite par le juge des requêtes quant au 5e critère, c'est-à-dire, l'intérêt public à la divulgation doit l'emporter sur l'attente légitime de respect de la vie privée de la personne dont on cherche à obtenir l'identité si une ordonnance de divulgation est délivrée.
[37] L'ensemble des intimés ont soulevé la question du respect de la vie privée. Il s'agit d'une considération importante. En vertu de la LPRPDE, les PSI n'ont pas le droit de divulguer « volontairement » des renseignements personnels comme les identités demandées sauf si le client y consent ou sauf si la divulgation est exigée par ordonnance d'un tribunal. En effet, en vertu de l'alinéa 7(3)c), du paragraphe 8(8) et de l'article 28 de la LPRPDE, l'organisation qui fait l'objet d'une demande de production d'un renseignement personnel doit, en vertu de la LPRPDE, « le conserver le temps nécessaire pour permettre au demandeur d'épuiser ses recours » . Le défaut de se conformer à cette directive peut exposer l'organisation à être déclarée coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.
. . .
[39] L'équilibre délicat entre les intérêts de nature privée et l'intérêt public a toujours été une préoccupation de la Cour lorsqu'il est question d'une demande de divulgation de renseignements confidentiels. Bien que la LPRPDE ne fût pas en vigueur lorsque la décision Glaxo a été rendue, le juge Stone, J.C.A., a néanmoins mentionné ce qui suit au paragraphe 62 :
Je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’une justification suffisante pour refuser de communiquer l’identité des importateurs en l’espèce. L’article 107 laisse entendre que les renseignements recueillis conformément à la Loi seront considérés comme confidentiels, mais en vertu de l’article 108, ces renseignements peuvent être communiqués dans certains cas. Je doute donc que les importateurs s’attendent vraiment à ce que les renseignements qu’ils fournissent aux fonctionnaires des douanes demeurent confidentiels. Fait encore plus important, j'ai des doutes au sujet de l'attente et du degré de confidentialité associés à la nature des renseignements demandés par l'appelante. Comme la Chambre des lords l’a fait remarquer dans l’arrêt Norwich Pharmacal, précité, les noms des importateurs passeront probablement entre les mains de nombreuses personnes avant d’être transmis aux fonctionnaires des douanes. Il n’est donc pas raisonnable de considérer l’identité des importateurs comme constituant un renseignement particulièrement délicat. À mon avis, compte tenu des circonstances de l’espèce, l’intérêt public, lorsqu’il s’agit de s’assurer que l’appelante puisse poursuivre en justice ceux qui ont censément enfreint les droits qu’elle a sur les brevets, l’emporte sur l’intérêt public qui veut que les noms des importateurs demeurent confidentiels.
Il a également souscrit, au paragraphe 26, à la déclaration du vicomte Dilhorne dans Norwich :
Sous réserve de l'intérêt public voulant que le caractère confidentiel des renseignements fournis aux douanes soit protégé, à mon avis, l'intérêt public et le droit que possèdent les titulaires de brevets d'être protégés, lorsque la validité du brevet est reconnue et que la contrefaçon n'est pas contestée, exigent clairement que ces derniers soient en mesure d'obtenir d'une personne concernée qui n'a pas participé à la contrefaçon, au moyen d'un interrogatoire préalable, les noms et adresses des contrefacteurs.
[40] Le raisonnement suivi dans Glaxo et Norwich est convaincant. Les lois en matière de propriété intellectuelle ont été créées afin de protéger la promulgation d'idées. La loi sur le droit d'auteur vise à encourager les innovateurs − les artistes, les musiciens, les inventeurs, les écrivains, les interprètes et les marchands − à créer. Elle a été conçue afin de voir à ce que les idées soient exprimées et développées au lieu de demeurer en veilleuse. Les personnes ont besoin d'être encouragées à développer leurs propres talents ainsi que l'expression personnelle de leurs idées artistiques, notamment la musique. S'ils se font voler les fruits de leurs efforts, leur motivation à exprimer leurs idées en forme tangible se trouve alors à diminuer.
[41] La technologie moderne comme l'Internet a procuré des avantages extraordinaires à la société, notamment des moyens de communication plus rapide et plus efficace visant des auditoires de plus en plus vastes. On ne doit pas permettre que cette technologie oblitère les droits en matière de biens personnels que la société considère important. Bien que les questions se rapportant au respect de la vie privée doivent également être prises en compte, il me semble qu'elles doivent céder le pas aux préoccupations publiques quant à la protection des droits de propriété intellectuelle dans des situations où la violation menace de diminuer ces droits. (Non mis en évidence dans l’original.)
[42] Selon la Cour d’appel, d’après ces passages, le conflit à concilier oppose les intérêts de nature privée et l’ « intérêt public » ou les « préoccupations publiques ». La Cour d’appel a ajouté, aux paragraphes 42 à 45, que lorsqu’une cour rend une ordonnance de divulgation, des directives précises devraient être données quant au genre de renseignements pouvant être divulgués et quant à la manière dont ils peuvent être utilisés. Elle a aussi fait allusion à la possibilité de délivrer une ordonnance de confidentialité. La Cour d’appel a déclaré :
[42] Par conséquent, selon moi, dans les cas où les demandeurs démontrent la légitimité de leur prétention selon laquelle des personnes inconnues violent leurs droits d'auteur, ils ont le droit que l'identité de ces personnes leur soit révélée afin d'être en mesure d'intenter une action. Toutefois, les cours de justice doivent faire preuve de prudence lorsqu'elles ordonnent une telle divulgation pour s'assurer que l'on empiète le moins possible sur le droit à la vie privée.
. . .
[44] De plus, comme l'intervenante, la Clinique d'intérêt public et de politique d'Internet du Canada, l'a souligné, les demandeurs devraient prendre soin de ne pas chercher à obtenir, lors de leur enquête, des renseignements personnels qui n'ont rien à voir avec la violation du droit d'auteur. Si des renseignements privés qui n'ont rien à voir avec les questions de droit d'auteur sont obtenus et que l'identité de l'utilisateur est divulguée, la personne qui obtient les renseignements se trouve peut-être en possession de renseignements de nature très confidentielle concernant l'utilisateur. Si ces renseignements n'ont rien à voir avec la violation du droit d'auteur, il s'agirait d'une atteinte injustifiée aux droits de l'utilisateur et pourrait fort bien équivaloir à une violation de la LPRPDE par les PSI, les exposant ainsi à des poursuites. Par conséquent, dans des situations où les demandeurs, lors de leur enquête, ne se sont pas limités à l'obtention de renseignements pertinents aux questions de violation du droit d'auteur, une cour de justice pourrait bien être justifiée de refuser de délivrer une ordonnance de divulgation de l'identité de l'utilisateur.
[45] De toute manière, si une ordonnance de divulgation est délivrée, des directives précises devraient être données quant au genre de renseignements pouvant être divulgués et quant à la manière selon laquelle ils peuvent être utilisés. De plus, il faut préciser que lorsqu'il existe des éléments de preuve de violation du droit d'auteur, le respect de la vie privée peut être assuré si la cour ordonne que l'utilisateur ne soit identifié que par des initiales ou si elle délivre une ordonnance de confidentialité.
[43] Quant à la question de la violation du droit d’auteur, la Cour d’appel a formulé les observations suivantes :
Violation du droit d’auteur
[46] Comme il a déjà été mentionné, le juge des requêtes a fait un certain nombre de déclarations quant à ce qui constituerait ou ne constituerait pas une violation du droit d'auteur (voir le paragraphe 15f) des présents motifs). Vraisemblablement, il a tiré ces conclusions parce qu'il croyait que les demanderesses, afin de réussir à connaître l'identité des utilisateurs, doivent prouver à première vue qu'il y a eu violation.
[47] Selon moi, on n'aurait pas dû tirer des conclusions comme celles-ci à ce stade préliminaire de la présente action. Il aurait fallu examiner la preuve ainsi que le droit applicable à cette preuve après que celle-ci fut produite de façon appropriée. On devrait éviter de tirer des conclusions aussi précises au stade préliminaire car cela pourrait porter préjudice aux parties.
. . .
[53] Le juge des requêtes n'a relevé aucune preuve qu'il y a eu violation à une étape ultérieure en contravention du paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d'auteur parce qu'il n'y a eu « aucune preuve que le violateur en avait connaissance ». Cela ne tient pas compte de la possibilité de conclure à la violation même sans que le violateur en ait eu vraiment connaissance si, en effet, il « devrait savoir » qu'il y aurait violation. Le paragraphe 27(2) de la Loi sur le droit d'auteur est ainsi libellé :
[44] La Cour d’appel, finalement, a fait allusion à la nécessité de prendre en compte les frais à acquitter par la partie tenue par ordonnance à coopérer et à divulguer les renseignements demandés, soit en l’occurrence TekSavvy.
[45] On peut dégager de BMG les principes suivants :
a) un demandeur doit disposer d’une véritable demande;
b) une non‑partie, dans notre cas TekSavvy, possède des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l’action;
c) une ordonnance de la Cour constitue le seul moyen raisonnable d’obtenir les renseignements;
d) l’équité exige que les renseignements soient communiqués avant le procès;
e) l’ordonnance n'occasionnera pas de retard, d'inconvénients ou de frais déraisonnables au tiers visé ni à toute autre personne.
[46] Voltage soutient que tous ces facteurs sont réunis dans son cas et qu’elle a donc droit à la réparation demandée. Quant au facteur a), elle affirme qu’elle a démontré l’existence d’une demande véritable au moyen de la déclaration produite en l’espèce, ainsi que des résultats de l’enquête judiciaire qui ont révélé l’existence d’adresses IP des ordinateurs qui ont servi à copier les œuvres. Quant au facteur b) les adresses IP sont connues de TekSavvy, mais non de Voltage, de sorte que TekSavvy constitue la seule source d’information raisonnable à leur sujet. Quant au facteur c) TekSavvy ne révélera pas les renseignements, à bon droit, sans qu’une ordonnance ne soit délivrée. Quant au facteur d) Voltage doit pouvoir protéger ses droits, et l’équité exige que les personnes violant des droits d’auteur ne soient pas à l’abri de poursuites en raison de l’anonymat sur Internet et du recours à ses protocoles. Quant au facteur e), Voltage soutient que sa cause laissera lettre morte sans la réparation demandée puisqu’elle n’a pas accès aux renseignements requis. Les violateurs de droits d’auteur ne doivent pas rester impunis, et la Cour peut fixer les conditions de l’accès aux renseignements. En outre, TekSavvy obtiendra le remboursement des frais raisonnables acquittés pour fournir les renseignements.
[47] Voltage soutient que sa position trouve appui dans Voltage Pictures LLC c M. ou Mme Untel, 2011 CF 1024, une affaire non contestée où le juge Shore s’est fondé sur BMG pour statuer que Voltage disposait d’une demande véritable contre les deux défendeurs Untel au seul motif qu’elle avait institué contre eux une action pour violation de droits d’auteur. Il n’apparaît pas clairement quels éléments de preuve Voltage a produits pour établir un lien entre les adresses IP et la violation dans cette affaire.
[48] La CIPPIC fait valoir que le recours aux ordonnances de type Norwich est un fait nouveau au Canada et que l’arrêt BMG n’est qu’un parmi de nombreux éléments à prendre en compte pour bien concilier les intérêts divergents en cause. Elle affirme que depuis BMG nos tribunaux, notamment en Ontario, ont affiné le critère énoncé dans l’arrêt de manière à ce qu’un [traduction] « meilleur équilibre soit atteint entre les intérêts des demandeurs, des défendeurs, des tiers et de la justice ». Je ne suis pas convaincu, toutefois, au vu de la jurisprudence actuelle, qu’on soit passé du critère de la demande véritable, établi dans BMG, à celui plus rigoureux de la preuve prima facie.
[49] Tout récemment, la Cour d’appel de l’Ontario a exprimé le même avis au sujet du premier critère applicable à une ordonnance de type Norwich. Dans l’arrêt Stewart, la Cour d’appel s’est dite en désaccord avec l’approche favorisée par la CIPPIC et exposée par la Cour divisionnaire de la province dans Warman c Fournier et al., 2010 ONSC 2126 (C. div. Ont.). La Cour divisionnaire avait imposé le critère [traduction] « plus exigeant » de la preuve prima facie parce qu’en l’espèce la liberté d’expression était en jeu. La Cour d’appel a déclaré dans Stewart qu’une telle approche n’était pas de mise puisque la cinquième étape de l’analyse relative aux ordonnances de type Norwich permettait déjà de concilier les intérêts contradictoires.
[50] La Cour d’appel de l’Ontario a déclaré dans Stewart que l’objet d’une ordonnance de divulgation était de faciliter l’accès à la justice. S’exprimant en son nom, le juge Juriansz a formulé les observations suivantes :
[traduction]
[58] Il ressort selon moi de la jurisprudence que le seuil retenu pour ordonner la divulgation vise à faciliter l’accès à la justice aux victimes d’auteurs anonymes d’actes fautifs. Les tribunaux devraient, lorsqu’ils instruisent une demande de délivrance d’ordonnance de type Norwich, tenir compte de sa nature de recours en equity.
[59] Le demandeur n’a pas à établir une preuve prima facie. Il s’agit ainsi d’apprécier la légitimité apparente et générale de l’éventuelle action du demandeur, de même que tous les autres facteurs pertinents.
[60] Le seuil plus bas à atteindre à la première étape ne rend pas l’obtention d’une ordonnance de type Norwich largement accessible. Une telle ordonnance ne peut être obtenue contre une personne, comme l’a expliqué lord Reid dans Norwich, A.C., à la p. 175, que si, même « sans que ce soit sa faute, elle est mêlée aux actes délictuels d'autres personnes et facilite ainsi le préjudice causé ». En appliquant les autres facteurs, plus important encore, l’on peut prendre en compte la solidité apparente de la cause du demandeur.
[51] Le recours à la norme de la demande véritable ne rend donc pas la réparation facilement accessible, mais il s’agit plutôt de prendre en compte la solidité de la cause du demandeur en appliquant les autres facteurs énoncés dans Norwich. Il convient de noter que, tout en déclarant que l’appelante avait eu du mal à démontrer l’existence des éléments d’une cause d’action sous‑jacente, le juge a conclu qu’elle avait établi le caractère véritable de la demande – l’appelante n’allait pas [traduction] « simplement à la pêche » et l’action envisagée n’était pas futile (au paragraphe 75).
[52] La CIPPIC soutient que la Cour d’appel, dans BMG, n’a pas trouvé le juste équilibre entre les intérêts contradictoires en présence. Il est toutefois difficile d’apprécier la justesse de cet argument puisqu’en pratique, la Cour d’appel n’a pas alors appliqué les principes énoncés aux faits d’espèce. Il semble que la CIPPIC laisse entendre, sans plus, que seul un critère plus rigoureux permettrait d’atteindre l’équilibre souhaitable.
[53] Une commentatrice a souligné que les tribunaux avaient à maintes reprises écarté le critère de la preuve prima facie en vue de l’octroi de mesures interlocutoires (Melody Yiu, « A New Prescription for Disclosure: Reformulating the Rules for the Norwich Order » (printemps 2007) 65 UT Fac L Rev 41). De plus, il y aurait encore moins de motifs d’appliquer ce critère à une mesure de réparation de type Norwich puisque celle‑ci joue, en quelque sorte, un rôle de [traduction] « garde‑barrière du palais de justice ». Dans la plupart des autres litiges, le refus d’accorder une mesure interlocutoire n’interdit pas nécessairement l’accès de la partie lésée à la justice. L’auteure de l’article laisse entendre qu’une portée trop large est préférable à une portée pas assez large dans le cas des ordonnances de type Norwich.
[54] Il est permis de se demander si cette conclusion appelle des réserves lorsque sont en cause des violations substantielles du droit à la vie privée. Le principe du respect de la vie privée ne doit pas servir d’écran aux actes fautifs, et il doit céder le pas lorsqu’une partie lésée veut obtenir des renseignements de non‑parties. Tel devrait être le cas, peu important le type de droit dont le demandeur est titulaire. Les droits de propriété intellectuelle sont ipso facto présumés mériter une protection juridique lorsqu’est démontrée l’existence d’une cause d’action valable (Yiu, à la page 64). La justesse de cette affirmation n’est guère contestée. Les droits d’auteur sont un actif précieux auquel les violateurs ne doivent pas pouvoir facilement porter atteinte. Toutefois, le problème en l’espèce vient du fait qu’il est incertain si la protection du droit d’auteur est le seul motif de la demande présentée par Voltage à la Cour. L’affidavit de M. Cooke laisse entendre mais ne prouve pas que Voltage a pu introduire la présente action par calcul, et être ainsi un [traduction] « pêcheur à la traîne de droits d’auteur ».
Conclusion sur le critère de la preuve prima facie
[55] En dernière analyse, il ne fait aucun doute que l’arrêt BMG lie la Cour. À ce jour, les tribunaux canadiens ne sont pas passés au critère plus rigoureux de la preuve prima facie. Bien que dans BMG la question déterminante se soit avérée être l’absence totale de preuve, la Cour d’appel a néanmoins jugé nécessaire d’examiner et de clarifier la question de savoir si les demanderesses pouvaient obtenir la divulgation sollicitée en application de l’article 238 des Règles. La conclusion concernant la suffisance du caractère véritable de la demande n’était donc pas de l’ordre d’un obiter.
[56] J’estime, au vu de la preuve présentée dans le cadre de la présente requête, que Voltage a établi qu’elle disposait d’une demande − telle qu’exposée dans la déclaration − véritable. Ce caractère véritable est établi par les allégations figurant dans la déclaration et par la preuve obtenue par enquête judiciaire produite au soutien de la requête. Voltage a également montré par sa preuve qu’elle détenait des droits d’auteur dans les œuvres dont la violation est alléguée. Tout cela est conforme aux principes posés dans BMG.
[57] Il importe davantage de faire respecter les droits de Voltage en tant que titulaire de droits d’auteur que le droit au respect de la vie privée des utilisateurs d’Internet concernés. Toutefois, ce n'est pas là la fin de l'histoire. Lorsqu’elle délivre une ordonnance de type Norwich, la Cour doit s’assurer qu’il y ait atteinte minimale du droit au respect de la vie privée, comme il est précisé aux paragraphes 42 à 45 de BMG.
Restrictions assortissant une ordonnance de type Norwich
[58] La Cour ayant conclu que Voltage avait droit à la délivrance d’une certaine ordonnance de type Norwich, elle doit maintenant décider des restrictions dont il convient de l’assortir pour protéger le droit à la vie privée des abonnés ou minimiser les risques d’atteinte à ce droit. C’est à l’égard de cette question que les observations de la CIPPIC sont les plus pertinentes. Il sera également instructif d’étudier comment, dans d’autres pays, les tribunaux ont concilié les droits du titulaire d’un droit d’auteur et le droit au respect de la vie privée des utilisateurs d’Internet.
[59] Voltage soutient qu’on ne peut avoir d’attente raisonnable de respect de la privée en utilisant des réseaux P2P parce que, ce faisant, on fait passer dans le domaine public des renseignements personnels, et on fait connaître publiquement son adresse IP et les fichiers copiés. Voltage invoque à cet égard les décisions R. c Trapp, 2011 SKCA 143 et R. c Ward, 2012 ONCA 660. Elle fait valoir que les violateurs de droits d’auteur ne devraient pas pouvoir se cacher derrière le voile de l’anonymat offert par Internet.
[60] Cette position serait acceptable si ce n’était de la crainte des [traduction] « pêcheurs à la traîne de droits d’auteur » dans pareils cas, ainsi que du tort causé en obligeant les TekSavvy de ce monde à révéler des renseignements personnels au sujet de leurs clients. Il y a aussi le danger bien réel d’un nombre énorme d’affaires portées devant la Cour qui mettraient en cause les abonnés, alors que bon nombre d’entre eux pourraient opposer des moyens de défense parfaitement valables aux allégations de violation de droit d’auteur. Finalement, le montant des dommages‑intérêts à payer par un abonné particulier pourrait, même advenant un recours libéral aux dispositions sur les dommages de la Loi sur le droit d’auteur, s’avérer minime par comparaison avec l’argent, le temps et les efforts requis en cas d’action intentée contre lui.
[61] La CIPPIC a invoqué la jurisprudence d’autres pays au soutien de sa position. Des tribunaux tant des États‑Unis que du Royaume‑Uni se sont penchés sur les questions soulevées par les parties. On peut dégager un certain cadre des décisions du Royaume‑Uni, en particulier, pour établir quels types de mesures une cour peut adopter pour protéger les intérêts des utilisateurs d’Internet.
Royaume-Uni
[62] Une ordonnance de la nature de celle demandée par Voltage est connue au Royaume-Uni et ailleurs sous le nom d’ordonnance de type Norwich. Ce genre de réparation tire son nom d’un arrêt rendu par la Chambre des lords en 1974, dans une affaire (l’affaire Norwich Pharmacal) de violation présumée de brevet, et où elle a analysé et modifié la mesure de réparation dite de l’ « interrogatoire préalable en equity ». Cette ancienne mesure permettait à une partie lésée d’intenter un recours pour que lui soit divulgué le nom de l’auteur du préjudice lorsque cela était nécessaire pour obtenir réparation. De nos jours le principe de Norwich permet à une partie de demander la divulgation de renseignements s’ils sont requis pour demander réparation d’une transgression susceptible d’action. Les tribunaux britanniques acceptent qu’on puisse devoir sacrifier le droit au respect de la vie privée d’utilisateurs d’Internet pour accorder réparation aux demandeurs lésés par une activité illégale ou délictuelle. Ils demeurent toutefois préoccupés de la proportionnalité des ordonnances rendues dans des circonstances semblables à celles présentes dans l’affaire ici soumise par Voltage.
[63] Trois décisions rendues au Royaume-Uni font ressortir les préoccupations soulevées par le recours à une ordonnance de type Norwich à l’endroit d’utilisateurs d’Internet. Il est statué dans l’une d’elles que l’anonymat des utilisateurs d’Internet ne fait pas obstacle à la divulgation lorsqu’une transgression susceptible d’action a été commise. Dans deux décisions, par ailleurs, on traite de la légalité d’arrangements conclus par certaines parties en vue de cibler les activités de partage et de téléchargement au moyen de réseaux P2P.
[64] Comme l’a mentionné la CIPPIC, la United Kingdom Supreme Court (la Cour suprême du Royaume-Uni) a traité tout récemment de la façon moderne de recourir à une ordonnance de type Norwich dans Rugby Football Union c Consolidated Information Services, [2012] UKSC 55, [2013] 1 All ER 928.
[65] Il s’agissait dans cette affaire de revente de billets pour des matchs de rugby sur un site Web exploité par la défenderesse. La demanderesse, la Rugby Football Union (RFU), était seule responsable quant à l’émission de billets pour les matchs joués dans son stade. La RFU ayant pour politique d’attribuer les billets de manière à promouvoir le sport et à en accroître la popularité, elle ne permettait pas leur vente à des prix gonflés. La RFU a affirmé qu’il était défendable de faire valoir que la vente de billets à un prix supérieur à leur valeur nominale et la publicité entourant cette vente sur le site Web de la défenderesse constituaient des transgressions. On n’a pas contesté devant la Cour suprême qu’il était défendable de soutenir que la vente de billets sur le site Web constituait une transgression susceptible d’action. La Cour suprême a statué que la RFU n’avait pas facilement à sa disposition un autre moyen qu’une ordonnance de type Norwich d’apprendre quels étaient les éventuels transgresseurs.
[66] Dans ses motifs, la Cour suprême a abordé les principes devant guider la délivrance d’ordonnances de type Norwich. Elle a relevé que, dans les décisions postérieures à Norwich Pharmacal, les tribunaux avaient souligné la nécessité d’une certaine souplesse et latitude dans l’examen de l’à‑propos d’une ordonnance de divulgation. Fait significatif, la Cour suprême a confirmé qu’il n’était pas nécessaire qu’un demandeur compte intenter une action en regard de la prétendue transgression. Plutôt, toute forme de réparation, depuis une mesure disciplinaire jusqu’au congédiement d’un employé, suffirait à fonder une demande de divulgation au moyen d’une ordonnance de type Norwich. À mon avis, toutefois, l’introduction d’une action est essentielle dans les affaires de propriété intellectuelle, en ce sens que l’intention d’exercer des droits de propriété intellectuelle est requise.
[67] La Cour suprême a cependant conclu qu’il ne fallait ordonner la divulgation que s’il s’agisssait d’une [traduction] « mesure nécessaire et proportionnelle, compte tenu de toutes les circonstances ». La Cour a aussi statué que pour être nécessaire la réparation n’avait pas à être une mesure de dernier recours.
[68] Bien qu’il s’agisse d’un domaine du droit en développement, la société Media C.A.T. Ltd. (Media CAT) a aussi intenté une série de procédures bien connues qui ont donné lieu à de longs débats sur le préjudice que celles‑ci étaient susceptibles de causer. Media CAT faisait valoir la violation de droits d’auteur dans des films pornographiques occasionnée par l’utilisation de logiciels de partage de fichiers de pair à pair (P2P). Media CAT a obtenu plusieurs ordonnances de type Norwich qui lui ont permis de connaître des dizaines de milliers de noms et d’adresses de violateurs présumés.
[69] Dans Media CAT Ltd c Adams & Ors, [2011] EWPCC 6, le juge Birss de la Patents County Court (la Cour de comté des brevets) a abordé certaines inquiétudes soulevées par la façon d’agir de Media CAT après l’obtention de l’ordonnance de type Norwich, le contexte étant toutefois que Media CAT tentait d’abandonner les 27 demandes qu’elle avait introduites.
[70] On a beaucoup examiné dans la décision si Media CAT avait qualité pour introduire une demande fondée sur la violation du droit d’auteur, puis, pour demander à y mettre fin. Media CAT a affirmé avoir qualité, sur le fondement d’un contrat conclu avec le titulaire du droit d’auteur qui lui conférait le droit de poursuivre toute personne identifiée comme ayant rendu accessibles pour téléchargement tout film visé par le contrat.
[71] Malgré sa portée étroite, cette décision est digne d’examen parce qu’elle démontre les abus auxquels peut donner lieu l’octroi d’une ordonnance de type Norwich à un demandeur tel que Media Cat, lorsqu’elle n’est pas assortie de mesures de protection tenant compte de manière générale des droits des violateurs présumés.
[72] Même si le juge Birss ne procédait pas véritablement au contrôle de la décision d’accorder les ordonnances de type Norwich, il a néanmoins examiné si la cour avait compétence pour octroyer une telle réparation. Il a relevé que la cour avait délivré les ordonnances demandées dans l’affaire en se fondant sur les déclarations d’experts techniques présentées à l’appui de l’action en violation du droit d’auteur.
[73] La cour a décrit de manière assez détaillée la campagne de rédaction de lettres dans laquelle les avocats de Media CAT s’étaient lancés une fois l’ordonnance de type Norwich obtenue. La campagne comportait l’envoi d’une [traduction] « lettre de réclamation » à des dizaines de milliers de personnes. La lettre comptait 6 pages de commentaires juridiques et techniques et trois pièces y étaient jointes, y compris l’ordonnance de divulgation de la cour et une invitation à consulter les « Notes on evidence » sur le site Web d’ACS:Law. On présentait Media CAT comme une société de protection du droit d’auteur dans la lettre de réclamation, ce qu’elle n’était pas, en plus de demander la somme de 495 £ à titre d’indemnisation.
[74] Le juge Birss a relevé un certain nombre de déclarations trompeuses dans la lettre de réclamation et a conclu que la lettre devait avoir un effet important sur son destinataire : [traduction] « Plusieurs comprendraient la lettre comme une déclaration selon laquelle on les avait attrapés en train de violer le droit d’auteur dans un film pornographique, que Media CAT en avait une preuve tangible et que la cour s’était déjà penchée sur la question […] » (au paragraphe 18). Le juge a d’ailleurs précisé qu’on avait déjà eu au greffe des appels de gens en larmes après avoir reçu la lettre.
[75] Le juge Birss a déclaré que la plupart des simples citoyens ne comprenaient pas que la délivrance d’une ordonnance de type Norwich ne fait pas suite à une conclusion de violation du droit d’auteur, et que certains seraient tentés de payer, qu’ils aient fait ou non quelque chose de mal, pour éviter une situation embarrassante.
[76] Quant au montant requis, la Cour de comté des brevets a souligné qu’on n’avait aucunement ventilé la somme de 495 £ exigée. Elle s’est aussi demandée comment ils se faisait que, par comparaison aux 10 000 lettres envoyées, seulement 27 destinataires, les parties à la procédure devant elle, avaient refusé de payer.
[77] La Cour de comté des brevets a conclu que, dans les lettres, on avait présenté faussement la qualité de Media CAT pour agir, exagéré le bien‑fondé de ses prétentions et invoqué un fondement non encore éprouvé pour un recours en violation du droit d’auteur, soit la violation « autorisée » par des tiers.
[78] On traite ensuite dans la décision d’un rebondissement surprenant survenu quelques jours avant la date prévue d’instruction de l’action de Media CAT par la Cour de comté des brevets. Il semble ainsi que ACS:Law ait déposé 27 avis de désistement, puis déclaré qu’une fois les désistements effectués, elle présenterait à nouveau les demandes en cause.
[79] La Cour de comté des brevets a exprimé comme suit ses préoccupations quant au manque d’intérêt pour Media CAT et ACS:Law à faire diligence dans la poursuite des demandes (au paragraphe 100) :
[traduction]
Que cela soit volontaire ou non, j’imagine mal un système mieux conçu pour inciter à ne pas soumettre les questions en litige au tribunal. Pourquoi aller en procès et mettre ses prétentions à l’épreuve lorsqu’on peut tout simplement écrire davantage de lettres pour recevoir des paiements d’une partie des destinataires?
[80] Finalement, la Cour de comté des brevets a examiné s’il lui était loisible de mettre un terme à la campagne de rédaction de lettres de Media CAT. Elle a souligné que les cours conservaient leur autorité quant à l’utilisation des documents et des renseignements obtenus lors d’une procédure de divulgation, et que les parties ne pouvaient utiliser de tels documents et renseignements qu’aux fins de l’action dans le cadre de laquelle ils avaient été divulgués. La Cour de comté des brevets en a déduit qu’elle avait compétence pour réglementer l’utilisation des renseignements obtenus au moyen d’une ordonnance de type Norwich. Une ordonnance restreignant l’utilisation des renseignements divulgués pouvait ainsi n’être rien de plus qu’une ordonnance modifiant l’ordonnance de type Norwich originale.
[81] Cette décision fournit des orientations utiles aux tribunaux lorsqu’il leur faut rédiger des ordonnances qui ne soient pas ouvertes, c’est‑à‑dire laissant la partie qui obtient l’ordonnance libre de l’utiliser de manière inéquitable ou abusive et sans aucune restriction.
[82] On a aussi traité de ces questions en Angleterre dans une décision de 2012, Golden Eye (International) Ltd. et al c Telefonica UK Limited, [2012] EWHC 723 (Ch). Dans cette affaire, Golden Eye, titulaire de licences de droits d’auteur dans des films pornographiques, a sollicité la délivrance d’une ordonnance de type Norwich en regard de quelque 9 000 violateurs présumés. La longue décision du juge Arnold de la Haute Cour fournit aussi des orientations sur les types de restrictions dont il convient d’assortir l’utilisation d’une telle ordonnance. Comme en l’espèce, un organisme d’intérêt public (Consumer Focus) a obtenu la qualité d’intervenant et a défendu, en leur nom, les intérêts des violateurs présumés.
[83] Golden Eye et les autres demandeurs soutenaient qu’on avait repéré 9 124 adresses IP au moyen d’un service de localisation utilisé pour établir si des abonnés rendaient disponibles pour copie, par l’entremise de réseaux P2P, du matériel soumis au droit d’auteur. Golden Eye a demandé à obtenir du PSI, Telefonica, les coordonnées de ces abonnés. Telefonica n’a pas fait opposition à l’ordonnance. Elle a donné son accord à une ébauche d’ordonnance et une ébauche de lettre rédigées pour envoi aux présumés violateurs. L’ébauche d’ordonnance prévoyait le versement à Telefonica de 2,20 £ pour chacun des noms et adresses sollicités par les demandeurs ainsi que de 2 500,00 £ à titre de cautionnement pour frais. Une copie de l’ébauche de la lettre à envoyer aux présumés violateurs était également jointe à l’ébauche d’ordonnance.
[84] L’ébauche de lettre comptait trois pages et était remplie de jargon juridique. Il s’y trouvait aussi une offre de règlement, prévoyant une indemnisation à verser de 700 £, faite au présumé violateur.
[85] Bien que plusieurs questions aient été soulevées dans cette affaire, celle correspondant le plus aux faits d’espèce était de savoir si les demandeurs entendaient véritablement demander réparation. Consumer Focus a soutenu que la répartition des gains mentionnée plus haut laissait croire qu’il s’agissait pour Golden Eye d’un plan pour faire de l’argent. Elle a également affirmé que le montant de 700 £ réclamé dans l’ébauche de lettre ne reposait ni ne pouvait reposer sur rien.
[86] Consumer Focus a ajouté que les demandeurs étaient équivoques quant à leur volonté d’intenter des actions en violation du droit d’auteur. Elle a aussi affirmé que l’abandon par Golden Eye, dans des circonstances semblables, de deux des trois demandes qu’elle avait présentées, après obtention des ordonnances de type Norwich, faisait croire à son désir d’échapper à l’examen judiciaire. Golden Eye n’avait pas expliqué le motif du désistement de ces demandes, ni n’avait fourni de renseignements sur le nombre d’abonnés identifiés visés par les ordonnances ou sur le nombre de lettres de réclamation envoyées, le cas échéant.
[87] La Haute Cour a estimé, toutefois, que Golden Eye avait de véritables motifs commerciaux pour désirer être indemnisée de la violation de ses droits d’auteur. Quant à la recherche de règlements par les demandeurs, elle a fait remarquer qu’un demandeur n’était pas tenu, pour obtenir une ordonnance de type Norwich Order, de compter intenter ou d’intenter des procédures contre le transgresseur : [traduction] « Envoyer une lettre avant de poursuivre en vue de persuader le transgresseur de verser une indemnité et de s’engager à ne plus violer les droits d’auteur à l’avenir est une façon d’obtenir réparation. Le demandeur éventuel n’est pas tenu non plus de s’engager à intenter une action s’il n’est pas possible d’obtenir réparation d’un commun accord » (au paragraphe 109)
[88] Le juge Arnold a aussi déclaré qu’un demandeur confronté à de nombreux violateurs avait le droit de choisir ceux d’entre eux qu’il voulait poursuivre. Le coût des litiges peut être une considération pertinente pour en arriver à une telle décision. Le juge a conclu que la preuve était [traduction] « suffisamment convaincante pour démontrer l’existence d’une cause vraiment défendable » quant à des actes illégaux commis de partage de fichiers.
[89] La Haute Cour a reconnu que le logiciel de surveillance utilisé pour repérer les utilisateurs pouvait donner des résultats erronés pour diverses raisons techniques, par exemple lorsque le système d’horloge est mal synchronisé. Des raisons autres que techniques peuvent aussi résulter en l’identification, à tort, de personnes innocentes. L’existence de telles incertitudes ne suffisait toutefois pas pour statuer que les demandeurs n’avaient pas établi en preuve l’existence d’une cause défendable, aux fins de l’obtention d’une ordonnance de type Norwich, de violation de droits d’auteur.
[90] La Haute Cour a aussi examiné si l’ordonnance demandée était proportionnelle eu égard au droit des défendeurs éventuels au respect de la vie privée et à la protection des données. Elle a relevé que les droits tant des demandeurs que des violateurs présumés étaient protégés par des dispositions particulières de la Charte de l’Union européenne et de la Convention européenne des droits de l’homme. Il fallait, pour trouver un juste équilibre entre ces droits, adopter l’approche suivante (au paragraphe 117 de la décision) :
[traduction]
(i) aucun des deux articles n’a préséance sur l’autre; (ii) lorsque les valeurs qui les sous‑tendent sont incompatibles, il faut se pencher ave soin sur l’importance comparative des droits particuliers invoqués dans une affaire donnée; (iii) il faut prendre en compte ce qui peut justifier d’entraver ou de restreindre chaque droit ; (iv) finalement, il faut appliquer dans chaque cas le critère de la proportionnalité – ou de la « mise en balance décisive ».
[91] En fin de compte, la Haute Cour a conclu que les renseignements sollicités devaient être divulgués pour permettre aux demandeurs de protéger leurs droits d’auteur. Il était cependant toujours possible d’atteindre la proportionnalité en assortissant l’ordonnance rendue par la cour des conditions requises.
[92] La Haute Cour, faisant remarquer que l’ébauche d’ordonnance rédigée par Golden Eye lui enjoignait de joindre à sa lettre de réclamation une copie de l’ordonnance rendue, a insisté sur le fait qu’on devait épargner aux défendeurs éventuels toute angoisse ou anxiété inutile, et éviter de leur donner quant au sens de l’ordonnance une impression erronée.
[93] Le juge Arnold a souligné quant à l’ébauche de lettre de réclamation que, même si la Haute Cour n’avait pas pour rôle de superviser la correspondance préalable à l’action, le contexte d’une pareille affaire l’obligeait à examiner avec soin le libellé de cette lettre. Pour en arriver à cette conclusion, la Haute Cour a tenu compte du fait que le type d’ordonnance en cause allait toucher des consommateurs ordinaires qui pouvaient n’être coupables d’aucune violation, ne pas avoir accès à des services juridiques spécialisés, se sentir gênés et ne pas juger avantageux au plan pécuniaire d’opposer une défense, même en étant innocents.
[94] Le juge Arnold a déclaré qu’on devait respecter dans la lettre les éléments suivants :
a) indiquer clairement au destinataire que la délivrance d’une ordonnance de divulgation ne veut pas dire que la cour s’est penchée sur le fond sur l’allégation de violation de droit d’auteur portée contre lui;
b) faire état du fait que le défendeur éventuel pourrait ne pas être la personne responsable des actes de violation – cela prend en considération les multiples raisons pour lesquelles les titulaires d’accès à Internet correspondant à certaines adresses IP en cause pourraient ne pas être les véritables violateurs;
c) préciser, si on énonce dans la lettre les conséquences pour le violateur présumé d’une demande accueillie, quelles sont aussi les conséquences pour le demandeur du rejet de sa demande;
d) le délai de réponse accordé doit être raisonnable; le juge Arnold a estimé déraisonnable le délai de 14 jours prévu dans la lettre, un délai de 28 jours étant plutôt considéré raisonnable,
e) les menaces formulées de fermeture de la connexion Internet étaient inacceptables; la Haute Cour n’a pas jugé acceptable que la demanderesse menace les destinataires de [traduction] « demander à votre PSI de ralentir votre connexion Internet ou d’y mettre fin ».
[95] On a soutenu que rien n’étayait ni ne pouvait étayer le montant d’indemnité demandé par la demanderesse de 700 £. Aucune tentative d’explication ou de justification de ce montant ne figurait dans la lettre, et Consumer Focus a fait valoir qu’il était inconcevable que chaque violateur présumé ait occasionné aux titulaires de droits d’auteur des pertes de 700 £.
[96] La Cour a souscrit à la position de Consumer Focus et souligné que, les demandeurs n’ayant aucune information sur l’importance de la violation commise par chaque violateur, le montant réclamé n’était pas approprié. Dans les affaires de propriété intellectuelle au Royaume-Uni, il est habituel pour les demandeurs de rechercher la divulgation de renseignements par les défendeurs avant de choisir entre une réclamation en dommages‑intérêts ou en restitution des profits. La Haute Cour a donc donné les directives suivantes au sujet du dédommagement :
[traduction]
134. […] Si les demandeurs étaient véritablement intéressés à quantifier précisément les pertes subies, il me semble qu’ils devraient chercher à obtenir une forme quelconque de divulgation, tout au moins en première instance. Je comprends qu’il puisse être coûteux de demander la divulgation si le défendeur éventuel refuse de coopérer, mais cela ne justifie pas selon moi de réclamer un montant arbitraire à tous les défendeurs éventuels dans la lettre de réclamation.
[…]
138. Par conséquent, je n’estime pas justifié que les demandeurs envoient à chaque défendeur éventuel une lettre de réclamation où il leur est demandé de payer la somme de 700 £. Les demandeurs devraient plutôt procéder de la manière habituelle, c’est‑à‑dire demander aux défendeurs éventuels qui ne contestent pas leur responsabilité de divulguer les renseignements qu’il leur est possible de fournir sur l’ampleur de leurs activités de partage, sur réseau P2P, des fichiers correspondant aux œuvres protégées par droit d’auteur des demandeurs. Je jugerais acceptable que les demandeurs déclarent être disposés à accepter un montant forfaitaire en règlement de leur réclamation, y compris les frais de la demande de divulgation, sans toutefois préciser un montant dans la lettre initiale. Le montant du règlement devrait être négocié individuellement avec chaque défendeur éventuel.
[97] La Cour a finalement examiné, mais rejeté, un certain nombre de [traduction] « mesures de protection » suggérées par l’intervenante. On comptait parmi ces mesures la notification aux violateurs présumés, la nomination d’un avocat superviseur, la délivrance d’une ordonnance de réunion d’instances et le recours à des causes types. Le juge Arnold n’a pas jugé ces mesures appropriées, compte tenu de toutes les circonstances, au stade où en était l’affaire.
[98] Le juge Arnold a néanmoins proposé une autre mesure de protection, que les demandeurs ont acceptée. Il a prévu comme condition de l’ordonnance que toute demande présentée par la suite le soit devant la Cour de comté des brevets, pour veiller à ce qu’un tribunal spécialisé procède à son instruction. L’équivalent devant notre Cour consiste à prévoir qu’une instance soit gérée à titre d’instance à gestion spéciale, et cet élément est prescrit dans l’ordonnance rendue dans la présente affaire.
[99] En délivrant l’ordonnance de type Norwich, le juge Arnold a conclu par les commentaires suivants sur la mise en balance de droits :
[traduction]
146. […] Tel que je l’ai déjà expliqué, je n’admets pas que les ententes conclues entre Golden Eye et les autres demandeurs sont de la nature d’une champartie. On ne m’a pas non plus convaincu que ces ententes signifiaient que les autres demandeurs ne comptent pas véritablement tenter d’obtenir réparation. Cela ne justifie toutefois pas qu’après mise en balance des intérêts contradictoires, l’on doive nécessairement rendre une ordonnance qui avalise un arrangement en vertu duquel les autres demandeurs cèdent totalement le contrôle sur le litige à Golden Eye et celle‑ci a droit en échange environ 75 % des gains. J’estime au contraire que cela équivaudrait à la sanction par la cour de la vente au plus offrant du droit au respect de la vie privée et du droit à la protection des données des défendeurs éventuels. J’estime donc qu’en rendant pareille ordonnance on n’établirait pas un juste équilibre, de manière proportionnelle, entre les intérêts des autres demandeurs et les intérêts des défendeurs éventuels (je considère qu’à cette fin Golden Eye n’a pas d’intérêt légitime distinct de celui des autres demandeurs). Si les autres demandeurs veulent obtenir réparation pour le préjudice subi, ils doivent s’y prendre par eux‑mêmes.
[Non souligné dans l’original.]
[100] Cela étant, la décision Golden Eye du juge Arnold fournit des orientations utiles quant à la forme que doit prendre et aux restrictions dont doit être assortie une ordonnance enjoignant à un tiers de produire des renseignements. On trouvera résumés plus loin, dans la conclusion, les éléments principaux qui se dégagent tant de la jurisprudence britannique qu’américaine.
AFFAIRES AMÉRICAINES
[101] Aux États‑Unis, les titulaires de droits d’auteur qui veulent obtenir le nom et l’adresse de présumés violateurs anonymes doivent déposer une requête en [traduction] « communication accélérée », ou plus précisément une requête en autorisation de signifier à des tiers des assignations à produire.
[102] On a rendu aux États‑Unis une multitude de décisions mettant en cause de grands nombres de violateurs de droits d’auteur présumés, qui ont donné lieu à une quantité considérable de commentaires de juges sur les « pêcheurs à la traîne de droits d’auteur ». La Cour a passé en revue les décisions suivantes mais n’a analysé, ci‑dessous, qu’un certain nombre d’entre elles : Digital Sin, Inc. c Does 1-27, 2012 US Dist LEXIS 78832 (SD NY, 2012; TCYK, LLC c Does 1-88, 2013 US Dist LEXIS 88402 (ND Ill, 2013); Breaking Glass Pictures c Does 1-84, 2012 US Dist LEXIS 88984 (ND Ohio, 2013); Malibu Media, LLC c John Does, Subscriber Assigned IP Address 69.249.252.44, 2013 U.S. Dist. LEXIS 77264 (D Pa, 2013); Patrick Collins. Inc, c John Doe 1, 2012 US Dist LEXIS 71122 (ED NY, 2013); Malibu Media, LLC c John Does, 902 F Supp 2d 690 (ED Pa, 2012); Ingenuity 13 LLC c John Doe, 2013 WL 1898633 (CD Cal, 2013); Malibu Media, LLC c John Does 1-5, 285 FRD 273 (D NY, 2012); Third Degree Films, c Does 1-47, 286 FRD 188 (D Mass, 2012); Hard Drive Prods., Inc. c Does 1-90, 2012 US Dist LEXIS 45509 (ND Cal, 2012); Combat Zone, Inc c Does 1-84, 2013 US Dist LEXIS 35439 (D Mass, 2013); Voltage Pictures, LLC c Does 1-198, Does 1-12, Does 1-34, Does 1-371, (1:13-cv-00293-CL)(D Or, 2013). Il s’agit dans nombre de ces affaires, concernant le secteur des films pornographiques, de présumés violateurs susceptibles d’en arriver rapidement à un règlement, à des conditions avantageuses pour les demandeurs, pour ne pas être identifiés et éviter ainsi de se trouver en situation embarrassante. Rien ne laisse croire en une telle situation dans la présente affaire.
[103] Comme au Royaume‑Uni, les tribunaux aux États‑Unis semblent admettre le bien‑fondé de l’identification de violateurs présumés pour permettre la poursuite d’actions fondées sur la violation du droit d’auteur, tout en se disant inquiets qu’on utilise leurs pouvoirs d’assignation pour [traduction] « pêcher à la traîne » des règlements rapides et faciles.
[104] Les tribunaux américains ne se sont pas privés pour critiquer en termes sévères les tactiques fondées sur un [traduction] « modèle de gains à coût et à risque faibles » de certains titulaires de droits d’auteur, en particulier les entreprises du secteur des films pornographiques : [traduction] « Il est devenu manifeste que dans bien des cas les entreprises n’ont pas l’intention de poursuivre les actions, mais introduisent plutôt une procédure pour que, en tant que proverbiale épée de Damoclès au‑dessus de la tête des téléchargeurs accusés, elles puissent soutirer à ceux‑ci un règlement, afin d’éviter l’embarras d’accusations de téléchargement de pornographie » (voir, à titre d’exemple, Patrick Collins. Inc, c John Doe 1, 2012 US Dist LEXIS 71122 (ED NY, 2013), à la page 5).
[105] Ingenuity 13 LLC c John Doe, 2013 WL 1898633 (CD Cal, 2013), une décision citée par la CIPPIC et liée à une [traduction] « croisade d’application de droits d’auteur » engagée par un groupe d’avocats, fournit un exemple particulièrement frappant d’un tel cas. Le juge Wright a rendu la décision, à l’encontre de la demanderesse; c’est l’un des juges qui critique de la manière la plus véhémente le modèle commercial utilisé par de nombreux demandeurs dans de telles affaires. La décision ne nous est toutefois guère utile parce qu’elle mettait en cause, en ce qui concerne les [traduction] « pêcheurs à la traîne de droits d’auteur », des assertions inexactes et des pratiques frauduleuses de la part de la demanderesse. Aucune preuve de recours à des assertions inexactes ou à des pratiques frauduleuses n’est soumise à la Cour dans le cadre de la présente requête. La possibilité d’un tel recours est seulement évoquée, du fait de l’approche adoptée par Voltage dans d’autres litiges aux États‑Unis et dont il sera question par la suite. Les propos colorés du juge Wright dans le passage suivant sont toutefois d’intérêt :
[traduction]
Des demandeurs ont déjoué le système juridique. Ils ont découvert à leur avantage un lacis de lois désuètes sur le droit d’auteur, de stigmatisation sociale paralysante et de frais de défense exorbitants. Ils tirent profit de cette anomalie en accusant des personnes d’avoir téléchargé illégalement ne serait‑ce qu’une seule vidéo pornographique. Ils offrent ensuite un règlement, d’un montant juste au‑dessous du coût d’une défense minimale. Il est futile pour ces personnes de résister et, plutôt que de voir leur nom associé au téléchargement illégal de matériel pornographique, ils paient à contrecoeur ce qu’on leur demande. Ainsi, les lois sur le droit d’auteur conçues à l’origine pour dédommager les artistes affamés permettent désormais, à l’ère des médias électroniques, à des avocats affamés de piller la population. (à la page 1)
[106] En raison du code de procédure civile des États‑Unis, les juges de ce pays ont recouru à leurs pouvoirs discrétionnaires en matière de jonction des demandes pour s’attaquer aux éventuels abus de pouvoir. C’est à ce titre que les tribunaux américains se sont prononcés sur les [traduction] « pêcheurs à la traîne de droits d’auteur » et sur leur ciblage de défendeurs sans se soucier de leur culpabilité ou de leur innocence, dans les faits ou au plan juridique, non plus que des différences pouvant exister entre les diverses situations multiples. Les juges invoquent bien souvent la possibilité que des individus soient contraints d’accepter un règlement pour refuser d’accorder la jonction, et ce, même lorsque les exigences formelles du code de procédure civile sont respectées.
[107] Les récits de tactiques judiciaires coercitives employées par les [traduction] « pêcheurs à la traîne de droits d’auteur » ont touché les tribunaux et ceux‑ci sont peu enclins à encourager de telles activités (voir, par exemple, Malibu Media, LLC c John Does 1-5, 285 FRD 273 (D NY, 2012). Dans cette affaire, la juge a autorisé la jonction des demandes parce qu’elle estimait possible de minimiser par l’anonymat du violateur présumé bon nombre des préoccupations concernant les pressions pour régler. La juge s’est aussi dite d’avis que la nature des œuvres protégées (des films pornographiques) et la gêne qui y est associée ne devraient pas influer sur la décision d’accorder ou non une jonction.
[108] Dans Third Degree Films, c Does 1-47, 286 FRD 188 (D Mass, 2012), le juge a décrit comme suit l’approche adoptée par les tribunaux partout aux États‑Unis :
[traduction]
Dans un tel contexte de litiges de masse et, éventuellement, de manœuvres judiciaires abusives, les tribunaux à l’échelle du pays ont commencé à douter de l’opportunité de laisser aux entreprises du film pornographique l’accès, sans restrictions, aux procédures judicaires comme les assignations et l’interrogatoire préalable. De nombreux tribunaux ont aussi mis un terme à de tels dépôts de masse parce qu’ils estimaient inappropriée la jonction de demandes visant des dizaines, des centaines et même parfois des milliers de violateurs présumés, et certains ont réprimandé les entreprises du film pornographique demanderesses pour avoir recouru au mécanisme de la jonction de demandes, et ainsi évité de payer d’importants droits de dépôt. Malgré tout, un certain nombre de tribunaux ont confirmé les jonctions visant de multiples défendeurs anonymes, jugées opportunes et efficaces, délivré des assignations et autorisé l’interrogatoire préalable. (à la page 5)
[109] La cour a aussi décrit certaines des manœuvres les plus flagrantes employées par les demandeurs, comme dans un cas le recours à des appels de menaces où l’on réclamait 2 900 $ pour mettre fin au litige (à la page 15).
[110] Le recours à des voies non judiciaires pour soutirer un règlement rapide aux violateurs présumés a conduit les juges à refuser des mesures de réparation aux demandeurs (voir Hard Drive Prods., Inc. c Does 1-90, 2012 US Dist LEXIS 45509 (ND Cal, 2012). La cour a pris en compte l’aveu de la demanderesse selon lequel, à sa connaissance, ni elle‑même ni aucun autre défendeur n’avait fait de signification à un quelconque violateur présumé après l’obtention du droit de procéder à un interrogatoire préalable. La demanderesse n’avait donc pas établi que la délivrance d’une ordonnance portant interrogatoire préalable conduirait à l’identification de violateurs présumés puis à une signification à l’un quelconque d’entre eux.
[111] Toutefois, dans une décision rendue en Oregon qui concernait Voltage (Voltage Pictures, LLC c Does 1-198, Does 1-12, Does 1-34, Does 1-371, (1:13-cv-00293-CL)(D Or, 2013)), la cour a laissé entendre que le meilleur moyen pour éviter le risque de coercition consistait à disjoindre les affaires des divers violateurs présumés et à exiger que chacun soit poursuivi de manière individuelle (voir également Combat Zone, Inc c Does 1-84, 2013 US Dist LEXIS 35439 (D Mass, 2013)).
[112] La cour de l’Oregon Court ne se souciait pas simplement du défaut de Voltage d’acquitter les droits de dépôt; elle l’a aussi critiquée sévèrement pour son recours à un [traduction] « modèle commercial sournois » pour réaliser des profits. Le juge Aiken a dit douter de la prétention de Voltage selon laquelle elle voulait se défendre contre les violations du droit d’auteur par l’entremise de réseaux P2P. La mise en demeure type présentée à la cour révélait que Voltage menaçait le destinataire de dommages‑intérêts punitifs et, selon la cour, laissait entendre qu’il fallait tenir pour acquise la responsabilité des violateurs présumés. La cour a qualifié d’abus de procédure la tentative de Voltage de recourir à des stratégies alarmistes et de [traduction] « mettre dans le même sac tous les Doe (les Untel) utilisateurs, quel que soit leur degré de culpabilité » (à la page 11). La Cour a indiqué :
[traduction]
La stratégie de la demanderesse dans ces affaires BitTorrent semble être non pas d’aller à procès avec tous les Doe défendeurs, mais plutôt d’utiliser les pouvoirs d’assignation de la cour pour réduire radicalement le coût des litiges et, en pratique, obtenir 7 500 $ pour son produit que, dans le cas de Maximum Conviction, on peut obtenir pour 9,99 $ sur Amazon (les Blu-Ray et DVD combinés ) ou louer en ligne pour 3,99 $. (à la page 10)
[113] Cela met en lumière un problème soulevé par la CIPPIC : le montant des dommages réclamés dans ces affaires de masse de violation de droits d’auteur est souvent bien supérieur aux dommages qui ont pu réellement avoir été subis.
[114] Les tribunaux américains ont également vu d’un mauvais œil les mises en demeure où l’on disait aux violateurs présumés qu’ils étaient dûment notifiés parce qu’ils avaient commis une violation et que l’affaire serait abandonnée si l’on en arrivait à un règlement. Les tribunaux ont jugé ces renseignements erronés parce qu’ils supposent que la personne payant pour l’accès Internet à un point donné est la personne même présumée avoir violé le droit d’auteur. Le juge dans l’affaire Combat Zone par exemple, comme d’autres juges avant lui, a décrit cette supposition comme fragile et analogue à celle voulant que la personne réglant la facture de téléphone soit aussi l’auteur d’un appel téléphonique donné (en citant In re BitTorrent Adult Film Copyright Infringement Cases, 2012 U.S. Dist. LEXIS 61447, à la page 3).
[115] Les avocats de Voltage en l’espèce ont soutenu que la présente affaire ne constituait rien de plus qu’une jonction de défendeurs. Une telle qualification est cependant erronée selon moi. Des renseignements personnels sont demandés, et la Cour ne devrait en ordonner la divulgation que si des mesures de protection préviennent leur mauvais usage, comme tel a été le cas dans les affaires américaines visant les pêcheurs à la traîne de droits d’auteur.
[116] Fait à noter, nulle ébauche de lettre ou d’ordonnance n’a été présentée dans notre affaire bien qu’au cours de la plaidoirie, les avocats de Voltage aient défini les grandes lignes d’un projet de lettre. La Cour va se pencher sur la teneur de la lettre, étant donné l’ordonnance rendue en l’espèce.
[117] Les tribunaux américains ont traité bien peu souvent des droits au respect de la vie privée et à l’anonymat des violateurs présumés. L’examen le plus approfondi de la question a été fait dans Malibu Media, LLC c John Does, 902 F Supp 2d 690 (ED Pa, 2012), une affaire où cinq des violateurs présumés demandaient l’annulation des assignations de tiers et s’opposaient au dépôt d’une seule demande en vue de la jonction de toutes. Malibu Media, le producteur de films pornographiques et titulaire de droits d’auteur en cause, était l’une des demanderesses ayant introduit une procédure contre des violateurs présumés anonymes dans des ressorts multiples.
[118] Dans le cadre de l’action, on a décrit comme suit la façon pour Malibu Media d’aborder les litiges :
[traduction]
Une fois que la demanderesse obtient ces renseignements du PSI, elle communique avec les abonnés correspondant aux adresses IP, habituellement par lettre, pour les informer des poursuites et leur offrir l’occasion de régler pour un certain montant. Les lettres ne sont pas encore versées au dossier. La cour ne dispose non plus d’aucune information sur le montant habituellement requis par la demanderesse, ni sur la mesure dans laquelle des négociations ont lieu et aboutissent à un règlement. Si le défendeur John Doe destinataire de la lettre consent à payer, la demanderesse abandonne sa plainte contre lui, sans possibilité d’engager une autre action, ce qui permet au défendeur d’éviter la divulgation publique de son identité. S’il refuse tout règlement, ou si la demanderesse n’a pu signifier la plainte dans le délai de 120 jours prescrit par la Règle 4(m) des Règles fédérales de procédure civile, sous réserve de toute prorogation accordée par la cour, ainsi que tout renseignement fourni par le PSI, la demanderesse abandonne sa plainte contre le défendeur, mais sous réserve de sa capacité d’intenter une action par la suite. Usant de ce mode, la demanderesse a introduit des centaines de procédures devant diverses cours de district partout au pays, mais elle n’est encore allé en procès dans aucun cas. (à la page 5)
[Non souligné dans l’original.]
[119] Cela semble bien décrire le mode de fonctionnement habituel de la pêche à la traîne de droits d’auteur et de la facturation sur une base hypothétique. Dans l’affaire en cause, les violateurs présumés soutenaient que leur droit à l’anonymat avait préséance sur tout droit de propriété éventuel de la demanderesse dans les droits d’auteur. Étant d’opinion contraire, la cour a statué que les assignations de tiers n’occasionnaient pas un fardeau indu à ces défendeurs éventuels. La cour a reconnu que son ordonnance portait atteinte au droit à l’anonymat sur Internet et mettait en cause des droits garantis par le Premier amendement de la Constitution des États‑Unis. Elle a néanmoins conclu que le critère déjà utilisé par d’autres juges en vue de la délivrance d’assignations à des tiers permettait d’établir un juste équilibre entre les intérêts contradictoires en jeu. Ce critère nécessitait de soupeser cinq facteurs :
(1) le caractère concret de la preuve faite prima facie par le demandeur d’un préjudice susceptible d’action;
(2) la portée, précise ou non, de la demande de divulgation;
(3) l’absence d’autre mode d’obtention des renseignements visés par l’assignation;
(4) la nécessité de ces renseignements au soutien de l’action;
(5) les attentes en matière de respect de la vie privée de la partie opposante.
[120] Ces facteurs ressemblent quelque peu à ceux, énoncés dans BMG, dont on a traité précédemment. La cour était d’avis que les facteurs penchaient en faveur de la demanderesse parce qu’on pouvait atténuer toute atteinte éventuelle au respect de la vie privée des intéressés en accédant à leur demande faite qu’on procède de manière anonyme.
[121] La cour a aussi reconnu que les renseignements sur les abonnés pouvaient ne pas permettre d’identifier directement les défendeurs, tout en faisant remarquer cependant qu’ils permettraient vraisemblablement à la demanderesse d’identifier les véritables violateurs. Curieusement, compte tenu de l’approche adoptée par la demanderesse dans le litige décrite plus haut, la cour n’a pas examiné s’il était probable que cela se produise. La Cour a toutefois déclaré : [traduction] « L’objet des règles relatives à la jonction est de favoriser l’efficacité, et non d’utiliser les cours de district fédérales comme des agences de recouvrement de petites créances en leur faisant exercer des pressions économiques sur des personnes sans aucune responsabilité sur le fond » (à la page 11).
[122] En fin de compte, la cour n’a pas disjoint les demandes mais les a plutôt toutes suspendues, à l’exception de celles visant les cinq violateurs présumés lui ayant soumis les requêtes. Le juge a ordonné qu’on aille de l’avant avec un [traduction] « procès de type Bellweather » (une sorte de cause type destinée à donner aux parties une idée du déroulement probable d’instances futures de même nature).
[123] Fait intéressant, la cour a aussi formulé la mise en garde suivante, laissant ainsi entendre que l’intention véritable, ou non, de la demanderesse d’aller à procès pouvait être un facteur pertinent lors de futures instances :
[traduction]
Bien que la Cour ne puisse empêcher les parties d’en arriver à un règlement, elle présume que la demanderesse saisira l’occasion donnée pour démontrer le bien‑fondé de ses demandes en conformité avec les Règles fédérales de procédure civile, les Règles fédérales de preuve et les lois sur le droit d’auteur et éventuellement, si elle a gain de cause, pour obtenir une injonction interdisant les pratiques qu’elle conteste. Si la demanderesse décide plutôt de « choisir » divers M. et Mme Untel, en vue d’obtenir des règlements confidentiels, la Cour pourrait en déduire qu’elle ne veut pas sérieusement, ou ne peut pas, démontrer le bien‑fondé de ses demandes. (à la page 11) (Non souligné dans l’original.)
[124] Malgré ces déclarations judiciaires, la position des tribunaux américains demeure quelque peu ambiguë quant à la question de savoir si l’intention réelle d’un demandeur d’aller à procès contre les violateurs présumés est un facteur pertinent pour ordonner ou non la divulgation de renseignements.
[125] On ne procède pratiquement pas dans ces décisions, non plus, à l’analyse des éléments requis pour établir une preuve prima facie, une composante du critère applicable de la cause d’action valable. On fait mention dans la plupart des décisions de la preuve venant d’enquêteurs judiciaires. Le critère de la cause d’action valable est considéré satisfait lorsque la preuve permet d’identifier l’adresse IP de chaque violateur présumé, la ville à laquelle cette adresse correspond, la date et l’heure de la violation ainsi que le PSI lié à l’adresse (Malibu Media, 902 F Supp 2d 690).
Résumé de la jurisprudence britannique et américaine
[126] Les décisions passées en revue donnent à penser que les tribunaux tant du Royaume-Uni que des États‑Unis se soucient particulièrement de sanctionner un modèle commercial qui force des personnes innocentes à accepter un règlement.
[127] Les tribunaux des deux pays semblent disposés à imposer des mesures de protection et à superviser le processus de divulgation pour s’assurer que les demandeurs ne présentent pas faussement les répercussions de l’ordonnance de type Norwich.
[128] Ces tribunaux ont aussi généralement admis que les utilisateurs identifiés par suite de la divulgation pouvaient ne pas être les véritable violateurs, mais néanmoins disposer de renseignements conduisant aux présumés violateurs. Les décisions comme Combat Zone peuvent fournir des orientations particulièrement utiles parce qu’on y interdit aux demandeurs de qualifier de défendeurs les destinataires de leurs lettres.
[129] Quant aux préoccupations concernant le respect de la vie privée, la jurisprudence de l’un et l’autre pays laisse entendre qu’elles sont d’importance secondaire comme en général le droit n’en fait pas des obstacles aux poursuites contre les transgresseurs. La question de la portée d’une transgression, une fois son existence démontrée, est ainsi d’importance.
[130] On astreint clairement les demandeurs au critère de la preuve prima facie en droit américain, mais il est difficile d’évaluer dans quelle mesure la preuve mentionnée dans les décisions rendues satisfait à ce critère plus rigoureux. Il se pourrait que les tribunaux américains aient beaucoup plus l’habitude de ce type de demandes et sachent ainsi bien mieux quelle preuve permet de démontrer la violation. Il est intéressant de noter que les tribunaux américains, tout en reconnaissant que l’abonné auquel correspond l’adresse IP identifiée puisse ne pas être le véritable violateur pour de nombreuses raisons, n’ont pas abordé les lacunes des techniques utilisées pour retracer une telle adresse; la CIPPIC a pour sa part fait ressortir le problème.
[131] Les tribunaux britanniques exigent que les demandeurs établissent l’existence d’une cause défendable de violation du droit d’auteur. Dans Golden Eye, la Haute Cour a statué que les incertitudes techniques et non techniques ne suffisaient pas pour refuser une demande de divulgation.
[132] Ainsi, bien que la CIPPIC affirme que les tribunaux américains et britanniques reconnaissent comme condition préalable la nécessité d’examiner s’il existe une cause d’action valable, il ne ressort pas bien clairement de la jurisprudence ce que l’on entend par cela en pratique. Au vu de la preuve produite dans le cadre de la présente demande, il existe en l’espèce une véritable demande fondée sur la violation du droit d’auteur. La vraie question en jeu est celle des mesures de réparation appropriées.
CONCLUSION
[133] Après examen de toute la preuve produite par les parties, de leurs observations ainsi que de la jurisprudence, il est possible de dégager un certain nombre de principes. Ces principes s’ajoutent aux critères énoncés dans BMG qu’il convient d’appliquer. La Cour doit prendre en compte ces principes afin de soupeser, pour en arriver à un juste équilibre, le droit à la vie privée d’utilisateurs d’Internet peut‑être innocents et le droit des titulaires de droits d’auteur à faire respecter ceux‑ci. La Cour doit mettre ces droits en balance pour évaluer la mesure de réparation qu’il convient d’accorder. Lorsque la preuve laisse croire qu’un motif indu se cache derrière les actions d’une demanderesse titulaire de droits d’auteur, l’ordonnance devra être plus rigoureuse. La Cour ne pourra toutefois envisager de rejeter entièrement la requête que si une preuve convaincante montre que la demanderesse a un motif indu pour vouloir obtenir des renseignements sur de présumés violateurs. La Loi sur le droit d’auteur convie la Cour à faire respecter le droit d’auteur ainsi que les droits associés à la création d’œuvres protégées. Faute ainsi d’un motif indu manifeste, la Cour ne doit pas hésiter à accorder aux titulaires de droits d’auteur des mesures de réparation lorsque leurs droits dans des œuvres ont été violés.
[134] Voici en résumé une liste non exhaustive des éléments à considérer après examen de la jurisprudence des États‑Unis, du Royaume-Uni et du Canada :
a) la partie requérante doit démontrer qu’elle dispose d’une véritable demande;
b) il faut prévoir des mesures de protection pour que les violateurs présumés recevant la lettre de « mise en demeure » d’une partie ayant obtenu une ordonnance en application de l’article 238 des Règles ou une ordonnance de type Norwich ne se sentent pas contraints à faire un paiement sans bien comprendre leurs droits et leurs obligations juridiques;
c) lorsque la Cour octroie à une partie une ordonnance de type Norwich, elle peut conserver le pouvoir de s’assurer qu’elle n’en fasse un usage abusif, et assortir l’application de l’ordonnance des conditions requises;
d) la partie qui fait appliquer l’ordonnance de type Norwich doit acquitter les frais juridiques et débours du tiers innocent;
e) des mises en gardes précises concernant l’obtention de conseils juridiques, ou des choses semblables, doivent figurer dans toute correspondance adressée aux personnes visées par l’ordonnance de type Norwich;
f) il faut restreindre l’information à fournir par le tiers aux seuls nom et adresse domiciliaire des intéressés, à l’exclusion de leurs numéro de téléphone et adresse courriel;
g) un mécanisme doit permettre à la Cour de surveiller l’application de l’ordonnance de type Norwich;
h) il faut s’assurer que les renseignements communiqués demeurent confidentiels et ne soient pas divulgués au public et qu’ils ne soient utilisés que pour les fins de l’action;
i) il faut exiger que la partie qui obtient l’ordonnance transmette à l’avance à toutes les parties à la requête et à la Cour une copie de toute « mise en demeure » qu’elle se propose d’envoyer aux violateurs présumés;
j) la Cour devrait se réserver le droit d’ordonner que des modifications soient apportées à la mise en demeure si des déclarations inappropriées devaient y figurer;
k) on doit indiquer clairement dans les lettres envoyées aux personnes dont l’ordonnance de divulgation de la Cour permet d’apprendre le nom que la délivrance de l’ordonnance ne veut pas dire que la Cour a examiné sur le fond les allégations de violation de droit d’auteur portées contre elles, ni qu’elle a tiré la moindre conclusion de responsabilité;
l) toute mise en demeure doit préciser que son destinataire n’est pas nécessairement considéré être le violateur des droits d’auteur;
m) on doit joindre à toute lettre envoyée à un présumé violateur une copie de l’ordonnance de la Cour, ou encore de la décision en son entier;
n) la Cour doit s’assurer du caractère proportionnel de la mesure de réparation accordée.
[135] Au vu des faits d’espèce, certains éléments montrent que Voltage a pu avoir déjà institué des procédures pour un motif indu. La preuve n’est toutefois pas assez convaincante pour que la Cour, au stade actuel de l’instance, tire une conclusion définitive quant aux motifs de Voltage. Celle‑ci a démontré par sa preuve qu’elle est titulaire de droits d’auteur dans les œuvres; qu’on a conclu à l’issue de l’enquête judiciaire que de présumés violateurs avaient téléchargé les œuvres par l’entremise du système de pair‑à‑pair (P2P) BitTorrent; que TekSavvy, non‑partie au litige, est le PSI qui dispose de renseignements, comme le nom et l’adresse, sur les abonnés qui auraient enfreint les droits d’auteur de Voltage; que TekSavvy, à juste titre, ne communiquera aucun renseignement en l’absence d’une ordonnance de la cour; qu’il est équitable que Voltage ait accès aux renseignements pour faire respecter ses droits d’auteur; que, compte tenu des conditions de l’ordonnance, la production des renseignements n’occasionnera aucun retard, inconvénient ou frais à TekSavvy ou à des tiers.
[136] Les avocats de TekSavvy ont aidé à mettre en perspective ce pourquoi celle‑ci ne voulait pas révéler de renseignements et, d’après certains éléments de preuve, TekSavvy a fait part de certaines notifications à ses clients. TekSavvy a aussi demandé que lui soient remboursés les frais raisonnables engagés si elle devait communiquer des renseignements. Le juge chargé de la gestion de l’instance pourra régler tout différend concernant ces frais.
[137] Pour faire en sorte que la Cour conserve le contrôle de la mise en œuvre de l’ordonnance, la présente action sera gérée à titre d’instance à gestion spéciale et un juge chargé de la gestion de l’instance sera nommé pour superviser, autant qu’il sera nécessaire, la façon d’agir de Voltage avec les présumés violateurs.
[138] Pour veiller en outre à ce que rien d’inopportun ne soit écrit dans toute mise en demeure envoyée aux présumés violateurs, une ébauche en sera soumise à la Cour pour examen. On devra déclarer dans la mise en demeure qu’aucune cour n’a encore reconnu le destinataire coupable de violation de droit d’auteur, et que le destinataire devrait demander l’assistance d’un avocat. Avant de transmettre les renseignements, TekSavvy se fera rembourser les frais juridiques et administratifs ainsi que les débours raisonnables qu’elle aura engagés. Les seuls renseignements communiqués seront les nom et adresse correspondant aux adresses IP figurant en annexe de l’affidavit de Barry Logan, laquelle annexe est jointe à titre d’Annexe A aux présents motifs et ordonnance. Le juge chargé de la gestion de l’instance donnera les directives et fera les ajouts à l’ordonnance qui pourront être requis à l’avenir. Tous les participants à la présente requête et tout défendeur éventuel pourront demander au juge chargé de la gestion de l’instance, pour l’examen de questions soulevées dans l’instance, la tenue d’une conférence de cas.
[139] À mon avis, un juste équilibre est établi dans la présente ordonnance entre les droits des utilisateurs d’Internet présumés avoir téléchargé les œuvres protégées par droit d’auteur et le droit de Voltage de faire respecter ses droits dans ces œuvres. Un juge chargé de la gestion de l’instance sera en bonne posture pour préserver cet équilibre et veiller à ce que Voltage ne fasse pas respecter ses droits de manière inappropriée au détriment d’utilisateurs innocents d’Internet.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La présente action continuera d'être instruite à titre d'instance à gestion spéciale et est renvoyée au bureau du juge en chef en vue de la désignation d'un juge chargé de la gestion de l'instance.
2. TekSavvy Solutions Inc. (TekSavvy) communiquera à la demanderesse, dans la mesure où cela lui est possible, les coordonnées, plus précisément le nom et l’adresse, de ses clients (les abonnés) auxquels correspondent les adresses IP jointes à titre d’annexe B à l’affidavit de Barry Logan.
3. La demanderesse remboursera à TekSavvy tous les frais juridiques et administratifs et les débours raisonnables engagés par celle‑ci pour se conformer à la présente ordonnance.
4. La demanderesse acquittera les frais juridiques et débours raisonnables de TekSavvy mentionnés au paragraphe 3 des présentes avant que ne lui soient communiqués les renseignements mentionnés au paragraphe 2 des présentes.
5. La demanderesse joindra une copie de la présente ordonnance à toute lettre qu’elle enverra à un abonné identifié par TekSavvy en conformité avec la présente ordonnance.
6. Tout abonné pourra demander à la demanderesse la copie intégrale des présents motifs de l’ordonnance et ordonnance et la demanderesse transmettra une telle copie, sans frais, à tout abonné qui lui en fera la demande.
7. Toute action distincte intentée par la demanderesse contre l’un quelconque des abonnés fera l’objet d’une gestion de l’instance en lien avec la présente affaire.
8. Il sera clairement indiqué en caractères gras, dans toute lettre transmise par Voltage à un abonné, qu’aucune cour ne l’a encore reconnu coupable de violation de droit d’auteur, ni ne l’a condamné de quelque manière que ce soit au paiement dommages‑intérêts.
9. Une ébauche de la lettre dont l’envoi aux abonnés est envisagé sera transmise aux parties à la présente requête et à la Cour et fera l’objet d’une conférence de cas, en présence du juge chargé de la gestion de l’instance, pour examen et approbation de son contenu.
10. Les renseignements communiqués par TekSavvy demeureront confidentiels et ne pourront être divulgués à quelque autre partie que ce soit, sauf sur nouvelle ordonnance de la Cour, et la demanderesse ne pourra les utiliser qu’aux fins visées dans la présente action.
11. La demanderesse s’engagera auprès de la Cour à ne divulguer aucun renseignement obtenu de TekkSavvy au grand public en faisant une déclaration aux médias ou en publiant une déclaration dans les médias.
12. Tout participant à la présente requête et tout défendeur éventuel aura le droit de demander au juge chargé de la gestion de l’instance, pour l’examen de questions soulevées dans l’instance, la tenue d’une conférence de cas.
13. L’intitulé est par les présentes modifié pour ajouter la Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada Samuelson-Glushko à titre d’intervenante.
14. Le juge chargé de la gestion de l’instance disposera du pouvoir discrétionnaire d’apporter toute modification ou de faire tout ajout requis à la présente ordonnance.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
|
Dossier : |
T-2058-12 |
INTITULÉ : |
VOLTAGE PICTURES LLC c. M. UNTEL et MME UNETELLE |
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Toronto (Ontario) |
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 25 juin 2013 |
|
MOTIFS DE L'ORDONNANCE MODIFIÉS : |
LE PROTONOTAIRE AALTO |
|
DATE DES MOTIFS : |
Le 16 février 2015 |
|
COMPARUTIONS :
P. James Zibarras John Philpott |
POUR LA DEMANDERESSE |
Nicholas McHaffie Christian Tacit |
POUR LES DÉFENDEURS |
David Fewer |
Pour l’intervenantE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Brauti Thorning Zibarras LLP Toronto (Ontario) |
POUR LA DEMANDERESSE |
TekSavvy Solutions Inc. a/s Stikeman Elliott SENCRL, srl Ottawa (Ontario) |
POUR LES DÉFENDEURS |
La Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada Samuelson-Glushko |
Pour l’intervenantE |
[1] Juge Ronald Guzman, TCYK, LLC c. Does 1 – 88, 2013 U.S. Dist LEXIS 88402, (U.S. District Court for the Northern District of Illinois), à la page 3.
[2] Norwich Pharmacal Co.c. Customs & Excise Commissioners, [1974] AC 133. Ce type d’ordonnance est apparu pour la première fois dans cette affaire. Il fait maintenant partie du paysage canadien des litiges et impose à des tiers innocents de divulguer les renseignements dont ils disposent au sujet d’un comportement illégal. Nous traiterons de ces ordonnances plus loin dans les présents motifs.