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Date : 20140514


Dossier : IMM-3846-13

Référence : 2014 CF 465

Montréal (Québec), le 14 mai 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

RUN, MADEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé que, pour être suffisants, les motifs doivent permettre à la cour de révision de comprendre pourquoi un décideur a pris une décision et ensuite de déterminer si la conclusion du décideur appartient aux issues acceptables (Lebon c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CAF 132 au para 18).

[2]               La Cour juge que les motifs de l’agente sont insuffisants et ne satisfont pas aux critères de justification et intelligibilité énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708; même lorsqu’ils sont examinés en corrélation avec le résultat. La décision s'agit essentiellement d'un résumé des faits. Le raisonnement qui sous-tend la décision est, au mieux, obscur. Les notes de l’agente n’expliquent nullement pourquoi la décision a été rendue.

[3]               Bien qu’il ressort de ses motifs que l’agente avait des préoccupations sur quelques aspects de la preuve au dossier, ils n’expliquent pas comment ces préoccupations formaient part de sa conclusion finale. La décision était-elle en fait une conclusion défavorable relative à la crédibilité du demandeur ou était-elle plutôt basée sur un manque de preuve que le demandeur pouvait rencontrer les exigences d’emploi pour l’emploi envisagé au Canada? Les raisons demeurent inexpliquées.

II.                Introduction

[4]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], relativement à une décision par laquelle un agent des visas a refusé la demande de permis de travail du demandeur.

III.             Faits

[5]               Le demandeur, monsieur Maden Run, est un citoyen cambodgien né en 1980.

[6]               Le demandeur aurait exercé le métier de cuisinier au Cambodge pour le restaurant Food and Beverage Center Gallery Café [FBC] depuis 2010. Avant 2010, il aurait travaillé pour le restaurant Arunras comme laveur de vaisselle et cuisinier.

[7]               Le 24 avril 2012, le demandeur a reçu une offre d’emploi du restaurant Chez Vanna, situé à Québec, Québec.

[8]               En décembre 2012, le demandeur a soumis une demande de permis de travail temporaire à l’Ambassade du Canada à Bangkok pour travailler à titre de chef cuisinier dans le restaurant Chez Vanna. Le 5 avril 2013, l’agente a refusé la demande de visa.

[9]               Le 30 janvier 2013, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision.

IV.             Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[10]           L’agente a tout d'abord déterminé que le demandeur n’avait pas établi qu’il avait l’expérience professionnelle requise pour exercer l’emploi envisagé au restaurant Chez Vanna à Québec. Dans ses notes du Système mondial de gestion des cas [SMGC], l’agente a noté des défaillances dans la preuve soumise par le demandeur qui minait sa crédibilité. Notamment, l’agente a noté que les attestations d’emploi du demandeur étaient contradictoires au sujet de son statut d’emploi. De plus, le demandeur ne pouvait pas identifier le restaurant Arunras lorsqu’on lui a présenté une photo à son entrevue, malgré le fait qu’il avait travaillé à cet endroit pour 10 ans. Elle nota aussi que le demandeur n’avait pas fourni des preuves additionnelles concernant sa formation à titre de cuisinier, et ce, malgré une demande spécifique de l’Ambassade du Canada.

[11]           L’agente n’était aussi pas convaincue que le demandeur retournerait dans son pays d’origine après la durée de son séjour au Canada.

V.                Point en litige

[12]           Est-ce que la décision de l’agente est raisonnable?

VI.             Dispositions législatives pertinentes

[13]           L’article 11 de la LIPR s'applique en l'espèce :

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[14]           L’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 s'applique également en l'espèce :

Exceptions

(3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

Exceptions

(3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé;

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought;

VII.          Norme de contrôle

[15]           Les décisions des agents des visas concernant les permis de travail temporaires sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Grusas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 733; Dhillon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 614).

VIII.       Analyse

[16]           Selon le demandeur, l’agente des visas a commis une erreur en omettant d’expliquer pourquoi il ne s’était pas déchargé de son fardeau de preuve pour établir qu’il pouvait rencontrer les exigences de l’emploi envisagé à Chez Vanna. Il soutient qu’elle a également ignoré la preuve au dossier en ne posant pas suffisamment de questions à son employeur au sujet de son emploi lors de sa visite sur son lieu de travail.

[17]           Après avoir examiné la preuve au dossier, les notes du SMGC, ainsi que la lettre de refus, la Cour estime que la décision de l’agente est déraisonnable.

[18]           La Cour suprême du Canada a récemment traité de la question principale soulevée par le demandeur au sujet du caractère suffisant des motifs dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, ci-dessus. Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, la Cour a conclu que l’ « insuffisance » des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. Il faut plutôt que selon l’ensemble du dossier les motifs soient « examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles  » (au para 14).

[19]           Or, la Cour d’appel fédérale a récemment confirmé que, pour être suffisants, les motifs doivent permettre à la cour de révision de comprendre pourquoi un décideur a pris une décision et ensuite de déterminer si la conclusion du décideur appartient aux issues acceptables (Lebon, ci-dessus au para 18).

[20]           La Cour souscrit également aux observations du juge Yves de Montigny dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323, 386 FTR 1 :

[17]      Une décision est suffisamment motivée lorsque les motifs sont clairs, précis et intelligibles et lorsqu’ils disent pourquoi c’est cette décision-là qui a été rendue. Une décision bien motivée atteste une compréhension des points soulevés par la preuve, elle permet à l’intéressé de comprendre pourquoi c’est cette décision-là qui a été rendue, et elle permet à la cour siégeant en contrôle judiciaire de dire si la décision est ou non valide : voir Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761, paragraphe 46; Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. n° 545 (C.A.F.); VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.F.), paragraphe 22; décision Arastu, précitée, paragraphes 35 et 36.

[21]           En l’espèce, la Cour juge que les motifs de l’agente sont insuffisants et ne satisfont pas aux critères de justification et intelligibilité énoncés dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union; même lorsqu’ils sont examinés en corrélation avec le résultat. La décision s'agit essentiellement d'un résumé des faits. Le raisonnement qui sous-tend la décision est, au mieux, obscur. Les notes de l’agente n’expliquent nullement pourquoi la décision a été rendue.

[22]           Bien qu’il ressort de ses motifs que l’agente avait des préoccupations sur quelques aspects de la preuve au dossier, ils n’expliquent pas comment ces préoccupations formaient part de sa conclusion finale. La décision était-elle en fait une conclusion défavorable relative à la crédibilité du demandeur ou était-elle plutôt basée sur un manque de preuve que le demandeur pouvait rencontrer les exigences d’emploi pour l’emploi envisagé au Canada? Les raisons demeurent inexpliquées.

[23]           Puisque les motifs sont dépourvus de justification et intelligibilité, il demeure impossible pour la Cour de déterminer si la décision en l’espèce appartient aux issues possibles acceptables eu égard aux faits et au droit. L'intervention de la Cour est donc justifiée.

IX.             Conclusion

[24]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie et l’affaire soit retournée pour examen à nouveau par un autre agent d’immigration.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit accueillie et l’affaire soit retournée pour examen à nouveau par un autre agent d’immigration avec aucune question d’importance générale à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3846-13

 

INTITULÉ :

RUN, MADEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 mai 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Vanna Vong

 

Pour le demandeur

 

Margarita Tzavelakos

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vanna Vong

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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