Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140502


Dossier : IMM-5219-13

Référence : 2014 CF 417

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2014

En présence de monsieur le juge Noël

ENTRE :

KENIA KEDESH COLIN VILLARROEL,

ALEJANDRA CASTILLO CODIN,

ANA SOFIA COLIN VILLARROEL

 

Partie

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Partie

défenderesse

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

I.          Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] à l’encontre de la décision rendue le 12 juin 2013 par Youssoupha Diop, commissaire de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR], dans laquelle on concluait que les demanderesses ne sont ni des réfugiées au sens de la Convention pour l’application de l’article 96 de la LIPR, ni des personnes à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

II.        Faits

[2]               Kenia Kedesh Colin Villarroel [la demanderesse principale] et ses deux enfants mineures, Alejandra Castillo Colin et Ana Sofia Colin Villarroel [les trois réunies, les demanderesses], sont citoyennes du Mexique.

[3]               Dans son formulaire de renseignements personnel [FRP], la demanderesse principale déclarait craindre Guillermo Rafael Jimenez Garcia, un officier très puissant de l’armée mexicaine qui la menaçait, la battait et la maltraitait. La mère de la demanderesse principale a déposé plusieurs plaintes contre l’officier pour les sévices contre sa fille et celui-ci a finalement été muté vers un autre État. La demanderesse principale a déclaré être tombée enceinte en décembre 2005 et avoir perdu le bébé en mars 2006, un garçon selon le certificat de décès. La demanderesse principale a informé l’officier de la grossesse et celui-ci a continué à la harceler. En décembre 2010, l’officier aurait attaqué la demanderesse principale et aurait été arrêté, il aurait également tenté d’enlever les filles de cette dernière.

[4]               Les demanderesses ont quitté le Mexique le 19 juillet 2011 et ont séjourné aux États-Unis avant d’entrer au Canada et d’y présenter une demande d’asile le 20 août 2011.

[5]               Avant l’audience devant la SPR, la demanderesse principale a déposé un nouveau récit narratif. Cette audience a eu lieu le 6 juin 2013, et la demanderesse principale a agi à titre de représentante désignée de ses filles, et les demanderesses y étaient représentées par un avocat.

III.       Décision contestée

[6]               La SPR s’est déclarée satisfaite de l’identité des demanderesses, mais elle a rejeté leur demande en raison des contradictions, des omissions et des incohérences du témoignage de la demanderesse principale. Cette dernière n’était pas crédible et n’a pas établi une crainte de persécution. Elle a demandé à la SPR d’écarter son récit narratif original au profit d’une seconde version des faits qu’elle a déposée en raison de ses convictions religieuses, qui l’ont poussée à corriger certains mensonges et certaines exagérations de son premier récit narratif. La SPR y a vu un premier indice du manque de crédibilité pour la demanderesse principale et a indiqué à cette dernière qu’elle allait tout de même la questionner sur sa première version des faits.

[7]               Dans son deuxième récit narratif, la demanderesse principale rapportait que l’officier l’aurait forcée à subir un avortement en 2003, tandis que la version originale faisait état de la perte d’un enfant en mars 2006 (ou, selon le certificat de décès, en février 2006). Questionnée au sujet des circonstances de ces deux grossesses, la demanderesse principale n’a pas su convaincre la SPR de la véracité de ses allégations. Toujours au sujet de la grossesse, la demanderesse principale avait affirmé dans son récit narratif initial avoir perdu un garçon de sexe masculin alors que l’acte de naissance ne précise pas le sexe de l’enfant, et la SPR a rejeté les explications de la demanderesse principale à cet égard.

[8]               La SPR a conclu que la demanderesse principale a souhaité modifier son récit narratif pour l’harmoniser avec d’autres pièces déposées au dossier, c’est-à-dire des témoignages qui contredisaient son récit narratif initial.

[9]               Aussi, selon la deuxième version du récit narratif, la mère de la demanderesse principale soupçonnait simplement l’existence d’une relation entre la demanderesse principale et son amoureux, mais la preuve démontre clairement qu’elle ne faisait pas que soupçonner cette relation; elle en dénonçait plutôt l’existence et elle avait souvent entrepris des démarches contre de possibles abus d’autorité ou de viols à l’égard de sa fille.

[10]           La demanderesse principale a également livré des versions vastement contradictoires quant au moment et aux circonstances de sa dernière rencontre avec l’officier.

[11]           En outre, la SPR a noté que la demanderesse principale a affirmé avoir eu l’occasion de se rendre aux États-Unis plus de 10 fois depuis 2008, notamment pour des vacances, et qu’elle a eu l’occasion d’y demeurer pendant un an avec son père, qui est professeur. Ce témoignage différait de ce qui était mentionné dans son FRP. La SPR a rejeté l’explication de la demanderesse principale au sujet de cette incohérence. Selon la SPR, ce comportement faisait montre d’une absence de crainte de persécution puisque la demanderesse principale, avait-elle réellement eu une crainte de persécution, ne serait pas revenue au Mexique après chaque visite, et la demanderesse principale n’a pas su donner des explications convaincantes et établir le bien-fondé de sa crainte actuelle de persécution.

IV.       Arguments des demanderesses

[12]           La demanderesse principale rappelle qu’elle a volontairement informé la SPR qu’elle avait soumis un deuxième récit narratif et que l’examen de sa demande devait se faire en fonction de cette seconde version. Compte tenu des changements entre les deux récits narratifs, il était évident que la SPR y trouverait des contradictions, mais il n’était pas raisonnable de rejeter la crédibilité de la demanderesse principale sur la base de ces simples contradictions. Aussi, de par la teneur de certaines questions, notamment au sujet des grossesses, la SPR n’a pas respecté les Directives no 4 — Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. Enfin, l’analyse de la crainte de persécution est déraisonnable compte tenu du témoignage de la demanderesse principale.

V.        Arguments du défendeur

[13]           Le défendeur estime que la décision de la SPR est raisonnable dans la mesure où le tribunal a d’emblée informé la demanderesse principale qu’elle allait être questionnée au sujet de ses deux récits narratifs et où la présente Cour a souvent conclu que la SPR est habilitée à examiner les modifications apportées à un FRP par un demandeur et à tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité si d’importantes questions ont été modifiées. La SPR était d’autant plus justifiée de procéder de la sorte étant donné que l’avocat de la demanderesse principale n’a soulevé aucune objection à l’audience lorsque des questions ont été posées sur les divergences entre les deux récits narratifs. À cet égard, les questions relatives aux grossesses de la demanderesse principale étaient tout à fait raisonnables puisqu’elles permettaient justement de mettre en évidence ces divergences. La demanderesse principale invite plutôt la présente Cour à procéder à un nouvel examen de la preuve et à substituer sa propre opinion à celle de la SPR, ce qui ne relève aucunement de sa compétence. En dépit de l’argument de la SPR sur la crédibilité, toutefois, la décision demeure fondée en raison des autres problèmes relevés dans le dossier, notamment le fait que la demanderesse principale a omis de revendiquer l’asile lors de ses nombreuses visites aux États-Unis.

VI.       Question en litige

[14]           La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse principale n’était pas crédible?

VII.     Norme de contrôle

[15]           L’évaluation de la crédibilité par la SPR est une question de fait qui appelle à un contrôle suivant la norme de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, au para 4, Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; voir par exemple Martin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 664 au para 11, [2010] ACF no 768). La présente Cour devra donc accorder une grande déférence aux conclusions de la SPR concernant la crédibilité de la demanderesse principale.

VIII.    Analyse

[16]           Pour les motifs exposés ci-dessous, la décision de la SPR est raisonnable et ne justifie pas l’intervention de la Cour.

[17]           Comme l’a très justement indiqué le défendeur, la SPR est en droit d’examiner le FRP d’un demandeur tant avant qu’après que la modification de celui-ci, et le décideur peut en effet tirer des conclusions négatives sur le plan de crédibilité du demandeur dans l’éventualité où de grandes contradictions seraient observées entre les deux versions (voir Zeferino c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 456 au para 31, [2011] ACF no 644; Taheri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1252 aux paras 4 et 6). Ainsi, n’en déplaise à la demanderesse principale, c’est à bon droit que la SPR a tenu compte des deux récits narratifs, et les motivations de la demanderesse principale pour modifier son récit narratif ou encore le fait que celle-ci ait invité la Cour à ne tenir compte que de la seconde version ne changent en rien les droits de la SPR à cet égard.

[18]           La SPR a donc relevé plusieurs contradictions entre les différentes versions de récits narratifs et le témoignage de la demanderesse principale portant sur des éléments essentiels de sa demande. Notons les exemples suivants. Dans la deuxième version de son récit narratif, la demanderesse principale prétend qu’elle aurait été forcée par son présumé agresseur à subir un avortement en 2003, tandis que le récit narratif initial fait bel et bien état de la perte d’un enfant, mais en 2006. La demanderesse principale s’est également contredite quant à la façon dont elle avait appris le sexe de l’enfant qu’elle a perdu en 2006; selon une version, elle l’aurait appris de la bouche d’une infirmière et, selon une autre version, elle l’aurait su après avoir consulté le certificat de décès (sur lequel, par ailleurs, le sexe de l’enfant ne figure pas). La demanderesse principale a également livré des versions contradictoires en ce qui concerne ce que sa mère savait de sa relation avec son présumé agresseur et sur ce qu’elle a tenté de faire pour dénoncer d’éventuelles agressions contre sa fille. La demanderesse principale s’est une fois de plus contredite relativement à quand remonte son dernier contact physique ou sa dernière rencontre avec son présumé agresseur. Réunies, ces importantes contradictions portent gravement atteinte à la crédibilité de la demanderesse principale d’autant plus que les contradictions relevées concernent directement les allégations à l’appui de la demande.

[19]           Compte tenu de ces contradictions, il était raisonnable pour la SPR de rejeter la demande de la demanderesse principale en concluant que cette dernière n’avait pas de crédibilité.

[20]           En outre, ayant déjà rejeté la crédibilité de la demanderesse principale, la SPR n’était pas tenue d’examiner la crainte de persécution, mais elle s’est néanmoins livrée à l’exercice. Encore une fois, des incohérences et des contradictions dans les différentes versions de l’histoire de la demanderesse principale sont venues miner sa crédibilité, notamment en ce qui a trait au nombre de fois qu’elle a visité les États-Unis et les raisons pour lesquelles elle a fait ces voyages. D’ailleurs, la SPR n’a pas été convaincue des explications de la demanderesse principale à ce sujet et, compte tenu de la conclusion générale selon laquelle la demanderesse principale n’est pas crédible, il était raisonnable pour elle de conclure ainsi.

[21]           Par conséquent, puisqu’il ne revient pas à la présente Cour de soupeser de nouveau la preuve présentée (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59, [2009] ACS no 12), j’estime que la décision de la SPR concluant que la demanderesse principale n’était pas crédible dans son témoignage est raisonnable.

[22]           Les parties ont été invitées à soumettre une question aux fins de certification, mais aucune ne fut proposée.

 


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Simon Noël »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-5219-13

 

INTITULÉ :

KENIA KEDESH COLIN VILLARROEL et al

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 avril 2014

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE simon NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 mai 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Cristina Marinelli

 

pour la partie demanderesSe

 

 

Me Edith Savard

 

pour lA PARTIe défenderESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Cristina Marinelli

Avocate

Montréal (Québec)

 

pour lA PARTIe demanderesse

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

pour lA PARTIe défenderESSE

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.