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Date : 20140429


Dossier :

T-2290-12

 

Référence : 2014 CF 398

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

MARC BABINEAU

 

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, de la décision du Grand Prévôt des Forces canadiennes, le Colonel T.D. Grubb (le « Grand Prévôt »), datée du 30 novembre 2012, révoquant les attestations de policier militaire du demandeur.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

Faits

[3]               Le demandeur, Marc Babineau, a été déployé en Afghanistan au mois d’août 2010 comme Commandant Adjoint de la mission canadienne d’entraînement de la police afghane. Il a occupé ses fonctions jusqu’en juillet 2011.

 

[4]               Au cours de son déploiement, le demandeur a eu des difficultés avec le fonctionnement des chargeurs fournis par les Forces canadiennes. Des munitions sont apparemment tombées du chargeur à plusieurs reprises. Le demandeur doutait de la qualité des chargeurs et en conséquence craignait pour sa sécurité en cas d’attaque surprise.

 

[5]               Les confrères américains du demandeur lui ont conseillé d’acheter d’autres chargeurs du Personnel Exchange [PEx ou PX] américain afin de remplacer ses chargeurs canadiens. Le demandeur s’est procuré 14 de ces chargeurs.

 

[6]               Suite à cet achat, des confrères canadiens du demandeur l’auraient mis en garde contre l’utilisation de ces chargeurs, lui disant qu’il courait le risque d’être réprimandé s’il utilisait un équipement qui n’était pas fourni par les Forces canadiennes.

 

[7]               Le demandeur a voulu retourner les chargeurs au PX américain, mais il avait perdu sa facture et n’a donc pas pu les retourner. Il a alors choisi de les envoyer à sa conjointe au Canada, par la poste, dans un colis contenant également une lunette optique. Il a bien noté sur le bordereau d’envoi qu’il s’agissait de 14 chargeurs (« 14 magazines »), et il avait indiqué à l’agent du bureau de poste qu’il s’agissait de chargeurs avant de poster le colis. Le colis a par la suite été intercepté et retenu par l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC].

 

[8]               Après avoir envoyé le colis, le demandeur a appris qu’il était interdit de poster des chargeurs contenant plus de cinq (5) munitions. Il est alors entré en contact avec sa conjointe pour qu’elle communique avec un ami, un agent de la Sûreté du Québec, pour qu’il détruise les chargeurs à leur arrivée au Canada. Cependant, le colis avait déjà été saisi par l’ASFC qui a simplement confisqué les chargeurs et requis le paiement de frais de douanes pour la lunette optique. Aucune accusation n’a été portée par l’ASFC relativement à l’envoi du colis.

 

[9]               Suite à cet incident, le demandeur a été avisé que le Service national des enquêtes des Forces canadiennes [SNEFC] allait procéder à une enquête. Le demandeur a entièrement collaboré avec le SNEFC, et a fourni tous les documents et pièces qu’il avait en sa possession. Au terme de cette enquête, en avril 2011, il a été mis en accusation par le SNEFC pour avoir exporté un dispositif prohibé (les 14 chargeurs) sans autorisation, en contravention de la Loi sur les armes à feu, LC 1995, ch 39 ou de toute autre loi fédérale.

 

[10]           Le demandeur a complété sa mission en Afghanistan et, à son retour au Canada, a repris ses fonctions comme Commandant Adjoint de la 5e compagnie de la Police militaire. Le demandeur a aussi demandé que les procédures à la Cour martiale soient fixées rapidement afin qu’il puisse participer à un exercice prévu pour l’automne.

 

[11]           Le demandeur a été accusé d’avoir enfreint l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour avoir illégalement importé des chargeurs prohibés au Canada en contravention de l’alinéa 104(1)(a) du Code criminel, et d’avoir commis un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline selon l’article 129 de la Loi sur la défense nationale. Il a plaidé coupable au deuxième chef d’accusation et a été condamné par la Cour martiale à une réprimande et à une amende de 2 000$. Compte tenu de l’aveu de culpabilité du demandeur, et comme le deuxième chef d’accusation était subsidiaire au premier chef d’accusation, le Juge militaire a suspendu l’instance à l’égard du premier chef : R c Babineau, 2011 CM 3009.

 

[12]           Suite à son plaidoyer de culpabilité, le dossier du demandeur a été soumis au Conseil de révision des attestations de la Police militaire [CRAPM ou Conseil] pour examiner si les actes du demandeur constituent une violation du Code de déontologie de la Police militaire [CDPM ou Code]. Le Conseil peut soumettre au Grand Prévôt toute recommandation qu’il juge appropriée, selon les circonstances de l’affaire, et doit fournir des motifs écrits : Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, art. 22.04; Consignes et procédures techniques de la Police militaire, ch 3, arts. 17, 39 et 41. Le demandeur a fourni des représentations écrites pour la révision par un comité de cinq membres (« comité de révision »). Tous les membres ont conclu que le demandeur avait violé le CDPM. Quatre des cinq membres ont recommandé une suspension de 180 jours, tandis que le cinquième a plutôt préconisé la révocation des attestations du demandeur. Auparavant, le superviseur du demandeur, le major Vouligny, avait recommandé une suspension de 90 jours ainsi qu’une mise en garde de 12 mois.

 

[13]           Le dossier a par la suite été référé au Grand Prévôt pour décision. À titre de Commandant de la Police militaire (l’officier détenant le grade le plus élevé au sein de la Police militaire), il est l’autorité ultime en ce qui a trait à la discipline des membres de la Police militaire. Il lui revenait de prendre la décision finale dans le cas du demandeur et n’était pas lié par les recommandations du Conseil de révision.

 

[14]           Après examen des motifs et des recommandations du Conseil de révision, le Grand Prévôt a fait part au demandeur de son intention de révoquer ses attestations de policier militaire dans une lettre en date du 28 août 2012. Le Grand Prévôt a donné l’opportunité au demandeur de fournir une dernière représentation écrite et tout autre nouveau document pertinent avant de rendre sa décision finale. Après avoir considéré les représentations supplémentaires du demandeur, le Grand Prévôt lui a communiqué sa décision finale de révoquer ses attestations de policier militaire le 30 novembre 2012.

 

[15]           Le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire devant cette Cour le 28 décembre 2012.

 

La décision contestée

[16]           Le Grand Prévôt note tout d’abord que le Comité n’a pas accordé assez de poids à un facteur fondamental, soit le leadership que doit démontrer un officier commandant la police militaire.

 

[17]           Tout en reconnaissant que le rendement du demandeur était parfois digne de mention, le Grand Prévôt a indiqué que les actes commis par le demandeur ne sont pas ceux qui sont attendus d’un militaire des Forces canadiennes, et surtout d’une personne qui est non seulement un membre de la Police militaire mais un officier qui doit commander les autres policiers militaires chargés d’appliquer la loi dans les Forces canadiennes. Il ajoute : « J’ai perdu l’entière confiance que j’avais en la capacité du Capt Babineau de remplir ses fonctions à titre d’officier de la Police militaire, et je crois que sa crédibilité auprès de ses subordonnés est inexistante » : Dossier du défendeur, p 508.

 

[18]           Le Grand Prévôt note également que le Capitaine Babineau a admis ignorer que l’importation de chargeurs à grand capacité était contraire au Code criminel et aux ordres permanents du théâtre et avoir plaidé coupable en Cour martiale, alors même qu’il compte plus de 20 ans d’expérience dans les Forces canadiennes, qu’il est un ancien membre des armes de combat, un enquêteur compétent de la Police militaire et une personne qui porte régulièrement une arme à feu. Aux yeux du Grand Prévôt, les violations au CDPM ne peuvent être prises à la légère, et l’on ne saurait permettre qu’un officier de la Police militaire conserve ses attestations s’il pose des gestes qui entraîneraient le rejet d’une candidature si une personne se retrouvait dans une situation semblable pendant sa participation au Centre d’évaluation de la Police militaire. À cet égard, le Grand Prévôt conclut : « Selon moi, le Capt Babineau a été trompeur dans ces circonstances et cela reflète un aspect de son caractère. Je ne peux régler cette violation par une suspension » : Dossier du défendeur, p 509.

 

[19]           Le dernier paragraphe substantif de l’avis d’intention du Grand Prévôt mérite d’être reproduit intégralement pour bien comprendre la teneur de sa décision :

Dans le cadre de mes délibérations dans ce dossier, j’ai soulevé des préoccupations importantes au sujet de la gravité de la conduite du Capt Babineau. Bien que le CRAPM soit mandaté pour examiner les questions concernant le CDPM, il est de mon devoir en tant que Grand Prévôt des Forces canadiennes de prendre en considération tous les facteurs reflétant les aptitudes d’une personne nommée au sein de la Police militaire, y compris le niveau de leadership d’une personne. Le Capt Babineau, de son propre aveu, est coupable d’actions qui sont directement liées à son honnêteté et à son intégrité. Sa discréditation au sein de la Police militaire a été aggravée par la publication de ses actions dans les médias nationaux et par sa déclaration de culpabilité subséquente. De plus, je constate que le Capt Babineau ne reconnaît aucunement la gravité de cette transgression dans sa déclaration. Au contraire, il déploie des efforts considérables afin de justifier ses actions; il tente de minimiser la gravité de l’infraction et il remet en question le processus d’enquête et l’enquêteur. Plutôt que d’avouer sa transgression, de démontrer du remord pour ses actions et d’offrir des excuses pour s’être discrédité et avoir nuit à la réputation de sa commission et de la Police militaire, il prétend que cette affaire était une erreur mineure et il accuse d’autres personnes d’avoir présenté ce dossier au CRAPM. Le CRAPM a déterminé que les actions du Capt Babineau étaient clairement de mauvaise réputation et contraires à l’intérêt public, et qu’elles ne pouvaient que nuire à la réputation de la Police militaire. Cela a contribué directement à ma décision.

 

Question en litige

[20]           La seule question en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire consiste à déterminer si la décision du Grand Prévôt de révoquer les attestations de policier militaire du demandeur était raisonnable.

 

Analyse

[21]           Bien que cette Cour ne se soit jamais prononcée sur la norme de contrôle applicable aux décisions prises par le Grand Prévôt lorsqu’il applique le CDPM, il ne me semble pas faire de doute que la norme appropriée soit celle de la décision raisonnable. D’une part, le demandeur ne conteste pas le fait qu’il a enfreint le paragraphe 4(l) du CDPM; ce qu’il remet en question, c’est la sévérité de la sanction qui lui a été imposée par le Grand Prévôt. Or, il s’agit là d’une décision de nature discrétionnaire et reposant essentiellement sur l’appréciation des faits. De plus, le Grand Prévôt connaît manifestement le contexte militaire et jouit d’une plus grande expertise que cette Cour en la matière.

 

[22]           D’autre part, la Cour a déjà statué que la norme de contrôle applicable aux décisions du Chef d’état-major de la Défense en matière de règlement de griefs était celle de la décision raisonnable. À titre d’illustration, le juge Near (alors qu’il était membre de cette Cour) écrivait dans l’arrêt Moodie c Canada, 2009 FC 1217, au paragraphe 18 :

C’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à la décision du CEMD (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190). J’en arrive à cette conclusion après avoir tenu compte de ce qui suit : le fait que les décisions du CEMD sont définitives et obligatoires, sous réserve du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, le fait que le CEMD est chargé du contrôle et de l’administration des Forces canadiennes et qu’il interprète sa propre loi, le fait que le régime législatif accorde au CEMD un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne le règlement de ces griefs et, enfin, le fait que les questions à aborder sont d’abord et avant tout des questions de fait ou des questions mixtes de droit et de fait.

 

Voir aussi : Rompré c Canada (Procureur général), 2012 CF 101, aux paras 22-25; Birks c Canada (Procureur général), 2010 CF 1018, aux paras 4-5 et 25-27; Armstrong c Canada (Procureur général), 2006 CF 505, au para 35.

 

[23]           À mon avis, les mêmes facteurs trouvent application lorsque le Grand Prévôt prend une décision découlant du CDPM. Par conséquent, la décision du Grand Prévôt doit faire l’objet de déférence. Dans la mesure où sa décision fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », résulte d’un processus intelligible et transparent et repose sur une justification, cette Cour n’interviendra pas. Une telle attitude n’implique cependant pas une abdication des responsabilités qui sont dévolues au pouvoir judiciaire dans son examen des décisions administratives. Comme la Cour suprême se faisait fort de le rappeler dans l’arrêt Dunsmuir (au para 48), « [I]l ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations”, pas plus qu’elles ne peuvent invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer leurs propres vues. C’est donc dans cette perspective que la décision du Grand Prévôt doit être examinée.

 

[24]           Le défendeur a raison de soutenir que le Grand Prévôt n’était nullement lié par les conclusions ni les recommandations du Conseil de révision, mais devait tout simplement en tenir compte : Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, Ch 22, para 22.04(11); Consignes et procédures techniques de la Police militaire, Ch 3, arts. 17 et 41. En revanche, la décision du Grand Prévôt d’écarter une recommandation quasi unanime (4 membres sur 5) du Conseil de révision doit reposer sur de solides justifications et s’appuyer sur la preuve au dossier. Or, c’est à ce chapitre que la décision du Grand Prévôt est déficiente.

 

[25]           Le Grand Prévôt reproche tout d’abord au demandeur de ne pas avoir exprimé de remord et de ne pas avoir reconnu la gravité de l’infraction qu’il a commise. Deux commentaires s’imposent à cet égard. Tout d’abord, la gravité du geste posé par le Capitaine Babineau doit être nuancée. D’une part, le fait d’avoir expédié des chargeurs au Canada par la poste, lesquels sont des dispositifs prohibés par la loi, constituait une infraction d’ordre militaire aux termes de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale et non une infraction criminelle, comme l’écrit le Grand Prévôt. Il est vrai que l’on est en droit de s’attendre à ce qu’un policier militaire ait une meilleure connaissance de la loi qu’un simple militaire des Forces armées et fasse preuve, à tout le moins, d’une plus grande prudence. Ceci étant dit, l’infraction commise apparaît somme toute assez technique, compte tenu du fait que l’envoi de chargeurs de moins de cinq balles ne constitue pas une infraction. Qui plus est, il n’est pas contesté que le demandeur était de bonne foi, n’ayant jamais dissimulé la nature des marchandises expédiées; au contraire, il a explicitement décrit ce qui se trouvait à l’intérieur du colis et semble même l’avoir emballé au vu et au su du maître de poste, que le défendeur n’a pas jugé bon de faire témoigner. On n’a pas non plus remis en question l’affirmation du Capitaine Babineau selon laquelle il avait demandé à un ami membre de la Sûreté du Québec de détruire les chargeurs dès qu’il a appris leur caractère illégal. Compte tenu de l’ensemble de ces faits, il ne fait aucun doute que le demandeur a fait preuve de négligence, mais rien n’indique qu’il était de mauvaise foi.

 

[26]           Quant à son prétendu manque de remords, la preuve au dossier tend à démontrer le contraire. Tout d’abord, le juge de la Cour martiale tient compte du fait que le Capitaine Babineau a plaidé coupable à l’infraction dont il était accusé au nombre des facteurs atténuants, et ajoute qu’il a « témoigné de manière très manifeste de [ses] remords, de [sa] sincérité dans [son] intention de continuer à représenter un actif solide au sein des Forces canadiennes » (Dossier du défendeur, p 260). D’autre part, le Conseil de révision a également relevé comme facteur atténuant que le Capitaine Babineau a reconnu ses erreurs et a plaidé coupable en Cour martiale. Il a même pris l’initiative de suivre un cours de spécialisation sur les armes prohibées après l’évènement qu’on lui reproche, ce qui témoigne dans une certaine mesure du fait qu’il reconnaît ses lacunes et veut les combler.

 

[27]           Il est vrai que dans les observations qu’il a présentées au Conseil de révision, le demandeur a fait valoir que l’équipement mis à la disposition des militaires canadiens n’était pas toujours adéquat et a tenté d’expliquer pourquoi il avait expédié les chargeurs par la poste. Ces déclarations ne me semblent pas refléter une absence de remords ou une volonté de nier sa responsabilité; au contraire, elles s’inscrivent parfaitement dans une démarche visant à expliquer le contexte dans lequel l’infraction a été commise de façon à convaincre le Conseil de révision qu’il ne mérite pas une peine trop lourde.

 

[28]           Le Grand Prévôt semble aussi remettre en question la crédibilité du demandeur auprès de ses subordonnés. Or, la preuve démontre qu’il avait reçu des rapports d’appréciation du personnel [RAP] selon lesquels son rendement est considéré « satisfaisant », « au-dessus de la norme » ou « maîtrisé », et ce même après l’infraction qu’on lui a reprochée. Ces rapports établissent clairement que ses supérieurs avaient toujours confiance en lui. D’ailleurs, il a été maintenu dans ses fonctions comme Commandant adjoint de la mission canadienne d’entraînement de la police afghane malgré les accusations portées contre lui, et a repris ses fonctions comme Commandant adjoint de la 5e compagnie de la Police militaire à son retour au Canada.

 

[29]           Dans sa décision, la Cour martiale a énoncé le principe selon lequel « toute peine infligée par un tribunal qu’il soit civil ou militaire doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada ». En l’occurrence, je suis d’avis que la sanction imposée par le Grand Prévôt n’est pas proportionnelle à la gravité de l’infraction reprochée au demandeur. Quatre des cinq membres du Conseil de révision avaient conclu qu’une suspension de 180 jours, la plus longue pouvant être ordonnée sous l’autorité du paragraphe 22.04(11) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, serait appropriée. Son supérieur immédiat, le Major Stéphane Vouligny, recommandait pour sa part une suspension de 90 jours et une probation de 12 mois. Le Grand Prévôt, invoquant des considérations qui ne trouvent pas appui dans la preuve au dossier, a choisi de ne pas retenir ces recommandations et d’imposer la peine la plus sévère qui soit, à savoir la révocation de ses titres de créance de police militaire. Non seulement cette sanction n’est-elle pas proportionnelle à la gravité de l’infraction, mais elle est indéniablement déraisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances.

 

[30]           Il appert également de l’article 39 du CDPM que le Conseil de révision ne peut envisager la révocation « qu’après avoir pris en considération toutes les autres recommandations possibles et seulement en dernier recours ». Cette même disposition prévoit par ailleurs que le Conseil de révision doit formuler ses recommandations en tenant compte de tous les facteurs pertinents comme la gravité de la violation du Code, les antécédents d’infraction du membre visé et l’existence de circonstances atténuantes. Bien que cette disposition ne s’applique formellement qu’au Conseil de révision, on voit mal comment le Grand Prévôt pourrait y passer outre sauf peut-être dans des circonstances très exceptionnelles que l’on ne retrouve pas dans le présent dossier. Au risque de sombrer dans l’arbitraire, la discrétion du Grand Prévôt ne peut être absolue. S’il désirait s’écarter des recommandations formulées par le Conseil de révision, il avait l’obligation de s’en expliquer de façon convaincante, ce qu’il n’a malheureusement pas réussi à faire. Au contraire, il s’est appuyé sur des motifs que la preuve n’étaye pas, il n’a pas tenu compte du dossier sans taches du demandeur et de ses évaluations de rendement, et a passé sous silence les circonstances atténuantes qu’avaient pourtant retenues la Cour martiale et le Conseil de révision. Dans ces circonstances, sa décision doit être annulée pour lui permettre de revoir le dossier à la lumière des présents motifs.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec dépens en faveur du demandeur, et que la décision du Grand Prévôt rendue le 30 novembre 2012 est annulée. En conséquence, le dossier lui est retourné pour qu’une nouvelle décision soit prise en conformité avec les présents motifs.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

T-2290-12

 

INTITULÉ :

MARC BABINEAU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 8 janvier 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE de MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 29 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

Me Annie Thivierge

 

pour le demandeur

 

 

Me Caroline Laverdière

 

pour le défendeur

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tremblay Bigler Thivierge

Avocats

St-Jean-sur-Richelieu (Québec)

 

pour le demandeur

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

pour le défendeur

 

 

 

 

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