Dossier : IMM-5767-13
Référence : 2014 CF 362
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 15 avril 2014
En présence de monsieur le juge Harrington
ENTRE : |
XIAO XIAO ZHANG |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Zhang n’a pas été bien accueilli lors de son arrivée à l’aéroport international de Vancouver, le 2 août 2012. Il est un ressortissant chinois, mais aussi un résident permanent au Canada. L’agent d’immigration a estimé qu’il avait manqué à l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR]. Plus particulièrement, il n’avait pas été effectivement présent au Canada pour au moins 730 jours pendant la période quinquennale précédant sa date d’arrivée au Canada.
[2] L’article 41 de la LIPR porte qu’une personne est interdite de territoire si l’obligation de résidence permanente n’est pas respectée. Le jour même, conformément à l’article 44 de la LIPR, l’agent a établi un rapport destiné au ministre. Le délégué du ministre, M. Elek Adamski, a pris une mesure de renvoi conformément au paragraphe 44(2) de la Loi. Ainsi qu’il en avait le droit, M. Zhang a interjeté appel devant la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SAI]. L’article 67(1) de la LIPR est pertinent en l’espèce et en voici le libellé :
67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :
|
67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of, |
a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait; |
(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact; |
b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle; |
(b) a principle of natural justice has not been observed; or |
c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales. |
(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case. |
[3] La SAI a conclu qu’il manquait environ huit mois à M. Zhang pour respecter les exigences en matière de résidence, que M. Adamski était un délégué du ministre autorisé à prendre une mesure de renvoi et qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales.
[4] La Cour est saisie du contrôle judiciaire de cette décision.
I. Questions en litige
[5] Même si les questions en litige n’ont pas été débattues dans cet ordre, je vais les examiner de la façon suivante :
a) Même s’il est admis qu’il manquait un certain nombre de jours à M. Zhang, le 2 août 2012 lorsqu’il a fait l’objet d’un rapport (le nombre exact de jours manquants reste un sujet de controverse), la journée où il a comparu devant la SAI, il répondait à cette exigence. La période quinquennale devrait-elle être rétroactive à cette date?
b) La personne qui a signé la mesure d’interdiction de séjour était-elle autorisée à le faire par le ministre?
c) Combien de jours manquaient-ils effectivement? Il peut s’agir d’un facteur pertinent dans l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire.
d) Autres motifs d’ordre humanitaire.
II. La période quinquennale applicable
[6] Aucun doute n’est permis quant à l’obligation de résidence. En vertu de l’article 62 du Règlement sur l’immigration, il est tout à fait évident qu’il ne peut être tenu compte des jours de résidence au Canada qui suivent l’établissement d’un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi. Le fait que M. Zhang soit demeuré au Canada depuis qu’il a fait l’objet d’un rapport pourrait démontrer ses intentions en matière de résidence – un facteur qui serait susceptible d’être pris en compte dans l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire.
III. Pouvoirs du délégué du ministre
[7] Le ministre est autorisé à déléguer des pouvoirs en vertu de l’article 6 de la LIPR. Les documents déposés devant la SAI ont indiqué que les pouvoirs pour prendre la mesure de renvoi prévue par le paragraphe 44(2) de la LIPR ont été délégués à un certain nombre d’agents de l’Agence des services frontaliers du Canada. Les surintendants faisaient partie de cette liste. La question de savoir si M. Adamski était un surintendant ou plutôt un superviseur de quart a été débattue. Le commissaire de la SAI a conclu qu’il était un surintendant. Cette conclusion était raisonnable et elle ne devrait pas être modifiée.
[8] Le propre témoignage de M. Adamski jette cependant un doute sur les documents déposés devant la SAI. Il a déclaré qu’il ne suffisait pas à une personne d’être surintendant afin de pouvoir prendre une mesure de renvoi, celle-ci devait avoir réussi une formation sur les pouvoirs délégués par le ministre, ce que M. Adamski avait fait.
[9] À mon avis, cette contradiction était d’une telle importance qu’il était évident que l’appréciation par la SAI de l’autorisation donnée à M. Adamski a été faite au vu d’un dossier incomplet. Ce n’était pas raisonnable et, par conséquent, la décision devrait être infirmée.
[10] À la suite de la décision défavorable de la SAI, le conseil a déposé une demande d’accès à l’information.
[11] Une lettre de M. Tessier, gestionnaire, division de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels, Agence des services frontaliers du Canada, a été versée au dossier de la demande déposée devant notre Cour, mais non dans celui présenté à la SAI. Cette lettre a été rédigée en réponse à la demande d’accès à l’information, laquelle visait, entre autres choses, la production [traduction] « d’une liste des noms et fonctions de tous les délégués du ministre, notamment les gestionnaires, les surintendants, les chefs des opérations et les directeurs en fonction, durant les années 2011 et 2012, au point d’entrée suivant : l’aéroport international de Vancouver (YVR) ». Sur une liste de deux pages jointe en annexe à cette lettre figuraient les noms des surintendants, chefs, directeurs et agents des services frontaliers (ASF) de Vancouver qui avaient reçu la formation sur les pouvoirs délégués par le ministre. Le nom de M. Adamski ne peut y être trouvé.
[12] De plus, M. Zhang a ensuite demandé une autorisation de prorogation de délai pour présenter d’autres éléments de preuve, soit une deuxième lettre de M. Tessier, datée du 29 janvier 2014. Cette lettre a été rédigée en réponse à une demande légèrement différente qui réduisait la portée de la demande initiale aux délégués du ministre à qui avait été conféré le pouvoir de prendre des mesures de renvoi visant des résidents permanents qui ne se sont pas conformés aux obligations de résidence. La liste jointe était cependant exactement la même.
[13] Le protonotaire Lafrenière a refusé d’accueillir une demande de prorogation de délai au motif que cela n’ajouterait rien au dossier existant. L’appel formé contre cette ordonnance a été entendu avec la demande de contrôle judiciaire. Compte tenu de ce qui précède, l’appel est devenu théorique.
[14] M. Zhang n’a pu saisir la SAI d’une requête en réouverture de l’appel dans le but d’examiner les documents recueillis dans le cadre de sa demande d’accès à l’information. L’article 71 de la LIPR précise expressément ce qui suit :
71. L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle. |
71. The Immigration Appeal Division, on application by a foreign national who has not left Canada under a removal order, may reopen an appeal if it is satisfied that it failed to observe a principle of natural justice. |
[15] Les principes de justice naturelle et d’équité procédurale ont été respectés en l’espèce. Comme la Cour d’appel l’a jugé dans l’arrêt Nazifpour c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 35, [2007] FCJ no 179 (QL), l’article 71 a pour effet d’éliminer complètement la compétence en equity de la SAI.
[16] La question qui se pose alors est celle de savoir s’il est loisible à M. Zhang de porter cette documentation à la connaissance de la Cour. Le ministre soutient que non.
[17] La règle générale veut qu’un contrôle judiciaire repose sur les documents présentés au tribunal dont la décision est attaquée. Il y a cependant des exceptions, comme lorsqu’il est question d’équité procédurale ou de compétence. En l’espèce, la compétence de la SAI n’est pas en cause, mais celle du délégué du ministre l’est assurément.
[18] Conformément aux Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés (Règles) édictées en application de la Loi sur l’immigration, des portions des Règles des Cours fédérales s’appliquent également, sauf dans les cas où ces dispositions sont incompatibles. Les parties 1, 6 et 10 font partie des Règles applicables en matière d’immigration.
[19] L’un des principes généraux, tels qu’établis à l’article 3 des Règles, de la Partie 1, veut que les Règles soient interprétées et appliquées de façon à permettre notamment d’apporter une solution au litige qui soit juste.
[20] À la Partie 6, l’article 351 des Règles prévoit que, dans des circonstances particulières, la Cour peut permettre à une partie à l’appel de présenter des éléments de preuve sur une question de fait. Conformément au paragraphe 399(2) des Règles, la Cour, sur requête, peut annuler ou modifier une ordonnance parce que, entre autres, des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue.
[21] Si ce n’était du fait que la décision a été rendue au vu d’un dossier incomplet, j’aurais eu à déterminer si les renseignements qui sont maintenant présentés auraient pu être obtenus plus tôt et, dans le cas contraire, si la Cour devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire résiduel (Shire Canada Inc. c Apotex Inc., 2011 CAF 10, [2011] ACF no 49 (QL), aux paragraphes 17 et suivants).
IV. Jours manquants
[22] L’agent qui a rédigé le rapport prévu au paragraphe 44(1) a calculé qu’il manquait 247 jours, une estimation que la SAI a essentiellement acceptée. Selon M. Zhang, il ne lui manquait que 86 jours. Comme je l’ai déjà mentionné, le nombre de jours manquants peut constituer un facteur pertinent lors de l’examen des motifs d’ordre humanitaire.
[23] Il est évident que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a omis de tenir compte d’un timbre apposé dans le passeport qui indiquait le 8 juillet 2011 comme date d’arrivée de M. Zhang au Canada. L’agent qui a témoigné devant la SAI a aussi dit qu’il avait consulté un document désigné au moyen de l’acronyme ICS, lequel étant décrit comme un historique des déplacements. Ce document n’a pas été versé au dossier dont la SAI disposait. Le conseil du ministre concède qu’il aurait dû l’être, mais il soutient que cela n’a pas vraiment d’importance parce que, de toute façon, il manquait des jours de présence physique. Je ne suis pas d’accord en raison des motifs d’ordre humanitaire.
V. Sommaire
[24] La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie étant donné que le dossier présenté à la SAI était insuffisant pour lui permettre de conclure que M. Adamski était un délégué du ministre autorisé à prendre une mesure de renvoi; deuxièmement, la demande est accueillie en raison d’une erreur évidente dans le calcul du nombre de jours requis manquants, un point qui a une influence considérable sur l’examen des motifs d’ordre humanitaire.
VI. Redressement
[25] M. Zhang fait valoir que la mesure de redressement appropriée consiste simplement à annuler la mesure de renvoi. Je ne considère pas qu’il s’agisse d’une mesure de redressement appropriée. L’étendue des pouvoirs conférés à M. Adamski doit être clarifiée et, par conséquent, la mesure de redressement appropriée est de renvoyer l’affaire à un agent dûment autorisé afin qu’il examine l’affaire sur la foi d’un nouveau dossier.
VII. Question certifiée
[26] M. Zhang a proposé une question visant à déterminer si la SAI est liée par l’article 62 de la LIPR, lequel porte qu’il ne peut être tenu compte des jours qui suivent l’établissement d’un rapport en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi.
[27] La réponse évidente est que la SAI est liée.
[28] De plus, la Cour ne peut seulement certifier une question grave de portée générale que si elle justifiait un appel. M. Zhang a eu gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire. Le ministre n’a proposé aucune question.
ORDONNANCE
POUR LES MOTIFS ÉNONCÉS,
LA COUR STATUE comme suit :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
2. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en vue d’un nouvel examen sur la foi d’un nouveau dossier.
3. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.
4. L’appel formé à l’encontre de la décision rendue par le protonotaire Lafrenière, en date du 4 mars 2014, est rejeté.
« Sean Harrington »
Juge
Traduction certifiée conforme
Jean-Jacques Goulet, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-5767-13
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INTITULÉ : |
XIAO XIAO ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 31 MARS 2014
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT : |
LE JUGE HARRINGTON |
DATE DES MOTIFS : |
LE 15 AVRIL 2014
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COMPARUTIONS
Lawrence Wong
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pour le demandeur |
Helen Park
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pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Wong & Associates Avocats Vancouver (Colombie-Britannique)
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pour le demandeur |
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Vancouver (Colombie-Britannique)
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pour le défendeur |