Dossier : T-548-13
Référence : 2014 CF 336
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 7 avril 2014
En présence de madame la juge Gagné
ENTRE : |
FRANK ARTHUR INVESTMENTS INC. |
demanderesse |
et |
MINISTRE DU REVENU NATIONAL |
défendeur |
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Aperçu
[1] La demanderesse, Frank Arthur Investment Inc. [Frank Arthur], sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 4 mars 2013 par un sous-commissaire de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC], agissant à titre de délégué du ministre du Revenu national. Dans sa décision, l’ARC a refusé d’exercer le pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC (1985) c F‑11 [la LGFP] confère aux ministres fédéraux, et n’a donc pas recommandé la remise des pénalités et intérêts accumulés entre octobre 1990 et avril 2004 à l’égard d’un avis de cotisation à l’égard de la taxe de vente fédérale délivré le 25 janvier 1991.
[2] Dans ses observations écrites, la demanderesse soutient que la décision de ne pas faire droit à sa demande de remise est déraisonnable. Subsidiairement, elle fait valoir que l’ARC a limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en s’appuyant sur les conclusions du comité de l’équité qui a entendu sa demande d’allègement pour raisons d’équité fondée sur l’article 88 de la Loi sur la taxe d’accise [la LTA] et qu’en tout état de cause, celui-ci n’a pas raisonnablement appliqué les critères et les directives prévus en matière d’équité. Lors de ses plaidoiries devant la Cour, la demanderesse a principalement fait valoir que la décision était déraisonnable, car le sous-commissaire ne disposait pas de tous les renseignements pertinents lorsqu’il a rendu sa décision.
[3] Pour les motifs exposés plus loin, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
II. Contexte
[4] Toutes les questions soulevées devant la Cour se rapportent à la longue période qui s’est écoulée entre le 25 janvier 1991, date de l’avis de cotisation à l’égard de la taxe de vente fédérale, et avril 2004, date à laquelle la demanderesse a décidé d’acquitter presque toutes les sommes réclamées. Par conséquent, un rappel chronologique des principaux événements s’impose.
[5] Le 25 janvier 1991, Frank Arthur, connue à cette époque sous le nom de Cornelius Industries Inc., a reçu un avis de cotisation au titre de la LTA d’un montant de 115 972,50 $, comprenant 96 749,90 $ de taxes de vente fédérale, 12 986,47 $ d’intérêts, et 6 236,13 $ de pénalités pour la période allant du 1er avril 1987 au 31 octobre 1990. L’avis de cotisation indiquait que toutes les sommes dues étaient soumises à un intérêt et à des pénalités de 1,5 % par mois ou fraction de mois de retard.
[6] Le 5 avril 1991, Frank Arthur a présenté un avis d’opposition à l’ARC au motif que certaines marchandises auraient dû être imposées au taux réduit de 9 % conformément à l’article 31 de la partie I de l’annexe IV de la LTA, plutôt qu’au taux général de 13,5 %. Frank Arthur a présenté cet argument malgré une décision de l’ARC de 1985 à l’effet contraire.
[7] Le 7 février 1992, le Tribunal canadien du commerce extérieur [le TCCE] a rendu une décision favorable à la société Les Industries Vogue Ltée [Vogue], l’un des concurrents de Frank Arthur dans le domaine de la fabrication de composés pour les piscines hors terre et creusées. Cette décision favorisait l’opposition présentée par Frank Arthur. L’ARC a donc mis le dossier d’opposition de la demanderesse en suspens, et l’aurait même plus tard égaré pendant un certain temps. Le dossier était en fait conservé dans ses archives.
[8] L’ARC a interjeté appel de la décision du TCCE dans le dossier Vogue, mais n’a pas déployé de grands efforts pour accélérer le processus.
[9] Le 17 mars 1998, après presque sept ans, l’opposition de la demanderesse a finalement été rejetée par la direction des oppositions de l’ARC.
[10] Le 17 juin suivant, la demanderesse a interjeté appel de la décision défavorable de l’ARC devant le TCCE, tout en lui demandant de mettre le dossier en suspens en attendant qu’une décision définitive soit rendue dans le dossier Vogue.
[11] Le 29 mai 2000, la Cour a accueilli l’appel de l’ARC dans le dossier Vogue. Cette décision était donc défavorable à l’opposition de la demanderesse.
[12] Le 15 avril 2002, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Cour et, en juin 2003, la Cour suprême du Canada a refusé l’autorisation d’appel de Vogue, rendant ainsi définitive la décision de la Cour d’appel fédérale.
[13] Entre-temps, en février 2003, la demanderesse a vendu tous ses actifs, cessé ses activités commerciales et s’est convertie en société de placements.
[14] Malgré la décision définitive rendue dans le dossier Vogue, la demanderesse a décidé de poursuivre son appel devant le TCCE, en soutenant désormais que les faits relatifs à son affaire se distinguaient de ceux du dossier Vogue. Cependant, Frank Arthur a retiré son appel le 18 février 2004, expliquant qu’il était trop difficile de recueillir les éléments de preuve compte tenu de la longue période qui s’était écoulée depuis que le premier avis de cotisation a été délivré.
[15] En avril 2004, la demanderesse a acquitté la majeure partie de sa dette à l’ARC, sauf 1 994,30 $ d’intérêts, qui continuent de courir. À cette date, le solde à payer par la demanderesse était passé de 115 972,50 $, tel qu’établi dans l’avis de cotisation, à 450 645,25 $.
[16] En décembre 2004, la demanderesse a déposé une demande d’équité auprès de l’ARC au titre de l’article 88 de la LTA : elle a été rejetée par les premier et second niveaux du comité de l’équité, qui ont estimé que la LTA ne prévoyait aucun recours fondé sur les dispositions en matière d’équité pour des sommes dues à l’ARC avant le 14 juin 2001. Par ailleurs, les deux niveaux ont conclu que le législateur n’avait pas souhaité que ce nouveau recours ait un effet rétroactif. La demande d’équité de la demanderesse a également été refusée pour ce qui est des pénalités et des intérêts dus depuis le 14 juin 2001. Il a été statué que le retard n’était pas la faute de l’ARC, cette dernière ayant rendu sa décision défavorable relativement à l’opposition de la demanderesse en mars 1998.
[17] Au deuxième niveau, le comité de l’équité de l’ARC a indiqué par ailleurs que la période de 18 mois qui a précédé la décision du premier niveau n’avait eu aucune incidence sur les droits de la demanderesse, puisque le paiement avait déjà été effectué en avril 2004. De plus, même si l’ARC avait éventuellement dû rembourser les sommes versées, la demanderesse aurait eu droit à des intérêts.
[18] La demanderesse n’a pas déposé devant la Cour une demande de contrôle judiciaire concernant cette décision.
[19] Elle a déposé plutôt une demande de remise qui a donné lieu à la décision visée par le présent contrôle. La demanderesse y soulevait en somme les mêmes arguments que dans sa demande d’équité, ajoutant toutefois qu’il était manifestement inéquitable que la LTA prévoie un recours en équité depuis 1990 à l’égard de la taxe sur les produits et services, mais qu’il n’existait rien de tel avant le 14 juin 2001 relativement à la taxe de vente fédérale.
III. La décision visée par le contrôle
[20] En refusant de recommander la remise, l’ARC a reconnu que le traitement de l’avis d’opposition de Frank Arthur avait connu des retards considérables alors que la même question était examinée dans le dossier Vogue. Cependant, l’ARC a souligné que la demanderesse aurait pu demander à tout moment que l’opposition de Frank Arthur soit tranchée avant que le TCCE ne rende sa décision dans le dossier Vogue. Elle aurait pu également interjeter appel devant le TCCE 180 jours après le dépôt de l’avis d’opposition, d’autant plus qu’elle a ensuite fait valoir que sa situation factuelle se distinguait de celle de Vogue. L’ARC a estimé du reste que l’accumulation constante de pénalités et d’intérêts découlait directement de la décision de Frank Arthur de ne pas s’acquitter de ses obligations avant 2004. Conformément au paragraphe 81.12(2) de la LTA, le caractère valide et exécutoire d’une cotisation fait en sorte qu’elle est payable immédiatement à la date de l’avis de cotisation. L’ARC l’a clairement fait savoir à Frank Arthur dans sa demande de paiement du 5 février 1991, ainsi que durant leurs échanges en 1996 et 1997.
[21] Bien qu’elle fût d’avis qu’une demande d’allègement présentée par un contribuable avant le 14 juin 2001 peut se justifier en vertu du paragraphe 88(1) de la LTA, l’ARC a néanmoins estimé que rien dans la preuve n’indiquait que des circonstances indépendantes de la volonté de Frank Arthur l’avaient empêchée de payer le solde dû, ou que l’ARC avait commis une erreur relativement à la période précédente. L’ARC a ajouté que le comité de l’équité avait analysé la demande de la demanderesse touchant les pénalités et intérêts accumulés avant le 14 juin 2001, et qu’il était parvenu à la même conclusion.
[22] L’ARC a également souligné que sa décision reposait sur un examen de la situation particulière de Frank Arthur et sur tous les renseignements s’y rapportant, ainsi que sur la revue et l’évaluation du dossier effectuées par le Comité de l’Administration centrale sur les remises, dont les détails sont contenus dans l’affidavit du sous-commissaire.
IV. Questions en litige et norme de contrôle
[23] Les questions en litige soulevées par la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :
a. La décision est-elle déraisonnable parce que le sous-commissaire a mal compris, mal interprété ou omis d’examiner certains faits pertinents?
b. Le sous-commissaire a-t-il limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en s’appuyant sur les conclusions du comité de l’équité (second niveau) pour déterminer si la demanderesse avait droit à une ordonnance de remise sur la foi des critères prévus par les dispositions en matière d’équité?
c. La décision du sous-commissaire est-elle déraisonnable au regard des critères et des directives prévus par les dispositions en matière d’équité.
[24] La décision de ne pas recommander une remise est soumise à la norme de la raisonnabilité (Axa Canada Inc. c Canada (Revenu national), 2006 CF 17 [Axa], et Première Nation Waycobah c Procureur général du Canada, 2010 CF 1188 (confirmée par 2011 CAF 191) [Première Nation Waycobah]).
[25] La demanderesse souligne que si la Cour conclut que le sous-commissaire a commis une erreur dans l’application du droit, la norme de contrôle devient celle de la décision correcte.
[26] De son côté, le défendeur souligne que le pouvoir discrétionnaire de ne pas recommander une remise est étendu, qu’il repose sur des politiques et appelle donc une grande retenue (Axa). « [L]orsqu’elle s’interroge sur le caractère déraisonnable d’une décision, la Cour doit tenir compte de la nature hautement discrétionnaire du régime de remise de taxe – une mesure de redressement exceptionnelle dont un demandeur ne peut se prévaloir de plein droit » (Twentieth Century Fox Home Entertainment Canada Limited c Canada (PG), 2012 CF 823 (confirmée par 2013 CAF 25), au paragraphe 35 [Twentieth Century Fox]).
V. Cadre législatif
[27] La remise des taxes et des pénalités peut être accordée par le gouverneur en conseil suivant le paragraphe 23(2) de la LGFP, lequel dispose :
Remise de taxes ou de pénalités
23(2) Sur recommandation du ministre compétent, le gouverneur en conseil peut faire remise de toutes taxes ou pénalités, ainsi que des intérêts afférents, s’il estime que leur perception ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste ou que, d’une façon générale, l’intérêt public justifie la remise. |
Remission of taxes and penalties
23(2) The Governor in Council may, on the recommendation of the appropriate Minister, remit any tax or penalty, including any interest paid or payable thereon, where the Governor in Council considers that the collection of the tax or the enforcement of the penalty is unreasonable or unjust or that it is otherwise in the public interest to remit the tax or penalty. |
[28] Les demandes de remise de la TPS/TVH, des taxes et des droits d’accise sont traitées par l’Administration centrale de l’ARC à Ottawa. Après avoir examiné tous les documents au dossier, ses fonctionnaires adressent une première recommandation au Comité de l’Administration centrale sur les remises, lequel formule à son tour une recommandation au sous-commissaire. Ce dernier doit ensuite examiner les recommandations et prendre une décision définitive. Même si le sous-commissaire approuve une demande de remise, c’est le gouverneur en conseil qui jouit du pouvoir discrétionnaire ultime de l’accorder par ordonnance.
[29] D’après les directives dont se sert le Comité de l’Administration centrale sur les remises, chaque demande de remise doit être examinée en fonction des faits qui lui sont propres pour déterminer si la perception de taxes est déraisonnable ou inéquitable, ou s’il est dans l’intérêt public de faire droit au recours.
[30] En vertu des directives, les demandes de remise sont évaluées en fonction de quatre catégories de critères donnant droit à réparation :
a. difficultés excessives;
b. mesure ou conseil erroné de la part des représentants de l’ARC;
c. difficultés financières assorties de circonstances atténuantes;
d. résultats imprévus découlant de la législation.
[31] Les directives ne doivent pas s’appliquer dans toutes les circonstances, et on y reconnaît que d’autres motifs exceptionnels peuvent justifier la réparation.
VI. Analyse
[32] En définitive, la question que doit trancher la Cour est celle de savoir si la décision du sous-commissaire appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).
[33] Comme le déclarait la Cour dans le jugement Twentieth Century Fox, au paragraphe 48, la décision du ministre doit être examinée dans son ensemble : « On peut avancer des arguments sur un certain nombre de points mais, pris tant individuellement que dans leur ensemble, ils ne permettent pas d’établir que la décision ne satisfait pas aux critères relatifs à la raisonnabilité énoncés dans Dunsmuir, précité. »
[34] De plus, la décision de l’ARC exige une grande retenue, puisque la Cour « doit tenir compte de la nature hautement discrétionnaire du régime de remise de taxe » (Twentieth Century Fox, au paragraphe 36; Axa, au paragraphe 25).
[35] Voici ce qu’indiquait la Cour dans le jugement Lina Germain c Procureur général du Canada, 2012 CF 768, au paragraphe 57 : « Le sous-commissaire doit tenir compte de l’intérêt public dans l’évaluation des demandes de remise qui lui sont présentées. Une remise demeure une mesure exceptionnelle. » La remise déroge aux règles ordinaires d’imposition auxquelles le reste de la société canadienne est soumis : « L’octroi d’un décret de remise implique nécessairement, dans le cas particulier d’un contribuable, une dérogation, non seulement aux règles ordinaires de la taxation, mais aussi au principe de l’égalité de traitement. » (Première Nation Waycobah (CF), au paragraphe 31.)
[36] C’est avec ces principes à l’esprit que j’examinerai les trois questions en litige auxquelles la Cour doit répondre.
A. La décision est-elle déraisonnable parce que le sous-commissaire a mal compris, mal interprété ou omis d’examiner certains faits pertinents?
[37] Le sous-commissaire a examiné comme il se doit toute la preuve pertinente au dossier. Il était chargé de décider s’il y avait lieu de recommander l’octroi d’une remise après s’être demandé si les représentants de l’ARC avaient pris des mesures ou formulé des conseils erronés, ou si la législation avait eu des résultats imprévus. Ce faisant, il devait obéir aux directives en matière de remise, pourvu qu’il ne les traite pas comme « des règles de droit, énonçant de manière exhaustive les facteurs à prendre en compte dans l’exercice du large pouvoir discrétionnaire que la loi lui confère » (Première Nation Waycobah (CAF), au paragraphe 28).
[38] Le sous-commissaire n’était pas tenu d’examiner personnellement tous les documents au dossier. Karen Stirling, une agente supérieure de décisions de la Direction de l’accise et des décisions de la TPS/TVH, a été chargée d’enquêter sur les questions concernant le dossier du demandeur, et a préparé un rapport récapitulant les renseignements qu’il contenait. Le sous-commissaire pouvait se servir de ce rapport, pour autant qu’il « [fût] suffisamment précis et complet pour lui permettre de rendre une décision indépendante » (Première Nation Waycobah (CAF), au paragraphe 31). Rien dans le dossier n’indique que le rapport de Mme Stirling ne remplissait pas cette exigence.
[39] Même si le sous-commissaire avait examiné les documents à présent invoqués par la demanderesse devant la Cour, sa décision n’aurait pas été différente. Premièrement, mis à part un malentendu durant son contre-interrogatoire, le sous-commissaire savait que la décision du TCCE dans le dossier Vogue était favorable à la demanderesse. Le rapport de Mme Stirling indiquait explicitement que Vogue avait eu gain de cause (page 2 de la pièce 20 du dossier du défendeur).
[40] De plus, la décision même du sous-commissaire donne l’impression qu’il savait à quelle conclusion le TCCE était parvenu dans le dossier Vogue. Bien qu’il n’en fasse pas expressément mention lorsqu’il évoque les décisions subséquentes de la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale favorables à l’ARC, il écrit ce qui suit, à la page 2 de la décision : [traduction] « Entre-temps, les représentants de l’ARC ont confirmé, en mars 1998, l’opposition de Frank Arthur sur la base de la politique de l’ARC selon laquelle les revenus associés aux piscines hors terre devaient être imposés séparément au taux général de [la taxe de vente fédérale], nonobstant la décision rendue à cette époque par le TCCE dans l’affaire Les Industries Vogue. » Cette phrase ne laisse pas beaucoup de place à l’ambiguïté.
[41] Deuxièmement, le sous-commissaire savait très bien lorsqu’il a rendu sa décision que le traitement du dossier d’opposition de la demanderesse avait pris sept ans de retard. Il a néanmoins estimé qu’elle disposait d’autres recours durant cette période, qui auraient permis de suspendre le cumul des intérêts ou d’accélérer la décision de l’ARC concernant son opposition.
[42] Lorsqu’elle a reçu son avis de cotisation, la demanderesse a pris la décision d’affaires de ne pas payer le solde dû d’un seul coup et de ne pas conclure d’entente de paiement, espérant récupérer l’argent et les intérêts au cas où son opposition serait accueillie, alors qu’elle a été prévenue à au moins trois reprises des possibles conséquences financières de cette conduite. Une cotisation fiscale est réputée valide et immédiatement exécutoire. Un avis d’opposition n’y change rien et permet simplement à la partie concernée de reporter le paiement de sa dette si elle le souhaite, en attendant le règlement de l’affaire, et en continuant d’assumer les intérêts accumulés en cas de rejet de son opposition (paragraphes 88.12(2) et 315(3) de la LTA).
[43] De plus, en décidant de ne pas acquitter sa dette à la date de l’avis de cotisation, la demanderesse n’a pas pris de mesure additionnelle pour accélérer le règlement de son opposition. Il est certain que le défendeur est partiellement responsable de ces années de retard, mais la demanderesse a choisi elle-même d’attendre que son opposition soit tranchée et de ne pas la porter directement en appel devant le TCCE, d’autant plus qu’elle en est venue à considérer qu’une distinction pouvait être établie entre son dossier et l’affaire Vogue. Son avocat était bien placé pour le savoir, puisqu’il représentait aussi Vogue durant la majeure partie de cette période. La demanderesse savait pertinemment que son opposition avait été suspendue jusqu’à ce que l’appel visant la décision favorable à Vogue soit instruit.
[44] Dans cette perspective, il importe peu que le dossier de la demanderesse ait été perdu ou envoyé aux archives, ou que le sous-commissaire ait su que l’ARC l’avait informée qu’elle n’était pas [traduction] « pressée » de donner suite à son appel concernant la décision du TCCE dans le dossier Vogue. La demanderesse ne semblait pas non plus très pressée, car si elle voulait vraiment que son dossier soit réglé une fois pour toutes, elle aurait pu prendre des mesures plus actives.
[45] Inversement, comme nous l’avons déjà mentionné, si elle avait voulu éviter les effets d’une attitude passive, Frank Arthur aurait pu payer l’intégralité des sommes dues et en réclamer ensuite le remboursement avec les intérêts, comme elle a fini par le faire. Son avocat a fait valoir qu’aucun contribuable ne paierait des sommes réclamées par l’ARC si une décision qui lui est favorable est rendue. Même si c’était le cas lorsque le contribuable peut faire reposer son opposition sur un jugement définitif, il n’en va pas de même pour celui qui sait que la décision favorable n’est pas définitive puisqu’elle est contestée par l’ARC devant la Cour.
[46] Le même raisonnement vaut lorsqu’il s’agit de déterminer si un agent de recouvrement a avisé la demanderesse qu’elle n’avait aucune raison de dépenser plus d’argent pour poursuivre une affaire qui avait été réglée en sa faveur, compte tenu de la décision du TCCE dans le dossier Vogue. Je constate à cet égard que son propre journal de recouvrement indique bien c’était la demanderesse qui jugeait que les affaires étaient [traduction] « connexes », même si l’ARC l’avait informée que rien n’empêchait Frank Arthur de [traduction] « déposer un appel directement devant [le TCCE] pour régler ce dossier en 3-4 mois ». Comme elle s’est ensuite empressée de faire valoir que sa situation factuelle était différente de celle de Vogue, rien n’empêchait la demanderesse de ne pas procéder de la sorte.
[47] Enfin, le fait que les documents internes de l’ARC aient révélé, en août 1997, qu’un agent d’appel avait rédigé une décision confidentielle favorable à la demanderesse, en s’appuyant sur la décision du TCCE dans le dossier Vogue, ne change rien à l’issue de la présente affaire. Compte tenu de sa situation d’alors, son avis d’opposition avait été officiellement mis en suspens jusqu’à ce que l’affaire Vogue soit réglée en Cour. Frank Arthur ne pouvait pas connaître cette ébauche confidentielle, et donc la société n’aurait pas pu l’invoquer.
B. Le sous-commissaire a-t-il limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en s’appuyant sur les conclusions du comité de l’équité (second niveau) pour déterminer si la demanderesse avait droit à une ordonnance de remise sur la foi des critères prévus par les dispositions sur le recours en équité?
[48] Le dossier montre que le sous-commissaire n’a pas misé sur les conclusions du comité de l’équité (deuxième niveau) au moment de déterminer s’il fallait recommander une remise pour la demanderesse. En fait, il s’est appuyé sur le rapport de Mme Stirling, qui est le résultat de sa propre enquête sur cette question même. Après s’être entretenue avec Francine Perreault, qui avait été chargée de préparer une recommandation aux fins de l’examen de deuxième niveau de la demande en équité de la demanderesse, Mme Stirling a conclu que sa demande concernant la période antérieure au 14 juin 2001 avait été examinée, mais finalement rejetée.
[49] En fin de compte, le sous-commissaire a dû prendre en considération l’argument de la demanderesse selon lequel il était manifestement inéquitable qu’un recours en équité existe depuis 1990 à l’égard des taxes sur les produits et services, mais pas avant le 14 juin 2001 dans le cas de la taxe de vente fédérale. Je constate que c’est justement ce qu’il a fait lorsqu’il a conclu qu’il n’y avait pas lieu de retenir cet argument, car le comité de l’équité et Mme Stirling avaient quand même évalué la requête de la demanderesse visant la période antérieure au 14 juin 2001 et établi qu’elle était infondée.
[50] De plus, en sa qualité de décideur, le sous-commissaire n’était pas tenu d’examiner et d’analyser personnellement les faits et la situation de la demanderesse à la lumière des critères et des directives issus de la législation concernant le recours en équité. Ses obligations s’arrêtaient aux critères qu’il était censé examiner au titre du paragraphe 23(2) de la LGFP. Par ailleurs, en règle générale, il n’a pas à aller plus loin qu’une analyse des résumés qui lui sont fournis par d’autres fonctionnaires de l’ARC, pour autant que le dossier et les résumés reposent sur les renseignements pertinents.
C. La décision du sous-commissaire est-elle déraisonnable au regard des critères et des directives prévus par les dispositions sur le recours en équité?
[51] Comme l’indique la demanderesse, le sous-commissaire a été appelé à rendre sa décision sur la base des pouvoirs conférés par la LGFP, des directives en matière de remise et de tous les faits pertinents, au regard des questions que lui a soumises la demanderesse. Il n’était pas tenu de le faire en tenant compte des directives sur les recours en équité. Il n’avait donc pas à prendre en considération le fait que la demanderesse avait toujours respecté ses obligations en matière de fiscalité et de taxation. Il ne devait tenir compte que du délai de sept ans qu’avait nécessité le traitement du dossier d’opposition, et du caractère équitable de la décision défavorable du ministre fondée sur la LTA. Le sous-commissaire a examiné ces deux facteurs pour rendre sa décision.
VII. Conclusion
[52] Compte tenu des questions qui lui ont été soumises, le sous-commissaire a évalué raisonnablement la situation complète de la demanderesse, y compris les événements antérieurs au 14 juin 2001; l’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée. Le défendeur a demandé à la Cour de lui adjuger des dépens de 4 000 $, montant que j’estime raisonnable dans les circonstances.
JUGEMENT
LA COUR :
1. REJETTE la demande de contrôle judiciaire.
2. ADJUGE au défendeur des dépens de l’ordre de 4 000 $.
« Jocelyne Gagné »
Juge
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-548-13
|
INTITULÉ : |
FRANK ARTHUR INVESTMENTS INC. c MINISTRE DU REVENU NATIONAL
|
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 26 février 2014
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LA JUGE GAGNÉ
DATE DES MOTIFS : Le 7 avril 2014
COMPARUTIONS :
Christopher R. Mostovac Julie Tremblay
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pour la demanderesse
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Louis Sébastien Mathieu Tanguay
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pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Starnino Mostovac SENC Montréal (Québec)
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POUR LA demanderesse
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William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR LE défendeur
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