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Date : 20140404


Dossier :

T-239-11

 

Référence : 2014 CF 337

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2014

En présence de madame la juge Heneghan

 

ENTRE :

WESTERN GRAIN ELEVATOR ASSOCIATION, CARGILL LIMITED, LOUIS DREYFUS CANADA LTD., PARRISH & HEIMBECKER LIMIATED, PATERSON GLOBAL FOODS INC., RICHARDSON INTERNATIONAL LIMITED, WEYBURN INLAND TERMINAL LTD., ET VITERRA INC.

 

demanderesses

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA COMMISSION CANADIENNE DES GRAINS

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

I.                   INTRODUCTION

[1]               Western Grain Elevator Association, Cargill Limited, Louis Dreyfus Canada Ltd., Parrish & Heimbecker Limited, Paterson Globalfoods Inc., Richardson International Limited, Weyburn Inland Terminal Ltd et Viterra Inc. (collectivement les demanderesses) ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire afin de contester la validité de l’article 30 du Règlement sur les grains du Canada, CRC c 889 (le Règlement) au motif que la Commission canadienne des grains (la Commission) n’est pas investie du pouvoir de prendre des règlements en vertu de la Loi sur les grains du Canada, LRC 1985, c G-5 (la Loi)                   

[2]               La Commission est représentée dans la présente instance par le procureur général du Canada (collectivement les défendeurs), conformément à l’article 303 des Règles des Cours fédérales, DORS 198-106 (les Règles).

 

II.                LA PREUVE

 

[3]               Les demanderesses ont déposé l’affidavit de monsieur Wade Sobkowich, souscrit le 25 février 2011 et celui de monsieur James B. McKerchar, souscrit le 27 février 2011. 

 

[4]               M. Sobkowich est le directeur administratif de la Western Grain Elevator Association. Dans son affidavit, il décrit le rôle de son organisation et de ses membres. Il fait également état de sa perception des étapes ayant conduit aux modifications apportées au Règlement en 2003 et en 2011, y compris les échanges et rencontres entre la Commission et son organisation afférents à ces modifications. Il a joint, au soutien de son affidavit, des copies de plusieurs échanges entre son organisation et la Commission portant sur le Règlement, de même que plusieurs modifications au Règlement et un avis juridique émanant des procureurs des demanderesses portant sur les modifications de 2011. 

 

[5]               M. McKerchar est maître de chantier pour la demanderesse Parrish & Heimbecker Limited. Dans son affidavit il décrit le processus qui a conduit aux modifications apportées au Règlement en 2011, tant du point de vue de son employeur que de celui de l’industrie des grains en général. Une grande partie de son affidavit porte sur l’incidence négative que l’article 30 du Règlement aura sur les demanderesses. Il décrit également la nature de la perte de poids dans l’industrie du grain et son caractère inévitable.  Il joint au soutien de son affidavit des documents étayant sa position. 

 

[6]               Les défendeurs ont déposé l’affidavit de Catherine Lampkin, une adjointe juridique au ministère de la Justice à Winnipeg. Le contenu de son affidavit ne contient aucun élément de preuve, mais il renvoie à des documents qui sont des copies des modifications apportées au Règlement à partir du 28 juin 1990 ainsi que des modifications apportées en 2011.   

 

[7]               Les défendeurs soutiennent que certaines parties des affidavits des demanderesses sont inadmissibles étant donné qu’elles constituent du ouï-dire inadmissible et une preuve sous forme d’opinion. 

 

[8]               Les défendeurs se sont objectés à certaines parties de l’affidavit de M. McKerchar, déposé par les demanderesses, au motif qu’elles contreviennent à l’article 81 des Règles, car elles ne se limitent pas aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle et constituent du ouï-dire et un témoignage d’opinion que ses qualifications ne lui permettent pas de rendre.  Se fondant sur la jurisprudence P.S. Partsource Inc. c Canadian Tire Corp. (2001), 267 NR 135, aux paragraphes 13 et 14, les défendeurs soutiennent qu’il n’existe pas d’exception de common law à l’interdiction du ouï-dire qui permettrait de tenir compte de cette preuve. Plus particulièrement, les défendeurs se sont opposés à ce que M. McKerchar joigne à son affidavit des articles qu’il n’a pas écrits. Les défendeurs soutiennent que les articles et les sommaires qui se trouvent dans l’affidavit constituent une preuve par ouï-dire inadmissible. De plus, les opinions exprimées dans les articles sont inadmissibles parce qu’elles n’ont pas été soumises par un expert agréé par la Cour.   

 

[9]               Pour ces motifs, les défendeurs soutiennent que les paragraphes 25 et 28, de même que les pièces G et H déposées au soutien de l’affidavit de M. McKerchar sont inadmissibles et ne devraient pas être pris en compte.

 

[10]           Par conséquent, je souscris aux arguments des défendeurs en ce qui a trait à l’inadmissibilité de certaines parties de l’affidavit de M. McKerchar.

 

[11]           Les paragraphes 25 et 28 et les pièces G et H déposées au soutien de l’affidavit de M. McKerchar constituent une preuve par ouï-dire inadmissible qui ne sera pas prise en considération. 

 

III.             APERÇU

 

[12]           La demanderesse Western Grain Elevator Association est une association formée d’exploitants de silo qui comprend les demanderesses Cargill Limited, Louis Dreyfus Canada Ltd., Parrish & Heimbecker Limited, Paterson Globalfoods Inc., Richardson International Limited, Weyburn Inland Terminal Ltd. et Viterra Inc.

 

[13]           Les faits énoncés ci-dessous sont tirés des affidavits déposés par les parties. 

 

[14]           Le Règlement attaqué est entré en vigueur suite aux modifications qui y ont été apportées en 2011. L’article 30 traite de la «perte de poids du grain» et de la marge qui peut être déduite en vertu du Règlement pour compenser cette perte de poids.   

 

[15]           La perte de poids est définie à l’article 2 de la Loi comme la perte de poids des grains occasionnée par leur manutention ou traitement.  Elle peut être causée par plusieurs facteurs, y compris le séchage, le transport et la poussière. Elle est généralement acceptée comme circonstance inévitable dans l’industrie du grain. La perte de poids générale désigne la perte de poids qui survient au cours de la manutention et du transport des grains. La perte de poids due à l’humidité désigne la perte de poids causé par le séchage des grains qui proviennent des producteurs de grains.  

 

[16]           En vertu de la Loi, lorsque le silo reçoit les grains du producteur, il doit les classer par grade et les peser et un accusé de réception établissant cette information est délivré au producteur des grains. Lorsque le grain est livré du silo à une installation terminale où à une autre destination, il doit à son arrivée avoir le même grade et le même poids que ceux qui apparaissent sur l’accusé de réception délivré au producteur de grains.    

 

[17]           Pendant longtemps, la Commission a permis aux silos d’ajuster le poids des grains reçus d’un producteur qui figurait sur l’accusé de réception afin de compenser les pertes de poids à venir. C’est ce qu’on appelle la marge de perte de poids. Les marges maximales de perte de poids sont fixées conformément au Règlement. Il y a différents types de silos et les marges maximales étaient fixées à divers niveaux en fonction des types silos.   

 

[18]           En 2001, la Commission a décidé d’envisager une réforme du système de la marge de perte de poids et a fait circuler un document de discussion qui explorait les options pour l’avenir du système de la marge de perte de poids. Ces options comprenaient le maintien du statu quo, la déréglementation totale de la marge de perte de poids et la fixation de la marge maximale de perte de poids à zéro.    

 

[19]           Le 19 novembre 2001, la Western Grain Elevator Association a répondu au document de discussion et a énoncé sa position selon laquelle la fixation de la marge maximale de perte de poids à zéro était arbitraire et injuste, étant donné que les coûts de la perte de poids devraient être assumés par les seuls exploitants de silos agréés.

 

[20]           Le 1er août 2003, la Commission a modifié le Règlement pour fixer la marge maximale de perte de poids pour les silos primaires à zéro. Le 20 juillet 2009, la Commission a fait circuler un autre document de discussion, faisant alors état de son intention de fixer la marge maximale de perte de poids à zéro pour les silos de transbordement et les silos de transformation. Le 29 octobre 2009, la Western Grain Elevator Association a répondu une nouvelle fois à ce document de discussion et a offert de travailler avec la Commission pour procéder à une étude visant à établir une méthode pour fixer la marge de perte de poids appropriée. Cette offre a été rejetée. 

 

[21]           Le 8 février 2010, la Commission a avisé la Western Grain Elevator Association par lettre qu’elle modifierait le Règlement pour fixer la marge de perte de poids de tous les silos à zéro. Dans les modifications qui sont entrées en vigueur le 19 mars 2011, la Commission a fixé la marge maximale de perte de poids à zéro. La modification était énoncée à l’article 30 du Règlement. 

 

[22]           Le 11 février 2011, les demanderesses ont déposé un avis de demande dans lequel elles contestent la validité de l’article 30. L’avis de demande fut modifié le 5 juillet 2012 pour préciser le libellé du Règlement contesté. 

 

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

 

[23]           L’objet essentiel de la contestation des demanderesses porte sur la validité de l’article 30 du Règlement. Elles soutiennent que la Loi ne permet pas à la Commission et au gouverneur en conseil d’adopter cette disposition.  Pour autant qu’elle puisse se fonder sur l’alinéa116(1)f) de la Loi, les demanderesses soutiennent que cette disposition ne permet que la fixation d’une marge maximale et non pas l’élimination d’une telle marge.

[24]           Les demanderesses soumettent qu’un pouvoir de réglementation n’est pas un pouvoir d’interdiction et elles fondent leur prétention sur l’arrêt Renvoi relatif au projet de Loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 RCS 1148, au paragraphe 55.

 

[25]           De plus, les demanderesses font valoir que si l’article 30 a été adopté en vertu d’un pouvoir conféré par une loi habilitante, il outrepasse ce pouvoir étant donné qu’il a été adopté à des fins inopportunes et se fonde sur des considérations non pertinentes, ce qui a donc conduit à un résultat absurde. Elles soumettent qu’un règlement qui est adopté pour des raisons étrangères à l’objectif de la Loi peut être jugé déraisonnable, se fondant à cet égard sur l’arrêt Montréal (Ville) c Administration portuaire de Montréal, [2010] 1 RCS 427, aux paragraphes 32, 33 et 38.

 

[26]           Les défendeurs soutiennent que l’alinéa 116(1)f) de la Loi autorise la Commission à fixer la marge maximale de perte de poids aux silos et que la Loi n’impose aucune entrave à l’application de cette disposition. Étant donné que la disposition est de nature facultative, la Commission peut à sa discrétion choisir de fixer ou non la marge maximale de perte de poids.  

 

[27]           En réponse au deuxième argument des demanderesses, les défendeurs font valoir que la Loi est silencieuse sur la façon dont les marges de perte de poids doivent être fixées et sur la façon dont le pouvoir discrétionnaire relatif à la fixation de ces marges doit s’exercer. 

 

[28]           De plus, le caractère raisonnable d’un règlement n’est pas un facteur déterminant dans l’évaluation de sa validité. Les défendeurs se fondent à cet égard sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2012] 4 RCF 479.

 

V.                ANALYSE ET DÉCISION

[29]           La première question à trancher porte sur la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer en l’espèce. Étant donné que la question en litige en est une de validité, la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision correcte. Je me reporte à la décision Canada (Commission du blé) c Canada (Procureur général), [2010] 3 RCF 374, au paragraphe 36, où la Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit :

Tout d’abord, en ce qui concerne la validité, la Cour doit déterminer, selon la norme de la décision correcte, si le décret était autorisé par le pouvoir délégué au gouverneur en conseil par le paragraphe 18(1) de la Loi.  

[30]           En l’espèce, le litige porte sur la question de savoir si la Loi permet l’adoption de l’article 30 du Règlement. L’article 30 du Règlement prévoit ce qui suit : 

Marge de perte de poids

30. La marge maximale de perte de poids qui peut être déduite du grain livré à toute installation agréée est de zéro.

 

Shrinkage Allowance

30. The maximum shrinkage allowance that may be made on the delivery of grain to any licensed elevator is zero.

 

[31]           Le pouvoir qui permet l’adoption de l’article 30 du Règlement se trouve à l’alinéa 116(1)f) de la Loi et prévoit ce qui suit :   

Règlements

*       116. (1) Avec l’approbation du gouverneur en conseil, la Commission peut, par règlement :

f) fixer la marge maximale de perte de poids qui peut être calculée lors de la livraison de grain à une installation;

Regulations

*       116. (1) The Commission may, with the approval of the Governor in Council, make regulations

(f) fixing the maximum shrinkage allowance that may be made on the delivery of grain to an elevator;

 

[32]           Le cadre analytique servant à déterminer la validité d’une loi subordonnée est défini comme suit dans Canada (Commission du blé), précité, au paragraphe 46 :

La première étape d’une analyse de la validité consiste à identifier la portée et l’objet du pouvoir conféré par la loi en vertu duquel le décret contesté a été publié. Un tel exercice exige que le paragraphe 18(1) soit examiné dans le contexte de la Loi dans son ensemble. La deuxième étape consiste à déterminer si le pouvoir conféré par la loi permet cette législation par délégation particulière.  

 

[33]           Selon moi, l’alinéa 116(1)f) de la Loi permet clairement la fixation de la marge maximale de perte de poids sans aucune restriction à l’exercice du pouvoir de règlementation. Le pouvoir de règlementation conféré par l’alinéa 116(1)f) est suffisamment vaste pour permettre la fixation de la marge maximale de perte de poids à zéro. Il n’y a rien dans la Loi qui limite les valeurs auxquelles la marge maximale de perte de poids peut être fixée. 

[34]           La loi ne contient aucune disposition qui décrit son objectif. Elle contient toutefois une section qui décrit la mission de la Commission. Cette mission est décrite à l’article 16 comme suit : 

Mission

13. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des instructions que peuvent lui donner le gouverneur en conseil ou le ministre, la Commission a pour mission de fixer et de faire respecter, au profit des producteurs de grain, des normes de qualité pour le grain canadien et de régir la manutention des grains au pays afin d’en assurer la fiabilité sur les marchés intérieur et extérieur.

Objects

13. Subject to this Act and any directions to the Commission issued from time to time under this Act by the Governor in Council or the Minister, the Commission shall, in the interests of the grain producers, establish and maintain standards of quality for Canadian grain and regulate grain handling in Canada, to ensure a dependable commodity for domestic and export markets

 

[35]           Il n’existe aucune preuve démontrant que l’article 30 est incompatible avec cette mission et les prétentions des demanderesses à cet égard doivent être rejetées.   

[36]           Les autres arguments des demanderesses portant sur le caractère déraisonnable de l’article 30 sont également voués à l’échec dans la mesure où ils reposent sur la contestation du bien-fondé de la politique à l’origine du Règlement.  

[37]           La jurisprudence établit clairement qu’il n'appartient pas à un tribunal d’apprécier la validité de la législation, y compris la réglementation, en se fondant sur ses préférences en matière de politique; voir la décision dans Jafari c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 180 NR 330, au paragraphe 14.

 

[38]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur des défendeurs.  

 

 


ORDONNANCE

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur des défendeurs.    

 

 

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :

T-239-11

 

INTITULÉ :

WESTERN GRAIN ELEVATOR ASSOCIATION, CARGILL LIMITED, LOUIS DREYFUS CANADA LTD., PARRISH & HEIMBECKER LIMIATED, PATERSON GLOBAL FOODS INC., RICHARDSON INTERNATIONAL LIMITED, WEYBURN INLAND TERMINAL LTD. ET VITERRA INC. c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LA COMMISSION CANADIENNE DES GRAINS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 11 SEPTEMBRE 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE HENEGAN

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 4 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

E. Beth Eva

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

John A. Faulhammer

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Filmore Riley s.r.l.

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada 

Winnipeg (Manitoba)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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