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Date : 20140403

Dossier : T-1844-07

Référence : 2014 CF 248

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 avril 2014

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

TEVA CANADA LIMITÉE

 

demanderesse

et

PFIZER CANADA INC.

 

défenderesse

 

           MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

(Motifs confidentiels du jugement rendus le 14 mars 2014)

 

[1]               La Cour est saisie d’une action en dommages‑intérêts intentée en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 [le Règlement AC].

 

[2]               Teva Canada Limitée a succédé à la première demanderesse, ratiopharm inc. [Ratiopharm]. La défenderesse, Pfizer Canada Inc. [Pfizer], a succédé aux premières défenderesses, Wyeth et Wyeth Canada [Wyeth].

 

[3]               En 2010, la société Ratiopharm a été vendue à Novopharm Limitée [Novopharm] qui, peu avant cette acquisition, avait changé de nom pour Teva Canada Limitée. Le 10 août 2010, les sociétés Ratiopharm et Teva Canada Limitée se sont fusionnées sous le nom de Teva Canada Limitée [Teva], la demanderesse actuelle. Novopharm, telle qu’elle était avant d’acheter Ratiopharm, joue un rôle distinct et indépendant dans les questions en litige. En conséquence, les faits pertinents seront mieux compris si l’on désigne les sociétés pharmaceutiques par les noms qu’elles portaient entre 2005 et 2007 en faisant abstraction des noms qu’elles ont pris par la suite. C’est pourquoi je désignerai les sociétés pharmaceutiques par les noms de Ratiopharm, Novopharm et Wyeth.

 

[4]               Les présents motifs sont classés sous les rubriques suivantes pour faciliter la consultation :

 

Paragraphe

Le régime du Règlement AC

5

Les faits à l’origine de l’action

14

Les questions en litige

25

La preuve

29

La période pertinente

42

La taille du marché global de la Venlafaxine

66

La taille du marché du générique de la Venlafaxine

82

La part de marché de Ratiopharm

89

a) D’autres médicaments génériques auraient‑ils été introduits sur le marché durant la période pertinente et, dans l’affirmative, à quel moment?

 

90

Novo-Venlafaxine

93

PMS-Venlafaxine

130

b) À quelle date Ratiopharm aurait‑elle lancé le produit et s’est-elle heurtée à des obstacles pour approvisionner le marché?

 

144

c) À quel moment Ratiopharm et ses concurrents sur le marché du générique auraient‑ils été inscrits sur les formulaires provinciaux?

 

160

Inscription de Ratiopharm au formulaire

161

Inscription de Novopharm au formulaire

176

d) Mise en stock

186

La valeur des ventes perdues de Ratiopharm au cours de la période pertinente

 

191

a) À quel prix Ratiopharm aurait-elle vendu son produit dans chacune des provinces?

 

192

b) À quel moment Ratiopharm est-elle passée du prix de produit pour un marché à un seul fabricant au prix de produit pour un marché comptant plusieurs fabricants dans chacune des provinces?

 

195

c) Quelles dépenses de commercialisation (ristournes et remises) Ratiopharm aurait‑elle faites durant la période pertinente?

 

207

Quel est le taux de dépenses de commercialisation de Ratiopharm pour un marché comptant un seul fabricant?

 

208

Quel est le taux de dépenses de commercialisation de Ratiopharm pour un marché à plusieurs fabricants?

 

222

À quel moment le taux des dépenses de commercialisation du produit pour un marché à plusieurs fabricants est-il entré en vigueur?

 

228

d) Quels coûts Ratiopharm aurait-elle dû assumer?

 

233

Les déductions à soustraire, le cas échéant, de l’indemnité accordée par la Cour, aux termes du paragraphe 8(5)

 

235

a) Le processus de validation et de lancement de Ratiopharm contrevenait-il au Règlement sur les aliments et drogues? Dans l’affirmative, quelles en sont les conséquences?

 

236

b) Le tribunal ne devrait-il pas intégrer la période de lancement accéléré à la période pertinente?

 

240

L’intérêt

255

Les coûts

261

Conclusion et résumé

262

Postscriptum

264

 

Le régime du Règlement AC

[5]               Le régime du Règlement AC en vigueur à l’époque de l’action en l’espèce est clairement expliqué par le juge Sharlow dans l’arrêt Ratiopharm Inc c Wyeth, 2007 CAF 264, [2008] 1 RCF 447, aux paragraphes 3 à 36. Au vu des questions soulevées en l’instance, il suffira de repasser brièvement en revue les principes pertinents pour mettre l’analyse qui suit en contexte.

 

[6]               Pour commercialiser un médicament au Canada, un fabricant doit avoir obtenu un avis de conformité [AC] ainsi qu’une identification numérique [DIN] du  ministre de la Santé. S’il s’agit d’un nouveau médicament, le fabricant innovateur doit déposer auprès du ministre le document appelé Présentation de drogue nouvelle [PDN] accompagné des renseignements permettant d’établir son innocuité et son efficacité. Après avoir donné son approbation, le ministre délivre au fabricant un AC qui autorise la commercialisation du médicament au Canada, ainsi qu’une identification numérique, ou DIN, qui atteste que la préparation, l’étiquetage et le mode d’emploi du produit ont été examinés et approuvés. Par la suite, si le fabricant souhaite effectuer des changements, il doit produire un supplément à une présentation de drogue nouvelle [SPDN] qui fera l’objet d’un AC distinct.

 

[7]               Dans le cas où un fabricant de médicaments génériques demande un AC en se fondant sur une comparaison entre son médicament et le médicament original approuvé de l’innovateur, le fabricant du générique dépose une Présentation abrégée de drogue nouvelle [PADN] pour montrer que le médicament générique est bioéquivalent au médicament de l’innovateur en faisant référence à des essais cliniques menés par ce dernier pour démontrer l’innocuité et l’efficacité du médicament d’origine. Ainsi, un fabricant de génériques peut démontrer l’innocuité et l’efficacité de son médicament sans devoir faire ses propres essais cliniques.

 

[8]               Le Règlement AC dispose que le ministre tient un registre public des brevets protégeant les médicaments pour lesquels un AC a été délivré [le Registre des brevets]. La personne qui a produit une PDN ou un SPDN dépose une liste de tous les brevets pertinents se rapportant à cette présentation ou à ce supplément, et ces brevets sont ensuite consignés au Registre des brevets. Pour pouvoir être inscrits au registre, les brevets doivent respecter les exigences relatives à l’objet et à la pertinence énoncées dans le Règlement AC. Chaque brevet inscrit au Registre des brevets est associé à une PDN ou à un SPDN qui lui est propre, ainsi qu’à l’AC correspondant.

 

[9]               Dans les cas où un fabricant de médicaments génériques compare dans sa PADN le générique nouveau à un médicament de marque ou à un médicament innovant pour lequel un brevet a été déposé, l’article 5 du Règlement AC prévoit que le fabricant de génériques doit tenir compte de ce brevet, en déclarant soit qu’il ne cherchera pas à obtenir un AC avant l’expiration du brevet, soit que le brevet n’est pas valide ou encore que le brevet ne sera pas contrefait s’il fabrique, utilise ou vend le produit générique. S’il allègue que le brevet n’est pas valide ou qu’il ne sera pas contrefait, le fabricant de médicaments génériques doit signifier à l’innovateur un avis de l’allégation (AA) accompagné d’un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation.

 

[10]           Si l’innovateur veut contester l’allégation de non‑validité ou d’absence de contrefaçon contenue dans l’AA, il doit, au plus tard quarante‑cinq jours après la réception de la signification de l’AA, demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer l’AC pour le produit générique avant l’expiration du ou des brevets en cause [la demande d’interdiction]. L’innovateur n’est pas tenu de prendre des mesures à la suite de l’AA; toutefois, s’il dépose une demande d’interdiction, le ministre ne peut délivrer un AC au fabricant du générique avant 24 mois, ou plus tôt si la demande d’interdiction est rejetée [le sursis réglementaire].

 

[11]           En plus de contester  la demande d’interdiction, le fabricant de médicaments génériques peut se prévaloir des dispositions de l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC pour demander au tribunal de rendre une ordonnance rejetant en tout ou en partie la demande d’interdiction à l’égard des brevets qu’il prétend ne pas être admissibles à l’inscription au Registre des brevets. Si la requête est acceptée, la demande d’interdiction sera rejetée au motif que les brevets visés ont été inscrits à tort au registre. C’est ce qui s’est produit en l’espèce.

 

[12]           Si, en définitive, une demande d’interdiction avorte, fait l’objet d’un désistement, est retirée ou est annulée lors d’un appel, l’article 8 du Règlement AC dispose que l’innovateur est responsable envers le fabricant de génériques de « toute perte subie » par ce dernier au cours de la période définie au paragraphe 8(1). La compensation des pertes se limite ici à des dommages‑intérêts, et exclut par le fait même la restitution des profits de l’innovateur. En outre, les pertes subies après que la demande d’interdiction a été retirée, rejetée ou annulée en appel ou après qu’elle a fait l’objet d’un désistement ne donnent pas droit à une indemnité.

 

[13]           Pour déterminer l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des « facteurs qu’il juge pertinents », y compris, le cas échéant, la conduite de l’une ou l’autre partie qui a contribué à retarder le règlement de la demande d’interdiction.

 

Les faits à l’origine de l’action

[14]           Wyeth a commercialisé une version du chlorhydrate de venlafaxine [Venlafaxine] à libération prolongée sous le nom d’Effexor XR en vertu des brevets canadiens nos 1,248,540 [le brevet 540] et 2,199,778 [le brevet 778]. Au départ, seul le brevet 540 (qui visait la substance proprement dite) a été inscrit à l’égard d’Effexor XR et il devait expirer le 10 janvier 2006; or, le brevet 778 (qui concernait la préparation à libération prolongée de Venlafaxine) a été délivré le 20 décembre 2005 et Wyeth l’a inscrit à l’égard de Venlafaxine le 23 décembre 2005. Wyeth avait déposé une demande pour ce brevet en mars 1997.

 

[15]           En 2005, Ratiopharm a voulu commercialiser sa version générique de Venlafaxine – ratio‑Venlafaxine XR [Ratio-Venlafaxine] – et a donc déposé une PADN auprès du ministre de la Santé le 24 février 2005. Dans une lettre datée du 9 décembre 2005, Santé Canada a informé Ratiopharm qu’il avait terminé l’examen de la PADN le 7 décembre 2005 [la date de mise en attente du brevet], mais que l’AC ne serait pas délivré avant que le fabricant de génériques satisfasse aux exigences du Règlement AC. Par la suite, dans le cadre du présent litige, Ratiopharm a écrit à Santé Canada pour demander une attestation de la date à laquelle un avis de conformité aurait été délivré à Ratiopharm Inc. à l’égard des capsules de chlorhydrate de venlafaxine en l’absence du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). On lui a répondu ce qui suit :

[traduction]

En vertu du paragraphe 8(1) du Règlement AC, nous attestons qu’un avis de conformité aurait été délivré à Ratiopharm Inc. à l’égard des capsules de chlorhydrate de venlafaxine en l’absence du Règlement AC le 7 décembre 2005.

 

[16]           Lorsque le brevet 778 a été inscrit au Registre des brevets le 23 décembre 2005, Ratiopharm a signifié un AA à l’innovateur le jour‑même. Dans cet avis, elle acceptait que l’AC pour lequel elle avait déposé une demande ne lui soit pas délivré avant la date d’expiration du brevet 540, soit le 10 janvier 2006. Ratiopharm alléguait par ailleurs que le brevet 778 n’était pas valide ou qu’il ne serait pas contrefait par Ratio-Venlafaxine. En réponse, Wyeth a déposé une demande d’interdiction  le 10 février 2006 (dossier de la Cour no T-243-06), par laquelle elle cherchait à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer l’AC à Ratiopharm.

 

[17]           L’inscription du brevet 778 au Registre des brevets allait retarder considérablement l’entrée de Ratiopharm sur le marché de la Venlafaxine, car le fabricant de génériques devait désormais prendre en compte le brevet 778 en plus de devoir attendre l’expiration du brevet 540. Il est utile de signaler que ces événements se sont produits avant que l’article 5 du Règlement AC ne soit modifié en 2006, modification qui a eu pour effet de « geler » le Registre des brevets à la date du dépôt de la PADN par un fabricant de génériques. En conséquence, depuis le 5 octobre 2006, un fabricant de médicaments génériques n’a pas besoin de tenir compte d’un brevet ajouté au Registre après le dépôt de sa PADN. Or, en 2005, lorsque Ratiopharm a déposé sa PADN en réponse à l’Effexor XR, elle était dans l’obligation constante de tenir compte de tous les brevets inscrits au Registre, y compris le brevet 778, qui avait été ajouté après qu’elle eut déposé sa PADN, mais avant qu’elle n’obtienne son AC.

 

[18]           Le 18 décembre 2006, Ratiopharm a déposé, en vertu de l’alinéa 6(5)a) du Règlement AC, une requête visant à faire rejeter la demande d’interdiction au motif que le brevet 778 ne pouvait pas être inscrit au Registre des brevets à l’égard d’Effexor XR. Le 29 mars 2007, le juge saisi de la requête a conclu que le brevet 778 était admissible à l’inscription au regard de deux des six AC inscrits au Registre des brevets pour Effexor XR, mais non au regard des quatre autres AC (Wyeth c Ratiopharm Inc, 2007 CF 340, 58 C.P.R. (4th) 154 [Venlafaxine CF 2007]). Le 1er août 2007, la Cour d’appel a accueilli l’appel de cette décision et a statué que le brevet 778 n’était admissible à l’inscription au regard d’aucun des AC, parce que les SPDN au regard desquels le brevet 778 était inscrit ne pouvaient justifier l’inscription d’un nouveau brevet. La requête de Ratiopharm a donc été accueillie et la demande d’interdiction de Wyeth, rejetée (Ratiopharm Inc c Wyeth, 2007 CAF 264, [2008] 1 RCF 447 [Venlafaxine CAF 2007]). Ratiopharm a reçu son AC le 2 août 2007 et a commercialisé Ratio-Venlafaxine sur le marché canadien le 18 septembre 2007.

 

[19]           La Cour d’appel a conclu par ailleurs que le tribunal ne pouvait envisager une ordonnance enjoignant au ministre de supprimer le brevet 778 du Registre des brevets, malgré le fait que ce brevet avait été inscrit à tort, parce que la requête de Ratiopharm ne contenait aucune demande à cet effet. Le brevet 778 est donc demeuré inscrit au Registre, mais il est non avenu lorsqu’il s’agit de Ratiopharm.

 

[20]           La demande d’interdiction de Wyeth et le sursis réglementaire qui l’accompagne, avec les conséquences que cela suppose pour Ratiopharm, ainsi que le rejet ultérieur de la demande d’interdiction par la Cour d’appel dans l’arrêt Venlafaxine CAF 2007 sont les raisons qui motivent la présente action en dommages‑intérêts intentée en vertu de l’article 8 du Règlement AC.

 

[21]           Ratiopharm a intenté la présente action à l’encontre de Wyeth le 22 octobre 2007. Wyeth a répondu, notamment, par la présentation d’une demande reconventionnelle dans laquelle elle alléguait que le produit de Ratiopharm était une contrefaçon du brevet 778. Cette demande a fait l’objet d’un avis de désistement déposé par Wyeth le 21 septembre 2011.

 

[22]           Sur requête en procès sommaire de la demanderesse, le juge Hughes a statué que Teva n’était pas admise à remplacer Ratiopharm dans la réclamation en dommages-intérêts fondée sur l’article 8 du Règlement AC Règlement ACet il a rejeté l’action (Teva Canada Limitée c Wyeth, 2011 CF 1169, 99 CPR (4th) 398, et 2011 CF 1442, [2011] ACF no 1741 (QL) [Venlafaxine, CF 2011]).

 

[23]           La Cour d’appel a cassé ce jugement dans l’arrêt Teva Canada Limitée c Wyeth, 2012 CAF 141, 431 NR 342 [Venlafaxine, CAF 2012]. Elle a conclu que Teva avait le droit de poursuivre l’action en dommages-intérêts intentée par Ratiopharm et, ce qui est particulièrement pertinent en l’espèce, elle s’est penchée sur les conséquences du contrat de licence que Wyeth avait passé avec Novopharm le 7 décembre 2005 [l’entente Wyeth-Novopharm] selon lequel Wyeth autorisait Novopharm à commercialiser sa version générique de la Venlafaxine [Novo‑Venlafaxine]. Novopharm a donc lancé son produit Novo-Venlafaxine le 1er décembre 2006. La Cour d’appel a statué que Ratiopharm n’avait pas à déduire de sa réclamation en dommages‑intérêts au titre de l’article 8 du Règlement AC les gains réalisés par Novopharm en sa qualité de titulaire de licence de Wyeth du 10 janvier 2006 au 2 août 2007, malgré le fait que ces sociétés ont fusionné par la suite pour former Teva, la demanderesse en l’espèce.

 

[24]           Un autre fabricant de médicaments génériques a rejoint Ratiopharm et Novopharm sur le marché de la Venlafaxine. En effet, Ratiopharm a conclu un accord de licence réciproque avec Pharmascience Inc. [Pharmascience] le 20 septembre 2005 [l’entente Ratiopharm-PMS] en vertu duquel [……………………caviardé……………] son produit Venlafaxine [PMS-Venlafaxine]. Pharmascience a reçu un AC pour ce produit le 17 août 2007 et en a fait la commercialisation à compter du 29 octobre 2007.

Les questions en litige

[25]           Les décisions établissant le cadre qui régit les recours intentés en vertu de l’article 8 et orientant le présent jugement sont les suivantes : Apotex Inc c Merck & Co Inc, 2008 CF 1185, [2009] 3 FCR 234 [Alendronate, CF 2008]; Apotex Inc c Merck & Co Inc, 2009 CAF 187, [2010] 2 FCR 389 [Alendronate, CAF 2009]; Apotex Inc c Merck & Co, 2011 CAF 329, 107 CPR (4th) 155 [Norfloxacin, CAF 2011]; Apotex Inc c Merck Canada Inc, 2012 CF 1235, [2012] ACF n1323 [Alendronate, CF 2012]; Apotex Inc c Astrazeneca Canada Inc, 2012 CF 559, 410 FTR 168 [Omeprazole, CF 2012]; Astrazeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2013 CAF 77, 444 NR 254 [Omeprazole, CAF 2013]; Sanofi-Aventis Canada Inc c Teva Canada Limitée, 2012 CF 552, 410 FTR 1 [Teva-Ramipril, CF 2012]; Apotex Inc c Sanofi-Aventis, 2012 CF 553, [2012] ACF no 620 [Apotex-Ramipril, CF 2012]; et Apotex Inc c Takeda Canada Inc, 2013 CF 1237, [2013] ACF n1355 (QL) [Pantoprazole, CF 2013].

 

[26]           Les décisions faisant autorité Alendronate, CF 2012, Teva-Ramipril, CF 2012, Apotex—Ramipri,l CF 2012 et Pantoprazole, CF 2013 sont actuellement en appel; au moment du prononcé des motifs confidentiels du jugement dans la présente action, la Cour d’appel n’avait pas encore rendu jugement dans ces causes.

 

[27]           Dans les décisions Teva-Ramipril, CF 2012 et Apotex-Ramipril, CF 2012, la juge Snider a défini les étapes à suivre pour évaluer les dommages-intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement AC. Ce modèle a depuis été appliqué dans toutes les actions intentées en vertu de l’article 8; il le sera aussi en l’espèce. Voici les étapes à suivre :

1.      Déterminer la période de responsabilité [la période pertinente];

2.      Déterminer la taille globale du marché du produit pharmaceutique pertinent [le marché du produit pharmaceutique pertinent] au cours de la période pertinente;

3.      Déterminer la part du marché du produit pharmaceutique pertinent que les fabricants de médicaments génériques auraient détenue au cours de la période pertinente [le marché du médicament générique];

4.      Déterminer la part du marché du médicament générique que la demanderesse aurait occupée [les volumes que la demanderesse a perdus];

5.      Quantifier les dommages que la demanderesse aurait subis en ce qui regarde les volumes perdus [le montant net de la perte de profits de la demanderesse].

 

[28]           En appliquant l’analyse ci‑dessus à la présente action, on doit répondre aux questions suivantes :

1.      Quelle est la période pertinente?

2.      Quelle aurait été la taille du marché de la Venlafaxine au cours de la période pertinente [le marché global de la Venlafaxine]?

3.      Quelle aurait été la part du marché de la Venlafaxine détenue par les fabricants de génériques au cours de la période pertinente [le marché du générique de la Venlafaxine]?

4.      Quelle part du marché du générique de la Venlafaxine Ratiopharm se serait‑elle appropriée au cours de la période pertinente [la part de marché de Ratiopharm]? La réponse à cette question dépend des réponses aux questions ci‑dessous :

a)                  D’autres médicaments génériques auraient‑ils été introduits sur le marché durant la période pertinente et, dans l’affirmative, à quel moment?

b)                  À quelle date Ratiopharm aurait‑elle lancé le produit et s’est-elle heurtée à des obstacles pour approvisionner le marché?

c)                  À quel moment Ratiopharm et ses concurrentes sur le marché du générique auraient‑elles été inscrites sur les formulaires provinciaux?

d)                 Quel est le calcul du rajustement de stocks approprié?

5.      Quelle est la valeur des ventes perdues par Ratiopharm au cours de la période pertinente [les ventes perdues de Ratiopharm]? La réponse à cette question dépend des réponses aux questions ci‑dessous :

a)                À quel prix Ratiopharm aurait-elle vendu son produit dans chacune des provinces?

b)                  Quelles dépenses de commercialisation (ristournes et remises) Ratiopharm aurait‑elle faites durant la période pertinente? La réponse à cette question dépend à son tour des réponses aux questions suivantes :

(i)          Quel est le taux de dépenses de commercialisation de Ratiopharm pour un marché à fabricant unique?

(ii)        Quel est le taux de dépenses de commercialisation de Ratiopharm pour un marché à  fabricants multiples?

(iii)      À quel moment le taux des dépenses de commercialisation du produit pour un marché à  fabricants multiples est-il entré en vigueur?

c)                  Quels autres coûts Ratiopharm aurait-elle dû assumer dans la fabrication et la vente de son produit?

6.      Quelles déductions faudrait-il soustraire, le cas échéant, de l’indemnité accordée à Ratiopharm par la Cour, aux termes du paragraphe 8(5) du Règlement AC (ou quels ajustements faudrait‑il effectuer)?

a)                  Le processus de validation et de lancement de Ratiopharm contrevenait-il au Règlement sur les aliments et drogues? Dans l’affirmative, quelles en sont les conséquences?

b)                  Le tribunal ne devrait-il pas intégrer la période de lancement accéléré à la période pertinente?

7.      Quels devraient être le taux d’intérêt avant jugement et la période visée?

 

La preuve

[29]           Ratiopharm a appelé les personnes suivantes à titre de témoins factuels :

1.                  M. John Kane Denike, directeur de la propriété intellectuelle chez Teva – avant la fusion de Ratiopharm et de Teva, M. Denike était au service de Ratiopharm et il y dirigeait l’équipe responsable de la PADN pour la Ratio‑Venlafaxine. À la période qui nous occupe, il était directeur du service des brevets et des affaires réglementaires chez Ratiopharm. Son témoignage a porté sur le développement de Ratiopharm et le plan de commercialisation de la Ratio-Venlafaxine, l’état du Registre des brevets à l’égard d’Effexor XR, l’entente Ratiopharm-PMS et les démarches entreprises dans le cadre du présent litige.

 

2.                  M. Kent Major, vice‑président aux affaires scientifiques, Cobalt Pharmaceuticals – M. Major a été au service de Ratiopharm jusqu’en juin 2011, et à la période qui nous occupe, il était vice-président à la gestion du développement et aux affaires réglementaires. Son témoignage a porté sur le développement de la Ratio-Venlafaxine, l’accord d’approvisionnement commercial signé avec Alembic Pharmaceuticals [Alembic] pour la fabrication de la Ratio-Venlafaxine, le lancement prévu du produit en janvier 2006, les pratiques de Ratiopharm en matière de dépenses de commercialisation, l’entente Ratiopharm‑PMS et le processus de validation de la Ratio-Venlafaxine.

 

3.                  M. Doug Somerville, premier vice‑président et directeur général, Teva – À la période qui nous occupe, M. Somerville était vice‑président aux ventes – sociétés et détaillants. Son témoignage a porté sur la mise en marché et la tarification de la Novo‑Venlafaxine et sur les dépenses de commercialisation liées à ce produit.

 

4.                  M. David Boughner, directeur des Initiatives stratégiques, Teva – À la période qui nous occupe, M. Boughner était directeur du marketing. Son témoignage a porté sur le développement de la Novo-Venlafaxine et certains aspects de la production et de la validation du médicament.

 

5.                  M. Brian Des Islet, directeur général des affaires scientifiques, Teva – À la période pertinente, M. Des Islet était directeur général de la recherche et du développement. En 2006, il est aussi devenu responsable des affaires réglementaires. Son témoignage a porté sur l’assurance de la qualité et l’inscription de la Novo‑Venlafaxine au formulaire.

 

6.                  M. Brent David Fraser, directeur du Programme de médicaments, Programmes publics de médicaments de l’Ontario, ministère de la Santé et des Soins de longue durée – M. Fraser a témoigné au sujet des régimes de l’Ontario en ce qui a trait au formulaire, à la tarification, à l’interchangeabilité, au remboursement et à la présentation de drogues nouvelles.

 

7.                  M. Uri Hillel, adjoint au premier vice‑président pour la qualité, vice‑président à la conformité et vice‑président à la recherche-développement, Teva Pharmaceuticals [Teva Israël] – À la période qui nous occupe, M. Hillel était gestionnaire de l’assurance de la qualité à l’usine de médicaments à administration par voie orale de Kfar-Saba, en Israël, et en 2006, il a été nommé au poste de directeur général de l’assurance‑qualité à la division des opérations pharmaceutiques, en Israël. Son témoignage a porté sur le processus de validation de la Novo‑Venlafaxine.

 

[30]           Ratiopharm a aussi appelé les témoins experts suivants :

1.                  Mme Rosemary Bacovsky – Les deux parties ont reconnu la qualité d’expert de Mme Bacovsky à titre de consultante de l’industrie pharmaceutique et de pharmacienne ayant des connaissances spécialisées dans les domaines suivants : l’inscription des médicaments aux formulaires, l’accès au marché et les politiques de remboursement dans le marché canadien des produits pharmaceutiques. Dans son témoignage, Mme Bacovsky a parlé des régimes provinciaux d’assurance‑médicaments, du processus d’inscription sur les formulaires ainsi que des régimes provinciaux d’établissement des prix et d’interchangeabilité.

 

2.                  M. Scott Davidson, directeur général du bureau de Toronto de Duff & Phelps – Les deux parties ont reconnu l’expertise de M. Davidson en évaluation d’entreprise et en quantification des dommages sous forme de pertes financières dans le cadre de litiges en matière commerciale et de propriété intellectuelle.

 

3.                  M. Aidan Hollis, professeur d’économie, Université de Calgary – Les deux parties ont reconnu l’expertise de M. Hollis en économie et en organisation industrielle, celui‑ci ayant des connaissances spécialisées dans les domaines des marchés pharmaceutiques et de la concurrence sur ces marchés. Le témoignage de M. Hollis a porté sur le marché global de la Venlafaxine, le marché du générique de la Venlafaxine, la part de marché de Ratiopharm, le taux de pénétration, la dynamique d’érosion, le rajustement des stocks et les dépenses de commercialisation.

 

4.                  M. Paul Larocque, président d’Acerna Incorporated – les deux parties ont reconnu l’expertise de M. Larocque dans le domaine des affaires réglementaires pharmaceutiques, notamment la validation des procédés de fabrication des produits pharmaceutiques destinés à la vente sur le marché canadien.

 

[31]           Wyeth a appelé les personnes suivantes à titre de témoins factuels :

1.                  M. Steven Whitehead – À la période qui nous occupe, M. Whitehead était vice‑président au développement stratégique et commercial et membre de l’équipe de la haute direction de Wyeth. Dans son témoignage, il a parlé de l’entente Wyeth-Novopharm, des dispositions prises par Wyeth en vue de la générification d’Effexor XR, et de la réaction de Wyeth au lancement des versions génériques d’Effexor XR en 2006.

 

2.                  Mme Virginia Cirocco – Aujourd’hui consultante, elle occupait durant la période en cause le poste de vice‑président directeur chez Shoppers Drug Mart. Dans son témoignage, elle a parlé des pratiques d’achat de son employeur et des ristournes auxquelles il pouvait s’attendre à l’époque.

 

3.                  M. Michael Blacher – M. Blacher exerce la profession de pharmacien et il possède un comptoir de pharmacie dans les locaux d’une clinique médicale à Windsor, en Ontario. Dans son témoignage, il a parlé des ristournes qu’il touche et de ses achats de médicaments de marque et de médicaments génériques.

 

4.                  Mme Lucie Robitaille, secrétaire générale et vice-présidente à la gouvernance et à l’administration, Institut national d’excellence en santé et en services sociaux du Québec – À la période qui nous occupe, Mme Robitaille était directrice générale du Conseil du médicament. Son témoignage a porté sur les régimes du Québec en ce qui a trait au formulaire, à la tarification, à l’interchangeabilité et à la présentation de drogues nouvelles.

 

5.                  M. Glen Monteith, chef, Prestation des services, ministère de la Santé et du Mieux‑être de l’Alberta – À la période qui nous occupe, M. Monteith était le directeur administratif de la Direction des produits pharmaceutiques et des sciences de la vie du ministère de la Santé et du Mieux‑être de l’Alberta. Il a témoigné au sujet des régimes de l’Alberta en ce qui a trait au formulaire, à la tarification, à l’interchangeabilité, au remboursement et à la présentation de drogues nouvelles.

 

6.                  Mme Debby Ship, directrice principale, Gestion de portefeuille et de projets, Pharmascience – À la période pertinente, Mme Ship était directrice principale, Développement des affaires, chez Pharmascience. Son témoignage a porté sur l’entente Ratiopharm-PMS, le produit PMS-Venlafaxine et la capacité de Pharmascience d’entrer sur le marché de la Venlafaxine dans la période pertinente.

 

[32]           Wyeth a aussi appelé les témoins experts suivants :

1.                  M. W. Neil Palmer – Les deux parties ont reconnu la qualité d’expert de M. Palmer à titre de consultant de l’industrie pharmaceutique ayant des connaissances spécialisées dans les domaines suivants : l’inscription des médicaments aux formulaires, l’accès au marché et les politiques de remboursement dans le marché canadien des produits pharmaceutiques.

 

2.                  M. Stuart Wright, consultant chez OptumInsight – Les deux parties ont reconnu l’expertise de M. Wright dans le domaine des affaires réglementaires pharmaceutiques, notamment la validation des procédés de fabrication des produits pharmaceutiques destinés à la vente sur le marché canadien.

 

3.                  M. Andrew Tepperman, directeur chez Charles River Associates et titulaire d’un doctorat en économie – Les deux parties ont reconnu l’expertise de M. Tepperman en économie et en organisation industrielle, celui‑ci ayant des connaissances spécialisées dans les domaines des marchés pharmaceutiques et de la concurrence sur ces marchés. M. Tepperman a témoigné à propos du marché global de la Venlafaxine, du marché du générique de la Venlafaxine et de la part de marché de Ratiopharm en s’appuyant sur divers scénarios hypothétiques élaborés à l’aide d’un modèle économétrique.

 

4.                  M. Ross Hamilton, directeur chez Cohen Hamilton Steger & Co – Les deux parties ont reconnu la qualité d’expert de M. Hamilton à titre de comptable agréé spécialisé en comptabilité d’enquête et en expertise judiciaire et ses compétences particulières en quantification des dommages dans le cadre de litiges en matière commerciale et de propriété intellectuelle, notamment en ce qui concerne le marché canadien des produits pharmaceutiques. Son témoignage a porté sur l’évaluation et la quantification de la perte de profit de Ratiopharm selon divers scénarios.

 

[33]           Tous les témoins ont été soumis à un contre-interrogatoire vigoureux et, parfois, fort efficace. J’estime qu’il s’agit de témoins généralement crédibles, à une exception près; j’aurais toutefois des observations à faire au sujet de certains témoins jugés crédibles par ailleurs.

 

[34]           Je retiens que Mme Virginia Cirocco n’est pas crédible. Elle a déjà témoigné devant la Cour dans deux autres actions fondées sur l’article 8. Dans la décision Alendronate CF 2012, le juge Hughes a estimé que Mme Cirocco manquait de franchise et donnait des réponses équivoques. Dans la décision Pantoprazole CF 2013, le juge Phelan a constaté « qu’elle [avait] témoigné de manière franche et directe », mais que son témoignage n’avait pas été particulièrement utile, parce que la connaissance qu’elle avait du taux de ristourne du fabricant de génériques était celle d’un taux combiné pour tous les produits et elle n’était pas au courant du taux de ristourne que le fabricant accordait à l’interne pour un produit donné.

 

[35]           J’estime que Mme Cirocco a manqué de franchise dans son témoignage. Elle a voulu donner à la Cour l’impression qu’elle était un témoin récalcitrant. À la question [traduction] « Dans quelles circonstances êtes‑vous venue ici aujourd’hui? », posée durant son interrogatoire principal, elle a répondu : [traduction] « J’ai reçu une sommation à comparaître ». Elle a ajouté qu’elle était rémunérée par son cabinet d’experts‑conseils pour le temps passé en cour. Interrogée sur son état d’esprit, elle a affirmé que [traduction] « venir témoigner en cour n’est pas mon activité préférée. » Par ailleurs, son contre-interrogatoire a révélé qu’elle s’était entendue avec Wyeth sur une compensation avant de recevoir la sommation à comparaître.

 

[36]           Devant la Cour, elle a déclaré que Shoppers Drug Mart recevait des ristournes en fonction de la quantité de molécules et non en fonction d’un lot ou d’un panier de médicaments. Ce témoignage est contraire à ce qu’elle a affirmé dans l’affaire Pantoprazole CF 2013, où, comme je l’ai déjà souligné, le juge Phelan a constaté que la connaissance qu’elle avait des ristournes reçues était celle d’un taux combiné pour tous les produits constituant un lot ou un panier. Lorsque confrontée à ce dernier témoignage, Mme Cirocco a donné des réponses évasives et plus ou moins franches. Selon elle, ce que la Cour voyait comme une contradiction fondamentale et importante entre le témoignage qu’elle a fourni dans la présente affaire et celui qu’elle avait produit antérieurement n’était qu’une question de sémantique. Or, ce n’est pas le cas. Le témoignage qu’elle a fait devant la Cour contredit les réponses qu’elle a données antérieurement aux mêmes questions. En conséquence, à moins qu’il ne soit corroboré par d’autres témoins ou par des documents, le témoignage de Mme Cirocco est rejeté.

 

[37]           M. Uri Hillel semblait trop préparé – comme si on lui avait demandé de faire passer un message et de ne pas rater une occasion de le faire. Son témoignage a porté sur le procédé de fabrication et les problèmes qu’a éprouvés Teva Israel dans la fabrication de la Novo-Venlafaxine. Le témoignage de M. Hillel visait à renforcer l’argument de Ratiopharm selon lequel la Novo‑Venlafaxine ne serait pas arrivée sur le marché plus rapidement dans le monde hypothétique qu’elle ne l’aurait fait dans le monde réel. M. Hillel a déclaré que la fabrication de ce médicament était  hautement prioritaire pour Teva Israël. Il a fait cette observation à plusieurs reprises, même lorsqu’elle n’avait aucun rapport avec la question qui lui était posée. M. Hillel a été jugé crédible en dépit de cela, car aucun élément de preuve convaincant n’a pu infirmer son témoignage devant la Cour. Les arguments de la défenderesse ne reposaient que sur des soupçons et des spéculations.

 

[38]           Le dernier témoin au sujet duquel j’aimerais faire des observations est M. Tepperman. Ce dernier a montré une extrême réticence à reconnaître la validité de quelque argument que ce soit, même le plus évident. À titre d’exemple, il a refusé de reconnaître que les données qu’il a utilisées (et qui lui avaient été fournies par Wyeth) ont mené à des résultats qui étaient en parfaite contradiction avec ceux qu’il avait présentés dans l’affaire Pantoprazole, CF 2013, où il avait témoigné à titre d’expert pour le fabricant de médicaments génériques Apotex. De plus, il s’est entêté à ne pas reconnaître l’évidence, à savoir que les résultats du rapport qu’il a soumis en l’espèce étaient contraires au bon sens.

 

[39]           Dans le rapport qu’il a déposé dans la présente instance, M. Tepperman fait observer que les deux plus importants fabricants de génériques à l’époque, Apotex et Novopharm, [traduction] « jouissent d’avantages concurrentiels inhérents par rapport aux autres fabricants de produits génériques. » S’appuyant sur les données qu’il a utilisées, il conclut que [traduction] « la prime de part de marché moyenne [de Novopharm] est d’environ huit points de pourcentage à la date d’entrée initiale sur le marché, tandis que celle d’Apotex est d’environ quatre points de pourcentage. » Or, durant son contre-interrogatoire, on lui a fait remarquer que dans le rapport qu’il avait déposé dans l’affaire Pantoprazole, CF 2013, il avait conclu, en se fondant sur les données qu’il avait utilisées à ce moment‑là, que la prime de part de marché moyenne de Novopharm s’établissait à environ cinq points de pourcentage à la date d’entrée initiale sur le marché et celle d’Apotex, à environ 12 points de pourcentage.

 

[40]           M. Tepperman a tout bonnement refusé de reconnaître que les données qu’il avait utilisées, et que Wyeth lui avait fournies, pouvaient l’avoir mené à une conclusion qui allait à l’encontre de son témoignage d’expert antérieur et du bon sens, étant donné qu’Apotex est la plus importante des deux sociétés de médicaments génériques sur le marché. Il s’est contenté de répondre ceci : [traduction] « L’analyse ne pose pas problème. Elle se fonde sur les données dont je dispose dans ce cas‑ci », ce qui nous amène à nous poser la question : [traduction] « N’aurait‑il pas dû mettre en doute la pertinence des données qu’il a utilisées? »

 

[41]           Ce manque de logique est l’une des raisons pour lesquelles la Cour a préféré l’approche de M. Hollis à celle de M. Tepperman.

La période pertinente

[42]           La période pertinente est la période durant laquelle des pertes ont été subies par le fabricant de médicaments génériques (demandeur) et donnent droit à une indemnisation. À mon avis, il n’est pas nécessire d’échelonner  ces pertes sur toute la période. La période pertinente est définie tout simplement comme l’intervalle de temps dans lequel des pertes subies donnent droit à une indemnisation.

 

[43]           L’alinéa 8(1)b) du Règlement AC ne laisse aucune marge discrétionnaire pour déterminer la date à laquelle se termine la période pertinente – il s’agit de la date du retrait, du désistement, du rejet ou de l’annulation de la demande d’interdiction. Les parties conviennent que la période pertinente se termine le 1er août 2007, date à laquelle la Cour d’appel a rendu l’arrêt Venlafaxine CAF 2007, dans lequel elle a rejeté la demande d’interdiction de Wyeth.

 

[44]           Je suis conscient du fait que la juge Snider, dans la décision Apotex-Ramipril CF 2012, a conclu que la Cour jouit d’un certain pouvoir discrétionnaire pour déterminer une date de fin de période plus appropriée. S’il est vrai que la la date à laquelle se termine la période pertinente n’est pas en litige dans la présente affaire étant donné que les parties s’entendent sur cette date, je dois respectueusement dire que je ne suis pas d’accord avec la juge Snider sur ce point. À mon sens, le libellé du Règlement est explicite en ce qui a trait à la détermination de la date à laquelle se termine la période de responsabilité. Même si la date de fin de période est déterminée, il se peut que les pertes cessent avant cette date, comme le donne à entendre la décision de la juge Snider. Dans les circonstances particulières de l’affaire Apotex-Ramipril CF 2012, l’AC avait été délivré même si, sur le plan procédural, la demande d’interdiction était encore pendante. Dès lors, la demande d’interdiction ne faisait plus obstacle à l’entrée du générique sur le marché et aucun élément de preuve n’établissait un lien de causalité entre la demande d’interdiction et une perte subséquente quelconque. Dans de telles circonstances, lorsque la société de génériques agissant comme demanderesse est incapable d’établir ce lien, elle ne peut obtenir un dédommagement, même si la période de responsabilité et les possibilités de recouvrement vont au delà de la date de fin de période prévue par le Règlement AC.

 

[45]           L’alinéa 8(1)a) du Règlement AC laisse à la Cour une marge discrétionnaire pour déterminer la date à laquelle débute la période pertinente. Selon le libellé de cet alinéa, la période pertinente débute « à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement [la date de mise en attente du brevet], sauf si le tribunal conclut […] qu’une date autre que la date attestée est plus appropriée. »

 

[46]           Les parties ne s’entendent pas sur la date à laquelle débute la période pertinente.

 

[47]           Ratiopharm soutient que la période pertinente débute le 10 janvier 2006, soit à la date d’expiration du brevet 540. Il faut rappeler que dans sa PADN et son AA, Ratiopharm s’était déclarée disposée à attendre l’expiration de ce brevet avant de commercialiser la Ratio‑Venlafaxine.

 

[48]           De son côté, Wyeth allègue que la période pertinente ne peut débuter avant le 13 février 2006, soit la date à laquelle le ministre aurait délivré un AC à Ratiopharm si cette dernière avait signifié à Wyeth un AA relativement au brevet 778 et que Wyeth n’avait pas déposé une demande d’interdiction dans la période de 45 jours prévue par le Règlement AC. Wyeth soutient que la période pertinente ne peut débuter avant cette date puisque, selon la jurisprudence, la période pertinente ne peut débuter avant la date à laquelle le sursis réglementaire aurait été imposé. En conséquence, Wyeth affirme que dans le monde hypothétique, la société de génériques demanderesse doit se conformer au Règlement AC et signifier un AA à l’innovateur parce que c’est une condition préalable à l’imposition du sursis réglementaire. Wyeth appuie son affirmation sur les décisions Teva-Ramipril CF 2012, Norfloxacin CAF 2011 et Alendronate CAF 2009. Je ne puis accepter aucune des observations de Wyeth.

 

[49]           Wyeth a formulé comme suit l’argument suivant lequel la période pertinente ne peut jamais débuter avant la date à laquelle le sursis réglementaire est imposé :]

[traduction]

Dans le cas qui nous occupe, la date, attestée par le ministre, à laquelle Ratiopharm aurait reçu son AC pour RATIO‑VELAFAXINE XR est le 7 décembre 2005. Ce jour‑là, Santé Canada a terminé l’examen de la PADN de Ratiopharm et a mis en attente la demande de Ratiopharm jusqu’à ce que celle‑ci ait satisfait à toutes les exigences du Règlement (« mise en suspens pour cause de brevet »). Or, en l’espèce, la date à laquelle la demande de Ratiopharm a été mise en attente ne correspond pas à la date à laquelle est censée débuter la période de responsabilité selon le paragraphe 8(1) du Règlement.

 

Comme ce fut le cas dans l’affaire Teva Ramipril, nous sommes ici en présence « d’une situation inhabituelle où la date attestée, ou la date de la ‘mise en suspens pour cause de brevet’, précède le début du sursis réglementaire. » Par conséquent, la période de responsabilité ne peut débuter avant la date à laquelle la demande est déposée et le sursis réglementaire imposé aux termes du Règlement. [Non souligné dans l’original.]

 

[50]           Je conviens que, en l’espèce, la date de mise en suspens pour cause de brevet peut ne pas correspondre à la date à laquelle la responsabilité est imposée à Wyeth aux termes du Règlement AC. Toutefois, cela n’a rien à voir avec le fait que la date de mise en suspens précède la date d’imposition du sursis réglementaire.

 

[51]           Selon l’argumentation de Wyeth, le fait que la date de mise en sursis pour cause de brevet précède la date d’imposition du sursis réglementaire aux termes du Règlement AC ne signifie pas qu’il existe une date plus appropriée pour marquer le début de la période de responsabilité; c’est plutôt que la date à laquelle débute la période de responsabilité ne peut être la date de mise en suspens pour cause de brevet. À mon sens, accepter cette argumentation, c’est faire abstraction du  libellé clair et sans équivoque de l’article 8.

 

[52]           L’alinéa 8(1)a) définit clairement une date par défaut pour le début de la période de responsabilité, à savoir la date de mise en suspens pour cause de brevet. La Cour peut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, déterminer une autre date si elle juge que cette date est « plus appropriée ». L’utilisation du terme « plus appropriée » (« more appropriate ») (je souligne) dans l’alinéa en question indique clairement que la date de mise en suspens est une date appropriée pour définir le moment où débute la période pertinente, bien qu’une autre date puisse être plus appropriée selon les circonstances particulières de l’espèce. En conséquence, il est tout simplement erroné de dire en l’espèce, comme l’affirme Wyeth, que la date de mise en suspens « ne peut » être la date du début de la période de responsabilité, compte tenu du libellé clair et sans équivoque de l’alinéa 8(1)a) du Règlement AC. La vraie question est plutôt de savoir s’il existe une date plus appropriée pour marquer le début de cette période.

 

[53]           À mon avis, lorsque la perte subie par la société de génériques demanderesse ne survient qu’après la date de mise en suspens, il serait plus approprié de fixer le début de la période pertinente à la date à compter de laquelle la société demanderesse a commencé à subir cette perte. C’est ce que conclut la juge Snider dans la décision Teva-Ramipril, CF 2012.

 

[54]           Dans l’affaire Teva-Ramipril, CF 2012, tous les brevets inscrits au Registre des brevets, sauf un, avaient fait l’objet d’un AA signifié par Teva, et la Cour avait conclu qu’aucun de ces brevets ne constituait un obstacle à la commercialisation de Teva-Ramipril par la société Teva. Le seul brevet qui n’avait pas été l’objet d’un AA par Teva était le brevet 457. Dans sa PADN, Teva s’était déclarée disposée à commercialiser Teva-Ramipril uniquement après la date d’expiration du brevet 457, le 13 décembre 2005, qui est postérieure à la date de mise en suspens pour cause de brevet, soit le 14 octobre 2003. La juge Snider a conclu que la date la plus appropriée pour marquer le début de la période pertinente était le 13 décembre 2005.

 

[55]           Dans l’affaire Apotex-Ramipril,CF 2012, la société de génériques demanderesse avait signifié des AA pour tous les brevets inscrits au Registre (trois de ces brevets avaient été inscrits après la date de mise en suspens), et la Cour avait conclu qu’aucun de ces brevets ne constituait un obstacle à la commercialisation d’Apo‑Ramipril par Apotex. En évaluant les dommages subis par la société demanderesse, la Cour avait conclu que celle‑ci n’avait pas à signifier un AA à l’innovateur dans le monde hypothétique.

 

[56]           Dans les décisions Teva-Ramipril, CF 2012, Apotex-Ramipril, CF 2012, et Pantoprazole, CF 2013, le juge de première instance a fixé comme date du début de la période pertinente – avec le recul offert par les résultats des demandes d’interdiction – la date à compter de laquelle il ne reste plus aucun obstacle à la mise en marché du produit générique de la société demanderesse. En somme, le monde réel éclaire lemonde hypothétique et nous dit par ces trois décisions que, à une exception près, les brevets inscrits au Registre par l’innovateur ne doivent pas constituer un obstacle à l’entrée du fabricant de génériques sur le marché, la seule exception étant le brevet 457, dans l’affaire Teva-Ramipril, CF 2012, dont la société de génériques demanderesse avait convenu d’attendre l’expiration avant de commercialiser son produit.

 

[57]           L’imposition du sursis réglementaire par l’innovateur dont la demande d’interdiction s’avère infructueuse engage la responsabilité de celui‑ci en vertu de l’article 8; cependant, les dommages‑intérêts sont accordés pour dédommager un fabricant des pertes subies « à cause du report de la mise en marché de son médicament générique », selon les termes utilisés dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation [REIR] publié avec le projet de modification du Règlement AC (DORS/98‑166) dans la Gazette du Canada, partie II, volume 132, no 7, à la page 1056. Ce report tient compte du retard ccasionné par le dépôt de l’AA et l’imposition de la période de 45 jours allouée pour présenter une demande d’interdiction.

 

[58]           Le monde hypothétique est un concept qu’utilise la Cour pour évaluer la perte subie par un fabricant de médicaments génériques du fait qu’on a retardé indûment son entrée sur le marché. La question à laquelle il faut répondre est donc la suivante : « Quelle est la perte subie par le fabricant de génériques par suite du report de la mise en marché de son médicament? »

 

[59]           D’une façon générale, la période durant laquelle le fabricant lésé aura subi des pertes débute à la date de mise en suspens pour cause de brevet, c’est‑à‑dire lorsque la société de génériques demanderesse reçoit son AC, car ce n’est qu’à partir de ce moment qu’elle peut commencer à mettre sur le marché son produit. Toutefois, comme nous l’avons vu dans l’affaire Teva-Ramipril, CF 2012, où le fabricant de génériques avait convenu de retarder la commercialisation de son médicament jusqu’à la date d’expiration d’un brevet inscrit au Registre des brevets, cette date‑ci peut être plus appropriée dans les circonstances, car de toutes façons le produit ne pouvait être commercialisé plus tôt.

 

[60]           Je souligne que rien dans l’article 8 n’empêche la Cour de déterminer qu’une date antérieure à la date attestée est plus appropriée pour marquer le début de la période pertinente. À mon sens, cela supposerait une situation particulière où la société demanderesse peut démontrer qu’elle a subi une perte avant la date attestée du fait qu’on a retardé indûment la mise en marché de son médicament. Ce genre de situation se présente lorsque, par exemple, le fabricant de génériques conclut une entente d’approvisionnement avec un fabricant d’ingrédients actifs avant la date de mise en attente du brevet et qu’il lui verse un acompte qu’il ne peut récupérer ou réutiliser après qu’il a été empêché de commercialiser son médicament. En l’espèce, rien ne permet de croire que Ratiopharm a subi une perte avant le 10 janvier 2006, date d’expiration du brevet 540. Si des éléments de preuve avaient établi le contraire, il aurait été approprié de fixer le début de la période pertinente plus tôt qu’à la date attestée, et à mon sens, la Cour aurait eu la faculté de le faire.

 

[61]           La Cour doit déterminer s’il y a un lien de causalité entre l’échec de la procédure d’interdiction engagée en vertu du Règlement AC et la perte faisant l’objet de la réclamation en dommages et, dans l’affirmative, à partir de quel moment cette perte a été subie. Ce lien de causalité est évoqué par le juge Stratas dans l’arrêt Norfloxacin, CAF 2011, où il formule la question de la façon suivante : « que se serait-il passé si [l’innovateur] n’avait pas déposé la demande d’interdiction? » De même, dans l’arrêt Alendronate CAF 2009, le juge Noël affirme que « l’attribution de dommages-intérêts en vertu de l’article 8 découle logiquement de la procédure d’interdiction visée à l’article 6 ». Il ne faut pas voir dans ces observations une quelconque restriction quant à la façon de déterminer le début de la période pertinente, comme l’a donné à entendre Wyeth; elles montrent plutôt qu’il doit exister un lien de causalité entre les dommages‑intérêts réclamés dans une action intentée en vertu de l’article 8 et la demande d’interdiction.

 

[62]           Avant de clore la discussion sur la période pertinente, j’aimerais traiter brièvement d’un argument de Wyeth, selon lequel la période de responsabilité pour les dommages-intérêts ne peut débuter avant la date à laquelle le sursis réglementaire est imposé, parce qu’avant cette date, l’innovateur ne pouvait pas anticiper, ni atténuer, sa responsabilité à l’égard des pertes subies par le fabricant de génériques. L’argument de Wyeth est présenté comme suit :

[traduction]

En l’espèce, Ratiopharm n’avait pas informé Wyeth qu’elle était mise en suspens pour cause de brevet avant que Wyeth n’engage la procédure d’interdiction et rien n’indiquait que Wyeth aurait pu obtenir ce renseignement d’une autre source. Sans cet élément d’information clé, il était impossible pour Wyeth d’anticiper ou d’atténuer sa responsabilité  des pertes subies par Ratiopharm avant d’engager la procédure d’interdiction.

 

Pour ce qui est de déterminer la date du début de la période de responsabilité selon l’état actuel du droit, il est clair qu’en l’espèce  cette date ne peut être antérieure au 10 février 2006, soit la date à laquelle Wyeth a engagé la procédure d’interdiction contre Ratiopharm et accepté d’être responsable de la perte subie par Ratiopharm durant la période d’application du sursis réglementaire si Wyeth devait voir sa demande d’interdiction rejetée.

 

[63]           Cet argument doit être rejeté pour trois raisons. Premièrement, il repose sur la prémisse fausse selon laquelle il est possible d’évaluer l’ampleur probable des dommages-intérêts visés à l’article 8 avant de décider de déclencher l’élément qui pourrait donner lieu à cette réclamation. Deuxièmement, il suppose que la décision de l’innovateur de déclencher ou non l’élément repose sur l’étendue de sa responsabilité éventuelle. En réalité, ce postulat a très peu de poids étant donné que les profits que réalisera l’innovateur durant la période d’application du sursis réglementaire excéderont sa responsabilité éventuelle à l’égard du fabricant de génériques telle que définie à l’article 8. Troisièmement, Wyeth est de mauvaise foi lorsqu’elle affirme qu’elle n’était pas au courant de l’arrivée d’un générique sur le marché de la Venlafaxine avant de déposer sa demande d’interdiction. Dans la présente affaire, Wyeth savait fort bien que le seul brevet inscrit au Registre des brevets à l’égard d’Effexor XR devait expirer le 10 janvier 2006. Elle savait également que le marché de la  Venlafaxine était important et lucratif. Elle a conclu l’entente Wyeth‑Novopharm à la fin de décembre 2005 précisément pour faire obstacle à un générique qui allait être lancé sur le marché après l’expiration du brevet 540; ce lancement ne faisait aucun doute pour elle.  En outre, elle savait que les avocats de Ratiopharm avaient déposé à la fin de 2005 des observations au Bureau des brevets pour s’opposer à l’inscription du brevet 778 au Registre. La raison la plus probable de cette démarche était que Ratiopharm s’apprêtait à lancer un médicament sur le marché dès l’expiration du brevet 540.

 

[64]           En résumé, la preuve révèle que Wyeth savait que Ratiopharm ou un autre fabricant de médicaments génériques entrerait sur le marché en janvier 2006 ou très peu de temps après, et elle a décidé de faire inscrire le brevet 778 dans l’espoir de renouveler à perpétuité son médicament breveté et de casser la concurrence des génériques. Elle savait ou aurait dû savoir qu’il y avait de fortes chances qu’un fabricant de génériques prêt à entrer sur le marché en janvier 2006 lui signifie un AA au lieu d’attendre de nombreuses années avant d’entrer sur le marché de la Venlafaxine.

 

[65]           En l’espèce, n’eût été l’inscription inappropriée du brevet 778 au Registre des brevets, toutes choses étant égales par ailleurs, Ratiopharm aurait reçu son AC et aurait été en mesure de lancer son produit le 10 janvier 2006. La date de mise en suspens pour cause de brevet, antérieure à celle‑ci, est une date appropriée pour marquer le début de la période pertinente; toutefois, comme Ratiopharm ne réclame aucune indemnisation pour perte avant le 10 janvier 2006, je souscris à l’observation de Ratiopharm selon laquelle la date du 10 janvier 2006 est plus appropriée que la date de mise en suspens pour marquer le début de la période pertinente.

 

Quelle est la taille du marché global de la Venlafaxine?

[66]           MM. Hollis et Tepperman ont tous deux fait part de leur idée quant à la taille du marché global de la Venlafaxine. Leur opinion diffère sur un point en particulier, à savoir si le fait que Wyeth cesse ses activités promotionnelles à l’arrivée d’un médicament générique sur le marché aura une incidence à la baisse sur les ventes. Dans leurs modèles respectifs, le Québec sert de variable représentative de l’effet de la promotion, car les sociétés innovatrices tendent à maintenir leurs efforts promotionnels au Québec à cause de la règle qui garantit le plein remboursement du coût des médicaments d’origine par le programme public d’assurance du gouvernement provincial durant les 15 années qui suivent la générification.

 

[67]           M. Hollis a procédé par analogie et assimilé les ventes de la Venlafaxine dans le monde réel aux ventes dans le monde hypothétique. Il a fait observer que, dans le monde réel, la croissance des ventes ralentissait de façon générale à long terme, alors que, à court terme, elle déclinait modérément dans les provinces autres que le Québec après la générification. Or, non seulement faut-il  observer un ralentissement de la croissance des ventes dans le monde réel, mais ce ralentissement doit être attribuable plus particulièrement à un facteur ou à un agent commun au monde hypothétique et au monde réel pour que la Cour conclue que la même tendance se manifesterait dans le monde hypothétique.

 

[68]           M. Hollis a estimé qu’il n’y avait pas de raison de croire que la tendance à la baisse des ventes résulte plus particulièrement de l’arrêt  des activités de promotion. Il a avancé une autre explication, à savoir que la couverture médiatique négative dont ont été l’objet la Venlafaxine et les médicaments du même groupe à la suite de la générification ne serait pas étrangère au ralentissement de la croissance des ventes, et qu’il n’y avait pas de raison de croire que le même phénomène de repli des ventes serait observé dans le monde hypothétique.

 

[69]           En outre, M. Hollis s’est dit d’avis qu’il s’écoulerait un certain temps avant que les effets de la réduction des activités de promotion se fassent sentir sur les ventes. Il a reconnu que, dans le monde réel, le taux de croissance des ventes au Québec avait commencé à augmenter par rapport à celui des ventes dans les autres provinces à compter de 2009, mais comme cette tendance s’était amorcée plus de 18 mois après la générification, M. Hollis a conclu que la taille du marché de la Venlafaxine au cours de la période pertinente n’aurait pas été plus petite dans le monde hypothétique que dans le monde réel, même si la réduction des activités de promotion avait eu en fin de compte une incidence sur les ventes.

 

[70]           En résumé, selon M. Hollis, les ventes de la Venlafaxine durant la période pertinente dans le monde réel devraient servir d’indicateur pour les ventes durant la période pertinente dans le monde hypothétique.

 

[71]           De son côté, M. Tepperman a évalué la tendance des ventes au Québec par rapport aux autres provinces au moyen d’une analyse de régression. Cette analyse visait à déterminer l’effet de deux facteurs explicatifs concurrents sur la demande globale de la Venlafaxine. Ces deux facteurs explicatifs sont 1) la réduction des activités de promotion et 2) l’effet de l’élasticité‑prix (c’est‑à‑dire la sensibilité du marché à une baisse des prix). M. Tepperman a affirmé que la réduction des activités de promotion tendrait à refouler la demande globale du produit, tandis que la diminution du prix du produit aurait l’effet inverse et augmenterait la demande.

 

[72]           Dans son modèle, M. Tepperman a utilisé les données sur les ventes de la Venlafaxine pour chacune des trois doses pour la période de janvier 2006 à décembre 2009. Il a observé que dans certaines provinces, la demande diminue de façon statistiquement significative par rapport au Québec, dans d’autres, elle ne change pas, et dans d’autres encore, elle augmente par rapport au Québec. En outre, les résultats varient selon la dose de la capsule.

 

[73]           Aucune des méthodes utilisées respectivement par MM. Hollis et Tepperman n’est entièrement satisfaisante. M. Hollis a admis en contre-interrogatoire que son hypothèse de la couverture médiatique négative pouvait être contestable, à preuve qu’aucun des médias « à couverture négative » n’avait recommandé que les médecins cessent de prescrire la Venlafaxine, et qu’il n’y avait aucun moyen de savoir dans quelle mesure les publications étaient lues par les médecins ou l’ensemble de la population.

 

[74]           Par ailleurs, le modèle de régression de M. Tepperman utilise des données qui vont au delà de la période de 18 mois qui suit immédiatement la générification, c’est‑à‑dire la période qui est la plus représentative de la période pertinente dans le monde hypothétique. La difficulté que pose l’utilisation d’un ensemble de données trop étendu est que les tendances propres aux données de la période de 18 mois qui suit immédiatement la générification se confondent avec les tendances potentielles propres aux données de la période qui vient après. Par conséquent, le modèle risque de représenter des tendances qui ne seraient pas observées durant la période pertinente de 18 mois dans le monde hypothétique.

 

[75]           M. Tepperman a affirmé en contre-interrogatoire qu’il est préférable de disposer d’un plus grand nombre de données lorsque l’objectif de l’analyste est de déterminer une tendance à long terme. Je ne rejette pas cette affirmation, mais en l’espèce, la Cour n’a pas à statuer sur l’existence d’un effet durable de refoulement de la demande de la Venlafaxine dans l’abstrait. Elle doit plutôt déterminer s’il y aurait eu un effet de refoulement de la demande plus particulièrement durant la période pertinente. Dès lors, il importe de considérer la tendance qui se manifeste durant cette période, et non les tendances de fond qui peuvent être observées en dehors de cette période.

 

[76]           Au cours de son interrogatoire principal, M. Hollis a fourni un exemple qui illustre ces propos. Si, dit‑il, nous voulions déterminer la température moyenne à Ottawa durant les mois d’hiver, nous rassemblerions le plus grand nombre de données possible se rapportant précisément à cette période. Même s’il existait des données pour les mois d’été, il serait inopportun de les utiliser compte tenu de notre objectif. En revanche, il serait de mise d’utiliser des données portant sur les 12 mois de l’année si notre objectif était de déterminer la température moyenne à Ottawa au cours de l’année.

 

[77]           M. Hollis a refait l’analyse de régression de M. Tepperman en utilisant uniquement les données qui ont trait à la période de 19 mois qui suit immédiatement la générification et il a conclu que, pour toutes les doses et toutes les provinces, soit il n’y aurait aucune variation statistiquement significative de la croissance des ventes dans ces provinces, soit il y aurait une croissance positive des ventes par rapport au Québec. Cela vient appuyer la thèse de M. Hollis selon laquelle on n’assisterait pas à un refoulement significatif de la demande à court terme et qu’il s’écoulerait beaucoup de temps avant que l’effet à long terme se fasse sentir.

 

[78]           L’analyse de régression de M. Tepperman a produit une valeur R2 qui indique la qualité d’ajustement du modèle aux données ainsi que la part de la variation qui est expliquée par le modèle. Selon M. Tepperman, une valeur R2 élevée signifie que le modèle explique dans une large mesure la variation des données et qu’il donne un bon ajustement sur les données. Avec son modèle, appliqué à toute la période de 37 mois qui suit la générification, M. Tepperman obtient des valeurs R2 de 0,9951, 0,9952 et 0,9960 respectivement pour chacune des doses du médicament. En revanche, l’analyse de régression effectuée par M. Hollis à l’aide des données ayant trait seulement à la période pertinente produit des valeurs R2 de 0,9958, 0,9958 et 0,9968 respectivement. Si elles diffèrent peu de celles de M. Tepperman, ces valeurs indiquent néanmoins que le modèle de M. Hollis est mieux ajusté aux données, ne serait-ce que de peu.

 

[79]           MM. Hollis et Tepperman reconnaissent tous deux l’existence d’un effet de refoulement de la demande, sauf que le premier fait remarquer que cet effet se produit quelque temps après la période pertinente, alors que le second ne peut dire exactement à quel moment l’effet commence à se faire sentir sur les ventes. Étant donné que l’analyse de régression appliquée à la période pertinente de 19 mois qui suit la générification ne révèle pas d’effet de refoulement de la demande, je rejette l’analyse de M. Tepperman.

 

[80]           Les deux experts conviennent que lorsqu’on dispose d’un bon analogue, il vaut mieux utiliser la méthode des analogues que l’analyse de régression. M. Tepperman n’a pu expliquer pourquoi les ventes de la Venlafaxine suivant la mise en marché du générique dans le monde réel ne seraient pas considérées comme un bon analogue des ventes de la Venlafaxine dans le monde hypothétique. À mon sens, la méthode des analogues utilisée par M. Hollis est valable pour trois raisons. Premièrement, elle tient compte des tendances qui seraient propres à la Venlafaxine. Deuxièmement, la différence de période entre le monde réel et le monde hypothétique est plutôt faible, étant donné que l’entrée du produit générique sur le marché remonte au 1er décembre 2006 dans le monde réel et au 10 janvier 2006 dans le monde hypothétique. Troisièmement, la dynamique du marché dans le monde réel ressemble étroitement à celle du monde hypothétique. En outre, je partage l’opinion exprimée par le juge Phelan dans l’affaire Pantoprazole CF 2013, au paragraphe 21, selon laquelle la quantification des dommages-intérêts dans le monde hypothétique doit se fonder sur les circonstances du monde réel, et le fait de recourir à la méthode des analogues lorsqu’on dispose d’un bon analogue s’inscrit dans cette interprétation.

 

[81]           En conclusion, il est opportun de se fonder sur les ventes réelles de la Venlafaxine au cours de la période pertinente, comme le propose M. Hollis, pour déterminer la taille du marché global de la Venlafaxine dans le monde hypothétique. Le marché global de la Venlafaxine au cours de la période allant du 10 janvier 2006 au 1er août 2007 s’établit comme suit :

1.      37,5 mg : 86 024 500 pilules,

2.      75 mg : 159 496 500 pilules,

3.      150 mg : 115 985 200 pilules.

 

Quelle est la taille du marché du générique de la Venlafaxine?

[82]           M. Hollis a utilisé de nouveau la méthode des analogues et a établi la part du marché global de la Venlafaxine qui serait occupée par le ou les fabricants de génériques dans le monde hypothétique sur la base de la part de marché occupée par Novopharm dans le monde réel. M. Hollis a en outre tenu compte des différences de délai d’inscription sur chacun des formulaires provinciaux dans le monde hypothétique par rapport au monde réel. Il a fondé ses ajustements sur les résultats de l’analyse de Mme Bacovsky. Avant l’audience, M. Hollis a modifié son opinion, car il avait négligé au départ de tenir compte des différences entre les règlements provinciaux régissant les pratiques pharmaceutiques, et il a reconnu dès lors que son premier rapport surestimait d’environ 1,3 %  la part de marché occupée par les médicaments génériques dans l’analyse de la situation hypothétique.

 

[83]           M. Tepperman convient avec M. Hollis que la part du marché réel de la Venlafaxine occupée par Novopharm est une représentation exacte du marché des génériques dans le monde hypothétique. Il convient également de la nécessité d’apporter des ajustements pour tenir compte des différences dans les dates d’inscription aux formulaires, sauf qu’il utilise les résultats de M. Palmer plutôt que ceux de Mme Bacovsky.

 

[84]           À mon avis, le fait que M. Tepperman soit disposé à adopter la méthode des analogues dans ce contexte met en cause la pertinence d’un modèle de régression pour calculer la taille du marché global de la Venlafaxine. En effet, si l’analyse de régression est une méthode indiquée pour ce calcul, pourquoi ne le serait‑elle pas pour calculer la taille du marché du générique? Je ne peux tout simplement pas accepter son explication selon laquelle il a souscrit à la méthode de M. Hollis uniquement pour limiter le nombre de points de désaccord entre eux. Ce n’est guère une attitude à laquelle on peut s’attendre d’un expert. C’est une chose que de vouloir éviter les différends, maisil faut être sûr que la méthode à laquelle on souscrit est valable.

 

[85]           Les deux experts s’accordent à reconnaître que les ventes réelles de Novopharm, ajustées pour tenir compte des différences entre les dates d’inscription aux formulaires provinciaux, représentent la mesure la plus juste de la taille du marché du générique de la Venlafaxine. Étant donné, comme il est expliqué ci‑dessous, que je donne plus de poids à l’opinion de Mme Bacovsky qu’à celle de M. Palmer pour ce qui est de l’inscription aux formulaires, je retiens l’estimation qu’a faite M. Hollis de la taille du marché du générique de la Venlafaxine pour la période allant du 10 janvier 2006 au 1er août 2007, telle qu’elle est décrite au paragraphe 28 de son premier rapport d’expert, compte tenu d’un rajustement à la baisse de 1,3 %.

 

[86]           Je constate qu’il y a des témoignages contradictoires concernant la proportion des ventes qui seraient touchées par l’inscription aux formulaires (c’est‑à‑dire les ventes que Ratiopharm auraient réalisées auprès des patients qui sont couverts par un régime d’assurance privé et de ceux qui paient eux-mêmes leurs médicaments). C’est un facteur dont M. Hollis a tenu compte dans son modèle du marché du générique de la Venlafaxine. Il a supposé que 50 % des ventes intéressent le régime de santé publique et qu’elles seraient touchées par l’inscription aux formulaires. M. Tepperman convient que d’après les meilleures données disponibles, une [traduction] « répartition des ventes de 50:50 entre le réseau public et le réseau privé peut être une hypothèse de départ raisonnable. » Afin de fournir une « estimation prudente », M. Tepperman a adopté le modèle des ventes de M. Hollis, avant l’inscription aux formulaires. M. Palmer n’a pas approuvé cette approche et il a fait remarquer que, de façon générale, la substitution générique ne se fait pas avant l’inscription au formulaire.

 

[87]           Bien que je reconnaisse que le modèle de M. Hollis repose sur des hypothèses portant, d’une part, sur la répartition des ventes entre les réseaux public et privé et, d’autre part, sur le volume des ventes qui peuvent être réalisées dans le réseau privé indépendamment de l’inscription au formulaire, c’est l’élément de preuve le plus probant dont je dispose. M. Tepperman convient que c’est un point de départ raisonnable. Quant à M. Palmer, ses observations ne permettent pas à la Cour de déterminer avec une quelconque précision l’effet des ventes d’avant inscription aux formulaires sur la part du marché global occupée par le générique.

 

[88]           En conséquence, le marché du générique de la Venlafaxine durant la période pertinente se répartit comme suit :

1.      37,5 mg : 67,7 %;

2.      75 mg : 70,0 %;

3.      150 mg : 67,9 %.

 

Quelle est la part de marché de Ratiopharm?

[89]           Si aucun autre médicament générique n’a été introduit sur le marché de la Venlafaxine durant la période pertinente, la part du marché global occupée par le générique correspond à la part de marché de Ratiopharm. Je partage donc, en principe, l’opinion de M. Hollis selon laquelle la part de marché de Ratiopharm correspond à celle de Novopharm, compte tenu des ajustements apportés en fonction des délais d’inscription aux formulaires. Or, Wyeth a mentionné deux fabricants de médicaments génériques qui auraient pu faire leur entrée sur le marché durant la période pertinente : Novopharm et Pharmascience. Ratiopharm prétend que seule Novopharm serait entrée sur le marché de la Venlafaxine durant la période pertinente et qu’elle l’aurait fait le 1er décembre 2006, soit la date à laquelle elle est véritablement entrée sur le marché.

 

a)         D’autres médicaments génériques auraient‑ils été introduits sur le marché durant la période pertinente et, dans l’affirmative, à quel moment?

 

[90]           Wyeth affirme que Novopharm serait entrée sur le marché de la Venlafaxine avant le 1er décembre 2006 dans le monde hypothétique, et elle appuie son argument sur des modèles fondés sur l’hypothèse d’une entrée sur le marché le 28 mars 2006 ou le 1er août 2006. Elle a aussi présenté un modèle qui suppose l’entrée de Novopharm sur le marché en date du 1er décembre 2006, soit le scénario proposé par Ratiopharm.

 

[91]           Ratiopharm soutient – et je suis du même avis – qu’il incombe à Wyeth d’établir si Novopharm et Pharmascience seraient entrées sur le marché de la Venlafaxine et à quel moment. Voir à ce propos la décision Pantoprazole, CF 2013, au paragraphe 23.

 

[92]           La façon de  déterminer le moment auquel un compétiteur serait entré sur le marché est décrite dans la décision Alendronate, CF 2012, au paragraphe 44. Ainsi, la Cour doit répondre aux questions suivantes :

1.      À quel moment le fabricant du générique aurait-il reçu son avis de conformité (AC)?

2.      À quel moment le fabricant du générique aurait-il eu la capacité de fabriquer ou d’acquérir le produit?

3.      Le fabricant du générique était‑il déterminé à entrer sur le marché durant la période pertinente ou en a‑t‑il été dissuadé?

4.      L’inscription du produit sur un formulaire pouvait‑elle être acceptée, et à quel moment, par les autorités compétentes dans chaque province?

 

Novo-Venlafaxine

[93]           Pour déterminer à quel moment le Novo-Venlafaxine aurait été lancé sur le marché, il faut d’abord savoir à partir de quel moment Novopharm aurait été prête à vendre le Novo‑Venlafaxine dans le monde hypothétique, ce qui nous amène à la question de la fabrication du médicament.

 

[94]           Dans le monde réel, Novopharm a été mise en suspens pour cause de brevet le 10 janvier 2006 et a reçu sont AC le 6 octobre 2006. Le 7 décembre 2005, elle avait négocié l’entente Wyeth-Novopharm, qui permettait à Novopharm d’obtenir son AC dès le 1er octobre 2006 et de commercialiser le Novo-Venlafaxine au Canada le 1er décembre 2006, ou plus tôt si un autre fabricant de génériques obtenait un AC pour la Venlafaxine. Aux termes de l’entente, Wyeth devait remettre un consentement écrit à Novopharm au regard de tous les brevets inscrits au Registre des brevets, permettant ainsi au Ministre de délivrer un AC sur‑le‑champ. En conséquence, il est raisonnable de conclure que Novopharm aurait reçu son AC peu de temps après Ratiopharm dans le monde hypothétique.

 

[95]           L’entente Wyeth-Novopharm dispose également que Novopharm peut faire une demande d’inscription sur le formulaire à la date à laquelle un autre fabricant de génériques reçoit son AC. Donc, lorsque Ratiopharm reçoit un AC dans le monde hypothétique, rien n’empêche Novopharm de déposer aussitôt une demande d’inscription au formulaire, pourvu qu’elle puisse démontrer qu’elle est en mesure d’approvisionner le marché.

 

[96]           Novopharm aurait eu toutes les raisons d’entrer sur le marché le plus tôt possible une fois que Ratiopharm eût reçu son AC. M. Denike, directeur de la propriété intellectuelle chez Teva, a affirmé dans son témoignage que l’objectif de tout fabricant de génériques est d’être le premier arrivé sur le marché ou de se trouver dans le groupe des premiers. Sachant que l’entrée de Ratiopharm sur le marché était imminente, Novopharm aurait été déterminée à tenter sa chance et à entrer sur le marché en même temps que Ratiopharm.

 

[97]           L’entente Wyeth-Novopharm offrait une autre raison à Novopharm d’entrer sur le marché de la Venlafaxine. En effet, l’entente prévoyait que si Novopharm parvenait à entrer sur le marché avant que Wyeth n’eût été en mesure de barrer la route à un autre fabricant de génériques (par exemple au moyen d’une injonction dans le cadre d’une action en contrefaçon), elle cesserait de verser des redevances (dont le montant équivaut à [caviardé] de ses bénéfices nets) à Wyeth.

 

[98]           Par conséquent, le seul obstacle à l’entrée de Novopharm sur le marché de la Venlafaxine dans le monde hypothétique était la mesure dans laquelle elle pouvait  fabriquer le Novo‑Venlafaxine. Cette capacité dépend en grande partie du moment auquel Novopharm aurait terminé le processus de validation dans le monde hypothétique. Ce processus consiste, pour un fabricant, à vérifier que le produit est constamment reproductible et stable et qu’il conserve ses caractéristiques. La validation porte spécifiquement sur le processus de fabrication. C’est une étape obligatoire avant la mise en marché du produit.

 

[99]           Teva Israel était le fabricant du Novo-Venlafaxine et elle était responsable du processus de validation. Novopharm était une filiale de Teva Israel, mais celle‑ci possédait beaucoup d’autres filiales dans le monde qui sollicitaient aussi ses usines, y compris celles des États-Unis.

 

[100]       David Boughner, directeur du marketing chez Novopharm, et Uri Hillel, gestionnaire de l’assurance de la qualité à l’usine de médicaments à administration par voie orale de Teva Israel à Kfar-Saba, ont témoigné au sujet des difficultés qu’a rencontrées Novopharm dans son processus de validation du Novo-Venlafaxine avant le 1er décembre 2006, date de mise en marché du médicament dans le monde réel.

 

[101]       Dans son témoignage, M. Boughner a affirmé que le Novo-Venlafaxine bénéficiait de la plus haute priorité, soit le niveau de priorité « S », qui indiquait à tous les intervenants qu’il s’agissait d’un produit important pour Novopharm. En règle générale, les produits qui ont le niveau de priorité « S » ont toutes chances d’être les premiers arrivés sur un marché et de capter une large part de ce marché. M. Boughner a aussi déclaré que Novopharm était constamment en concurrence avec les autres filiales de Teva Israel pour se prévaloir de la capacité de fabrication. Dans le cas qui nous occupe, le lancement du Novo-Venlafaxine entrait en conflit avec trois lancements importants aux États‑Unis, ce qui a causé des problèmes d’approvisionnement.

 

[102]       Selon M. Boughner, Novopharm avait projeté initialement de lancer son médicament le 10 janvier 2006, au moment de l’expiration du brevet 540. Elle prévoyait que le produit lui serait livré par Teva Israel le 29 novembre 2005, ce qui devait laisser au groupe de contrôle de la qualité le temps nécessaire pour effectuer les essais.

 

[103]       Dans son témoignage, M. Boughner a affirmé qu’il trouvait que le 10 janvier 2006 était une date optimiste pour le lancement, et il a ajouté que lorsque le brevet 778 a été inscrit au Registre, il s’est senti soulagé car il savait qu’il n’aurait pas à supporter les conséquences d’un retard dans la mise en marché du médicament. Toutefois, M. Boughner a déclaré que Novopharm avait continué d’insister auprès de Teva Israel pour qu’elle mène le processus de validation à son terme, afin que l’entreprise soit prête le plus rapidement possible à entrer sur le marché.

 

[104]       Mais les validations ratées à répétition, attribuables à diverses raisons, ont continué de poser des difficultés à Novopharm. Cela n’a pas empêché M. Boughner de faire pression sur Teva Israel, explique‑t‑il, pour qu’elle termine la validation aussi rapidement que possible. Les procès‑verbaux des réunions confirment que Teva Israel éprouvait de sérieuses difficultés avec le processus de validation. Elle a dû repousser plus d’une fois la date de lancement prévue.

 

[105]       Certains aspects du témoignage de M. Boughner sont préoccupants. Tout d’abord, il prétend ne pas avoir été mis au courant de l’entente Wyeth-Novopharm avant juin 2006. C’est difficile à croire vu la responsabilité qu’il exerçait au sein de Novopharm pour le lancement du produit; en outre, selon le témoignage de M. Des Islet, M. Boughner aurait dû être au courant de l’entente Wyeth-Novopharm.

 

[106]       Ensuite, bien que M. Boughner soutienne que Novopharm travaillait d’arrache‑pied pour que le lancement ait lieu le 10 janvier 2006, la preuve documentaire révèle que dès juillet 2005, avant qu’ait été négociée l’entente Wyeth-Novopharm, Teva Israel avait déclaré à Novopharm que la date du 10 janvier 2006 était irréaliste et qu’il fallait plutôt viser mars 2006.

 

[107]       La même preuve documentaire établit que les problèmes auxquels se heurtait Teva Israel dans le processus de validation étaient tels que le fabricant avait déjà renoncé à ce que Novopharm soit la première à lancer le médicament générique sur le marché à l’expiration du brevet 540. En conséquence, il n’existe aucun élément de preuve convaincant qui montre que la pression additionnelle qu’aurait exercée le lancement du générique de Ratiopharm en janvier 2006 dans le monde hypothétique aurait amené Teva Israel à modifier sa stratégie ou aurait accéléré l’entrée de Novopharm sur le marché du générique.

 

[108]       Enfin, bien que M. Boughner ait affirmé dans son témoignage qu’il insistait constamment auprès de Teva Israel pour qu’elle mène le processus de validation à son terme, il n’existe aucune preuve documentaire, que ce soit sous forme de correspondance ou de procès‑verbal de réunion, qui le confirme. Étant donné l’importance que revêt le Novo-Venlafaxine pour Novopharm et Teva Israel et l’abondante documentation – sous forme de courriels et de procès-verbaux de réunions – produite dans la présente action qui traite de la production du Novo-Venlafaxine par Teva Israel, il est tout à fait insensé que le témoignage de M. Boughner voulant qu’il se soit évertué à faire comprendre à Teva Israel l’urgence de terminer la validation ne soit corroboré par aucune preuve documentaire.

 

[109]       Pour ces motifs, je ne puis accepter le témoignage de M. Boughner voulant qu’il n’ait pas été informé de l’entente Wyeth-Novopharm avant juin 2006, ni qu’il ait pressé Teva Israel d’achever le processus de validation dans les plus brefs délais après l’inscription du brevet 778 en décembre 2005.

 

[110]       Étant au courant de l’entente Wyeth‑Novopharm, M. Boughner savait que Novopharm ne pouvait pas mettre son produit sur le marché avant le 1er décembre 2006, à moins qu’un autre fabricant de génériques ne reçût un AC pour la Venlafaxine. Comme le brevet 778 a été inscrit au Registre en décembre 2005 et que Wyeth s’était engagée, en vertu de l’entente Wyeth‑Novopharm, à déployer tous [traduction] « les efforts raisonnables sur le plan commercial » pour éviter que Ratiopharm ne contrefasse le brevet inscrit, il était peu probable que celle‑ci reçoive un AC en 2006, tant et aussi longtemps qu’elle ne prendrait pas des mesures pour faire supprimer du Registre le brevet 778. En résumé, fort de ces connaissances, M. Boughner pouvait raisonnablement prévoir que le lancement du Novo-Venlafaxine ne saurait avoir lieu avant le 1er décembre 2006; donc, de son point de vue, la validation du Novo-Venlafaxine ne présentait pas de réelle urgence.

 

[111]       Il importe de noter que M. Uri Hillel a fourni de nombreux détails sur le processus de validation du Novo-Venlafaxine suivi par Teva Israel. Le témoignage de M. Hillel a été des plus précieux car celui‑ci était directement responsable du processus de validation et qu’il ne connaissait pas les termes de l’entente Wyeth‑Novopharm. Il a confirmé que le Novo‑Venlafaxine avait toujours figuré parmi les produits hautement prioritaires et que Teva Israel n’avait ménagé aucun effort pour mener à terme le processus de validation conformément aux lignes directrices publiées par Santé Canada. Il a aussi confirmé que la Venlafaxine était un produit dont la fabrication posait de multiples difficultés en raison, notamment, de l’utilisation d’une nouvelle technologie en usine.

 

[112]       Le procédé de fabrication comporte deux étapes : a) l’enrobage des comprimés qui renferment l’ingrédient médicinal et b) la mise en capsule des comprimés. M. Hillel a fourni un témoignage détaillé, pièces justificatives à l’appui, sur les lots fabriqués, les problèmes qu’a rencontrés Teva Israel ainsi que les solutions qui ont été finalement retenues pour résoudre ces problèmes.

 

[113]       Aucun litige réel n’oppose les parties quant au fait que le procédé de fabrication posait problème et à la nécessité de résoudre les difficultés mises en relief par M. Hillel pour mener à bien la validation. Cependant, Wyeth, par la voix de son expert Stuart Wright, a tenté de convaincre la Cour que s’il y avait vraiment euurgence, comme cela aurait été le cas dans le monde hypothétique, on se serait attaqué à ces difficultés plus tôt.

 

[114]       Wyeth reproche à Teva Israel quatre périodes de battement dans le processus de validation. Elle affirme que si Novopharm avait dû subir la concurrence de Ratiopharm durant ces périodes, elle aurait été déterminée à boucler ces étapes plus rapidement et les retards n’auraient pas existé ou auraient été moindres. Les périodes de battement que critique Wyeth sont les suivantes : 1) temps écoulé entre la validation du premier et du second lot; 2) temps écoulé entre la fabrication du lot no 8 et la fin de l’étude des résultats douteux; 3) temps écoulé entre la fin de l’étude des résultats anormaux du lot no 8 et la diffusion des résultats finals des essais; et 4) temps écoulé entre la diffusion des résultats finals des essais et la production du rapport final de la validation.

 

[115]       Dans son témoignage, M. Stuart Wright a affirmé que Novopharm aurait pu achever plus rapidement le processus de validation en empruntant une autre voie. Selon M. Wright, Novopharm aurait pu 1) débuter la validation du lot no 2 au plus tard le 17 février 2006, ou peu après; 2) se servir des lots 4 et 5 pour mener à terme le processus au moyen d’une trieuse de capsules; 3) décider de ne pas examiner les résultats anormaux du lot no 8; et 4) produire le rapport final dans un délai de 15 jours.

 

[116]       Ratiopharm a appelé M. Paul Larocque à témoigner. Celui‑ci a déclaré que la validation n’aurait pas pu être menée à terme plus rapidement. Les conclusions de M. Larocque sont les suivantes : 1) les étapes qu’a suivies Teva Israel pour réaliser la validation étaient raisonnables car elles étaient axées sur une analyse des causes fondamentales du problème plutôt que sur l’application d’une solution rapide et superficielle; 2) Teva Israel était tenue d’examiner les résultats douteux afin de respecter les lignes directrices de Santé Canada, qu’elle ne pouvait ignorer; 3) la trieuse de capsules n’aurait pas pu servir à valider le produit plus rapidement parce qu’elle ne résolvait pas le problème à l’origine de l’échec du processus de validation et qu’elle n’était qu’une mesure de contrôle supplémentaire; et 4) le délai de production d’un rapport de validation peut varier selon le nombre de difficultés rencontrées et les problèmes à résoudre.

 

[117]       M. Larocque a travaillé pour Santé Canada et il connaît bien les exigences du Ministère en matière de validation. Lorsque son témoignage entre en conflit avec celui de M. Wright sur cette question, je préfère m’en remettre au sien..

 

[118]       Le témoignage de M. Wright est le seul élément de preuve qu’a présenté Wyeth à l’appui de ce qu’« aurait pu faire » Teva Israel. Outre cette preuve, Wyeth laisse entendre  qu’il y aurait lieu de tirer une conclusion défavorable parce que Novopharm et Ratiopharm ne font plus qu’un.

 

[119]       M. Wright a admis en contre-interrogatoire 1) qu’il ne connaissait pas les mesures de contrôle interne de Teva Israel, 2) qu’il ne connaissait personnellement aucun des membres du personnel de Teva Israel et 3) qu’il avait présumé que la trieuse de capsules allait résoudre en définitive les problèmes qui affectaient le processus de validation.

 

[120]       Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les étapes qu’a suivies Teva Israel pour valider son procédé de fabrication étaient raisonnables et n’auraient pas été différentes si Ratiopharm avait été présente sur le marché. L’allégation de Wyeth selon laquelle la trieuse de capsules aurait pu servir à mener à terme le processus de validation et qu’elle offrait une solution au problème n’est pas étayée par la preuve documentaire. En réponse aux engagements, il a été révélé que la validation des trois doses avait été confirmée verbalement le 3 août 2006, alors que la trieuse de capsules n’avait été mise en fonction que le 13 août 2006, ce qui confirme que la validation a été menée à bonne fin avant la mise en fonction de la trieuse.

 

[121]       D’ailleurs, durant leur témoignage, MM. Hillel et Larocque ont déclaré à plusieurs reprises que c’est grâce à l’utilisation d’un ioniseur émettant de l’électricité statique dans les machines à encapsuler que l’on a pu finalement rendre les capsules conformes aux spécifications et terminer la validation. Néanmoins, afin de demeurer en conformité avec les exigences de Santé Canada et de respecter ses propres règles et mesures de contrôle interne, Teva Israel se devait d’examiner les résultats douteux (même s’ils respectaient les spécifications). Donc, même si la validation avait donné de bons résultats après la mise en service de l’ioniseur, Teva Israel ne pouvait achever le rapport de validation avant que l’examen des résultats douteux ne fût terminé.

 

[122]       À mon avis, les seules périodes de battement contestables sont le temps écoulé entre la validation du premier et du second lots, et le temps écoulé entre la fin de l’étude des résultats anormaux obtenus par chromatographie liquide à haute performance (CLHP) et la production du rapport final.

 

[123]       Le temps écoulé entre la validation du premier et du second lots est discutable car la preuve documentaire révèle que l’étude des causes de l’échec de la validation s’est conclue le 2 février 2006 et que les solutions recommandées par les experts de Bosch ont été appliquées le 16 février 2006; or, on n’a pas relancé le processus de validation avant le 19 mars 2006, ce qui  peut laisser supposer une absence d’urgence, contrairement à ce qui aurait été le cas dans le monde hypothétique.

 

[124]       M. Hillel a expliqué cette période de battement par le fait que sa société voulait que les experts de Bosch assistent à la validation du second lot pour [traduction] « qu’ils nous aident à l’étape de l’encapsulation » et a ajouté que [traduction] « les experts […] sont venus aussi tôt que possible » pour superviser la validation du second lot. Étant donné les problèmes rencontrés jusqu’alors et le fait qu’il s’agissait de matériel de marque Bosch, cette explication semble raisonnable. Interrogé à savoir si Teva Israel aurait agi plus rapidement si un concurrent était entré sur le marché en janvier ou en février, M. Hillel a répondu ceci :

[traduction]

Comme nous avions débuté l’examen du lot VEN001 et que nous avions consulté Bosch, nous leur avons demandé de venir sur place pour qu’ils nous aident à l’étape de l’encapsulation. Les experts de Bosch sont venus aussi tôt que possible. Nous ne pouvions pas procéder à la validation du second lot sans savoir en quoi consistait le problème.

 

[125]       Il a été établi en contre-interrogatoire que M. Hillel ignorait à quel moment et comment les techniciens experts de Bosch avaient été contactés et si on leur avait demandé de venir d’urgence en Israël. Cependant, rien ne permet de croire que ces techniciens auraient pu arriver plus rapidement si un concurrent était entré sur le marché. Par conséquent, j’accepte le témoignage de M. Hillel selon lequel le battement qui a précédé la validation du second lot était justifié par les problèmes auxquels s’était heurtée la multinationale et était raisonnable, bien qu’on eût déjà trouvé une solution au problème.

 

[126]       Wyeth a également critiqué la tardiveté des rapports de validation. Le dernier des examens qu’a effectués Teva Israel par suite des nombreux problèmes qu’elle a rencontrés a eu lieu le 20 septembre 2006. Lors de la réunion hebdomadaire du 21 septembre 2006 visant à faire le point sur le projet, on a indiqué que le rapport de validation serait déposé la première semaine d’octobre. Or, les données d’essais finales n’ont été communiquées que le 21 octobre 2006 et les rapports de validation produits le 20 novembre 2006.

 

[127]       Dans son témoignage, M. Wright a déclaré que, de façon générale, les rapports qui font état de l’échec de la validation de lots sont rédigés immédiatement après les essais, tandis que le rapport de validation est présenté sous sa forme définitive environ trois semaines après la collecte des données. Le problème que pose cet élément de preuve réside dans le fait qu’il est de nature générale et que M. Wright ne connaît rien des opérations, des politiques ou des procédés de Teva Israel. En revanche, M. Hillel, qui était bien au fait des pratiques et des politiques de Teva Israel, a affirmé dans son témoignage qu’il fallait compter environ 30 jours, en règle générale, pour rassembler les données et consulter les cahiers de laboratoire en vue de la rédaction du rapport de validation. Dans le cas qui nous occupe, il s’est écoulé  41 jours; cependant, compte tenu de la complexité du procédé de fabrication et des nombreuses difficultés rencontrées, il s’agit là d’un cas exceptionnel. Par conséquent, je suis disposé à accepter le témoignage de M. Hillel selon lequel les données ont été réunies dans les meilleurs délais selon les règles et procédures en vigueur chez Teva Israel.

 

[128]       Les rapports de validation ont finalement été rédigés et approuvés le 20 novembre 2006. Ici aussi, bien que ce délai soit quelque peu supérieur à la norme, il ne peut être qualifié de déraisonnable compte tenu des difficultés particulières que comportait le procédé de fabrication, qui était loin de s’apparenter à la norme. Encore là, la preuve montre que Novopharm devait agir vite et mettre en œuvre des mesures exceptionnelles pour faire livrer le produit au Canada et le rendre commercialisable dès le 1er décembre 2006. En fait, ces éléments indiquent que les problèmes qui se sont posés à la société pharmaceutique ont réellement retardé la validation et la production et que toutes les mesures raisonnables ont été prises pour assurer le succès du générique sur le marché le plus rapidement possible.

 

[129]       Pour ces motifs, je conclus que Novopharm aurait lancé le Novo-Venlafaxine sur le marché le 1er décembre 2006 dans le monde hypothétique, comme ce fut le cas dans le monde réel.

 

PMS-Venlafaxine

[130]       Dans le monde hypothétique, le médicament de la société de génériques demanderesse n’a pas à se conformer au Règlement AC à l’égard du ou des brevets ayant fait l’objet de la demande d’interdiction, pour les raisons précitées. Cependant, tout fabricant de médicaments génériques concurrent se doit de le faire, car dans le monde réel il n’a pas pris en compte les brevets inscrits au registre des brevets. Les décisions prises sous le régime du Règlement AC ne concernent que les parties et ne peuvent être considérées comme des décisions in rem d’application générale (Eli Lilly Canada Inc. c Novopharm Limited (CAF), 2007 CAF 359, [2008] 3 RCF. 449, au paragraphe 40).

 

[131]       Ainsi, pour déterminer le moment auquel un générique concurrent aurait été introduit sur le marché, il faut tenir compte de l’obligation pour le fabricant du générique en question de signifier un AA.

 

[132]       Selon moi, la question cruciale est de savoir si Pharmascience aurait signifié un avis de demande (AD) à Wyeth dans le monde hypothétique. Je suis d’avis qu’elle ne l’aurait probablement pas fait, pour les motifs exposés ci‑dessous.

 

[133]       Le 20 septembre 2005, Pharmascience a conclu avec Ratiopharm l’entente Ratiopharm‑PMS, de façon à pouvoir entrer sur le marché du générique en même temps que Ratiopharm en janvier 2006. Dans le cadre de cet accord, Ratiopharm a accepté de laisser Pharmascience se reporter à sa PADN et d’offrir à Pharmascience une aide raisonnable afin de lui permettre d’obtenir un AC pour son propre produit de Venlafaxine, le PMS‑Venlafaxine. […………….……caviardé……………]

 

[134]       Dans le cadre de l’entente Ratiopharm‑PMS, Pharmascience était tenue de présenter un bon de commande [...caviardé... ] [traduction] « au moins » 150 jours (cinq mois) avant la date de livraison. [...caviardé…………………………………………..…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….]

 

[135]       La preuve documentaire montre que dans le monde réel, Pharmascience prévoyait passer une commande de PMS‑Venlafaxine [……caviardé………………………………………………….………………………………………………………………………………….]. Cependant, dans un courriel en date du 5 octobre 2005, Pharmascience a annulé sa commande dont la livraison était prévue en janvier 2006. Debby Ship, la directrice principale du développement des affaires de Pharmascience, a expliqué que la commande avait été annulée parce que Pharmascience s’attendait à ce que le brevet 778 soit inscrit au registre. Pharmascience a décidé de retarder sa commande pour attendre une décision qu’elle espérait favorable à Ratiopharm à l’égard du brevet 778. Je conviens que cela n’aurait pas été différent dans le monde hypothétique. Par conséquent, Pharmascience aurait passé une commande, au plus tôt, au moment où Pharmascience aurait réellement reçu son AC. Si elle avait passé une commande en janvier 2006, elle n’aurait pas été en mesure d’obtenir son produit et de lancer le PMS‑Venlafaxine avant juin 2006.

 

[136]       Il est admis que tout fabricant de génériques veut être le premier à lancer son produit sur le marché ou, du moins, à partager la première place. Jamais il ne cherchera à arriver second ou troisième. C’est le premier fabricant de génériques à prendre d’assaut le marché qui a l’avantage. En effet, le produit générique constitue la seule solution de rechange au produit novateur et comme les formulaires provinciaux et de nombreux régimes privés prévoient le remplacement obligatoire du médicament d’ordonnance par un médicament générique, le premier produit générique sur le marché s’approprie rapidement une grande part du marché. Il est prouvé qu’une fois un générique bien établi, il est difficile pour un autre générique de prendre sa place sur les tablettes des pharmacies. Par conséquent, si Pharmascience ne pouvait investir le marché que cinq mois après Ratiopharm dans le monde hypothétique (parce qu’elle devait passer sa commande cinq mois à l’avance), elle n’aurait pas été tentée par cette perspective si elle n’était pas sûre de ne s’exposer qu’à peu ou pas de risques de poursuite de la part du fabricant innovateur.

 

[137]       Mme Ship a témoigné qu’une fois que Ratiopharm aurait obtenu son AC dans le monde hypothétique, rien n’aurait empêché Pharmascience de signifier un AA à Wyeth. Cependant, Mme Ship n’a pas été en mesure d’indiquer si Pharmascience aurait effectivement signifié cet AA dans le monde hypothétique.

 

[138]       Dans le monde hypothétique, si Pharmascience avait signifié un AA aussitôt Ratiopharm entrée sur le marché, Wyeth aurait pu réagir de trois différentes façons : 1) présenter une demande d’interdiction à l’égard de Pharmascience pour l’empêcher d’entrer sur le marché; 2) laisser Pharmascience entrer sur le marché puis la poursuivre pour contrefaçon; 3) laisser Pharmascience entrer sur le marché et ne rien faire. Wyeth soutient qu’elle n’aurait pas présenté de demande d’interdiction étant donné que 1) Ratiopharm était déjà sur le marché et la part de marché de Wyeth était donc déjà compromise, et que Pharmascience ne ferait qu’accaparer une petite partie du marché du générique; 2) Wyeth ne savait pas à ce moment si elle serait tenue de restituer ses bénéfices sous le régime de l’article 8, car cette question n’avait pas encore été réglée par la Cour d’appel.

 

[139]       Je n’ai pas à déterminer si Wyeth aurait laissé Pharmascience entrer sur le marché ou si elle aurait présenté une demande d’interdiction dans le monde hypothétique parce que j’ai conclu que Pharmascience n’aurait pas signifié d’AA en premier lieu.

 

[140]       Pharmascience devait soupeser la possibilité que Wyeth présente une demande d’interdiction à son égard et, dans l’éventualité où elle ne le faisait pas ou n’avait pas gain de cause, la possibilité que Wyeth la poursuive pour contrefaçon. Même si la preuve présentée par Mme Ship a établi que Pharmascience voulait de la venlafaxine dans sa gamme de produits, l’entreprise devait soupeser le risque d’être poursuivie pour contrefaçon et les effets probables d’être le second, voire le troisième, à mettre le générique sur le marché ainsi que les difficultés considérables qui en découleraient. En outre, en cas de poursuite pour contrefaçon réussie, Wyeth aurait pu exiger d’être dédommagée des bénéfices perdus, ce qui aurait pu forcer Pharmascience à verser une indemnité supérieure aux bénéfices qu’elle aurait tirés de son entrée sur le marché.

 

[141]       À mon avis, sous le rapport d’une analyse coûts-avantages, Pharmascience aurait probablement choisi d’éviter le risque de poursuite et se serait abstenue de signifier un AA. Le fait qu’elle ait négocié l’entente Ratiopharm‑PMS n’a pas d’importance, parce qu’au moment de la négociation, seul le brevet 540 constituait un obstacle à l’entrée sur le marché. Ce n’est qu’à partir du 18 octobre 2005, après que l’entente eut été conclue, qu’il est devenu clair que le brevet 778 serait délivré (et que le risque de poursuite connexe s’est concrétisé).

 

[142]       Selon la prépondérance des probabilités, j’estime que Pharmascience n’aurait pas déposé d’AA et ne serait donc pas entrée sur le marché du générique au cours de la période pertinente.

 

[143]       Je conclus que le seul concurrent générique au produit de Ratiopharm au cours de la période pertinente aurait été Novo-Venlafaxine, lequel aurait été introduit sur le marché le 1er décembre 2006.

 

b)         À quelle date Ratiopharm aurait‑elle lancé le produit et se serait-elle heurtée à des obstacles pour approvisionner le marché?

 

[144]       Le fardeau d’établir qu’elle aurait pu entrer sur le marché au cours de la période pertinente appartient à Ratiopharm; c’est un préalable à l’obtention de dommages‑intérêts (Alendronate, CF 2012, aux paragraphes 36 et 45).

 

[145]       Wyeth prétend que Ratiopharm n’aurait pas été en mesure d’approvisionner l’entièreté du marché du générique au cours de la période pertinente. Ratiopharm réplique, en s’appuyant sur les décisions Apotex-Ramipril, CF 2012, et Teva-Ramipril, CF 2012, que son fardeau est peu exigeant et qu’elle n’est même pas tenue d’identifier un fournisseur d’ingrédient pharmaceutique actif (IPA), et encore moins de prouver la capacité de ce fournisseur d’IPA d’approvisionner l’entièreté du marché. Dans tous les cas, elle affirme que M. Major a établi qu’Alembic, le fournisseur d’IPA de Ratiopharm, avait confirmé avoir la capacité de fournir plus que les quantités nécessaires, et que M. Major avait inspecté les installations et l’avait confirmé.

 

[146]       Le renvoi par Ratiopharm aux commentaires de la juge Snider dans les affaires Ramipril n’est pas justifié. La juge Snider a affirmé qu’il n’était pas nécessaire d’identifier un fournisseur d’IPA précis pour déterminer si un générique pouvait être introduit sur le marché. Cependant, trois raisons font en sorte que ces commentaires ne s’appliquent pas en l’espèce. Premièrement, ils ont été formulés dans un contexte où l’on tentait de déterminer si un générique concurrent aurait été introduit sur le marché, et non le générique de la demanderesse. Comme l’a fait observer la juge Snider, chercher à déterminer ce qu’un concurrent est susceptible de faire revient à faire une [traduction] « analyse fondée sur des hypothèses » qui serait, selon moi, hautement spéculative, étant donné que c’est la société innovatrice défenderesse qui a le fardeau de fournir des éléments de preuve concernant ses concurrentes génériques dans le monde hypothétique. Exiger d’une défenderesse qu’elle identifie le fournisseur d’IPA précis d’un fabricant de génériques reviendrait à imposer un fardeau de preuve exagérément lourd à la défenderesse lorsqu’elle n’a probablement pas de connaissances et de renseignements de première main ni d’opinions à cet égard.

 

[147]       Deuxièmement, dans l’affaire Teva-Ramipril, CF 2012, un représentant du fournisseur d’IPA a été assigné à comparaître et a présenté un témoignage sur la capacité du fournisseur. Le fournisseur d’IPA approvisionnait à la fois la demanderesse et ses concurrentes. En l’espèce, aucun représentant d’Alembic n’a été appelé à témoigner. Troisièmement, tant dans l’affaire Apotex-Rampiril, CF 2012, que dans l’affaire Teva‑Ramipril, CF 2012, Sanofi (la société innovatrice) n’a jamais remis en question la capacité du fabricant de génériques demandeur à approvisionner l’entièreté du marché; en l’espèce, c’est exactement ce qui est remis en question par Wyeth.

 

[148]       Par conséquent, contrairement à ses prétentions, Ratiopharm doit montrer selon le critère de la prépondérance des probabilités qu’elle était en mesure d’approvisionner le marché. Pour cela, elle doit identifier un fournisseur d’IPA (étant donné qu’elle est la fabricante de génériques demanderesse) et montrer que ce fournisseur d’IPA avait la capacité d’approvisionner le marché au cours de la période pertinente.

 

[149]       La seule preuve de la capacité d’approvisionnement de Ratiopharm a été présentée par M. Major, qui a déclaré qu’Alembic, un fabricant d’IPA, était chargé de fabriquer Ratio-Venlafaxine. Alembic approvisionne depuis longtemps Ratiopharm en IPA.

 

[150]       M. Major a expliqué qu’il avait visité en 2005 les installations d’Alembic en compagnie d’un inspecteur de Santé Canada pour vérifier leur conformité aux Lignes directrices sur les bonnes pratiques de fabrication de Santé Canada et qu’ il a passé deux semaines sur les lieux. M. Major a décrit les installations de production d’Alembic de la façon suivante :

[traduction]

C’est une grande installation, avec une très grande capacité de production d’IPA ainsi que de formes dosifiées. L’installation est dotée d’unités pilotes où sont produits les lots que nous soumettons Santé Canada pour examen. Il s’y trouve aussi un certain nombre de chaînes de production dotées de la même machinerie. Cette machinerie est spécialement conçue pour la production de formes pharmaceutiques à libération prolongée, et de nombreux éléments de cette machinerie utilisée pour fabriquer ce type de formes sont des machines de traitement à lit fluidisé; il y avait donc des machines de traitement à lit fluidisé de différentes tailles.

[]

Certaines de ces machines de traitement à lit fluidisé sont suffisamment grosses pour permettre la production commerciale et la fabrication du produit à grande échelle.

 

[151]       M. Major a expliqué que la fabrication d’IPA était la spécialité d’Alembic : [traduction] « L’usine fabriquait de l’IPA à l’origine, et elle avait une énorme capacité de tonnage pour la production d’ingrédients pharmaceutiques actifs. »

 

[152]       De plus, [traduction] « les ingrédients pharmaceutiques actifs sont fabriqués suivant ce qu’on appelle une voie de synthèse, et la voie de synthèse pour la production de Venlafaxine est en fait assez courte. Ce n’est pas très compliqué. Ce n’est donc pas très long » (non souligné dans l’original). Autrement dit, tout ralentissement de la production se serait présenté à l’étape de l’encapsulage, et non à l’étape de la production de l’IPA. À la question de savoir ce que Ratiopharm aurait pu faire, le cas échéant, pour aider Alembic à l’étape de l’encapsulage, M. Major a répondu ceci :

 

[traduction]

[Ratiopharm était] le principal client de Glatt, qui est le principal fabricant, concepteur et fournisseur de ces unités de traitement par lit fluidisé [utilisées pour l’encapsulage]. Si nous avions su à l’avance que nous allions avoir à produire un volume énorme, nous aurions acheté de l’équipement, mis de l’équipement en service. Ils avaient déjà de l’équipement en place, mais nous l’aurions certainement fait.

... Comme Alembic est un fournisseur de longue date, nous avions une relation d’affaires bien établie, et nous aurions facilement pu le faire.

 

[153]       Wyeth soutient que le témoignage de M. Major sur la capacité d’Alembic et sur les mesures qu’aurait prises Alembic n’est qu’une preuve par ouï‑dire puisque M. Major n’est pas un représentant de l’entreprise. Même si M. Major n’a pas précisé le nombre de capsules qui auraient pu être produites par la machinerie qu’il a vue dans les installations d’Alembic, il a vu de ses propres yeux des machines de traitement à lit fluidisé de taille commerciale et il a affirmé que Ratiopharm aurait pu facilement en commander d’autres au besoin. Même si M. Major témoigne en tant qu’observateur plutôt qu’en tant qu’employé d’Alembic, j’estime son témoignage crédible.

 

[154]       M. Major a déclaré qu’Alembic [traduction] « avait manifesté une réelle volonté de contribuer au lancement du produit. La société était très empressée de répondre à nos besoins. Nous avions un partenariat de très longue date avec elle – de très longue date. Dans la phase de préparation avant la fabrication proprement dite, elle était disposée à y affecter d’autres machines. » Ce témoignage est appuyé par un courriel du 2 septembre 2005 envoyé par Kavit Tyagi d’Alembic à Jim Mihail, un gestionnaire de produits du groupe de la commercialisation de Ratiopharm, et qui se lit comme suit :

 

[traduction]

Nous envisageons de créer les lots additionnels avant le 5 décembre̵, des lots de tous les types. Nous croyons qu’il faudra pour cela attribuer des ressources affectéees à divers autres projets; le coût des lots supplémentaires pourrait donc être supérieur étant donné les ressources additionnelles requises.

 

[155]       En outre, Alembic s’est engagé à approvisionner Ratiopharm, comme l’exigeait l’entente d’approvisionnement d’Alembic du 13 avril 2005. L’article 3.2 de cette entente prévoit ce qui suit :

[traduction]

Pour la durée de la présente entente, Alembic fournira l’ensemble de la main‑d’œuvre, de la machinerie, des installations, des ingrédients actifs et des matières premières nécessaires à la fabrication, à la mise à l’essai, à l’étiquetage et à l’emballage du produit commandé par Ratiopharm, conformément aux dispositions de la présente entente et aux spécifications ainsi que selon les Lignes directrices sur les bonnes pratiques de fabrication, en vue de l’analyse du produit aux fins de contrôle de qualité, de la mise à l’essai, de l’entreposage, de l’étiquetage et du conditionnement ainsi que de l’expédition du produit conformément aux instructions de Ratiopharm (non souligné dans l’original).

 

[156]       M. Major a par ailleurs affirmé que Bob Woloschuk, le vice-président responsable de l’expansion des affaires de Ratiopharm au moment des faits, avait demandé à Alembic si elle avait la capacité de produire assez de capsules pour approvisionner le marché américain également. Selon M. Major, Bob Woloschuk avait fait savoir, lors d’une réunion de suivi pour la haute direction (à laquelle M. Major était présent), qu’Alembic pouvait produire [traduction] « environ un milliard de doses par année ». Cette affirmation est corroborée par un échange de courriels entre Alembic et Bob Woloschuk qui révèlent qu’Alembic ne fonctionnait qu’à environ 40 % de sa capacité et qu’elle prévoyait agrandir son usine de fabrication pour [traduction] « doubler sa capacité et produire au moins 2 milliards de capsules ». M. Major a affirmé que cela correspondait à son estimation de la capacité d’Alembic, selon son inspection personnelle de l’usine.

 

[157]       M. Major a passé en revue des courriels échangés entre des représentants de Ratiopharm et d’Alembic selon lesquels, si Ratiopharm n’avait pas annulé la commande de production en octobre 2005 en raison de l’inscription du brevet 778, Alembic aurait produit, à la fin décembre 2005, 2,4 millions de capsules de 37,5 mg, 2,4 millions de capsules de 75 mg et 1,8 million de capsules de 150 mg, pour un total de 6,6 millions de capsules. Ces capsules se seraient ajoutées aux lots biologiques produits aux fins de vérification, pour une production totale d’environ 7 millions de capsules. À ce moment, Ratiopharm prévoyait occuper 20 % du marché après un lancement en janvier 2006. 

 

[158]       Wyeth souligne que Ratiopharm a annulé sa commande en octobre 2005, et avance que l’entreprise n’aurait même pas eu les 6,6 millions de capsules prévues pour le lancement. Wyeth a mal compris le fardeau que Ratiopharm doit acquitter. Ratiopharm doit simplement montrer qu’elle [traduction] « avait la capacité » d’approvisionner le marché au cours de la période pertinente (décision Alendronate, CF 2012, paragraphe 44). Ratiopharm a annulé sa commande dans le monde réel en réaction à la forte probabilité de l’inscription du brevet 778. Dans la mesure où elle avait à tenir compte du brevet 778, il est vrai que Ratiopharm ne disposait pas d’une quantité suffisante du produit pour approvisionner l’ensemble du marché. Cependant, dans le monde hypothétique, Ratiopharm n’aurait pas eu à tenir compte du brevet 778; le brevet 778 n’aurait jamais dû être un obstacle à l’entrée de Ratiopharm sur le marché. Nous devons présumer des actions de Ratiopharm dans l’éventualité où le brevet 778 ne constituait pas un obstacle à son entrée sur le marché. Dans ce scénario, elle n’aurait pas annulé sa commande. Quoi qu’il en soit, même en ne fonctionnant qu’à 40 %, Alembic avait clairement la capacité de produire 400 millions de capsules – assez pour fournir la totalité des 226 millions de capsules par année que représente le marché de la venlafaxine.

 

[159]       Qu’elle eût ou non la quantité de capsules nécessaires pour approvisionner le marché aussi rapidement si elle avait dû tenir compte du brevet 778 n’est donc pas pertinent. Ratiopharm s’est acquittée du fardeau de prouver qu’elle avait la capacité d’approvisionner le marché dans le monde hypothétique.

 

c)         À quel moment Ratiopharm et ses concurrentes sur le marché du générique auraient‑ils été inscrits sur les formulaires provinciaux?

 

[160]       La plus grande part du marché pharmaceutique canadien est constitué des ventes destinées aux régimes de médicaments provinciaux publics. Ces ventes ne peuvent avoir lieu avant que le médicament ne soit inscrit sur le formulaire provincial pertinent conformément aux lois et aux procédures de chaque province. Par conséquent, toutes les ventes effectuées avant l’inscription sur le formulaire sont des ventes sur le marché privé destinées à des patients payant le médicament de leur poche où par l’entremise d’un régime d’assurance privé.

 

Inscription de Ratiopharm aux formulaires

[161]       Rosemary Bacovsky a été convoquée en qualité de témoin expert par Ratiopharm. Elle a donné son avis sur le moment auquel les génériques de Ratiopharm et de Novopharm auraient chacun été inscrits au formulaire provincial (en fonction des scénarios de M. Hollis). Elle a estimé, en fonction des suppositions suivantes, que ce qui s’est produit dans le monde réel se serait produit selon une chronologie semblable dans le monde hypothétique : 1) il n’y aurait aucun changement dans les politiques et les procédures des régimes d’assurance médicaments provinciaux; 2) il n’y aurait eu aucun changement quant aux dates d’inscription; 3) il n’y aurait eu aucun changement sur le plan du personnel; 4) il n’y aurait eu aucun retard dans la capacité du fabricant de fournir le produit pour répondre à la demande.

 

[162]       Elle a aussi supposé que Ratiopharm aurait fait une demande d’inscription à la date de réception de son AC ou dans les jours suivants , et que Novopharm aurait fait une demande d’inscription aux mêmes dates que dans le monde réel, étant donné ses problèmes d’approvisionnement. Certaines provinces offrent une « voie rapide » ou un processus de demande simplifié (généralement pour les médicaments qui permettraient à la province de faire des économies substantielles). Mme Bacovsky était aussi d’avis que Ratiopharm, en tant que première fabricante de génériques sur le marché, aurait bénéficié de la voie rapide le cas échéant, au contraire de Novopharm, sauf en Alberta, où cette dernière aurait pu bénéficier de la voie rapide sous certaines conditions.

 

[163]       Neil Palmer a été appelé en qualité de témoin expert par Wyeth. Il a donné son opinion sur les dates auxquelles Ratiopharm, Novopharm et Pharmascience, respectivement, auraient été inscrites aux formulaires provinciaux (en fonction des scénarios de M. Tepperman). En résumé, la méthode de M. Palmer consiste à déterminer le délai d’inscription moyen d’une sous‑catégorie de médicaments, puis à supposer que Ratio‑Venlafaxine aurait été inscrit dans un délai semblable.

 

[164]       M. Palmer a supposé que les fabricants auraient demandé l’inscription au formulaire [traduction] « avant la date à laquelle leur capacité d’approvisionnement aurait été assurée », comme ils l’ont fait dans le monde réel, mais pas avant d’avoir reçu un AC. M. Palmer a tenu pour acquis que les fabricants de génériques auraient pu demander l’inscription 47 jours avant la date de lancement prévue, d’après l’expérience de Ratiopharm dans le monde réel.

 

[165]       Selon le scénario où Ratiopharm est la première sur le marché et reçoit son AC le 13 février 2006, et où Novopharm entre sur le marché le 1er décembre 2006, M. Palmer a estimé que Ratiopharm aurait déposé sa demande d’inscription le 13 février 2006 et que Novopharm aurait déposé la sienne en octobre 2006 (comme elle l’a fait dans le monde réel).

 

[166]       M. Palmer a par la suite utilisé une [traduction] « méthode analogique » se fondant sur ce scénario pour toutes les provinces, sauf la Colombie‑Britannique et l’Alberta. En tenant compte de la date à laquelle Ratiopharm aurait probablement fait sa demande à l’égard de Venlafaxine, soit le 13 février 2006, il a établi la date à laquelle le formulaire aurait été par la suite mis à jour dans le monde réel. Tous les génériques inscrits sur ce formulaire mis à jour ont été considérés comme d’éventuels médicaments analogues pour cette province. Il a ensuite déterminé, au moyen de la base de données en ligne des avis de conformité de Santé Canada, les dates auxquelles les AC pour ces médicaments analogues potentiels ont été délivrés. Les médicaments dont l’AC a été délivré à la date de la demande visant Ratio‑Venlafaxine, soit le 13 février 2006, ou à tout moment par la suite, ont été choisis comme médicaments analogues pour la province ciblée. Si tous les AC des médicaments figurant sur ce dernier formulaire avaient été délivrés avant le 13 février 2006, M. Palmer a conclu qu’il était improbable que Ratio‑Venlafaxine y figure aussi étant donné son hypothèse voulant que les fabricants des médicaments analogues avaient fait la demande d’inscription au formulaire à la date de l’AC. Il a donc utilisé la première mise à jour pour choisir des médicaments analogues et répéter le processus. Enfin, il a utilisé le délai moyen d’inscription des médicaments analogues et supposé que ce serait le délai d’inscription le plus probable pour Ratio-Venlafaxine dans la province.

 

[167]       Certaines provinces fixent des [traduction] « dates butoirs » à respecter pour que l’inscription d’un médicament à la prochaine mise à jour du formulaire soit prise en considération. M. Palmer a tenu compte de ces dates butoirs le cas échéant, et lorsque la date du 13 février 2006 venait après une date butoir, il a tenu pour acquis que l’inscription de Ratiopharm aurait dû attendre la prochaine mise à jour. M. Palmer a aussi tenu compte des effets de la voie rapide là où cette possibilité existait.

 

[168]       En Colombie-Britannique, le formulaire est mis à jour constamment. En Alberta, le processus officiel de [traduction] « voie rapide » permet aux fabricants de résoudre le problème des dates butoirs en s’inscrivant au formulaire le premier jour du mois suivant la présentation de leur demande. Par conséquent, une approche différente devait être utilisée dans ces deux provinces.

 

[169]       Pour la Colombie-Britannique, M. Palmer s’est fié au délai moyen d’inscription de tous les produits ayant reçu un AC de février à août 2006 et ayant été inscrits avant le 31 décembre 2006. Pour l’Alberta, M. Palmer a utilisé le délai moyen d’inscription de tous les médicaments ayant profité de la « voie rapide » et ayant été inscrits au formulaire entre avril et octobre 2006. Il a par la suite comparé ce délai au délai d’inscription de Novo‑Venlafaxine dans le monde réel, et il a retenu la date d’inscription la plus rapide.

 

[170]       Outre le fait que M. Palmer ait utilisé une date butoir située un mois après la date à laquelle j’ai établi que Ratiopharm aurait reçu son AC, son approche comporte certains problèmes conceptuels. Elle repose sur l’hypothèse voulant que Ratio-Venlafaxine aurait été inscrit dans un délai comparable aux autres médicaments inscrits durant la période pertinente. Selon moi, cette approche ne tient pas compte des aspects uniques de la venlafaxine et introduit des variations qui pourraient être propres au groupe de médicaments analogues particuliers sur lesquels le modèle est basé. Par exemple, pour certains médicaments, il pourrait être relativement facile de soumettre une demande plus rapidement. Lors de son contre‑interrogatoire, M. Palmer a clarifié certaines choses :

(1)               il a expliqué que le délai moyen de l’inscription vaut à la fois pour les demandes complètes et les demandes incomplètes;

(2)               il a reconnu qu’il n’avait pas pris en considération la catégorie de médicaments à laquelle appartenaient les médicaments analogues comparés à Venlafaxine;

(3)               il a reconnu qu’il n’avait pas utilisé des dates butoirs fermes pour la sélection des analogues dans son rapport d’expert dans l’affaire Pantoprazole, CF 2013, comme il l’a fait en l’espèce (en ne retenant que des médicaments dont l’AC avait été délivré après le 13 février 2006) et n’a offert aucune explication sur la raison de cette différence méthodologique;

(4)               il a convenu de s’en remettre à MM. Fraser et Monteith lorsque son opinion contredirait leur témoignage.

 

[171]       Ces aspects du témoignage de M. Palmer sont importants et minent l’exactitude de son modèle pour les raisons suivantes :

(1)               Son témoignage en l’espèce diffère sensiblement de son témoignage dans l’affaire Pantoprazole, CF 2013. Dans cette affaire, M. Palmer avait estimé que le délai d’inscription de 19 jours en Colombie‑Britannique était raisonnable, et ce délai était semblable à celui de 14 jours estimé par Mme Bacovsky en l’espèce. Cependant, en l’espèce, M. Palmer a conclu que le délai d’inscription en Colombie‑Britannique serait plus probablement de 42 jours. En contre‑interrogatoire, il a avoué que 14 jours n’était pas une estimation déraisonnable.

(2)               Pour l’Alberta, M. Palmer a considéré comme raisonnable la date d’inscription du 1er juin 2006 pour Ratio‑Venlafaxine. M. Monteith, à qui M. Palmer s’en remet, a déclaré que si une demande dûment remplie était soumise le 13 février 2006, le médicament serait inscrit le 1er mars 2006. Ici encore, la date du 1er avril 2006 estimée par Mme Bacovsky correspond beaucoup mieux à l’avis de M. Monteith qu’à celui de M. Palmer.

 

(3)               Pour l’Ontario, M. Palmer a estimé que la date d’inscription la plus probable était le 19 mai 2006. M. Fraser, à qui M. Palmer s’en remet, a témoigné qu’il y avait une date butoir interne du 17 février 2006, et que si une demande dûment remplie était soumise avant cette date, le médicament serait inscrit le 4 avril 2006. Cette date concorde avec les conclusions de Mme Bacovsky.

 

[172]       Par conséquent, les estimations de Mme Bacovsky correspondent mieux au témoignage des représentants des formulaires qu’à celui de M. Palmer, pour les deux provinces pour lesquelles des éléments de preuve étaient disponibles. M. Palmer a expliqué que M. Monteith et M. Fraser supposaient que les demandes étaient dûment remplies et que les prix proposés au formulaire seraient acceptables, mais que dans le monde réel les demandes n’étaient souvent pas traitées aussi rondement.

 

[173]       Aucun élément de preuve n’a été présenté quant à la proportion des demandes qui sont dûment remplies ou de celles pour lesquelles le premier prix proposé est accepté. Même si dans le monde réel les demandes ne sont généralement pas traitées jsuqu’au bout dès la première présentation, rien ne permet de penser que la demande visant Ratio‑Venlafaxine en particulier aurait comporté des lacunes.

 

[174]       Par conséquent, je privilégie le témoignage de Mme Bacovsky, car elle s’est fondée sur les délais de traitement de Venlafaxine dans le monde réel pour extrapoler ce qui ce serait produit dans le monde hypothétique, et ses dates concordent davantage à celles proposées par les témoins des faits.

 

[175]       Les conclusions de Mme Bacovsky quant à la date où Ratio‑Venlafaxine aurait été inscrit aux formulaires provinciaux, et auxquelles souscrit la Cour, sont présentées dans le tableau ci‑dessous (jour-mois-année).

C.-B.

Alb.

Sask.

Man.

Ont.

Qc

N.-B.

N.-É.

Î.-P.-É.

T.-N.-L.

24-01-2006

01-03-2006

01-02-2006

15-06-2006

01-03-2006

11-10-2006

31-03-2006

15-03-2006

29-05-2006

03-08-2006

 

 

Inscription de Novopharm aux formulaires

[176]       Les estimations de Mme Bacovsky et de M. Palmer quant à la date à laquelle Novo‑Venlafaxine aurait été inscrit aux formulaires ne divergent que pour trois provinces : la Colombie‑Britannique, la Saskatchewan et le Manitoba. Dans le monde réel, il a fallu plus de temps à Ratiopharm qu’à Novopharm pour inscrire leur produit au formulaire de chacune de ces provinces. M. Palmer applique simplement la date d’inscription de Novopharm dans le monde réel. Mme Bacovsky estime qu’il n’est pas approprié de se fier à la date d’inscription de Novo‑Venlafaxine dans le monde réel pour estimer la date d’inscription dans le monde hypothétique dans ces provinces, car le premier générique est inscrit plus rapidement. Comme Ratiopharm était la deuxième à mettre son générique en marché dans le monde réel, il lui a fallu plus de temps pour l’inscrire au formulaire que celui de Novopharm. Dans le monde hypothétique, c’est le produit de Novopharm qui aurait été le second générique et, du coup, celui dont l’inscription au formulaires de ces provinces aurait été retardée.

 

[177]       Mme Bacovsky a témoigné qu’en Colombie‑Britannique, dans le monde réel, le produit Novo‑Venlafaxine, en qualité de premier générique, avait été inscrit au formulaire le 13 décembre 2006, soit 57 jours après l’obtention de son AC. Dans le cas de Ratio‑Venlafaxine, en qualité de deuxième générique, il s’était écoulé 105 jours entre l’obtention de l’AC et l’inscription au formulaire. J’estime comme Mme Bacovsky, et compte tenu de la preuve, que s’il avait été le deuxième générique, Novo‑Venlafaxine n’aurait pas profité du même traitement prioritaire dont il a profité dans le monde réel, et il aurait donc été inscrit plus tard que le 13 décembre 2006.

 

[178]       Mme Bacovsky souligne que le premier bulletin de BC PharmaCare paru en 2007 avait été publié le 21 mars et qu’on pouvait y lire que les médicaments mentionnés seraient inscrits à compter du 23 avril 2007. Elle en conclut, raisonnablement selon moi, que Novo‑Venlafaxine aurait été inscrit au premier bulletin de 2007 et aurait donc été inscrit au formulaire en Colombie‑Britannique le 23 avril 2007.

 

[179]       En Saskatchewan, de 2006 à 2007, les mises à jour du formulaire n’ont eu lieu qu’en janvier, en avril, en juillet et en octobre. Dans le monde réel, Novopharm a profité d’un traitement spécial pour Venlafaxine et a été en mesure de l’inscrire en date du 1er décembre 2006, en dehors des mises à jour régulières, car il s’agissait du premier générique. Selon Mme Bacovsky, le produit de Novopharm n’aurait pas bénéficié du même traitement dans le monde hypothétique en tant que deuxième générique. Elle en conclut donc que Novo‑Venlafaxine aurait été inscrit le 1er janvier 2007, lors de la mise à jour régulière du formulaire. Il s’agit d’un avis raisonnable, et je le partage.

 

[180]       En 2006, le Manitoba a mis à jour son formulaire le 9 février, le 13 mars, le 15 juin, le 14 septembre et le 14 décembre et, en 2007, les 9 février et 15 mars. Le Manitoba traite habituellement les demandes dans l’ordre chronologique. Mme Bacovsky a souligné qu’un autre médicament, Novo‑Sumatriptan, pour lequel un AC a été délivré le 6 octobre 2006, a été inscrit le 15 mars 2007. Comme ce médicament a obtenu son AC à la même date que Novo‑Venlafaxine et comme Novo‑Sumatriptan de Novopharm n’était pas non plus le premier générique, , Mme Bacovsky a estimé que Novo‑Venlafaxine aurait aussi été inscrit le 15 mars 2007.

 

[181]       Même si Mme Bacovsky considère Novo‑Sumatriptan comme analogue de Novo‑Venlafaxine, je suis disposé à accepter sa comparaison étant donné que les dates des AC sont identiques et que la preuve a établi que les fabricants présentent habituellement leur demande d’inscription le plus tôt possible une fois l’AC reçu. Novo‑Venlafaxine était un cas d’exception dans la mesure où il a fait l’objet d’un AC rapide en sa qualité de premier générique, mais des problèmes de fabrication ont retardé considérablement sa mise en marché.

 

[182]       En conclusion, j’accepte les estimations de Mme Bacovsky pour ce qui a trait aux dates d’inscription de Novopharm, comme elles sont présentées ci‑dessous (jour-mois-année).

C.-B.

Alb.

Sask.

Man.

Ont.

Qc

N.-B.

N.-É.

Î.-P.-É.

T.-N.-L.

23-04-2007

01-02-2007

01-01-2007

15-03-2007

02-01-2007

22-06-2007

04-12-2006

15-12-2006

19-03-2007

07-04-2007

 

[183]       Gardant ces dates à l’esprit, j’applique la méthode de M. Hollis pour déterminer les effets de l’arrivée de Novopharm sur la part de marché de Ratiopharm. Dans le monde hypothétique, la part de marché de Ratiopharm se réduira par suite de l’entrée de Novopharm sur le marché dans la même mesure que la part de marché de Novopharm s’est réduite à l’entrée de Ratiopharm sur le marché dans le monde réel. En d’autres mots, les situations de Ratiopharm et de Novopharm sont interchangeables.

 

[184]       Je reconnais que le modèle de M. Hollis n’est pas parfait. Comme l’a signalé M. Tepperman, le modèle de M. Hollis ne tient peut-être pas compte d’avantages particuliers uniques à Ratiopharm ou à Novopharm. Il ne tient peut-être pas compte des difficultés d’approvisionnement auxquelles Ratiopharm s’est heurtée dans le monde réel. Cependant, il s’agit du meilleur modèle disponible. M. Tepperman s’est servi d’un modèle économétrique fondé sur 40 médicaments pour tenter d’estimer la part de marché qu’aurait accaparé Ratiopharm. Même si j’ai déjà souligné les lacunes que je perçois dans la méthode de M. Tepperman, je prends aussi note des éléments suivants :

 

1.      Les données pour la période pertinente n’étaient disponibles que pour 3 des 40 médicaments retenus par M. Tepperman;

2.      Le modèle de M. Tepperman ne tient pas correctement compte de la durée de la période d’exclusivité du premier générique (il ne tient compte que des médicaments dont l’exclusivité a duré trois mois ou plus, et non de ceux dont l’exclusivité a duré moins de trois mois);

3.      M. Tepperman a reconnu que lorsqu’il existe un analogue dans le monde réel, il est préférable de l’utiliser plutôt que de recourir à l’analyse économétrique.

 

[185]       Pour ces motifs, j’estime que la part de marché de Novopharm constitue un analogue acceptable, quoiqu’imparfait, aux fins de l’estimation de la part de marché de Ratiopharm. Je retiens et applique donc le modèle de M. Hollis pour déterminer la part de marché de Ratiopharm.

 

d)         Mise en stock

[186]       Deux principaux types de données servent à mesurer les ventes : les données du SGI, qui représentent les stocks qui sont effectivement vendus aux patients, et les données à la sortie de l’usine, qui représentent les ventes réelles du fabricant mesurées en fonction des factures.

 

[187]       La mise en stock représente le stock initialement acheté pour faire provision du produit ou [traduction] « le mettre en stock ». Comme il s’agit de ventes aux grossistes et aux pharmacies, et non nécessairement aux patients, cette mise en stock initiale ne paraît pas dans les données du SGI. Par conséquent, au cours d’une période donnée, les données du SGI sous‑estiment les ventes d’un fabricant comparativement aux données à la sortie de l’usine.

 

[188]       En l’espèce, M. Hollis a ajusté les données de mise en stock en calculant le rapport des ventes à la sortie de l’usine aux ventes enregistrées dans le SGI pour chaque concentration de Novo‑Venlafaxine au cours des 18 mois ayant suivi l’entrée de Novopharm sur le marché. Il a ensuite appliqué ce rapport au volume des ventes enregistrées par le SGI.

 

[189]       Comme j’accepte la méthode de M. Hollis pour mesurer le marché global de Venlafaxine, le marché générique de Venlafaxine et la part de marché de Ratiopharm, j’accepte cette méthode aussi pour l’ajustement de la mise en stock. M. Hamilton a fait valoir que si j’acceptais la méthode de M. Hollis, c’est ce modèle que je devrais utiliser pour calculer la mise en stock.

 

[190]       Cependant, je ne vois aucune raison d’utiliser les données du SGI lorsque les données à la sortie de l’usine sont disponibles. Ce que nous cherchons à mesurer est le volume total des ventes qu’aurait faites la société de générique demanderesse au cours de la période pertinente et, dans la mesure où les ventes à la sortie de l’usine au cours de la période constituent un analogue acceptable, il n’est pas nécessaire de mesurer la mise en stock en premier lieu.

 

La valeur des ventes perdues de Ratiopharm au cours de la période pertinente

[191]       Comme je l’ai fait remarquer, pour calculer les ventes perdues de Ratiopharm, il faut répondre aux questions suivantes :

a.                   À quel prix Ratiopharm aurait-elle vendu son produit dans chacune des provinces?

b.                  À quel moment Ratiopharm est-elle passée du prix de produit pour un marché à fabricant unique au prix de produit pour un marché à plusieurs fabricants dans chacune des provinces?

c.                   Quelles dépenses de commercialisation (ristournes et remises) Ratiopharm aurait‑elle faites durant la période pertinente? La réponse à cette question dépend des réponses aux questions suivantes :

                                                        i.       Quel est le taux de dépenses de commercialisation de Ratiopharm dans un marché à un seul fabricant?

                                                      ii.      Quel est le taux de dépenses de commercialisation de Ratiopharm dans un marché à plusieurs fabricants?

                                                    iii.      À quel moment le taux des dépenses de commercialisation du produit pour un marché à plusieurs fabricants est-il entré en vigueur?

d.                  Quels coûts Ratiopharm aurait-elle dû assumer?

 

a) À quel prix Ratiopharm aurait-elle vendu son produit dans chacune des provinces?

[192]       Les meilleurs éléments de preuve permettant d’estimer le prix auquel Ratiopharm aurait vendu Ratio‑Venlafaxine ont été fournis par M. Major, vice-président de la Gestion du développement et des affaires règlementaires de Ratiopharm au cours de la période pertinente. Selon son témoignage, si le produit de Ratiopharm avait été le seul générique sur le marché, son prix aurait été fixé à 70 % du prix du médicament innovant en Ontario. Par ailleurs, comme l’a expliqué M. Major dans l’échange suivant au cours de son interrogatoire principal, il est plus que probable que Ratiopharm aurait pratiqué le même prix dans tous les marchés provinciaux canadiens.

[traduction]

Q. Et la proposition de fixer le prix de lancement à 70 %, est-ce que c’était une proposition visant une province particulière ou l’ensemble du Canada?

 

A. Non, c’est un prix national. Je veux dire, conventionnellement, même si l’Ontario a des règlements qui dictent les prix, il est simplement plus facile, comme entreprise, de pratiquer un même prix à l’échelle nationale. Alors le même prix s’applique partout (non souligné dans l’original).

 

[193]       La pratique selon laquelle les fabricants de génériques pharmaceutiques pratiquent un seul et même prix dans toutes les provinces est confirmée par Glen Monteith, qui était en 2006 le directeur exécutif de la Direction des produits pharmaceutiques et des sciences de la vie de la province de l’Alberta. Il a témoigné que [traduction] « même si notre politique autorise un taux de 75 % [pour un générique unique], nous voyions souvent des fabricants proposer des taux de 70 % conformément à la règle ontarienne à l’époque. » Il a aussi souligné que [traduction] « c’est plus facile quand ils l’intègrent dans la chaîne d’approvisionnement à un prix unique dans toutes les provinces et territoires. Alors bien honnêtement, nous étions souvent avantagés à l’époque par le fait que l’Ontario avait une politique de prix plus exigeante, en particulier en ce qui concerne les grands volumes de génériques. Mais nous n’avions pas de règle stricte à ce sujet. »

 

[194]       Ce témoignage me pousse à conclure que Ratiopharm aurait demandé le même prix (70 % du prix d’Effexor XR en Ontario) sur tous les formulaires provinciaux. Pour les mêmes raisons, je suis d’avis que lorsque Ratiopharm aurait changé son prix de 70 % pratiqué sur un marché à un seul fabricant pour un prix pratiqué sur un marché à plusieurs fabricants, ce prix aurait été uniforme dans l’ensemble du Canada, même si les dates de ces baisses de prix auraient varié.

 

b) À quel moment Ratiopharm est-elle passée du prix de produit pour un marché à un seul fabricant au prix de produit pour un marché à plusieurs fabricants dans chacune des provinces?

 

[195]       Il faut également prendre en considération le changement de prix motivé par l’arrivée d’un deuxième générique sur le marché. Brent Fraser, directeur des Services liés aux programmes de médicaments du Programme public de médicaments de l’Ontario, a témoigné du fait qu’en Ontario, lorsqu’un deuxième générique entrait sur le marché, le prix des génériques diminuait pour passer à 63 % du prix du médicament innovant. Cette réalité a changé avec l’entrée en vigueur du projet de loi 102 le 1er octobre 2006. À compter de cette date, à moins qu’un générique n’ait obtenu une exemption, le prix du générique a toujours été fixé à 50 % du prix du médicament innovant. En outre, toute exemption aurait expiré avec l’ajout d’un deuxième générique au formulaire. Selon le témoignage de M. Fraser, Novopharm a demandé et obtenu une exemption pour Novo‑Venlafaxine, ce qui lui a permis de maintenir le prix du formulaire à 70 % de celui d’Effexor XR jusqu’à ce que Ratiopharm ait inscrit son produit au formulaire.

 

[196]       M. Fraser a aussi précisé qu’il y avait eu de nombreuses demandes d’exemption. Quand on lui a demandé si ces exemptions étaient généralement accordées aux génériques pour lesquels il n’y avait qu’un fabricant, il a répondu ceci :

[traduction]

En général, nous accordions les demandes d’exemption de prix, pourvu que les demandeurs nous fournissent de l’information dans le cadre de la demande. Nous avons refusé dans quelques cas, mais la majorité des demandes étaient acceptées.

 

[197]       J’estime selon la prépondérance des probabilités que Ratiopharm aurait demandé une exemption de la réduction du prix sous le régime du projet de loi 102. Je suis aussi d’avis que cette demande aurait probablement été acceptée, étant donné que la plupart des demandes d’exemption visant les médicaments à un seul fabricant l’étaient et que Novo‑Venlafaxine a obtenu une telle exemption dans le monde réel. Par conséquent, j’estime que le prix de Ratio‑Venlafaxine au formulaire ontarien aurait été fixé à 70 % du prix du médicament innovant jusqu’au 2 janvier 2007, date à laquelle Novo‑Venlafaxine a été inscrit au formulaire ontarien. À cette date, son prix aurait été ramené à 50 % du prix du médicament innovant.

 

[198]       Certaines provinces ont des règlements qui prévoient la diminution du prix du premier générique lorsqu’un deuxième générique entre sur le marché et d’autres, non. Au cours de la période pertinente, aucun règlement du genre n’était en vigueur en Colombie‑Britannique, en Saskatchewan, au Manitoba, au Nouveau‑Brunswick, en Nouvelle‑Écosse ni à l’Île‑du‑Prince‑Édouard.

 

[199]       En Alberta, si un deuxième générique entre sur le marché, son fabricant peut demander l’autorisation de le vendre au même prix que le premier générique; cependant, s’il proposait un prix inférieur à celui du premier générique, le premier générique devrait se vendre au même prix pour être remboursable. Au Québec et à Terre‑Neuve‑et‑Labrador, un générique ne peut être vendu à un prix plus élevé que celui auquel il est vendu dans toute autre province.

 

[200]       Malgré les réglementations en vigueur, il semble que le prix des génériques ne soit pas toujours ajusté aussi rapidement qu’il devrait l’être. Mme Robitaille et M. Major ont expliqué que comme condition à l’inscription de leur produit au Québec, les fabricants de génériques doivent s’engager à offrir un prix aussi avantageux que le prix pratiqué dans toute autre province canadienne aussitôt que ce prix est offert. Cependant, dans le monde réel, il a fallu quatre mois après la baisse du prix de Novo‑Venlafaxine en Ontario pour que le prix baisse au Québec. Mme Robitaille a expliqué en contre‑interrogatoire que la réduction de prix n’était pas toujours immédiate et que le prix n’était parfois pas réduit avant que le deuxième générique soit inscrit au formulaire du Québec.

 

[201]       Même si aucune explication n’a été offerte sur la raison pour laquelle dans le monde réel, Novopharm a failli à son obligation de réduire son prix au Québec pendant quatre mois après que le prix eut baissé en Ontario, je ne suis pas prêt à accepter le fait que Ratiopharm aurait fait la même chose. Dans le monde hypothétique, il faut supposer que les sociétés de génériques respectent leurs engagements et leurs obligations juridiques, sauf preuve convaincante que le fabricant dont il question s’y soustrait de façon régulière et constante. Aucun témoignage à cet effet n’a été présenté quant aux pratiques de Ratiopharm.

 

[202]       Par conséquent, je conclus que Ratiopharm aurait vendu son produit à 50 % du prix du produit innovant en Ontario le 2 janvier 2007, date à laquelle le produit de Novopharm a été inscrit au formulaire, et qu’elle aurait fait la même chose au Québec et à Terre‑Neuve‑et‑Labrador, puisque chacune de ces provinces interdit la vente d’un générique à un prix plus élevé que le plus bas prix auquel il est vendu dans toute autre province.

 

[203]       Pour ce qui concerne les provinces où aucune réglementation ne régit la modification des prix lorsqu’un deuxième générique entre sur le marché, je conclus que Ratiopharm aurait aligné son prix sur celui du deuxième générique; autrement, elle se serait rapidement retrouvée dans une situation de désavantage concurrentiel substantiel. Cependant, dans ces provinces, rien ne poussait Ratiopharm à baisser son prix à 50 % avant que le produit de Novopharm ne soit effectivement inscrit au formulaire. De fait, Ratiopharm aurait pu tirer beaucoup plus de revenus en maintenant le même prix, en particulier dans les provinces où l’inscription du produit de Novopharm au formulaire avait été retardée.

 

[204]       Les parties ont convenu que les données du tableau ci‑dessous correspondent au prix d’EFFEXOR XR en Ontario au cours de la période pertinente.

 

De janvier 2006 à décembre 2006

De janvier 2007 à décembre 2007

37,5 mg

0,78 $ la capsule

0,8399 $ la capsule

75 mg

1,56 $ la capsule

1,6797 $ la capsule

150 mg

1,65 $ la capsule

1,7735 $ la capsule

 

 

[205]       Par conséquent, je conclus que Ratio‑Venlafaxine se serait vendu en Ontario au cours de la période pertinente dans le monde hypothétique aux prix suivants :

 

De janvier 2006 à décembre 2006

De janvier 2007 à décembre 2007

37,5 mg

0,546 $ la capsule

0,41995 $ la capsule

75 mg

1,092 $ la capsule

0,83985 $ la capsule

150 mg

1,155 $ la capsule

0,88675 $ la capsule

 

[206]       Pour ces motifs, je conclus que Ratiopharm aurait baissé le prix de son générique aux prix indiqués dans le tableau ci‑dessus et aux dates indiquées ci‑dessous dans chacune des provinces (jour-mois-année).

C.-B.

Alb.

Sask.

Man.

Ont.

Qc

N.-B.

N.-É.

Î.-P.-É.

T.-N.-L.

23-04-2007

01-02-2007

01-01-2007

15-03-2007

02-01-2007

02-01-2007

04-12-2006

15-12-2006

19-03-2007

02-01-2007

 

c) Quelles dépenses de commercialisation (ristournes et remises) Ratiopharm aurait‑elle faites durant la période pertinente?

 

[207]       Il est établi que les entreprises pharmaceutiques offrent des ristournes de diverses sortes aux acheteurs de produits pharmaceutiques pour les encourager à acheter leurs produits et les remercier lorsqu’ils le font. C’est ce qui est appelé [traduction] « dépenses de commercialisation ». Il est aussi établi que lorsqu’un fabricant de génériques est le seul fournisseur d’un générique sur le marché, ses dépenses de commercialisation sont moins grandes que lorsqu’il est en présence de concurrents.

 

Quel est le taux de dépenses de commercialisation de Ratiopharm pour un marché à un seul fabricant?

[208]       Il revient à Ratiopharm d’établir le taux des dépenses de commercialisation qu’elle aurait effectuées au cours de la période pertinente (voir l’affaire Pantoprazole, CF 2013, au paragraphe 150). Ratiopharm fait valoir qu’elle aurait offert des ristournes de 15 % au cours de la période pertinente pendant qu’elle était la seule fabricante sur le marché. Pfizer soutient que Ratiopharm n’aurait pas eu des dépenses de commercialisation moindres que celles de Novopharm dans le monde réel pendant que celle‑ci était la seule fabricante sur le marché, c’est‑à‑dire [caviardé].

 

[209]       À l’époque, Ratiopharm n’offrait aucun produit dont elle était le seul fournisseur – Ratio‑Venlafaxine devait être le premier. Rien dans le passé de Ratiopharm ne me permet donc de fonder ma décision. Selon M. Major, dans un marché à un seul fabricant, un taux de dépenses de commercialisation de 10 % à 20 % est typique. Ces renseignements sont fondés sur des [traduction] « renseignements d’affaires » et les [traduction] « pratiques commerciales » révélés par les clients. Il reconnaît, cependant, que les taux sont négociables et peuvent varier selon le client.

 

[210]       M. Major affirme que lorsqu’un produit est lancé et qu’il existe un risque de poursuite pour contrefaçon, les fabricants réduisent généralement leurs dépenses de commercialisation. M. Major a aussi avancé que [traduction] « la situation d’un fournisseur qui n’a l’exclusivité que d’un produit est très différente de celle d’un fournisseur qui a l’exclusivité de plusieurs produits ». Une entreprise qui est l’unique fournisseur de plusieurs produits exerce plus de pouvoir sur le marché. »

 

[211]       M. Sommerville a expliqué que les taux de ristourne varient selon le type de clients. L’entreprise offre des ristournes plus avantageuses aux clients privilégiés (réguliers) et des ristournes moins avantageuses, voire aucune ristourne, aux autres clients. Selon lui, comme les pharmacies n’ont pas le choix de mettre en stock le produit d’un fournisseur qui est l’unique fabricant d’un générique donné, le fabricant offrirait un taux de ristourne aussi bas que possible pour faire un maximum de profit. M. Sommerville a déclaré : [traduction] « Je peux vous dire d’après les négociations auxquelles je participe assez régulièrement depuis plusieurs années qu’un taux de ristourne de 15 % à 20 % est habituel ». Il a aussi expliqué que Novopharm avait offert un taux de ristourne exceptionnel à Shoppers Drug Mart pour Venlafaxine [caviardé], mais que le taux de 15 % à 20 % était la moyenne applicable à l’ensemble des clients.

 

[212]       Pour le compte de Wyeth, Mme Cirocco a affirmé que Shoppers Drug Mart avait négocié les ristournes pour chaque molécule. Selon elle, Shoppers Drug Mart a accepté un taux de ristourne « réduit » de [caviardé] pour Novo‑Venlafaxine, avec la possibilité d’obtenir un taux de [caviardé] si certains objectifs de ventes étaient atteints. Elle a aussi expliqué que si un fabricant offrait un taux trop bas jugé inacceptable par Shoppers Drug Mart et qu’il s’agissait d’un produit pour lequel il n’y avait qu’un seul fabricant, Shoppers Drug Mart n’aurait d’autre choix que d’accepter le taux jusqu’à ce qu’un nouveau concurrent entre sur le marché, mais qu’à compter de ce moment elle s’approvisionnerait auprès de ce nouveau concurrent.

 

[213]       M. Blacher, un propriétaire exploitant de pharmacie indépendante, a déjà obtenu un taux de ristourne d’environ 20 % dans un marché à un seul fabricant. Il a attribué ce taux de 20 % en partie au fait qu’il possédait une [traduction] « pharmacie bleue » (c.‑à‑d. une pharmacie qui offre presque exclusivement des produits d’Apotex). S’il en avait été autrement, le taux de ristourne aurait sans doute été plus bas. Il dit avoir reçu des taux de ristourne aussi faibles que 10 % pour des produits à un seul fabricant. Au cours de ces négociations, toujours selon M. Blacher, [traduction] « le représentant nous disait qu’il pouvait offrir 20 %, ce qui serait une ristourne habituelle sur un nouveau médicament, mais si nous achetions ce médicament de lui, il pouvait augmenter notre ristourne sur une autre molécule, ou bien nous donner des produits gratuits ou quelque chose comme ça. C’est au cas par cas. »

 

[214]       Ratiopharm fait valoir que la Cour ne devrait pas donner beaucoup de poids aux taux de dépenses de commercialisation de Novopharm. Elle souligne que conformément à l’entente Wyeth‑Novopharm, Novopharm devait verser des redevances importantes à Wyeth à même ses profits nets. Comme ce taux de redevance était fondé sur les profits après dépenses de commercialisation, Ratiopharm soutient que Wyeth subventionnait dans les faits les dépenses de commercialisation de Novopharm et que cela lui permettait de verser des ristournes plus élevées qu’elles ne l’auraient été autrement.

 

[215]       En outre, elle prétend que Novopharm aurait tiré profit de cette subvention et offert un taux de ristourne supérieur pour Novo‑Venlafaxine de façon à mousser les ventes de ses autres produits, ou à réduire les ristournes sur les produits qui ne bénéficiaient pas d’une telle subvention. M. Sommerville a décrit cette pratique comme le fait de [traduction] « tirer avantage d’une grosse molécule à forte valeur stratégique ». M. Sommerville a donné comme exemple la façon dont Teva s’était servie des taux de ristourne pour établir des liens d’affaires avec Loblaws :

[traduction]

Nous leur avons donné pour la venlafaxine un taux beaucoup plus élevé que la normale afin de négocier un approvisionnement accru non seulement de molécules pour lesquelles il existait un plus grand nombre d’inscriptions, mais aussi de celles que nous voulions. Ainsi, nous avons amélioré notre marge, nous avons augmenté notre part de marché et nous en avons profité à long terme, puisqu’il s’agissait d’une entente à long terme.

 

[216]       Wyeth fait remarquer que même si le taux de dépenses de commercialisation était subventionné dans les faits, il était tout de même dans le meilleur intérêt de Novopharm de maximiser ses profits et donc de maintenir les dépenses aux taux les plus bas que possible. Elle avance que la nécessité de verser des redevances aurait même poussé Novopharm à offrir des ristournes encore plus basses.

 

[217]       Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que Ratiopharm aurait accordé des taux de dépenses de commercialisation de 15 %, pour les raisons suivantes.

 

[218]       M. Blacher a tout d’abord déclaré qu’il recevait habituellement une ristourne de 20 % sur les produits à fabricant unique, que ce taux comprenait une prime pour le statut de « pharmacie bleue » et que [traduction] « le taux le plus bas qu’[il ait] vu était 10 %, mais habituellement pour un médicament à fabricant unique, [il] s’attendai[t] à une ristourne d’environ 20 % ». En outre, M. Major a expliqué qu’en général, Ratiopharm cherchait à [traduction] « s’assurer que nous avions réduit le plus possible les sommes accordées afin de mettre les produits sur les rayonnages et à augmenter la marge bénéficiaire. Je veux dire, c’est une pratique commerciale courante. » Cependant, il s’agissait aussi de la première molécule dont Ratiopharm était l’unique fournisseur; l’entreprise n’était pas en position de force, car elle n’avait aucune autre molécule provenant d’un fabricant unique dans son portefeuille et elle n’aurait pu [traduction] « utiliser stratégiquement » sa position dans l’industrie pour offrir des taux de ristourne [traduction] « très, très bas » (par exemple de 10 %) comme le faisait Apotex.

 

[219]       Selon Mme Cirocco, les ristournes reçues par les pharmacies indépendantes sont 5 % à 10 % moins avantageuses que celles de Shoppers Drug Mart, mais je ne pense pas que cette affirmation soit crédible. Elle a affirmé que Shoppers Drug Mart s’était vue offrir [caviardé], ce qui est considéré comme [traduction] « un taux faible pour cette molécule ». Selon elle, les indépendants auraient donc reçu entre 30 % et 40 %. Il semble peu probable qu’Apotex aurait offert à une [traduction] « pharmacie bleue » loyale une ristourne moins élevée que la ristourne moyenne offerte, selon Mme Cirocco, aux pharmacies indépendantes. En outre, son témoignage quant au taux obtenu par Shoppers Drug Mart a été directement contredit par M. Sommerville, lequel a affirmé que Shoppers Drug Mart avait reçu [caviardé] pour Novo‑Venlafaxine.

 

[220]       Deuxièmement, en raison de l’entente Wyeth‑Novopharm, il serait logique que Novopharm accorde une forte ristourne pour Novo‑Venlafaxine pour stimuler la vente de ses autres produits ou lui permettre d’accorder des rabais moindres pour les produits non subventionnés. Ainsi, elle reporterait une partie des coûts sur Wyeth, tout en maximisant le profit global réalisé sur l’ensemble des produits, en échange d’une réduction des profits réalisés sur Novo‑Venlafaxine. C’est exactement le type de négociation auquel M. Blacher affirme avoir participé. De plus, M. Sommerville a expliqué que certaines molécules pouvaient être utilisées de manière stratégique. Selon moi, il est logique, du point de vue de Novopharm, de traiter Novo‑Venlafaxine comme une de ces molécules.

 

[221]       Par conséquent, j’estime que Ratiopharm n’aurait pas utilisé le même taux que Novopharm; elle aurait utilisé un taux de 15 %.

 

Quel est le taux de dépenses de commercialisation de Ratiopharm pour un marché à plusieurs fabricants?

[222]       Ratiopharm prétend qu’elle n’aurait pas accordé de ristourne plus importante qu’elle ne l’a fait dans le monde réel – [caviardé]. Pfizer affirme que Ratiopharm aurait versé des ristournes plus élevées que celles qu’elle a versées dans le monde réel, car elle aurait cherché à attirer de gros clients comme Shoppers Drug Mart par des contrats à long terme, comme l’a fait Novopharm avec Loblaws. Wyeth estime que le taux de ristourne aurait été à 60 %, selon les prévisions de Ratiopharm sur ce qu’elle s’attendait à verser lors du lancement en 2006. Pfizer soutient qu’au strict minimum, Ratiopharm aurait versé [caviardé], soit le taux versé par Novopharm dans le monde réel.

 

[223]       Le meilleur témoignage disponible sur cette question est celui de M. Major. Selon lui, dans un marché concurrentiel, [traduction] « un taux de dépenses de commercialisation entre 40 % et 50 % serait un taux typique […] dans un marché concurrentiel ». Ce taux correspond à celui que Ratiopharm a payé dans le monde réel.

 

[224]       Wyeth fait valoir que Ratiopharm aurait payé davantage dans le monde hypothétique, parce que Ratiopharm avait déjà perdu dans le monde réel sa position de premier générique. Par conséquent, Wyeth estime que, dans le monde réel rien, n’incitait Ratiopharm à augmenter ses ristournes, car elle n’aurait probablement pas été capable de percer le marché en tant que deuxième générique. À l’opposé, dans le monde hypothétique, Ratiopharm aurait offert un taux de ristourne supérieur de manière à conserver une aussi grande part de marché que possible et à se rapprocher de Novopharm comme deuxième fabricant de génériques au Canada.

 

[225]       L’analyse de Wyeth s’applique également à Novopharm dans le monde hypothétique. En étant le deuxième fabricant à entrer sur le marché dans le monde hypothétique, Novopharm n’aurait plus eu l’avantage d’être la première. Elle n’aurait eu aucune raison d’offrir des ristournes élevées, car elle serait entrée sur le marché en retard et c’est Ratiopharm qui aurait eu l’avantage d’être la première.

 

[226]       Pour conserver sa part de marché, Ratiopharm n’aurait eu qu’à aligner ses ristournes sur celles de Novopharm, ou à les battre par une faible marge, car, comme l’ont signalé M. Blacher et Mme Cirocco, les pharmacies sont réfractaires aux changements de fournisseurs. Changer de fournisseur exige de mettre en stock un nouveau produit, d’aviser les clients du changement, d’expliquer les différences entre les produits et d’assurer aux clients que le changement ne présentera aucune différence clinique pour le patient. À mon avis, les pharmacies éviteraient de changer de fournisseur si elles le pouvaient. Par conséquent, le fait pour Ratiopharm d’offrir une ristourne plus élevée que nécessaire n’aurait fait qu’amputer ses profits, sans avantages compensatoires.

 

[227]       Dans le monde hypothétique, selon la prépondérance des probabilités, je conclus que Ratiopharm aurait appliqué un taux de dépenses de commercialisation de 46,6 % dans un marché à plusieurs fabricants. Selon moi, cela concorde avec le témoignage de M. Major voulant qu’il y ait peu ou pas d’avantage pour un deuxième fabricant de génériques à offrir une ristourne élevée étant donné qu’elle a déjà perdu des parts de marché, compte tenu de la préférence qu’ont les pharmacies à rester avec le premier fournisseur avec lequel elles ont conclu un accord, tant que le fournisseur aligne ses ristournes sur celles de la concurrence, et compte tenu des taux de ristourne que Ratiopharm a offerts dans le monde réel.

 

À quel moment le taux des dépenses de commercialisation du produit pour un marché à plusieurs fabricants est-il entré en vigueur?

 

[228]       Ratiopharm soutient qu’elle n’aurait pas versé un taux de ristourne pour un marché à plusieurs fabricants avant qu’un concurrent ne soit inscrit au formulaire. Wyeth fait valoir que Ratiopharm aurait soit versé une ristourne pour un marché à plusieurs fabricants tout au long de la période pertinente, soit fait passer son taux de ristourne à un taux plus concurrentiel en prévision de l’inscription au formulaire d’un concurrent.

 

[229]       Je n’accepte pas l’argument de Wyeth voulant que, alors qu’elle était l’unique fabricante, Ratiopharm aurait versé un taux de ristourne élevé en vue de percer sur le marché et de conclure des contrats à long terme, plutôt que d’attendre qu’un concurrent soit inscrit au formulaire. Rien n’étaye cette position, il s’agit de spéculation pure.

 

[230]       L’autre argument de Wyeth selon lequel Ratiopharm aurait offert un taux de ristourne pour un marché à plusieurs fabricants un peu avant qu’un concurrent soit inscrit au formulaire, de manière à assurer la continuité de ses relations avec ses clients, est également peu convaincant. D’abord, si Wyeth disait vrai, rien ne permet de déterminer à quel moment avant l’inscription au formulaire de ses concurrentes Ratiopharm aurait modifié son taux de ristourne. Deuxièmement, comme nous l’avons déjà vu, les pharmacies n’aiment pas changer de fournisseur, et tant et aussi longtemps que le premier générique offre un taux de ristourne égal à celui du deuxième générique, aucun incitatif supplémentaire n’est nécessaire pour assurer le maintien des relations d’affaires. Il semble douteux de prétendre que les pharmacies se donneraient la peine de changer de fournisseur pour bénéficier d’un taux de ristourne légèrement supérieur pendant un ou deux mois.

 

[231]       Troisièmement, même si M. Sommerville a déclaré que pour ce qui concerne Shoppers Drug Mart, par exemple, Novopharm avait l’habitude d’élever son taux [traduction] « un peu avant l’entrée en scène d’un concurrent », une pratique dite [traduction] de « prévoyance », rien n’indique que Ratiopharm ait observé pareille conduite. De fait, Ratiopharm n’aurait pas adopté une pratique semblable à l’époque, puisque Ratio‑Venlafaxine était la première molécule pour laquelle elle était l’unique fournisseur. En outre, M. Sommerville a attribué la pratique de [traduction] « prévoyance » à la [traduction] « très bonne relation » entre Novopharm et Shoppers Drug Mart. Malgré cet exemple et la logique manifeste de cette pratique commerciale, contrairement à Novopharm, Ratiopharm n’avait pas de très bonnes relations établies à maintenir avec de gros clients. Même si elle avait pu agir de cette façon pour renforcer ses relations avec ses clientes, les éléments de preuve ne permettent pas de tirer une conclusion en ce sens. Par conséquent, je ne peux accepter l’argument de Wyeth selon lequel Ratiopharm aurait utilisé une stratégie de « prévoyance ».

 

[232]       Pour ces motifs, je conclus que dans chacune des provinces, Ratiopharm serait passée à un taux de dépenses de commercialisation pour un marché à plusieurs fabricants à la date à laquelle Novo‑Venlafaxine aurait été inscrit au formulaire de chacune des provinces.

 

d) Quels coûts Ratiopharm aurait-elle dû assumer?

[233]       Les parties et les experts conviennent tous que les coûts additionnels suivants auraient dû être assumés par Ratiopharm et doivent être soustraits de ses ventes brutes : 1) remises de distribution; 2) frais de transport; 3) escomptes pour paiement hâtif; 4) retours de marchandise; 5) coût des ventes; 6) redevances; 7) ventes et commercialisation; 8) assurance responsabilité sur le produit.

 

[234]       Les experts de chaque partie sont aussi généralement d’accord sur l’importance de chacun de ces éléments de coûts. La seule véritable différence entre la méthode de M. Hamilton et celle de M. Davidson tient aux données que leur ont fournies d’autres experts. Comme j’ai préféré retenir les témoignages de M. Hollis et de Mme Bacovsky que ceux de MM. Tepperman et Palmer, je préfère aussi retenir de M. Davidson que celle de M. Hamilton sur cette question, comme elle se fonde sur l’avis de ces experts.

 

Les déductions à soustraire, le cas échéant, de l’indemnité accordée par la Cour, aux termes du paragraphe 8(5)

 

[235]       Wyeth soutient qu’une déduction totale ou substantielle devrait être soustraite des dommages‑intérêts accordés à Ratiopharm parce que celle‑ci n’a pas respecté le Règlement sur les aliments et drogues, CRC ch. 870, avant d’entrer sur le marché et que cette violation devrait la priver du droit à une indemnisation.

 

a) Le processus de validation et de lancement de Ratiopharm contrevenait-il au Règlement sur les aliments et drogues? Dans l’affirmative, quelles en sont les conséquences?

 

[236]       Wyeth avance que Ratiopharm a lancé son produit sans l’avoir soumis au processus complet de validation et que, ce faisant, elle a violé le Règlement sur les aliments et drogues. Pour l’essentiel, l’argument de Wyeth tient à une question d’équité : comme Ratiopharm n’avait pas rempli toutes ses obligations juridiques au moment de lancer son produit, elle ne devrait pas pouvoir obtenir des dommages‑intérêts au titre de l’article 8.

 

[237]       Ratiopharm affirme qu’elle avait mené à bien la validation de ses lots biologiques avant de les mettre sur le marché et qu’au moment du lancement une partie du processus de validation concomitante était terminé. Par définition, une partie de la validation concomitante se fait après le lancement du produit. Par conséquent, Ratiopharm n’était pas en violation du Règlement sur les aliments et drogues. De toute façon, elle fait valoir que même si elle l’avait été, ce n’aurait pas été une raison valable de ne pas la dédommager.

 

[238]       Pour appuyer sa position, Wyeth se fonde en grande partie sur le témoignage de Stuart Wright, lequel a signalé des violations alléguées des lignes directrices de Santé Canada, et non du Règlement sur les aliments et drogues. Il a affirmé que les violations des lignes directrices constituaient dans les faits des violations du Règlement sur les aliments et drogues, mais il a admis en contre‑interrogatoire qu’il ne pouvait citer aucun précédent pour confirmer cette position. Par ailleurs, les lignes directrices disposent explicitement qu’elles n’ont pas force de loi puisqu’on y lit : « [l]es recommandations formulées dans les présentes directives n’entendent pas devenir des exigences dans toutes les circonstances. » Pour ces motifs, je conclus que Wyeth n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que Ratiopharm avait violé le Règlement sur les aliments et drogues.

 

[239]       Quoi qu’il en soit, Paul Larocque qui, contrairement à Stuart Wright, a déjà travaillé à Santé Canada et y dirigeait la division responsable de l’examen des composants chimiques et de la fabrication des nouveaux médicaments, a affirmé avec une grande assurance qu’il n’y avait eu aucune telle violation et que les lignes directrices étaient souples. Sur cette question, je retiens son témoignage plutôt que celui de M. Wright.

 

b) Le tribunal ne devrait-il pas intégrer la période de transition à la période pertinente?

 

[240]       Ratiopharm, évoquant la décision Pantoprazole, CF 2013, soutient qu’aucune déduction ne devrait être effectuée à l’égard de la période de transition.

 

[241]       Wyeth fait valoir que la Cour ne devrait pas statuer sur la question de la période de transition, car il n’en a pas été question dans les arguments de Ratiopharm. J’estime que cet argument est sans fondement, pour les raisons suivantes : 1) l’autorisation de modifier la plaidoirie pour y inclure la question de la période de transition a été accordée; 2) il n’est jamais incombé à Ratiopharm de plaider la question de la période de transition, car elle ne cherche pas à obtenir un dédommagement pour la période de transition; elle cherche simplement à convaincre le tribunal qu’aucune déduction ne devrait être effectuée à l’égard de cette période sous le régime du paragraphe 8(5), et comme il est question d’une déduction, le fardeau de la preuve incombe à Wyeth; 3) comme en a statué le juge Hughes dans l’affaire Omeprazole, CF 2012, au paragraphe 149, une partie ne peut être blâmée de n’avoir pas plaidé une défense qui n’a été que récemment établie en droit.

 

[242]       La question de la double transition consiste à déterminer i une déduction devrait être soustraite des ventes de Ratiopharm dans le monde hypothétique pour tenir compte de la progression des ventes au cours des premiers mois suivants l’obtention de l’AC, avant que les ventes ne se stabilisent.

 

[243]       La juge Snider a décrit le concept de « période de transition » dans la décision Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2013 CF 751, [2013] ACF no 840 (QL), aux paragraphes 202 et 203 :

Dès qu’il reçoit l’autorisation de mise en marché d’un médicament, le fabricant de produits génériques peut faire son entrée sur le marché. La plupart du temps, l’autorisation lui est délivrée immédiatement après l’expiration du brevet inscrit au registre. C’est à ce moment‑là que le breveté commence à perdre des ventes au profit du fabricant de médicaments génériques présent sur le marché.

 

Mais l’arrivée sur le marché d’un fabricant de produits génériques ne produit pas immédiatement ses effets. Bien que l’avis de conformité lui permette de commencer à vendre le médicament, le nouvel arrivant doit négocier des ententes avec les pharmacies et les distributeurs, obtenir son inscription aux formulaires des médicaments et approvisionner les pharmacies. Tout cela prend du temps. Cette période de temps qu’exige la constitution d’une clientèle suffisante pour que les ventes se stabilisent est souvent appelée « période de transition ». À supposer que le total des ventes du produit en question demeure au même niveau après l’expiration du brevet et avant que les nouveaux acteurs du marché stabilisent leurs niveaux de vente, le breveté, marchand initial, conservera une part du marché. Le volume de ses ventes va baisser au cours de la période de transition au fur et à mesure que les fabricants de produits génériques occupent une part de marché de plus en plus grande.

 

[244]       Comme les fabricants ne peuvent pas commercialiser le médicament et sont rarement en mesure de négocier des contrats ou d’inscrire leur médicament aux formulaires tant qu’ils n’ont pas obtenu l’AC, ils doivent s’attendre à n’enregistrer pour ce médicament que des ventes minimes ou faibles comparativement aux ventes qui ont atteint un état d’équilibre pendant qu’ils s’affairent à commercialiser leur produit après qu’ils ont obtenu l’AC.

 

[245]       La question de savoir si la période de transition devrait faire l’objet d’une déduction a été examinée récemment par le juge Phelan dans l’affaire Pantoprazole, CF 2013. Le juge avait conclu qu’aucune déduction ne devrait être effectuée au titre de la période de transition dans le monde hypothétique. Selon ses constatations, dans le monde réel, une société de génériques demanderesse passe par une période de transition, et le fait d’appliquer dans le monde hypothétique une déduction additionnelle au titre de la période de transition reviendrait à une « double comptabilisation pour une situation identique ». De l’avis du juge Phelan, cela avantagerait la société innovatrice et pénaliserait doublement la société de génériques. Il a fait remarque que selon le paragraphe 8(5) du Règlement, le tribunal « tient compte des facteurs qu’il juge pertinents » pour déterminer le montant du dédommagement. Selon lui, la double comptabilisation « est pertinente pour ce qui est de déterminer le montant de l’indemnité à accorder » et « [l]’article 8 a pour objet d’accorder une indemnité appropriée ». Il s’agissait de la première occasion où la Cour a refusé d’effectuer une déduction au titre de la période de transition, et la présente affaire constitue la première occasion où sa décision est remise en question.

 

[246]       En toute déférence, je considère que l’approche du juge Phelan peut soulever des problèmes lorsque, dans le monde réel, la période de transition ne correspond pas à celle du monde hypothétique. Par exemple, si beaucoup de retards et un manque de personnel minent la mise à jour d’un formulaire provincial dans le monde hypothétique, il pourrait se passer plusieurs mois avant qu’un médicament soit inscrit au formulaire, alors que dans le monde réel, où ces problèmes ont été réglés, quelques semaines seulement pourraient s’être écoulées. La demanderesse profiterait alors de plusieurs mois de ventes stables.

 

[247]       Cependant, même si les périodes de transition sont identiques, la valeur des dommages subis au cours de ces périodes ne le sera probablement pas. Comme en l’espèce, le volume de ventes dans le monde réel est généralement inférieur à celui du monde hypothétique, car dans le monde hypothétique la demanderesse est parfois la seule fabricante de génériques. Elle enregistrerait donc des ventes nettement plus importantes et à des prix nettement plus élevés (par exemple 70 % au lieu de 50 % du prix du médicament breveté) que dans le monde réel. Le fait de simplement reprendre les mêmes périodes de transition sans tenir compte de ces autres différences entraînera, la plupart du temps, un gain fortuit pour la société de génériques, même lorsque les périodes de transition sont identiques. Pour ce seul motif, il n’est pas possible d’affirmer que les coûts de la période de transition seraient comptés en double.

 

[248]       Avant l’arrêt du juge Phelan, la Cour d’appel fédérale avait statué que les dommages dont une demanderesse peut être indemnisée sous le régime de l’article 8 sont limités aux dommages subis au cours de la période pertinente (Alendronate, CAF 2009, aux paragraphes 99 à 102) :

Selon l’analyse du juge de la Cour fédérale, les pertes réclamées par Apotex ont été causées au cours de cette période, qui correspond au moment où Apotex a été empêchée d’entrer sur le marché et d’obtenir la part de marché qu’elle aurait eu autrement, selon sa demande. Personne ne conteste ce raisonnement. La question est de savoir si la baisse des ventes survenant dans les années futures du fait de cette diminution de la part de marché tombe dans la portée de l’article 8. Le juge de la Cour fédérale, en autorisant l’instruction de la demande relative aux pertes allant « au‑delà du 26 mai 2005 », a répondu par l’affirmative à la question.

 

Quand on prend en considération les larges pouvoirs que confère l’article 55.2(4) de la Loi sur les brevets, il apparaît clair que l’évaluation de l’indemnité qui peut être accordée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est une question qui relève du pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil. Il est clair également que dans le cadre de l’objet du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et de l’équilibre que cherche à établir la Loi sur les brevets, le gouverneur en conseil pouvait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, fixer l’indemnisation à l’intérieur d’une fourchette.

 

En l’espèce, nous avons l’avantage de savoir qu’en 1998 le gouverneur en conseil s’est penché sur la question et qu’il a choisi de limiter l’évaluation des pertes faisant l’objet d’une indemnisation par voie de dommages-intérêts aux pertes subies au cours de la période. Cela ne pose aucune question de principe. Le gouverneur en conseil aurait pu étendre l’évaluation des pertes aux pertes qui ont été causées au cours de la période, sans égard au moment où elles sont subies. Cependant, il ne l’a pas fait.

 

Il faut donner effet à l’intention clairement exprimée du gouverneur en conseil. L’indemnisation des pertes pour les années futures est donc exclue puisqu’on ne peut pas dire que ces pertes ont été subies au cours de la période. Il s’ensuit, par exemple, que le droit d’Apotex à des dommages‑intérêts pour la perte de ventes résultant de la baisse alléguée de sa part de marché doit être limité aux ventes dont on peut établir qu’elles ont été perdues au cours de la période. Pour que les pertes fassent l’objet d’une indemnité, il faut établir qu’elles sont survenues au cours de la période. Par conséquent, je conclus que l’appel devrait être accueilli sur ce point précis.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[249]       Ratiopharm fait valoir que dans l’affaire Alendronate, CAF 2009, la Cour d’appel s’est limitée à la question de l’indemnisation au titre d’une perte permanente de part de marché – un concept entièrement différent de celui de la double comptabilisation de la période de transition. Je ne suis pas d’accord. Les deux concepts sont semblables, car ils sont tous les deux fondés sur l’indemnisation de dommages subis en dehors de la période pertinente, et qu’ils sont artificiellement appliqués à cette période.

 

[250]       Je suis d’accord avec la juge Snider qui s’exprime ainsi au paragraphe 270 de la décision Apotex-Ramipril, CF 2012 :

 

Apotex soutient que la décision que la Cour d’appel a rendue dans Alendronate (CAF) ne s’étend pas à une demande relative à une période de transition ultérieure. Je ne suis pas d’accord. La conclusion de la Cour d’appel s’applique directement à ce type de perte. Apotex demande qu’on l’indemnise pour une perte qui a pu avoir été causée au cours de la période pertinente, mais qui n’a pas été subie à ce moment-là. La perte en question — quel que soit le nom qu’on lui donne — s’inscrit directement dans les exceptions énoncées dans l’arrêt Alendronate (CAF) et, malheureusement, elle n’est pas susceptible d’indemnisation.

 

[251]       Si le tribunal doit s’abstenir d’accorder une déduction au titre de la période de transition dans le monde hypothétique, il doit imaginer un monde dans lequel les ventes de la demanderesse atteignent immédiatement la stabilité – ce qui représente un scénario fictif et irréaliste dans n’importe quel monde, et un calcul inexact des pertes réelles subies au cours de la période pertinente.

 

[252]       Dans l’arrêt Alendronate, CAF 2009, au paragraphe 89, la Cour d’appel explique que « [l]’indemnité prévue concerne le préjudice réellement subi par la seconde personne par l’effet de la suspension » [non souligné dans l’original]. Si aucune déduction n’est faite au titre de la période de transition, la société de générique reçoit une indemnité supérieure à la valeur de ses véritables pertes puisque ses ventes n’auraient pas atteint un état d’équilibre aussitôt après la délivrance de l’AC dans le monde hypothétique.

 

[253]       J’en conclus qu’il n’est pas fondé en droit de refuser la déduction au titre de la période de transition dans le monde hypothétique lors du calcul du dédommagement sous le régime de l’article 8. Même s’il y avait un tel fondement, je n’aurais pas exercé le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par le paragraphe 8(5) pour refuser d’accorder la déduction au titre de la période de transition, essentiellement pour les motifs précités.

 

[254]       En l’espèce, en se fiant à la part de marché réelle de Novopharm pour estimer celle de Ratiopharm, M. Hollis a estimé que la période de transition de Ratiopharm serait essentiellement identique à celle Novopharm, mis à part un retard additionnel pour l’inscription au formulaire. Selon moi, cette méthode prend en considération la période de transition de façon appropriée. Je reconnais qu’elle n’est pas parfaite et il se peut que certains facteurs aient fait en sorte que la période de transition de Ratiopharm ait été plus longue ou plus courte que celle de Novopharm. Cependant, comme aucune preuve ne m’a été présentée quant à la véritable période de transition de Ratiopharm, ces estimations sont donc les meilleurs éléments de preuve dont je dispose.

 

Intérêts

[255]       Les deux parties s’accordent sur un taux d’intérêt antérieur au jugement de 4,5 %. Elles conviennent aussi du fait que les intérêts antérieurs au jugement soient calculés « depuis la date à laquelle la cause d’action a pris naissance jusqu’à la date de l’ordonnance » (Loi sur les tribunaux judiciaires, LRO 1990, ch. C.43, art. 128). Mais elles ne sont pas d’accord sur cette date.

 

[256]       Wyeth soutient que la cause d’action a pris naissance le 1er août 2007, date à laquelle la Cour d’appel a annulé la demande d’interdiction et que les critères donnant droit à une indemnité sous le régime de l’article 8 du Règlement AC ont été remplis.

 

[257]       Dans l’affaire Pantoprazole, CF 2013, le tribunal a calculé l’intérêt antérieur au jugement à compter du début de la période de responsabilité – le début de la période pertinente. Cette décision a été portée en appel, entre autres en raison de cette conclusion. Dans l’affaire Pantoprazole, CF 2013, au paragraphe 174, le juge Phelan affirme que selon lui « la cause d’action a pris naissance au moment où la période de responsabilité a débuté ». Il établit une distinction entre cette date et « la date à laquelle une partie aurait pu engager une action. »

 

[258]       À mon avis, le juge Phelan a raison de faire une distinction entre la date à laquelle la cause d’action prend naissance et la date à laquelle une partie peut engager une action. L’annulation d’une demande d’interdiction n’attribue pas la responsabilité, elle ne fait que confirmer que la responsabilité existe. La cause d’action prend naissance à la date où les dommages donnant droit à une indemnité commencent à être subis. Habituellement, cette date coïncide avec celle du début de la période pertinente, comme dans l’affaire Pantoprazole, CF 2012, et comme en l’espèce. Cependant, ce n’est pas nécessairement toujours le cas, car la période pertinente peut commencer avant que des dommages ne soient réellement subis. Pour ce motif, l’intérêt antérieur au jugement doit être établi en fonction de la date à laquelle les dommages commencent réellement à être subis, sans égard au fait que cette date soit ou non la même que celle du début de la période pertinente.

 

[259]       Des intérêts antérieurs au jugement de 4,5 % doivent donc être appliqués à l’indemnité accordée à Ratiopharm à compter du 10 janvier 2006..

 

[260]       Ratiopharm a aussi droit à des intérêts après jugement. J’estime comme Wyeth que leur taux ne peut être déterminé avant que le tribunal n’arrive à un jugement définitif sur la somme due à Ratiopharm. L’intérêt commencera à courir à compter de cette date.

 

Dépens

[261]       Ratiopharm a droit au remboursement de ses dépens. Le tribunal s’attend à ce que les avocats d’expérience des deux parties parviennent à s’attendre sur leur montant. Si les parties sont incapables de s’entendre, la demanderesse aura 30 jours depuis la date des présents motifs du jugement pour déposer ses observations, qui ne devront pas dépasser 15 pages, et la défenderesse aura 15 jours de plus pour déposer les siennes, qui ne devront pas dépasser 15 pages. La demanderesse pourra déposer une réplique, d’un maximum de 5 pages, dans les cinq jours suivants.

 

Conclusion et résumé

[262]       Je crois avoir traité toutes les questions qui m’ont été présentées; cependant, je ne suis pas en mesure de prendre une décision définitive sur le montant auquel s’établira l’indemnité, même en restant approximatif comme me l’ont proposé les parties. Je m’attends à ce que les experts des parties puissent convenir, dans les 30 prochains jours, d’un montant qui prenne en considération les présents motifs et mes conclusions. Je reste saisi de l’affaire pour régler toute question que j’aurais omis de traiter et qui devrait l’être pour permettre aux experts de calculer l’indemnité. Une fois que j’aurai été informé des dommages‑intérêts calculés à la lumière des présents motifs, ou des positions des parties si elles ne parviennent pas à s’entendre, et que les parties m’auront signifié leur accord ou leurs positions au sujet des dépens, je rendrai un jugement définitif.

 

[263]       En résumé, les principales conclusions sont les suivantes :

1.                  La période pertinente au titre du calcul des profits perdus par Ratiopharm commence le 10 janvier 2006 et se termine le 1er août 2007.

 

2.                  La taille du marché global de la venlafaxine au cours de la période pertinente correspond aux données suivantes :

                                                              i.      37,5 mg : 86,024,500 pilules;

                                                            ii.      75 mg : 159,496,500 pilules;

                                                          iii.       mg : 115 985 200 pilules.

 

3.                  La taille du marché générique de la venlafaxine au cours de la période pertinente correspond aux données suivantes :

                                                              i.      37,5 mg : 67,7 %;

                                                            ii.      75 mg : 70,0 %;

                                                          iii.      150 mg : 67,9 %.

 

4.                  Ratiopharm aurait lancé son produit le 10 janvier 2006 et aurait eu la capacité nécessaire pour approvisionner l’entièreté du marché générique de la venlafaxine.

                                                              i.      Novopharm est le seul concurrent générique qui est entré sur le marché au cours de la période pertinente; Pharmascience n’est pas entrée sur le marché au cours de la période pertinente.

                                                            ii.      Le générique de Ratiopharm aurait été inscrit aux formulaires aux dates suivantes :

C.-B.

Alb.

Sask.

Man.

Ont.

Qc

N.-B.

N.-É.

Î.-P.-É.

T.-N.-L.

24-01-2006

01-03-2006

01-02-2006

15-06-2006

01-03-2006

11-10-2006

31-03-2006

15-03-2006

29-05-2006

03-08-2006

 

                                                          iii.      Le générique de Novopharm aurait été inscrit aux formulaires aux dates suivantes.

C.-B.

Alb.

Sask.

Man.

Ont.

Qc

N.-B.

N.-É.

Î.-P.-É.

T.-N.-L.

23-04-2007

01-02-2007

01-01-2007

15-03-2007

02-01-2007

22-06-2007

04-12-2006

15-12-2006

19-03-2007

07-04-2007

 

                                                          iv.      Par conséquent, Ratiopharm aurait occupé l’entièreté du marché générique de la venlafaxine du 10 janvier 2006 au 1er décembre 2006, date à laquelle Novo‑Venlafaxine serait entré sur le marché. À compter du 1er décembre 2006, les parts de marché de Ratiopharm auraient été grugées au même rythme que celles de Novopharm dans le monde réel après l’entrée sur le marché de Ratiopharm, une fois pris en considération tout écart de dates pour l’inscription aux formulaires entre Novopharm et Ratiopharm.

                                                            v.      Selon les calculs de M. Hollis et les données du SGI, un ajustement correspondant à 10,5 % des ventes totales de Ratiopharm devrait être ajouté au titre de la mise en stock. La valeur pécuniaire de l’ajustement devrait être calculée selon le prix en vigueur à la fin de la période pertinente, mais le volume utilisé pour calculer l’ajustement devrait être celui du début de la période pertinente, conformément aux instructions de M. Hollis.

 

5.                  Ratiopharm aurait vendu son produit aux prix présentés dans le tableau ci‑dessous, dans l’ensemble du Canada. Les prix correspondent à 70 % ou à 50 % du prix d’Effexor XR en Ontario.

 

 

De janvier 2006 à décembre 2006

De janvier 2007 à décembre 2007

37,5 mg

0,546 $ la capsule

0,41995 $ la capsule

75 mg

1,092 $ la capsule

0,83985 $ la capsule

150 mg

1,155 la capsule

0,88675 $ la capsule

 

6.                  Les prix de Ratiopharm seraient passés du plus élevé au moins élevé aux dates figurant dans le tableau ci‑dessous (jour-mois-année).

 

C.-B.

Alb.

Sask.

Man.

Ont.

Qc

N.-B.

N.-É.

Î.-P.-É.

T.-N.-L.

23-04-2007

01-02-2007

01-01-2007

15-03-2007

02-01-2007

02-01-2007

04-12-2006

15-12-2006

19-03-2007

02-01-2007

 

7.                  Dans un marché à un seul fabricant, Ratiopharm aurait versé une ristourne de 15 %.

 

8.                  Dans un marché à plusieurs fabricants, Ratiopharm aurait versé une ristourne de 46,6 %.

 

9.                  Ratiopharm aurait versé la ristourne du marché à un seul fabricant jusqu’à ce que le générique de Novopharm soit inscrit au formulaire de chacune des provinces, selon les dates figurant dans le tableau ci‑dessous.

 

C.-B.

Alb.

Sask.

Man.

Ont.

Qc

N.-B.

N.-É.

Î.-P.-É.

T.-N.-L.

23-04-2007

01-02-2007

01-01-2007

15-03-2007

02-01-2007

22-06-2007

04-12-2006

15-12-2006

19-03-2007

07-04-2007

 

10.              Ratiopharm aurait dû payer les coûts additionnels suivants, qui doivent être déduits de ses ventes brutes : 1) remises de distribution; 2) frais de transport; 3) escomptes pour paiement hâtif; 4) retours de marchandise; 5) coût des ventes; 6) redevances; 7) ventes et commercialisation; 8) assurance responsabilité sur le produit. Les experts s’entendent sur la valeur de ces coûts, mais j’utilise les évaluations de M. Davidson par souci de cohérence.

 

11.              Le lancement du produit de Ratiopharm dans le monde réel n’a pas violé le Règlement sur les aliments et drogues et aucune déduction ne doit être faite à ce titre.

 

12.              Les experts ont tenu compte de la période de transition dans leur modèle, en reprenant essentiellement la période de transition de Novopharm dans le monde réel. La période de transition devrait faire l’objet d’une déduction, et l’approche utilisée par les experts est la meilleure en l’espèce.

 

13.              Le taux d’intérêt antérieur au jugement est fixé à 4,5 % et sera calculé à compter du 10 janvier 2006.

 

Notes

[264]    Les motifs confidentiels du jugement ont été communiqués aux parties le 14 mars 2014 et celles‑ci ont été priées de faire part à la Cour des extraits des passages des motifs qu’elles souhaitaient voir caviardés dans les motifs publics.

 

[265]    Même si les procédures de la Cour sont publiques, une exception peut être faite lorsque le risque que pose pour une partie la publication de renseignements d’affaires l’emporte sur l’intérêt pour le public d’avoir accès à l’information. Je n’ai pas accepté tous les caviardages proposés par les parties. Seuls les renseignements sur des aspects tels les dépenses de commercialisation et les dispositions précises d’ententes commerciales (outre les dispositions comprises dans toutes les ententes de ce type) ont été caviardés. J’estime qu’ils sont visés par l’exception.

 

 

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

T-1844-07

 

INTITULÉ :

TEVA CANADA LIMITED ET PFIZER CANADA INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                        OTTAWA (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                                        Du 13 au 17, Du 20 au 24 et du 27 au 31 JANVIER 2014

 

MOTIFS PUBLICS
 DU JUGEMENT :

                                                                        LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

                                                                        Le 3 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

David W. Aitken, Marcus Klee

Devin Doyle

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Neil Belmore, Peter Wilcox

Afif Hamid, Frédéric Lussier,

Alexandra Peterson

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aitken Klee LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Belmore Neidrauer LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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