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Date : 20140402


Dossier :

IMM-3464-13

 

Référence : 2014 CF 321

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2014

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

MARK DOUGLAS KATZMANN

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]               Le demandeur, M. Mark Douglas Katzman, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 29 avril 2013 par laquelle une agente de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a rejeté sa demande de résidence permanente présentée depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (motifs CH) en application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). Le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada pour grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la Loi.

 

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen des États-Unis qui était arrivé au Canada alors qu’il était enfant et qui était alors devenu un résident permanent. Le demandeur a vécu au Canada pendant plus de 40 ans, mais il n’a jamais demandé ni obtenu la citoyenneté canadienne.

 

[3]               Le demandeur a un fils qui est citoyen canadien; sa mère et ses deux soeurs vivent aussi au Canada.

 

[4]               Le demandeur a été déclaré coupable d’avoir commis les infractions suivantes, à l’égard desquelles il avait plaidé coupable :

         deux chefs d’accusation de possession de cocaïne avec l’intention d’en vendre et de possession de substances désignées;

         dix chefs d’accusation d’introduction par effraction dans un dessein criminel;

         un chef d’accusation de possession d’outils de cambriolage;

         six chefs d’accusation de complot;

         un chef d’accusation de vol.

 

[5]               Il a par conséquent perdu son statut de résident permanent pour grande criminalité, et une mesure d’expulsion a été prise contre lui le 27 septembre 2011.

 

[6]               Le demandeur a demandé une dispense à l’égard de son interdiction de territoire pour des considérations d’ordre humanitaire; sa demande était fondée sur son établissement au Canada et ses liens familiaux au Canada.

 

LA DÉCISION

[7]               L’agente n’a pas conclu que le demandeur avait démontré l’existence de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier une dispense. L’agente a conclu que les difficultés auxquelles le demandeur serait exposé dans l’éventualité où il devait quitter le Canada ne seraient pas inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[8]               L’agente s’est penchée sur les facteurs mis de l’avant par le demandeur, que voici :

1.         son fils est atteint de trouble bipolaire et il a besoin de son aide et de son soutien;

2.         sa mère a besoin de lui, car elle est âgée, et sa soeur, qui s’occupait d’elle, a reçu un diagnostic d’un cancer terminal;

3.         son établissement au Canada et son important réseau de soutien.

 

[9]               L’agente a constaté que le fils du demandeur vit avec sa mère et que, bien que le demandeur allègue qu’il a défrayé les cours de conduite et l’école secondaire de son fils, les reçus qui ont été produits n’établissaient pas ce fait. L’agente a aussi fait remarquer que le demandeur allègue qu’il amène son fils au travail tous les jours pour qu’il obtienne l’expérience de travail, mais le dossier ne renferme aucune preuve de ce fait.

 

[10]           L’agente a aussi constaté que le fils du demandeur avait rédigé une lettre au sujet de la place qu’occupe son père dans sa vie, et ce, malgré le fait qu’il vit avec sa mère. Cependant, l’agente a tenu compte du fait que le demandeur n’avait pas été disponible pour son fils au cours des deux années qu’il avait passées en prison, et que de plus, son fils est un adulte. L’agente a aussi fait remarquer que le fils du demandeur peut compter sur le soutien moral et l’assistance de sa mère, et que s’il a besoin d’aide d’un point de vue financier, le demandeur pourrait aider son fils, et ce, même s’il se trouve aux États‑Unis. Par conséquent, l’agente a conclu que, même si la preuve produite par le demandeur avait un certain poids, la relation du demandeur avec son fils n’était pas un facteur d’ordre humanitaire suffisant.

 

[11]           En ce qui concerne l’allégation du demandeur selon laquelle sa mère se fie sur lui maintenant que sa soeur est atteinte d’un cancer terminal, l’agente a mis l’accent sur le fait que, bien que la mère du demandeur soit âgée, il n’est pas clair en quoi le demandeur la soutient en ce moment, ou pourquoi elle aurait besoin de lui. L’agente a insisté sur le fait que la mère du demandeur a uniquement affirmé que l’appui de son fils est [traduction] « d’une importance vitale », sans pour autant expliquer pourquoi il en est ainsi, et elle a fait remarquer que la mère du demandeur vit dans les Cantons de l’Est, alors que le demandeur vit à Montréal. L’agente affirme une fois de plus que le demandeur a été absent pendant une période de deux ans, en raison de ses propres gestes, pendant qu’il était en prison, et que cela atténue ses observations quant à l’interdépendance de sa famille. L’agente a conclu que le demandeur n’avait pas passé assez de temps en liberté et sobre pour trancher la question de savoir s’il allait faire une rechute. L’agente a aussi dit qu’elle ne croyait pas que le demandeur serait disponible pour sa famille, même s’il devait rester au Canada en tant que résident permanent, mais elle n’a pas expliqué pourquoi.

 

[12]           L’agente s’est ensuite penchée sur l’établissement du demandeur au Canada. L’agente n’a pas conclu que le demandeur avait réussi son établissement sur le marché du travail, puisqu’il travaillait de manière stable depuis seulement deux ans. Avant cela, son dernier revenu d’emploi avait été gagné en 2003. De plus, l’agente a fait remarquer que l’on s’attend généralement des adultes d’une société à ce qu’ils travaillent, et que par conséquent, cela ne suffit pas en soi pour octroyer une dispense au demandeur.

 

[13]           En ce qui a trait à ses liens sociaux, l’agente a constaté que le demandeur n’a pas fait mention d’amis ou de relations personnelles étroites dans sa demande. L’avocate du demandeur soutient qu’il a un important réseau de soutien lié à ses problèmes de toxicomanie et d’alcoolisme, et qu’il est important qu’il continue de recevoir le même soutien. L’agente a reconnu l’importance du soutien dont le demandeur a été bénéficiaire, mais elle a jugé qu’il serait capable de trouver des ressources équivalentes aux États‑Unis.

 

LES OBSERVATIONS DU DEMANDEUR

[14]           Le demandeur allègue que l’agente a tiré des conclusions déraisonnables à partir des éléments de preuve qu’il avait produits et aussi qu’elle a fondé ses conclusions sur des faits erronés. Le demandeur allègue que l’agente a fait abstraction des améliorations qu’il avait apportées dans sa vie par l’entremise de sa réadaptation. De plus, le demandeur soutient que l’agente a minimisé la gravité de l’état de son fils ainsi que celui de sa soeur. Le demandeur prétend qu’en raison de ces omissions, l’agente n’a pas adéquatement apprécié les motifs CH qu’il avait soulevés.

 

[15]           Le demandeur soutient que la conclusion de l’agente en ce qui concerne le fait qu’il n’était pas disponible pour les membres de sa famille pendant qu’il était en prison repose sur une conjecture et que cela est même contredit par la preuve qu’il avait produite. Bien qu’il eut été condamné à deux ans de prison, il avait été mis en liberté au titre d’une libération conditionnelle anticipée en mai 2010, après avoir passé environ six mois en prison. Le demandeur reconnaît que cette libération conditionnelle anticipée a été révoquée en septembre 2010, mais, en s’appuyant sur ses lettres ainsi que sur le rapport d’un criminologue, il met l’accent sur le fait que cette liberté conditionnelle a été rétablie peu après.

 

[16]           Le demandeur prétend que l’agente, en faisant abstraction du fait qu’il s’était vu accorder une libération conditionnelle anticipée, a omis de tenir compte des efforts qu’il déployait dès le début en vue de sa réadaptation. De plus, le demandeur prétend que l’allégation selon laquelle il n’était pas disponible pendant deux ans n’était pas justifiée, puisque rien ne démontrait qu’il n’avait pas de contact avec sa famille durant cette période. En fait, il soutient que les lettres de son ancienne épouse indiquent qu’elle et leur fils avaient des contacts avec le demandeur au cours de cette période.

 

[17]           Le demandeur prétend que l’agente, en limitant son analyse à la durée de sa peine, a omis de pondérer adéquatement les aspects défavorables et favorables qui étaient propres à sa situation. L’agente a rejeté toutes les considérations d’ordre familial en raison de sa grande criminalité. Elle a fait abstraction de la question essentielle de la demande, qui était de déterminer si les facteurs favorables de sa situation l’emportaient sur les facteurs défavorables. Le demandeur allègue qu’en procédant de cette manière, l’agente a fait fi d’importants aspects de sa situation, ce qui avait pour effet de rendre sa décision déraisonnable.

 

[18]           En ce qui a trait à son degré d’établissement, le demandeur soutient que la décision de l’agente ne tenait pas compte du rapport du criminologue. L’analyse que l’agente a effectuée relativement à ses antécédents en matière d’emploi ne remonte qu’à 2003 et elle conclut que le demandeur a travaillé de manière stable pendant uniquement deux ans. Le demandeur affirme qu’il a travaillé de manière stable pendant de nombreuses années avant 2003, et cela faisait partie des conclusions du criminologue. Le demandeur fait remarquer que la période comprise entre 2003 et 2009 coïncide avec la croissance de ses problèmes de toxicomanie et d’alcoolisme. Le criminologue concluait que les activités criminelles du demandeur étaient essentiellement alimentées par ses problèmes de dépendance.

 

[19]           Le demandeur met l’accent sur le fait qu’il est sobre depuis maintenant presque quatre ans. Il prétend que la preuve qu’il a produite démontre sa réintégration rapide sur le marché du travail. Le demandeur prétend que le fait que son problème de dépendance était le facteur principal de sa grande criminalité, et que ses problèmes ne sont maintenant plus en cause, devrait faire contrepoids à ses antécédents criminels. Le demandeur insiste aussi sur le fait qu’il vit au Canada depuis presque 50 ans et que, par conséquent, son degré d’établissement est important. Il allègue que l’agente n’a pas tenu compte de ces deux éléments.

 

[20]           De plus, le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en considérant simplement son fils comme un enfant adulte. Il prétend que, bien que l’aide financière et les moyens de communication modernes auraient pu être suffisants pour la plupart des personnes âgées de 22 ans, son fils souffre d’un grave problème de santé mentale qui a fait en sorte qu’il a été hospitalisé à plusieurs reprises. Le demandeur juge que l’agente a fait preuve d’une mauvaise compréhension de la gravité de l’état de son fils lorsqu’elle a mentionné que son fils est toujours bénéficiaire de l’aide sociale et qu’elle a conclu que cela était un facteur défavorable.

 

[21]           Le demandeur prétend qu’il a démontré qu’il est un pilier dans la vie de son fils. Il allègue que, bien que la médication de son fils a récemment été diminuée, ses problèmes sont susceptibles de ressurgir. Le demandeur allègue, en ce qui a trait aux conclusions de l’agente selon lesquelles aucun élément de preuve documentaire ne démontrait qu’il défraie l’éducation et les cours de conduite de son fils, que ce dernier a corroboré ces faits dans une lettre.

 

[22]           Le demandeur soutient que la présence effective régulière d’un réseau de soutien est d’une importance cruciale pour la stabilité et le bien‑être de son fils.

 

[23]           En dernier lieu, le demandeur prétend que l’agente n’a pas tenu compte des répercussions de la maladie de sa soeur. Il allègue que, s’il est expulsé, il serait exposé aux conséquences négatives de ne pas être présent pour l’appuyer pendant sa maladie et qu’il ne pourrait planifier ses funérailles ou assister à celles‑ci dans l’éventualité de sa mort. Il allègue que l’agente a rejeté son argument en ce qui a trait à son rôle en tant que seule source d’aide et de soutien pour sa mère, parce qu’il a été incarcéré pendant deux ans et qu’il vit à Montréal. Le demandeur soutient que, comme le déclarait le rapport du criminologue, il a de plus en plus de contacts avec sa soeur et avec sa mère depuis sa mise en liberté et qu’il a la possibilité de se rendre dans les Cantons de l’Est à une fréquence régulière, parce que ce n’est pas très loin de chez lui en voiture.

 

[24]           Le demandeur soutient que ces omissions font en sorte que la décision de l’agente est incomplète et déraisonnable. Il prétend aussi que la preuve qu’il a produite démontre que les difficultés auxquelles il serait exposé seraient injustifiées ou excessives. Il allègue que l’agente aurait rendu une décision différente si elle avait examiné la preuve de manière adéquate.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE ET LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

A.        Les questions en litige

[25]           Le demandeur soutient que les questions en litige sont les suivantes :

1.         L’agente a‑t‑elle rendu une décision ou une mesure erronée en droit?

2.         L’agente a‑t‑elle rendu sa décision de manière arbitraire sans prendre en considération les éléments de preuve qu’il avait produits?

3.         L’agente a‑t‑elle agi de manière contraire à la loi?

 

[26]           Le défendeur formule la question ainsi

L’agente a‑t‑elle commis une erreur déraisonnable en concluant que le demandeur n’avait pas produit une preuve suffisante pour démontrer l’existence de considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour lui accorder une dispense relativement à son interdiction de territoire pour grande criminalité?

 

[27]           Je suis d’avis que la question en litige est la suivante :

La décision de l’agente était‑elle raisonnable?

 

B.        La norme de contrôle applicable

[28]           La norme de contrôle applicable à une décision relative à une demande CH est la raisonnabilité (voir Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18; Katwaru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1277, au paragraphe 30 (Katwaru)). Il convient de faire preuve d’une retenue considérable à l’égard des conclusions de l’agente, et la Cour n’interviendra pas si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, et Katwaru, précitée, au paragraphe 58).

 

ANALYSE

[29]           Je conclus que la décision de l’agente était raisonnable et je rejette la présente demande pour les motifs suivants.

 

[30]           Il n’appartient pas à la Cour de pondérer à nouveau les facteurs mis de l’avant par un demandeur qui demande une dispense des exigences en matière de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, au paragraphe 11). Le processus d’appréciation d’une demande CH est hautement discrétionnaire et factuel; par conséquent, l’agente était la mieux placée pour apprécier la demande du demandeur (voir Katwaru, précitée, au paragraphe 58).

 

[31]           À la lecture des observations du demandeur, il est évident qu’il n’est pas satisfait du poids qui a été accordé aux facteurs qu’il a présentés pour étayer sa demande. Cependant, l’agente a examiné chacun d’entre eux, y compris les facteurs favorables, comme l’état de santé de son fils et sa relation avec lui, l’état de santé de sa sœur, l’âge avancé de sa mère et son établissement au Canada.

 

[32]           Les décisions rendues relativement à des demandes CH sont tributaires du poids accordé aux facteurs favorables et défavorables. La gravité d’une infraction peut l’emporter sur les facteurs favorables allégués par un demandeur (voir Katwaru, précitée, au paragraphe 61). En l’espèce, l’agente a conclu que les facteurs favorables ne l’emportaient pas sur la gravité des nombreuses infractions commises par le demandeur. Par conséquent, je ne souscris pas à l’allégation du demandeur selon laquelle l’agente a omis de tenir compte des membres de la famille du demandeur ainsi que de leurs besoins en raison de son interdiction de territoire pour grande criminalité.

 

[33]           En outre, le demandeur n’a pas produit une preuve suffisante à l’appui de sa demande. Il n’a pas démontré en quoi il appuie sa mère, ni les répercussions négatives que son expulsion du Canada aurait sur cette dernière. Dans la même veine, il n’était pas clair pourquoi sa présence continue au Canada est nécessaire pour sa soeur à la lumière de l’état de santé de cette dernière. De plus, il n’a pas fourni la preuve de son établissement au Canada d’un point de vue financier, ou de quelque autre relation personnelle étroite, au‑delà de sa famille immédiate. Ces facteurs ont tous été pris en compte par l’agente pour en arriver à cette décision.

 

[34]           L’argument du demandeur selon lequel l’agente n’a pas tenu compte du rapport du criminologue n’est pas convaincant. L’agente a le pouvoir discrétionnaire d’attribuer un faible poids au rapport d’expertise rédigé à la demande de l’avocate du demandeur. La Cour a récemment traité des lacunes des rapports d’expertise à la décision Czesak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1149, aux paragraphes 37 à 40 :

[37]   De plus, j’estime que les décideurs ne devraient se fier qu’avec prudence aux éléments de preuve des experts judiciaires obtenus aux fins du litige, sauf s’ils font l’objet d’une certaine forme de validation. […]

 

[38]     Notre système juridique a une longue expérience des relations avec les experts judiciaires qui témoignent sur des questions relatives à des éléments de preuve techniques pour aider les tribunaux à rendre leurs décisions. Forts de cette expérience, les tribunaux ont, me sembletil, appris à jauger avec prudence et circonspection les conclusions des experts judiciaires qui n’ont pas fait l’objet d’un processus de validation rigoureux dans le cadre de procédures judiciaires.

 

[39]     Les procédures de validation des opinions d’experts peuvent comprendre l’échange de rapports tôt dans le processus, un rapport étant normalement présenté en contre-preuve aux fins de la validation initiale. En règle générale, les parties ont le droit d’obtenir des renseignements détaillés sur le contexte factuel de la rédaction des rapports, relatifs entre autres à la production de la correspondance entre les avocats et les experts, et elles ont le droit de savoir s’il existe d’autres rapports qui ne sont pas pris en compte. À cela s’ajoute le droit d’interroger les parties adverses lors de l’interrogatoire préalable au sujet des questions soulevées dans les rapports. Plus important encore, les tribunaux ont la possibilité de faire évaluer la fiabilité des opinions des experts obtenues en contreinterrogatoire par des avocats compétents, souvent sous la direction de leurs propres experts. Dans certains cas, les décideurs font même intervenir des experts neutres pour aider à trancher des questions plus controversées opposant les experts judiciaires des deux parties.

 

[40]     Il ne s’ensuit pas que tout rapport d’expert rédigé aux fins du litige doive être rejeté au motif qu’il n’aurait pas beaucoup de poids, sinon aucun. Ce que la Cour a plutôt retenu de son expérience avec les experts judiciaires, relativement à la production de rapports devant des tribunaux administratifs en l’absence de procédure de validation définie, est la nécessité d’exercer une grande prudence avant d’accepter les rapports sans réserve, particulièrement lorsqu’ils seraient de nature à trancher des questions importantes en litige devant la Cour. Par conséquent, selon moi, à moins qu’il ne soit possible de garantir la neutralité ou l’absence d’intérêt personnel de l’expert dans le cadre du litige, il convient généralement de leur accorder peu de poids.

 

[35]           En outre, le fait que l’agente n’a pas fait mention du rapport du criminologue ne signifie pas qu’elle n’en a pas tenu compte (voir Morales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 164, au paragraphe 33 (Morales); Jnojules c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 531, au paragraphe 35). Je souscris à la prétention du défendeur selon laquelle la conclusion de l’agente portant que la réadaptation du demandeur était fragile et trop récente pour savoir s’il allait être victime d’une rechute témoigne du fait qu’elle a examiné ce facteur. En outre, la conclusion principale est que la criminalité du demandeur est liée à ses problèmes de toxicomanie, lesquels sont actuellement maîtrisés. L’agente a considéré cette conclusion comme étant un facteur, mais elle a conclu que celui‑ci était insuffisant dans les circonstances pour l’emporter sur la grande criminalité du demandeur ainsi que sur le risque de récidive. Je ne décèle aucune erreur dans son examen de la preuve.

 

[36]           Le demandeur prétend que l’erreur commise par l’agente en ce qui a trait au nombre de mois qu’il a passés en prison est assez importante pour invalider la décision. Je ne suis pas de cet avis. L’agente, dans sa décision, a fait mention d’une période de deux ans passés en prison. Cependant, le demandeur a passé dix mois en prison, a obtenu une libération conditionnelle et a été mis en liberté; sa libération conditionnelle a ensuite été révoquée, après quoi il a passé trois mois supplémentaires en prison, pour un total de 13 mois. Je n’estime pas que l’erreur de l’agente en ce qui a trait au temps passé en prison est assez importante pour invalider la décision. En fait, il convient de mentionner que la libération conditionnelle anticipée du demandeur a été révoquée parce qu’il avait un emploi, mais qu’il continuait tout de même à recevoir des prestations de sécurité sociale. Je conclus que le fait que le demandeur n’ait pas respecté les lois relatives aux prestations de sécurité sociale, même sous la menace d’une expulsion et malgré ses arguments selon lesquels il avait changé son mode de vie, est un facteur important qui appuie la conclusion de l’agente selon laquelle la réadaptation du demandeur était fragile.

 

[37]           Le demandeur a prétendu que le fait que son fils a besoin de son soutien moral et financier devrait militer à l’encontre de son expulsion. Je juge que cet argument n’est pas convaincant. Le fils du demandeur vit avec sa mère, et il pourra donc bénéficier de son soutien moral. En outre, le demandeur pourra fournir de l’aide financière à son fils à partir des États-Unis et rester en contact avec lui de manière régulière. Son fils bénéficiera alors de la présence physique régulière et du réseau de soutien nécessaire en raison de son état de santé.

 

[38]           En ce qui concerne les difficultés, les États-Unis ne sont pas vraiment un pays qui pose problème pour les besoins d’une analyse des facteurs CH. L’économie de ce pays est solide, et le demandeur pourra certes y prendre part. De plus, il a un frère qui réside aux États-Unis; ce dernier pourrait lui fournir un soutien familial. D’un point de vue géographique, le pays est si près du Canada que le demandeur pourrait rester effectivement près de son fils et même le voir régulièrement.

 

[39]           En ce qui a trait à l’argument du demandeur se rapportant à son besoin continu d’appui relativement à ses problèmes de toxicomanie et d’alcoolisme antérieurs, l’agente a jugé qu’il pourrait obtenir cet appui aux États-Unis. Je souscris à cette analyse.

 

[40]           L’agente a examiné les facteurs CH mis de l’avant par le demandeur, mais elle a conclu que ceux‑ci n’étaient pas suffisants pour l’emporter sur sa grande criminalité.

 

[41]           En raison de ce qui précède, je conclus que la décision de l’agente est raisonnable, et qu’elle appartient certes aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », surtout compte tenu de la « nature hautement discrétionnaire et factuelle » de la décision en l’espèce. L’agente avait le pouvoir discrétionnaire de rejeter la demande du demandeur au motif qu’il n’avait pas démontré que les facteurs d’ordre humanitaire étaient suffisants pour lui accorder une dispense relativement à son interdiction de territoire pour criminalité.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-3464-13

 

INTITULÉ :

MARK DOUGLAS KATZMANN c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 25 FÉVRIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

                                                            Le 2 avRIL 2014

COMPARUTIONS :

Zofia Pzrybytkowski

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Émilie Tremblay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zofia Pzrybytkowski

Avocate en immigration

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Deputy Attorney General of Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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