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Date : 20140320


Dossier :

T‑1559‑12

 

Référence : 2014 CF 273

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2014

En présence de monsieur le juge Russell

 

ENTRE :

TINA CHARLEAN LORENZEN

 

demanderesse

et

TRANSPORTS CANADA, SÉCURITÉ ET SÛRETÉ

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7 [la Loi sur les Cours fédérales], en vue d’obtenir le contrôle judiciaire d’une décision en date du 13 juillet 2012 [la décision] par laquelle une représentante du ministre des Transports, de l’infrastructure et des collectivités [Transports Canada] a refusé en vertu de l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, LRC, 1985, c A‑2 [la Loi] la demande présentée par la demanderesse en vue d’obtenir une habilitation de sécurité en matière de transport [l’habilitation de sécurité].

 

CONTEXTE

[2]               La demanderesse conteste la décision par laquelle Transports Canada a refusé de lui délivrer une habilitation de sécurité en matière de transport [l’habilitation de sécurité], l’empêchant ainsi de conserver son emploi à la Canadian North Airlines [Canadian North]. La demanderesse travaillait comme agente de fret pour la Canadian North dans les Territoires du Nord‑Ouest [les T.N.‑O.] depuis au moins 2003, tout d’abord à Norman Wells, puis à Yellowknife, avant de déménager à Edmonton avec sa famille en avril 2011. Pour pouvoir continuer à travailler pour la Canadian North à Edmonton, il lui fallait obtenir une habilitation de sécurité pour avoir accès aux zones réglementées de l’aéroport. Elle a demandé son habilitation de sécurité en mai 2011.

 

[3]               Conformément aux politiques de Transports Canada, on a procédé à une vérification des antécédents de la demanderesse, ce qui a suscité certaines préoccupations. Dans sa demande, la demanderesse avait coché une case dans laquelle elle déclarait n’avoir jamais été reconnue coupable d’une infraction à l’égard de laquelle une réhabilitation ne lui avait pas été octroyée, mais la vérification de ses antécédents démontrait qu’elle avait été reconnue coupable en mai 1995 au T.N.‑O. d’agression armée. De plus, la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) avait déclaré ce qui suit dans un rapport daté du 16 mars 2012 :

 

[traduction]

                     Le 13 décembre 2004, la GRC a, à Normand Wells (T.N.‑O.), reçu des renseignements jugés crédibles suivant lesquels la demanderesse avait transporté ou déposé à bord d’un aéronef une quantité importante de marihuana en vue de la distribuer dans les communautés nordiques. La GRC a par la suite précisé, dans un courriel du 27 avril 2012, qu’il ne s’agissait pas d’un incident isolé, mais que cette activité se poursuivait depuis longtemps;

                     La demanderesse était propriétaire, à Yellowknife, d’une résidence qu’elle louait à une acolyte qui avait de lourds antécédents judiciaires et qui distribuait la marihuana à Yellowknife pour son compte moyennant une rétribution en marihuana, cette acolyte étant une toxicomane notoire;

                     Le 29 décembre 2009, alors qu’il circulait dans un établissement de vente d’alcool à Normand Wells, un agent de la GRC a humé une odeur de marihuana émanant de la demanderesse et d’autres personnes assises avec elle;

                     L’acolyte de la demanderesse a été reconnue coupable des infractions suivantes : voies de fait, défaut de se conformer à une ordonnance de probation, et défaut de respecter un engagement; elle a aussi fait l’objet d’une accusation d’avoir proféré des menaces, qui a toutefois été retirée après qu’elle se soit engagée à ne pas troubler l’ordre public.

 

[4]               Sur la foi de ces renseignements, Transports Canada a adressé le 14 mai 2012 à la demanderesse une lettre précisant qu’en raison de renseignements défavorables obtenus au cours des vérifications, des doutes avaient été soulevés au sujet de son aptitude à obtenir une habilitation de sécurité et que sa demande d’habilitation de sécurité devait être examinée par un comité consultatif chargé de formuler des recommandations au ministre en la matière. La lettre précisait les renseignements reçus de la GRC ainsi que les infractions pour lesquelles la demanderesse avait été condamnée et indiquait que sa demande serait examinée par un comité consultatif en raison des renseignements en question, de ses fréquentations avec des individus impliqués dans des activités criminelles et des renseignements faux ou trompeurs qu’elle avait communiqués dans sa demande. Il y était aussi indiqué ce qui suit : [traduction] « Transports Canada vous encourage à fournir des renseignements complémentaires, à expliquer les circonstances entourant les condamnations criminelles, les incidents et les fréquentations criminelles susmentionnées et le fait que vous avez induit le ministre en erreur, et vous incite à fournir tout autre renseignent ou explication pertinents, y compris à faire état de toute circonstance atténuante dans les 20 jours de la réception de la présente lettre ».

 

[5]               La demanderesse a répondu par courriel le 6 juin 2012 et a joint une lettre de recommandation d’un ami et ancien locataire, Leland Stroman, directrice de la sécurité au ministère des Transports du gouvernement des T.N.‑O. attestant la bonne moralité de la demanderesse. Dans son courriel, la demanderesse affirmait notamment qu’elle n’avait jamais transporté de drogues illégales à bord d’un aéronef, étant donné qu’elle était consciente de la gravité de toute implication dans des activités illégales et qu’elle ne voulait pas compromettre son emploi, et elle précisait qu’elle n’avait jamais eu de contact avec les locataires de son ancienne maison, qu’elle n’avait jamais participé à des activités illégales avec eux, et qu’elle n’avait jamais consommé de drogues illégales. En ce qui concerne ces condamnations antérieures, la demanderesse affirmait qu’elle croyait qu’après cinq ans [traduction] « la GRC reconnaissait dans les faits qu’elle s’était réhabilitée », ajoutant qu’elle avait obtenu un laissez‑passer de sécurité à Yellowknife après sa déclaration de culpabilité et qu’elle avait simplement omis de le mentionner lorsqu’elle avait rempli son formulaire de demande. Elle tenait à présenter ses excuses pour les renseignements inexacts qu’elle avait communiqués et reconnaissait que certains de ses amis dans les Territoires du Nord‑Ouest pouvaient avoir des problèmes de consommation de drogues, mais affirmait que cela ne la concernait pas et qu’elle s’était simplement retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment.

 

[6]               Le 28 juin 2012, le comité consultatif a recommandé que la demande d’habilitation de sécurité soit refusée. Les renseignements contenus dans le rapport de la GRC, ainsi que le fait que la demanderesse [traduction] « avait induit le ministre en erreur au sujet de l’existence de ses antécédents judiciaires » avait amené le comité consultatif à croire, suivant la prépondérance des probabilités [traduction] « qu’elle peut être sujette ou être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un tel acte ». Le rapport déclarait que [traduction] « la lettre de recommandation de la demanderesse ne renferme pas suffisamment de renseignements pour persuader le comité consultatif de recommander la délivrance d’une habilitation de sécurité ». Le compte rendu des entretiens du comité consultatif indiquait également que [traduction] « Mme Lorenzen a produit une déclaration écrite; toutefois, le comité consultatif ne l’a pas jugée crédible ». Le comité consultatif signalait que la demanderesse avait écrit qu’elle [traduction] « n’avait jamais eu de contact avec les locataires » alors que sa lettre de recommandation provenait d’un ancien locataire.

 

[7]               La directrice générale de la Sécurité de l’aviation de Transports Canada [la représentante du ministre] a rendu une décision le 13 juillet 2012 par laquelle elle refusait de délivrer une habilitation de sécurité à la demanderesse, et elle l’a informée de cette décision dans une lettre datée du 16 juillet 2012 qui reprenait fidèlement le texte du compte rendu de la décision. Cette décision s’est soldée par la suspension de la demanderesse de son emploi à la Canadian North et il semble que, depuis, on ait mis fin à son emploi.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

[8]               Le compte rendu de la décision explique que celle‑ci était fondée sur un examen du dossier, et notamment des préoccupations formulées dans la lettre que Transports Canada avait adressée à la demanderesse le 14 mai 2012, la réponse écrite communiquée par la demanderesse dans son courriel du 6 juin 2012, la lettre de Leland Stroman, la recommandation du comité consultatif, et la politique du programme d’habilitation de sécurité en matière de transport [la politique du PHST].

 

[9]               Les explications suivantes ont été fournies pour justifier la décision :

[traduction]

Des doutes ont été soulevés au sujet du jugement et de la fiabilité de Mme Lorenzen en raison de renseignements révélant qu’elle avait transporté des drogues illégales à bord d’aéronefs en vue de les distribuer dans des collectivités nordiques, du fait qu’elle avait déjà été condamnée au criminel pour agression armée, et du fait qu’elle avait induit le ministre en erreur au sujet de ses antécédents judiciaires. Ces renseignements m’ont amenée à croire, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Lorenzen est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un tel acte. Je constate que Mme Lorenzen a produit une déclaration écrite ainsi qu’une lettre de recommandation de Leland Stroman; néanmoins, en raison de la gravité des renseignements contenus dans le rapport de la GRC, de sa pertinence par rapport à l’aviation civile et du fait qu’elle a induit le ministre en erreur, les observations qu’elle a soumises ne renferment pas suffisamment d’arguments pour répondre à mes préoccupations.

 

Je souscris donc à la recommandation du Comité consultatif et je refuse de délivrer à Mme Lorenzen une habilitation de sécurité en matière de transport.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[10]           La présente demande soulève les questions suivantes :

                     La décision de la représentante du ministre était‑elle déraisonnable?

                     Y a‑t‑il eu un manquement à l’équité procédurale?

 

NORME DE CONTRÔLE

[11]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour est saisie a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la cour chargée du contrôle de l’adopter. Ce n’est que dans les cas où cette recherche s’avère infructueuse, ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de la common law en matière de contrôle judiciaire, que la cour chargée du contrôle doit entreprendre l’examen des quatre facteurs entrant en jeu dans l’analyse relative à la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[12]           Les parties s’entendent pour dire que c’est la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique lorsqu’il s’agit de procéder au contrôle d’une décision prise par un représentant du ministre en vertu de l’article 4.8 de la Loi, et que la norme de contrôle qui s’applique lorsqu’il s’agit de savoir s’il y a eu un manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Fradette c Canada (Procureur général), 2010 CF 884 [Fradette]; Clue c Canada (Procureur général), 2011 CF 323, au paragraphe 14 [Clue]; Peles c Canada (Procureur général), 2013 CF 294, aux paragraphes 9‑10 [Peles]; Rivet c Canada (Procureur général), 2007 CF 1175 [Rivet]).

[13]           La demanderesse affirme que les questions d’équité procédurale soulevées en l’espèce sont à ce point inextricablement liées à celle du caractère raisonnable de la décision pour que [traduction] « la norme de contrôle de toute évidence applicable en l’espèce est celle de la décision correcte ». Je ne suis pas de cet avis. Par souci de clarté analytique et de respect de la jurisprudence, j’estime qu’il y a lieu d’établir une distinction entre ces deux questions et que des normes de contrôle différentes s’appliquent, comme il a été expliqué précédemment.

 

[14]           Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel [ainsi qu’à] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[15]           Voici les dispositions de la Loi qui s’appliquent à la présente instance :

Délivrance, refus, etc.

 

4.8 Le ministre peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.

Granting, suspending, etc.

 

4.8 The Minister may, for the purposes of this Act, grant or refuse to grant a security clearance to any person or suspend or cancel a security clearance.

 

[16]           La Politique du PHST fournit des lignes directrices pour rendre les décisions en vertu de ces dispositions de la Loi. Par souci de commodité, les passages pertinents de cette politique sont reproduits ci‑dessous :

Objet

 

I.1

 

L’objet du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport est de prévenir les actes d’intervention illicite dans l’aviation civile en accordant une habilitation aux gens qui répondent aux normes dudit programme.

 

Définitions

 

I.2

 

(1) Dans le présent document :

 

[…]

 

 

« habilitation de sécurité » signifie une habilitation de sécurité accordée conformément à la Politique sur la sécurité du gouvernement;

 

[…]

 

« organisme consultatif » signifie l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport;

[…]

 

Objectif

 

I.4

L’objectif de ce programme est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré dans le cas de toute personne :

 

[…]

 

4.         qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à :

 

                     commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile; ou

 

                     aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

 

[…]

 

L’organisme consultatif

 

I.8

 

Un Organisme consultatif sera tenu d’étudier les renseignements des demandeurs et de formuler des recommandations au ministre concernant l’octroi, le refus, l’annulation ou la suspension d’une habilitation.

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La demanderesse

[17]           La demanderesse soutient que le comité consultatif et, par voie de conséquence, la représentante du ministre, l’ont privé de ses droits procéduraux en estimant que sa réponse à la lettre du 14 mai 2012 de Transports Canada n’était pas crédible. La demanderesse affirme qu’en grande partie à cause de cette erreur, la décision qui a ultimement été rendue était déraisonnable.

 

Question préliminaire

[18]           La demanderesse reconnaît que son affidavit et l’une des annexes à son affidavit renferment de nouveaux renseignements dont ne disposaient ni le comité consultatif ni la représentante du ministre. Elle affirme toutefois que les renseignements en question devraient être admis sur le fondement du principe énoncé dans la décision Sha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 434 [Sha], au paragraphe 18, dans laquelle le juge Zinn a déclaré ce qui suit :

18        [...] En l’absence de préjudice pour la partie adverse [...] la preuve par affidavit qui fournit des renseignements contextuels pertinents quant à une question en litige importante dont la Cour est saisie à l’occasion d’un contrôle judiciaire peut être présentée à la Cour. Une telle preuve par affidavit ne constitue pas une nouvelle preuve non admissible.

 

 

            Équité procédurale

[19]           La demanderesse reconnaît que, de façon générale, l’obligation d’agir de façon équitable en ce qui concerne une nouvelle demande d’habilitation de sécurité est peu exigeante, étant donné que le refus d’accorder une nouvelle demande n’entraîne pas normalement le retrait de droits préexistants. Le ministre doit simplement rendre une décision qui n’est pas fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait (Motta c Canada (Procureur général) (2000), 180 FTR 292, [2000] ACF no 27, au paragraphe 13 (CF 1re inst.) [Motta]; Irani c Canada (Procureur général), 2006 CF 816, aux paragraphes 21 et 22 [Irani]; Pouliot c Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités), 2012 CF 347, au paragraphe 9 [Pouliot]. Une norme d’équité procédurale un peu plus exigeante s’applique en cas de révocation ou de non‑renouvellement d’une habilitation de sécurité déjà existante : en pareil cas, le demandeur a le droit de savoir ce qu’il doit prouver et de se voir accorder une possibilité véritable de faire valoir son point de vue (DiMartino c Canada (Ministre des Transports), 2005 CF 635, aux paragraphes 22, 23, 24, 33 et 36 [DiMartino]; Xavier c Canada (Procureur général), 2010 CF 147, au paragraphe 13 [Xavier]; Peles, précitée, aux paragraphes 15 et 16).

 

[20]           La demanderesse soutient que c’est la seconde norme d’équité procédurale, celle qui est plus exigeante, qui s’applique dans le cas qui nous occupe, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, la demanderesse affirme que sa situation ressemble davantage à celle dont il est question dans l’affaire DiMartino, précitée, que dans les affaires portant sur des demandes initiales d’habilitation de sécurité, parce que son maintien dans le poste qu’elle occupait depuis longtemps au sein de la Canadian North dépendait de l’obtention d’une habilitation de sécurité. Citant des principes tirés de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 23‑27 [Baker], la demanderesse affirme qu’il faut tenir compte de l’importance que revêt la décision pour l’intéressé. Elle affirme que, comme dans l’affaire DiMartino, précitée, cette décision revêtait pour elle une importance « assez considérable », étant donné que cette décision était de nature à avoir de sérieuses répercussions sur son gagne‑pain et qu’elle était accusée d’infractions graves qui risquaient de compromettre son emploi. Elle affirme que les autres facteurs énoncés dans l’arrêt Baker confirment également qu’une obligation d’équité plus exigeante s’appliquait en l’espèce. En second lieu, la demanderesse affirme qu’elle détenait un laissez‑passer de sécurité pour son travail à Yellowknife et que le comité consultatif n’a pas clairement écarté ce fait. Le comité s’est contenté de déclarer que le travail qu’elle exerçait antérieurement à la Canadian North [traduction] « n’exigeait pas qu’elle possède une carte d’identité lui permettant d’accéder à des zones réglementées, ou […] les habilitations de sécurité antérieures ont été supprimées du système en raison de l’expiration du délai de conservation ». Ainsi, suivant la demanderesse, on ne peut savoir au vu du dossier si sa demande a à juste titre été qualifiée de « nouvelle ».

 

[21]           La demanderesse ne prétend pas que la façon dont le défendeur lui a au départ fait part des préoccupations soulevées à la suite des vérifications de ses antécédents était insuffisante. Elle était consciente des points auxquels elle devait répondre. Elle affirme plutôt qu’on ne lui a pas donné une véritable possibilité de réfuter les renseignements qui lui étaient défavorables. Tout en reconnaissant qu’on lui a accordé la possibilité de répondre en bonne et due forme, la demanderesse soutient qu’au fond il ne s’agissait pas d’une véritable possibilité, parce qu’on a écarté sa réponse au motif qu’elle n’était pas crédible. Cette conclusion démontre qu’on n’a accordé aucune valeur à sa réponse et que l’on n’a par conséquent pas tenu pleinement et équitablement compte de ses arguments. La demanderesse affirme qu’on aurait dû lui accorder la possibilité de répondre aux préoccupations ou aux réserves ayant mené à mettre en doute sa crédibilité, et qu’en ne lui accordant pas cette possibilité, le comité consultatif a commis une erreur en ce qui concerne le choix de la procédure et manqué aux obligations qu’il avait envers elle en matière d’équité procédurale au stade de l’évaluation de sa réponse (Madadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 716, au paragraphe 6 [Madadi]; Ghasemzadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 716, au paragraphe 27 [Ghasemzadeh]).

 

Caractère raisonnable de la décision

[22]           La demanderesse affirme également qu’elle a répondu à chacune des préoccupations exprimées par le défendeur dans sa lettre du 14 mai 2012 et que le défendeur a rendu une décision déraisonnable du fait qu’il n’a pas accordé de poids réel à ses réponses. En ce qui concerne le fait qu’elle n’avait pas divulgué ses antécédents judiciaires, la demanderesse affirme qu’elle a présenté ses excuses et qu’elle a fourni des explications claires pour justifier son omission : elle croyait en effet à tort qu’une habilitation était [traduction] « automatiquement accordée » après cinq ans et que comme elle avait obtenu laissez‑passer de sécurité à Yellowknife après sa condamnation, elle [traduction] « avait complètement oublié ce détail » lorsqu’elle a rempli sa demande d’habilitation de sécurité. Le dossier ne justifiait pas que le défendeur conclut que les réponses qu’elle avait données n’étaient pas crédibles. De plus, le casier judiciaire comme tel ne semble pas avoir, au vu du dossier, préoccupé Transports Canada, étant donné que le résultat de la recherche d’antécédents criminels comporte l’annotation manuscrite et paraphée suivante : [traduction] « une seule condamnation il y a 16 ans. La demande peut être traitée ». Il ressort du dossier que le véritable problème concernait le fait qu’elle n’avait pas divulgué ses antécédents criminels; or, au lieu d’accepter les explications franches et vraisemblables qu’elle a fournies, le comité consultatif et la représentante du ministre ont adopté à son endroit une attitude réprobatrice en concluant qu’elle [traduction] « a induit le ministre en erreur au sujet de l’existence de ses antécédents criminels ».

 

[23]           En ce qui concerne l’allégation suivant laquelle elle transportait ou plaçait des quantités importantes de marihuana à bord d’aéronefs en vue de leur distribution dans des collectivités nordiques, la demanderesse signale qu’aucun détail ou date n’a été mentionné, mais qu’elle a néanmoins pris cette allégation très au sérieux et qu’elle en traite directement dans la réponse qu’elle a donnée dans sa lettre. Elle déclare qu’elle n’a jamais fait l’objet d’accusations ou été appelée à s’expliquer à cet égard, et que :

[traduction] En tant que personne travaillant depuis longtemps pour la Canadian North, je n’ai jamais transporté de drogues illégales dans des communautés et je n’ai jamais fait quoi que ce soit qui pourrait compromettre mon emploi au sein de cette entreprise. J’adore mon travail et je suis consciente de la gravité de telles activités et je continue à être une employée honnête au sein de cette société.

 

La demanderesse affirme que le défendeur n’a pas accordé de réelle valeur à ce démenti catégorique et non équivoque et que, dans son résumé, le comité consultatif qualifie les actes qui lui sont reprochés d’« infractions » plutôt que d’allégations, et que rien ne permet de savoir pourquoi le défendeur n’a pas jugé crédible les explications de la demanderesse.

 

[24]           La demanderesse affirme qu’elle a répondu explicitement à l’allégation suivant laquelle elle avait loué une résidence à une acolyte ayant de lourds antécédents judiciaires et qu’elle se servait de cette dernière pour distribuer de la marihuana à Yellowknife. Voici ce qu’elle déclare dans sa lettre de réponse :

[traduction] Ma demande n’a pas été approuvée par suite de fausses accusations portées contre moi en raison de la locataire que j’avais à Yellowknife, T.N.‑O. Je n’ai jamais eu de contact avec les locataires et je n’ai jamais trempé dans des activités illégales avec eux. Je n’ai jamais fait l’objet d’accusations quant aux faits reprochés ou été appelée à m’expliquer à ce sujet. La maison que nous avions à l’époque à Yellowknife a été louée pour une courte période pour être ensuite vendue [...]

 

La demanderesse souligne qu’il est question dans sa réponse de la maison « que nous avions », et fait remarquer cette maison appartenait à elle et à son mari (qui en était le seul propriétaire enregistré), et qu’en raison de cela son allégation qu’elle n’a jamais eu de contact avec les locataires est à la fois logique et plausible. La demanderesse soutient que, comme dans le cas des autres allégations susmentionnées, le défendeur n’a accordé aucune valeur à ce démenti et qu’il n’a fourni aucune explication pour expliquer pourquoi il l’écartait. La demanderesse considère que le fait que le comité consultatif mentionne que M. Stroman est un ancien locataire est [traduction] « une déduction ridicule » donnant à penser qu’il était le locataire ayant des antécédents judiciaires; elle fait en outre observé qu’il n’y a absolument aucun élément de preuve à l’appui de cette conclusion.

 

[25]           En ce qui concerne l’allégation qu’un agent de la GRC a détecté une odeur de marihuana fraîchement consommée émanant d’elle et d’autres personnes alors qu’il circulait dans un bar, la demanderesse relève que, dans sa réponse, elle a formellement démenti cette allégation en expliquant qu’elle n’avait jamais consommé de drogues illégales et en disant qu’[traduction] « il […]semble que les personnes que je connais à Norman Wells ont peut‑être des problèmes de consommation de drogues illégales, mais cela n’a rien à voir avec moi et il se peut que je me sois tout simplement retrouvée avec les mauvaises personnes au mauvais moment ».

 

[26]           La demanderesse affirme qu’il n’y a rien au dossier qui permette de conclure que le défendeur a fait d’autres vérifications ou démarches pour résoudre les contradictions entre ses allégations et les réponses catégoriques de la demanderesse. À son avis, le défendeur n’a tout simplement pas jugé crédible sa réponse. De même, rien ne permet de penser que le défendeur a examiné sérieusement la solide lettre de recommandation fournie par Leland Stroman qui louait ses [traduction] « valeurs éthiques personnelles et ses principes supérieurs ». La demanderesse soutient que le défaut du défendeur d’examiner sérieusement sa réponse et sa lettre de recommandation ou de faire d’autres vérifications en vue de résoudre les contradictions fait en sorte que sa décision est déraisonnable.

 

[27]           La demanderesse établit également une distinction entre la présente espèce et d’autres affaires dans lesquelles le refus ou la révocation d’une habilitation de sécurité avaient été jugés raisonnables dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Dans l’affaire Motta, précitée, les réserves exprimées portaient sur le casier judiciaire du demandeur, alors qu’en l’espèce, rien ne permet de penser que le casier judiciaire de la demanderesse est la raison pour laquelle sa demande d’habilitation de sécurité a été refusée. Dans l’affaire Lavoie c Canada (Procureur général), 2007 CF 435, la demanderesse avait admis avoir commis une fraude et s’être fait passer pour une agente de la GRC, et le fait qu’elle avait bénéficié d’une absolution conditionnelle n’y changeaient rien, alors qu’en l’espèce, il n’y a pas eu aveu de culpabilité. Dans l’affaire Fontaine c Transports Canada (Sécurité et Sûreté), 2007 CF 1160 [Fontaine], le demandeur n’avait pas nié qu’il avait des liens avec les membres d’une organisation criminelle, tandis qu’en l’espèce, la demanderesse a catégoriquement nié toutes les allégations formulées contre elle. Dans l’affaire Rivet, précitée, le demandeur avait été depuis peu reconnu coupable d’une fraude commise alors qu’il occupait un poste de confiance. De même, dans l’affaire Fradette, précitée, le demandeur avait été récemment reconnu coupable de fraude et avait déjà été reconnu coupable d’autres infractions, et il niait toute responsabilité en rapport avec la fraude. Dans l’affaire Russo c Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités), 2011 CF 764 [Russo], le demandeur avait de lourds antécédents judiciaires, il venait d’être reconnu coupable d’une infraction, et il reconnaissait qu’il continuait à consommer et à acheter régulièrement de la marihuana. Dans l’affaire Clue, précitée, dans laquelle le demandeur était accusé d’avoir déposé une arme de poing chargé à bord d’un aéronef, une conclusion essentielle était que M. Clue s’était montré très peu coopératif et avait fait preuve d’une attitude agressive, voire obstructionniste, lorsqu’on lui avait fait part des faits qui lui étaient reprochés, et il avait tenté de justifier sa conduite, alors qu’en l’espèce, la demanderesse n’a fait preuve d’aucune agressivité ni fait de tentative d’obstruction. De plus, dans l’affaire Clue, il existait des preuves solides associant le demandeur aux actes qui lui étaient reprochés, et ce, malgré le fait que les accusations criminelles avaient par la suite été retirées, tandis que dans le cas qui nous occupe, on ne dispose que d’assertions vagues et générales de la GRC fondées sur des [traduction] « renseignements jugés crédibles ». La demanderesse signale que les raisons pour lesquelles ces renseignements sont considérés comme crédibles demeurent inexpliquées et qu’ils sont contredits par ses affirmations précises et non équivoques de la demanderesse. Dans l’affaire Pouliot, précitée, il y avait un rapport de police décrivant en détail les gestes commis par le demandeur lorsqu’il avait amené en voiture un complice à une succursale bancaire où cet individu avait commis un vol qualifié. L’implication du demandeur ne faisait aucun doute, mais elle n’avait pas suffi à justifier les accusations portées contre lui. Dans le cas qui nous occupe, on ne dispose d’aucun élément de preuve fiable ou de rapport détaillé permettant d’établir un lien entre la demanderesse et une activité criminelle quelconque. De même, on disposait d’éléments de preuve beaucoup plus solides pour établir un lien entre la demanderesse et les activités criminelles (de son mari) dans l’affaire Thep‑Outhainthany c Canada (Procureur général), 2013 CF 59 que ce n’est le cas en l’espèce. Dans l’affaire Peles, précitée, le demandeur n’avait fait aucun effort pour contester les faits qui sous‑tendaient les accusations qui avaient été déposées contre lui en rapport avec la possession de drogues, et ce, en dépit du fait qu’elles avaient finalement été retirées. Dans l’affaire MacDonnell c Canada (Procureur général), 2013 CF 719 [MacDonnell], dans laquelle le demandeur avait été soupçonné d’avoir acheté, consommé et vendu de la cocaïne, mais n’avait jamais été accusé en rapport avec les faits en question, son avocat s’était contenté de chercher à reporter le fardeau de la preuve sur le défendeur en faisant valoir que Transports Canada avait l’obligation de soumettre davantage d’éléments à l’appui de ses allégations, ce que la Cour avait écarté. En revanche, dans le cas qui nous occupe, la demanderesse a tenté par tous les moyens de contester les faits sous‑tendant les allégations formulées contre elle.

 

[28]           En somme, la demanderesse affirme que sa situation est différente de celle de chacune des affaires susmentionnées et que le refus du défendeur de lui délivrer une habilitation de sécurité était déraisonnable.

 

Le défendeur

[29]           Le défendeur soutient qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale et que la décision de la représentante du ministre était raisonnable; la demanderesse demande à la Cour de réévaluer la preuve ce que la Cour ne peut faire lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire.

 

Question préliminaire

[30]           Le défendeur affirme que la Cour ne devrait pas tenir compte des nouveaux renseignements contenus au paragraphe 12 de l’affidavit de la demanderesse ainsi qu’à l’annexe E de l’affidavit ou s’appuyer sur ceux‑ci, étant donné que la représentante du ministre ne disposait pas de ces renseignements pour prendre sa décision (Ordre des architectes de l’Ontario c Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, au paragraphe 30, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2002] SCCA 316; Swain c Canada (Procureur général), 2003 CAF 434, au paragraphe 2). Le défendeur affirme que le principe établi dans la décision Sha, précitée, sur lequel la demanderesse se fonde, ne se rapporte qu’aux renseignements d’ordre général utiles pour connaître le contexte et non aux nouveaux renseignements factuels sur lesquels se fonde une partie à l’appui d’un argument de fond. Dans le cas qui nous occupe, le document dont il est question dans l’annexe a été produit (pour reprendre les mots de la demanderesse) [traduction] « pour confirmer la véracité d’une des prétentions formulées par la demanderesse devant le comité consultatif » et comme la Cour l’a conclu dans la décision Peles, précitée, aux paragraphes 11 à 13, il n’est donc pas admissible en tant que nouvel élément de preuve. La demanderesse aurait pu porter les renseignements en question à l’attention de la représentante du ministre, mais elle ne l’a pas fait. La question à laquelle il faut répondre dans le cadre d’un contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision était raisonnable à la lumière des éléments dont disposait la représentante du ministre et non en fonction d’autres renseignements qui ne lui ont pas été soumis.

 

Caractère raisonnable de la décision

[31]           Le défendeur affirme que l’article 4.8 de la Loi confère au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire et que, lorsqu’il exerce ce pouvoir discrétionnaire, le ministre peut tenir compte de tout facteur qu’il estime pertinent, y compris des accusations criminelles qui ne se sont pas soldées par une déclaration de culpabilité, ainsi que de tout élément de preuve portant sur la moralité ou les propensions d’une personne (Fontaine, précitée, au paragraphe 78; Clue, précitée, au paragraphe 20). La sécurité aérienne revêt une importance capitale et l’accès aux zones réglementées est un privilège et non un droit. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le ministre doit se guider sur la politique du PHST, qui n’exige pas la preuve qu’un acte illicite a été perpétré ou l’existence d’antécédents ou la croyance que l’intéressé commettra un acte quelconque. Elle exige simplement qu’eu égard aux circonstances, le ministre ait un motif raisonnable de croire, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne est sujette ou peut être incitée à commettre un acte (Clue, précitée, au paragraphe 20; MacDonnell, précitée, aux paragraphes 7 et 29). Dans le cas qui nous occupe, le défendeur affirme qu’il était raisonnable de la part du représentant du ministre de conclure que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse pouvait être sujette ou être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

 

[32]           Le défendeur affirme que, bien que la politique du PHST parle de motifs de croire selon la prépondérance des probabilités, il ne s’agit pas d’un fardeau de preuve formel dont la représentante du ministre doit s’acquitter pour refuser de délivrer une habilitation de sécurité, étant donné que l’habilitation de sécurité est un privilège et non un droit. Il doit plutôt exister des motifs raisonnables de croire que les éléments de preuve soumis répondent à la norme de la prépondérance des probabilités et que l’intéressé ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de dissiper les doutes du décideur. Si les motifs raisonnables en question existent, on peut alors raisonnablement refuser la demande.

 

[33]           Selon le défendeur, dans le cas qui nous occupe, la représentante du ministre disposait de renseignements jugés fiables par la GRC qui portaient sur la question précise de l’habilitation de sécurité de la demanderesse. Ces renseignements donnaient à penser que la demanderesse se servait de sa position pour faire passer des drogues illégales dans les Territoires du Nord‑Ouest. La représentante du ministre disposait également d’éléments de preuve permettant de penser que la demanderesse avait induit le ministre en erreur dans sa demande en ce qui concerne ses antécédents judiciaires.

 

[34]           La demanderesse a nié ces allégations, mais la représentante du ministre a conclu que la réponse qu’elle avait donnée n’était pas suffisante pour apaiser les préoccupations soulevées, et la preuve appuie cette conclusion. Il était raisonnable de ne pas accepter les dénégations générales de la demanderesse ou de considérer que les explications qu’elle avait fournies ne réfutaient pas complètement les renseignements reçus. Il est évident que le comité consultatif et la représentante du ministre ont examiné l’ensemble des circonstances et qu’ils ont accordé plus de valeur aux éléments recueillis par la GRC qu’aux dénégations et aux explications de la demanderesse.

 

[35]           Le défendeur affirme par ailleurs qu’il n’appartenait pas à la représentante du ministre de pousser plus loin son enquête; les renseignements dont elle disposait lui avaient été fournis par la demanderesse, qui n’a pas cherché à connaître l’identité de la locataire dont il était fait mention ou à réfuter davantage des éléments de preuve si elle l’estimait nécessaire. Il était loisible à la demanderesse de demander des précisions; or, elle ne l’a pas fait. Si la demanderesse ne disposait pas de suffisamment de renseignements pour être en mesure de répondre aux allégations, elle n’a qu’à s’en prendre à elle‑même. Suggérer le contraire signifierait que le comité consultatif et la représentante du ministre doivent continuer de demander des renseignements à la demanderesse jusqu’à ce qu’ils estiment que leurs doutes sont dissipés.

 

[36]           La demanderesse a distingué sa situation de celle dont il est question dans plusieurs affaires dans lesquelles le refus d’une demande d’habilitation de sécurité a été jugé raisonnable, mais il ne s’agit pas, suivant le défendeur, de la bonne méthode pour se prononcer sur le caractère raisonnable d’une telle décision. La démarche à suivre consiste plutôt à se demander si, en l’espèce, la décision était raisonnable.

 

[37]           À cet égard, il incombait à la demanderesse de répondre aux allégations d’une manière qui permettait de dissiper les doutes du décideur. La représentante du ministre n’était pas tenue d’accepter la version des faits de la demanderesse; la représentante du ministre disposait d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour apprécier la preuve dans le cadre d’un processus décisionnel éminemment discrétionnaire. Au fond, la demanderesse affirme qu’on aurait dû la croire, ce qui revient à demander à la Cour de réévaluer la preuve. Le défendeur affirme que le raisonnement suivi par le juge Barnes dans la décision Clue, précitée, au paragraphe 21, s’applique au cas qui nous occupe :

[21]      Il n’appartient pas à la Cour, dans une procédure de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve ou de substituer son point de vue à celui du décideur compétent. Il existait en l’espèce un fondement probatoire rationnel pour la décision du directeur et, par conséquent, la présente demande est rejetée.

 

 

Équité procédurale

[38]           Le défendeur soutient que la jurisprudence a déjà déterminé en quoi consiste l’obligation d’équité dans le cas d’une nouvelle demande d’habilitation de sécurité : après avoir permis au demandeur de soumettre sa demande par écrit, le ministre n’a pour seule obligation que de rendre une décision qui n’est pas fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition (Motta, précitée, au paragraphe 13; Irani, précitée, aux paragraphes 21 et 22; Pouliot, précitée, au paragraphe 9). Suivant le défendeur, il est invraisemblable que la demanderesse ait pu obtenir une habilitation de sécurité à Yellowknife en 2010‑2011 à l’insu de TC, de sorte que rien ne justifie la Cour de considérer la présente affaire comme un cas de refus ou de non renouvellement d’une habilitation de sécurité.

 

[39]           Le défendeur estime qu’on ne saurait, en s’appuyant sur des décisions rendues dans un contexte administratif différent, telles les décisions Madadi et Ghasemzadeh, tenter de rendre le critère d’équité procédurale plus exigeant. La norme d’équité procédurale dépend du contexte et le contexte propre aux nouvelles demandes d’habilitation a souvent été examiné par la Cour.

 

[40]           Le défendeur affirme également que, bien que la décision ait pu avoir des incidences sur un poste précis que convoitait la demanderesse, l’obligation pour elle de demander une nouvelle habilitation de sécurité était le résultat de la décision qu’elle a prise de son plein gré de déménager à Edmonton pour des raisons personnelles. Par ailleurs, le refus d’octroyer une habilitation de sécurité empêche simplement à l’intéressé d’accéder aux zones réglementées. Il ne l’empêche pas de travailler dans l’industrie aéronautique en général et la demanderesse n’a pas démontré que cette décision aurait des « conséquences graves » sur sa possibilité de gagner sa vie sur le marché du travail albertain; elle s’en est tenue à une simple affirmation à cet égard.

 

[41]           Le défendeur soutient qu’il est évident que la norme d’équité procédurale exigée dans le cas d’une nouvelle demande d’habilitation de sécurité a été respectée et que, même si la norme plus exigeante qui régit les décisions d’annuler ou de révoquer une habilitation de sécurité existante a été respectée. Dans ce contexte, la demanderesse a le droit de savoir ce qu’elle doit réfuter, elle a le droit de se voir accorder une occasion véritable de faire valoir son point de vue (DiMartino, précitée; Xavier, précitée). Le défendeur affirme que ces deux critères ont été respectés en l’espèce.

 

[42]           Suivant le défendeur, l’argument que la demanderesse aurait dû être informée des conclusions tirées par le comité consultatif sur sa crédibilité et qu’elle aurait dû se voir accorder la possibilité d’y répondre équivaut soit à une tentative de plaider en faveur de l’application d’une norme d’équité procédurale différente en se fondant sur des décisions rendues dans un contexte différent, soit à demander à la Cour de réévaluer la preuve sous le couvert d’un moyen relatif à l’équité procédurale. Le défendeur affirme que la thèse selon laquelle le défaut du décideur de signaler de façon précise à la demanderesse ses réserves au sujet de la crédibilité constitue un manquement à l’équité procédurale a été rejetée à de nombreuses reprises par notre Cour dans le contexte en cause en l’espèce (Peles, précitée, aux paragraphes 11, 12 et 13; Russo, précitée, au paragraphe 56).

 

[43]           Le défendeur affirme que la thèse voulant que le comité consultatif ou la représentante du ministre avait l’obligation de chercher à obtenir des renseignements additionnels ou de communiquer des détails plus amples et plus précis que ceux qu’ils avaient déjà en mains a également été rejetée (Clue, précitée, au paragraphe 17). Le décideur disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour justifier son refus d’octroyer l’habilitation de sécurité et il revenait dès lors à la demanderesse de dissiper les doutes de la représentante du ministre, ce que la demanderesse n’a pas réussi à faire (MacDonnell, précitée, au paragraphe 34). L’idée que le comité consultatif ou la représentante du ministre avaient l’obligation de lui faire part de tous les doutes soulevés par sa réponse ne trouve tout simplement aucun appui dans la jurisprudence.

 

[44]           Le défendeur soutient en fin de compte que la demanderesse a eu l’occasion de répondre aux mêmes renseignements que ceux dont disposaient le comité consultatif et la représentante du ministre. La demanderesse n’a pas réclamé d’autres précisions et, par conséquent, aucune ne lui a été offerte ou demandée. La demanderesse s’en est tenue à de fermes dénégations et n’a aucunement indiqué qu’il lui était difficile de répondre aux arguments formulés contre elle. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale, et ce, peu importe la norme que l’on applique. La décision était raisonnable.

 

ANALYSE

[45]           J’accepte l’objection formulée par le défendeur à la présentation des nouveaux renseignements que la demanderesse a tenté de déposer avec la présente demande et qui n’avaient pas été portés à l’attention de la représentante du ministre.

 

[46]           Je souscris également à l’observation du défendeur suivant laquelle la nature de l’obligation d’équité procédurale dans les affaires comme la présente est bien établie par la jurisprudence et qu’il ne convient pas de rendre la norme d’équité procédurale applicable plus exigeante sur la foi d’autres affaires et de contextes dans lesquels des facteurs différents entrent en jeu.

 

[47]           Le comité consultatif a examiné l’affaire en la considérant comme une demande de nouvelle habilitation de sécurité et il a expliqué pourquoi il procédait ainsi. Bien que la demanderesse estime qu’elle a sans doute déjà obtenu un autre type d’habilitation par le passé, elle n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour remettre en question les conclusions tirées par le comité consultatif à cet égard.

 

[48]           Dans ces conditions, la norme d’équité procédurale applicable en l’espèce est somme toute peu exigeante et correspond à celle définie dans la décision Motta, précitée :

13     Dans le présent cas, nous sommes en présence d’une simple demande d’autorisation ou de permis faite par une personne qui n’a aucun droit existant à cette autorisation ou à ce permis et qui n’est accusée de rien. Le refus du Ministre d’accorder l’autorisation d’accès entraînant le retrait d’aucun droit au demandeur, ce dernier ne pouvait donc avoir d’expectative légitime que l’autorisation lui serait accordée (voir Peter G. White Management Ltd. v. Canada (Minister of Canadian Heritage) et al., (1997), 132 F.T.R. 89 et Cardinal v. Alberta (Minister of Forestry, Lands and Wildlife) (23 décembre 1988), Edmonton 8303‑04015 (Alta.Q.B.)). Dans les circonstances, je considère donc que les exigences imposées par l’obligation d’agir équitablement sont minimes et qu’il suffisait au Ministre, après avoir permis au demandeur de présenter sa demande par écrit comme il l’a fait, de rendre une décision qui ne soit pas fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition. Aucune preuve que la décision dûment prise par le Ministre en vertu des pouvoirs à lui conférés par la Loi et le Règlement est ainsi mal fondée n’ayant été apportée, l’intervention de cette Cour n’est pas justifiée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[49]           Il s’ensuit que Transports Canada avait uniquement l’obligation de permettre à la demanderesse de présenter sa demande par écrit et que Transports Canada devait rendre une décision qui ne devait pas être fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait. C’est ce que Transports Canada a fait en l’espèce.

 

[50]           La demanderesse s’estime de toute évidence lésée par les conclusions auxquelles Transports Canada est arrivé dans sa décision et elle allègue que les conclusions tirées au sujet de sa crédibilité ont été formulées sans lui donner la possibilité de dissiper les doutes qu’avait le décideur à cet égard. Toutefois, le législateur a bel et bien précisé (à l’article 4.8 de la Loi) que « [l]e ministre peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité », et le ministre et son ministère ont élaboré une politique et une procédure permettant au ministre d’exercer ce pouvoir discrétionnaire.

 

[51]           Je ne décèle aucune iniquité procédurale au vu de l’ensemble des faits de l’espèce. Même si l’on devait appliquer une norme plus élevée en ce qui concerne les annulations et les révocations d’habilitation de sécurité, force est de conclure que la demanderesse a été parfaitement informée des allégations et des éléments de preuve auxquels elle devait répondre et qu’elle a eu amplement l’occasion de soumettre les observations et les éléments de preuve qui, selon elle, pouvaient lui être utiles (DiMartino, précitée, et Xavier, précitée). Ni le comité consultatif ni la représentante du ministre n’avaient l’obligation de faire des vérifications plus poussées ou de fournir d’autres précisions (Clue, précitée, au paragraphe 17). Ils ont communiqué à la demanderesse les détails dont ils disposaient, ce qui, comme la demanderesse l’a admis, constituait des éléments de preuve suffisants pour justifier le refus de lui accorder une habilitation de sécurité. La décision repose uniquement sur la conclusion que la demanderesse « était sujette ou pouvait être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile » (ou aider toute autre personne à commettre un tel acte). Cela diffère des cas où le décideur doit conclure qu’un acte a effectivement été commis. Le ministre devait simplement avoir des motifs raisonnables de croire « selon la prépondérance des probabilités » que la demanderesse « est sujette ou peut être incitée » à commettre l’acte en question (Clue, précitée, au paragraphe 20).

 

[52]           La représentante du ministre disposait de toute évidence de suffisamment d’éléments de preuve pour tirer cette conclusion. Il incombait alors à la demanderesse de dissiper les doutes de la représentante du ministre. La demanderesse estime qu’elle a réussi à le faire. Elle affirme qu’elle a expliqué pourquoi elle avait omis de mentionner ses infractions criminelles et elle a nié de façon catégorique toutes les autres allégations formulées contre elle. Toutefois, la représentante du ministre n’a pas accepté la thèse défendue par la demanderesse sur ces questions et, dans le cas qui nous occupe, la représentante du ministre a clairement motivé sa décision. On peut ne pas être d’accord avec les raisons qu’elle a invoquées, mais, à mon avis, il est impossible de dire que ses motifs manquent de justification, de transparence et d’intelligibilité ou qu’ils n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La Cour ne peut tout simplement pas réévaluer la preuve et tirer une conclusion qui favoriserait la demanderesse (Khosa, précité, aux paragraphes 59 et 61; Almon Equipment Ltd. c Canada (Procureur général), 2010 CAF 193, au paragraphe 62; Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c Odynsky, 2010 CAF 307, aux paragraphes 85 et 91; Clue, précitée, au paragraphe 21).

 

[53]           Il se peut que ce que la demanderesse dit d’elle‑même soit vrai. La Cour n’a aucun moyen de le vérifier. Mais là n’est pas la question. La question est celle de savoir si, compte tenu des allégations et des éléments de preuve au dossier dont disposait la représentante du ministre, sa décision que la demanderesse est sujette ou susceptible d’être incitée à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile était raisonnable. Je ne puis affirmer qu’elle ne l’était pas.

 

[54]           Je ne décèle dans la décision aucune erreur qui justifierait notre intervention.

 


JUGEMENT

LA COUR :

1.                  REJETTE la demande et ADJUGE les dépens au défendeur.

 

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T‑1559‑12

 

INTITULÉ :

TINA CHARLEAN LORENZEN c TRANSPORTS CANADA, SÉCURITÉ ET SÛRETÉ

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 11 FÉVRIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 20 MARS 2014

COMPARUTIONS :

Patrick Hart

 

POUR La demanderesse

 

James Elford

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackie Handerek & Forester

Avocats

Leduc (Alberta)

 

POUR La demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

pour le défendeur

 

 

 


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