Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20140227

Dossier : IMM-3803-13

Référence : 2014 CF 191

Ottawa (Ontario), ce 27e jour de février 2014

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

Najoua KHEMIRI

 

Partie demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Partie défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]          La demanderesse arrive au Canada, en provenance de la Tunisie, le 25 février 2010. Moins de deux mois plus tard, elle se marie à un citoyen canadien. Ce ne sera que le 14 février 2012 qu’elle fait une demande d’asile.

 

[2]          Cette demanderesse fait une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR), rendue le 11 avril 2013, par laquelle sa demande en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LRC (2001), ch 27, (la Loi) a été rejetée. Pour les brefs motifs qui suivent, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire faite en vertu de l’article 72 de la Loi doit aussi être rejetée.

 

[3]          Essentiellement, ce dont se plaint la demanderesse est d’un certain nombre d’incidents qui se sont produits en Tunisie et qui auraient commencé en juillet 2008. Elle aurait été agressée en raison de son habillement et de son comportement (port d’une robe sans manches, fumer des cigarettes, attaque avec une barre de fer, voiture vandalisée) sur une période de dix-huit mois. La demanderesse prétend que cinq incidents à son sujet se sont produits.

 

[4]          La SPR a trouvé les allégations faites par la demanderesse comme étant déficientes et elle a rejeté sa demande, essentiellement parce qu’elles ne sont pas crédibles. De fait, la SPR a conclu que les éléments de preuve documentaire « sont en majorité des déclarations d’éléments salafistes marginaux au pays. » De fait, il appert que le gouvernement tunisien a interdit le port du voile dans les institutions publiques en 2010. Comme on aura pu le constater, les allégations faites par la demanderesse ont rapport à un comportement qui ne satisferait pas les intégristes désapprouvant certains comportements et qui favorisent, entre autres, le port du voile. De plus, les détails au sujet de ces allégations étaient manquants, ce qui a bien sûr soulevé les soupçons de la SPR. Dit autrement, les allégations sont génériques et elles ne permettent pas d’en contrôler la véracité.

 

[5]          Les parties semblent s’entendre pour constater que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable en ce que l’affaire a été plaidée sur cette base. Il n’y a rien en l’espèce qui permette de dévier de la règle provenant de Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, [Dunsmuir] selon laquelle la norme de la raisonnabilité doit s’appliquer.

 

[6]          La demanderesse s’est contentée de prétendre que des conclusions de fait erronées font en sorte que la décision de la SPR est déraisonnable. Je ne crois pas qu’il en soit ainsi. En effet, la norme de la raisonnabilité tolère qu’il puisse y avoir des interprétations différentes des faits. Ce ne sera que lorsque ces évaluations sont déraisonnables qu’une intervention judiciaire pourra avoir lieu. Comme il a été dit fréquemment, le paragraphe 47 de Dunsmuir fait autorité et il n’est pas inutile de le reproduire à nouveau :

[47]     La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumis aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[7]          Ici, la demanderesse ne fait qu’être en désaccord avec les conclusions tirées par la SPR. Or, ces conclusions me semblent parfaitement raisonnables dans les circonstances. Je conviens avec la demanderesse qu’un défaut de crédibilité n’a pas à être nécessairement fatal (Rathnavel c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2013 CF 564). Mais encore faudrait-il qu’il y ait d’autres preuves dignes de foi suffisantes pour établir les éléments nécessaires au succès d’une demande de statut de réfugié. Une personne qui fait une demande d’asile plus de deux années après son arrivée au Canada sur la foi d’un visa de visiteur se doit d’être convaincante. Des allégations qui manquent de précision et qui ne peuvent donc pas être contrôlées objectivement prêtent à critique au plan de leur crédibilité. De fait, ces allégations de mauvais traitement s’alignent mal avec la situation en Tunisie où, par exemple, le port du voile a été prohibé.

 

[8]          La demanderesse a plaidé à l’audience que la SPR aurait commis une erreur de droit, sujette à une norme de décision correcte, en n’analysant pas la preuve documentaire offerte. Cette preuve documentaire consiste essentiellement en ce qui apparaît comme étant des articles tirés de l’Internet. Questionnée à cet effet, l’avocate de la demanderesse n’a pas été en mesure de jeter une certaine lumière sur leur provenance et, partant, de leur donner une force probante malgré qu’ils constituent au mieux du ouï-dire.

 

[9]          J’ai lu lesdites pièces. Elles touchent toutes à des craintes exprimées face à la montée possible de l’intégrisme en Tunisie, avec un certain focus sur ce qui est appelé « des groupes salafistes ». Ces articles sont tous antérieurs au témoignage de la demanderesse au cours duquel elle exprime sa crainte face à ces groupes dont elle ne peut dire davantage.

 

[10]      À mon sens, l’absence d’analyse de ces écrits ne constitue pas une analyse sélective de la preuve. Leur force probante eu égard aux questions à régler était au mieux négligeable. L’existence de ces pièces n’a pas été ignorée par la SPR. Leur existence en a été notée à l’audience. Mais, avec égard, leur poids est faible par rapport au fardeau sur les épaules de la demanderesse. D’ailleurs la SPR, en cours d’audience, a noté que les incidents ponctuels peuvent exister, mais ce qui est nécessaire est d’évaluer la personne demandant le statut de réfugié.

[11]      Il est maintenant bien établi que l’insuffisance des motifs ne permet pas de casser une décision (Newfoundand and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve et Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 au paragraphe 14). De même, les motifs n’ont pas à référer à tous les arguments ou détails (paragraphe 16). En fin de compte, tel qu’édicté par la Cour suprême du Canada :

[16]     . . . les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la Cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

 

 

[12]      En l’espèce, la SPR a noté en cours d’audience les articles dont la demanderesse voulait traiter pour constater que ceux relevés procédaient du fait divers. La SPR a aussi noté la prétention ultime de la demanderesse que « c’est l’ensemble du pays est (sic) gouverné par les intégristes ou les intégristes sont pas mal présents ». Dans sa décision, la SPR a traité directement de la prétention que les fondamentalistes sont partout. Elle a décliné de suivre la demanderesse sur ce terrain et était en droit de le faire face aux faits mis en preuve. Je ne vois aucune erreur qui puisse faire l’objet d’une révision.

 

[13]      Pour ce qui est de la crainte d’être retournée dans son pays d’origine parce que la demanderesse a maintenant un mari chrétien, la demanderesse n’offre en soutien à cette allégation que le cas d’une agression par des extrémistes. À mon sens, la SPR avait raison de conclure qu’« aucun élément de preuve raisonnable au sujet des conséquences associées au fait d’épouser un non-musulman » n’avait été présenté (paragraphe 20 de la décision). En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à être certifiée.

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 11 avril 2013 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est rejetée. Il n’y a pas ici de question à certifier.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3803-13

 

INTITULÉ :                                      Najoua KHEMIRI et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 19 février 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Roy

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 février 2014

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Mai Nguyen                                 POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Simone Truong                             POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon & Associés Inc.                                               POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

William F. Pentney                                                     POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.