Cour fédérale |
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Federal Court |
Date : 20140227
Dossier : IMM-3294-13
Référence : 2014 CF 189
Ottawa (Ontario), ce 27e jour de février 2014
En présence de l’honorable juge Roy
ENTRE :
Marie Josée BOLOMBU NDOMBA
Demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
Défendeur
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire instaurée aux termes de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), ch 27 (la Loi). En l’espèce, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SPR) a déterminé que la demanderesse s’était désistée de sa demande d’asile.
[2] C’est l’article 168 de la Loi qui permet à chacune des sections de la Commission de prononcer un désistement. De toute évidence, la Loi ne veut pas permettre que les procédures en immigration soient étirées; la personne qui se trouve au Canada et qui ne veut pas le quitter n’a pas intérêt, bien souvent, à faire avancer ces procédures. La Loi permet à la SPR de prononcer un désistement là où le demandeur d’asile ne fait pas progresser le dossier. La décision de déclarer un désistement est discrétionnaire, mais elle ne peut être arbitraire. En notre espèce, l’article 65 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, (les Règles) trouve application. On peut lire les paragraphes (4), (5) et (7) de l’article 65 des Règles qui traite des désistements devant la Section de la protection des réfugiés pour constater qu’ils ont été suivis en notre espèce. Ces paragraphes se lisent de la façon suivante :
(4) Pour décider si elle prononce le désistement de la demande d’asile, la Section prend en considération l’explication donnée par le demandeur d’asile et tout autre élément pertinent, notamment le fait qu’il est prêt à commencer ou à poursuivre les procédures.
(5) Si l’explication du demandeur d’asile comporte des raisons médicales, à l’exception de celles ayant trait à son conseil, le demandeur d’asile transmet avec l’explication un certificat médical original, récent, daté et lisible, signé par un médecin qualifié, et sur lequel sont imprimés ou estampillés les nom et adresse de ce dernier.
[…]
(7) À défaut de transmettre un certificat médical, conformément aux paragraphes (5) et (6), le demandeur d’asile inclut dans son explication :
a) des précisions quant aux efforts qu’il a faits pour obtenir le certificat médical requis ainsi que des éléments de preuve à l’appui;
b) des précisions quant aux raisons médicales incluses dans l’explication ainsi que des éléments de preuve à l’appui;
c) une explication de la raison pour laquelle la situation médicale l’a empêché de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de transmettre le Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli à la date à laquelle il devait être transmis ou de se présenter à l’audience relative à la demande d’asile.
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(4) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanation given by the claimant and any other relevant factors, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.
(5) If the claimant’s explanation includes medical reasons, other than those related to their counsel, they must provide, together with the explanation, the original of a legible, recently dated medical certificate signed by a qualified medical practitioner whose name and address are printed or stamped on the certificate.
[…]
(7) If a claimant fails to provide a medical certificate in accordance with subrules (5) and (6), the claimant must include in their explanation
(a) particulars of any efforts they made to obtain the required medical certificate, supported by corroborating evidence;
(b) particulars of the medical reasons included in the explanation, supported by corroborating evidence; and
(c) an explanation of how the medical condition prevented them from providing the completed Basis of Claim Form on the due date, appearing for the hearing of the claim or otherwise pursuing their claim, as the case may be.
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[3] La demanderesse a revendiqué le statut de réfugié le 8 juin 2012. Elle était arrivée au pays en mai de la même année, en provenance du Congo Kinshasa. Essentiellement, elle se dit victime du système policier au Congo. Une audience devant la Section de la protection des réfugiés a été tenue le 8 mars afin de traiter de sa demande d’asile, à la suite d’un avis donné le 15 février 2013.
[4] Mais déjà le 12 septembre 2012, une audience en désistement avait lieu parce que le Formulaire de renseignements personnels n’avait pas été fourni. Contrairement à ce qui a été prétendu à l’audience, le désistement n’a pas été levé : aucun n’avait été prononcé. Au terme de cette audience, il a plutôt été permis que la demande d’asile continue parce que le formulaire avait été produit (paragraphe 65(2) des Règles). De fait, en septembre 2012 le membre audiencier a noté la nécessité d’avoir un certificat médical puisque déjà l’avocat de la demanderesse parlait des problèmes de santé de sa cliente. Comme on le verra, aucun n’a jamais été produit.
[5] Le 8 mars 2013, l’avocat de la demanderesse, qui était son avocat en septembre 2012 et est son avocat devant cette Cour, plaidait qu’il n’avait pas eu de contact avec sa cliente depuis un certain temps alors que la demande d’asile devait être entendue ce jour. La question du désistement a été à nouveau évoquée étant donné que la demanderesse ne désirait pas procéder. L’avocat avançait de nouveau les problèmes de santé de la demanderesse, sans autre explication. Le désistement aurait pu être prononcé sur-le-champ (paragraphe 65(1) des Règles) mais ne l’a pas été. La demanderesse qui avait déjà été notifiée le 12 septembre 2012 l’était à nouveau. L’avocat s’est plaint que l’avis de convocation pour l’audience du 8 mars avait été court (le 15 février) et qu’un peu plus de temps serait nécessaire pour obtenir la preuve médicale. Au cours même de l’audience, la date du 21 mars a été choisie après que l’avocat ait argumenté que la date proposée du 15 mars était un peu courte. Il a alors communiqué avec son bureau, tel que la transcription de l’audience permet de le constater, pour confirmer sa disponibilité à l’audience même, en présence de la demanderesse et de sa nièce.
[6] L’audience devait donc avoir lieu le 21 mars 2013. À cette date, ni la demanderesse ni son avocat n’étaient présents et la procédure n’a pas avancé que ce soit en désistement ou pour l’obtention du statut de réfugié; un avis de convocation a été émis pour une audience à avoir lieu le 3 avril.
[7] Le 3 avril, l’avocat de la demanderesse a requis un ajournement parce qu’il était retenu devant la Cour fédérale. La demanderesse était présente à l’audience.
[8] C’est le 19 avril 2013 que l’audience spéciale au sujet du désistement a finalement eu lieu. Les explications pour les absences du 21 mars étaient courtes et les certificats médicaux, déjà évoqués en septembre 2012, n’étaient toujours pas disponibles, malgré des audiences le 8 mars, le 21 mars, le 3 avril et le 19 avril. Qui plus est, la demanderesse n’était pas disposée à procéder avec sa demande d’asile le 19 avril.
[9] En ces matières, la norme de contrôle à être appliquée est celle de la décision raisonnable (Abrazaldo c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1295; Revich c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 1064; Gonzalez c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 1248; Singh c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 224 [Singh]; Csikos c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2013 CF 632 [Csikos]). Il en résulte évidemment que cette Cour doit faire preuve de déférence par rapport à la décision qui a été prise d’ordonner le désistement. Uniquement des décisions qui n’auraient pas l’apanage de la raisonnabilité devraient être renversées. Comme le dit la Cour suprême dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, « (L)e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »
[10] En contrôle judiciaire, la demanderesse ne fait que répéter que son état de santé est la cause de son retard à procéder. Les explications qui sont données sont tout simplement inadéquates. À ce jour, nous ne connaissons pas les problèmes qui affligent la demanderesse outre la plaidoirie/témoignage de son avocat. De prétendre que la souffrance physique est visible, comme le fait à répétition l’avocat de la demanderesse, n’est pas une raison, à mon avis, pour renverser la décision de la Section de la protection des réfugiés qui a pu assister à la scène. Je note en particulier cette observation de la SPR qui me semble en dire long :
. . . Moi ce que je peux vous dire de mon point de vue ou ce que je pense jusqu’à maintenant, j’ai regardé dans le dossier il y a aucun document médical qui peut m’indiquer dans quel état de santé vous êtes à partir de ces documents médicaux il n’y en a pas. J’observe votre inconfort, au moins j’observe votre comportement dans la salle et le fait que vous êtes dans un fauteuil roulant, mais je n’ai pas des informations d’un expert comme, par exemple, d’un médecin qui peut expliquer précisément votre condition médicale et qui peut expliquer comment vous êtes incapable de poursuivre la procédure.
[11] La SPR a été alerte dès le début, et certainement à compter du 8 mars 2013, à la situation de santé de la demanderesse. De fait elle a été questionnée à cet égard. De plus, la question du désistement a été abordée et la nécessité de faire la preuve de la condition médicale a une fois de plus été mise sur la table. L’avocat de la demanderesse a résisté à la suggestion que l’audience continue le 15 mars parce qu’il demandait « un peu plus de temps pour pouvoir chercher les preuves médicales ». Comme indiqué plus haut, la date du 21 mars a été convenue, mais ni l’avocat, ni la demanderesse, ni la nièce de celle-ci, toutes des personnes présentes le 8 mars, ne se sont présentés le 21 mars.
[12] Le 3 avril, la demanderesse y était mais pas son avocat. La preuve médicale supportant les dires de l’avocat n’a pas davantage été produite le 19 avril. De nombreuses occasions se sont offertes où la preuve médicale, si tant est qu’elle existe, aurait pu être produite. La demanderesse, et son avocat aussi, savaient qu’elle était requise depuis septembre 2012 et très certainement pour justifier l’absence du 21 mars. Qui veut se prévaloir de la protection de l’État canadien doit montrer de la diligence et de la célérité. Reprenant les mots de l’honorable Yvon Pinard dans Csikos, ci-dessus, « … compte tenu des dispositions législatives et de la jurisprudence applicables, que la SPR pouvait raisonnablement, en l’espèce, conclure que les demandeurs avaient omis de poursuivre l’affaire et prononcer un désistement ». Je conclus que la décision de prononcer le désistement était l’une des issues possibles et acceptables en fonction du droit et des faits.
[13] Je fais mien le commentaire du juge James Russell dans Singh, supra :
[75] Les conséquences d’une déclaration portant qu’il y a eu désistement peuvent être graves et, même, porter un coup fatal à une demande. Cela ne saurait toutefois libérer les demandeurs de l’obligation d’expliquer pourquoi il n’y a pas lieu de prononcer de désistement. Cela ne signifie pas non plus que la SPR est toujours tenue d’accepter les arguments que font valoir les demandeurs pour que le désistement ne soit pas prononcé. La gravité des conséquences signifie seulement que la SPR doit veiller à ce que les demandeurs aient l’entière possibilité de se faire entendre et qu’elle doit prendre en considération tout ce qui lui est soumis. En l’espèce, la SPR s’est acquittée de ces deux tâches, et je ne vois aucune raison d’intervenir dans sa décision.
[14] In extremis, la demanderesse plaide aussi qu’il y aurait eu atteinte aux principes de justice naturelle et en particulier à la règle dite du audi alteram partem.
[15] Je ne puis voir aucune raison de donner suite à cette prétention. La demanderesse était prévenue des enjeux et, lorsqu’on lui a fourni l’occasion de donner ses explications lors de l’audience du 19 avril, celles-ci n’étaient rien d’autre que ce qui avait été dit avant et n’étaient pas à la mesure de ce qui est requis. Il en résulte que la décision de la Section de la protection des réfugiés n’est pas intempestive car elle est le fruit d’un processus engagé en septembre 2012, avec des audiences qui se sont tenues le 12 septembre 2012, le 8 mars 2013, le 21 mars 2013, le 3 avril 2013 et le 19 avril 2013.
[16] Il n’y a pas davantage lieu de donner suite à l’argument voulant que la SPR ait enfreint la Directive sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR (15 décembre 2006). D’abord, ce texte n’est pas aussi contraignant que la demanderesse le voudrait. En effet, la Loi donne au président de la Commission la faculté d’émettre des directives (« guidelines ») « en vue d’aider les commissaires dans l’exécution de leurs fonctions » (alinéa 159(1)h) de la Loi). Mais en plus, de façon plus fondamentale, la SPR, en notre espèce, a fait preuve de toute la sollicitude que pourrait espérer une demanderesse. J’ai lu toutes les transcriptions et je ne saurais trouver rien à redire. L’avocat de la demanderesse a toujours été présent. De fait, plus d’une fois on aurait pu confondre son intervention pour un témoignage. Alors que la demanderesse aurait pu vouloir procéder le 3 avril malgré l’absence de son avocat, l’intervention d’une personne du bureau de celui-ci a fait en sorte que l’affaire a été ajournée. Cette Directive n’est en aucune façon utile à la demanderesse.
[17] La SPR a fait preuve de patience, mais elle ne pouvait se substituer à la demanderesse qui seule pouvait obtenir la preuve médicale. Il ne saurait y avoir de confusion sur sa nécessité et le fait qu’aucun effort n’ait été déployé pour l’obtenir, comme la preuve aux audiences en fait foi.
[18] D’aucuns pourraient prétendre que la SPR aurait pu faire preuve de plus de compréhension à l’égard de la demanderesse. Deux observations peuvent être faites. Si tant est que plus de compréhension aurait pu mener à un dernier ajournement, il n’en reste pas moins que la décision prononcée de désistement était une issue possible et acceptable : la Cour ne pouvait intervenir. En plus, la SPR a agi de façon systématique, donnant le temps à la demanderesse d’obtenir les documents essentiels; quand ceux-ci n’ont pas été produits, la demanderesse a refusé la tenue d’une audience pour traiter de sa demande d’asile la journée même et a indiqué qu’elle ne pourrait vraisemblablement le faire à une audience future. On voit mal quel autre choix s’offrait, d’autant que la SPR a même indiqué à l’audience que la demanderesse pourrait demander la ré-ouverture, ce qu’elle ne fit pas d’ailleurs.
[19] La décision de prononcer le désistement est raisonnable et, évidemment, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Les parties n’ont pas soumis une question grave de portée générale pouvant être certifiée et je n’en ai trouvé aucune.
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 juin 2013 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est rejetée. Il n’y a pas ici de question à certifier.
« Yvan Roy »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3294-13
INTITULÉ : Marie Josée BOLOMBU NDOMBA et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 19 février 2014
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : Le juge Roy
DATE DES MOTIFS : Le 27 février 2014
COMPARUTIONS :
Me Stewart Istvanffy
Me Anne Castagner POUR LE DEMANDEUR
Me Suzon Létourneau POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Étude légale Stewart Istvanffy POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
William F. Pentney POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada