Date : 20140128
Dossier :
IMM-11890-12
Référence : 2014 CF 96
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2014
En présence de monsieur le juge Boivin
Dossier : IMM-11890-12 |
ENTRE : |
DOUGLAS MICHAEL KEARNEY |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), qui vise l’omission du défendeur de traiter la demande de résidence permanente présentée par le demandeur au titre de la catégorie des investisseurs et de rendre une décision à l’égard de cette demande. Le demandeur sollicite une ordonnance de mandamus exigeant au défendeur de traiter sa demande de résidence permanente et de rendre une décision définitive quant à celle‑ci.
Le contexte factuel
[2] La présente demande fait partie d’un groupe de sept (7) demandes de contrôle judiciaire se rapportant à des demandes de résidence permanente présentées au titre de la catégorie des investisseurs qui avaient été déposées entre juin 2009 et juin 2010 dans quatre (4) différents bureaux à l’étranger : le Consulat général du Canada (CGC) de Hong Kong, le bureau des visas de Beijing, le Haut‑commissariat du Canada de Londres (HCC) et le bureau des visas de Berlin.
[3] Depuis la présentation de ces demandes, le réseau mondial de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a fait l’objet d’une restructuration et plusieurs bureaux étrangers ont été regroupés. À la fin de l’année 2012, le CGC de Hong Kong a obtenu la responsabilité de tous les dossiers d’immigration des gens d’affaires qui avaient auparavant été présentés au bureau de Beijing (affidavit de Stephen Hum, au paragraphe 2). En avril et en mai 2012, les bureaux situés à Berlin et à Belgrade ont été fermés, et les demandes qu’ils traitaient ont été transférées au bureau des visas de Vienne (affidavit de Donald Gautier, au paragraphe 5). En dernier lieu, en raison de préoccupations de sécurité au Pakistan, tous les dossiers d’immigration des gens d’affaires ont été transférés du bureau d’Islamabad au HCC de Londres (affidavit de Gaynor Rent, au paragraphe 9).
Les modifications législatives apportées au programme fédéral d’immigration des investisseurs
[4] Le défendeur a reçu chacune des sept (7) demandes de résidence permanente avant que d’importants changements soient apportés au programme fédéral d’immigration des investisseurs (PII).
[5] Dans les Instructions ministérielles (IM-2) publiées le 26 juin 2010, le défendeur a énoncé que le traitement des demandes de résidence permanente au titre de la catégorie des investisseurs qui seraient reçues après l’entrée en vigueur des modifications à venir au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) allaient être traitées en parallèle avec les demandes reçues avant l’entrée en vigueur de ces modifications. Les instructions ministérielles établissaient aussi une « pause administrative », en précisant que le défendeur n’accepterait plus de demandes d’immigration présentées au titre de la catégorie des investisseurs avant que les modifications apportées au Règlement soient apportées (Instructions ministérielles (IM‑2), le 26 juin 2010, vol 144, no 26, en ligne : <http://gazette.gc.ca/rp-pr/p1/2010/2010-06-26/html/notice-avis-fra.html#archivée>).
[6] Le 1er décembre 2010, des modifications ont été apportées au paragraphe 88(1) du Règlement, dans le but de modifier la définition de l’« investissement » qu’un candidat au titre de la catégorie des investisseurs doit effectuer pour devenir un immigrant de la catégorie des gens d’affaires : la limite inférieure est passée de 400 000 $ à 800 000 $.
[7] Dans le Bulletin opérationnel 252, qui a été publié le 2 décembre 2010, le défendeur prévoyait que, « règle générale, les bureaux des visas doivent traiter les demandes au titre du PII fédéral selon le ratio suivant : deux anciennes demandes non traitées pour une nouvelle demande reçue à compter du 1er décembre 2010. Le ratio de traitement simultané des demandes de deux anciennes demandes pour une nouvelle demande […] » (Bulletin opérationnel 252, 2 décembre 2010, en ligne : < http://www.cic.gc.ca/francais/ressources/guides/bulletins/2010/bo252.asp>). En d’autres termes, pour chaque deux (2) « vieilles » demandes présentées en fonction de la limite inférieure de 400 000 $ reçues avant le 1er décembre 2010, le défendeur doit traiter une (1) « nouvelle » demande au titre de la catégorie des investisseurs présentée en fonction de la limite inférieure de 800 000 $ reçue le 1er décembre 2010 ou après cette date.
[8] Dans les Instructions ministérielles IM‑3, publiées le 1er juillet 2011, le défendeur a introduit un plafond au nombre de demandes pouvant être traitées et prévoyait qu’un maximum de « 700 nouvelles demandes de la catégorie des investisseurs immigrants (fédéral) serait envisagé aux fins du traitement chaque année ». (Instructions ministérielles (IM-3), le 1er juillet 2011, vol 145, no 26, en ligne : <http://gazette.gc.ca/rp-pr/p1/2011/2011-06-25/html/notice-avis-fra.html>).
[9] En dernier lieu, dans les Instructions ministérielles (IM‑5), publiées le 2 juillet 2012, le défendeur a mis en place une deuxième pause administrative à l’acceptation des nouvelles demandes d’immigration au titre de la catégorie des investisseurs, laquelle est toujours en vigueur en ce moment (Instructions ministérielles (IM‑5), le 2 juillet 2012, vol 146, no 26, en ligne : <http://gazette.gc.ca/rp-pr/p1/2012/2012-06-30/html/notice-avis-fra.html#d118>).
La demande en cause – IMM-11890-12 (Londres)
[10] Le demandeur, Douglas Michael Kearney, est un citoyen du Royaume-Uni. Le 4 juin 2010, M. Kearney a présenté une demande de résidence permanente au titre du PII au HCC de Londres. Son épouse était incluse dans sa demande. M. Kearney prétend que le défendeur lui a dit lors du dépôt de sa demande que le traitement de son dossier commençerait dans les 12 à 18 mois, c.‑à‑d., au plus tard le 4 janvier 2012. Il allégue aussi que son dossier était censé faire l’objet d’un rappel en septembre 2012, mais que ce ne fut pas le cas.
[11] Environ 2130 dossiers d’immigration des gens d’affaires sont en attente de traitement au HCC de Londres; parmi ce nombre, on compte environ 900 dossiers présentés au titre de la catégorie fédérale des investisseurs. En date du 25 février 2013, 670 de ces dossiers étaient en attente de traitement actif; 60% d’entre eux avaient été transférés d’Islamabad. Parmi ces 670 dossiers, 80 demandes présentées au titre du PII avait été reçues le 1er décembre 2010 ou après cette date. Selon le premier secrétaire de la Section de l’immigration du HCC de Londres, le dossier du demandeur était environ au 750e rang parmi les 900 demandes présentées au titre de la catégorie des investisseurs, et entre le 1650e et le 1700e rang parmi l’ensemble des 2130 demandes présentées au titre de la catégorie des gens d’affaires. Le dossier de M. Kearney était donc à plusieurs années de passer au stade du traitement actif (affidavit de Gaynor Rent, aux paragraphes 10 et 11).
Les questions en litige
[12] La présente affaire soulève les questions en litige suivantes :
a) Le défendeur devrait‑il être contraint, par ordonnance de mandamus ou en raison de l’attente légitime du demandeur, de traiter la demande en fonction de l’actuel critère de sélection et d’achever le traitement de la demande dans un délai précis?
b) Le défendeur devrait‑il être interdit, au moyen d’un bref de prohibition, de traiter la demande selon un critère plus sévère que celui qui était en place lors du dépôt du dossier?
c) Dans l’éventualité où le défendeur choisirait de ne pas achever le traitement de la demande, devrait‑il payer le montant de 5 millions de dollars au demandeur et, le cas échéant, à ses personnes à charge?
d) Le défendeur devrait‑il payer les dépens au demandeur selon un tarif substantiel?
Les dispositions législatives et réglementaires applicables
[13] L’article 87.3 de la Loi habilite le ministre à donner des instructions sur l’ordre de traitement des demandes et sur le nombre de dossiers pouvant être traités au cours d’une année donnée :
PARTIE 1
IMMIGRATION AU CANADA
[…]
Section 10
Dispositions générales
Instructions sur le traitement des demandes
Application
87.3 (1) Le présent article s’applique aux demandes de visa et autres documents visées aux paragraphes 11(1) et (1.01) – sauf à celle faite par la personne visée au paragraphe 99(2) – , aux demandes de parrainage faites au titre du paragraphe 13(1), aux demandes de statut de résident permanent visées au paragraphe 21(1) ou de résident temporaire visées au paragraphe 22(1) faites par un étranger se trouvant au Canada, aux demandes de permis de travail ou d’études ainsi qu’aux demandes prévues au paragraphe 25(1) faites par un étranger se trouvant hors du Canada.
Atteinte des objectifs d’immigration
(2) Le traitement des demandes se fait de la manière qui, selon le ministre, est la plus susceptible d’aider l’atteinte des objectifs fixés pour l’immigration par le gouvernement fédéral.
Instructions
(3) Pour l’application du paragraphe (2), le ministre peut donner des instructions sur le traitement des demandes, notamment des instructions :
a) prévoyant les groupes de demandes à l’égard desquels s’appliquent les instructions;
a.1) prévoyant des conditions, notamment par groupe, à remplir en vue du traitement des demandes ou lors de celui-ci;
b) prévoyant l’ordre de traitement des demandes, notamment par groupe;
c) précisant le nombre de demandes à traiter par an, notamment par groupe;
d) régissant la disposition des demandes dont celles faites de nouveau.
[…] |
PART 1
IMMIGRATION TO CANADA
…
Division 10
General Provisions
Instructions on Processing Applications and Requests
Application
87.3 (1) This section applies to applications for visas or other documents made under subsections 11(1) and (1.01), other than those made by persons referred to in subsection 99(2), to sponsorship applications made under subsection 13(1), to applications for permanent resident status under subsection 21(1) or temporary resident status under subsection 22(1) made by foreign nationals in Canada, to applications for work or study permits and to requests under subsection 25(1) made by foreign nationals outside Canada.
Attainment of immigration goals
(2) The processing of applications and requests is to be conducted in a manner that, in the opinion of the Minister, will best support the attainment of the immigration goals established by the Government of Canada.
Instructions
(3) For the purposes of subsection (2), the Minister may give instructions with respect to the processing of applications and requests, including instructions
(a) establishing categories of applications or requests to which the instructions apply;
(a.1) establishing conditions, by category or otherwise, that must be met before or during the processing of an application or request;
(b) establishing an order, by category or otherwise, for the processing of applications or requests;
(c) setting the number of applications or requests, by category or otherwise, to be processed in any year; and
(d) providing for the disposition of applications and requests, including those made subsequent to the first application or request.
… |
[14] Le paragraphe 88(1) du Règlement contient les définitions suivantes, lesquelles sont pertinentes en l’espèce :
PARTIE 6
IMMIGRATION ÉCONOMIQUE
[…]
Section 2
Gens d’affaires
Définitions et champ d’application
Définitions
88. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente section.
[…]
« placement » “investment” « placement » Somme de 800 000 $ :
a) qu’un investisseur autre qu’un investisseur sélectionné par une province verse au mandataire pour répartition entre les fonds agréés existant au début de la période de placement et qui n’est pas remboursable pendant la période commençant le jour où un visa de résident permanent est délivré à l’investisseur et se terminant à la fin de la période de placement;
b) qu’un investisseur sélectionné par une province investit aux termes d’un projet de placement au sens du droit provincial et qui n’est pas remboursable pendant une période minimale de cinq ans calculée en conformité avec ce droit provincial.
[…]
« investisseur » “investor” « investisseur » Étranger qui, à la fois :
a) a de l’expérience dans l’exploitation d’une entreprise;
b) a un avoir net d’au moins 1 600 000 $, qu’il a obtenu licitement;
c) a indiqué par écrit à l’agent qu’il a l’intention de faire ou a fait un placement.
|
PART 6
ECONOMIC CLASSES
…
Division 2
Business Immigrants
Interpretation
Definitions
88. (1) The definitions in this subsection apply in this Division.
…
“investment” « placement » “investment” means, in respect of an investor, a sum of $800,000 that
(a) in the case of an investor other than an investor selected by a province, is paid by the investor to the agent for allocation to all approved funds in existence as of the date the allocation period begins and that is not refundable during the period beginning on the day a permanent resident visa is issued to the investor and ending at the end of the allocation period; and
(b) in the case of an investor selected by a province, is invested by the investor in accordance with an investment proposal within the meaning of the laws of the province and is not refundable for a period of at least five years, as calculated in accordance with the laws of the province.
“investor” « investisseur » “investor” means a foreign national who
(a) has business experience;
(b) has a legally obtained net worth of at least $1,600,000; and
(c) indicates in writing to an officer that they intend to make or have made an investment.
|
Analysis
[15] La Cour est d’avis que le demandeur n’a pas réussi à démontrer qu’il a le droit qu’on lui accorde une ordonnance de mandamus.
Les affidavits du demandeur
[16] L’affidavit de Pantea Jafari est admissible, mais on ne peut lui accorder que bien peu de poids. Effectivement, l’affidavit contient des renseignements contextuels généraux quant aux enjeux globaux (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, [2012] ACF no 93, au paragraphe 20 (AUCC)). Plus précisément, l’affidavit de Pantea Jafari traite en grande partie de la situation du système d’immigration du Canada et du dossier de l’ancien ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, mais il ne fournit pas de nouveaux éléments de preuve qui soient pertinents quant au traitement de la demande du demandeur.
[17] Lors de l’audience, le demandeur a aussi produit des notes succinctes consignées au STIDI qui n’auraient prétendument pas été incluses au dossier du Tribunal. Comme l’a expliqué le défendeur, la raison pour laquelle il en était ainsi est que le STIDI est en voie d’être mis hors service et que les notes des dossiers sont actuellement transférées dans le nouveau « Système mondial de gestion des cas » (le SMGC). Les notes consignées au STIDI seront donc copiées dans le nouveau SMGC. Après que le dossier du STIDI est transféré au SMGC, le dossier en question est fermé et aucun nouveau renseignement n’y est consigné. Les notes que l’on retrouve au SMGC contiendront donc les derniers renseignements (lettre du défendeur demandée par la Cour, le 18 décembre 2013). La Cour, qui a néanmoins examiné le contenu des notes consignées au STIDI, est d’avis que leur contenu peut confirmer la « date de rappel », laquelle a été communiquée au demandeur, mais que ces notes ne peuvent être invoquées pour appuyer l’argument central du demandeur en ce qui concerne les prétendues « promesses » de traitement ou les délais de traitement approximatifs. De plus, puisqu’aucune décision n’a été rendue dans le cas du demandeur, les motifs ne pouvaient être fournis. Encore là, la Cour peut examiner ce document, mais celui‑ci est peu utile.
L’argument du Québec
[18] Le demandeur a informé la Cour à l’audience qu’il abandonnait « l’argument du Québec ».
[19] La Cour se penchera maintenant sur les questions spécifiques à la présente affaire.
a) Le défendeur devrait‑il être contraint, par ordonnance de mandamus ou en raison de l’attente légitime du demandeur, de traiter la demande en fonction de l’actuel critère de sélection et d’achever le traitement de la demande dans un délai précis?
[20] Le demandeur soutient que la Cour devrait contraindre le défendeur à achever le traitement de son dossier dans un délai précis, puisqu’il répond aux exigences de délivrance d’une ordonnance de mandamus et que les conditions d’applicabilité de la doctrine de l’attente légitime sont réunies.
[21] Le demandeur demande essentiellement à la Cour d’ordonner au défendeur de traiter sa demande présentée au titre du PII en fonction des délais qui leur aurait été communiqués dès le dépôt de leur demande et conformément aux critères de sélection qui étaient en vigueur à ce moment‑là.
[22] L’ordonnance de mandamus est une mesure discrétionnaire de redressement en equity. Les exigences d’obtention d’un mandamus, exposées dans l’arrêt Apotex Inc c Canada (Procureur général) (CA), [1994] 1 CF 742, [1993] ACF no 1098, conf par [1994] 3 RCS 1100 (Apotex), sont les suivants :
a) Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;
b) L’obligation doit exister envers le demandeur;
c) Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation;
d) Lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire;
e) Le demandeur n’a aucun autre recours;
f) L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;
g) Selon l’équité, rien ne fait obstacle au redressement demandé;
h) Compte tenu de la balance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.
[23] La Cour a énoncé, dans la décision Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (CFPI), [1999] 2 CF 33, [1998] ACF no 1553 (QL) (Conille), qu’un délai dans l’exécution d’une obligation prévue par la loi pouvait être considéré comme déraisonnable si les trois conditions suivantes sont réunies :
a) le délai en question a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;
b) le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables;
c) l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.
La Cour doit trancher la question de savoir si le délai allégué par le demandeur est plus long que ce que la nature du processus exige et, le cas échéant, si le délai est justifié.
Le demandeur est d’avis que le défendeur n’a pas respecté sa « promesse de traitement » et qu’il n’a pas amorcé le traitement dans le délai qui avait été communiqué au demandeur lors du dépôt de sa demande. Le demandeur renchérit en affirmant que le défendeur, dans sa réponse aux demandes formulées par le demandeur en vertu de l’article 9 des Règles des cours fédérales en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, n’a pas motivé sa décision de ne pas amorcer le traitement du dossier à la date à laquelle le traitement était censé débuter.
[24] Le demandeur se fonde sur la décision Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 758, [2012] ACF no 683 (QL) (Liang), une affaire qui présente plusieurs similitudes avec celle en l’espèce, mais qui s’en distingue sur certains aspects clés.
[25] Dans Liang, M. Liang et Mme Gurung, qui avaient été choisis pour agir à titre de représentants pour deux (2) groupes demandant la résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (TQF), plutôt qu’au titre de la catégorie des investisseurs, visaient l’obtention d’une ordonnance de mandamus contraignant le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à traiter leurs demandes de résidence permanente. Des instructions ministérielles modifiant les critères de sélection et créant des plafonds ainsi qu’un ordre de priorité de traitement, qui avaient été adoptées conformément à l’article 87.1 de la Loi, s’appliquaient aux nouvelles demandes déposées après le 27 février 2008. En l’espèce, les instructions s’appliquaient aux demandes en cours, lesquelles étaient traitées en parallèle.
[26] Il convient aussi de relever que, contrairement à l’affaire Liang, sur laquelle se fonde le demandeur, les directives et la réglementation applicables à la demande en l’espèce n’établissaient pas un délai approximatif de traitement. Dans Liang, les demandes étaient séparées en deux (2) groupes : le premier groupe comprenait des demandes qui avaient été déposées avant d’importantes modifications législatives et qui étaient pendantes depuis 4 ½ à 9 ans; le deuxième groupe était constitué de demandes qui avaient été déposées après la publication des directives et qui étaient pendantes depuis 2 à 4 ans. Les directives prévoyaient que les demandes du deuxième groupe « devraient recevoir une décision dans les six à douze mois suivant la présentation de leur demande » (Liang, précitée, au paragraphe 29). Dans la présente demande, rien dans le dossier ne prouve l’existence de tels délais de traitement, ni que les délais approximatifs de traitement des demandes étaient expirés. Par conséquent, il convient d’effectuer une distinction entre l’affaire Liang et celle dont je suis saisi, en raison de l’absence de preuve à l’appui relativement au délai de traitement approximatif, de l’absence de délai de traitement approximatif officiel fourni par le gouvernement et de la période de temps relativement courte qui s’est écoulée depuis la fin du prétendu délai de traitement.
[27] Le demandeur laisse entendre que les nouveaux critères de sélection, les quotas et l’ordre de priorité de traitement établis par les Instructions ministérielles IM‑2 et IM‑3 ainsi que le Bulletin opérationnel 252 sont à l’origine des délais de traitement. La Cour peut comprendre que l’actuel régime relativement au PII frustre le demandeur en raison de la place qu’il occupe dans la file d’attente, mais le régime fût mis sur pied de manière légale et mis en œuvre en pleine connaissance du droit applicable, plus particulièrement des pouvoirs adoptés par le législateur conformément au nouvel article 87.3 de la Loi. De plus, l’argument du demandeur concernant l’annulation des demandes en traitement demeure conjectural, et il n’existe aucun élément de preuve pour convaincre la Cour du contraire.
[28] De plus, cette conclusion est compatible avec les décisions antérieures de la Cour en ce qui concerne la priorité de traitement. Dans l’affaire Vaziri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1159, [2006] ACF no 1458 (QL) (Vaziri), aux paragraphes 36 à 37 et 53 à 54, le ministre avait mis sur pied un ratio entre les demandes au titre de la catégorie de l’immigration économique et les demandes au titre d’autres catégories, et accordait la priorité au parrainage d’époux et d’enfants à charge, ce qui avait pour effet de grandement retarder le traitement du dossier de parrainage du demandeur. La Cour avait conclu qu’il est important d’avoir une vue d’ensemble lorsque vient le temps d’établir si le traitement d’une demande a été plus long que ce que la nature du processus exigeait, surtout lorsque le nombre de demandes excède le nombre de candidats que le Canada peut accepter. Alors que, dans l’affaire Vaziri, le pouvoir était implicite, l’article 87.3 de la Loi confère maintenant un pouvoir de manière explicite.
Les attentes légitimes
[29] Le demandeur n’a pas non plus réussi à convaincre la Cour que la doctrine de l’attente légitime s’applique à l’affaire en l’espèce.
[30] La doctrine de l’attente légitime s’applique lorsque des observations ont été transmises au demandeur concernant la procédure qui sera adoptée. Comme la Cour suprême du Canada l’a récemment fait remarquer dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 RCS 504, au paragraphe 68 :
[68] Lorsque dans l’exercice du pouvoir que lui confère la loi, un représentant de l’État fait des affirmations claires, nettes et explicites qui auraient suscité chez un administré des attentes légitimes concernant la tenue d’un processus administratif, l’État peut être lié par ces affirmations si elles sont de nature procédurale et ne vont pas à l’encontre de l’obligation légale du décideur. La preuve que l’intéressé s’est fié aux affirmations n’est pas nécessaire. [...]
[Renvois omis.]
[31] La Cour conclut que la preuve versée au dossier n’appuie pas la prétention selon laquelle le défendeur avait fait des observations « claires, nettes et explicites » de nature procédurale au demandeur. Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, le demandeur n’a pas réussi à établir de manière satisfaisante que les prétendus délais de traitement approximatifs lui avaient bel et bien été communiqués. Aucun autre élément de preuve n’a été produit devant la Cour.
b) Le défendeur devrait‑il être interdit, au moyen d’un bref de prohibition, de traiter la demande selon un critère plus sévère que celui qui était en place lorsque le dossier fût présenté?
[32] La Cour conclut que le demandeur ne répond pas aux conditions pour que la Cour délivre un bref de prohibition.
[33] Le demandeur implore la Cour de délivrer un bref de prohibition, conformément à l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. La Cour rappelle que l’objectif d’un bref de prohibition est d’empêcher les organismes administratifs d’outrepasser les pouvoirs qui leur ont été octroyés et de poser des gestes qui ne relèvent pas de leurs compétences (Nagalingam c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2012 CF 362, [2012] ACF no 390 (QL) (Nagalingam), au paragraphe 18; voir aussi Canada (Procureur général) c Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada – Commission Krever), [1997] 2 CF 36, [1997] ACF no 17, au paragraphe 25 (QL)).
[34] Rien ne démontre que le défendeur a l’intention d’utiliser des critères différents de ceux qui étaient en vigueur au moment du dépôt de la demande. L’argument du demandeur à cet égard demeure conjectural.
c) Dans l’éventualité où le défendeur choisirait de ne pas achever le traitement de la demande, devrait‑il payer le montant de 5 millions de dollars au demandeur et, le cas échéant, à ses personnes à charge?
[35] La Cour est d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée, et par conséquent, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si un tel redressement devrait être accordé au demandeur.
d) Le défendeur devrait-il payer les dépens au demandeur selon un tarif substantiel?
[36] Les circonstances de la présente affaire ne justifient pas que le défendeur paie des dépens substantiels au demandeur; la Cour refuse par conséquent d’examiner cette question.
[37] Pour l’ensemble de ces motifs, il n’est pas justifié que la Cour intervienne, et la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
Les questions proposées à des fins de certification
[38] À la fin de l’audience tenue le 17 décembre 2013, la Cour a accordé du temps à l’avocat du demandeur pour que celui‑ci soumette des questions à des fins de certification. L’avocat du demandeur a produit non moins de vingt et une questions à des fins de certification le 23 décembre 2013.
[39] La Cour rappelle que les questions proposées à des fins de certification doivent transcender les intérêts des parties au litige et aborder une question juridique importante de portée générale, ainsi qu’être déterminantes quant à l’issue de l’appel.
[40] Les questions à des fins de certification soumises par l’avocat du demandeur consistent en une réitération des arguments soulevés lors de l’audience tenue devant la Cour le 17 décembre 2013. En bref, la question n’est pas de savoir si le ministre peut établir ou non des priorités. Le paragraphe 87(3) de la Loi est clair et le législateur a accordé ce pouvoir au ministre.
[41] Les questions proposées à des fins de certification par le demandeur sont de nature conjecturale, elles débordent du cadre de la présente affaire et elles reposent sur des questions de principe, et non sur les questions juridiques en litige relativement à la présente demande.
[42] Cependant, l’avocat du défendeur a proposé deux questions à des fins de certification le 2 janvier 2014. Après examen, la question suivante est certifiée :
Les personnes qui sont assujetties à une longue période d’attente avant le traitement de leurs demandes d’immigration présentées au titre de la catégorie des investisseurs en raison des effets des cibles annuelles et des Instructions ministérielles prises en vertu de l’article 87.3 de la Loi ont‑elles droit à ce qu’on leur accorde une ordonnance de mandamus pour obtenir le traitement immédiat de leurs demandes?
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;
2. La question suivante est certifiée :
Les personnes qui sont assujetties à une longue période d’attente avant le traitement de leurs demandes d’immigration présentées au titre de la catégorie des investisseurs en raison des effets des cibles annuelles et des Instructions ministérielles en vertu de l’article 87.3 de la Loi ont‑elles droit à ce qu’on leur accorde une ordonnance de mandamus pour obtenir le traitement immédiat de leurs demandes?
3. Le tout sans frais.
« Richard Boivin »
Juge
Traduction certifiée conforme
Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.
FEDERAL COURT
SOLICITORS OF RECORD
DOSSIER : |
IMM-11890-12
|
INTITULÉ : |
DOUGLAS MICHAEL KEARNEY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE :
LE 17 DÉCEMBRE 2013
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
LE JUGE BOIVIN
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT :
LE 28 JANVIER 2014
COMPARUTIONS :
Timothy E. Leahy |
pour le demandeur
|
Lorne McClenaghan
|
pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Forefront Migration Ltd. Toronto (Ontario)
|
pour le demandeur
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
|
pour le défendeur
|